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Les Touâreg du nord

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Le deuxième volume auquel il est fait allusion n’a jamais été publié.

EXPLORATION DU SAHARA


LES TOUAREG
DU NORD

PAR
Henri DUVEYRIER

Membre honoraire de la Société de géographie de Paris
Membre étranger de la Société royale de géographie de Berlin
Membre correspondant honoraire de la Société royale de géographie de Londres
Membre correspondant de la Société archéologique de Constantine
Chevalier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur.


AVEC 31 PLANCHES ET UNE CARTE


OUVRAGE QUI A VALU A L’AUTEUR LA GRANDE MÉDAILLE D’OR DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
DE PARIS, EN 1864

[Décoration]

PARIS
CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
COMMISSIONNAIRE POUR L’ALGÉRIE ET L’ÉTRANGER
30, RUE DES BOULANGERS


EXPLORATION DU SAHARA


TOME PREMIER

PARIS. — IMPRIMERIE DE J. CLAYE,
RUE SAINT-BENOIT, 7.


Pl. I. Fig. 1.

HENRI DUVEYRIER.

NÉ A PARIS, LE 28 FÉVRIER 1840.

D’après une photographie de M. Bertall.

EXPLORATION DU SAHARA


LES TOUAREG
DU NORD

PAR
HENRI DUVEYRIER

CHEVALIER DE L’ORDRE IMPÉRIAL DE LA LÉGION D’HONNEUR
MEMBRE ÉTRANGER DE LA SOCIÉTÉ ROYALE
DE GÉOGRAPHIE DE BERLIN

[Décoration]

PARIS
CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
COMMISSIONNAIRE POUR L’ALGÉRIE ET L’ÉTRANGER
30, RUE DES BOULANGERS


1864

Tous droits réservés.


A LA MÉMOIRE
DE MA MÈRE,
MADAME C. DUVEYRIER, NÉE CLAIRE DENIE,

HOMMAGE DE PIÉTÉ FILIALE ET D’ÉTERNEL SOUVENIR
DES SOINS DONT TU AS ENTOURÉ MON ENFANCE.


A MON PÈRE,
CHARLES DUVEYRIER.

Que la publication des travaux de mon exploration soit la récompense de la sollicitude que tu as eue pour moi pendant toute sa durée, et des soucis qu’une séparation prématurée, un voyage lointain, les dangers d’une maladie mortelle, ont pu te causer.


A M. LE DOCTEUR
AUGUSTE WARNIER,

OFFICIER DE LA LÉGION d’HONNEUR, MÉDECIN MILITAIRE EN RETRAITE,
ANCIEN MEMBRE DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE DE L’ALGÉRIE,
ANCIEN DIRECTEUR DES AFFAIRES CIVILES DE LA PROVINCE D’ORAN,
ANCIEN MEMBRE DU CONSEIL DU GOUVERNEMENT DE L’ALGÉRIE.

Vous avez guidé et protégé, à distance, mon exploration du Sahara, pendant les vingt-neuf mois de sa durée ;

Vous avez eu pour moi les soins attentifs d’une mère dans la cruelle maladie qui m’a atteint au retour de mon voyage ;

Depuis, pendant que vous suiviez, comme médecin, les progrès de ma longue convalescence, vous avez consacré près de deux années au dépouillement de mes Notes et Journaux de voyage, ainsi qu’à la rédaction d’un premier volume : Les Touâreg du Nord, et d’un second : Le Commerce du Sahara et de l’Afrique centrale.

Acceptez, avec ceux qui me sont le plus chers au monde, la dédicace de ces deux volumes.

Je ne puis les placer sous un patronage plus dévoué.

Henri DUVEYRIER.


AVANT-PROPOS

Le voyage d’exploration que j’ai accompli entre El-Golêa’a à l’Ouest, Zouîla à l’Est, Biskra au Nord et Rhât au Sud, avait le triple but de recueillir sur le Sahara des données géographiques qui manquaient à nos connaissances ; d’ouvrir avec les peuplades de cette région intermédiaire des rapports indispensables avant de nouer des relations politiques et commerciales entre l’Algérie et l’Afrique centrale ; enfin, de me préparer moi-même, par une longue épreuve de la vie africaine, par l’étude des hommes, des mœurs et des dialectes, à un second voyage ayant pour objet plus spécial l’exploration des régions soudaniennes.

J’ai voulu avancer avec lenteur, afin d’opérer plus sûrement ; je n’ai pas craint de séjourner sur les points où je le jugeais nécessaire pour assurer le succès de mon entreprise, et je me suis toujours efforcé d’élargir ma zone d’action, en visitant les pays situés à l’Est et à l’Ouest de la ligne embrassée par mes études. Avant de pénétrer plus dans le Sud, j’ai donné à mes travaux une base large et solide, par une reconnaissance nouvelle du Sahara algérien, tunisien et tripolitain.

Commencée dans les limites modestes d’un voyage privé, avec des ressources dues à la libéralité de mon père, de M. Arlès-Dufour et de M. Isaac Pereire, mon exploration n’a pu prendre le caractère étendu qu’elle devait avoir, pour donner des résultats utiles, qu’à l’aide du bienveillant et généreux appui du gouvernement.

Sous le puissant patronage de Son Excellence M. le maréchal duc de Malakoff, si bien secondé, dans sa sollicitude, par M. le général sous-gouverneur de Martimprey, ma mission fut entourée d’une protection et d’encouragements qui ont rendu tout facile et qui me feraient craindre d’être resté au-dessous de la responsabilité que j’ai acceptée, si je n’avais l’avenir devant moi pour répondre aux espérances du gouvernement.

Sa Majesté l’Empereur Napoléon III, souverain éclairé et jaloux de l’extension de l’influence civilisatrice de la France, a voulu que les subsides accordés fussent à la hauteur des besoins.

Mes très-humbles et très-respectueux remerciements Lui sont tout d’abord acquis.

Je ne dois pas oublier, dans les témoignages de ma gratitude, Leurs Excellences M. le maréchal Vaillant, M. le maréchal comte Randon, M. Rouher, M. le comte de Chasseloup-Laubat, M. Thouvenel, ministres de Sa Majesté l’Empereur, qui, tous, dans la limite de leurs attributions, ont prêté à ma mission le concours le plus efficace.

M. le général Desvaux, commandant supérieur de la province de Constantine, a droit aussi à toute ma reconnaissance, car c’est à lui que je dois le précieux appui du marabout Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, chef de la confrérie religieuse des Tedjâdjna, qui compte tant d’affiliés dans le Sud.

Aux postes officiels dont ma mission relevait, j’ai eu le bonheur de rencontrer partout des homme de cœur :

A Tripoli de Barbarie, M. P. E. Botta, consul général de France, et ses collaborateurs, MM. Gauthier et Lequeux ;

En Algérie, MM. les colonels Séroka, Lallemand, Wolf, Marguerite, le commandant de Forgemol, le lieutenant Auer, commandant la garnison de Tougourt, qui, tous, m’ont honoré de la même bienveillance affectueuse et ont aplani, autant qu’il dépendait d’eux, les difficultés de mon entreprise.

Des savants français et étrangers, les uns, dans la phase préparatoire de mon exploration, les autres dans la partie active, ont éclairé ma jeunesse des lumières de leur science : les docteurs H. Barth et A. Petermann ; les professeurs Fleischer, A. Duméril et Cherbonneau ; MM. Renou, Yvon-Villarceau, Malte-Brun et O. Mac-Carthy.

Je dois à M. le docteur Millon, l’un des chefs du service de santé de l’armée d’Afrique, un protectorat plus personnel.

Plusieurs chefs indigènes m’ont également secondé de tout leur pouvoir : Sîdi-Hamza, khalîfa du Sud de la province d’Oran ; Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, grand maître de la confrérie des Tedjâdjna ; le marabout Si-’Othmân-ben-el-Hâdj-el-Bekri, chef de la tribu des Ifôghas ; l’émîr El-Hâdj-Mohammed-Ikhenoûkhen, chef des Touâreg Azdjer ; le marabout Sîdi-el-Bakkây, cousin du célèbre cheïkh de Timbouktou ; Si-Selimân-el-’Azzâbi, moûdîr de Faççâto, dans le Djebel-tripolitain.

Que tous reçoivent, ici, mes sincères remerciements.

Qu’il me soit aussi permis de donner un témoignage public de l’inaltérable dévouement d’Ahmed-ben-Zerma, du Soûf, homme droit, intelligent, énergique, qui fut mon compagnon pendant la partie la plus difficile de mon voyage.

Parti de la province de Constantine, en mai 1859, je me dirigeai d’abord sur le pays des Benî-Mezâb, dans l’espoir de trouver chez les Cha’anba des guides pour aller au Touât.

L’état politique du pays, la présence du chérîf Mohammed-ben-’Abd-Allah à In-Sâlah ne me permirent pas de réaliser ce projet.

Après plusieurs mois consacrés à l’étude de l’intéressante contrée qu’habite la confédération Mezâbite, je risquai, muni d’une lettre de recommandation impérative du khalîfa Sîdi-Hamza, une reconnaissance aventureuse sur El-Golêa’a, ville dans laquelle aucun autre Européen n’a encore pénétré.

J’y fus très-mal accueilli, mais probablement un voyageur qui s’y rendrait aujourd’hui serait mieux reçu. Désormais nous connaissons les deux routes qui y conduisent de Methlîli.

Le reste de l’année 1859 fut consacré à des reconnaissances dans les différentes parties du Sahara dépendant des provinces d’Alger et de Constantine, de Laghouât au Soûf, et de Biskra à Ouarglâ.

La sécurité dont jouit le voyageur, même le voyageur privé, européen ou indigène, dans ces contrées gouvernées, à de grandes distances, par l’autorité française, est digne de remarque et fait un contraste frappant avec la situation qui a précédé leur soumission.

Les six premiers mois de l’année 1860 furent employés à explorer le Sahara tunisien : le Djérîd, le Nefzâoua jusqu’à Gâbès sur la petite Syrte. Protégé par des amer du Bey Sîdi-Sâdoq, obtenus par la bienveillante entremise de M. F. de Lesseps et de M. Léon Roches, consul général de France à Tunis, je fus toléré partout ; mais je dois à la vérité de constater les préventions et la fierté blessante dont les sujets algériens sont victimes dans le Sud de la Tunisie.

En juin, j’étais de retour à Biskra. C’est là que je reçus des instructions et des subsides du gouvernement, ainsi que de nouveaux instruments, pour entreprendre l’exploration du pays des Touâreg. La saison des plus grandes chaleurs était arrivée ; elle rendait pénible la traversée d’El-Ouâd à Ghadâmès, mais l’expérience du marabout târgui Si-’Othmân et des guides Souâfa me fit surmonter cette difficulté, non sans fatigues, car j’étais à peine convalescent de fièvres contractées dans l’Ouâd-Rîgh.

A Ghadâmès, je reconnus bientôt la nécessité de m’appuyer sur l’autorité et le crédit dont jouit dans toute la Tripolitaine le consul général, M. P. E. Botta, et, après une courte station dans l’antique Cydamus, je me rendis sur le littoral, en prenant, à l’aller et au retour, des routes différentes, notamment celle, jusqu’alors inexplorée, qui longe le Djebel-Nefoûsa.

Sur la demande de M. Botta, Son Excellence Mahmoud Pacha, gouverneur de la Tripolitaine, voulut bien me délivrer un bouyourouldi, ou ordre général à tous les fonctionnaires relevant de son autorité de me protéger et de me donner l’hospitalité.

Cet appui inespéré me fut très-utile dans la suite de mon voyage.

Rentré à Ghadâmès, je dus bientôt partir pour Rhât, avec l’émîr Ikhenoûkhen, qui regagnait sa tribu. Ayant rencontré les campements des Orâghen dans l’Ouâdi-Tikhâmmalt, au milieu de bons pâturages, nous y séjournâmes pour refaire les chameaux ; aussi, les premiers jours de 1861 nous trouvèrent-ils à l’entrée du pays habité par les Touâreg. Après bien des retards, dus à différentes causes, mais très-précieux pour mes études, je pus atteindre Rhât, où je ne séjournai que quinze jours, extra muros.

A Rhât, je me trouvais au foyer des ardentes rivalités d’intérêt qui divisent les commerçants de ce grand marché et les Touâreg maîtres des routes qui y aboutissent ; je crus prudent de ne pas m’immiscer à leurs querelles, et je m’empressai de continuer à explorer le Nord du pays des Azdjer.

Diverses raisons m’engagèrent à aller à Mourzouk, siége d’un kâïmakâmlik turc, d’où je pouvais me mettre plus facilement en relation avec le consulat général de France, à Tripoli ; je déterminai Ikhenoûkhen à m’y accompagner. Ce n’était pas chose facile. Le chef târgui n’avait pas mis les pieds dans cette ville depuis l’occupation du Fezzân par les Turcs.

Nous fîmes le voyage de Rhât à Mourzouk très-lentement, ce qui me permit d’aller visiter les lacs si curieux de Mandara, Gabra’oûn et autres.

Une réception très-honorable nous fut faite à Mourzouk par l’autorité politique de cette ville.

Je venais de passer plus de six mois sous la tente ; je pris, dans la capitale du Fezzân, un repos devenu nécessaire ; malheureusement, je n’avais pas le choix d’un lieu plus salubre.

Pour m’accompagner, Ikhenoûkhen avait négligé ses intérêts ; d’ailleurs, dans l’Ouest, Mohammed-ben-’Abd-Allah, aujourd’hui interné à Bône, préparait une nouvelle attaque contre le Sahara algérien ; le chef târgui sentait la nécessité de se rapprocher du centre des intrigues, pour préserver ses sujets de la contagion. Nous nous séparâmes.

Je crois que mon voyage à Mourzouk, en compagnie d’Ikhenoûkhen, servit notre influence et nos intérêts, plus que tout ce que j’avais pu faire jusque-là.

Bientôt, je fis une nouvelle excursion dans l’Est, vers Zouîla, petite ville de chorfâ, marabouts très-fanatiques.

Enfin, je revins à Tripoli par la longue route de Sôkna.

Les difficultés qui se sont présentées à moi sont de deux ordres : les unes tiennent à la nature des lieux parcourus ; les autres, au caractère particulier des hommes avec lesquels je me suis trouvé en contact.

Les premières, inhérentes au climat, au manque d’eau, à la stérilité du sol, aux fatigues et aux privations du voyage, sont de beaucoup les plus faciles à surmonter, avec de la prévoyance et une bonne santé.

Les secondes, de natures essentiellement variables, sont dues à des circonstances que le voyageur doit préalablement connaître et apprécier, pour ne pas les voir se transformer en insurmontables écueils. Ici, ce sont des zâouiya, communautés religieuses, les unes passives, les autres militantes. Là, principalement dans les centres commerciaux, on a à lutter contre des intérêts mal compris, placés entre les mains de gens méfiants et égoïstes, qui trouvent un point d’appui dans l’intolérance religieuse.

Tous ces obstacles, il faut l’espérer, disparaîtront graduellement avec l’élément indispensable du temps et la puissance de la vérité.

Dans cette dernière voie, je crois avoir avancé l’état des choses, en procédant à des levés topographiques qui permettent de donner plus d’exactitude au tracé des routes ; en appuyant sur mes propres travaux de nombreux renseignements oraux, recueillis avec le soin le plus scrupuleux ; en étudiant la nature des lieux, le caractère des hommes ; en affermissant des relations déjà préparées ou en en créant de nouvelles ; enfin, en faisant partout une étude spéciale du commerce et des moyens d’échange.

A mon retour à Alger, après un voyage qui avait duré près de trois ans, j’allais rentrer en France pour me mettre en mesure d’utiliser les bonnes dispositions de Sîdi-Mohammed-el-Bakkây et aller avec lui à Timbouktou.

Mais le gouvernement de l’Algérie m’avait demandé auparavant de m’occuper, à Alger, de l’impression d’un rapport sommaire, avec une Carte à l’appui, sur les résultats de mon voyage.

Déjà la Carte était gravée et mon manuscrit en partie imprimé, lorsque tout à coup je tombai gravement malade, atteint d’une fièvre typhoïde compliquée d’accidents pernicieux.

Dans mon malheur, j’avais heureusement trouvé l’hospitalité chez un second père, M. Warnier, lequel, assisté du concours dévoué de MM. les docteurs Léonard et Dru et de tous les membres de la bonne et excellente famille Bougenier, parvint à m’arracher à la mort.

Que tous, y compris les Sœurs de l’Espérance, qui veillèrent au chevet de mon lit, reçoivent ici le témoignage de ma plus affectueuse reconnaissance.

Après trois mois de maladie et de traitement j’étais sauvé, grâces à Dieu, mais je n’étais que convalescent et j’avais le plus grand besoin d’être en parfaite santé, car un Traité de Commerce allait être conclu avec les Touâreg, un appel était fait à toutes les Chambres de commerce de France, en vue de l’organisation de caravanes d’essai à expédier dans l’intérieur de l’Afrique, et la publication des études faites pendant mon exploration était considérée par le gouvernement comme urgente.

La Providence, qui m’avait fait arriver à Alger pour y trouver les soins que ma santé allait réclamer, permit qu’après ma guérison M. le docteur A. Warnier pût mettre à ma disposition, avec le temps nécessaire pour la rédaction de deux volumes, l’expérience spéciale qu’il avait acquise en Algérie par vingt-huit années de séjour et d’études.

Grâces à ce concours, je pus faire marcher de front la partie littéraire avec la partie graphique de mon œuvre.

Mais mon exploration embrassait une contrée presque inconnue, et toutes les collections que je rapportais ne pouvaient être classées avec précision et certitude que par les maîtres de la science ; de même toutes mes observations, soit astronomiques, soit météorologiques, avaient besoin d’être comparées aux observations correspondantes faites dans d’autres contrées.

A l’honneur des savants de notre pays, je dois le déclarer hautement, tous ceux dont j’invoquai l’expérience répondirent avec une bienveillance extrême à mes demandes.

MM. Des Cloizeaux, de Verneuil, Deshayes, le docteur Marès, pour la géologie ; Berthelot, pour la minéralogie ; Renou, pour la météorologie ; le docteur Cosson, Kralik, pour la botanique ; A. Duméril, pour l’ichthyologie et l’erpétologie ; Léon Rénier, pour l’archéologie ; H. Zotenberg, pour la linguistique ; Vivien de Saint-Martin, pour la géographie ancienne ; Radau, pour les calculs de quelques positions astronomiques, furent assez bons pour m’éclairer ou me guider, chacun dans leur spécialité, et chaque fois que j’eus recours à l’autorité que leur donne leur haute position dans le monde savant.

Pour la réduction de mes itinéraires et le dressement de mes cartes, deux habiles dessinateurs, MM. E. Dubuisson et Picard, ont bien voulu me prêter leur concours, le premier pour la Carte du pays des Touâreg qui accompagne ce volume ; le second pour la Carte commerciale du Sahara et de l’Afrique centrale destinée au volume relatif au commerce.

Enfin, aujourd’hui, je puis répondre à tant de sollicitude, en livrant au public le premier résultat de mes travaux.

Puisse-t-il l’accueillir avec indulgence et bienveillance, en raison des difficultés de l’entreprise !

Peut-être ai-je trop présumé de mes forces en abordant des questions dont la solution eût demandé plus d’expérience. Le désir d’être utile sera mon excuse.

Henri DUVEYRIER.


INTRODUCTION

L’étude complète de toute société humaine est inséparable de celle du milieu habité, car souvent les conditions de l’existence, la raison des mœurs, sont fatalement subordonnées à la loi des nécessités de la nature.

Quand le milieu est une contrée exceptionnelle, comme le plateau central du Sahara, inhospitalière, même pour la plupart des végétaux et des animaux, réputée avec raison inhabitable pour l’homme, il devient indispensable de faire préalablement connaissance intime avec elle, avant de parler des peuplades qui, après de nombreuses migrations, l’ont adoptée pour patrie et s’y trouvent tellement heureuses, dans une indépendance à l’abri de toute convoitise, que, pour rien au monde, elles n’échangeraient leur sort contre celui de tout autre peuple.

Ces quelques lignes suffisent à l’exposé des motifs de la division de cet ouvrage :

Un premier Livre fait connaître le milieu habité : terre et ciel, géographie physique, hydrographie, géologie, météorologie, positions astronomiques ;

Un second donne l’inventaire de la production dans les trois règnes de la nature : minéral, végétal et animal ;

Un troisième Livre, intermédiaire entre les précédents et le suivant, consacré aux centres de rayonnement, autour desquels gravite toute société nomade, ajoute un complément à l’influence du milieu matériel, celui de deux attractions sociales : les centres commerciaux et les centres religieux ;

Enfin un quatrième et dernier Livre, exclusivement consacré aux Touâreg du Nord, traite en autant de Chapitres particuliers de leur origine, de leur division en tribus, de leur constitution sociale, de l’historique des tribus, de leurs caractères distinctifs, de leur vie intérieure et extérieure.

Un Appendice très-succinct, sous forme de simples notes, répond à un des vœux de l’Académie des inscriptions et belles-lettres : rapprocher et comparer les connaissances des anciens avec celles que les explorations modernes ajoutent aux notions, de plus en plus positives, sur la géographie du Nord de l’Afrique.

J’espère que cet ordre logique obtiendra l’approbation du lecteur, car il procède du connu à l’inconnu.

Contrairement à l’usage généralement adopté par les voyageurs, de publier d’abord les résultats de leurs explorations sous forme de Journal de voyage, j’ai préféré l’ordre méthodique des matières, pour ne pas compliquer un sujet, déjà abstrait par lui-même, de questions qui lui sont étrangères, bien qu’elles ajoutent souvent beaucoup d’intérêt au récit.

Si les circonstances le permettent, je publierai ultérieurement ce Journal ; mais, avant, j’ai à donner satisfaction aux besoins du gouvernement.

La question commerciale du Sahara et de l’Afrique centrale n’est pas traitée dans cette première partie. Elle forme la matière d’un second volume, qui paraîtra prochainement.

La transcription, en caractères romains, des lettres ou des sons des langues sémitiques et africaines est un point qui embarrasse toujours les travailleurs consciencieux. Plusieurs systèmes ont été adoptés ; je ne citerai que celui de la Commission scientifique de l’Algérie et ceux des diverses Sociétés asiatiques de l’Europe.

Malheureusement, tous ont le défaut de n’être pas applicables à l’usage général, à cause des caractères spéciaux, pointés ou accentués, que les imprimeries ne possèdent pas. D’un autre côté, les accents employés dans les transcriptions ont le défaut de dérouter le plus grand nombre des lecteurs, qui ne tiennent pas à une accentuation aussi scrupuleuse.

Voici à quoi je me suis borné :

Les voyelles longues ont été distinguées par un accent circonflexe ;

Le ث arabe est rendu par th qui a le son de la même lettre en anglais ;

Le ح et l’ه sont rendus par l’h ;

Le خ par kh ;

Le ط et le ت par t ;

Le ظ, le ض et le ذ par dh ;

Le ص presque toujours par ç ;

Le ع par ’a, ’e, ’i, ’o ;

Le غ tantôt par rh, tantôt par gh, selon que la prononciation se rapproche plus de l’r ou du g, ce qui varie suivant les dialectes ;

Le ڧ par q ;

Le و par le w anglais, quand la prononciation oblige à lui garder sa valeur comme consonne ;

Le ي tantôt par y, tantôt par ï.

Provisoirement, j’ai transcrit les noms de la langue temâhaq comme s’ils étaient écrits en arabe.

Pour les noms de lieux, d’hommes et de choses, dont l’orthographe, en français, est consacrée par un long usage, j’ai respecté, dans le texte, le fait accompli, mais, dans l’Erratum, je restitue à chacun de ces noms sa véritable orthographe.

De même, pour les noms de la nomenclature géographique, soit arabes, soit berbères, je les ai écrits tels qu’ils sont en usage dans les contrées dont je parle. Ainsi, j’ai appelé, en arabe, les rivières tantôt ouâd, tantôt ouâdi, et, en berbère, les montagnes adghagh et adrâr, suivant que les indigènes se servent eux-mêmes de ces différentes expressions.

Les gravures qui accompagnent cet ouvrage ont été dessinées par M. Bertall, soit d’après des photographies[1], soit d’après des croquis pris sur les lieux, souvent à la hâte et sans aucune prétention artistique. Dans la reproduction des types originaux par la gravure, j’ai tenu essentiellement à ce que l’art ne pût pas les modifier, quoique je reconnaisse mon infériorité comme dessinateur.

La Carte que je livre à la publicité comprend une partie positive et une partie hypothétique.

La partie positive est la réduction de mes itinéraires, avec tous les détails que la vue peut embrasser à droite et à gauche des lignes parcourues. Ces lignes sont indiquées. Les routes des autres voyageurs ont été fidèlement tracées.

La partie hypothétique est basée sur de nombreux itinéraires recueillis à diverses sources. Pour me guider au milieu de renseignements qui ne concordaient pas toujours entre eux, j’ai été assez heureux pour obtenir du Cheïkh-’Othmân qu’il me fît, sur le sable, le plan en relief des parties du territoire des Touâreg que je ne pouvais explorer, et quand j’étais bien d’accord avec mon informateur sur l’ensemble et les détails de sa composition, je la dessinais et j’en faisais ensuite la critique avec lui.

Cette manière de procéder m’a permis de contrôler d’une manière plus certaine les divergences de mes itinéraires par renseignements.

Pour la construction des routes que j’ai levées, chemin faisant, j’ai souvent vérifié les distances parcourues. J’y suis arrivé en mesurant la longueur moyenne du pas de chaque monture, et la moyenne du nombre de pas faits en une minute. Une réduction était faite ensuite pour les petits détours de la ligne droite et pour les facilités ou les difficultés de la marche, d’après la nature des terrains, dont il est impossible de tenir compte avec la boussole.

La moyenne des distances, entre une observation et une autre, est de 2,000 mètres ; dans les terrains accidentés, elles ont été multipliées, quelquefois, de 200 en 200 mètres.

Pour les itinéraires par renseignements, les distances générales sont prises par journées de marche de caravane, estimées suivant la nature des lieux, entre 24 et 32 kilomètres et subdivisées, autant que je l’ai pu, en demies et en quarts de journée. Souvent, j’ai été assez heureux pour obtenir de mes informateurs des détails de 4 en 4 kilomètres.

Je ne publie pas ces itinéraires, mais la Carte en donne le tracé fidèle, avec les corrections qu’un contrôle sévère a dû faire subir à chacun d’eux.

Partout où j’ai pu appuyer mes renseignements sur des itinéraires relevés par mes devanciers, je l’ai fait, en donnant toujours religieusement la préférence à leurs indications, sur celles fournies par les renseignements des indigènes, si précis qu’ils aient été.

Ces itinéraires sont également indiqués sur la Carte avec les noms de leurs auteurs.

Tous les travaux graphiques préparatoires de la Carte sont mon œuvre, mais le dessin définitif a été confié à M. E. Dubuisson, dont la réputation, comme cartographe, est faite depuis longtemps. L’ouvrage tout entier a été rédigé sur cette base fondamentale.

La Carte a été gravée après l’impression du texte, afin qu’il y eût harmonie parfaite dans les deux ordres de travaux.

En résumé, en publiant les nombreux matériaux recueillis pendant la durée de mon exploration, j’ai compris que le sujet était neuf pour beaucoup de personnes, et, tout en restant dans les limites d’une exposition scientifique, j’ai fait mes efforts en vue d’être clair et intelligible pour le plus grand nombre.

Puissé-je avoir atteint le but proposé !


[1]Quelques-unes des photographies dont je me suis servi ont été prises dans le Sahara algérien par M. Puig, pharmacien militaire. Quelques autres ont été exécutées à Paris par divers artistes, quand les marabouts Touâreg y sont venus ; enfin, d’autres ont été prises par moi, sur les lieux, malgré la difficulté de modifier l’instrument suivant l’intensité de la lumière. La plupart de mes épreuves sont brûlées, mais lisibles cependant.


RAPPORT
SUR LE
PRIX ANNUEL POUR LA DÉCOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE
EN GÉOGRAPHIE

AU NOM D’UNE COMMISSION DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS
et composée de

MM. D’AVEZAC, J. DUVAL, V. MALTE-BRUN, QUATREFAGES,
et VIVIEN DE SAINT-MARTIN, Rapporteur.

[Décoration]

Messieurs,

Le 8 mai 1859, un jeune voyageur, un Français, débarquait à Philippeville, cette antique station maritime de l’Algérie orientale, qui est redevenue, sous son nom moderne, le port de Constantine.

Ce voyageur était M. Henri Duveyrier.

A l’âge où, parmi ceux que la fortune n’a pas astreints aux rudes nécessités du labeur quotidien, tant d’autres préludent par une oisiveté périlleuse aux devoirs sérieux de la vie, M. Henri Duveyrier avait conçu le projet d’une grande et difficile entreprise. Il voulait pénétrer dans les contrées, peu et mal connues, qui bordent au Midi nos trois provinces algériennes ; il voulait étudier, sous la tente, au milieu de leurs habitudes à demi nomades, les populations indépendantes de ces contrées incultes qui ne sont pas encore le Désert, mais qui déjà en offrent l’image ; il voulait, en poussant, aussi loin que possible, dans toutes les directions, rattacher par une série d’observations physiques et astronomiques ces plaines du Sahara algérien et leurs nombreuses Oasis aux positions extrêmes où s’arrêtait alors l’action politique et militaire de l’autorité française ; il voulait étendre par les conquêtes de la science les conquêtes du drapeau.

Telle était la tâche que le jeune voyageur n’avait pas craint de se proposer.

Il ne s’en dissimulait ni les difficultés, ni les dangers ; mais pour ceux dont une éducation virile a développé de bonne heure les forces morales, les difficultés et les dangers deviennent un stimulant de plus, quand il s’agit d’atteindre un but utile ou d’accomplir un devoir.

M. Duveyrier, d’ailleurs, s’y était fortement préparé. Il possédait les connaissances qui permettent d’étudier utilement le sol et ses productions naturelles ; il s’était rendu familier l’usage des instruments qui déterminent avec précision les phénomènes physiques et les conditions climatologiques, ou qui fixent par l’observation des astres les positions terrestres ; il avait acquis la pratique de la langue arabe ; il s’était rompu, en un mot, à ces études préalables sans lesquelles on a des touristes, mais qui, seules, font l’observateur exact, le véritable voyageur.

Il n’a pas été donné à M. Duveyrier d’accomplir, dans son immense étendue, le plan qu’il s’était tracé. L’état du pays ne lui a pas permis de pénétrer dans les parties du Sahara algérien qui prolongent au Sud notre province d’Oran[2], encore moins d’arriver jusqu’au Sahara marocain, qui jusqu’à présent est resté fermé aux chrétiens. Il n’a guère dépassé, à l’Ouest, le prolongement du méridien d’Alger. Mais s’il a dû laisser en dehors de ses courses (et peut-être faut-il nous en féliciter) une partie de son plan, la moitié occidentale, l’autre moitié, la partie orientale, celle qui embrassait les contrées situées au Sud de nos provinces d’Alger et de Constantine, en poussant plus à l’Est encore, jusqu’au Sahara tunisien et tripolitain ainsi qu’au Fezzân, toute cette partie orientale, dis-je, a été admirablement remplie, avec une intelligence, une intrépidité, une persévérance, et aussi avec un succès qui font de ce voyage une des plus belles et des plus fructueuses explorations du continent africain.

M. Duveyrier avait donc pris pied à Philippeville au mois de mai 1859. Il se dirige immédiatement au Sud, pour atteindre au plus vite le champ projeté de ses opérations. Il traverse Constantine, coupe le plateau, touche aux ruines de Lambèse que nos archéologues ont si heureusement explorées, traverse les gorges du mont Aurès, qui domine de son massif élevé toute l’Algérie orientale, et de là descend à Biskra, qui est, de ce côté, la porte du Désert. C’est là que commence pour notre voyageur le travail topographique. A partir de ce point, toutes les routes parcourues sont relevées à la boussole, les détails en sont fixés comme sur nos reconnaissances militaires, les positions sont fréquemment corrigées par des hauteurs méridiennes, et, toutes les fois que cela est possible, par des observations de longitude. Et ainsi se forme, d’heure en heure, jour par jour, presque sans interruption, pendant vingt-neuf mois, un large réseau de lignes bien étudiées, à travers des pays dont une partie considérable n’avait été vue jusque-là par aucun Européen, et dont la carte nous est maintenant parfaitement connue, au moins dans ses traits essentiels.

Je ne veux ni ne puis suivre ici M. Duveyrier dans ses courses multipliées. Il nous faudrait sillonner, à diverses reprises, une vaste étendue de plaines arides, semées d’Oasis et coupées d’Ouâdi, en nous portant alternativement : de Biskra sur El-Golêa’a par El-Guerâra et Ghardâya, en remontant de là sur Laghouât ; puis, de nouveau, de Biskra sur Ouarglâ par Tougourt ; sur Ghadâmès, par la dépression marécageuse du Melghîgh ; sur Gâbès, en Tunisie, par la longue ligne de Sebkha ou lacs temporaires que l’antiquité a connus sous le nom de lac Triton. Il nous faudrait, en outre, rayonner de tous les points principaux sur les positions intermédiaires ; il nous faudrait enfin suivre, plus à l’Orient, les longues lignes qui relient entre elles les positions de Tripoli et de Ghadâmès, de Ghadâmès et de Rhât, de Rhât et de Mourzouk, de Mourzouk et de Tripoli. C’est sur la Carte qu’il faut étudier ce vaste réseau, dont les points extrêmes laissent entre eux un intervalle de plus de deux cent cinquante lieues, soit qu’on le mesure de l’Ouest à l’Est, soit qu’on se porte du Nord au Sud. Ajoutons que, dans ce réseau, une dizaine de points des plus importants, et, parmi ceux-là, El-Golêa’a, Ghardâya, El-Ouâd et Ghadâmès, sont fixés par des observations directes de latitude et de longitude ; et que, pour une trentaine d’autres points au moins, notamment pour Ouarglâ, Tougourt, Tôzer et Rhât, le voyageur a rapporté de bonnes latitudes. Quelques-unes de ces positions, Ghadâmès, par exemple, et celles qui se rapprochent de nos frontières, ainsi que les points principaux de la grande ligne du Fezzân parcourue par la mémorable expédition de 1849, étaient déjà connus d’une manière exacte ou très-approximative ; mais d’autres, particulièrement dans l’Ouest, éprouvent un déplacement considérable. Et d’ailleurs, des observations répétées, dans une géographie qui, comme celle-ci, est encore en voie de formation, sont toujours extrêmement utiles, ne serait-ce qu’à titre de contrôle et de vérification. En résumé, les tracés de routes de M. Duveyrier constituent une véritable triangulation qui couvre de ses lignes croisées toute la partie orientale du Sahara algérien, triangulation dont la base, dans le sens des parallèles, s’étend de Ghardâya à Ghadâmès, et qui se prolonge au Sud jusqu’aux oasis d’El-Golêa’a et d’Ouarglâ, en se rattachant, vers l’Est, aux positions déjà fixées de Ghadâmès, de Mourzouk et de Tripoli.

Les détails topographiques de cette vaste reconnaissance, je veux dire les itinéraires du voyageur, relevés à la boussole et au chronomètre, et rectifiés fréquemment par des observations astronomiques dont les éléments et le calcul ont été soigneusement vérifiés, ces détails, dis-je, sont contenus dans une longue suite de feuilles tracées jour par jour sur le terrain, dont elles expriment tous les accidents. Le nombre de ces feuilles, y compris les études par renseignements qui s’y rattachent, ne s’élève pas à moins de 74. Ce sont ces minutes, ces feuilles de détail, remises à Paris entre les mains d’un habile dessinateur, qui ont servi à la construction de la Carte définitive où vient se résumer la partie la plus importante des travaux de M. Henri Duveyrier.

Le temps n’a pas permis encore d’achever la gravure de cette grande et belle Carte ; mais le dessin terminé a été communiqué à votre commission, qui a pu en apprécier la construction selon la nature des matériaux sur lesquels elle repose dans ses diverses parties.

M. Duveyrier, se prêtant au désir que nous lui avons exprimé, a mis aujourd’hui ce beau dessin à notre disposition, pour le placer ici même sous les yeux de l’assemblée.

Il faut y distinguer deux ordres de matériaux différents : ceux qui proviennent des reconnaissances directes et personnelles du voyageur, et ceux qui proviennent, soit de reconnaissances européennes antérieures, soit de renseignements reçus des indigènes.

Ces différentes sources de documents n’ont pas, on le conçoit, une valeur égale au point de vue de l’exactitude absolue. L’immense Ouâdi qui s’étend de Tougourt à Rhât sur une longueur de près de trois cents lieues, et que les Touâreg désignent sous le nom d’Igharghar (ou Igharghâren à la forme plurielle, et qui signifie les Rivières), cet Ouâdi qui, à certains moments, offre dans quelques parties l’aspect d’un grand fleuve, avec ses débordements, a été tracé, partie d’après les relevés de M. Boû-Derba en 1858, document précieux, bien qu’il n’ait pas la précision rigoureuse des levés de M. Duveyrier, partie d’après une reconnaissance personnelle de ce dernier voyageur, dans une exploration spéciale de la vallée basse, entre El-Ouâd et Ouarglâ. A l’Ouest et au Sud de l’Igharghar, à l’exception des lignes parcourues par M. Boû-Derba, M. Colonieu[3] et M. Henri Duveyrier, tout repose sur les informations indigènes. Je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance de cette distinction.

Cette réserve faite, embrassons d’un coup d’œil l’ensemble de la Carte de M. Henri Duveyrier.

Ce qui nous frappe tout d’abord, c’est l’aspect du pays.

Voici une vaste région, une région presque égale en étendue à la France ou à l’Espagne, et qui était, il y a cinq ans à peine, absolument en blanc sur nos cartes ; aujourd’hui, non-seulement elle nous apparaît couverte d’une multitude de noms et de détails, mais ces détails renversent toutes les idées que l’on se formait naguère de ce qu’on nomme, d’un terme générique, le Sahara. Il n’y a pas longtemps, nous étions encore, sur l’intérieur du Nord de l’Afrique, à la notion des anciens poétiquement exprimée par un de leurs géographes : une plaine toujours unie, partout sablonneuse, « dont les vents du Midi fouillent et tourmentent les flots arides pareils aux vagues de la mer[4]. » Nos idées se sont déjà bien modifiées. Le Sahara est toujours un immense désert, sans doute, et il reste comme le type et le point de départ, à la fois, de la longue zone de pays incultes qui court à travers l’ancien continent, depuis l’Atlantique jusqu’au fond de la Tartarie ; mais ce n’est plus le désert monotone et nu que notre imagination se représentait avec terreur. Déjà, l’expédition anglo-allemande de 1849, par la découverte de la vaste oasis d’Aïr que le docteur Barth décrit comme une véritable Suisse, entre le Fezzân et la Nigritie, aussi bien que les explorations de plusieurs de nos officiers dans le pays des Maures, entre le bas Sénégal et le Maroc, nous avaient pu donner une première impression de la diversité qui se rencontre au sein de ces solitudes africaines ; cette notion est singulièrement agrandie par les informations de M. Duveyrier, et enfin par la Carte qui les résume. Là où nous n’imaginions que des sables éternellement arides, nous avons sous les yeux d’innombrables Ouâdi ou cours d’eau temporaires, et parmi ces Ouâdi, nous l’avons déjà vu, le lit tantôt à sec, tantôt rempli, d’un fleuve de trois cents lieues ; bien plus, nous voyons là des lacs nombreux, des sources et de véritables rivières, des rivières permanentes avec de vraies cascades, au rapport des indigènes, et, à l’origine de ces rivières, des massifs élevés, des groupes de hautes montagnes surmontées de pics sourcilleux, et, sur plusieurs de ces pics, des neiges qui se maintiennent durant plusieurs mois de l’année, tout comme dans les gorges de l’Aurès. Des lacs, des neiges et des rivières dans le Sahara ! il était impossible de nous apporter un tableau plus inattendu. Là où se présente cette nature alpestre, la vie est répandue à profusion. La flore et la faune ont fourni au voyageur les éléments d’une longue nomenclature, et encore n’en a-t-il pas vu les centres les plus actifs. L’observation personnelle de M. Duveyrier a confirmé ce que d’autres témoignages avaient déjà fait connaître. « J’ai vu, nous dit-il, au moment où des pluies abondantes venaient d’arroser la terre, se produire sous mes yeux le miracle de vastes espaces, nus la veille, transformés instantanément en pacages de la plus belle verdure. Sept jours suffisent pour que l’herbe nouvelle puisse nourrir les troupeaux. »

Le noyau principal, le centre où vient aboutir cette configuration si remarquable du Sahara intérieur, et qui la détermine en quelque sorte, est un massif situé à environ quinze journées vers l’Ouest de Rhât. Les informations de M. Duveyrier le représentent comme un plateau échelonné, coupé de nombreuses vallées, hérissé de sommets élevés, et d’où rayonnent, en diverses directions, de vastes Ouâdi dont le lit large et profond se remplit à certaines époques de l’année d’un volume d’eau considérable. Le principal de ces Ouâdi, ou du moins le mieux connu, est celui qui se porte droit au Nord sur Tougourt : c’est l’Igharghar que nous avons déjà nommé et dont une branche considérable vient de Rhât. Les informateurs de M. Duveyrier (car il n’a pu pénétrer jusque-là) lui désignèrent cette région montagneuse sous le nom d’Ahaggâr. Elle avait été déjà signalée par le docteur Barth, mais d’une manière moins circonstanciée, d’après ce qu’il en avait appris à Rhât et à Timbouktou. Le nom, chez M. Barth, est écrit Hogâr ou Hâgara ; mais ces formes, dit-il, sont des formes arabes, et le véritable nom indigène, c’est-à-dire le nom berbère, sera Atakôr[5]. C’est le siége d’une des quatre grandes divisions entre lesquelles se partage la nation des Touâreg. M. Barth ajoute : « Mon intelligent ami, le Cheïkh-Sîdi-Ahmed-el-Bakkây de Timbouktou, qui avait vécu quelque temps chez les Hogâr, ainsi que chez les tribus du pays d’Aïr, m’assura de la manière la plus positive que ce groupe de montagnes, et en particulier une longue chaîne qui en fait partie, est beaucoup plus élevé que les montagnes d’Aïr, et que les rochers, dont la couleur est rougeâtre, en sont très-escarpés. On voit, dans l’intérieur de ces montagnes, de très-belles vallées et des gorges pittoresques, et quelques-unes de ces vallées, où il y a de belles eaux courantes qui ne tarissent jamais, produisent des figues et du raisin[6]. »

Ces informations, on le voit, viennent complétement à l’appui de celles qu’a recueillies M. Duveyrier ; seulement ces dernières sont infiniment plus détaillées. Elles mettent hors de doute qu’au centre même du Grand Désert, sous le méridien de Sétif et vers le 25e degré de latitude, c’est-à-dire à mi-distance environ entre l’Algérie orientale et le grand fleuve de Timbouktou, il existe une région montagneuse très-abrupte, très-variée, très-pittoresque et d’une étendue considérable ; que dans cette région, habitée par une forte et belliqueuse fraction de Touâreg, il y a des montagnes assez hautes pour y conserver de la neige durant trois mois de l’année ; qu’on voit là, comme dans l’oasis d’Aïr décrite par le docteur Barth, de belles et fraîches vallées avec des sources vives et des eaux courantes ; et qu’enfin des Ouâdi larges et profonds, qui seraient de grandes rivières, si les pluies, dont le Désert est privé, leur apportaient des eaux permanentes, divergent de ce noyau montagneux en se portant vers tous les points de l’horizon, au Nord (c’est l’Igharghar), à l’Ouest et au Sud. Tel est, dans son expression générale, le résumé des informations recueillies par M. Duveyrier, et qui sont parfaitement d’accord avec celles du docteur Barth.

Si M. Duveyrier avait pu s’avancer jusque-là ; s’il avait pu examiner de près et de ses propres yeux cette curieuse région, en étudier la structure géologique et la conformation extérieure, se rendre précisément compte, par des observations directes, des conditions climatologiques particulières au pays, du régime de ses eaux permanentes et de la direction de ses vallées sèches ; si M. Duveyrier, disons-nous, avait pu faire cela, il aurait ajouté une conquête bien précieuse à toutes celles qu’il a rapportées de son beau voyage. Ce n’est pas faute d’y avoir aspiré assurément, et d’y avoir fait tous ses efforts ; c’est une tâche dont lui-même ne se tient pas quitte envers la science, car son plus vif désir est de retourner promptement sur le théâtre de ses premiers travaux, et d’y poursuivre ses explorations si bien commencées. En attendant, il a étudié et combiné avec une profonde attention la masse considérable de renseignements qu’il a pu recueillir de la bouche des Arabes et des Touâreg, et en les rapprochant du précieux itinéraire de M. Boû-Derba, il en a tiré toute la partie inférieure de sa Carte à l’Ouest de Rhât. C’est une acquisition déjà fort importante, quoique provisoire, pour cette région intérieure du Sahara. Si votre commission, messieurs, avait à faire une observation sur cette partie de la Carte qui repose, non sur les reconnaissances personnelles de M. Henri Duveyrier, mais sur la combinaison de renseignements, cette observation porterait seulement sur l’aspect net et précis que le dessin leur donne. Peut-être y pourrait-on désirer, dans l’intérêt de la vérité rigoureuse, un aspect et des contours moins arrêtés. Ce qui appartient en propre au voyageur se distinguerait mieux de ce qui n’a qu’une valeur de combinaison. Quand on sait à quel point les renseignements indigènes les plus dignes de confiance se sont, pour la plupart, profondément modifiés lorsqu’ils ont subi le contrôle direct de l’observation européenne, on éprouve le besoin d’apporter une grande réserve dans l’emploi de cette nature de documents. Notre remarque, au surplus, ne porte en aucune façon sur la valeur spéciale des informations réunies par M. Duveyrier, ni sur l’application générale qu’il en a faite : c’est une question de mesure dans l’expression du dessin, rien de plus.

En définitive, il y a un grand fait qui ressort de la vue de cette Carte, au total si remarquable, aussi bien que de l’ensemble des informations déjà nombreuses que les observateurs européens nous ont apportées dans ces derniers temps sur les diverses régions du Grand Désert : c’est la diversité d’accidents et de configuration que présente sa surface dans toutes les parties jusqu’à présent visitées. Une carte qui représenterait, dès à présent, ce qu’on en connaît au Centre, au Nord et à l’Ouest, une carte surtout, telle que la marche aujourd’hui si active des explorations permettra de la construire d’ici à moins de dix ans peut-être, présenterait, au lieu de cette immense étendue de plaines uniformes qui occupe la moitié du Nord de l’Afrique sur nos cartes actuelles, presque autant de particularités de configuration, sauf l’absence des villes et de rivières permanentes, qu’une région quelconque de l’Asie et de l’Europe. La nature ne fait rien d’inutile, rien qui n’ait sa cause. Ces Ouâdi sans nombre, ces rivières sans eau qui sillonnent le Désert comme les rivières et les ruisseaux sillonnent nos campagnes, indiquent évidemment, dans le passé sinon dans le présent, un état de choses que la pensée a peine à concilier avec la privation presque absolue d’eaux courantes qui caractérise le Désert. C’est là un sujet d’études déjà plus d’une fois touché sans doute, mais qui appellera de plus en plus l’attention des voyageurs instruits et des géologues.

De tous ces grands Ouâdi intérieurs, le plus étendu et maintenant le plus accessible, l’Igharghar, devra être, dans son immense développement, l’objet d’une investigation et d’une étude toutes spéciales. Il y aura là, sans aucun doute, des questions du plus haut intérêt à examiner et à résoudre. Cet objet seul justifierait et récompenserait pleinement une expédition spéciale.

Au point de vue physique, cette immense vallée de l’Igharghar, presque partout à sec ou qui n’a que des eaux temporaires, mais qui présente, selon l’expression de M. Duveyrier, l’aspect du lit d’un grand fleuve, offre un curieux phénomène. Partant de la région élevée de Rhât et de l’Ahaggâr, et recevant de droite et de gauche, à mesure qu’elle avance dans le Nord, un grand nombre d’Ouâdi secondaires pareils aux affluents de nos fleuves, elle vient enfin se perdre, au Nord de Tougourt, dans une large dépression marécageuse qu’on appelle le Chott-Melghîgh, où vient aussi aboutir un grand courant, une véritable rivière, le Djedî, qui a ses sources à l’Ouest, dans le Djebel-’Amoûr, et longe, depuis Laghouât, le pied des montagnes. Les premiers observateurs qui de l’Algérie descendirent au Melghîgh, il y a une dizaine d’années, reconnurent avec étonnement, aux indications concordantes de leur baromètre, que le sol où reposent ces vastes lagunes s’enfonce au-dessous du niveau de la mer. M. Paul Marès a trouvé une altitude de − 13 mètres pour le fond du Chott dans sa partie Nord-Ouest. Ces observations seront-elles confirmées par celles de M. Duveyrier[7] ? Si l’Igharghar fut autrefois un véritable fleuve, il n’a donc pu, comme le pense M. Duveyrier, aller déboucher dans le fond de la petite Syrte par le fleuve Triton, à moins d’un changement complet dans la configuration et le niveau du pays, changement qui, dans tous les cas, serait antérieur aux temps historiques.

Cette condition physique, particulière à la région orientale du Sahara algérien, de deux longues vallées parties des deux points opposés, l’une de l’Ouest, celle du Djedî, l’autre du Sud, celle de l’Igharghar, et venant l’une et l’autre aboutir à la même dépression du sol, le Melghîgh, cette particularité physique, dis-je, nous fournit l’explication d’un ancien texte géographique dont la rédaction avait dû jusqu’à présent paraître assez bizarre. Je veux parler de la description du cours du Gir dans Ptolémée. Le Gir, ou, comme le nomment les auteurs latins, le Niger, a été longtemps une pierre d’achoppement pour les critiques. Trompés par les énormes aberrations des latitudes du géographe alexandrin, on voulait retrouver très-loin dans le Sud une rivière qui appartient à la région de l’Atlas ; on allait la chercher jusque dans le Soûdân, où les anciens n’ont jamais pénétré. C’est de là qu’est venue l’application que l’on fait encore tous les jours du nom de Niger au Dhioliba ou Kouâra, c’est-à-dire au grand fleuve de Timbouktou, application qui se perpétue même après que l’erreur est reconnue ; car, en géographie, comme en bien d’autres choses, rien n’est plus difficile à déraciner qu’un abus. Habituellement, il y a dans une rivière deux choses assez distinctes, une source et une embouchure ; dans Ptolémée, le Gir n’a pas de débouché, et il a deux sources opposées, deux sources placées aux deux extrémités du fleuve, l’un au Nord-Ouest dans l’Atlas, l’autre au Sud-Est dans une vallée nommée la Gorge garamantique, c’est-à-dire au voisinage du Fezzân qui est le pays des Garamantes. Rapproché des notions actuelles, des notions fournies par M. Boû-Derba et complétées par M. Duveyrier, tout cet agencement devient parfaitement clair, et, qui plus est, parfaitement exact ; ce qui nous montre une fois de plus qu’en bien des cas le progrès de nos propres découvertes confirme, en les appliquant, celle des anciens. L’identité du Niger avec les deux vallées confluentes du Djedî et de l’Igharghar, identité que votre rapporteur a le premier nettement affirmée, même avant le voyage de M. Duveyrier, est désormais un fait hors de discussion.

Ce n’est pas seulement dans sa Carte que M. Duveyrier a condensé les résultats physiques et mathématiques de ses vingt-neuf mois d’explorations, il les a développés dans un volume d’une étendue considérable auquel s’ajoutera plus tard un complément qui sera consacré à la partie commerciale du voyage. Ce premier volume se compose tout entier de faits et d’observations. L’hydrographie, la géologie, la climatologie, les déterminations astronomiques, l’hypsométrie, l’histoire naturelle et l’ethnographie, y sont l’objet d’une suite de chapitres d’un grand intérêt scientifique, sans préjudice de l’archéologie monumentale et épigraphique, sans oublier non plus les informations utiles au commerce. Une notice très-détaillée sur les Touâreg ajoute bien des particularités importantes, bien des faits nouveaux, à ceux que d’autres investigateurs, M. Carette, M. Daumas, M. Devaux, le docteur Barth, M. Hanoteau, nous avaient déjà donnés sur ce peuple remarquable, qui garde au cœur du Sahara, où l’invasion arabe du XIe siècle l’a repoussé, la pureté du sang berbère et l’idiome inaltéré de sa race.

Dans cet aperçu encore bien restreint, malgré son étendue, du caractère de cette exploration et de l’importance extrême de ses résultats, j’ai eu surtout pour objet, messieurs, comme organe de votre commission, d’exposer les raisons qui, d’une voix unanime, nous ont fait décerner à M. Henri Duveyrier la grande médaille d’or que la Société a jusqu’à présent consacrée chaque année à la découverte la plus importante en géographie. Nous n’avons pas oublié non plus, messieurs, que les longues investigations de M. Duveyrier, en même temps qu’elles ont puissamment servi la science, ont eu aussi des résultats fort importants pour l’extension de nos rapports avec les tribus intérieures. Servir à la fois l’honneur scientifique et les intérêts de son pays est un double titre que réunit M. Duveyrier.

Je n’aurai pas à m’étendre beaucoup, messieurs, sur les voyages qui auraient pu, en dehors de celui de M. Duveyrier, balancer les suffrages de votre commission. Il est une classe de travaux et d’explorations d’une nature tellement spéciale, tellement circonscrite dans leur nationalité et dans les intérêts qu’ils représentent, les explorations australiennes, par exemple, et celles des Russes dans l’Asie centrale, qu’elles restent nécessairement en dehors de nos concours. Parmi les explorations d’un caractère plus général qui auraient pu entrer cette année en balance avec celles de notre jeune compatriote, il n’en est qu’une, une seule, sur laquelle a dû se porter l’attention de votre commission : c’est le voyage si important du capitaine Speke et de son compagnon le capitaine Grant à travers la région des sources du Nil. Les capitaines Speke et Grant ont été les intrépides pionniers de cette difficile exploration de l’Afrique équatoriale, qui attend maintenant des investigations plus approfondies. Ils ont, pour la première fois, traversé la zone inexplorée où se trouvent les sources encore inconnues du fleuve d’Égypte ; leur voyage restera toujours comme une des entreprises mémorables de notre époque, comme un des faits importants de l’histoire des découvertes. Mais, d’une part, les droits de M. Henri Duveyrier avaient été réservés l’année dernière ; d’autre part, c’est un devoir pour votre Société d’attendre, avant de prononcer ses jugements, qu’une lumière complète se soit faite sur les questions. Il est d’ailleurs permis d’espérer que les deux voyageurs anglais ne s’arrêteront pas en si brillant chemin, et qu’ils auront quelque jour de nouveaux titres à ajouter à celui que nous avons cru devoir ajourner pour cette fois.

Déterminée par ces considérations, messieurs, votre commission décerne sa grande médaille d’or de 1864 à M. Henri Duveyrier, pour ses explorations du Sahara algérien, tunisien et tripolitain, ainsi que du pays des Touâreg. Nous honorons ainsi tout à la fois et l’importance des résultats obtenus, et la rare énergie en même temps que les hautes qualités scientifiques dont le voyageur a fait preuve, à un âge où il est si rare de trouver de tels mérites développés à ce point. En décernant ce prix si bien acquis, votre commission, messieurs, a obéi à une double pensée : c’est une récompense pour le passé ; c’est une espérance pour l’avenir.

[Décoration]

[2]El-Golêa’a, Methlîli, le pays des Cha’anba explorés d’abord par M. Duveyrier, relèvent, il est vrai, de la province d’Oran.

[3]M. le commandant Colonieu a bien voulu communiquer à M. Duveyrier la carte itinéraire inédite de son voyage de Géryville aux oasis septentrionales du Touât ; les renseignements fournis par les indigènes sur les contrées à l’Ouest de l’Igharghar, s’appuyent donc sur trois reconnaissances levées avec soin : par M. Boû-Derba, entre Ouarglâ et El-Beyyodh ; par M. Colonieu, entre Géryville et le Bâten du Tâdemâyt ; par M. Duveyrier, entre Methlîli et El-Golêa’a.

[4]« Auster immodicus exsurgit, arenasque quasi maria agens, siccis sævit fluctibus. » (Mela, I, 8).

[5]Atakôr signifie faîte. Atakôr-n-Ahaggâr, faîte du Ahaggâr.

[6]Dr Barth, Travels in Central Africa, I, 567.

[7]Les observations barométriques publiées par M. Duveyrier pour déterminer les altitudes des points de son exploration du pays des Touâreg du Nord, commencent à El-Ouâd. Celles faites dans l’Ouâd-Righ, sur les bords du Chott-Melghîgh, et dans le Nefzâoua, c’est-à-dire entre le point où l’Igharghar se perd dans les lagunes et le golfe de Gâbès, seront publiées ultérieurement dès que le voyageur pourra les calculer au moyen des observations correspondantes faites sur le littoral, à Alger, par M. O. Mac-Carthy.


TECHNOLOGIE INDIGÈNE
ARABE OU BERBÈRE

DONT IL EST FAIT USAGE
DANS CET OUVRAGE ET SUR LA CARTE QUI L’ACCOMPAGNE

[Décoration]

SOL.

  • Outa, Ouotia ; plaine.
  • Reg ; plaine aride et déserte.
  • Hofra ; dépression.
  • Hamâda, pl. Hamâd ; plateau, plaine unie.
  • Tasîli[8] ; plateau.
  • Bâten (litt. ventre) ; montagne ou colline allongée.
  • Koudîya ; mamelon isolé (montagne, dans l’Ouest).
  • Toûmia, pl. Toûmiât (litt. jumeaux) ; mamelons doubles.
  • Dra’ (litt. bras) ; coteau, colline allongée.
  • Râs (litt. tête) ; cap.
  • Khechem (litt. nez) ; pointe de rochers, cap dans le Désert.
  • Châreb (litt. lèvre) ; crête.
  • Kâf ; rocher.
  • Djebel ; montagne.
  • Djebîl ; petite montagne.
  • Adrâr, Adghâgh ; montagne.
  • Tadrârt ; petite montagne.
  • Gâra, gâret, pl. Goûr ; élévation isolée, témoin géologique du sol primitif.
  • Fedjdj ; col.
  • Thenîya ; col.
  • Téhé ; col.
  • Khenga, Kheneg ; défilé, passage étroit.
  • Khoneïg ; petit défilé.
  • Aghelâd ; défilé, passage étroit.
  • ’Aqba ; montée.
  • Menzel ; descente.

SABLES.

  • Remel, Ramla ; sable, plaine de sable.
  • Ghoûrd, pl. Aghrâd ; haute dune ou montagne de sable.
  • Zemla, pl. Zemoûl ; dune allongée.
  • Sîf (litt. sabre) ; dune allongée à pente roide.
  • Guelb, pl. Goloûb ; dune en forme de cœur.
  • Guelîb ; petite dune en forme de cœur.
  • ’Erg, ’Areg ; collection de dunes, région des dunes.
  • ’Arîg ; petite collection de dunes.
  • Adehî, pl. Édeyen ; sables, collection de dunes.
  • Iguîdi[9], Idjîdi ; collection de dunes.
  • Kheït (litt. cordon) ; cordon de dunes.
  • Dourîya ; passage tournant autour d’une dune.
  • Sahan ; dépression plate.
  • Haoudh ; bassin entre des dunes.
  • Hafîr ; dépression.

EAUX.

  • Bîr, pl. Abiâr (mot oriental) ; puits, puits profond.
  • Bouîr, pl. Bouîrât ; puits petit.
  • Mouï, Mouïa (litt. eau) ; puits.
  • Hâssi (mot occidental) ; puits, puits profond.
  • Hessî ; puisard.
  • ’Ogla (dans l’Ouest) ; puits. (Dans l’Est) ; puits avec un camp permanent, et silos à provisions.
  • Guettâr, Guettâra ; puits alimenté par des suintements.
  • Sânia ; puits à bascule souvent entouré d’un jardin ; jardin.
  • Souinîya ; petit puits à bascule.
  • Themed ; puisard, puits qui se dessèche.
  • Anou ; puits.
  • Tânoût, Tânit ; puits, petite source.
  • Mâssîn ; puits qui donne peu d’eau.
  • Fogâra ; puits à galeries d’écoulement horizontales.
  • Sâguia ; canal d’écoulement des eaux.
  • ’Aïn (litt. œil), pl. ’Aioûn ; source.
  • ’Aouîna, pl. ’Aouînât ; petite source.
  • Tâla ; source.
  • Tit, pl. Tittaouîn (litt. œil) ; source.
  • Temâssint ; petite source.
  • Rhedîr ; flaque d’eau persistante.
  • Abankôr ; flaque d’eau persistante.
  • Bahar (litt. mer) ; lac permanent.
  • Adjelmam ; lac.
  • Chott (litt. rive, rivage) ; lac salin desséché.
  • Sebkha ; lac salin desséché, quelquefois submergé en hiver.
  • Dhâya ; grande mare d’eau douce desséchée.
  • Guera’a ; grande mare d’eau douce desséchée.
  • Guerâra, pl. Guerâir ; bas-fond dans lequel se perd un Ouâd.
  • Guereyyir ; petit bas-fond dans lequel se perd un Ouâd.
  • Ouâdi, Ouâd, pl. Ouidiân ; rivière, lit de rivière.
  • Aghahar ; rivière, lit de rivière (mot ancien).
  • Aghezer ; rivière, lit de rivière (mot moderne.)
  • Cha’aba, pl. Cha’ab ; ravin.
  • Tâlat ; ravin.
  • Menkeba ; point où cesse un ravin.
  • Defa’a ; point où se perd un ravin.

HABITANTS.

  • Ouled, pl. Oulâd ; fils.
  • Ou, pl. Aït, At ; fils.
  • Ould-Sîdi, Oulâd-Sîdi ; fils de monseigneur.
  • Ou-Sîdi ; fils de monseigneur.
  • Hâdj, Hadjdji, pl. Hadjâdj ; pélerin, celui qui a fait le pèlerinage de la Mekke.
  • Ben, pl. Benî ; fils, descendants de.
  • Ahel ; gens.
  • Kêl ; gens.
  • Tédjéhé ; confédération.
  • Merâbot, pl. Merâbotîn ; marabout, marabouts.
  • Cheïkh, pl. Chioûkh ; vénérable, chef.

HABITATIONS.

  • Dâr, pl. Diâr ; maison.
  • Haouch ; ferme, maison.
  • Zerîba, pl. Zerâïb ; cabane en branchages.
  • Kheïma ; tente.
  • Ehen ; tente.
  • Hoûma ; quartier, village. (Mot de l’île de Djerba.)
  • Bordj ; fort, château.
  • Qaçar, pl. Qeçoûr ; village fortifié.
  • Qaçba ; citadelle.
  • Zâouiya ; couvent musulman, école, ville religieuse.
  • Belâd ; ville, village, pays.
  • Kherba, pl. Khoroûb ; ruine.
  • Kantara ; pont.

DIVERS.

  • Ghâba ; verger de dattiers, forêt, oasis.
  • Ghoût ; petite oasis.
  • Soûk ; marché.
  • Mersa, Mers ; port.
  • Mi’aâd ; lieu de réunion.
  • Hammâm ; bains d’eaux thermales.
  • Cherg ; Est.
  • Chergui, Cherguîya ; oriental.
  • Gharb, Ouest.
  • Gharbi, Gharbîya ; occidental.
  • Guebla ; Sud.
  • Guebli, Gueblîya ; méridional.
  • Dahra ; Nord.
  • Dahrâni, Dahrânîya ; septentrional.
  • Lefa’âya ; séjour des vipères cérastes.
  • Boû (litt. père) ; possesseur de.
  • Oumm, pl. Oummât (litt. mère) ; possesseur de.
  • Gober, pl. Gueboûr ; tombeau, cimetière.
  • Moqsem ; partage d’eaux.
  • Dan : fils de, issu de.
  • In, En, Wân, Ouân, Ouen ; celui de, c’est-à-dire, endroit de.
  • Tîn, Tân ; celle de, localité de.
  • El, Ed, Edh, Et, Eth, Es, En, Ez, représentent l’article : le, la, les, du, au, des, aux.
  • D, Ed ; et.

PRINCIPAUX ADJECTIFS QUALIFICATIFS

  • Djedîd, Djedîda ; nouveau, nouvelle.
  • Qedîm, Qedîma ; ancien, ancienne.
  • Ahmar, Hamrâ ; rouge.
  • Abiodh, Beïdha ; blanc, blanche.
  • Mellen, Mellet ; blanc, blanche.
  • Kahal, Kâhela ; noir, noire.
  • Asoued, Soûda, Sôda ; noir, noire.
  • Azreg, Zerga ; bleu, bleue.
  • Kebîr, Kebîra ; grand, grande.
  • Seghîr, Seghîra ; petit, petite.
  • Touîl, Touîla ; long, longue, profonde.
  • Asfer ; jaune.

[8]Les noms écrits en lettres italiques appartiennent à la nomenclature berbère.

[9]Mot des Berâber du Maroc.


ERRATA.


CORRECTIONS GÉNÉRALES.

Au lieu de : ’Abd-el-Kader, Adrar, Afahlehlé, Azel, Cheikh, Chorfa, Fez, Golea’, In-Ezzan, In-Sâlah, Ismayl, Kadhi, Kasba, Mehyaf, Sahara, Sanhâdja, Soudan, Targui, Tittaouin, Tlemsen.

Lire : ’Abd-el-Qâder, Adrâr, Afahlêhlé, Azhel, Cheïkh, Chorfâ, Fâs, Golêa’a, In-Ezzân, In-Çâlah, Isma’yl, Qâdhi, Qaçba, Mehyâf, Çahara, Çanhâdja, Soûdân, Târgui, Tittaouîn, Tlemsân.

CORRECTIONS PARTICULIÈRES.

Pages. Au lieu de : Lire :
III Milon, Millon.
6 Caillé, Caillié.
6 à 87 Marrès, Marès.
40 il y a retrouvé les infusoires, il y a retrouvé quelques infusoires.
43 pyrogénique, pyrogène.
58 redhîr, rhedîr.
75 Massif de Hâroûdj, Massif du Hâroûdj.
76 Freudenbourgh, Frendenburgh.
80 Gharbia, Gharbîya.
111 2 décembre, 20 décembre.
112 il y en a 325, il y en a 335.
149 Kerchoud, Kerchoûd.
161 Crotularia Saharæ, Crotalaria Saharæ.
166 au Sud de Maroc, au Sud du Maroc.
183 1 mètre, 1/2 mètre.
190 Var, var.
191 Ærva, Aerva.
191 Abesgui, Abezgui.
192 Ouâdi-Sa’adan, Ouâdi-Sa’adâna.
194 Tîn-Fedjacuîn, Tîn-Fedjaouîn.
203 Comme le dîs du Tell, Comme le gueçob du Tell.
225 begueur, beguer.
225 ihinkad, ihinkâd.
226 meçîci, meçîçi.
227 arhâtâ, arhâta.
255 Abou l’’Abbâs, Aboû’l ’Abbâs.
262 (voir la planche ci-contre), (voir la pl. XI, fig. 1, page 252).
277 voi, voit.
290 ouasis, oasis.
339 du ménage, elle, du ménage, si elle.
388 (Pl. XXI), iod, tegherit, iar, iod, tegherît, iar.
390 (Pl. XXII), no   , no 30.
403 temankart, temankaït.
404 taftak, taftaq.
405 takkaouit, takhaouit.
405 îméki, îmekî.
408 tâserhmâlt, tâserhâlt.
427 tekhôrmit, tekôrmit.
440 amadjedol, amadjedâl.
448 amârhelaî, amârhelâi.
458 passait par Telizzarhên, Anaï, passait par Anaï.
458 et conduit par, et conduits par.
463 Aiele, Alele.
496 Taibu des Ibôguelân, Tribu des Ibôguelân.


ADDITIONS.


Page 45 Planorbis Duveyrieri. Voir au supplément : Mollusques fossiles, page 25.
69 Douêssa est un point à l’Ouest de la route de M. le docteur Barth, entre El-Hesî et l’Ouâdi-ech-Chiâti, au Sud de la Hamâda-el-Homrâ, dans la Tripolitaine.
150 Diplotaxis Duveyrierana. Voir sa description au supplément : Plantes nouvelles, page 31.
161 Crotalaria Saharæ. Voir sa description au supplément : Plantes nouvelles, page 33.
182 Hyoscyamus Falezlez. Voir sa description au supplément : Plantes nouvelles, page 35.
229 Mollusques vivants déterminés après l’impression des Touâreg du Nord. Voir leur description au supplément, page 1 et suivantes.
458 La route garamantique qui passait par Telizzarhên était une autre voie que celle passant par Anaï.


TOUAREG DU NORD


LIVRE PREMIER.

DIVISIONS NATURELLES ET POLITIQUES.
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. — SOL ET CLIMAT.


CHAPITRE PREMIER.

DIVISIONS ET LIMITES GÉNÉRALES DES CONFÉDÉRATIONS TOUÂREG.

Cette étude est restreinte aux Touâreg du Nord ; mais, pour la circonscrire dans les limites que je lui assigne, quelques lignes sur l’ensemble de la nationalité târguie[10], sur ses divisions territoriales et politiques, semblent un préliminaire indispensable.

Sous le nom général de Touâreg, nom d’origine arabe et adopté par les Européens, quoiqu’il soit repoussé par ceux auxquels il s’applique, on comprend quatre grandes divisions politiques correspondant à quatre grandes divisions territoriales, savoir :

La confédération des Azdjer ou Kêl-Azdjer[11], au Nord-Est, avec le plateau du Tasîli du Nord et dépendances, pour patrie ;

La confédération des Ahaggâr ou Kêl-Ahaggâr, au Nord-Ouest, dans le mont Ahaggâr ou Hoggâr des Arabes ;

La confédération d’Aïr ou Kêl-Aïr, plus généralement connue sous le nom de Kêl-Ouï, au Sud-Est, dans le massif d’Aïr, également appelé Azben ;

La confédération des Aouélimmiden, au Sud-Ouest, dont le territoire comprend une portion montagneuse, l’Adghagh[12], et une portion plane, l’Ahâouagh.

Les Azdjer et les Ahaggâr constituent les Touâreg du Nord, comme les Aïr et Aouélimmiden ceux du Sud.

Ces derniers ayant été visités et étudiés avec beaucoup de soin par mon savant ami et protecteur, M. le Dr Barth[13], je n’ai pas à m’en occuper, estimant assez belle la part qui m’est dévolue, si je parviens à combler la lacune de l’exploration de mon illustre devancier.

Quoi qu’il en soit, je constate d’abord un caractère commun aux quatre confédérations des Touâreg ; c’est que chacune d’elles a adopté comme centre de sa vie politique un système isolé de montagnes, refuge de son indépendance et foyer de ses libertés.

Deux de ces massifs isolés, ceux occupés par les Touâreg du Nord, embrassent les points culminants du plateau central du Sahara et les points de partage des eaux entre le bassin de la Méditerranée et le bassin de l’Océan Atlantique ; les deux autres, à un gradin inférieur du plateau, appartiennent au bassin du Niger.

Entre les quatre massifs, s’étendent de vastes plaines, véritables déserts arides, tantôt sablonneuses, tantôt rocheuses, tantôt à sol crayeux, parfois affectant la formation alluvionnaire des bassins salins des Sebkha, le plus souvent se présentant sous la forme d’un sol caillouteux, très-dur, d’où le nom arabe de Sahara qui signifie terre dure.

S’il est permis d’assigner à chaque confédération, comme étant son patrimoine propre, le massif de montagnes qu’elle occupe, il devient impossible d’indiquer, dans les plaines, là où commence, là où finit le territoire de chacune d’elles et de préciser les limites qui les séparent de leurs voisins non Touâreg.

Le droit de premier occupant, le seul à invoquer dans ces immenses terres de parcours, n’a de valeur sérieuse que s’il est appuyé sur une force capable de le faire respecter. Néanmoins, sous la réserve d’éventualités qui souvent substituent le fait brutal de l’invasion à la pratique pacifique d’usages consacrés par le temps, on peut assigner comme limites générales aux territoires occupés par les quatre confédérations Touâreg, savoir :

Au Nord, 1o une ligne droite partant d’El-Hesî dans le Hamâda-el-Homra de la Tripolitaine et allant à Ghadâmès ; 2o une ligne, également droite, partant de Ghadâmès et aboutissant à la limite Nord de la confédération indépendante du Touât ;

A l’Ouest, les rebords oriental et méridional du plateau de Tâdemâyt et la route des caravanes d’Aqabli à Timbouktou ;

Au Sud, une ligne partant de Timbouktou et aboutissant à Oungoua-Tsammit, au Nord de Zinder ;

A l’Est, d’abord une ligne parallèle à la route de Koûka à Mourzouk, mais d’un quart de degré à l’occident, puis la route directe de Mourzouk à Tripoli jusqu’à El-Hesî, où nous retrouvons le point de départ.

La limite septentrionale, sur laquelle je devrai revenir, sépare les Touâreg du Nord des tribus algériennes, les Souâfa, les Rouâgha et les Chaánba, avec lesquelles ils sont aujourd’hui en bonnes relations après de longues luttes que l’administration française a fait cesser.

La limite occidentale sépare d’abord les Ahaggâr des oasis du Touât ainsi que des tribus nomades qui en dépendent, entre autres les Oulâd-Bâ-Hammou ; puis elle place d’immenses déserts entre les Ahaggâr, les Aouélimmiden et les tribus nomades, arabes et berbères des rives de l’Océan Atlantique. Malgré la barrière d’affreuses solitudes que la Providence a placées entre des ennemis irréconciliables, ils parviennent néanmoins à se rencontrer quelquefois les armes à la main.

La limite méridionale, telle que je l’ai indiquée, est celle qui séparait autrefois les Touâreg du Sud de l’ancien empire de Zonghay ; mais, depuis quelques années, les Aouélimmiden ayant reconquis sur les Fellâta les deux rives du Niger, jadis occupées par les Zonghay, la limite doit être reportée plus au Sud.

La limite orientale sépare les Touâreg d’Aïr du peuple Teboû, et les Azdjer du Pachalik du Fezzân. En cette dernière partie, les Azdjer occupent des territoires appartenant à la Turquie, mais sans subir sa domination.

Dans ces limites, l’ensemble des territoires des quatre grandes divisions du peuple târgui forme, entre l’Afrique septentrionale et l’Afrique centrale, un immense quadrilatère que le tropique du Cancer partage en deux moitiés à peu près égales, et que les géographes connaissent sous le nom de plateau central du Sahara.

Les Touâreg donnent à leur pays le nom général d’Adjema, synonyme de Sahara.

D’après eux, les points de Timissao sur l’Ouâdi-Tarhît, d’Asiou et d’In-Guezzam sur l’Ouâdi-Tâfasâsset sépareraient les Touâreg du Nord de ceux du Sud et les deux grandes gouttières d’écoulement des eaux de leur pays, l’Ouâdi-Igharghar et l’Ouâdi-Tâfasâsset, l’une au Nord, l’autre au Sud, seraient généralement acceptées, mais non sans quelques exceptions particulières, comme lignes de démarcation entre les confédérations orientales et les confédérations occidentales.

Ces divisions générales posées, je rentre dans l’objet spécial de ce travail : les Touâreg du Nord.

[10]Touâreg, au singulier Târgui, au féminin târguia, en français târguie.

[11]Kêl signifie gens de ; souvent, dans le discours, on dit Azdjer, Ahaggâr, Aïr, pour dire gens d’Azdjer, gens d’Ahaggâr, gens d’Aïr. Pour simplifier, j’imiterai l’exemple des indigènes.

[12]Forme emphatique du mot adrâr, montagne.

[13]Voir le grand ouvrage de M. le docteur Barth, tomes I, IV et V des éditions anglaise et allemande.


CHAPITRE II.

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.

La géographie physique du grand plateau central du Sahara offre à l’observation deux phénomènes caractéristiques qui appellent au même degré l’attention du voyageur et l’obligent, à son insu, à rechercher la cause d’exceptions aussi considérables : d’un côté, d’immenses plateaux dénudés, où la roche, continuellement balayée par les vents, n’est recouverte de terre végétale que dans les parties abritées ; d’un autre côté, d’immenses bas-fonds, envahis par les sables, de manière à faire disparaître le sol primitif et dans lesquels s’amoncellent, en véritables montagnes, des dunes de 100 mètres et plus de hauteur.

Quoique les dunes occupent peu d’espace dans les territoires parcourus par les Touâreg du Nord, je ne crois pas pouvoir m’abstenir, avant de pénétrer dans les régions élevées du plateau central du Sahara, de chercher à donner une idée, aussi nette que possible, de la zone qu’elles forment entre la chaîne atlantique et les massifs de l’intérieur.

Ce chapitre comprendra donc deux paragraphes : l’un spécial à la zone des dunes, l’autre exclusivement consacré aux parties surélevées des plateaux, dont les détritus jouent un si grand rôle dans la géographie physique du Sahara.

§ Ier. — ZONE DES DUNES.

Les noms suivants ont été donnés aux diverses parties de cette zone par les populations qui la traversent :

’Erg, ’Arg, ’Areg (veines), par les Arabes[14] ;

Adehî, au plur. Edeyen (dunes), par les Touâreg ;

Iguîdi, Igdia, El-Guédéa (dunes), par les Berbères marocains et sénégaliens.

Cette zone a été reconnue ou traversée, par des voyageurs européens, sur différents points de son immense étendue, savoir :

Au Sud de l’Ouâd-Noûn, entre le Sénégal et le Maroc, du 22° au 23° latitude N. par M. Panet, en 1850 ; par M. le capitaine Vincent, en 1860 ;

Au Sud du Maroc, par René Caillié, en 1828, du 22° au 28° latitude N. ;

Au Sud de l’Algérie, entre les montagnes des Oulâd-Sîdi-Cheïkh et le Touât, par MM. de Colomb, Colonieu et Marès ; entre El-Golêa’a et le plateau de Tâdemâyt, par moi, en 1859 ; entre Ouarglâ et la Zaouiya de Timâssanîn, par M. Isma’yl-Boû-Derba, en 1858 ; entre El-Ouâd et Ouarglâ, par moi, en 1860 ;

Au Sud de la Tunisie, entre El-Ouâd et Nafta, par moi, en 1860 ; entre El-Ouâd et Ghadâmès, par M. le capitaine de Bonnemain, en 1858 ; par moi, en 1860 ; par la mission placée sous la direction de M. le lieutenant-colonel Mircher, en 1862 ;

Dans la partie Sud de la Tripolitaine, entre El-Hesî et l’Ouâdi-el-Gharbi, par M. le docteur Barth, en 1850 ; entre le plateau de Tînghert et la vallée des Igharghâren, par moi, en 1860 ; entre l’Ouâdi-el-Gharbi et les lacs du Fezzân, par moi, en 1861.

De plus, j’ai recueilli, par renseignements, de nombreux itinéraires traversant l’’Erg dans toutes les directions : trente-trois, pour la zone comprise entre Ouarglâ, Gâbès, Ghadâmès et Timâssanîn ; trois entre El-Golêa’a et le Touât ; quatre entre le Beni-Mezâb et le Maroc ; trois entre Géryville et le Gourâra ; enfin des détails très-circonstanciés sur la limite des dunes au Nord et à l’Ouest des montagnes des Touâreg.

Avec ces éléments, complétant ceux fournis par les autres voyageurs, on peut aujourd’hui estimer, au moins approximativement, l’étendue et la direction générales de la zone des dunes, entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique.

Si je ne me trompe, cette zone s’étendrait, avec ou sans interruptions, du Nord-Est au Sud-Ouest, sur une longueur de 240 myriamètres environ, du golfe de Gâbès, dans la Méditerranée, au cap Barbas, sur l’Océan Atlantique, en suivant une direction qui semble commandée par la disposition réciproque de la chaîne atlantique et du massif des montagnes des Touâreg. Le plus grande largeur de cette zone serait de 50 myriamètres ; la plus petite, de 5.

Les causes constitutives d’un phénomène géologique aussi étendu seront étudiées ultérieurement ; pour le moment je me borne à constater ce que j’ai vu et ce que j’ai appris.

Les indigènes distinguent quatre variétés de formes de dunes :

La Gâra (plur. Goûr), sorte de témoin, rocheux ou terreux, qui marque l’ancien niveau du sol primitif :

Le Ghourd, vraie montagne de sable qui atteint parfois les dimensions des montagnes ordinaires ;

La Zemla, dune allongée, régulière, affectant la forme d’un dos d’âne, avec pente normale sur ses deux principales faces ;

Le Sîf, dune comparée à la lame d’un sabre, semblable à la précédente, mais en différant par la paroi verticale de l’une de ses faces.

La Gâra n’est pas une dune proprement dite, car sa base est la roche ou une terre compacte ; le Ghourd, la Zemla, le Sîf ne sont que des masses de sables.

Ces différentes formes de dunes sont séparées entre elles par des dépressions parmi lesquelles les indigènes distinguent aussi quatre variétés : le Thenîya, l’Ouâd, le Haoudh, le Sahan.

Le Thenîya est un col oblong, étroit, resserré entre deux dunes, servant généralement de passage aux caravanes, mais dont la traversée ne s’opère pas toujours sans difficulté, car, en raison de leur étroitesse, ces défilés sont souvent barrés par des amas de sable provenant d’éboulements ou accumulés par les vents. Alors on doit parfois s’ouvrir un sentier à lacets en pratiquant à la main un plan incliné qui permette aux chameaux de prendre pied.

L’Ouâd est une vallée, plus large que le Thenîya, toujours ouverte dans la direction des vents régnants et formée par eux. Son bas-fond sert de réservoir aux eaux pluviales, d’où lui a été donné le nom d’Ouâd (lit de rivière).

Le Thenîya et l’Ouâd prennent le nom de Dourîya (tournant), quand une dune circulaire oblige la dépression à prendre la forme d’un labyrinthe.

Le Haoudh est un bassin d’une certaine étendue qui laisse quelquefois plusieurs kilomètres d’intervalle entre une dune et une autre ;

Le Sahan est une dépression plate, dont le palier est généralement composé de sable en mélange avec du plâtre cristallisé.

C’est dans les bas-fonds des Thenîya, des Ouâd, des Dourîya, des Haoudh, des Sahan, comparés par les Arabes à un réseau de veines, (’Erg, ’Areg) que se trouvent les chemins et les puits sans lesquels les dunes seraient infranchissables.

On aura une idée approximative de l’aspect général des dunes en se figurant une mer en courroux qu’un miracle aurait instantanément solidifiée. Les Goûr seraient les pointes de rochers montrant leurs têtes au milieu des eaux ; les Ghourd, les Zemla et les Sîf, les vagues que les vents auraient soulevées et dressées au-dessus du niveau général ; les Thenîya, les Ouâd, les Dourîya, les Haoudh et les Sahan, les dépressions houleuses séparant les vagues.

Mais quelle que soit la puissance de l’imagination de l’homme, elle ne peut pas plus se figurer l’émouvant spectacle du chaos des dunes que celui des mers de glaces à leur dégel. Il faut avoir vu, et, quand on a vu, renoncer à reproduire ses impressions.

Plus de détails sont nécessaires sur les dunes, les chemins et les puits de l’’Erg.

Si la pente de quelque Zemla est assez douce pour qu’un homme, s’aidant de ses mains et de ses pieds, puisse, à la rigueur, la gravir, on peut affirmer que, ni homme ni animal d’aucune espèce, n’a pu lutter contre les pentes de quelques Ghourd.

La hauteur des dunes, comme leurs formes, varie à l’infini, depuis celle d’un petit tertre de 1 à 3 mètres, jusqu’à celle du pic s’élevant à 150 et même 200 mètres.

Ici, la base d’une dune présentera un développement de 4 à 6 kilomètres ; là, elle n’aura pas une centaine de mètres.

Dans les parties de l’’Erg que j’ai parcourues, il n’y a pas une dune importante qui n’ait un nom propre que tous les bons guides connaissent.

Bien que les vents régnants déplacent continuellement les sables à la superficie des dunes et en modifient nécessairement la forme, les proportions, par rapport à la masse, dans lesquelles ont lieu ces changements sont tellement minimes et inappréciables à l’œil, qu’il faut la vie d’un homme pour constater quelque différence sensible. Cela se comprend : le vent opposé remet en place, le lendemain, le grain de sable déplacé la veille. Cependant, il est incontestable que les dunes marchent dans la direction des vents alizés, du N.-E. au S.-O.

Il est plus facile de constater le déplacement continuel des sables sur le terre-plein du sol. En marche, par exemple, lorsque le vent souffle, un voyageur ne peut suivre la trace des pas de son compagnon, si ce dernier le devance de quelques mètres seulement. Comme le navire à la mer qui ne laisse de trace de son sillage que par les résidus de l’office surnageant à la surface des eaux, de même la caravane ne marque souvent son passage sur les sables que par les crottins de ses chameaux.

L’absence de tracé de route, l’obligation de cheminer dans des dépressions sans horizons, le changement d’aspect des lieux, font que les voyages à travers l’’Erg présentent toujours des difficultés sérieuses.

Avant d’entrer dans l’’Erg, le Cheïkh-’Othmân, chargé de me conduire chez les Touâreg, me fit quatre recommandations :

« M’armer de beaucoup de patience et de résignation ;

« Ne pas intervenir dans les discussions des guides ou khebîr, relativement à la marche de la route ;

« Faire provision de beaucoup d’eau ;

« Être libéral envers les guides, envers mes serviteurs et mes compagnons de voyage. »

L’expérience avait dicté ces conseils à la sagesse du Cheïkh-’Othmân.

Mes compagnons de voyage, connaissant les dangers de la traversée, recommandèrent leur âme à Dieu, au prophète, à tous les marabouts, en réclamant leur puissante intervention pour les faire sortir sains et saufs d’un pays qu’ils qualifiaient de champ de la mort.

Des guides sont indispensables pour voyager dans l’’Erg ; quand je quittai El-Ouâd, l’autorité locale exigea que j’en eusse deux, comme garantie de sécurité.

La profession de guide est héréditaire dans certaines familles et elle constitue chez elles une sorte de sacerdoce, car de l’expérience du guide dépend souvent le salut ou la perte d’une caravane. On juge de l’importance de cette profession par le respect dont tous les khebîr sont entourés et par les honneurs qui leur sont rendus au départ et à l’arrivée de chaque caravane.

La marche à travers les sables n’est pas sans difficultés pour les chameaux eux-mêmes, et, pour les surmonter, il faut qu’ils y soient habitués dès leur enfance, si la distance à parcourir est un peu considérable. L’habitude des sables donne aux pieds de l’animal une conformation appropriée aux besoins : élargissement de la surface plantaire, à la façon des palmipèdes, pour ne pas enfoncer ; ongles aigus et longs, pour éviter les glissements aux montées et aux descentes.

Quoique les sables soient des éponges qui absorbent les eaux pluviales et les conservent à l’abri de l’action solaire, la question des puits a une importance réelle par la profondeur à atteindre pour trouver l’eau, par la nécessité de les coffrer dans la partie sablonneuse et mouvante des terrains traversés, par l’obligation d’entretenir ces coffrages et de couvrir les orifices, si l’on veut prévenir les éboulements et les ensablements, qui transforment les puits vivants en puits morts, pour me servir de l’expression caractéristique des indigènes.

Entre El-Ouâd et Ghadâmès, j’ai mesuré la profondeur des puits des stations de ma route ; elle s’élève successivement de 8m 55 à 22m 30, dernière limite que les indigènes, avec les moyens dont ils disposent, puissent atteindre.

Le coffrage est fait au moyen de poutrelles de palmier et de fascines en branchages.

Généralement, on trouve l’eau dès que la pioche du puisatier a traversé la couche de sable qui recouvre le sol primitif, et généralement aussi elle est de bonne qualité. Cependant il y a quelques puits dont l’eau est saumâtre.

L’absence de seuil à l’orifice des puits, malgré le soin de les couvrir, fait que les vents y amoncellent des sables et des crottins de chameau qui les comblent ou altèrent la qualité de leurs eaux. Quelquefois l’abondance des matières étrangères est assez considérable pour qu’à l’arrivée des caravanes il faille les nettoyer avant d’avoir de l’eau potable ; pour éviter ce travail très-fatigant et très-pénible, les khebîr ont toujours le soin d’ordonner de recouvrir les puits d’une couche de branchages ; mais jamais ce travail n’est fait avec assez de soin pour empêcher les sables d’y pénétrer. Comment le pourrait-on, quand on ne peut éviter leur introduction dans les chronomètres les mieux fermés ?

Le fascinage qui couvre l’ouverture des puits n’est réellement efficace que pour prévenir les chutes d’hommes ou d’animaux.

Pour abreuver les chameaux, on a des auges en terre argileuse pratiquées dans les déblais qui ont été tassés à cet effet au moment de l’ouverture des puits.

Dans toute la région de l’’Erg, le maximum de profondeur des puits paraît être de 22 à 25 mètres. Quand il y a lieu à creuser plus profondément, on s’abstient, sans doute à cause des difficultés de forage et de coffrage ; aussi, dans les parties que j’ai parcourues, les puits sont limités à la zone la plus rapprochée des lignes de fond des oasis algériennes. Le reste est complétement dépourvu d’eau.

Sur la carte qui accompagne ce travail, je comprends la presque totalité de la partie orientale de l’’Erg dans les limites frontières de l’Algérie. Voici les raisons sur lesquelles s’appuie cette délimitation nouvelle :

Tous les puits de cette partie de l’’Erg ont été creusés et sont entretenus par les Souâfa, les Rouâgha et les Chaánba, tribus soumises au gouvernement de l’Algérie.

Ces tribus sont les seules dont les chameaux aient la pratique de l’’Erg ; enfin, elles sont les seules chez lesquelles on trouve des khebîr pour guider les voyageurs.

Les puits de Berreçof, de Bîr-Ghardâya et de Bîr-Djedîd, ainsi que les territoires de parcours qui en dépendent, appartiennent incontestablement aux Souâfa, à l’exclusion de tous autres, car toujours les bergers et les chasseurs de cette tribu y ont leurs campements.

Ces faits, dont l’authenticité est irrécusable, portent dans l’Est la limite méridionale de l’Algérie, au delà du Sahara tunisien, jusqu’aux territoires de la Tripolitaine et des Touâreg.

Le nom d’un de ces puits rappelle celui d’un gouverneur de Constantine, Sâlah-Bey, dont le règne a laissé dans toute la province, par des institutions et des travaux remarquables, les traces évidentes d’un grand génie.

Au Sud de Methlîli, sur la ligne que j’ai reconnue en 1859, la limite est celle des terres de parcours de Chaánba d’El-Golêa’a, limite qui, à peu de distance au Sud de cette ville, vient se confondre avec celle des terres de parcours des Touâreg et des Oulâd-Bâ-Hammou, arabes nomades de la confédération indépendante du Touât.

Les chefs Touâreg, dont j’ai pris l’avis, assignent à leur territoire, comme limite Nord, les points suivants :

Tin-Yagguin, sur la route de Ghadâmès à In-Sâlah, par la voie d’El-Beyyodh ;

’Aïn-et-Taïba, sur la route d’Ouarglâ à Timâssanîn ;

Hamâd-el-’Atchân[15], sur l’Ouâd-Mîya, entre les Touâreg et les Chaánba d’El-Golêa’a.

La localité de Tigmi, disent-ils, est aux Touâreg.

A moins d’admettre qu’entre ces points et ceux occupés par nos tribus, il y ait une zone n’appartenant à personne, la presque totalité de l’’Erg au Sud et au Sud-Est de nos possessions fait partie de l’Algérie.

D’ailleurs, dès que les Touâreg veulent généraliser leurs déterminations, ils disent : « Les Dunes (El-’Erg) sont aux Souâfa et aux Chaánba, et les Plateaux au Sud (Hamâd) aux Touâreg. »

Ces derniers revendiquent, comme leur appartenant, le plateau de Tâdemâyt, quoique les arabes d’In-Sâlah et d’El-Golêa’a y mènent paître leurs troupeaux.

J’aurai, dans la suite de ce travail, l’occasion d’apporter un nouveau témoignage à l’appui de celui des Touâreg, en constatant que Ghadâmès faisait partie de la Numidie et que sa garnison lui était fournie par la IIIe Légion Auguste, dont le dépôt était à Lambèse.

A l’époque romaine, comme aujourd’hui, la propriété des puits entraînait celle de la contrée qu’ils pourvoyaient d’eau.

Je terminerai ce que j’ai à dire de la zone de l’’Erg en signalant au Sud-Est d’Ouarglâ et à l’Ouest de Ghadâmès les ruines d’El-Menzeha et d’Es-Sohoûd, sur l’emplacement d’une ville fort ancienne, qui, d’après la tradition, aurait eu jadis une certaine importance, mais dont les chroniques arabes ne font aucune mention.

J’ignore en quoi consistent ces ruines, à quelle civilisation elles appartiennent ; je sais seulement qu’elles sont au milieu des dunes et que l’abandon de la ville est attribué à l’invasion des sables.

§ II. — MASSIF TOUÂREG.

Vu de haut et d’ensemble, le massif Touâreg offre une série de plateaux superposés, s’élevant graduellement, par étages, de hauteurs de 500 à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu’à 2,000 mètres environ d’altitude.

Le Ahaggâr est le point culminant ; viennent ensuite, en contre-bas, le Tasîli[16] du Nord et la chaîne d’Anhef qui atteignent des altitudes de 1,500 à 1,800 mètres ; sur la circonférence de ces trois points surélevés on trouve, à un gradin inférieur, le plateau d’Eguéré, la chaîne de l’Akâkoûs, la chaîne de l’Amsâk, la Hamâda de Mourzouk, la Hamâda-el-Homra, la Hamâda de Tînghert, le plateau de Tâdemâyt, celui du Mouydîr, le Bâten Ahenet, le Tasîli du Sud et une Hamâda innomée, à l’Est du Tâfasâsset, séparative du pays des Touâreg du Nord de celui des Teboû.

Tout ce pâté constitue, sinon en totalité, du moins en partie, ce qu’on appelle, en géographie, le plateau central du Sahara.

Dans son ensemble, il présente trois versants qui forment trois grands bassins, vallées ou gouttières d’écoulement des eaux pluviales vers la mer : un versant méditerranéen qui embrasse toutes les têtes de l’Ouâdi-Igharghar ; un versant nigritien, à l’opposite du précédent, dont toutes les eaux se réunissent dans l’Ouâdi-Tâfasâsset, affluent du Niger ; enfin un versant occidental que j’appellerai atlantique, parce que, malgré l’obstacle des dunes d’Iguîdi, ses eaux doivent aboutir à l’Océan Atlantique par l’Ouâdi-Dráa.

Quelques lignes sur les principaux reliefs de ce pâté doivent compléter cette énumération.

Ahaggâr : Le Ahaggâr est le point le plus élevé du plateau central du Sahara, dont il forme la tête occidentale. D’après un plan en relief dressé dans le sable par le Cheïkh-’Othmân lui-même, ce serait un immense plateau, de forme circulaire, se prolongeant vers le Nord, sous le nom de Tîfedest, en forme de promontoire, jusqu’au mont Oudân que les indigènes qualifient de nez du Ahaggâr. Ce massif s’élève par gradins superposés, couronnés eux-mêmes par un dernier plateau, l’Atakôr-n-Ahaggâr (faîte du Ahaggâr), au centre duquel se dressent deux pics jumeaux, Ouâtellen et Hîkena, que je n’hésite pas à considérer ainsi que l’Oudân comme des puys volcaniques analogues à ceux de l’Auvergne. D’autres puys ou pics isolés, volcaniques ou non, existeraient aux étages inférieurs de la montagne, ceux d’Aheggar, d’Ilamân, de Tahât, sur le gradin intermédiaire ; ceux de Tasnao, de Téhé-n-Akeli, de Tâhela-Ohât, de Serkout, sur le gradin inférieur.

Tasîli du Nord : Ce tasîli, généralement connu sous le nom de Tasîli des Azdjer, pour le distinguer d’un autre tasîli sis au Sud du Ahaggâr, est un grand plateau, ainsi que l’indique son nom, mais très-accidenté, car de nombreuses vallées, étroites et encaissées, le découpent en caps allongés, surtout sur son rebord Nord. Son rebord Sud, plus élevé que le précédent, est comme le Ahaggâr couronné d’un plateau supérieur, l’Adrâr, dominé lui-même par le pic d’In-Esôkal, certainement un puy volcanique. Divers plateaux secondaires ou pitons isolés marquent le relief de ce massif. Je cite entre autres : Takarâhet, Asâdjen, Tâfelâmin, Atafeyfagh, Tinaorherh, Têlout, Eselî, Aderedj, Mezzerîren, Tahônt-Terohet, Eguelé, Adjer. A l’aval de ces points culminants et dans les lignes de fond des ouâdi sont de nombreux lacs persistants dont l’existence, en pareil lieu, ne s’explique que par la transformation d’anciens cratères en réservoirs d’eau.

La forme du Tasîli du Nord est celle d’un grand carré long, isolé, dont les murailles s’élèvent presque verticalement à pic au-dessus du milieu environnant.

Chaîne d’Anhef : Cette chaîne, entièrement isolée aussi, semble un coin jeté entre le Ahaggâr et le Tasîli du Nord. M. le docteur Barth, qui a traversé son faîte entre les origines du Tâfasâsset, la représente couronnée de pics, comme le Tasîli et le Ahaggâr. Sans doute, cette chaîne est aussi due à la même formation volcanique. Ce qu’on dit de la localité de Tâdent, campement renommé pour l’abondance de ses eaux et la richesse de sa végétation, l’assimile encore davantage au Tasîli et au Ahaggâr.

Plateau d’Eguéré : Plus encore que l’Anhef, le petit plateau d’Eguéré ressemble à un coin, interposé entre le Tasîli, le Mouydîr et le Ahaggâr, comme pour les séparer. On le prendrait volontiers pour un fragment détaché de l’un de ces trois massifs, au moment de la dislocation, par l’action souterraine du feu, du grand plateau central du Sahara.

Chaîne de l’Akâkoûs : Presque parallèle au rebord oriental du Tasîli dont la gorge d’Ouarâret la sépare, la chaîne de l’Akâkoûs, peu large, mais étendue du Nord au Sud, est un massif de rochers infranchissable et peu connu, même des indigènes, car ils redoutent de s’y égarer. Ils citent cependant la localité de Tâderart comme ayant dû être un ancien centre d’habitation, car on y remarque des myrtes, nécessairement introduits par la culture, et des sculptures rupestres importantes, indices d’une civilisation disparue.

Chaîne de l’Amsâk : Je donne ce nom, en cela d’accord avec les indigènes, au rebord rocheux du grand plateau de Mourzouk, parce que sa traversée, dans certaines parties, offre les difficultés d’une véritable chaîne de montagnes. L’Amsâk nous est connue dans sa partie Ouest par le voyage de M. le docteur Barth et dans sa partie Nord par mes reconnaissances, entre le désert de Tâyta et l’Ouâdi-ech-Chergui. Ses prolongements au Sud et à l’Est sont encore inconnus.

Hamâda de Mourzouk : Quoique de nombreux voyageurs aient traversé ce plateau dans toutes les directions, ses limites orientales et méridionales sont vaguement indiquées, sans doute parce qu’il se continue sans ligne de démarcation tranchée jusqu’au Hâroûdj-el-Abiodh dans l’Est, et vers le Sud jusque dans une partie du Sahara encore inexplorée.

Le caractère de ce plateau est d’être uniformément plat, sauf quelques dépressions, bas-fonds d’anciens lacs desséchés, dans lesquelles sont les oasis de l’Ouâdi-’Otba, de la Hofra et de la Cherguîya.

On pourrait à la rigueur considérer cette hamâda comme une prolongation orientale du plateau du Tasîli des Azdjer.

Hamâda-el-Homra : Partie seulement de cette hamâda, nommée le plateau rouge à cause de sa couleur, appartient aux Touâreg, mais, géographiquement, elle ne saurait en être distraite, car elle sert d’assise inférieure aux massifs du Sud et les relie aux formations volcaniques du Hâroûdj-el-Asoued, de la Sôda, de la Syrte et du Djebel-Nefoûsa.

Rien ne donne l’idée du désert, dans sa monotone nudité, comme cette hamâda : ni une goutte d’eau, ni une plante, ni un insecte ne s’y rencontrent. La puce elle-même ne peut y vivre, et la limite Nord de ce plateau est la limite méridionale de ce parasite. A la place de tout ce qui réjouit la vue du voyageur en d’autres pays, on a là la roche nue, une chaleur réfractée accablante, des vents que rien ne brise, pas même d’horizon, tant la hamâda est grande, de sorte que l’uniformité de la désolation est absolue.

Hamâda de Tînghert : Tînghert signifie pierre à chaux. Cette hamâda, sur laquelle est assise la ville de Ghadâmès, n’est, en réalité, qu’une continuation à l’Ouest de la Hamâda-el-Homra, sous un nom différent, l’un arabe, l’autre berbère, à cause de la nature différente de la roche de sa base. Au Nord-Est, ce plateau commence au pied du Djebel-Nefoûsa, pour finir au Sud à la dépression d’Ohânet, tête des eaux de Timâssanîn. Dans l’Ouest comme dans l’Est ses limites sont indéterminables, car tout indique qu’il se continue sous les sables de l’’Erg jusqu’aux plateaux de Tâdemâyt, des Cha’anba et des Benî-Mezâb, dans le Sahara algérien.

Plateau de Tâdemâyt : Ce bas plateau, compris entre l’’Erg, le Touât et les étages supérieurs du massif des Touâreg, joue un certain rôle dans l’hydrographie de cette partie du Sahara. Par son rebord occidental, qui porte le nom de Bâten, et par sa tête (Râs Tâdemâyt), sise à l’angle Sud-Ouest du vaste quadrilatère qu’il forme, il donne au Touât les eaux qui alimentent ses trois cents villages et arrosent les forêts de palmiers qui les environnent ; par l’éventail de son versant Nord-Est, il fournit à l’Ouâd-Mîya, la rivière des cent sources, les nombreuses origines qui lui ont valu ce nom.

Un rebord nettement accentué limite ce plateau sur ses quatre faces et protége la partie du Touât qu’il abrite contre l’invasion des sables de l’’Erg.

Plateau du Mouydîr : Ce plateau, qui semble former dans le Nord-Ouest le pendant de la chaîne d’Anhef dans le Sud-Ouest, est remarquable par sa forme oblongue, concave sur un de ses rebords, convexe sur l’autre, et surtout par le pic d’Ifettesen qui en occupe le centre, probablement un puy volcanique aussi[17], et d’où partent, dans trois directions opposées, l’Ouâdi-Rharîs, affluent de l’Igharghar, l’Ouâdi-Tîrhehêrt et l’Ouâdi-Akâraba, qui vont se perdre dans les sables de l’Ouest.

Bâten Ahenet : Bâten est une expression technique de géographie saharienne, comme hamâda, tasîli, adrâr ; elle indique un relief du sol, allongé et peu considérable. Celui d’Ahenet, orienté Sud-Est et Nord-Ouest, occupe le centre d’une hamâda entre le Ahaggâr, le Mouydîr, le Touât, les dunes d’Iguîdi, le Tânezroûft et le Tasîli du Sud.

Tasîli du Sud : Le Tasîli du Sud, qu’on désigne aussi sous le nom de Tasîli des Ahaggâr, pour le distinguer de celui des Azdjer, est un plateau rocheux, sans eau, sans végétation, presque inconnu des indigènes eux-mêmes, tant il est inhospitalier. Les chameaux qui s’y égarent, disent les Touâreg, ou périssent ou deviennent sauvages, car personne ne veut exposer sa vie pour aller les rechercher.

Ce tasîli sépare le Ahaggâr de l’Adghagh des Aouélimmiden.

De ces détails, je passe à l’examen de la cause qui a déterminé ces reliefs.

J’ai attribué à un soulèvement volcanique la formation isolée de chacun de ces plateaux ; mon opinion à cet égard est basée, pour les points les plus remarquables, sur des témoignages géologiques.

La présence certaine de roches pyrogènes[18] dans les massifs du Ahaggâr et du Tasîli, ainsi que dans les montagnes de la Sôda au Sud de Sôkna et du Hâroûdj à l’Est d’El-Fogha ; la situation de ces quatre massifs, sur une même ligne courbe, me portent à penser que le soulèvement de ces montagnes peut très-bien être dû au même effet volcanique, quoiqu’elles soient à de grandes distances les unes des autres. Cette appréciation, si elle était confirmée, s’accorderait parfaitement avec les nouvelles découvertes sur l’action circulaire des tremblements de terre.

La distribution géographique des roches volcaniques dans cette partie du continent africain nous montre l’action du feu souterrain commençant à la grande Syrte où l’on connaît des mines de soufre, se continuant à Ghariân où percent quelques roches de basaltes et se prolongeant jusqu’à la Sôda et au Hâroûdj, pour reparaître dans le Tasîli et le Ahaggâr chez les Touâreg.

La zone de ces formations est d’autant plus large qu’elle s’avance plus vers le Sud-Ouest.

Telle est la charpente du pays des Touâreg du Nord, je devrais dire son squelette, car les plateaux et les montagnes sont presque toujours décharnés.

Entre ces montagnes et au pied de leurs versants, se trouvent des plaines et des vallées qui complètent l’ensemble du territoire.

Ces plaines sont : Amadghôr, Admar, Ouarâret, Tâyta, Ouâdi-Lajâl, Igharghâren et Adjemôr.

Plaine d’Amadghôr : Cette plaine, connue sous le nom de Reg (la plaine), est un long couloir entre le Ahaggâr, la chaîne d’Anhef et le Tasîli du Nord ; elle appelle l’attention à plus d’un titre.

Au centre est une sebkha ou lac salin desséché qui donne, en grande abondance, un sel excellent, jadis utilisé, mais dont l’exploitation est aujourd’hui abandonnée, par suite de l’insécurité qui règne dans la contrée.

Jadis aussi une foire annuelle, remplacée depuis par celle de Rhât, se tenait sur les bords de la saline, et une grande voie de communication directe entre Ouarglâ, Agadez et le Soûdân, très-fréquentée par les caravanes, la traversait dans toute sa longueur.

Comme il n’y a, dans le Sahara occidental, que quatre salines pour alimenter de sel cinquante millions de nègres qui en ont le plus grand besoin, il y a lieu d’espérer la réouverture prochaine du marché d’Amadghôr, car, au dire des indigènes, le sel de cette contrée est aussi beau que celui de la sebkha d’Idjîl, et supérieur à ceux de Taodenni et de Bilma. C’est au gouvernement de l’Algérie, qui a le plus grand intérêt à rétablir des relations directes avec le Soûdân, à hâter le moment où la paix permettra de reprendre l’exploitation abandonnée. Les quatre confédérations des Touâreg le désirent vivement ; déjà les Kêl-Ouï de l’Aïr, dont les caravanes ont souvent été pillées à Bilma, sont entrés en pourparlers avec les Azdjer et les Ahaggâr à cet effet.

La plaine d’Amadghôr doit être très-élevée au-dessus du niveau de la mer, car elle est, avec le Ahaggâr et le Tasîli des Azdjer, un des points de partage d’eau entre le bassin du Niger et celui de la Méditerranée. La ligne séparative des deux bassins est jalonnée par une série de petits monts isolés qui semblent relier le pic ahaggârien du Serkoût au mont tasîlien d’Ounân et servir de trait d’union entre les volcans éteints du Ahaggâr, ceux du Tasîli et même de l’Anhef.

La sebkha d’Amadghôr ne paraît plus communiquer aujourd’hui avec le lit de l’Igharghar, mais, si elle ne lui fournit plus d’eau, elle donne encore à tout le bassin les principes salins qui sont un des caractères communs des puits et des chott échelonnés sur tout le parcours de l’ouâdi.

Plaine d’Admar : Resserrée entre le Tasîli et la chaîne d’Anhef, la plaine d’Admar aboutit, par son extrémité occidentale, à celle d’Amadghôr et, par son extrémité orientale, elle va se confondre avec un désert sans nom, une hamâda, qui sépare le pays des Touâreg de celui des Teboû.

Vallée d’Ouarâret : Une partie porte le nom d’Aghelad-wân-Azârif, défilé de l’alun, parce qu’on y trouve des affleurements de ce sel. Cette vallée n’est en réalité qu’une large gorge qui sépare le Tasîli de l’Akâkoûs et par laquelle passe la route de Ghadâmès à Rhât. En raison de cette grande voie de communication, elle a une importance réelle dans la géographie physique du pays.

Plaine de Tâyta : Aride, sans aucune végétation, couverte de cailloux, elle est plutôt un désert séparatif, participant de la nature des hamâd, qu’une plaine proprement dite, car les indigènes ne réservent ce nom qu’aux parties abritées de leur territoire et dans lesquelles les alluvions des plateaux environnants permettent à la végétation de s’y développer. J’ai considéré ce désert comme une plaine parce qu’il est dominé par l’Akâkoûs et l’Amsâk entre lesquels il est situé.

Vallée de l’Ouâdi-Lajâl : Cette vallée, comprise entre l’Amsâk et les dunes d’Edeyen, est couverte d’oasis, de forêts de palmiers et de gommiers. Dans sa partie occidentale, par laquelle elle communique avec la plaine de Tâyta, elle prend le nom d’Ouâdi-el-Gharbi, et, dans sa partie orientale, celui d’Ouâdi-ech-Chergui. La nature de son sol rappelle celle des terres alluvionnaires de l’Ouâd-Rîgh, terres légères, un peu salines, parfaitement propres à la culture.

Au Nord et au Sud de cette vallée principale on trouve deux petites vallées isolées, de même nature, l’Ouâdi-ech-Chiati et l’Ouâdi-’Otba.

La Hofra (dépression) de Mourzouk et les oasis de la Cherguiya rentrent aussi dans le même système de formation.

Plaine des Igharghâren : Igharghâren[19], les rivières, est le pluriel d’Igharghar, nom que porte la grande vallée d’écoulement des eaux de tout le versant méditerranéen du massif des Touâreg. On a appelé ainsi la vaste plaine qui longe le pied Nord du Tasîli, de Tîterhsîn à Timâssanîn, parce qu’elle reçoit toutes les rivières qui descendent du plateau et forment la tête orientale de l’artère principale du pays.

Cette plaine basse, abritée des vents du Sud, riche en alluvions et en eaux à peu de profondeur, est le refuge des Touâreg Azdjer dans les années calamiteuses, c’est-à-dire dans les périodes de longues sécheresses.

Sa pente générale est du Sud-Est au Nord-Ouest, mais cette pente semble ne plus être continue aujourd’hui ; dans le haut, des amas d’alluvions, arrêtés à mi-chemin de leur course, ont transformé cette vallée en plusieurs bassins ; dans le bas, des dunes de sables la barrent et l’empêchent de communiquer à ciel ouvert avec le lit de l’Igharghar, mais la communication souterraine des eaux a toujours lieu comme dans les temps anciens.

La nature de son sol est une terre sablonneuse, micacée.

Plaine d’Adjemôr : La plaine d’Adjemôr, orientée Est et Ouest, avec pente à l’Ouest, est comprise entre les plateaux de Tâdemâyt au Nord et du Mouydîr au Sud. Par son extrémité occidentale, elle aboutit au Tidîkelt, l’une des confédérations du Touât.

Cette plaine est, dans l’Ouest, pour les Ahaggâr ce que celle des Igharghâren, dans l’Est, est pour les Azdjer, c’est-à-dire un lieu de refuge dans les années de sécheresse, car l’Ouâdi-Akâraba, avec ses nombreux affluents du Sud et du Nord, est réputé pour l’abondance de ses eaux souterraines. On dirait que, dans le Sahara, la Providence ait voulu soustraire les eaux à l’action dévorante du soleil en remplaçant les rivières à ciel ouvert de nos climats par des rivières souterraines. Cette particularité, bien connue des indigènes, est appelée par eux Bahar-taht-el-Ardh, mer sous terre. Le géographe doit tenir compte de cette particularité dans la détermination des lits de ces rivières.

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