Les Touâreg du nord
[14]Caillié écrit Helk, mais, par la description de la contrée à laquelle il donne ce nom, il est facile de reconnaître qu’il a mal entendu le mot ’Erg.
[15]Hamâd-el-’Atchân est situé près de Tîn-Fedjaouîn ; c’est un point très-facile à trouver, car on y signale des peupliers blancs (safsaf), arbres exceptionnels à cette latitude.
[16]Tasîli signifie plateau élevé et accidenté ; hamâda désigne un plateau large, plat et bas ; bâten est une expression géographique propre au Sahara, qui correspond au mot colline.
[17]Je suis d’autant plus disposé à croire à la formation volcanique du pic d’Ifettesen, que dans la plaine d’Adjemôr, au pied du plateau, se trouve une source sulfureuse, Dhâyâ-el-Kâhela.
[18]Le massif d’Aïr aussi renferme des roches pyrogènes.
[19]Le radical ghar, ghor, ghir, gher, signifie eau qui ruisselle. Dans le mot Igharghar on a répété deux fois le radical pour produire le son imitatif de l’eau quand elle coule avec rapidité.
CHAPITRE III.
HYDROGRAPHIE.
Du Ahaggâr et du Tasîli descendent trois longues vallées : l’une au Nord, l’Ouâdi-Igharghar ; l’autre au Sud, l’Ouâdi-Tâfassâset ; la troisième à l’Ouest, l’Ouâdi-Tîrhehêrt. Elles méritent une attention particulière comme principales gouttières d’écoulement des eaux de cette partie du Sahara. Les lits de ces ouâdi, aujourd’hui à sec, ont dû être autrefois des rivières importantes.
Ouâdi-Igharghar : L’Ouâdi-Igharghar, sorti d’un des points culminants du Ahaggâr, reçoit une grande partie des eaux de ce massif et de celui du Tasîli du Nord ; à son issue des montagnes, il traverse, du Nord au Sud, l’extrémité occidentale du plateau de Tînghert, la région des dunes de l’’Erg, passe un peu à l’Est d’Ouarglâ et vient se perdre à Goûg, village le plus méridional de l’Ouâd-Rîgh, après un cours de 1,000 kilomètres au moins.
A l’endroit où le lit de l’Igharghar se perd dans la dépression de l’Ouâd-Rîgh, qui, en somme, n’en est que la prolongation, il existait jadis un petit hameau, celui de Sîdi-Boû-Hânia, aujourd’hui ruiné, près duquel on trouve encore une Ghâba (forêt) de palmiers dans le bas-fond d’une sebkha et la Goubba où est enterré le marabout qui a donné son nom à la localité.
Sur tout le cours de cette longue vallée, les puits creusés dans son lit ne fournissent qu’une eau salée et amère comme celle de la sebkha de Sîdi-Boû-Hânia et d’une partie des puits artésiens de l’Ouâd-Rîgh, tandis que les puits creusés en dehors du lit, sur les berges de la vallée, en donnent de bonne qualité.
La direction générale du bassin de l’Igharghar, du Sud au Nord, la cessation de son lit à l’entrée de la dépression de l’Ouâd-Rîgh, la nature similaire des eaux des puits creusés dans son lit avec celles des eaux souterraines de Tougourt permettent de conclure que la nappe artésienne constatée dans la ligne de bas-fonds de l’Ouâd-Rîgh est alimentée par les eaux du Ahaggâr et du Tasîli.
Cette nappe artésienne, qu’on croyait, jusqu’à ce jour, limitée aux bassins des oasis de l’Ouâd-Rîgh et d’Ouarglâ, paraît se prolonger plus au Sud au delà de la zone de l’’Erg ; car, à Timâssanîn, à l’extrémité occidentale de la dépression d’El-Djoua, existe un puits artésien, aujourd’hui très-mal entretenu et à peu près comblé, mais dont M. Isma’yl-Boû-Derba a constaté l’existence en se rendant à Rhât. C’est avec les eaux de ce puits que les serviteurs de la Zaouiya de Timâssanîn arrosent leurs cultures.
Ce fait, confirmatif d’ailleurs d’autres indications, me porte à croire que des forages artésiens pourraient être tentés, non sans chance de succès, au delà de l’’Erg, notamment dans la dépression d’El-Djoua, vers Ohânet, et sur toute la ligne de la grande vallée des Igharghâren, entre Timâssanîn et Rhât, au pied des versants du Tasîli.
Dans la vallée d’Ouarâret, à Ihanâren, et au delà de l’Akâkoûs, à Serdélès, à la tête même des eaux du bassin, des puits artésiens existent ; on peut donc, sans trop de présomption, espérer le succès de semblables puits en contre-bas.
L’intérêt géographique qui s’attache au passage de l’Ouâdi-Igharghar à travers les dunes de l’’Erg m’a engagé à recueillir le plus de renseignements possibles sur le cours de cette rivière dans cette région. Voici ceux qui m’ont été fournis par le Cheïkh-’Othmân, propriétaire et chef de la Zaouiya de Timâssanîn :
A une grande journée de marche de Timâssanîn, droit au Nord, un puits a été creusé sur la rive droite de l’Igharghar, par El-hâdj-el-Bekri, père du Cheïkh-’Othmân. Ce puits porte le nom de Tânezroûft, du nom de la localité.
A six journées au Nord de ce puits, dans le lit de la rivière, se trouve la source salée d’’Aïn-El-Mokhanza.
En aval, en un point où l’ouâdi prend le nom arabe d’Ouâdi-es-Sâoudy, est un second puits, celui de Meggarîn.
A six kilomètres en descendant le cours de l’ouâdi, est le puits d’El-Khadrâya.
A trois kilomètres, dans le thalweg même, se trouve la source d’El-Khadra ; là encore, la rivière change de nom et devient l’Ouâd-Chegga.
A El-Metekki, à douze kilomètres d’’Aïn-El-Khadra, est un quatrième puits.
A égale distance, un cinquième se nomme Bey-Sâlah.
Entre ce point et Sîdi-Boû-Hânia, se trouve un dernier puits, celui de Matmata.
En allant d’El-Ouâd à Ouarglâ, j’ai traversé le bas-Igharghar, au puits de Bey-Sâlah, et je lui ai trouvé un lit large et profond, sur la nature duquel il n’est pas permis de se tromper, car on y reconnaît facilement des alluvions provenant de contrées autres que celles de l’’Erg.
Un intérêt géographique, non moins grand, s’attache à la détermination précise des origines de cet immense bassin. Ma confiance dans les renseignements que m’ont fournis les Touâreg à ce sujet est égale à celle en mes observations personnelles, car tous les Sahariens sont d’excellents hydrographes.
Voici les déterminations que je considère comme exactes :
La source la plus méridionale de l’Igharghar, celle qui fournit des eaux à la ville d’Idèles, sort de l’Atakôr-n-Ahaggâr.
Du flanc Nord-Est de cette montagne naissent d’autres affluents qui, après avoir longé ou traversé la plaine d’Amadghôr[20], viennent se réunir au lit principal.
Le Mouydîr et le rebord occidental du Tasîli, entre lesquels l’Igharghar marche dans une vallée encaissée, y déversent les eaux de leurs nombreux ravins.
A la hauteur d’El-Bîr, au Sud-Ouest de Timâssanîn, on reconnaît l’amorce de la tête orientale, celle alimentée par les nombreux Igharghâren qui descendent des points les plus élevés du Tasîli et donnent leur nom à la plaine qu’ils traversent.
Cette tête se prolonge dans l’Est au delà du Tasîli, car la vallée d’Ouarâret, celle du Tânezzoûft, celle de l’Ouâdi-Serdélès et la partie occidentale du désert de Tâyta, appartiennent aussi au même bassin, bien que des barrages d’alluvions et de dunes en fassent autant de bassins secondaires fermés aujourd’hui.
Indépendamment de ces deux têtes principales, l’Igharghar reçoit : sur sa rive droite, à travers les sables, toutes les gouttières du plateau de Tînghert et de l’immense bassin de l’’Erg ; sur sa rive gauche, les eaux du Tâdemâyt par l’Ouâd-Miya, celles du plateau des Chaa’nba par de nombreux ravins, celles du plateau des Benî-Mezâb par l’Ouâd-Mezâb, celles de la chaîne atlantique même par l’Ouâd-Djedi. Il est vrai que tous ces ouâd, aujourd’hui envahis par des sables ou des alluvions, n’envoient plus leurs eaux au lit principal du bassin que par des filtrations souterraines qui ont transformé un grand fleuve en nappes artésiennes, alimentant ou des puits jaillissants ou des lacs vaseux successivement échelonnés jusqu’à la mer sur le parcours de l’ancien lit.
Nous verrons plus loin que cette situation ne date pas d’hier.
Ouâdi-Tâfasâsset : A quelques kilomètres au Sud des points où l’Igharghar prend ses nombreuses sources, on est à peu près certain de trouver autant d’origines du Tâfasâsset.
Ses affluents supérieurs partent, les uns du Ahaggâr, les autres du Tasîli, et voyagent isolément dans deux lits séparés jusqu’en un désert, au Sud-Ouest des puits d’Asiou, où ils se réunissent.
La branche orientale, après avoir reçu tous les ouâdi qui descendent du plateau de Tasîli et de la chaîne d’Anhef, en longeant le pied de cette chaîne, change de direction à partir du puits de Falezlez pour prendre celle du Sud ; à la hauteur des puits d’Asiou, elle se détourne vers le Sud-Ouest pour se joindre à la branche occidentale, l’Ouâdi-Tin-Tarâbin, dont la direction générale est Nord et Sud, et gagner l’Ahaouagh, au centre du pays des Aouélimmiden.
D’après le Cheïkh-’Othmân, l’Ouâdi-Tâfasâsset, dans son cours inférieur, recevrait sur ses deux rives de nombreux affluents venant des montagnes de l’Adghagh dans l’Ouest et de celles d’Azben dans l’Est.
Je n’ai pu savoir de mes informateurs si cette rivière atteignait le Niger, dont le pays d’Ahaouagh est limitrophe. Cela est très-probable, même dans l’état actuel, quoique, faute d’un courant d’eau qui l’entretienne, le lit des rivières sahariennes ne soit pas toujours nettement marqué. M. le docteur Barth indique au Sud et à l’Est de Saï des ouâdi dont l’un pourrait bien être le confluent du Tâfasâsset dans le Niger. Une étude spéciale du pays des Touâreg du Sud pourra seule nous apprendre si la communication existe d’une manière continue.
Quoi qu’il en soit, un fait important est désormais acquis à la géographie physique du Sahara : c’est que les massifs du Ahaggâr et du Tasîli ont formé jadis un partage d’eau entre la Méditerranée, par le golfe de Gâbès, et l’Océan Atlantique, par le Niger et le golfe de Benin.
Ouâdi-Tîrhehêrt : Selon toute probabilité, une troisième grande vallée formée à son origine des bassins de l’Ouâdi-Tîrhehêrt et de l’Ouâdi-Akâraba, partirait du Mouydîr pour aller, dans l’Ouest, aboutir au lac Debaya et, de là, déverser les eaux du versant occidental du massif du Ahaggâr dans l’Océan Atlantique par le canal de l’Ouâd-Dráa.
Mais, pour arriver à l’Ouâd-Dráa, ces eaux auraient à traverser les dunes d’Iguîdi, et le bassin même de la vallée disparaîtrait sous des masses de sables.
Dans cette hypothèse, les eaux qui descendent de l’Atlas marocain par les lits de l’Ouâd-Messaoura, de l’Ouâd-Guîr, de l’Ouâd-Tafilelt, et qui se perdent aujourd’hui dans les sables, se réuniraient souterrainement à celles de l’Akâraba et du Tîrhehêrt pour aller alimenter le grand lac du Sahara marocain, comme celles de l’Igharghar, après de nombreuses disparitions et réapparitions, se retrouvent dans le Rîgh, le Melghîgh et les chott du Sud de la Tunisie.
Malheureusement, les déserts compris entre le pays des Touâreg et le grand lac de l’Ouâd-Dráa n’ont été explorés par aucun européen et sont même très-peu connus des indigènes, et à défaut d’indications plus précises, je ne dois pas aller au delà des informations des hommes qui connaissent le mieux la géographie de cette partie du Sahara.
D’après le Cheïkh-’Othmân, « l’Ouâdi-Tîrhehêrt, que les Touâreg du Ahaggâr appellent Tîrhejîrt et les Aouélimmiden nomment Teghâzert, prendrait sa source au point culminant du Mouydîr, dans la grande montagne d’Ifettesen qui donne aussi naissance à l’Ouâdi-Akâraba et à l’Ouâdi-Rharis ; puis, dès sa sortie de la montagne, il se dirigerait droit à l’Ouest, pour aller passer entre In-Zîza et Ouâllen en coupant le Bâten Ahenet. Il entrerait dans le Tânezroûft en un endroit appelé Sedjendjânet et de là tournerait au Nord pour aller se perdre dans les dunes d’Iguîdi en se dirigeant vers le bassin de l’Ouâd-Dráa où les sables l’empêchent d’arriver.
« Au delà de Sedjendjânet, le cours de cet ouâdi est peu connu, car il traverse alors des terrains inhabités et parcourus seulement par les voleurs de grands chemins. »
Ouâdi-Akâraba : Parallèle à l’Ouâdi-Tîrhehêrt, l’Ouâdi-Akâraba naît comme lui dans le Mouydîr et comme lui se perd dans les sables d’Iguîdi.
Le point du pic d’Ifettesen, où se trouve sa source, se nomme Immahegh.
D’après les indigènes, cet ouâdi apporte souterrainement aux oasis du Tidîkelt et d’Aqabli les eaux d’alimentation de leurs puits à galeries, comme l’Igharghar fournit à l’Ouâd-Rîgh celles de ses puits artésiens.
Ainsi, quoique le nom d’ouâdi, dans le Sahara, soit à peu près synonyme de lit de rivière sans eau, les lignes de bas-fonds qui les caractérisent n’en ont pas moins d’importance, car leurs eaux d’infiltration y alimentent, ou des puits ordinaires, ou des puits à galeries, ou des puits artésiens, quelquefois des lacs temporaires, Rhedîr ou Abankôr, même des lacs permanents, Adjelmâm, et enfin des sources assez communes dans les montagnes.
L’eau ne manque donc pas d’une manière absolue sur le plateau central du Sahara, ainsi qu’on le croit généralement ; cependant elle y est rare, parce que les habitants de cette contrée, ou faute de temps ou faute de moyens industriels suffisants, n’exécutent pas les travaux qui la leur donneraient en plus grande abondance.
Quelques mots sur ces divers compléments de l’hydrographie saharienne.
Puits ordinaires : Permanents, on leur donne, suivant leur profondeur, les noms de Mouï, ’Ogla, Bîr ou Hâsi ; temporaires, ils portent celui de Themed.
Rarement, les puits sahariens atteignent une grande profondeur, car on s’abstient d’en creuser là où le forage et le puisage de l’eau demanderaient trop de travail.
On s’abstient également d’en ouvrir partout où ils pourraient devenir des points de station et de refuge pour des maraudeurs. Souvent le besoin de sécurité pour les voyageurs ou pour les tribus les a fait combler sur des routes qui en étaient abondamment pourvues.
Sur tout le plateau central, les puits sont encore moins profonds que dans les plaines et dans les hamâd : ainsi dans le bas des vallées, ils n’ont guère plus de quatre à cinq mètres, et, dans les parties supérieures, on trouve l’eau presque à fleur de terre. L’eau de ces puits est généralement bonne.
Fogâr ou puits à galeries : Près des centres d’habitation ou de culture, quand, à l’amont des terrains susceptibles d’être arrosés, on a reconnu, au moyen de puits verticaux, l’abondance d’une couche aquifère, on les réunit entre eux par des galeries horizontales, à pente réglée et inclinée vers le terrain à arroser, de manière à avoir un courant continu.
Ce procédé ingénieux pourrait recevoir plus d’une application utile en Algérie, et même dans certaines contrées de la France.
Ainsi sont arrosées la plupart des oasis du Touât, et quelques-unes de celles du Fezzân.
Puits artésiens : Des puits artésiens ont été creusés avec succès sur cinq points différents du versant méditerranéen du Sahara.
On en compte 335 dans l’Ouâd-Rîgh ; un grand nombre, dont le chiffre est inconnu, dans l’oasis d’Ouarglâ ; un à Timâssanîn ; une dizaine à Ihanâren ; deux à Serdélès.
Les indigènes donnent le nom d’’Aïn (fontaine) à ces eaux jaillissantes.
Avant l’occupation française, ces puits artésiens étaient creusés à main d’homme, comme les puits ordinaires, et, quelquefois, les puisatiers payaient de leur vie la richesse donnée à leur pays ; autrefois aussi des éboulements les comblaient et rendaient inutile un travail très-pénible ; aujourd’hui notre industrie a introduit dans le Sahara des appareils de forage et de coffrage qui simplifient beaucoup l’opération, et il ne paraît pas douteux (si les tremblements de terre ne viennent pas rompre les tuyaux en fonte dont nous nous servons) qu’avec le temps, le nombre des puits artésiens ne soit considérablement augmenté dans tout le Sahara.
Rhedîr ou Abankôr : On donne, dans le Sahara, le nom de rhedîr soit à des puits, à fleur de sol, creusés dans le lit d’un ouâdi et alimentés par des eaux d’infiltration, soit à des flaques d’eaux pluviales persistantes, ici dans les dépressions des plaines ou des plateaux, là dans les trous des lits desséchés des ouâdi.
En langue temâhaq, les rhedîr des Arabes se nomment abankôr.
Ils sont nombreux ; je me borne à signaler les importants :
Ceux de Tirhorwîn, de Toursêl, sur les sommets du Tasîli ;
Ceux de Sâghen, dans la plaine des Igharghâren ;
Celui de l’Ouâdi-Ohânet, sur le plateau de Tînghert ;
Celui de Meniyet, sur la tête de l’Ouâdi-Tîrhejîrt.
Toujours un fond d’argile est nécessaire pour la conservation des eaux.
Lacs (Adjelmâm en langue temâhaq) : De véritables lacs existent en assez grand nombre sur deux points différents de mon exploration : les uns sur le plateau du Tasîli des Azdjer, les autres dans les dunes d’Edeyen, au Nord du Fezzân.
D’après les Touâreg, il y aurait une quarantaine de lacs dans le Tasîli, sur le parcours de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, mais il est probable que, dans ce nombre, ils doivent comprendre quelques rhedîr. Les plus importants sont ceux de Mîherô, dont le principal porte le nom de Sebbarhbârhet. Un autre lac, également considérable, se trouve sur le versant Sud du Tasîli, à la tête de l’Ouâdi-Tanârh, affluent du Tâfasâsset.
Ces lacs, très-profonds, sont probablement alimentés par des sources assez fortes, car ils ne dessèchent jamais, et des crocodiles y vivent, ce qui implique que le cube de la superficie aquifère est considérable.
Les débordements de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, au moment de mon passage dans le Tasîli, m’ont empêché d’aller reconnaître ces lacs et de constater à quelles causes était due leur formation. Plus heureux, j’ai pu visiter un certain nombre de ceux du Fezzân et apprendre, de visu, ce que j’ai à en dire.
Ils sont au nombre de dix, savoir :
| Le lac | de Mandara, |
| — | de Oumm-el-Mâ, |
| — | de Tâzeroûfa, |
| — | de Mâfou, |
| — | de Bahar-ed-Doûd ou Gabra’oûn, |
| — | de Bahar-et-Trounîa, |
| — | de Oumm-el-hasan, |
| — | de Nechnoûcha, |
| — | de Ferêdrha, |
| — | de Tademka. |
Le Bahar-et-Trounîa ayant été visité par le docteur Vogel, qui avait dans son bagage une petite barque, je me suis abstenu de renouveler une exploration faite par un voyageur plus compétent ; mais j’ai reconnu avec soin ceux dont je vais parler.
Le lac de Mandara peut avoir environ de deux à trois cents mètres de large ; sa forme est circulaire ; il est peu profond. A l’époque où je le visitai (28 mai 1861), il était presque entièrement desséché et les riverains étaient occupés à exploiter le sel qu’il produit. Toute sa circonférence est enveloppée par une ceinture de palmiers à l’ombre desquels on cultive un sorgho appelé gueçob et quelques légumes. En hiver, il y a dans le lac de Mandara des vers comestibles comme ceux que l’on pêche dans le Bahar-ed-Doûd.
Le lac d’Oumm-el-Mâ est intarissable et ses eaux sont vives, ainsi que l’indique son nom ; il a la forme d’une nappe étroite, serpentant au fond d’une vallée ombragée par de très-grands palmiers.
Le lac de Tazeroûfa n’est guère qu’une grande mare qui se dessèche au commencement des chaleurs ; il est entouré d’une double ceinture de palmiers et de tamarix ethel.
Le lac de Mâfou est également petit, mais il ne dessèche jamais et il est très-profond. Sa nappe d’eau bleue, qui miroite à travers le feuillage des palmiers, engage au repos sur ses rives. On pêche dans ce lac des vers de qualité inférieure et des fucus comestibles.
Le Bahar-ed-Doûd est circulaire ; il a environ 300 mètres de largeur ; le sondage en a été fait par le docteur Vogel. Son eau est très-amère et très-salée, tellement saturée de sel, qu’elle a presque l’aspect du sirop. Les fiévreux de tout le Fezzân viennent demander à sa vertu la guérison de leurs maladies. Voulant apprécier par moi-même l’efficacité de cette pratique, je me suis baigné dans le lac et je m’en suis bien trouvé. A deux ou trois mètres de son bord Sud, existent de petits puisards d’eau douce dans lesquels les baigneurs se plongent pour dissoudre la couche de sel qui recouvre leur peau.
Les étoffes de coton, trempées dans l’eau de ce lac, si on ne les a pas débarrassées des matières salines qu’elles contiennent, en les lavant dans l’eau douce avant de les laisser sécher, se brisent et se déchirent sous le moindre effort ; elles ont la propriété de s’enflammer comme de l’amadou ; aussi les emploie-t-on à cet usage.
De même que les lacs précédents, le Bahar-ed-Doûd est entouré de palmiers et de dunes de sables.
Pendant que je prenais un dessin de la vue du lac, j’entendis sous l’eau, et dans la direction de l’Est, une détonation semblable à un coup de tonnerre lointain. Un des indigènes présents ayant entendu comme moi ce bruit, s’emporta en injures contre le lac. Je lui demandai ce que c’était. Il me dit que ce phénomène se reproduisait souvent et que le bruit souterrain venait presque toujours du côté Est ou Sud-Est du lac, c’est-à-dire du côté où les hautes dunes s’élèvent à pic au-dessus des eaux. Je compris alors que le roulement entendu ne pouvait provenir que de l’éboulement des dunes de sables dans le fond du lac. Pendant les détonations, il ne paraît cependant aucun signe d’ébranlement extérieur, soit à la superficie des eaux, soit dans les dunes.
On donne à ce lac le nom de Bahar-ed-Doûd (la mer des vers), et aux riverains celui de Douwâda (hommes des vers), parce qu’on y fait une pêche de vers et de fucus comestibles dont j’aurai à m’occuper dans le chapitre III du Livre suivant.
Les lacs de Nechnoûcha et de Ferêdrha, le premier au Nord-Est, le second au Nord-Ouest du Bahar-et-Trounîa, contiennent du natron comme celui qui en porte le nom.
L’eau d’Oumm-el-Hasan est amère et ne nourrit pas de vers.
Le lac de Tademka, autrefois producteur de vers, n’en donne plus depuis quelque temps.
Tous ces lacs, situés au milieu d’un dédale de dunes de sables, sont alimentés d’eaux par elles.
M. Isma’yl-Boû-Derba a constaté le même mode d’alimentation pour la mare d’’Aïn-et-Taïba, dans l’’Erg, à l’Ouest de l’Igharghar.
Sources : Les sources les plus considérables sont celles de Ghadâmès[21], de Rhât, de Ganderma, d’Idélès, de Djânet, de Temâssînt, de Tît-en-Afara, d’Aherêr, de Tânout, de Tidîdji, d’Aharhar, de Tâzeroûk, de Dhâyet-el-Kâhela, d’Ahêr, de Tadjenoût, etc.
Il est bien entendu que je néglige d’énumérer toutes celles qui n’ont pas une importance réelle.
Les abords de celles citées ci-dessus sont occupés ou par des villes, ou par des villages, ou par des campements permanents. Partout où les eaux sont abondantes, on les emploie à l’arrosage des plantations de palmiers.
Les eaux de la source de Ghadâmès sont thermales[22] ; elles ont 29° 6 dans le vaste bassin qui les reçoit (observation du 9 décembre 1860) ; celles de Sebbarhbârhet, à Mîherô, ont aussi une température élevée, du moins, l’eau sort en bouillonnant et en soulevant des sables. Cependant les Touâreg s’y baignent malgré sa chaleur.
La source de Dhâyet-el-Kâhela, au Nord de l’Ouâdi-Akâraba, est également thermale et probablement sulfureuse, ainsi que l’indique son nom. Les Ahaggâr, qui en font usage, ont reconnu son efficacité contre les fièvres intermittentes contractées au Touât.
[20]Ama, en temâhaq, indique la possession. Ghôr est synonyme de ghar, rivière. Amadghôr ne serait-il pas un mot technique équivalent de tête de la rivière ?
[21]M. Lefranc, pharmacien militaire, a analysé 1 kilogramme de l’eau de Ghadâmès rapporté par M. le capitaine de Bonnemain. Voici le résultat de son opération (année 1858, Nouvelles Annales des Voyages) :
| Gr. | milligr. | |
|---|---|---|
| Chlorure de sodium | » | 800 |
| Sulfate de soude | » | 250 |
| — chaux | » | 750 |
| Carbonate de chaux | » | 200 |
| — magnésie | » | 100 |
| Chlorure de magnésium | » | 250 |
| 2 | 350 |
[22]Une seconde analyse de l’eau de Ghadâmès, faite en 1863, au laboratoire des mines d’Alger (Mission de Ghadâmès, Alger, 1863, p. 260), a donné par 1000 grammes les résultats suivants :
| Grammes. | ||
|---|---|---|
| Chlorure de sodium | 0,6210 | |
| — potassium | 0,0200 | |
| Sulfate de chaux | 0,9000 | |
| — magnésie | 0,3860 | |
| — soude | 0,3424 | |
| Acide azotique | traces | » |
| Carbonate de chaux | 0,1013 | |
| — magnésie | 0,0975 | |
| Silice | 0,0060 | |
| Oxyde de fer | 0,0050 | |
| 2gr.,4792 | ||
CHAPITRE IV.
GÉOLOGIE.
Ce chapitre comprendra cinq sections :
1o Ma route d’El-Ouâd à Ghadâmès, du Nord-Ouest au Sud-Est ;
2o Ma route de Ghadâmès à Rhât, du Nord au Sud ;
3o Ma route de Tîterhsîn à Zouîla, de l’Ouest à l’Est ;
4o Ma route de Mourzouk à Bondjêm, du Sud au Nord ;
5o Divers renseignements sur le Tasîli et le Ahaggâr, de l’Est à l’Ouest.
PREMIÈRE SECTION.
D’EL-OUÂD À GHADÂMÈS.
Toute cette section, sur un parcours de trente-sept myriamètres, est un amas de dunes de sable, qui, à très-peu d’exceptions près, couvrent la surface du sol primitif et laissent peu de place à aucune observation géologique autre que celle de la formation des dunes elles-mêmes.
Le sable de ces dunes, fin, jaunâtre, varie dans ses caractères physiques, comme aussi probablement dans ses caractères chimiques, suivant les localités.
J’ai rapporté plusieurs échantillons de ces sables ; je regrette de n’avoir pu en faire l’analyse. Ils figureront dans ma collection géologique sous les numéros 1, 2, 3 et 4.
On s’est livré à beaucoup d’hypothèses pour expliquer l’accumulation d’une aussi grande masse de sables sur une aussi immense étendue ; je ne crois pas que, dans la limite des observations exactes, incontestables, faites dans les dunes sahariennes, il soit encore permis de déduire la loi générale d’un fait géologique aussi considérable.
M. le docteur Marès a vu dans l’Ouest, autour de la Dhâya-Hâbessa, des dunes qui contenaient des coquilles fossiles du terrain sur lequel elles reposaient, et, avec raison, il a conclu de son observation personnelle que ces dunes avaient été formées sur place.
M. F. Vatonne, ingénieur des mines, qui, comme moi, a traversé l’’Erg entre El-Ouâd et Ghadâmès, mais à petites marches et de jour, et qui a pu étudier cette région avec plus de temps et de compétence, termine son excellent mémoire[23] en émettant l’opinion qu’il ne peut exister aucun doute sur la formation des dunes sur place, formation due à la destruction des éléments constitutifs de la roche primitive.
« Cette destruction, dit-il, est due à la dilatabilité des roches, à la présence du gypse, à l’action des agents atmosphériques, notamment de l’eau, qui a amené à l’état farineux, c’est-à-dire à un état de désagrégation complet, les roches de carbonate de chaux et de gypse ; cette désagrégation de la roche amène un foisonnement, développe une pression intérieure sous laquelle les couches dures des plateaux sont complétement brisées, etc. »
M. Vatonne, convaincu que la formation des dunes est due à cette cause unique, conclut de leur fixité, de l’absence de sables dans certaines cuvettes, de l’inégalité même de la surface des sables, que l’action des vents n’a d’autre effet que de déterminer les formes de quelques dunes, et ne peut être invoquée comme cause générale de formation.
Comme M. Vatonne, et quoique voyageant dans les dunes, à grande vitesse, nuit et jour, j’ai constaté des goûr rocheuses à côté de ghourd exclusivement composés de sables ; comme lui, j’ai aussi été frappé du grand nombre de roches à l’état de décomposition. Toutefois ce fait de désagrégation des roches n’est pas une exception limitée à la région de l’’Erg, mais l’effet d’une loi générale, commune à toutes les parties du Sahara que j’ai visitées.
Dans l’ensemble de mes études, j’ai été beaucoup plus frappé de la dénudation complète des hamâd et des montagnes à l’amont des bassins des dunes.
| Pl. II. | Page 35. | Fig. 2, 3, 4, 5, 6. |
J’ai été beaucoup plus surpris de l’élévation de ces témoins géologiques de l’ancien niveau du sol, que les indigènes appellent gâra (pl. goûr) et qu’on trouve, de distance en distance, dans chaque hamâda.
(Voir figure no 1 de la planche ci-contre.)
J’ai été non moins étonné, dans les massifs montagneux, de rencontrer, indépendamment de roches entièrement dénudées, ici, à Idînen, par exemple, une sorte de squelette décharné affectant les formes et les découpures les plus bizarres ; là, à Takarâhet dans le Tasîli, des blocs titaniens, supportés sur une base étroite et représentant l’action érosive des eaux sur les parties les plus tendres de la roche ; ailleurs, dans la presque totalité des ouâdi, des berges de soixante à cent mètres de hauteur, taillées à pic comme des murailles, tantôt assez étroites pour qu’un chameau avec sa charge y passe difficilement, tantôt larges de plusieurs kilomètres, disposition géographique que les Touâreg désignent sous le nom spécial d’aghelâd, correspondant au khanga des Arabes.
(Voir figures nos 2, 3, 4 et 5 de la planche ci-contre.)
Quand, par la pensée ou la plume à la main, j’additionne une à une la superficie des espaces dénudés autour de chaque groupe de dunes, quand j’établis le cube du vide que laissent entre eux tous les témoins géologiques du niveau de l’ancien sol et quand je compare la masse des matériaux enlevés ici et apportés là, soit par les pluies, soit par les vents, je me demande ce qu’est devenu le cube du vide, si les dunes sont formées sur place, car je ne retrouve pas le total des déblais dans l’ensemble des remblais, si considérable qu’il soit.
La carte qui accompagne le deuxième volume de cette étude comprend la totalité des divers groupes de dunes du Sahara occidental, entre le golfe de Gâbès dans la Méditerranée et le Sénégal sur la côte de l’Océan Atlantique.
Ces groupes sont au nombre de sept :
Celui d’Edeyen, du 27° au 28° latitude N. et du 6° au 12° longitude E. ;
Celui de l’’Erg, du 29° au 34° latitude N. et du 7° longitude E. au 3° longitude O. ;
Celui d’Iguîdi, du 24° au 30° latitude N. et du 3° au 5° longitude O. ;
Celui de Maghtîr, du 22° au 27° latitude N. et du 5° au 14° longitude O. ;
Celui d’Adâfer, du 20° au 23° latitude N. et du 4° au 13° longitude O. ;
Celui d’Akchar, du 19° au 23° latitude N. et du 16° au 18° longitude O. ;
Celui d’Iguîdi des Trârza, du 16° au 18° latitude N. et du 17° au 19° longitude O.
La superficie des espaces que ces groupes de dunes couvrent (superficie très-approximative, bien entendu, hypothétique même dans beaucoup de cas), est de 45,000,000 d’hectares, savoir :
| Nomb. d’hect. | |
|---|---|
| Édeyen | 2,000,000 |
| ’Erg | 12,000,000 |
| Iguîdi | 8,000,000 |
| Maghtîr | 12,000,000 |
| Adâfer | 10,000,000 |
| Akchar | 500,000 |
| Iguîdi des Trârza | 500,000 |
| Ensemble | 45,000,000 |
A chacun de ces groupes de dunes correspondent des plateaux alimentateurs dont la superficie est triple environ, savoir :
| Nomb. d’hect. | |||
|---|---|---|---|
| Pour Edeyen | Le Hâroûdj | 3,000,000 | |
| Le plateau de Mourzouk | 6,000,000 | ||
| Le désert de Tâyta | 2,000,000 | ||
| L’Akâkoûs | 1,000,000 | ||
| Total | 12,000,000 | ||
| Pour l’’Erg | Le plateau de la Syrte | 6,000,000 | |
| La Hamâda-el-Homra | 8,000,000 | ||
| Le plateau de Tînghert | 2,000,000 | ||
| Le Tasîli du Nord | 4,000,000 | ||
| Les versants N. et E. du Ahaggâr | 4,000,000 | ||
| La chebka du Mezâb | 2,000,000 | ||
| Le plateau des Cha’anba | 3,000,000 | ||
| Le plateau des O.-S. Cheïkh | 2,000,000 | ||
| Le plateau de Tâdemâyt | 2,000,000 | ||
| Total | 33,000,000 | ||
| Pour Iguîdi | Le plateau de Groûz | 2,000,000 | |
| La plaine d’Adjemôr | 1,000,000 | ||
| Le plateau du Mouydîr | 1,000,000 | ||
| Le versant O. du Ahaggâr | 8,000,000 | ||
| Le Bâten Ahenet | 6,000,000 | ||
| Total | 18,000,000 | ||
| Pour Maghtîr | Le versant S. du Ahaggâr | 2,000,000 | |
| Le Tasîli du Sud | 4,000,000 | ||
| Le désert de Tânezroûft | 4,000,000 | ||
| Le désert d’Ouarân | 4,000,000 | ||
| Le plateau des ’Arîb | 2,000,000 | ||
| Le plateau de l’Ouâd-Dráa | 4,000,000 | ||
| Total | 20,000,000 | ||
| Pour Adâfer | L’Adghagh de Kîdal | 8,000,000 | |
| L’Azaouad | 6,000,000 | ||
| Le désert d’Oualâta | 6,000,000 | ||
| Total | 20,000,000 | ||
| Pour Akchar | Le plateau des O. Delîm | 6,000,000 | |
| L’Adrâr de Bafour | 2,000,000 | ||
| Total | 8,000,000 | ||
| Pour Iguîdi des Trârza | Le plateau de Tâgant | 2,000,000 | |
| Le désert d’Aftot | 6,000,000 | ||
| Total | 8,000,000 |
L’ensemble général de ces plateaux, dont la superficie a été plutôt diminuée qu’augmentée, donne un total de 119,000,000 d’hectares.
Bien entendu, ces chiffres ne représentent ni la superficie réelle des bassins des dunes ni celle des plateaux qui les alimentent, mais seulement les surfaces que je suppose couvertes de sable d’un côté et celles dénudées de l’autre.
L’observation de la totalité des dunes sahariennes nous les montre suivant une direction générale, du Nord-Est au Sud-Ouest : elle nous les montre sur une ligne plus étroite dans le vaste couloir entre le relief atlantique et le plateau central du Sahara, puis s’élargissant et s’étendant vers le Sud dès que les assises du Ahaggâr s’abaissent.
La disposition réciproque des montagnes du Nord et des montagnes du Sud ne permet pas d’assigner une autre direction générale aux vents, du moins à celle de leurs couches qui se rapproche le plus de terre.
De là, une première indication qui permet, sans trop sortir du domaine de l’observation scientifique, d’attribuer à l’action dominante des vents combinée avec l’action secondaire des eaux, la distribution générale des masses de sable telle que nous la constatons dans la partie occidentale du Sahara.
Examinons maintenant la question de production.
En tout pays, la source de production des sables la plus considérable, si ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches.
Dès que cet itinéraire géologique atteindra les parties rocheuses de mon exploration, j’aurai soin de signaler les matériaux en décomposition spontanée, et on verra qu’ils sont relativement nombreux.
Toutefois, il est une cause générale et permanente de désagrégation de la partie superficielle des roches, qui me paraît avoir une grande part dans la production des sables ; je veux parler de l’action atmosphérique.
En général, la surface rocheuse des hamâd, des tasîli, des adrâr, en un mot de toutes les parties relevées du relief saharien, est à nu et n’est garantie contre les influences atmosphériques extérieures, ni par des terres, ni par des produits végétaux.
Par suite, la lumière, la chaleur, le froid, les pluies torrentielles, l’électricité agissent directement sur la surface extérieure des roches.
Il est difficile d’apprécier l’action de la lumière, mais la plaque photographique nous révèle que la lumière solaire modifie les points par elle atteints en raison de son intensité ; or, dans le Sahara la lumière est intense, et nous avons la preuve de son action directe par la coloration bronzée, noirâtre, brûlée, de la superficie de la presque totalité des roches.
La lumière lunaire, dont l’influence sur la décomposition de certaines pierres est démontrée, agit dans le Sahara encore plus qu’ailleurs, car les nuits y sont d’une pureté admirable.
Les extrêmes de la température, atteignant souvent au soleil de 65 à 70 degrés dans le jour et descendant quelquefois à 5 degrés au-dessous de zéro pendant la nuit, amènent inévitablement à la superficie des roches des dilatations et des condensations dont l’effet immédiat est la désagrégation de la partie la plus friable de leurs éléments.
L’électricité, assez abondante souvent pour que le moindre frottement dégage des étincelles des vêtements, a bien aussi sa petite action perturbatrice, action inconnue, inappréciable, mais qu’on n’oserait nier.
Adviennent, pour compléter la série de ces agents de décomposition, l’action dissolvante et la force impétueuse des pluies torrentielles, et l’on comprendra que la production quotidienne des sables dans le Sahara a dû, avec le temps, donner des masses aussi considérables que celles des dunes, quel que soit le cube qu’elles représentent.
J’ai eu l’occasion, le 30 janvier 1861, étant à Oursêl, au pied du Tasîli, d’observer le débordement d’un des nombreux torrents qui descendent de cette montagne. La rapidité du courant était d’un mètre à la seconde et les eaux charriaient des alluvions dans des proportions telles que je regrette de ne pas en avoir constaté la quantité. Toutefois, on en aura une idée par ce fait, qu’après leur dépôt les Touâreg ont pu ensemencer des céréales là où la veille il n’y avait pas de terre végétale.
Ajouterai-je que, dans les temps antérieurs à l’histoire, l’action volcanique attestée dans le Djebel-Nefoûsa, la Sôda, le Hâroûdj, le Tasîli et le Ahaggâr, a dû contribuer, dans des proportions considérables, à la dislocation des roches et à la désagrégation de leurs éléments constitutifs ?
Le Sahara, en son entier, est donc un foyer de grande production de sables, et ces sables, s’ils ne restent pas sur place, doivent se retrouver ailleurs.
De la production des sables, je passe à leur circulation.
Les deux grands moteurs de la circulation des sables sont les courants atmosphériques et les torrents.
Pour les sables charriés par les courants atmosphériques, voici ce qui est démontré :
M. Ehrenberg a eu l’occasion d’analyser des sables et des terres de divers points du bassin du lac Tsâd qui lui avaient été envoyés par les docteurs Barth et Vogel, et dans ces sables et terres il a reconnu cent trente-trois formes d’animaux infusoires qu’il a déterminés.
Le savant professeur a fait aussi recueillir sur la côte occidentale d’Afrique, en pleine mer, à bord des navires, les matières charriées par les pluies de sable qui y sont communes, et, en analysant ces matières, il y a retrouvé quelques infusoires des sables du bassin du lac Tsâd.
Or, entre le lac Tsâd et la côte occidentale d’Afrique, il n’y a pas moins de 30 degrés de longitude.
M. Ehrenberg explique ces transports de sables à de si grandes distances par la grande raréfaction de l’air échauffé dans le Sahara.
Pendant mon voyage, j’ai pu constater, plusieurs fois, des faits de circulation de grandes masses de sables par des courants atmosphériques. Je cite, entre autres, les observations suivantes extraites de mon journal :
20 février 1861. — Campement de Tîterhsîn. — Observations de 9 heures 15 minutes du matin : Bar. aner. 713.50. — Therm. fr. 25°8. — Ciel voilé. — Vent du Sud modéré.
Observation de 1 heure 30 du soir : A 1,500 mètres dans le N.-E. trombe de sable, haute de 50 mètres au moins, chassée par un vent du S.-E.
Observations de 3 heures du soir : Bar. aner. 704.10. — Therm. fr. 30°75. — Ciel nuageux. — Vent du Sud assez fort.
28 avril 1861. — Même campement. — Observations de 6 heures du matin : Bar. aner. 704.65. — Therm. fr. 22°3. — Ciel couvert. — Vent E. faible.
Observation de 1 heure 30 du soir : Pluie par intervalle ; un immense nuage de sable, rougeâtre, semblable à l’aspect d’un vaste incendie, passe à l’E., à fleur de terre, en s’élevant vers le ciel. Sa marche, du S.-O. au N.-E., est rapide comme celle d’un vent violent.
Observations de 3 heures du soir : Bar. aner. 699.50. — Therm. fr. 31°4. — Ciel couvert. — Vent du S.-O. fort. — Pluie froide.
30 avril 1861. — En route d’Iferdjan à In-Lêlen. — Observations de 6 heures 30 du matin : Bar. aner. 704.60. — Therm. fr. 21°8. — Ciel couvert. — Vent E. presque nul.
Observation de 3 heures du soir : Un coup de vent terrible du S. amène un nuage de sable, rouge, comme s’il était chargé de flammes. Il se rue sur notre caravane, accompagné de grosses gouttes qui ressemblent à de la neige fondue.
Observations de 7 heures du soir : Bar. aner. 697.10. — Therm. fr. 31°7. — Ciel couvert. — Vent du Sud modéré.
3 mai 1861. — Campement de Serdélès. — Observation de 2 heures du soir : Coups de tonnerre prolongés, lointains, au S. magnétique.
Observations de 3 heures : Bar. aner. 694.40. — Therm. fr. 34°. — Ciel couvert. — Vent O. faible.
Observation de 3 heures 45 : Une trombe de sable importante, rouge comme les précédentes, passe au S.-E. Sa marche est vers l’E. Quelques gouttes de pluie.
Observations de 7 heures 30 : Bar. aner. 700.00. — Therm. fr. 27°5. — Ciel couvert. — Vent du S.-S.-O. modéré. — Quelques gouttes de pluie.
D’où provenaient les sables dont ces trombes étaient chargées ? où sont-ils allés se fixer ? Je l’ignore. En reproduisant ces observations, j’ai voulu constater leur fréquence et préciser les conditions dans lesquelles elles se produisent.
J’ai choisi à dessein la période de février à mai, parce qu’alors je me trouvais à la ligne de partage des bassins méditerranéen et océanien, et sous le vent des plateaux alimentateurs des dunes.
Si les vents soulèvent les sables sur les plateaux, les réunissent en trombes pour les transporter à de grandes distances, ce sont incontestablement les courants d’eau qui les fixent dans les bassins où nous les trouvons. Du moins, cela est exact pour le bassin de l’’Erg que j’ai plus particulièrement observé et étudié. L’hydrographie de cette immense cuvette nous la représente, en effet, comme l’aboutissant des eaux de toutes les montagnes environnantes.
En est-il de même ailleurs ? C’est probable, mais je ne puis l’affirmer.
On jugera de l’action des eaux par les faits suivants :
Au printemps de 1862, une pluie d’orage tombée sur le versant Ouest du Ahaggâr amena de telles quantités d’eau dans les vallées d’Idjeloûdjâl et de Tarhît qu’elles entraînèrent une partie de la montagne. L’action des eaux fut assez prompte pour qu’une nezla (tribu) entière, campée au débouché des deux vallées, pérît corps et biens. Trente-quatre personnes et un grand nombre de chameaux furent noyés. Une chamelle qui paissait tranquillement sur la portion de la montagne emportée par les eaux, fut retrouvée saine et sauve, trois jours après l’événement, à une très-grande distance, sur le terrain même où elle avait été surprise et qui, après une longue navigation, était venu échouer sur une des berges de l’ouâdi.
Avant 1856, sur la rive gauche de l’Ouâdi-Tîterhsîn, existait une ligne de dunes, du nom d’Azekka-n-Bôdelkha, assez hautes pour que les chameaux ne pussent les franchir. Advint alors une crue accidentelle dans l’ouâdi, et elle eut la puissance de faire disparaître toute la masse de sable qui composait ces dunes.
La force motrice des eaux, dans le Sahara, n’est pas seulement démontrée par les déblais qu’elles produisent sur certains points ; elle l’est aussi par les immenses barrages que leurs alluvions créent sur d’autres et qui, de siècle en siècle, modifient les cours des ouâdi.
Le bassin de l’Igharghar offre de nombreux exemples de ces barrages. Jadis il communiquait avec la mer par le golfe de Gâbès et y portait les sables qu’il charriait. Aujourd’hui une barre de terre et de sable de dix-huit kilomètres sépare le Chott du Nefzâoua de la mer. C’est à peine si on reconnaît dans la ligne de bas-fonds de l’Ouâdi-Akarît l’amorce de l’ancienne communication.
Jadis, à l’époque de Ptolémée, le Chott-el-Kebîr du Nefzâoua, sous le nom de lac Triton, le Chott-el-Djerîd, sous celui de Pallas, le Chott-Melghîgh, sous celui de Libye, communiquaient entre eux, ou ne formaient, comme à l’époque d’Hérodote, qu’un seul lac, sous le nom de Triton ; aujourd’hui ces anciens lacs, sans affluents, ne sont même plus des lacs, mais des bas-fonds de chott, submergés en hiver, desséchés en été. Toutefois, il ne serait pas prudent de s’aventurer à les parcourir sans guide, car sur certains points, notamment dans le Chott-Melghîgh, on disparaîtrait sans laisser trace de son passage.
Jadis, la tête orientale de l’Igharghar, formée de l’Ouâdi-Serdélès, de l’Ouâdi-Tânezzoûft, de l’Ouâdi-Ouarâret, de l’Ouâdi-Tîterhsîn et de l’Ouâdi-Tikhâmmalt qui les réunissait tous, communiquait avec la tête occidentale venant du Ahaggâr ; aujourd’hui, chaque affluent de la tête orientale forme un ouâdi distinct, aboutissant à des sables qui absorbent leurs eaux et les rendent souterrainement à l’ancien lit.
La fantaisie de l’Igharghar de couler, tantôt à ciel ouvert en rompant les barres qu’il s’était formées, tantôt souterrainement en se creusant un lit sous les sables, ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier, car déjà, du temps du roi Juba, au commencement de notre ère, le grand fleuve saharien avait de pareils caprices, à ce qu’il paraît.
D’après les Libyques du roi Juba citées par Pline, le grand fleuve de la Libye, « indigné de couler à travers des sables et des lieux immondes, se cache l’espace de quelques journées. Absorbé de nouveau par les sables, il se cache encore une fois dans un espace de vingt journées de désert. »
Cette citation, que j’emprunte au grand ouvrage de M. Vivien de Saint-Martin, le Nord de l’Afrique dans l’antiquité, me permet de constater, tout d’abord, combien le savant géographe a été heureusement inspiré en assimilant le Niger de Juba et de Pline avec l’Igharghar[24] moderne des Touâreg, le Ouâdi-es-Sâoudy des Arabes.
Au fur et à mesure que cette étude se complétera, on retrouvera les poissons du Nil et les crocodiles dont l’existence faisait croire au roi Juba que le grand fleuve d’Égypte avait une de ses origines dans ses états.
Quoi qu’il en soit, par ce témoignage de Juba, confirmé par Pline et par d’autres encore, il devient évident que la partie du Sahara dont je m’occupe était déjà, il y a dix-huit cents ans, sinon sous le rapport de la quantité des eaux, du moins sous le rapport des sables et de leur circulation, telle qu’elle s’est présentée à mon observation.
Si, depuis cette époque, une partie du Sahara a pu être protégée contre les influences atmosphériques qui désagrégent les roches même les plus solides, c’est incontestablement celle qui est abritée contre le froid, la chaleur, la lumière, l’électricité, par une couche épaisse de sables.
Sans doute, dans l’’Erg, avant l’invasion des sables, quelle que soit la date éloignée du commencement, les parties solides de cette contrée avaient, comme celles de l’universalité du plateau central du Sahara, subi les influences destructives de l’atmosphère, et tout indique qu’il y avait de nombreuses goûr en décomposition comme partout ailleurs. Ces goûr, plus ou moins nombreuses, sont restées en place, devenant le noyau de dunes, à côté de ghourd exclusivement composés de sable de la base au sommet. Mais ces noyaux solides de quelques dunes, constatés par M. Vatonne, n’infirment pas la loi générale de l’amoncellement des débris des roches des plateaux supérieurs dans les bassins qui leur servent de réceptacle. Partout, sur la surface du globe, les alluvions, qu’elles soient de sables ou de terres, qu’elles soient charriées par les vents ou par les eaux, obéissent aux lois de la pesanteur.
Si les alluvions sablonneuses des dunes n’ont pas obéi à la loi ordinaire des nivellements des autres alluvions, la cause très-complexe de ce phénomène n’est pas encore sur le point de recevoir sa solution, car ce n’est pas en Afrique seulement que la circulation et la fixation des sables déjouent la sagacité des plus habiles ingénieurs.
Quoi qu’il en soit, les excellentes et minutieuses observations de M. Vatonne conservent toute leur valeur et contribueront, avec celles qui pourront être faites ultérieurement, à la solution du problème.
Dans ma collection géologique sont indiqués comme étant de la provenance de l’’Erg :
1o Un échantillon de sulfate de chaux très-pur[25] ;
2o Un échantillon de terre blanche, fine, calcaire, donnant une très-forte effervescence à l’acide chlorhydrique[26].
Cette terre, trouvée sous les sables à Ghourd-Maámmer, contient, en grande quantité, une espèce de coquille fossile nouvelle[27], que M. Deshayes a décrite et à laquelle il a bien voulu donner mon nom.
« M. Duveyrier, écrit M. Deshayes, mérite bien l’honneur d’être signalé à la reconnaissance des naturalistes, car pendant toute la durée d’un périlleux voyage dans une région de l’Afrique que personne n’avait visitée avant lui, il n’a cessé de recueillir des matériaux propres à enrichir les diverses branches de l’histoire naturelle. Il nous a donc paru équitable d’attacher le nom de l’intrépide et savant explorateur à une espèce de mollusque qui nous paraît entièrement nouvelle. »
| Pl. III. | Page 45. | Fig. 7 et 8. |
Voici la description de cette coquille, telle que M. Deshayes a bien voulu la rédiger :
PLANORBIS DUVEYRIERI. (Desh.)
Pl. testa orbiculato-discoidea, crassiuscula, utroque latere inæqualiter umbilicata, supra profundiore ; anfractibus quaternis, rapide crescentibus, convexis, involventibus, sutura profunda junctis, interne, ad peripheriam umbilici obtusissime angulatis, tenue et irregulariter striatis ; ultimo anfractu majore, cylindraceo, crasso, ad aperturam dilatato ; apertura magna, dilatata, lunari, paulo obliqua ; marginibus tenuibus, acutis disjunctis.
« Le planorbe de Duveyrier est d’une taille médiocre, discoïde assez épais et rapproché par sa taille et l’ensemble de ses caractères d’une variété petite du planorbis Dufourii de Graels. Discoïde suborbiculaire assez épaisse, elle est ombiliquée de chaque côté, mais plus profondément en dessus qu’en dessous. Elle est formée de quatre tours de spire, dont les deux premiers sont fort étroits, les deux autres s’élargissent rapidement. Ils sont en partie enveloppés les uns par les autres, mais le dernier est très-grand, épais et s’accroît rapidement, il est même un peu dilaté vers l’ouverture. Les tours sont convexes de chaque côté et réunis par une suture simple et assez profonde ; du côté inférieur, l’ombilic est circonscrit par un angle très-obtus. Toute la surface est chargée de fines stries irrégulières d’accroissement, et l’on remarque, de plus, à des distances inégales des temps d’arrêt dans l’accroissement qui ont produit des angles obtus. L’ouverture est assez grande, dilatée, peu oblique et suborbiculaire, modifiée par l’avant-dernier tour dont elle embrasse le diamètre.
« Le plus grand échantillon a 7 millimètres de diamètre et 3 d’épaisseur. » (Voir la planche ci-contre.)
IIe SECTION.
Cette section comprendra :
A. — Le plateau de Tînghert, de Ghadâmès à Ohânet ;
B. — La traversée des dunes d’Edeyen, entre Ohânet et la Hamâda d’Eguélé ;
C. — La Hamâda d’Eguélé, des dunes d’Edeyen à la plaine des Igharghâren ;
D. — La plaine des Igharghâren, de Sâghen à Tâdjenoût ;
E. — Le Tasîli des Azdjer, de Tâdjenoût à Tîterhsîn ;
F. — La vallée d’Ouarâret, de Tîterhsîn à Rhât.
A. — Plateau de Tînghert.
Le plateau de Tînghert commence vers le Nord-Est au Djebel-Nefoûsa ; dans le Sud-Est il vient se confondre avec la grande Hamâda-el-Homra, dont il n’est séparé par aucun relief apparent ; dans le Sud, sa limite est marquée par un rebord sous lequel sont les points d’El-Hesî, de Tambalout et d’Ohânet qui le séparent des dunes d’Edeyen ; dans l’Ouest, un rebord, assez caractérisé en quelques endroits, le sépare de la région de l’’Erg. La ville de Ghadâmès est bâtie sur ce rebord.
Ce plateau a 185 kilomètres du Nord au Sud ; son étendue de l’Ouest à l’Est ne peut être précisée, car nul ne connaît le point de séparation entre la Hamâda de Tînghert et celle d’El-Homra. On sait seulement qu’entre l’’Erg à l’Ouest et le Djebel-es-Sôda à l’Est, il y a 600 kilomètres sans eau et sans végétation ; ce qui interdit à qui que ce soit d’aller faire la reconnaissance de cette immense solitude. Entre Ghadâmès et Ohânet, ce plateau s’appelle Hamâda de Tînghert ; entre Ghariân et El-Hesî, il s’appelle Hamâda-el-Homra, noms différents, l’un berbère, l’autre arabe.
Les Sahariens appellent Hamâda tout plateau élevé, uni, pierreux, sans végétation, sans eau, quelle que soit sa formation géologique.
Du Djebel-Nefoûsa aux environs de Ghadâmès, le calcaire est de couleur grise ; aux environs de Ghadâmès, la coloration, du moins à la surface du sol, devient plus uniformément sombre ; au delà de Ghadâmès, les dolomies prennent les différentes couleurs des minéraux qui se trouvent dans le voisinage.
Les environs immédiats de Ghadâmès offrent à l’observation du géologue :
Le sol même de l’oasis, léger, sablonneux et calcaire, fécondé par les nombreux engrais de sa propre végétation ;
Les eaux de la source, dont j’ai fait connaître la température et l’analyse au chapitre précédent, et sur laquelle je reviendrai au paragraphe spécial à Ghadâmès, du Livre IIIe ;
Une carrière de plâtre exploitée près du cimetière du Dhâhara et qui fournit un sulfate de chaux cristallisé, blanc, presque pur, quoique mélangé à un peu de sable[29] ;
La roche du plateau qui entoure la ville ;
Enfin la gâra (témoin) de Tîsfîn, à sept kilomètres E. de la ville.
La roche du plateau de Ghadâmès[30], est un calcaire crétacé, de formation marine, jaunâtre, avec grands fragments d’inocerames et quelques petites bivalves indéterminables, identiques comme aspect aux calcaires jaunâtres coquilliers de la Chebka du Mezâb. Ce calcaire donne une effervescence bien marquée à l’acide chlorhydrique, mais paraît contenir une quantité assez notable de magnésie, comme la plupart des roches du Mezâb.
La gâra de Tîsfîn a 90 mètres de hauteur environ.
Elle repose sur une roche siliceuse, grisâtre, homogène, ne donnant aucune trace d’effervescence à l’acide[31].
Elle est couronnée, à son sommet, par une roche superficielle, calcaire, rougeâtre, composée de fragments très-brisés de coquilles, dans lesquelles on distingue quelques petites limnées et des traces nombreuses de zoophytes. Cette roche, très-compacte, rend un son semblable à celui de la poterie cuite[32].
Entre les deux, l’intérieur de la gâra est formé d’un calcaire tendre, jaune, blanc, marneux, d’une pâte très-homogène[33].
Ce dernier calcaire apparaît aussi dans les ravins des environs de la gâra.
La gâra de Tîsfîn est entièrement isolée, mais à peu de distance on voit, dans différentes directions, des goûr d’une élévation beaucoup moindre et qui doivent appartenir à la même formation.
A 4 kilomètres au Sud de Ghadâmès, on entre dans la petite dépression de Kaboû, formée par un lit d’alluvions sablonneuses et terreuses, au milieu duquel on trouve des sables et du carbonate de chaux agrégés à la façon des grès de Fontainebleau. Ces agrégations sont évidemment une création des eaux.
Les bords de cette basse dépression sont d’un calcaire spathique, rougeâtre, très-compact[34], dans lequel on trouve accidentellement de la chaux cristallisée ; dans le lit même sont des concrétions composées d’éléments calcaires en mélange avec le sable.
A 15 kilomètres de Kaboû, on traverse l’Ouâdi-Mâreksân dont la direction est Est-Ouest. Son lit est de sable, graveleux à la surface, caillouteux au fond. Sous le sable apparaissent des couches de sable marneux, contenant de petits fragments de plâtre[35]. Les berges latérales, qui ont 8 mètres de hauteur au-dessus de l’ouâdi, sont d’un calcaire semblable à la roche du plateau de Ghadâmès.
Entre l’Ouâdi-Mâreksân et la dépression d’El-Gafgâf (48 kilom.), le plateau se présente sous forme d’un chaos monotone de pierres calcaires anguleuses, tantôt amoncelées sur le roc calcaire, tantôt enchâssées dans des filons de terre sablonneuse.
De distance en distance, apparaissent dans l’Ouest, à 16 kilomètres environ, les rebords d’un gradin plus élevé sur lequel se dressent des goûrs calcaires indiquant l’ancien niveau du sol primitif ; eu égard à leur distance, ces goûr doivent atteindre à une altitude assez grande.
Avant d’arriver à El-Gafgâf, pendant toute une journée de marche, le sol est couvert de petites pierres noires qui donnent au paysage une teinte funèbre.
Entre Mâreksân et El-Gafgâf on rencontre les lits des Ouâdi-Amâli et Imoûlay qui vont se perdre dans l’’Erg.
El-Gafgâf est une petite dépression circulaire, à fond alluvionnaire, d’un kilomètre environ. Du côté du Sud, ce bas-fond reçoit les petites ravines d’Imozzelaouen (c’est-à-dire, petites ravines étroites) qui traversent un sol calcaire à affleurements plus ou moins détériorés.
Au delà de ces ravines, la surface du plateau se nivelle et présente une formation de graviers et de petites pierres.
Entre El-Gafgâf et Tifôchayen, la distance est de 34 kilomètres ; peu avant ce dernier point, le plateau est couvert de pierres détachées.
Tifôchayen est une large vallée dont la direction générale est du Sud-Est au Nord-Ouest. Le sol de cette vallée est sablonneux ; il provient des sables de l’’Erg que les vents y ont apportés.
Entre Tifôchayen et Timelloûlen (12 kilomètres), le plateau reprend son caractère précédent. La vallée de Timelloûlen consiste en un large ouâdi dont le sol, comme celui de Tifôchayen, est formé de sables de l’’Erg apportés par les vents. On y trouve l’eau à 1m 50 de profondeur.
Le plateau reparaît sur une étendue de 12 kilomètres et se montre couvert d’affleurements de calcaire décomposé ; après quoi on arrive à la dépression circulaire de Tahâla, qui a 5 kilomètres de diamètre et est bordée de hautes berges à pic très-déchirées.
Du bas de la dépression, sur une épaisseur de 1m 50 à 2 mètres, la berge consiste en assises marneuses d’un blanc légèrement verdâtre[36], avec des veines et des noyaux de gypse blanc, pur, compact et excessivement fin[37]. Cette roche ne contient pas de fossiles.
Le sommet de la berge est un calcaire rougeâtre, identique à celui qui couronne la gâra de Tîsfîn.
Au centre de la dépression est une gâra à formes bizarres.
De Tahâla à Ahêdjren (20 kilomètres), le sol est alternativement un fond de sable ou un fond de gravier solide, recouvert de petites pierres et d’affleurements calcaires mêlés à des marnes vertes décomposées.
Avant l’arrivée à Ahêdjren, le flanc des hauteurs qui bordent la route à l’Est est d’un calcaire blanc, exactement semblable à la craie de Meudon, solide par endroits, friable dans d’autres.
Dans la partie friable, je détache facilement cinq échantillons de coquilles moyennes[38] qui ont été reconnus être l’ostrea columba (Desh) et appartenir au terrain cénomanien de d’Orbigny et aux grès verts supérieurs ainsi qu’à la craie chloritée du terrain crétacé.
Dans la partie compacte de la base de la roche sont d’autres coquilles qui, à la vue, me paraissent de la même espèce que les précédentes, mais grandes comme le creux de la main. La dureté de la gangue ne me permet pas d’en prendre de spécimens.
Quoique le fond de cette roche soit blanc, elle est teinte de taches brunes ou roussâtres en plusieurs endroits.
Sur toute la route, j’ai commencé à trouver des débris informes d’ammonites au milieu des graviers.
Ahêdjren est un ouâdi à direction Sud-Est et Nord-Ouest et à lit sablonneux. Ici, comme dans les vallées précédentes, la présence du sable s’explique par le voisinage de l’’Erg.
De Ahêdjren à Ohânet, le plateau de Tînghert continue avec ses mêmes caractères généraux sur une étendue de 25 kilomètres. Là, il finit et contribue par son flanc méridional à former, avec le rebord septentrional des dunes d’Edeyen, la longue dépression d’Ohânet dont la direction générale est Est et Ouest.
Cette dépression d’Ohânet est appelée par les Arabes El-Djoua (le fourreau), parce qu’elle ressemble à un couloir par lequel les eaux, conservées comme dans un réservoir au milieu des dunes, s’écoulent dans un lit pour aller rejoindre l’Igharghar au Sud de Timâssanîn.
La largeur de la vallée est de 12 kilomètres ; son fond est alluvionnaire : sables et graviers mêlés.
Au centre est un abankôr ou rhedîr, bassin argileux, qui, d’après les Touâreg, conserve quelquefois l’eau pendant 2 ou 3 ans après les pluies.
Entre Ahêdjren et Ohânet, sur tout le parcours du trajet, les ammonites continuent au milieu des pierres parsemées à la surface de ce désert. Elles sont nombreuses, brisées en fragments. C’est avec grande peine que je puis en trouver deux entières.
Les géologues à l’examen desquels ces ammonites ont été soumises, les ont trouvées trop frustes pour pouvoir être sûrement déterminées[39]. Ils les croiraient volontiers nouvelles, mais se rapprochant de l’ammonites Mantellii du terrain cénomanien de d’Orbigny ou des grès verts supérieurs, de la craie tuffeau ou de la craie chloritée.
La pâte de ce fossile est un calcaire d’un blanc jaunâtre, compact, légèrement saccharoïde, parsemé de quelques mouchetures de manganèse.
B. — Dunes d’Édeyen.
Entre Ohânet et Abrîha, sur un parcours de 75 kilomètres, s’étend une région de sables, continuation occidentale des dunes d’Edeyen, groupe séparé de celui de l’’Erg par un prolongement du plateau de Tînghert.
A peu près à égale distance des points extrêmes de cette zone sablonneuse, on trouve dans l’Est la ligne des goûr noires d’Ayderdjân, au Nord de laquelle est un puits comblé, tandis qu’au Sud on trouve accidentellement des flaques d’eau dans une dépression peu profonde à fond d’argile.
Sur toute l’étendue de ces 75 kilomètres, les sables recouvrent le sol qui apparaît de temps en temps, soit sous forme d’un calcaire noirâtre ou violet, compact et solide, soit sous forme de graviers quartzeux arrondis ; quelquefois ces graviers ont été cimentés avec le sable par les pluies au moyen d’une substance calcaire agrégeable, et alors ils forment un poudingue.
On rencontre aussi parfois dans ce parcours des places couvertes d’une argile violette solide et lisse, mais fendillée par l’action du soleil ; ces couches d’argile représentent les lits de mares desséchées, et expliquent jusqu’à un certain point comment les graviers et le sable ont pu se souder ensemble de manière à former la roche dont je viens de parler.
C. — Plateau d’Éguélé.
Je donne le nom de plateau d’Eguélé à une région mouvementée, partie hamâda, partie dunes, qui sépare la région des dunes d’Edeyen de la vallée des Igharghâren. Ce plateau bas a 106 kilomètres du Nord au Sud dans la partie où je l’ai traversée. Sa longueur, de l’Est à l’Ouest, est encore inconnue.
Entre Abrîha, point où les sables cessent, et Tâdjentoûrt, est une hamâda plate, couverte de petites pierres.
Tâdjentoûrt, qu’il ne faut pas confondre avec l’ouâdi de ce nom situé plus au Sud, est une dépression circulaire comme on en remarque si souvent dans les régions sahariennes.
Au delà, sur une étendue de 9 kilomètres, ma route parcourt la continuation du plateau au milieu de pierres calcaires et d’affleurements de même nature. Çà et là apparaissent des sables mêlés à du gravier et formant un terrain solide.
Eguélé est une chaîne de hauteurs de pierres calcaires noires, d’où leur nom Eguélé (le coléoptère[40]), et dont la direction générale est du Nord-Est au Sud-Ouest. Cette chaîne coupe la route et marque le point culminant de cette section ; c’est pourquoi, à défaut d’un nom indigène applicable à l’ensemble du plateau, je donne au tout le nom de sa partie la plus remarquable.
Au Sud du point où je traverse la chaîne d’Eguélé, on rencontre l’Ouâdi-Tâdjentoûrt, ravin sans eau qui a ses origines dans une ligne de hauteurs que la route suit sur une étendue de 35 kilomètres ; ligne qu’on laisse dans l’Est, et qui est la prolongation Sud de la chaîne d’Eguélé.
Le trajet s’effectue au milieu des rochers, et on arrive à la dépression d’Aseqqîfâf, réceptacle des eaux pluviales de la chaîne, mais à sec, hors les temps de pluie.
Entre Aseqqîfâf et Isaouan (35 kilomètres) est le plateau calcaire de Timozzoudjên, recouvert dans sa partie Nord, sur un parcours de 12 kilomètres, de petites dunes de sables auxquelles on donne le nom d’Isoûlan-n-Emôhagh et vis-à-vis desquelles on voit dans l’Ouest les sables de Tedjoûdjelt.
Ce plateau, dans son entier, est de même formation que celui de Tînghert ; sa pente générale est légèrement inclinée vers le Sud.
Isaouan est le nom donné à la partie de la plaine des Igharghâren dans laquelle se trouvent les grands rhedîr de Sâghen, alimentés par l’Ouâdi Tikhâmmalt.
Le rebord méridional du plateau de Timozzoudjên termine la série des calcaires sur lesquels est assise la route de ce point à Ghadâmès.
D. — Plaine des Igharghâren.
La plaine des Igharghâren est une grande vallée de 320 kilomètres de l’Est à l’Ouest, et d’une largeur moyenne de 35, formée au Nord par le rebord méridional du plateau de Timozzoudjên et au Sud par les versants septentrionaux des montagnes du Tasîli. Sa principale largeur est dans l’Est.
Cette grande vallée d’alluvions sablonneuses est découpée du Sud au Nord en forme de larges plates-bandes par les nombreux ouâdi du Tasîli, qui tous viennent se réunir au pied du plateau d’Eguélé en un lit unique prenant le nom de son principal affluent, l’Ouâdi-Tikhâmmalt, et qui, après avoir suivi une direction générale Sud et Nord, du sommet du Tasîli à Sâghen, tourne brusquement à l’Ouest pour aller se jeter dans l’Ouâdi-Igharghar à El-Bîr, au Sud-Ouest de Timâssanîn.
Cette grande vallée, couverte d’arbres dans toutes ses lignes de bas-fonds, fait un contraste très-remarquable entre l’aspect monotone des plateaux du Nord et de ceux du Sud.
Elle pourrait être facilement transformée en une série d’oasis, avec des eaux courantes, si les forages artésiens y réussissent, ainsi que tout l’indique. Dans tous les cas, avec des puits ordinaires, on y aurait l’eau à peu de profondeur, surtout dans les lits des principaux ouâdi.
Je reviens à mon itinéraire.
Les rhedîr de Sâghen ne sont ordinairement pleins qu’après les grandes pluies, mais à environ un mètre du sol on trouve toujours l’eau nécessaire à tous les besoins.
Au milieu des alluvions qui entourent les rhedîr, on remarque des laves[41] noires, poreuses et légères, charriées, du sommet de l’Adrâr, point le plus élevé du Tasîli, par les eaux de débordement de l’Ouâdi-Tikhâmmalt.
Les Touâreg trempent quelquefois ces laves dans l’huile, qu’elles absorbent comme le ferait une éponge ; après quoi ils y mettent le feu ; l’huile brûle. Ce fait mal expliqué a fait croire à l’existence de la houille dans les montagnes des Touâreg. Lorsqu’on leur demandait : « Avez-vous dans votre pays des pierres noires qui brûlent ? » ils répondaient : « Oui, nous en avons, » mais sans ajouter : « Nous les imprégnons d’huile pour qu’elles puissent brûler. »
Déjà M. Isma’yl-Boû-Derba avait trouvé dans l’Ouâdi-Igharghar, mais provenant du Ahaggâr, des laves de même nature.
Ces deux constatations, confirmatives d’autres indications données par les Touâreg, ne laissent aucun doute sur la formation volcanique des points culminants du Ahaggâr et du Tasîli.
Plus loin, j’aurai l’occasion de constater la présence de pierres de même nature dans le Djebel-es-Sôda (la montagne noire) que j’ai pu étudier avec plus de soin, mon itinéraire traversant ce massif de montagnes.
Le fond du sol de Sâghen est un composé de sables et d’argile apportés par les eaux d’inondations ; dans les sables, on trouve une grande quantité de mica. Les pierres roulées par les eaux sont des grès ou des détritus de roches plus grossières, formés de grains de quartz agglomérés.
De Sâghen à Tâdjenoût, la route suit la vallée de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, tantôt sur une rive, tantôt sur une autre. En remontant le lit de cette rivière, on remarque sur le sol des affleurements d’un grès grisâtre, noirci à la surface.
A Tâdjenoût, pour la première fois depuis mon départ de Ghadâmès, je rencontre des sources d’eau vive et je dois faire observer que, des puits de Timelloûlen jusqu’à Tâdjenoût, sur un parcours de 310 kilomètres, l’eau ne se trouve qu’accidentellement dans les rhedîr ; ce qui rend cette route difficile en dehors des années de grandes pluies.
La route orientale, celle des caravanes, est plus riche en eau, car en tout temps on est certain d’en trouver dans les puits sur six points différents.
De Ghadâmès à Tâdjenoût, mon itinéraire avait suivi une direction générale Nord et Sud. Tout à coup, il tourne à l’Est et longe le versant Nord du Tasîli jusqu’à l’Ouâdi-Izêkra.
Entre Tâdjenoût et l’Ouâdi-Izêkra, la distance est de 46 kilomètres. Au Nord de la route, le terrain conserve les caractères généraux de la plaine des Igharghâren ; au Sud, apparaissent en affleurements les grès siliceux, fins, très-durs, gris jaunâtres du Tasîli[42].
Au point où l’Ouâdi-Izêkra sort du Tasîli pour déboucher dans la plaine, le sol est recouvert par une couche de sable, en mélange avec de la terre végétale.
Il n’y a d’eau dans cette rivière qu’après les grandes pluies. En temps ordinaire il faut aller s’abreuver au puits d’In-Hemoûl, à 4 kilomètres en aval dans le lit de l’ouâdi.
De l’Ouâdi-Izêkra à l’Ouâdi-Târat (30 kilomètres), la route continue, comme la précédente, à suivre le pied du Tasîli en conservant les mêmes caractères.
La vallée de Târat forme une large coupure dans la montagne ; à l’Est et à l’Ouest, elle est bordée de pics de grès noir. La largeur de l’ouâdi est de 800 mètres environ ; la hauteur des berges est de 90 à 100 mètres. Cette sorte de col porte le nom d’Aghelâd (passage).
Dans l’Est, sur la rive droite de l’ouâdi, apparaît le haut pic de Mârhet, qui domine le niveau moyen du plateau du Tasîli dans lequel on va entrer. Dans le bas de la vallée, est une ligne de hautes dunes de sables qui se prolongent dans l’Est jusqu’à Tânit-Mellet.
Sur la rive gauche de Târat, on trouve un énorme tamarix appelé Azhel-en-Bangou.
Près de ce point, dans le fond de la vallée, je remarque des grès ferrugineux sensibles à l’aimant[43], pierres détachées provenant de la partie supérieure de l’ouâdi. Plusieurs de ces pierres me paraissent avoir été soumises à l’action du feu ; j’en demande l’explication aux Touâreg qui me répondent avoir l’habitude de les faire rougir et de les jeter ensuite dans le lait afin d’en assurer la conservation.
Sans s’en douter, les Touâreg préparent ainsi un lait ferrugineux et devancent, sous ce rapport, les peuples civilisés qui, jusqu’à ce jour, se sont bornés à l’usage de l’eau ferrugineuse.
E. — Tasîli des Azdjer.
Le Tasîli du Nord ou des Azdjer, dont il est ici question, est un immense gradin de 500 kilomètres de longueur et de 130 kilomètres de largeur moyenne, orienté du Sud-Est au Nord-Ouest, et dont le point le plus élevé porte le nom d’Adrâr.
Ce plateau, à l’exception des vallées, est complétement dénudé ; on n’y trouve pas même d’herbe.
A partir de Târat, pendant l’ascension, ma boussole perd momentanément sa direction vers le Nord. Ne pouvant attribuer cet affolement aux grès ferrugineux d’Azhel-en-Bangou, j’interroge les Touâreg sur l’importance et l’étendue des gisements de fer dans leurs montagnes, et j’apprends que je devais en trouver sur plusieurs points de mon itinéraire jusqu’à Rhât.
Le ravin de l’Ouâdi-Alloûn me conduit sur les hauteurs du Tasîli.
Les berges de cet ouâdi constituent de chaque côté des murailles de grès, noircis à la surface, dont la hauteur augmente à mesure qu’on monte.
L’assise inférieure de ces murailles présente, au niveau du lit, un sable jaune grisâtre, légèrement concret[44], au milieu duquel je trouve des veines spathtiques[45] qui se prolongent en affleurements dans le lit. La masse, jusqu’au sommet de la berge, est un grès siliceux[46], compact, très-dur, dont la couleur varie suivant les minéraux dont il est imprégné.
Sur la rive droite de l’Ouâdi-Alloûn, au fond d’un ravin affluent, jaillit la source de Ahêr, dans un bassin à fleur de sol, d’un mètre carré à peu près, mais dont le réservoir est couvert par un rocher sous lequel résonne l’écho quand on plonge les seaux dans la source.
Sa température est de 19° 8, celle de l’air étant de 26°.
Le sol, autour de la source, porte des traces de dépôts salins.
Les rochers des environs forment des blocs anguleux détachés, des grottes ou abris sous lesquels vivent des pigeons et autres oiseaux.
Dans une de ces grottes, et sur un des rochers voisins, je trouve douze inscriptions en langue temâhaq que je copie.
A la sortie du ravin par lequel la source d’Ahêr débouche dans le lit de l’Ouâdi-Alloûn, je rencontre, sur la route, des traces de constructions régulières dont je lève le plan et qui me paraissent appartenir à la civilisation berbère. Les Touâreg, que j’interroge sur l’origine de ces constructions, me disent que ce sont les tombeaux des gens d’autrefois qu’on appelait Jabbâren ou géants. Il existe dans le pays un certain nombre de ces tombeaux.
Après le ravin desséché de l’Ouâdi-Alloûn, le plateau est hérissé de rocs énormes, séparés les uns des autres par de grandes crevasses. Ces rocs ont souvent une forme curieuse qui rappelle les pierres levées des anciens Druides ; mais, ici, l’origine de ces pierres étranges est toute géologique.
Ce sont d’immenses blocs aplatis[47] dans leur partie supérieure et tenus en équilibre sur une base étroite comme le pied d’une coupe, mais assez haute pour qu’un cheval et son cavalier puissent circuler sous le plateau supérieur. (Voir page 35.)
Ces formations bizarres sont dues à l’action des eaux diluviennes qui, en respectant la partie supérieure et la plus dure de la roche, ont rongé la partie la plus tendre du piédestal.
Le point du plateau qui supporte ces témoins géologiques, en nombre assez considérable, s’appelle Takarâhet. Plus loin, dans l’Est, le même plateau prend le nom significatif de Teroûrit (le dos), parce qu’il devient le point de partage des eaux qui se rendent du côté de l’Ouest dans le bassin de l’Igharghar, et dans l’Est, vers Tîterhsîn, d’où elles vont se perdre dans le bassin des dunes d’Edeyen.
Entre Takarâhet et Teroûrit, la route traverse successivement trois basses dépressions : celle de l’Ouâdi-Tîn-Array, de l’Ouâdi-Tîn-Têrdja, de Tîn-Tâkelît, qui portent les eaux du plateau aux sables de Tânit-Mellet, d’où elles vont rejoindre l’Ouâdi-Târat.
Les rochers nus qui séparent ces trois dépressions sont tellement hérissés et distribués sans ordre, qu’un excellent guide est nécessaire pour ne pas perdre la route. Ces rochers sont toujours de grès siliceux, dur, compact, noir à la surface, gris cendré à l’intérieur[48].
Après de nombreux détours au milieu de ces rochers, le chemin atteint la tête de l’Ouâdi-In-Ezzân, affluent du bassin de Tîterhsîn.
Le ravin assez large de cet ouâdi est bordé de chaque côté de hautes murailles formées de deux assises bien distinctes : la supérieure, composée d’un grès-quartzite[49], compact, blanchâtre à l’intérieur, avec coloration brune ferrugineuse à la surface ; l’inférieure, composée d’un grès grossier, siliceux, de couleur jaune sale[50].
Ce ravin conduit directement à Titerhsîn. Dans sa partie haute, il porte le nom d’In-Akhkh ; dans sa partie basse, celui de Timsennanîn.
Au confluent de l’Ouâdi-Tiferghasîn dans Timsennanîn, je trouve une pierre roulée[51], noire, à grain très-fin, lourde, qui, à l’examen, a été reconnue être du fer oligiste de la plus grande richesse.
Timsennanîn est séparé du bas de la vallée par une dépression du nom de Takhôba, au delà de laquelle on entre sur un terrain plus élevé, couvert de blocs de grès de formes accidentées ; après quoi on descend par une pente insensible dans le fond de la vallée.
Sur la rive gauche de l’ouâdi, à peu de distance de la route, est une petite ligne de sable, encore appelée Azekka-n-Bôdelkha, dernier vestige d’une chaîne de dunes dont j’ai déjà parlé (voir page 42) et qui tend à se reconstituer.
La vallée de Tîterhsîn, à fond alluvionnaire, est à l’extrémité orientale du Tasîli ce que la vallée des Igharghâren est à son versant Nord, c’est-à-dire le réceptacle des eaux pluviales qui, avec celles venant de l’Ouest de la plaine de Tâyta, vont se perdre dans les dunes d’Edeyen. Avant l’obstacle apporté par les sables, toutes ces eaux se réunissaient à celles des Igharghâren pour aller grossir l’Igharghar. Elles doivent s’y rendre encore, mais souterrainement.
La vallée de Tîterhsîn cesse d’avoir un bassin tracé à partir de sa sortie des montagnes ; de là jusqu’aux dunes, elle offre l’aspect d’une vaste plaine de sable.
Malgré le rôle hydraulique qu’elle joue, on n’y trouve de puits qu’à Tâdjenoût, au pied des dunes et à Tarz-Oûlli, dans la vallée. Ce dernier est comblé. Après les grandes pluies, il est vrai, il existe dans le lit de la rivière un endroit appelé Amezzien, où l’eau s’accumule et forme un rhedîr qui persiste pendant deux ans.
En tout temps, les sources de Tihôbar, dans l’Ouâdi-Taouezzak, affluent de Tîterhsîn, suffisent aux besoins des voyageurs.
Près de ces sources sont des cultures de blé.
Sur les rives desséchées du rhedîr d’Amezzien, je trouve des coquilles d’eau stagnante, mortes depuis longtemps, et qui ont été reconnues par M. Deshayes pour être la physa contorta (Michaud) et la bithinia dupotetiana (Forbes).
F. — Vallée d’Ouarâret.
Cette vallée porte communément et indistinctement les deux noms d’Ouarâret et d’Aghelâd.
Ouarâret est le nom particulier du principal ouâdi de la vallée.
Aghelâd signifie passage. En effet, la vallée est un vaste couloir entre le Tasîli et l’Idînen, par lequel passe la grande route de Ghadâmès à Rhât.
A 7 kilomètres de Tarz-Oûllî, on remarque sur le rebord rocheux du Tasîli le mont Têlout, entièrement isolé aujourd’hui, mais dont la constitution est tout à fait semblable à celle du Tasîli dont il semble détaché.
A quelques kilomètres, à gauche, en entrant dans la vallée, au sortir de Tîterhsîn, on aperçoit un petit plateau allant de l’Ouest à l’Est, du nom de Tizoûl (même racine que tazôli, fer). La couleur de la roche me paraît, de loin, noirâtre avec des nuances jaunes. Je ne tarde pas à être fixé sur la nature de sa formation.
En effet, à 20 kilomètres de Tarz-Oûllî, je trouve les puits artésiens d’Ihanâren, nouvellement curés, et, autour de ces puits, provenant des déblais, des dépôts de sables ocreux, contenant des débris végétaux, mais surtout remarquables par la quantité de fer qu’ils renferment[52].
Ces puits, au nombre d’une dizaine environ, ont été creusés à la façon de ceux de l’Ouâd-Rîgh et, comme eux, donnent des eaux jaillissantes servant à l’irrigation des terres voisines, au moyen de canaux et de réservoirs en maçonnerie.
Le 12 mars 1861, jour où je rencontrai ces puits, la température des eaux était de 24° 4 au fond des bassins, celle de l’air extérieur étant de 8°. Je dois ajouter que les outres contenant nos provisions d’eau avaient gelé dans la nuit du 11 au 12 et dans les deux précédentes.
La profondeur moyenne des puits est de 1m 50 à 2 mètres environ. Leurs orifices sont entourés de branchages pour éviter que les animaux y puissent tomber ; c’est pourquoi, sans doute, les déblais provenant du curage contiennent des matières végétales.
La vallée qui conduit à Rhât a 44 kilomètres de longueur, sur une largeur moyenne de 7. Sa direction générale est Nord et Sud.
Dans la vallée est une source, celle de Tinoûhaouen, appartenant à une dame de Rhât et exploitée pour l’irrigation.
Cette source, connue des anciens Touâreg, avait depuis longtemps disparu sous des masses de sables ; on l’avait déblayée en 1858.
Le sol de cette vallée, là où il n’est pas recouvert par des sables, est composé d’argiles roses, micacées, tantôt terreuses[53], tantôt schisteuses[54], qui se montrent sous forme de veines.
Les parties les plus basses de ces veines sont sillonnées d’affleurements d’alun qu’on exploite[55].
Sous les grès quartzites des berges de la vallée, sont des grès micacés[56], rougeâtres, très-fins et très-compacts, lamellés, se détachant en couches de 8 à 9 millimètres d’épaisseur.
Le mont Idînen, qui marque le côté oriental de la vallée d’Ouarâret, est réputé par les indigènes être le séjour mystérieux d’esprits surnaturels, Idînen, d’où lui est venu son nom.
La forme d’Idînen est celle d’un fer à cheval, du centre duquel part un ravin aboutissant au Tanezzoûft. M. le docteur Barth, qui a visité ce mont, s’exprime ainsi sur sa nature : « J’atteignis enfin la crête qui s’élève semblable à une muraille au sommet de la côte. Je constatai que ce massif se composait généralement de couches horizontales de marne reposant sur un lit de pierres calcaires ; sur le versant, je découvris un vaste chaos de blocs de rochers tombés du haut de la montagne. »
Rhât est adossée à une chaîne de collines peu importantes qui portent le nom de Koukkoûmen.
Autour de Rhât, on retrouve la terre végétale des oasis, légèrement sablonneuse et arrosée par de nombreuses sources qui sourdent de tous les points.
IIIe SECTION.
DE TÎTERHSÎN A ZOUÎLA.
Cet itinéraire géologique comprendra les divisions suivantes :
A. — Passage de l’Akâkoûs, entre Tîterhsîn et Serdélès ;
B. — Désert de Tâyta, entre Serdélès et Oubâri ;
C. — Parcours de l’Ouâdi-Lajâl, entre Oubâri et le plateau de Mourzouk ;
D. — Dunes d’Edeyen ;
E. — Hamâda de Mourzouk ;
F. — Dépression d’El-Hofra ;
G. — Cherguîya ;
H. — Massif du Hâroûdj.
A. — De Tîterhsîn à Serdélès.
La distance entre ces deux points est de 80 kilomètres.
Jusqu’à l’Ouâdi-Tanezzoûft, qui vient de Rhât et dont la vallée sépare le plateau d’Idînen de la chaîne de l’Akâkoûs, la route ne traverse guère que des sables et quelques petits plateaux pierreux entre des dunes de sables.
A Amarhîdet, je retrouve les argiles schisteuses[57] de la vallée d’Ouarâret, avec des colorations qui varient du rouge lie de vin au blanc pur en passant par les nuances intermédiaires du violet, du rose et du jaune, suivant les diverses stratifications.
Au delà du Tanezzoûft est le passage de l’Akâkoûs, d’abord par un plateau inégal, ensuite par un dédale de collines, de pitons et de ravins successivement échelonnés dans le plus grand désordre.
Sur un parcours de 4 kilomètres, la roche est nue, sans végétation et composée d’un grès fin, micacé, de couleur rosée, stratifié, très-solide[58].
La chaîne de l’Akâkoûs est tellement abrupte, dressée en forme de muraille, que c’est à peine si, une fois en dix années, il se rencontre parmi les Touâreg un homme assez adroit pour pouvoir en opérer l’ascension, par un unique escalier très-étroit, Abarqa-wân-dârren (chemin des piétons), et qui va chaque jour en se dégradant. On cite dans le pays les rares individus qui ont gravi ce rempart de roches dénudées, dont les pointes, dressées vers le ciel, présentent l’aspect le plus bizarre.
Le versant méridional de la montagne conduit, par une pente insensible, à Serdélès.
Ce point, que les Arabes appellent aussi El-’Aouïnât, est certainement l’un des plus remarquables du Sahara.
Si l’artiste peut, dans un seul coup d’œil, embrasser trois des grandes horreurs de la nature : le squelette dénudé de la chaîne de l’Akâkoûs, le désert de Tâyta, les dunes d’Edeyen ; si l’archéologue trouve dans les ruines du château d’Aghrem matière à exercer sa sagacité ; si l’attention du botaniste est appelée par un arbre gigantesque, l’acacia albida de Delille, unique de son espèce dans tout le pays d’Azdjer, celle du géologue est bien plus surexcitée encore par la constatation d’une série de faits, tous nouveaux pour lui.
D’abord, il est au point de partage des eaux entre le bassin de la Méditerranée et celui de l’Océan ; ensuite, au lieu d’une nature aride, sans eaux, comme celle des contrées environnantes, il trouve dans l’enceinte du château une source remarquable par son volume et, à côté, deux puits artésiens, alimentant de leur jet continu divers bassins aménagés pour l’irrigation des terres ; enfin, il est là sur le terrain le plus ancien connu sur tout le continent africain, le terrain dévonien, immédiatement inférieur aux dépôts houillers, et ce terrain apparaît dans des conditions qui ne laissent aucun doute sur son identification.
M. de Verneuil, celui de nos professeurs le plus versé dans l’étude des terrains anciens, a bien voulu déterminer la nature des échantillons de roches que j’ai rapportés de cette contrée. Voici textuellement les notes qu’il a bien voulu rédiger à ce sujet.
« Il y a dans les échantillons de grès argileux de Serdélès soumis à mon observation deux espèces de coquilles fossiles reconnaissables : un spirifer et le chonotes crenulata.
« La plus abondante des deux espèces est un spirifer strié, à sillon lisse, appartenant au groupe des ostiolati de de Buch. C’est peut-être même le spirifer ostiolatus (Schlotheim) qu’on réunit aujourd’hui généralement au spirifer lævicosta (Valencienne).
« Il y en a deux variétés, l’une plus courte, l’autre plus transverse. Ces deux variétés s’observent dans le spirifer lævicosta tel que l’a figuré M. Schur. (Brachiopoden von der Eifel, pl. 32 bis, fig. 3 a-h.)
« Un des échantillons de Serdélès représente un area assez élevé qui pourrait le rapprocher du spirifer subcuspidatus (Schnur) de l’Eifel.
« Enfin on peut aussi comparer cette espèce au spirifer medialis (Hall), qui est abondant dans le Hamilton Group ou terrain dévonien de l’État de New-York.
« Quelle que soit l’espèce à laquelle on rattache le spirifer de Serdélès, c’est toujours avec une espèce caractéristique du terrain dévonien qu’il sera identifié, et c’est là le point capital.
« L’autre brachiopode que je distingue dans les deux échantillons qui m’ont été soumis est le chonotes crenulata (Römer). C’est une coquille exclusivement dévonienne et caractéristique surtout de l’étage moyen ainsi que la précédente. Elle a beaucoup de ressemblance avec le chonotes striatella du système silurien, mais elle a l’area un peu moins développé et sa plus grande largeur est au milieu des deux valves, ce qui lui donne une forme légèrement arrondie.
« Le terrain dévonien est aujourd’hui connu dans le Nord de l’Afrique sur trois points :
« 1o Dans le Maroc, où il a été découvert et décrit par M. Coquand, professeur à Marseille (voir le Bulletin de la Société géologique, vol. IV, page 1204) ;
« 2o Dans le Fezzân, où le docteur Overweg l’a trouvé en traversant l’Amsâk à 80 kilomètres environ à l’Est de Serdélès (voir Zeitschrift der deutschen geologischen Gesellschaft, IV Band. — Berlin, 1852) ;
« 3o Enfin, à Serdélès, d’où proviennent les deux échantillons soumis à mon examen par M. Henry Duveyrier[59].
« Dans le Sud de l’Afrique, ce même terrain dévonien se représente près du cap de Bonne-Espérance, dans la montagne de la Table.
« Le terrain silurien et le terrain carbonifère, le premier au-dessous, le second au-dessus du dévonien, n’ont pas encore été signalés en Afrique, que je sache au moins.
« Cependant, au Maroc, M. Coquand croit pouvoir rapporter au terrain silurien les calcaires à bronteus et à orthoceras qui sont au-dessous des grès dévoniens. (Voir le Bulletin, vol. IV. p. 1204.)
« Des grès argileux, assez semblables à ceux de Serdélès, se trouvent aussi à Almaden, en Espagne, dans le terrain dévonien. Ils abondent également en moules de spirifer dont quelques-uns sont voisins de l’espèce que nous venons de mentionner. »
Les échantillons soumis à l’examen de M. de Verneuil figurent dans ma collection sous les nos 37 et 38. Ils proviennent d’une roche près du château.
La même localité me fournit encore un grès ferrugineux[60] présentant quelques traces de coquilles indéterminables paraissant se rapporter aux grès précédents.
Mais, chose curieuse, près de la source, je retrouve le calcaire crétacé[61], jaunâtre, avec inocerames et bivalves, du plateau sur lequel est bâti Ghadâmès.
La source du château sort d’un bassin de 3 à 4 mètres de long, sur 1 mètre 50 de large. De là, les eaux s’écoulent, par un canal profond creusé dans la butte sur laquelle est bâti le château, pour aller arroser des cultures de céréales dans les environs.
A Serdélès, pour atteindre la nappe d’eau jaillissante, il faut creuser à la profondeur de trois hauteurs d’homme ; mais, disent les habitants, pour y arriver on a à percer une couche de roche très-dure, difficulté devant laquelle on recule pour augmenter le nombre des puits. D’ailleurs à quoi bon ? La nature du sol environnant, imprégné d’alun et de sel, n’est pas favorable à la culture, et son infertilité ne sollicite pas à entreprendre des travaux pénibles pour le féconder.
L’eau de la source, comme celle des puits, est excellente. L’une et l’autre sont employées aux irrigations. Les puits son particulièrement affectés à l’arrosage des palmiers.
A 4 kilomètres au Nord-Ouest, avant d’arriver au château de Serdélès, on trouve la source de l’alun, Tîn-Azârif, près de laquelle, en effet, de beaux affleurements d’alun blanc[62] me permettent d’en faire provision.
B. — Désert de Tâyta.
Dès la sortie du bassin de l’Ouâdi-Serdélès, on entre sur un terrain plus élevé, à gradins successifs, le tout de la plus grande aridité et recouvert de grès noirâtres. Bientôt on atteint une plaine unie, de gravier solide ; c’est le commencement du désert de Tâyta qui présente une formation géologique nouvelle ; ici, de grandes parties calcaires qui m’ont paru dolomitiques, sur et dans une pâte de grès avec laquelle elles forment corps ; là, des pierres détachées, d’un calcaire gris compact à grain très-fin[63] ; ailleurs, des rognons d’un conglomérat composé de grains quartzeux blancs réunis par une pâte rouge complétement siliceuse[64] ; à droite, du gravier pur ; à gauche, une terre rougeâtre tendre, avec ou sans gravier ; enfin, une roche composée de divers éléments : dolomies, quartz, silex, agglomérés ou plutôt fondus les uns dans les autres.
Le désert de Tâyta occupe l’espace compris entre les chaînes de l’Akâkoûs et de l’Amsâk, les oasis de l’Ouâdi-Lajâl, les dunes d’Edeyen et la plaine des Igharghâren.
Sur toute son étendue la végétation est nulle.
Sa largeur, entre l’Akâkoûs et l’Amsâk, c’est-à-dire de l’Ouest à l’Est, est de 65 kilomètres, et sa longueur, du Nord au Sud, est de 160.
Ma route coupe ce désert dans sa plus grande largeur, en me rapprochant du coude de l’Amsâk et en m’éloignant des dunes d’Edeyen.
J’aperçois de loin, dans le Sud-Est, la coupure de l’Amsâk, que M. le docteur Barth a traversée pour passer de l’Ouâdi-Aberdjoûch dans le désert de Tâyta. Elle est appelée Aghelâd par les Arabes et Alfao par les Touâreg[65].
« Des deux côtés de l’étroit passage, dit le célèbre voyageur, s’élevaient à une hauteur de cent pieds, des murailles de rochers à pic, composées d’énormes couches de marne et de grès, qui se rapprochaient quelquefois au point de ne plus laisser entre elles qu’un espace de six pieds. »
A sa sortie du défilé, M. le docteur Barth a trouvé le sol du désert aride, couvert de grès et de pierres calcaires.
Sous le même méridien, à 33 kilomètres dans le Nord, le sol se présenta à moi sous forme d’une terre rougeâtre et tendre, mais toujours recouvert de graviers et de pierres.
Plus on se rapproche de l’Amsâk, plus le plateau, tout en conservant ses caractères généraux, est jonché de pierres détachées, de grès ordinaire.
Au pied d’un des nombreux caps de l’Amsâk, apparaît une profonde caverne, avec une ouverture assez large pour donner passage à un chameau ; cette caverne est une ancienne carrière de pierres meulières, appelée Ouiderêren (les meules).
Sur un autre point, nommé Tîn-Aboûnda, surgissent des affleurements de calcaire blanc détérioré.
Avant l’arrivée à Tîn-Aboûnda, le désert perd son aspect désolé : à un sol nu, aride, sans végétation, sans eau, succède une forêt de gommiers, celle dite d’Oubâri, qui sépare le désert de Tâyta des nombreuses oasis de l’Ouâdi-Lajâl.
Deux puits, celui d’Essâniet et d’In-Tafarat, peu éloignés l’un de l’autre, témoignent aussi que la nature du sol a changé.
Le puits d’In-Tafarat, d’une profondeur de 4m 50, est creusé dans une terre ocreuse.
La pente générale du désert de Tâyta est du Sud-Est au Nord-Ouest. Toutes les eaux des versants de l’Amsâk, après avoir traversé la plaine de Tâyta dans des dépressions à peine marquées, vont se perdre dans les dunes d’Edeyen.
Le plateau sur lequel s’élève la forêt de gommiers est le point de partage des eaux entre le bassin de Tâyta et celui de l’Ouâdi-Lajâl.
C. — Ouâdi-Lajâl.
On donne le nom commun d’Ouâdi-Lajâl à une vallée de 190 kilomètres de longueur dans sa partie habitée et cultivée, et d’une largeur moyenne de 8 kilomètres.
Cette longue vallée, dont la direction et la pente générale sont de l’Ouest à l’Est, est bornée au Nord par le bourrelet méridional des dunes d’Edeyen et au Sud par la prolongation de la chaîne de l’Amsâk.
Au Nord, les dunes forment une ligne à peu près droite, tandis qu’au Sud la chaîne de l’Amsâk offre de nombreux caps et de nombreux golfes, sortants et rentrants, qui découpent inégalement ce côté de l’ouâdi.
La partie Ouest de cette vallée porte le nom de Ouâdi-el-Gharbi (vallée de l’Ouest) ; la partie Est, celui de Ouâdi-ech-Chergui (vallée de l’Est) ; elles sont séparées l’une de l’autre par deux promontoires : l’un de dunes, du côté du Nord ; l’autre de rochers, du côté du Sud. Mais géologiquement, ces deux vallées n’en font qu’une ; car elles ont la même pente à l’Est, la même nature d’eau et de sol.
Le sol, à la superficie, est un terrain de heycha, c’est-à-dire une terre alluvionnaire, légère, saturée de sel et boursouflée par l’action combinée des eaux et de la chaleur.
Ce terrain de heycha, on le retrouvera, plus au Sud, dans l’Ouâdi-’Otba, dans la Hofra ou dépression de Mourzouk, et dans la Cherguîya, autour de Zouîla.
Cette nature de terrain est aussi celle des oasis septentrionales du Nefzâoua, d’El-Faïdh, de l’Ouâd-Rîgh, du bassin de Ouarglâ et même du Touât.
Le sous-sol est un terrain d’alluvion jaunâtre, calcaire, mélangé de petits grains quartzeux très-roulés[66].
Dans cette grande vallée de l’Ouâdi-Lajâl, il n’y a pas de lit de rivière proprement dit ; mais, sur toute l’étendue de la vallée, on trouve, à une profondeur moyenne de 3m 60, une couche aquifère dont l’eau est amenée à la surface du sol au moyen de puits et d’appareils en charpente qui ne sont pas sans quelque analogie avec ceux usités en Égypte pour l’arrosage des terres. J’en donne un dessin ci-contre.
Toute la vallée est couverte de villages et de forêts de palmiers, à l’ombre desquels on cultive des plantes maraîchères et des arbres à fruits de diverses espèces.
J’ai à signaler comme dérogeant à l’uniformité générale de la vallée les objets suivants :
1o Une carrière d’argile à poterie, encore exploitée aujourd’hui, au pied du Djebel-Tîndé, l’un des caps de l’Amsâk qui dominent Oubâri ;
2o A Djerma, les grandes pierres de taille du monument romain, extraites des carrières de l’Amsâk, en grès rose, analogue à ceux des édifices de l’ancienne Égypte ;
3o Une mine de sel, de qualité inférieure à cause de son mélange avec une terre rousse, et située au milieu de l’Ouâdi-El-Gharbi, entre la chaîne de l’Amsâk et les dunes ;
Un système de puits à galeries, fogârât, creusé sur le flanc du versant Sud de l’Amsâk dans un golfe vis-à-vis l’ancienne Garama.
Me trouvant à Djerma, je ne pus m’empêcher de penser aux émeraudes garamantiques jadis si célèbres à Rome. Sur les lieux, on ne m’a donné que des renseignements négatifs ; mais les Arabes nomades de l’Ouâdi-ech-Chiati, à 120 kilomètres au Nord de Djerma, m’assurèrent que l’on trouvait chez eux de ces émeraudes enchâssées dans des bagues provenant des fouilles des anciens tombeaux. D’autre part, on sait que des émeraudes ont été découvertes dans le Touât, qui devait être compris dans le pays des Garamantes, dont la domination s’étendait dans l’Ouest jusqu’à l’oasis du Tafilelt, l’ancienne Sedjelmâssa. Il est donc possible que les émeraudes de l’antiquité aient été trouvées ailleurs qu’aux environs de Djerma.
Le nombre des villages de l’Ouâdi-El-Gharbi est de onze, savoir :
Oubâri, Ghoreyfa, Touech, Djerma, Teouîoua, Berêg, El-Fogâr, Tekertîba, El-Kharâig, Garâgara, El-Fejîj.
Je ne puis indiquer ceux de l’Ouâdi-Ech-Chergui, n’ayant pas visité cette partie de la vallée.
| Pl. IV. | Page 68. | Fig. 9. |
D. — Dunes d’Édeyen.
Edeyen, en langue temâhaq, signifie dunes. Je donne ce nom à toute une région de sables, courant de l’Ouest à l’Est, que j’ai traversée entre les plateaux de Tînghert et d’Eguélé, puis longée dans la traversée du désert de Tâyta, et que je retrouve au Nord de l’Ouâdi-el-Gharbi en visitant les lacs de Gabráoûn et de Mandara. M. le docteur Barth l’a parcourue dans sa plus grande largeur entre l’Ouâdi-ech-Chiati et l’Ouâdi-el-Gharbi, en se rendant directement de Tripoli à Mourzouk.
La longueur de cette zone de sables, de l’Est à l’Ouest, est de 800 kilomètres environ.
Sa largeur moyenne est de 80.
Dans mon itinéraire géologique de Ghadâmès à Rhât, j’ai indiqué la nature de cette zone entre Ohânet et Abrîha.
Un itinéraire de Ghadâmès à Rhât, recueilli par renseignements, me donne sa largeur entre Tâghma et Tidjedakkannin, avec un puits au milieu, celui d’El-Mîsla.
J’extrais de l’itinéraire du docteur Barth, entre l’Ouâdi-ech-Chiati et l’Ouâdi-el-Gharbi, les renseignements suivants :
« Notre route, extrêmement pénible, nous conduisit presque sans cesse entre de hautes et roides collines de sable. Il s’élevait encore dans certains endroits des groupes de palmiers. Le plus important est l’Ouâdi-ech-Chiouch, enseveli entre deux hautes dunes de sable blanc mouvant.
« Dans notre seconde journée de marche, les collines de sable étaient si escarpées qu’il nous fallait, de nos mains, en aplanir les côtés pour que nos chameaux pussent y avoir pied ; l’un de nos chameliers me dit que cette zone de sable s’étendait, du Sud-Ouest au Nord-Est, depuis Douessa jusqu’à Foukka. »
J’ignore quelle est la position de Douessa, mais je connais celle de Fogha, à l’Est de ma route de retour par Sôkna, et je crois devoir ne pas prolonger jusque-là la zone de ces dunes, bien qu’en effet les sables s’y montrent encore, mais non plus sous la forme de dunes compactes et pressées les unes sur les autres.
« Notre troisième journée de marche, ajoute M. le docteur Barth, continua à travers des collines de sable. Après avoir traversé l’Ouâdi-Djemmal, nous arrivâmes à la pente la plus escarpée de ce désert de sable.
« Nous campâmes dans l’Ouâdi-Tiguidéfa, près de deux palmiers plantés l’un à côté de l’autre et d’une source abondamment pourvue de fort bonne eau.
« Après douze heures de marche dans les dunes de sable, nous arrivâmes, le quatrième jour, dans l’Ouâdi-el-Gharbi. »
En allant visiter les lacs de Mandara, de Gabráoûn, de Bahar-ed-Doûd et autres, situés dans ces dunes, au Nord de l’Ouâdi-el-Gharbi, j’eus l’occasion de les reconnaître de nouveau. Je les trouvai dépourvues de végétation, d’un accès difficile, tantôt formant des chaînes, tantôt s’élevant, à de grandes hauteurs, en pitons isolés taillés presque à pic.
Un des caractères distinctifs de cette région est d’être abondamment pourvue d’eau, car indépendamment des dix lacs salés ou d’eau douce dont il a été question au chapitre précédent, il en est encore d’autres que je n’ai pas cru utile d’aller visiter, parce qu’ils m’ont paru tous de même nature.
M. le docteur Barth constate aussi la présence de l’eau en plusieurs points.
On dirait donc que cette immense région de sable a pour mission de conserver les eaux des hauteurs qui les bordent.
E. — Hamâda de Mourzouk.
Entre l’Ouâdi-el-Gharbi et Mourzouk s’étend un plateau que les indigènes appellent hamâda, sans le différencier par un nom particulier des autres hamâd, mais auquel je donne le nom de la capitale du Fezzân, afin de le distinguer de ses homonymes.
En sortant de l’Ouâdi-el-Gharbi, on doit traverser la chaîne de l’Amsâk par un col étroit, difficile à gravir, à cause des pierres glissantes qui obstruent le passage ; puis on entre dans la hamâda, dont le sol, dépourvu de végétation, est couvert d’un gravier mélangé de terre formant un tout solide. Cette contrée me rappelle, malgré moi, la hamâda entre Laghouât et le pays des Beni-Mezâb, avec cette différence que les pistachiers du Sahara algérien sont remplacés dans le Fezzân par des gommiers.
On me signale à peu de distance, dans l’Ouest de la route, un puits de 45 mètres de profondeur ; plus loin, je trouve dans le lit de l’Ouâdi-er-Resiou un autre puits qui n’a plus que 18 mètres ; il s’appelle Bîr-’Amrân. La hamâda conserve toujours l’aspect d’un désert sec et aride jusqu’à l’Ouâdi-’Otba.
L’Ouâdi-’Otba est une longue vallée qui prend son origine dans la chaîne de l’Amsâk et se prolonge dans l’Est jusqu’au delà de la route de Mourzouk à Sôkna. Il ne forme oasis que dans sa partie centrale, là où des alluvions sablonneuses permettent la culture des palmiers et des autres arbres.
On y compte cinq villages, savoir :
Tessâoua, Agâr, Tiggerourtîn, Marhaba, Doûjâl, tous rapprochés les uns des autres et réunis ensemble par des plantations de palmiers.
Grâce à l’altitude du plateau, on trouve dans cette oasis des végétaux des zones les plus différentes, entre autres l’olivier à côté du palmier, le pommier et le pêcher à côté du gommier et d’autres arbres de l’Afrique centrale.
L’Ouâdi-’Otba, comme l’Ouâdi-el-Gharbi, n’est alimenté d’eau que par des puits. La nature du sol est la même, mais moins saline.
Entre l’Ouâdi-’Otba et la dépression de Mourzouk, on traverse la suite de la hamâda, couverte de gravier en tout semblable à celui qu’on a rencontré dans la partie Nord ; quelques petites dunes de sable viennent de temps en temps atténuer la monotonie du paysage.
La distance entre l’Ouâdi-el-Gharbi et l’Ouâdi-’Otba est de 55 kilomètres, celle de l’Ouâdi-’Otba à Mourzouk est de 45 ; ensemble 100 kilomètres.
Ce plateau, que j’ai traversé obliquement, est limité au Nord et dans l’Ouest par la chaîne de l’Amsâk ; mais dans le Sud et dans l’Est, il se prolonge indéfiniment jusque dans le pays des Teboû ; ce qui rend les routes méridionales de ce côté si pauvres en eau.
F. — Dépression de la Hofra.
La dépression dans laquelle se trouve Mourzouk, et que les indigènes appellent Hofra (bas-fond), est une surface unie de 110 kilomètres de long sur 15 de large environ, divisée en deux parties inégales, l’une de 30 kilomètres à l’Ouest, l’autre de 80 à l’Est de la capitale du Fezzân.
Son fond est par excellence une terre de heycha, c’est-à-dire un terrain alluvionnaire salin, à couches aquifères à peu de profondeur.
Les alluvions de la Hofra sont de sable mêlé d’argile, formant un tout assez solide, mais facile à travailler.
La terre est tellement saline que les briques, avec lesquelles la ville de Mourzouk est construite, se fondent à la pluie comme le sel lui-même.
La profondeur moyenne des puits est de quelques mètres ; l’eau qu’ils fournissent est un peu saline comme le sol et d’une digestion difficile.
Aux environs de Trâghen, existe une source, celle de Ganderma, l’une des plus belles qu’on puisse trouver dans la région saharienne.
La fontaine est entourée d’une muraille d’enceinte assez vaste, mais très-mal conservée. Cette construction est défendue, sur toute sa circonférence, par un fossé qui porte le nom de gandô. Il servait autrefois de réservoir, d’où les eaux se rendaient par trois canaux aux plantations de palmiers jusqu’à Ghoddoua, à 2 kilomètres de la source. Ces canaux, dont on peut encore suivre le tracé, avaient de 0m 70 à 1 mètre de largeur ; ce qui témoigne d’un débit considérable.
Au moment de la conquête arabe, la source fut, dit-on, bouchée avec des coins en pierre ; seul moyen que trouvèrent les conquérants pour réduire à leur discrétion la ville païenne de Trâghen. Depuis cette époque, la plus grande partie des eaux se perd dans le sol.
Toute l’étendue de la dépression de la Hofra est couverte, de l’Ouest à l’Est, de villages, de plantations de palmiers et de cultures de toute nature.
Au Sud-Ouest de Trâghen, à 2 kilomètres environ, s’étend une sebkha autour de laquelle on rencontre des pierres bizarres appelées merch ou fordogh.
Ces pierres, de nature calcaire, ont subi une sorte de cristallisation, mais, au lieu de prendre des facettes régulières comme celles des cristaux, elles montrent les formes les plus étranges, cependant toujours terminées par des lignes courbes ; ce sont probablement des concrétions accidentelles des particules calcaires dont les terrains voisins des sebkha sont comme imprégnés. Les produits naturels auxquels on peut le mieux les comparer sont les stalactites.
Touîla est dans l’Est le dernier village de la Hofra ; il est bâti au pied d’un petit plateau pierreux qui forme la limite orientale du bassin. Sur l’un de ses versants, on a construit un puits à galerie ou fogâr, qui amène l’eau dans les réservoirs échelonnés servant à l’arrosage.
G. — La Cherguîya.
La Cherguîya est séparée de la Hofra par une petite hamâda, continuation probable de celle de Mourzouk et entrecoupée de dépressions alluvionnaires salines de même nature que la Hofra elle-même.
En quittant Touîla pour aller dans la Cherguîya, on gravit immédiatement le petit plateau pierreux auquel cette ville est adossée.
Ce plateau est composé d’un grès[67] quartzeux, brun lie de vin, probablement chauffé par les anciens volcans, et d’un grès grossier, très-siliceux, blanchâtre[68] dans certaines parties, jaunâtre[69] dans d’autres.
A l’extrémité orientale de ce plateau, on trouve Maghoua, petit village bâti dans une dépression saline dont l’eau a un goût de sel très-prononcé.
En continuant la route dans l’Est, le sol est recouvert de buttes de terre couronnées de tamarix ethel qui portent à croire que ces arbres auraient protégé de leurs racines la partie d’un terrain autrefois plus élevé. Une inondation formidable et récente aura probablement ravagé celles de ces terres que les tamarix ne couvraient pas.
Dès qu’on quitte ce sol végétal, on rentre dans la hamâda avec son fond pierreux. Au milieu est bâti le petit et misérable village de Tha’aleb. Au delà, la hamâda recommence, d’abord avec un sol de sable et de gravier, puis avec un sol pierreux. Enfin elle finit, et on arrive à Oumm-el-Arâneb, village encore bâti sur le plateau.
Sur la droite de la route, on a laissé une dépression légère appelée El-Guerâra, et plus loin une haute gâra ou témoin isolé.
En quittant Oumm-el-Arâneb, une longue colline rocheuse, de 20 kilomètres environ, reste dans le Nord ; le sol devient sablonneux sans être mouvant jusqu’au village d’El-Bedîr ; au delà on continue à voyager sur un fond de sable mélangé à de la chaux ; après quoi on traverse un petit plateau pour descendre dans une dépression riche de végétation dont le village d’Oumm-es-Sougouîn occupe le centre.
Après cette dépression, couverte de palmiers sur une étendue de plusieurs kilomètres, reparaît une hamâda sablonneuse plus élevée que l’oasis.
Je dois faire remarquer ici que, depuis l’entrée dans la hamâda séparative de la Hofra, des sables se montrent toujours dans le Sud, parallèlement à la route suivie. Au delà de la hamâda d’Oumm-es-Sougouîn, les dunes se prolongent à 2 kilomètres de la route avec une bordure de palmiers, puis on monte un nouvel échelon de la hamâda redevenue pierreuse, et sur ce gradin, qui permet de dominer les dunes de droite, on aperçoit une longue ligne de hauteurs bleues à 14 kilomètres environ. Je suppose que c’est le rebord du plateau sur lequel on trouve Gatrôn et Wao.
Le village de Medjdoûl, qui fait partie de la Cherguîya, est situé entre la ligne des sables et celle des hauteurs bleues.
Des points élevés de la hamâda d’où je plonge mes regards vers le Sud, on descend par une pente douce dans les terres de culture et les plantations de Zouîla.
De Touîla à Zouîla, la distance est de 70 kilomètres. Je n’ai pu ni entrer ni séjourner dans cette dernière ville, et j’ai dû la quitter quelques heures après avoir atteint ses jardins.
Tout ce que j’en sais, c’est que l’oasis de ce nom est considérable comme étendue et couvre le bas-fond d’une dépression entre une ligne de dunes de sables au Sud et une ligne de collines rocheuses au Nord. L’eau qui alimente la ville est fournie par des puits.
Ici se termine ma reconnaissance à l’Est des montagnes occupées par les Touâreg.
Je m’étais proposé, en m’avançant dans l’Est du Fezzân, d’aller jusqu’au massif du Hâroûdj, sur la route de l’Égypte, pour embrasser dans son ensemble le mouvement géologique auquel est due la formation des montagnes de cette partie du Sahara ; mais, à la résistance que je rencontrai à Zouîla, malgré l’appui du gouvernement turc, je reconnus que je ne serais pas mieux accueilli chez les fanatiques des villes de Fogha et de Zella et chez les Arabes nomades de la montagne ; je me bornai donc à recueillir des renseignements qui, complétés par ceux du voyageur Hornemann et de M. de Beurmann, ne laissent aucun doute ni sur la nature volcanique de ce massif, ni sur sa position.
H. — Massif du Hâroûdj.
Construit d’après mes renseignements combinés avec ceux du voyageur Hornemann, le massif volcanique du Hâroûdj constitue un grand système de montagnes entièrement isolé, de 224 kilomètres du Nord au Sud, sur une largeur moyenne de 170 de l’Ouest à l’Est, traversé obliquement par la route des caravanes du Fezzân en Égypte, entre Zouîla et Aoudjela, route que Hornemann a parcourue à grandes marches en 5 jours 1/4.
Sa principale altitude, de 800 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, est indiquée à l’angle Nord-Est, à peu de distance de Zella ; de ce point, la montagne s’incline graduellement vers le Sud-Ouest, de manière à venir se confondre avec les collines de la hamâda calcaire qui l’enveloppe, de Zella à Fogha, de Fogha à Temessa, de Temessa à Wao, ce qui a fait distinguer un Hâroûdj noir (el-Asoued) au Nord et un Hâroûdj blanc (el-Abiod) au Sud.
J’estime à 600 mètres l’altitude moyenne du plateau sur lequel se développe le Hâroûdj.
D’après Hornemann, la surface générale du pays présenterait des chaînes continues de collines courant dans diverses directions, de 8 à 12 pieds seulement au-dessus du niveau intermédiaire, et entre ces coteaux (sur une surface parfaitement unie) s’élèveraient des montagnes isolées à rampes extrêmement escarpées ; l’une d’elles, le Stres, était fendue depuis le haut jusqu’au milieu ; une autre, depuis le pied jusqu’au sommet, était couverte de pierres détachées de même nature que les collines.
Entre les collines basses et les pics surélevés, il y a de petites vallées couvertes de sables et de végétation, dont quelques-unes de 4 kilomètres de largeur. Au milieu de ces parties planes seraient épars des blocs de pierre, de même nature que celle des pics des montagnes.
La roche du Hâroûdj est moitié rouge, moitié noirâtre ; la partie rouge, plus poreuse, plus spongieuse, plus légère, est moins dense que la noire. Dans ces scories, Hornemann n’a pu découvrir aucune matière ou substance étrangère.
La couche de terre servant d’assise à ces masses de verrues rocheuses lui a paru des cendres sorties d’un volcan.
La stratification des pierres est horizontale, mais souvent dérangée : une partie du premier lit s’enfonçant et se mêlant avec celles du second et celles du second avec celles du troisième.
Quelquefois, ajoute le voyageur, il ne paraît pas du tout de strata et une suite de collines basses est formée d’une masse solide de rochers, avec des crevasses dans la direction du Nord.
Hornemann rencontra une caverne de 9 pieds de profondeur et de 5 pieds de largeur ; il éprouva, dit-il, des sensations telles que s’il avait vu l’entrée des enfers.
Son interprète, Frendenburgh, en vit une autre dont les escaliers étaient noirs jusqu’à une profondeur considérable et dont le stratum était de pierre blanche.
Pour Hornemann, il n’y a pas de doute, la formation du Hâroûdj est due à un soulèvement volcanique.
Dans sa partie occidentale, à une journée de marche dans l’intérieur du massif, le cheïkh de Fogha indique une source sulfureuse, nouveau témoignage de l’action volcanique.
A part cette source, impropre à l’alimentation, mes indicateurs ne me signalent aucune eau dans toute cette région.
Après les pluies, on en trouve dans des rhedîr ; c’est là que s’abreuvent les bergers et les troupeaux des tribus nomades des Riah, des Oulâd-Khérîs et de la Cherguîya, qui, seuls, dans la saison des pâturages, fréquentent cette contrée désolée.
Ce que Hornemann appelle le Hâroûdj blanc n’est qu’une partie de la hamâda de la Cherguîya soulevée, mais non atteinte par l’action du feu souterrain.
Dans les roches blanches et calcaires de cette contrée, dit-il, on trouve des squelettes entiers de gros animaux marins pétrifiés, des têtes de poissons qu’un homme pourrait à peine porter, des coquillages, des conques variées et en grand nombre.
Il est regrettable que le fanatisme des habitants de la ville de Zouîla ne permette pas à un géologue expérimenté d’aller explorer librement les deux Hâroûdj ; car on pourrait y faire une ample collection de grands fossiles. Le meilleur moyen de pénétrer avec sécurité dans cette contrée est de se placer sous la protection des Riah, Arabes nomades des environs de Sôkna, habitués aux relations avec les Européens et qui vont chaque année faire paître leurs troupeaux dans le Hâroûdj.
J’aurai l’occasion de signaler un gisement de grand fossile dans le Ahaggâr.
D’ailleurs, les fossiles ne paraissent pas rares dans certaines parties de l’Afrique centrale ; car un de mes informateurs qui a fait de fréquents voyages au Kânem m’indique de grands animaux fossiles dans les roches des ravins du Bahar-el-Ghozâl.
IVe SECTION.
DE MOURZOUK À LA MER PAR LE MASSIF VOLCANIQUE DE LA SÔDA.
Dans cet itinéraire géologique, accessoire à l’objet principal de ce travail, je me bornerai à décrire à grands traits ma route, en n’appelant l’attention que sur les points justificatifs de ma carte et sur ceux dans lesquels l’action du feu souterrain se révèle.
De Mourzouk à la Sôda, on ne quitte guère qu’accidentellement les terrains pierreux des hamâd, d’abord celle à laquelle j’ai donné le nom de Hamâda de Mourzouk, puis la grande Hamâda-el-Homra, comprise entre Ghadâmès et Sôkna de l’Ouest à l’Est, et entre El-Hesî et Gueria du Sud au Nord.
Je me limiterai donc aux constatations suivantes :
Traversée de la Hofra, au Nord de Mourzouk ;
Rencontre successive d’une petite sebkha, produisant un peu de sel, à la hauteur de Cheggoua ; d’un second bas-fond couvert de palmiers broussailles ; d’une dépression à sol de sebkha humide ; du lit de l’Ouâdi-’Otba qui se prolonge encore dans le Nord-Est ;
Entre ces bas-fonds, terrains couverts tantôt de pierres de grès-quartzite grossier[70], tantôt d’un simple gravier, alternant entre eux ;
Entre le puits de Néchoûà et le village de Delêm, un fragment roulé de lave[71] dont la couleur varie du vert au noir ;
De ces points à Ghoddoua, gravier solide, semé de pierres noirâtres ;
Au Nord de Ghoddoua, terrain sablonneux couvert de tamarix ethel et de palmiers broussailles qui indiquent la présence de l’eau à peu de profondeur ;
Dans l’Ouâdi-Néchoûà, Bîr-el-Wouchka (puits entouré de palmiers broussailles) au fond d’une petite grotte creusée dans l’argile ;
Gravier solide, avec affleurement de pierres ;
Fin des collines rocheuses signalées au Nord de ma route de Mourzouk à la Cherguîya ;
Dépression d’El-Mehyâf, à sol nu, à bords déchiquetés et hérissés de pitons ;
El-Bîbân (les portes), petit col entre le dernier contre-fort oriental de la chaîne de l’Amsâk et les hauteurs rocheuses du Nord de la Cherguîya qui n’en sont que la continuation atténuée ;
Terrain sablonneux, prolongement des dunes d’Edeyen, dans lequel des palmiers à haute tige et en broussailles se succèdent d’El-Gordha à la ville de Sebhâ ;
Au Nord de Sebhâ, continuation des sables avec palmiers ; hauteurs de 20 mètres composées de grès noir ; dépression pierreuse de Hadjâra (les pierres), avec palmiers ; plaine de Ouâsâà-Khanga (large défilé), à sol de gravier et de pierres et bordée à l’Est et à l’Ouest par des hauteurs qui se prolongent jusqu’à Hotîyet-el-Ghazi (la plaine des maraudeurs), où les sables reparaissent ;
A la sortie des sables, puits de Sâlah-ber-Rekheyyis, avec une eau puante impossible à boire ; sol de gravier avec sables, devenant argileux à l’approche des palmiers de Temenhent.
Les eaux de cette oasis sont douces ou salées, suivant les puits d’où on les tire.
En continuant la route au Nord de Temenhent : d’abord terre argileuse et palmiers avec dunes à 2 kilomètres au Nord ; ensuite sol couvert de pierres noires et d’affleurements de calcaire blanc ; puis dépression riche en végétation et dans laquelle se trouve le puits de Gourmêda.
Après Gourmêda, sol pierreux, ligne de petites montagnes coupant la route. A l’Est apparaissent les plantations de Semnou et celles de l’oasis de Zîghen.
A la sortie des palmiers de Zîghen, le sol s’élève par gradins superposés ; à 10 kilomètres au Nord, les sables réapparaissent, et plus loin, de leur milieu, se dressent des hauteurs noires ; entre les sables et le plateau est la source d’’Aouînet-Tittaouîn. Toujours le voisinage des sables donne de l’eau. On en retrouve encore au puits d’Oumm-el-’Abîd et à un fogâr, ou puits à galerie horizontale situé sur la route, et creusé dans le rebord occidental d’une petite dépression, lequel rebord est composé d’argile feuilletée, recouverte de pierres de grès noir et gris.
Entre ces puits et la montagne volcanique de la Sôda, la route est tout entière dans une hamâda qui d’abord porte le nom de Serîr-ben-’Afîn, puis celui de Boû-Hogfa.
Serîr est synonyme de hamâda.
Mais cette hamâda n’est pas un plateau uni : d’abord elle est coupée par la ligne de collines de Mehyâf, de 10 mètres de hauteur environ, composée d’une roche blanche analogue au plâtre sablonneux ; puis viennent deux petites lignes de sable et une dépression, El-Hofer ; et enfin la ligne des collines blanches du Gâf que la route traverse entre deux mamelons symétriques.
A l’Ouest de Mehyâf se dresse la gâra ou témoin d’’Ameyma qui en est détachée.
A l’Est de la route, mais entre El-Hofer et le Gâf, sont les hautes dunes de Remla-el-Kebîra.
Au delà du Gâf, on aperçoit les hauteurs de la Sôda, et le sol, composé d’un gravier rougeâtre, commence à être parsemé de pierres basaltiques que l’on trouvera en plus grandes quantités dans le ravin de Máitbât, au pied même de la Sôda.
Le Djebel-es-Sôda, ou montagne noire, est un massif volcanique comme le Hâroûdj, isolé comme lui, au milieu d’une hamâda de calcaire blanc.
Sa longueur est de 110 kilomètres environ de l’Est à l’Ouest, et de 55 environ du Sud au Nord. Une sorte de col formé par une série successive de ravins le traverse dans cette dernière direction, et le divise en deux sections, la Sôda-Gharbîya et la Sôda-Cherguîya. C’est dans ce col que passe la route.
L’altitude moyenne de la Sôda est de 736 mètres au dessus du niveau de la mer ; les sommets les plus élevés sont le Dhâharet-es-Sôda dans l’Ouest, et la Gâret-Tefîrmi dans l’Est.
A partir du ravin d’El-Máitbât, en continuant la route, on commence à gravir les pentes méridionales du massif, au milieu d’amas de grosses pierres basaltiques.
Dans l’Ouest, au loin, est une montagne importante, Gâra-el-Kohela (le témoin noir), isolée comme toutes les goûr, mais, par sa nature noire, appartenant au massif de la Sôda.
Les échantillons des roches que j’ai rapportés de cette contrée ont été déterminés par M. Des Cloizeaux, ainsi qu’il suit :
Échantillon no 50. « Roche volcanique amygdaloïde basaltique, remarquablement lourde, contenant probablement du fer et du péridot. Cette roche indique presque certainement un épanchement volcanique sous-marin. »
Échantillon no 51. « Amygdaloïde basaltique avec géodes remplies de calcaire et d’une substance brune paraissant analogue à l’hyalosidérite. Cette roche se retrouve dans les volcans éteints de l’Islande et de l’Auvergne. »
Les Arabes qui m’accompagnent, et qui sont des Riah de Sôkna, dont les troupeaux, après avoir consommé les pacages de la Sôda, vont dans le Hâroûdj, m’affirment que les pierres de ce dernier massif sont de même nature que celles de la Sôda.
Hornemann, qui traversa la Sôda après avoir reconnu le Hâroûdj, fit la même constatation.
Le point culminant de la route, celui qui forme le partage des eaux, est Dhâharet-Moûmen (le dos de Moûmen), plateau uni, très-vaste, couvert de grosses pierres.
Au centre de ce plateau est une légère dépression à sol de gravier ; elle se nomme El-Mejnah.
De Dhâharet-Moûmen, la route continue par une succession de ravins et de vallées jusqu’à Sôkna, au pied du versant Nord de la montagne.
Dans cette seconde partie de la route, la nature des roches s’est modifiée : les pierres basaltiques n’occupent plus que le haut des berges ; celles qu’on trouve dans le lit de l’ouâdi ont toutes été roulées ; le fond des roches est un calcaire coquillier, de couleur rougeâtre, qui repose lui-même sur des argiles.
Les ravins successivement suivis ou traversés sont :
Au Sud de Dhâharet-Moûmen,
L’Ouâdi-Temechchîn, très-étroit, qui se dirige vers l’Est ;
L’Ouâdi-Fonguer ;
L’Ouâdi-Ouiddegânen (les lits de ces deux ouâdi se creusent de plus en plus et ont des berges très-marquées) ;
Megrîz-es-Sâmeha ;
Megrîz-el-Ghârega ;
L’Ouâdi-Tîn-Guezzîn, assez vaste et profond ;
L’Ouâdi-Boû-l’Hâchem ;
L’Ouâdi-Boû-l’Ferêa’a ;
Au Nord de Dhâharet-Moûmen :
L’Ouâdi-Tefîrmi, profond ;
L’Ouâdi-Zeggâr, qui se dirige dans l’Est ;
L’Ouâdi-el-Wouchka ;
L’Ouâdi-Boû-Souwân ;
L’Ouâdi-el-Afenât.
Le nombre considérable d’ouâdi rencontrés ou traversés indique combien la Sôda est ravinée et accidentée, et, bien certainement, la route la parcourt dans sa partie la plus accessible.
Une argile verdâtre[72], imprégnée de sel marin, et parsemée de cristaux de gypse lamellaire, sert de base au calcaire de l’Ouâdi-el-Wouchka.
Ce calcaire, crétacé[73], gris, jaunâtre, saccharoïde, contient des moules de cardium et de turritella indéterminables.
L’Ouâdi-Tîn-Guezzîn a des puits-citernes (themed) dans le haut ; mais le seul puits réel de la route est celui de Gottefa, dans la vallée de Boû-Souwân.
Un pacha du Fezzân, Moukkeni, avait entrepris d’en faire creuser dans le ravin de l’Ouâdi-Temechchîn ; il a dû abandonner cette entreprise ; depuis, les travaux ont été continués par un riche marchand de Sôkna, Makersou, mais sans plus de succès, malgré la grande profondeur du forage.
Sur la périphérie du massif, on me signale huit puits, savoir : Wenzeref, Oumm-es-Slâg, Meguettem, ’Açîla, ’Aâfia, Zâkem, Ferdjân, Zemâmîya.
J’ignore quelle est la qualité des eaux de ces puits, mais celles de Sôkna se troublent beaucoup par l’addition du nitrate d’argent, qui ne s’y dissout pas complétement, ce que j’ai pu constater en cherchant à préparer un collyre. Celle de la petite ville de Hôn, à 12 kilomètres Est de Sôkna, est amère et encore plus désagréable au goût ; enfin celle de Zemâmîya, que j’ai eu l’occasion de goûter, en allant de Sôkna à Bondjêm, est aussi amère et mauvaise, comme celles de toute cette région.
Je ne continuerai pas cet itinéraire dans les détails qu’il comporte jusqu’à la mer. Je me bornerai à dire qu’au Nord de Zemâmîya, les sables disparaissent, le sol devient calcaire, et toutes les montagnes sont de calcaire blanc compact. La seule exception à cette loi générale est à quatre journées de marche de Tripoli, dans les berges de l’Ouâdi-Nefîd : on y retrouve la même structure géologique que sur le flanc Nord de la Sôda, notamment dans le Chaa’bt-es-Sôda, où des pierres basaltiques sont éparses sur une assez grande étendue de terrains calcaires[74].
Toutefois, je ne puis m’abstenir de parler de la grande Hamâda-el-Homra (la rouge), dont les quatre points cardinaux sont marqués par Ghadâmès à l’Ouest, Gueria-el-Gharbîya au Nord, Sôkna à l’Est et El-Hesî au Sud.
M. le docteur Barth l’a parcourue du Nord au Sud sur une étendue de 215 kilomètres. De l’Est à l’Ouest, elle en a 690. Dans cette dernière direction, aucune route ne la traverse, parce qu’aucun animal ne peut supporter la faim et la soif assez longtemps pour entreprendre un pareil voyage.
D’après le savant voyageur, l’altitude moyenne du plateau est de 451 à 486 mètres. A son point le plus élevé, Redjem-el-Erha (le tas de pierres meulières), il atteint 511 mètres.
Le caractère général de cette hamâda est d’être totalement dépourvue d’eau et presque totalement de végétation et d’animaux. Les oiseaux eux-mêmes n’entreprennent pas sa traversée sans danger ; aussi, comme en mer, leur présence signale-t-elle le voisinage d’une terre habitable.
Une tranchée, profondément creusée dans le roc, permit à MM. Barth et Overweg de constater la formation géologique de ce plateau.
« La masse générale des pierres de l’escarpement, dit le docteur Barth, se compose de grès que l’on prendrait, au premier abord, pour du basalte, à cause de la surface complétement noire qu’elles offrent, ainsi que des blocs détachés qui gisent à leur pied.
« Au dessus de cet immense lit de grès, recouvert à certains endroits d’une couche d’argile mêlée de gypse, reposait une autre couche de marne au-dessus de laquelle se trouvait une croûte supérieure de calcaire et de silice. »
Les renseignements particuliers qui m’ont été donnés par les indigènes me permettent d’ajouter que le niveau uniformément plat de la hamâda n’est interrompu que par quelques dunes, des goûr et de légères dépressions.
M. Francesco Busettil, officier de santé de la garnison de Mourzouk, qui a parcouru la hamâda, m’a remis plusieurs fossiles trouvés sur sa route, entre autres :
1o L’ostrea larva[75] (Lamk), de l’étage sénonien de d’Orbigny, de la craie blanche à silex, de la craie de Maëstricht ;
2o Une ostrea[76], du groupe de l’ostrea frons, du terrain crétacé sénonien, dont une identique a été trouvée par M. Hébert, à Aubeterre (Charente), mais qui n’est pas encore décrite ;
3o Des baguettes d’oursins[77] qui devaient être énormes ;
4o Plusieurs coquilles univalves[78] indéterminables ;
5o Enfin une concrétion curieuse[79] qui ressemble à l’agate.
Quand on constate l’état actuel de ce désert, nu, aride, sans eau, on se demande comment les armées romaines ont pu le traverser à une époque où le chameau n’était pas encore introduit dans le pays ; car l’assiette des ruines romaines sur cette route, à l’exclusion de celle par Sôkna, ne laisse aucun doute sur la voie suivie pour aller d’Œea (Tripoli) à Garama (Djerma). D’ailleurs le passage suivant de Pline ne laisse aucune incertitude sur la préférence donnée à la voie directe : « Jusqu’à ce jour, le tracé de la route des Garamantes fut inexplicable. Dans la dernière guerre que les Romains entreprirent avec le concours des Œensiens, sous les auspices de l’empereur Vespasien, le total de la route fut diminué de quatre jours. Ce chemin est appelé : par la tête de la montagne, PRÆTER CAPUT SAXI. » (Liv. V, 5.)
Aujourd’hui, avec le concours du chameau, les caravanes traversent péniblement la hamâda ; une armée, fût-elle exclusivement indigène, ne le pourrait pas.
Ve SECTION.
DE RHÂT À IN-SÂLAH.
La présence de Mohammed-ben-’Abd-Allah au Touât, avec des contingents qui devaient bientôt arborer l’étendard de la guerre sainte et envahir le Sahara algérien, m’a empêché d’aller de Rhât à In-Sâlah par les montagnes d’Azdjer et du Ahaggâr, et de prolonger dans l’Ouest, comme je l’ai fait dans l’Est, de Tîterhsîn à la Cherguîya, l’étude géologique du plateau central du Sahara, mais de nombreux renseignements me permettent de suppléer à l’exploration personnelle.
Cette section comprendra, de l’Est à l’Ouest :
A. — Le plateau du Tasîli des Azdjer ;
B. — Le plateau d’Éguéré ;
C. — Le plateau du Mouydîr ;
D. — Le massif du Ahaggâr.
A. — Plateau du Tasîli.
Je résume succinctement les indications géologiques sur le Tasîli que me fournissent mes observations et mes itinéraires par renseignements.
La masse du plateau est de grès, noir à la surface, mais semblable aux échantillons de ma collection pris entre l’Ouâdi-Târât et l’Ouâdi-Tîterhsîn. — Le nom d’Éguélé (le coléoptère), donné à un pic isolé du rebord Sud du Tasîli, indique que cette roche se retrouve dans le Sud-Ouest comme dans la partie Nord-Est du plateau que j’ai traversée.
Sur plusieurs points, des roches blanches, probablement des calcaires crayeux, sont signalées, notamment à Tâfelâmt-Tamellet et à Tiôkasîn. L’informateur qualifie ce dernier point de hamâda à sol blanc.
Après les grès, les roches de formation volcanique, semblables à celles que j’ai trouvées à Sâghen et dans la Sôda, les unes poreuses et légères, les autres compactes et pesantes, semblent être fréquentes, notamment dans l’Adrâr, dont la longueur est de quatre jours de marche et la largeur de deux.
Le point culminant d’In-Esôkal est-il le seul volcan éteint d’où sont sorties toutes ces roches volcaniques ? Je l’ignore, mais je suis tenté de lui assigner ce rôle en commun avec d’autres pics isolés qui me sont signalés sur toute l’étendue du plateau, car la dissémination des laves démontre que le feu souterrain a dû se faire jour en plus d’un endroit.
Un long ravin, tellement profond et encaissé que le soleil y pénètre à peine quelques heures par jour, coupe le Tasîli par son milieu, du Sud au Nord, du pic d’In-Esôkal à la vallée des Igharghâren. Ce ravin, qui porte le nom d’Ouâdi-Afara dans sa partie supérieure et d’Ouâdi-Sâmon dans sa partie inférieure, peut être considéré comme une fracture du plateau, contemporaine sans doute de l’action volcanique.
La force du feu épuisée pour soulever la portion orientale du Tasîli a laissé en contre-bas la portion occidentale ; de là la brisure, de là le niveau différent des deux parties du plateau, l’une surélevée, l’autre plus basse et s’inclinant en pente douce vers le bassin de l’Igharghar.
Après ces indications générales, mes renseignements me donnent comme détails les faits géologiques suivants :
Carrière de serpentine dans le ravin de Tehôdayt-tân-Hebdjân, ainsi appelé parce qu’on en tire la pierre dont on fait les anneaux de bras que portent les Touâreg ;
Débris d’un grand mammifère fossile[80] dans le ravin de Tehôdayt-tân-Tamzerdja ;
Sebkha ou saline à laquelle aboutit ce dernier ravin ;
Mine de bon alun à Tifernîn sur la route d’’Aïn-el-Hadjâdj à ’Aouînet-Tîn-Abderkeli ;
Fer oligiste semblable à l’échantillon no 29, et grès ferrugineux sur plusieurs points du plateau ;
Roches bouleversées en un grand nombre d’endroits.
D’après les remarques et les échantillons de M. Isma’yl-Boû-Derba, les grès et la craie blanche du Tasîli reposeraient sur le terrain dévonien.
Indépendamment des lacs de Mîherô, assez riches en eaux pour nourrir des poissons, mes informateurs me signalent dans Amguîd, sur le rebord occidental du Tasîli, une source du nom de Tîn-Selmakin, dont le bassin est assez grand pour que de gros poissons y vivent aussi.
B. — Plateau d’Éguéré.
Le petit plateau d’Éguéré semble être une seconde fracture du Tasîli, mais la fracture, au lieu de s’étendre sur toute sa largeur comme celle d’Afara, est restreinte à l’angle Sud-Ouest du plateau. La séparation, au lieu d’une ravine profonde et étroite, forme ici une plaine ou large vallée parcourue par l’Ouâdi-Têdjert, prolongement Nord de la plaine d’Amadghôr.
Je n’ai aucune indication sur la nature de la roche d’Éguéré, mais tout me porte à croire que la masse est de grès.
C. — Plateau du Mouydîr.
La forme particulière du Mouydîr, la situation du point dominant, l’Ifettesen, par rapport aux trois points culminants du Ahaggâr, le prolongement de ses assises caractérisé dans l’Est par des pitons isolés : Tisellêlin, Afisfés, Sakkâya, le voisinage de la source sulfureuse de Dhâyet-el-Kâhela, tout semble indiquer que la formation de ce plateau est due à l’action volcanique. Cependant, je dois le dire, aucune indication précise de mon journal de voyage ne justifie cette opinion ; j’ai négligé d’interroger les indigènes à ce sujet.
Mes notes se bornent à signaler la présence du fer à Tiwonkenîn, appelé par les Arabes Kheng-el-Hadîd.
L’abondance relative des eaux dans le Mouydîr est aussi un fait confirmé par tous les informateurs.
D. — Massif du Ahaggâr.
Le soulèvement du massif du Ahaggâr par l’action du feu souterrain n’est pas seulement attesté par la forme de son relief et par les témoignages nombreux des indigènes, il est encore affirmé par les laves roulées que M. Isma’yl-Boû-Derba a trouvées dans le lit de l’Igharghar à son débouché des montagnes, dans un endroit où les sables ne sont pas venus cacher la nature des alluvions.
Voici ce que dit ce voyageur :
5 Septembre. « Vers les quatre heures du matin, nous gagnâmes l’Ouâdi-Igharghar. Une grande vallée unie venant du Sud-Ouest et se dirigeant vers le Nord-Est forme le lit de la rivière. De gros cailloux roulés, en pierre ponce, semblent indiquer l’origine de cet ouâdi.
« Les Touâreg, en me montrant cette pierre, me dirent qu’elle est tout à fait semblable à celle dont est formé le pâté de montagnes du Ahaggâr. Elle est très-légère, celluleuse, d’une couleur noirâtre, et affecte l’apparence d’une éponge. »
M. le docteur Marès, qui a vu les échantillons de M. Isma’yl-Boû-Derba, les a trouvés identiques à ceux que j’ai rapportés de Sâghen et que M. Des Cloizeaux a reconnus être de la lave de volcan éteint.
Ces laves ne peuvent provenir du même point, car les sables de la plaine des Igharghâren empêchent aujourd’hui et depuis longtemps la communication de l’Ouâdi-Tikhâmmalt avec l’Igharghar. Ainsi la certitude scientifique est absolue.
Voici maintenant les indications particulières que me donnent mes renseignements.
Tout l’Atakôr-en-Ahaggâr est en pierres noires. Du côté du Touât, elles s’étendent jusqu’à l’Ouâdi-Idjeloûdjâl. De ce point à Menîyet, la roche est blanche, mais elle redevient noire lorsque l’on monte le Mouydîr.
Le promontoire du Tîfedest est aussi noir : tout indique qu’il a dû être couvert par les laves du puy d’Oûdân, comme l’Atakôr par celles des puys de Ouâtellen et Hîkena.
Quoi qu’il en soit, si l’identification des trois monts ci-dessus nommés avec d’anciens volcans est permise, celle des cônes des gradins inférieurs, quoique possible, est moins probable.
Le Ahaggâr doit à son altitude et à sa constitution géologique une richesse de sources d’un débit assez abondant, car elles suffisent aux besoins de l’irrigation. On y cite des ruisseaux à eaux courantes, ceux d’Idélès, de Tâzeroûk et de Tazoûlt, très-grande rareté dans le Sahara. On parle même de la cascade d’un ouâdi du nom d’Adjellal, descendant du Tîfedest ; ce serait la seule peut-être entre la vallée du Nil et l’Océan Atlantique.
CONCLUSION GÉOLOGIQUE.
J’ai donné à ce chapitre un développement considérable, sans craindre même de suppléer à l’investigation personnelle par de nombreux renseignements glanés çà et là auprès des indigènes ou dans les travaux de mes devanciers, parce qu’il m’a semblé important de fixer d’une manière plus nette l’opinion sur la constitution géologique de la partie centrale du Sahara, la moins connue jusqu’à ce jour.
Désormais des faits importants me paraissent acquis à la science :
Jusqu’au versant Nord des montagnes des Touâreg, la nature du sol reste la même, sans changements appréciables, et nous présente toujours le terrain crétacé comme au Sud de l’Algérie, de la Tunisie et dans la Tripolitaine.
Dans la montagne apparaissent des terrains paléozoïques reconnus d’abord par le docteur Overweg sous le versant occidental du plateau de Mourzouk, puis par M. Isma’yl-Boû-Derba dans le Tasîli du Nord, et enfin par moi, au pied de l’Akâkoûs, en un point intermédiaire aux gisements précédents.
Désormais, la production, la circulation, l’amoncellement des sables sont circonscrits dans les limites que la nature leur a assignées, et la comparaison du Sahara à une peau de panthère, faite par Strabon, cesse d’être le dernier mot de nos connaissances sur des oasis disséminées dans un désert de sables.
Enfin nous savons que le soulèvement du Tasîli et du Ahaggâr, et probablement des plateaux secondaires qui en dépendent, est dû à une action volcanique définie, comme le Djebel-Nefoûsa, la Sôda, le Hâroûdj et le massif d’Aïr.
Ces connaissances sommaires ont besoin d’être complétées, cela est certain ; mais en attendant, nous avons la satisfaction d’être arrivé à un résultat qui nous permet de contrôler les récits fort obscurs des anciens sur une contrée qui a excité la curiosité du monde depuis l’antiquité.