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Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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Merveille d'amitié dont les vertus divines

Surpassent les héros comme les héroïnes,

Qui seule consolez mon triste éloignement

Et de ces belles fleurs faites votre ornement.

Il faut que vous sachiez, Monsieur, que le Prince qui est le héros du poëme est, à la fin de l'ouvrage, métamorphosé en fleur, et cette fleur est une espèce de giroflée jaune qui croît sur les murailles, que j'ai toujours fort aimée, et dont M. de Pellisson en voyoit beaucoup sur les tours de la Bastille, lorsqu'il eut la permission de s'y promener conduit par un officier. Cet ouvrage a assurément de grandes beautés et me fait beaucoup d'honneur en divers endroits, et le Roi y est mieux loué en quatorze vers qu'on ne l'a quelquefois loué en mille. Le beau discours de M. l'abbé de Fénelon est imprimé, et il mérite sans doute la réputation qu'il a; je suis fâchée qu'il soit trop gros pour vous l'envoyer par la poste.

Je ne vous dis point de nouvelles aujourd'hui. On ne savoit point encore hier où va le Roi; mais il partit du Quesnoy le 3 de ce mois et toutes les armées marchoient. Les ennemis n'ont que soixante mille hommes qu'ils ont séparés et mis dans les villes qu'ils craignent le plus de voir assiégées, comme Bruxelles, Gand et Liége; et le Roi a plus de cent dix mille hommes en ses deux armées. Il fit ses dévotions le 1er de juin au Quesnoy, se portant parfaitement bien. S'il n'est pas venu de courrier la nuit dernière, on n'en sait que cela; mais toute l'Allemagne tremble depuis la prise d'Heidelberg, et on ne croit pas que le prince Louis de Bade attende M. le maréchal de Lorge qui marchoit vers lui quand on m'a écrit. Je suis, Monsieur, avec toute l'estime que vous méritez et toute la sincérité de mon cœur, votre, etc., etc.

AU MÊME.

15 décembre 1693.

Je suis fort aise, Monsieur, que vous ayez reçu les deux ouvrages de l'illustre mort et que vous les trouviez aussi beaux qu'ils sont. L'Élégie est touchante et généreuse, mais le Discours au Roi est un chef-d'œuvre plein d'esprit, de jugement, de magnanimité et d'éloquence; et ce qui en redouble le prix est le temps et le lieu où tout cela a été fait: car les difficultés qui s'y rencontroient eussent paru insurmontables à tout autre qu'à moi. Mais l'amitié et le courage viennent à bout de tout....

Vous ne pouvez pas ignorer ce qui est arrivé à Saint-Malo et de quelle manière la machine infernale qui pouvoit détruire six villes comme celle-là, a échoué; que l'ingénieur qui l'avoit faite y a été étouffé avec deux autres, qu'il est resté sept cents bombes remplies d'ingrédiens diaboliques et tout nouveaux, et que le fracas que fit l'embrasement de la poudre fut si grand qu'on crut que cent mille hommes tomboient tout à la fois sur la ville. Tout le monde tomba dans les rues et dans les maisons; un canon de fer, chargé de trois livres de balles, passa par-dessus la maison où étoit M. le duc de Chaulnes, et alla se ficher dans un grenier sans faire une ouverture plus grande que celle qu'il lui falloit pour passer: cela est incroyable et est très-vrai. Il y a environ quarante maisons découvertes et des vitres brisées. Et cependant cet effroyable fracas n'a pas tué un chat (on me l'écrit en ces termes-là), et n'a pas mis le feu aux artifices qu'on avoit préparés pour perdre la ville. Il nous est resté plus de sept cents bombes pleines d'ingrédiens nouveaux: on en a envoyé une au Roi. Le fracas fut si terrible qu'on crut à Caen que la terre trembloit. On a encore trouvé une chaloupe double que M. de Chaulnes a trouvée si bien faite qu'il en veut faire six toutes pareilles. Je fus si touchée de ce terrible événement quand j'en reçus la première nouvelle, que je fis l'impromptu que je vous envoie [469]. On dit que la machine coûtoit deux millions au prince d'Orange, et j'apprends en cet instant, par des lettres de Bretagne et de Basse-Normandie, que la mer a vu près de cent Anglois morts sur ses bords, que les ennemis n'avoient plus de vivres et qu'ils en ont été prendre aux îles de Jersey et de Guernesey, où ils ont enterré un mort de quelque conséquence. Je suis bien obligée à M. le président Boisot de son souvenir. Je vous prie de l'en remercier pour moi et d'être bien persuadé, Monsieur, que personne ne connoît votre frère mieux que je le connois, et n'est plus véritablement votre, etc.

AU MÊME.

6 mars 1694.

Votre dernière lettre, Monsieur, est si bien écrite, si généreuse pour l'illustre mort et si obligeante pour moi, que je ne puis assez la louer, ni vous en remercier. Je vous apprends qu'on imprime les approbations du Traité de l'Eucharistie et l'Épître dédicatoire au Pape, et que la première approbation est de M. l'archevêque d'Arles [470], qui a si bien connu la force et la beauté de l'ouvrage qu'il approuve, et a si parfaitement pénétré le sens de l'auteur, qu'il ouvrira les yeux aux moins éclairés. Et ce qui augmente mon plaisir, c'est que c'est moi qui ai obtenu, par une de mes amies, que cet archevêque travaillât; il étoit enrhumé, il avoit des affaires et le temps étoit court. Mais enfin je l'ai emporté, et j'en suis ravie, car cela pare le livre. Mais comme M. l'abbé de Ferriès sera le maître des exemplaires, priez-le de vous en envoyer le plus tôt qu'il pourra. Il y a peu de nouvelles: on envoie vingt bataillons en Piémont, parce qu'on a su que les ennemis y en faisoient passer. M. le prince d'Elbeuf a gagné deux mille pistoles bien aisément: car ayant dit qu'il avoit six juments qui, étant attelées à une manière de petit chariot, alloient et revenoient de Paris à Versailles en moins de deux heures, Monseigneur paria que cela ne se pouvoit et tous les courtisans à son exemple, et ils ont tous perdu.

Il y a une nouvelle Satire de Despréaux imprimée contre les femmes, qu'il croit être la meilleure des siennes. Mais les gens de bon goût ne le trouvent pas, et il y a un caractère bourgeois et des phrases fort bizarres. Il donne un coup de griffe, selon sa coutume, à Clélie, sans raison et sans nécessité [471]. Mais je suis accoutumée à mépriser ce qu'il dit contre ce livre, et je n'y répondrai pas. Un livre qui a été traduit en italien, en anglois, en allemand et en arabe, n'a que faire des louanges d'un satirique de profession. Quand vous aurez vu cette satire qui maltraite fort M. Perrault, ami de M. de Pellisson et le mien, je serai bien aise d'en savoir votre sentiment. Je suis, Monsieur, avec toute l'estime dont vous êtes digne et toute la sincérité dont je fais profession, votre, etc., etc.

AU MÊME.

10 mars 1694.

Je reçois, Monsieur, votre lettre du 4 et j'y réponds à l'heure même, pour vous dire que j'ai bien meilleure opinion de Besançon que vous ne pensez. Et s'il n'y avoit que vous, Monsieur votre frère et Mme de Chandiot qui eussiez de l'esprit et du mérite, il faudroit vous regarder comme des phénix. Mais comme j'ai beaucoup vécu, il y a longtemps que je sais que Besançon est une ville à qui le voisinage de peuples moins polis ne gâte rien. Et puis, Monsieur, quoique le proverbe dise qu'une alouette ne fait pas le printemps, je soutiens que vous seul inspireriez l'esprit et la politesse à toute une grande ville. Vous m'avez fait beaucoup de plaisir de me parler de Mme de Chandiot, dont je n'osois vous parler la première, de peur de l'importuner, car je respecte même mes amis quand ils s'endorment, et je ne les réveille pas étourdiment.

Il y a une Satire contre les femmes du satirique public, que le mérite seul de votre amie doit faire sembler plus ridicule, car il a si mauvaise opinion des femmes qu'il ne peut compter que trois honnêtes femmes dans tout Paris. Mais, quoiqu'il pense que cet ouvrage est son chef-d'œuvre, le public n'est pas de son avis et le trouve très-bourgeois et rempli de phrases très-barbares. Il donne un coup de griffe assez mal à propos à Clélie. Et j'imite ce fameux Romain qui, au lieu de se justifier, dit à l'assemblée: «Allons remercier les dieux de la victoire que nous avons gagnée....»

Je suis, Monsieur, avec toute l'estime dont vous êtes digne, votre, etc., etc.

AU MÊME.

20 mars 1694.

Votre dernière lettre, Monsieur, est si belle qu'une enrhumée n'oseroit entreprendre d'y répondre, et je ne vous écris aujourd'hui que pour vous dire que le Roi a reçu très-favorablement le livre de M. de Pellisson, que M. l'abbé de Ferriès lui a présenté. Je le priai fort hier de vous l'envoyer promptement, et il me dit qu'il le feroit quand le libraire lui en auroit baillé. Je lui en demandai un pour Mme de Sévigné, qui le mérite par cent raisons: il me le bailla. Je ne fis que l'ouvrir et l'envoyer; mais, en l'ouvrant, j'y vis un assez long avertissement dont je n'avois pas entendu parler et dont je ne lus que trois lignes, ne voulant pas faire voir que je le remarquois. Je le crois de la même main que l'Épître: vous m'en direz votre avis. Mais je vous prie très-instamment de ne jamais dire à cet abbé que je vous en aie écrit, et de me mander votre sentiment de l'ouvrage. Comme j'ai trois lettres de M. de Pellisson, qui marquent qu'il a toujours cru qu'il mourroit avant moi, et désiré et attendu que je prendrois soin de son tombeau, j'ai sans doute quelque droit de m'en mêler. Au reste la Satire est toujours plus décriée, et il y a un grand nombre de vers qui la blâment d'une manière sanglante. Il y a encore un ancien satirique qui lui a donné un petit coup de griffe; il s'appelle Linière; voici ce qu'il dit:

Ta Satire contre les femmes,

Que si durement tu diffames,

Vole partout, fameux Boileau;

Et c'est le comble de ta gloire

De voir qu'on la montre à la foire

Comme quelque monstre nouveau.

Il y en a de M. de Nevers d'un autre caractère, mais je n'aime pas à envoyer de pareilles choses [472]. Je suis, monsieur, avec une estime singulière, votre, etc., etc.

AU MÊME.

24 mars 1694.

Je vous écris aujourd'hui, Monsieur, sans répondre à votre belle lettre du 16. Elle est trop modeste pour vous et trop flatteuse pour moi. Vous ai-je envoyé ce que M. de Nevers a écrit contre la nouvelle satire? Quand vous l'aurez lue, vous me ferez le plaisir de me dire si vous savez ce que c'est qu'un lit effronté, et si ce vers:

.... que Vénus ou Satan [473]

peut être fait par un chrétien. Je crois, Monsieur, que vous raisonnez fort bien en politique. On va faire un grand effort en Piémont et en Catalogne. Comme je compte votre voix pour beaucoup, je vais vous écrire un madrigal que je fis hier et que j'enverrai à Versailles [474]. Je ne l'ai montré qu'à M. l'évêque d'Avranches et à M. Bosquillon qui en sont contents. Je souhaite que vous le soyez de même et que vous me croyiez sincèrement votre, etc., etc.

AU MÊME.

7 avril 1694.

Puisque c'est un sujet de joie qui vous a détourné de la lecture du livre précieux de l'illustre mort, je n'en saurois murmurer, et le mariage de votre parent prouve que la Satire contre les femmes n'empêche pas qu'on ne se marie. Toutes vos remarques sont justes [475], et l'on en peut faire beaucoup d'autres. Il n'y a que lui au monde qui puisse mettre Faustine en un rang plus honnête qu'une simple coquette. Je vous envoie les vers qu'on donne à M. de Nevers. J'en viens de voir de si terribles que je ne les ai pas voulu prendre. Vous me faites beaucoup de plaisir, Monsieur, de me faire espérer bientôt votre sentiment sur le livre de l'illustre mort, qui est admiré des plus habiles, des plus savants et des plus polis, et même des plus emportés de ses calomniateurs....

Adieu, Monsieur, la toux me presse de finir; mais ce ne sera pas sans vous assurer que je suis très-sincèrement votre, etc., etc.

A M. HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES [476].

4 juin [1694].

Votre lettre du 29 de mai, Monseigneur, m'a causé un plaisir très-sensible, car connoissant le prix de votre suffrage comme je fais, j'ai été ravie que le dernier ouvrage de celui que je regretterai toute ma vie, l'ait obtenu. J'espère que la suite de cet admirable Traité de l'Eucharistie l'obtiendra de même, et que vous donnerez aussi votre approbation entière au second volume qu'on va imprimer. Je vous ai écrit à Avranches une lettre que je suppose qu'on vous aura envoyée; mais, à tout hasard, je vous répète que le nonce a remis à M. l'abbé de Ferriès, de la part du Pape, une belle lettre latine écrite par le cardinal Spada, par ordre de Sa Sainteté, qui est toute remplie des louanges de feu M. de Pellisson et de son ouvrage. Cela est assurément fort glorieux pour sa mémoire. Le Roi a vu cette lettre, M. de Meaux en est ravi. Le Pape paroît fort aise que cet ouvrage ait paru sous son nom, étant rempli de la doctrine, de la piété et de l'éloquence de son auteur; il a ajouté que cet écrit lui est d'autant plus agréable qu'il ne tient rien de la sécheresse sententieuse des controversistes, et qu'enfin ce livre ne tend qu'à établir et éclaircir la doctrine catholique et à la persuader d'une manière propre à ramener les esprits égarés. Cela est plus fort et mieux dit que je ne le répète, et il finit en disant que M. Pellisson a été heureux de finir ses jours dans une étude si simple et si louable.

Après cela, Monseigneur, permettez-moi de vous dire avec la même franchise que vous me parlez à la fin de votre lettre, que l'éloquence qui paroît dans le Traité de l'Eucharistie n'est pas une éloquence qui farde et ne fait qu'éclairer sans éblouir; car après avoir persuadé l'esprit, elle touche le cœur, et je vous assure, Monseigneur, que cette foi vive, cette charité et cet amour de Dieu qui vous touchent encore plus que tout le reste, vous toucheroient moins sans ce petit rayon d'éloquence naturelle qui brille dans tout cet ouvrage, sans lui ôter rien de cette noble simplicité qui doit accompagner ces sortes de matières.

Je suis, Monseigneur, etc., etc.

A L'ABBÉ BOISOT [477].

21 août [1694].

Je n'entreprends pas, Monsieur, de répondre à votre obligeante lettre, car je n'en ai pas le temps aujourd'hui, mais je veux vous dire que j'apprends que le 9 de ce mois Papachin et milord Russell [478] sont arrivés devant Barcelone, et que M. de Noailles qui étoit à quatre lieues de là, à une petite ville au bord de la mer, dépêcha aussitôt une frégate légère et une tartane, pour aller, séparément, en avertir M. de Tourville à Toulon, qui étoit prêt à faire voiles. Il envoya aussi diverses barques pour observer les manœuvres des ennemis, et voir s'ils débarquoient beaucoup de troupes; il mit des sentinelles sur toutes les hauteurs pour être averti de tout. J'apprends encore d'un autre côté que le 16, le prince d'Orange, manquant de tout dans son camp, renvoya ses gros bagages, et que le 17 à neuf heures du matin [479]..., apprenant que le prince d'Orange faisoit quelque mouvement, fit battre la générale et donna ordre qu'on se tînt prêt à marcher, faisant distribuer les sacs d'avoine par compagnie de cavalerie, et l'on vient d'ajouter à cela que le prince d'Orange marchoit vers Flene [480] et Monseigneur vers la Sambre; dans peu de jours on en saura davantage. Mme de Nemours marie son héritier à Mlle de Luxembourg et lui donne des biens immenses, et c'est un homme qui ne sait que boire [481].

Après cela, Monsieur, je vous dirai que le Roi a reçu admirablement bien le présent de M. Bétoulaud, c'est une onice [482] antique très-belle, où la Victoire est gravée. Ce fut le P. de la Chaise qui la lui donna avec de très-beaux vers qui me sont adressés et où j'ai répondu, et un autre ouvrage qui m'est aussi adressé et où j'ai fait aussi une réponse. J'avois mis le cachet de la pierre antique dans une jolie boëte d'agate garnie d'or. Sa Majesté trouva la pierre très-belle et très-curieuse et prit beaucoup de plaisir aux vers; enfin cela s'est passé très-glorieusement pour M. Bétoulaud et pour moi. S. M. dit qu'elle alloit les montrer à Mme de Maintenon, et je prétends lui écrire mercredi prochain pour lui apprendre que je ne suis pas payée. Il me reste à vous dire que je suis ravie que vous soyez guéri, que je souhaite que votre frère le soit bientôt, et que je suis, Monsieur, plus que je ne le puis dire, votre, etc., etc.

AU MÊME.

Août 1694.

Je vous réponds un peu tard, Monsieur, par des raisons bien différentes. La première est que je fus accablée, à ma fête, de fleurs, de fruits, de vers et de billets, qu'il m'a fallu plusieurs jours à remercier ceux qui me les avoient envoyés et à recevoir les visites de ceux qui venoient voir les vers que j'avois reçus. Mais, depuis cela, ma santé altérée, mes affaires au même état et l'inquiétude où j'étois du Havre où je suis née, et du pays de Caux, où j'ai un neveu à la mode de Bretagne, d'un mérite distingué, et plusieurs autres parents, m'ont fort occupée. Mais grâce à Dieu, les ennemis n'ont pas fait grand mal au Havre, quoiqu'ils y aient jeté plus de mille bombes, où il n'y a eu que six médiocres maisons brûlées, et une chapelle un peu endommagée; et la bombarde qu'une de nos bombes fit sauter en l'air valoit mieux que ce que la ville a perdu. Il n'y a eu qu'un homme tué au Havre, et deux à Dieppe. L'embrasement de cette dernière a été grand par la faute des habitants qui étoient tous sortis de la ville. Mais M. le maréchal de Choiseul, qui étoit au Havre avec la Maison du Roi et la noblesse du pays, fit éteindre le feu aussitôt qu'il prit en quelque part. La citadelle et les vaisseaux du port n'ont eu nul mal.

Comme vous prenez part à tout ce qui me touche, je vous dirai que le Madrigal sur la prise de Gironne [483] a été vu du Roi par le R. P. de la Chaise et qu'il en a été loué plus qu'il ne mérite. J'envoyai hier à ce même père une pierre antique pour le Roi, avec de très-beaux vers que l'on m'avoit adressés, où j'ai répondu. J'ai lieu de croire, vu la manière dont il a reçu mon madrigal, que Sa Majesté ne sait pas que je ne suis pas payée. Si cela continue, je prendrai la liberté de l'écrire à Mme de Maintenon, pour la prier d'en dire un mot au ministre. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle de mes intérêts comme si c'étoient les vôtres. Apprenez-moi, s'il vous plaît, Monsieur, si vous êtes soulagé de la douleur dont vous vous plaigniez par votre dernière lettre. Je le souhaite de tout mon cœur, comme étant véritablement votre, etc. etc.

AU MÊME.

Le 6 novembre 1694.

Un grand rhume causé par toutes les inclémences de l'air et accompagné du chagrin de ne voir pas finir mon affaire du Trésor royal, dont on parlera encore demain au ministre, m'ont empêchée de vous écrire plus tôt. Mes amis n'ont pas encore trouvé cet Eusèbe que vous cherchez. Nous verrons si le public le trouvera, car M. Bosquillon et moi nous avons fait mettre la question dans le Journal des Savants [484]. Nous verrons si quelqu'un sera plus heureux. Il y a très-peu de nouvelles: on parle toujours de la paix avec espérance. Les galères hiverneront à Saint-Malo et à Bordeaux, dont les officiers sont bien fâchés; ils seroient plus agréablement à Marseille. M. l'évêque d'Agen, autrefois le père Mascaron, qui est de mes amis depuis plus de quarante ans, prêcha le jour de la Toussaint à Versailles et charma le Roi et même les courtisans. Je m'y étois attendue, car c'est le plus éloquent homme du royaume et qui prêche le plus solidement. Je vous envoie un madrigal que M. Bosquillon a fait sur ce sermon-là. J'ai fait aussi un impromptu [485], mais on n'y entend rien si on n'a vu une grande Épître que M. de Bétoulaud a faite à la louange de cet excellent prélat qui, dans la disette, nourrissoit les pauvres jusqu'à s'incommoder. Je voudrois bien, Monsieur, vous demander si vous n'approuviez pas mieux que je fisse des mémoires pour la vie de l'illustre mort qu'une vie dans les formes. Car les Mémoires permettent un plus grand détail, et c'est cela qui est très-beau en la vie de M. de Pellisson. Dites-moi votre avis et me croyez, Monsieur, très-sincèrement, votre, etc., etc.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A MADAME DE CHANDIOT
A BESANÇON [486].

Ce 20 avril [1695].

Je n'ai pas voulu, Madame, me donner l'honneur de vous écrire que je n'eusse fait l'entrevue de M. le président Boisot et de M. Bosquillon. Il me paroît qu'ils sont contents l'un de l'autre, et je ne doute pas, Madame, que vous ne soyez contente de l'éloge que ce dernier fait de notre illustre ami [487], sur vos mémoires, dont il est charmé, aussi bien que de quelques-unes de vos lettres que je lui ai montrées. J'en ai vu une fort belle entre les mains de M. le président Boisot, mais comme il me semble qu'il vous a un peu trop alarmée sur ma santé et sur ma vie, où vous avez la bonté de prendre intérêt, je veux un peu vous rassurer et vous dire qu'il n'est pas impossible que je n'aie encore quelque petit nombre d'années à vivre. Il est vrai que l'excessive rigueur de l'hiver dernier m'a causé un fort grand rhume qui ne peut guérir que par le chaud qui n'est pas encore venu, mais il est sans fièvre et sans nul engagement de poitrine, et ce qui m'incommode le plus est un rhumatisme qui m'enferme dans ma chambre et dans mon cabinet, ne pouvant marcher, quoiqu'il ne soit qu'aux genoux.

Mais, comme je suis d'une famille où les ressorts de la raison ne s'usent point, je puis espérer d'en jouir encore un petit nombre d'années, comme je vous l'ai dit. J'en ai un exemple domestique, car la mère de feu mon père a vécu cent huit ans avec toute la liberté de la sienne, et elle jeûna le vendredi et au pain et à l'eau la dernière année de sa vie, comme elle avoit accoutumé depuis quarante ans. Je n'aspire pas à en avoir une aussi longue, j'ai perdu trop d'illustres amis pour le désirer, et il y en a peu de ce temps-ci capables de les remplacer; l'amitié étant devenue extrêmement rare. Je n'ai pas moins perdu d'amies illustres que d'illustres amis. Si nous étions en même lieu, Madame, vous avez tout le mérite qu'il faut pour adoucir toutes mes douleurs, pourvu que je puisse avoir place dans votre cœur; celle que vous avez dans le mien m'en rend en quelque sorte digne, puisque je suis avec toute l'estime que vous méritez et toute la sincérité dont je fais profession, votre très-humble et très-obéissante servante.

A LA MÊME.

Le 15 mai [1695].

Je commence, Madame, par vous assurer que vous serez contente de l'éloge que M. Bosquillon a fait de feu l'abbé de Saint-Vincent [488]. M. le président Boisot vous l'aura sans doute dit, mais je vous le confirme après l'avoir lu deux fois. Dès qu'il sera imprimé vous l'aurez, et M. le président Boisot aussi. En attendant je vous envoie un madrigal que M. Bosquillon a fait après avoir lu les deux vôtres avec autant de modestie que d'estime et de respect pour la main qui les lui donne, et je vous envoie en même temps un madrigal qu'il a fait au retour d'une fameuse fauvette [489] dont je suppose que vous connoissez la réputation. Je vous envoie aussi ce que j'ai dit à la même fauvette, afin que vous voyiez que je n'aspire pas à vivre aussi longtems que ma grand'mère, n'étant pas assurée des mêmes avantages qu'elle a eus. Je n'écris pas aujourd'hui à M. le président Boisot; je me réserve à me donner cet honneur que l'Éloge soit imprimé, et je vous envoyerai en même temps la copie de la lettre de M. [Montmort?] à M. de Pellisson que le Roi a gardée. Conservez, Madame, la même bonté qu'à celui que nous regrettons, pour votre très-humble et très-obéissante servante, car je sens assez qu'elle n'en est pas indigne par l'estime distinguée qu'elle fait de votre mérite. Je crois, Madame, qu'il n'est pas nécessaire de vous dire qu'elle s'appelle

MADELEINE DE SCUDÉRY.

A L'ABBÉ NICAISE [490].

Septembre 1695.

Vous m'avez fait un grand plaisir, Monsieur, de m'apprendre que j'ai eu l'honneur d'être en communauté d'amis avec vous, car M. Lantin [491] avoit témoigné autrefois aussi beaucoup de bonté pour moi; et M. l'abbé de Saint-Vincent et M. [nom illisible] ont été de mes amis jusqu'à leur dernier jour. Je vous dis cela, Monsieur, pour vous empêcher de vous repentir de tout ce que vous me dites d'obligeant et de ce que vous en dites à M. Bosquillon qui m'a fait voir l'agréable lettre que vous lui avez écrite. Je suis ravie que l'éloge qu'il a fait de M. l'abbé Boisot vous ait plu; il est universellement loué de tout le monde. J'écris aujourd'hui à M. Moreau, ce qui a engagé M. le président Cousin à le mettre dans le Journal [492]. Ce seroit trop long à répéter, et je suis si cruellement enrhumée que je suis forcée de louer en peu de paroles votre généreuse ardeur pour conserver la mémoire de vos illustres amis, et la délicatesse que vous avez sur cela est une marque certaine de la générosité de votre cœur, que je préfère à votre rare savoir, et à la vivacité brillante de votre esprit qui paroît dans la lettre que vous avez écrite à M. Bosquillon, et dans celle dont vous m'avez honorée. J'en ai, Monsieur, toute la reconnoissance que je dois très-véritablement.

Votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES [493].

[1695].

Ce que vous m'apprenez, Monseigneur, de la générosité de Mlle de Clisson redouble la douleur que j'avois déjà de sa perte; car une amie de quarante ans de ce mérite-là est une perte irréparable.

Ce qu'elle fait pour M. Gallois [494] qui est auprès de moi me touche sensiblement et me fait voir qu'elle aimoit tout ce que j'aimois et tout ce qui m'aimoit. Ce que vous me dites, Monseigneur, de la manière obligeante dont M. de Lamoignon vous a parlé de moi me touche aussi bien sensiblement, et il faut qu'il ait deviné le respect distingué que j'ai toujours eu pour lui, pour me traiter avec tant d'humanité. Vous me ferez plaisir, si vous en trouvez l'occasion, de lui témoigner la reconnoissance que j'en ai. Je ne lui écris pas encore sur cela, de peur qu'on ne puisse me soupçonner d'un sentiment d'intérêt; car bien que ma fortune soit très-mauvaise, n'étant payée de nulle part, je ne sens en cette occasion que la perte d'une amie qui étoit touchée de mon malheur, et qui m'a voulu secourir en mourant.

Je commençois à craindre que vous ne m'eussiez oubliée, mais votre billet m'a rassurée, et me persuade que vous vous souvenez de la date de notre amitié, et que vous n'avez point d'amie qui soit avec plus d'estime, plus de zèle et plus de sincérité,

Votre, etc., etc.

AU MÊME [495].

29 décembre [1695].

Il est bien juste, Monseigneur, que je vous remercie de la bonté que vous avez eue de me rendre office auprès de M. de Lamoignon, et de m'avoir appris avec quelle honnêteté il vous a parlé de moi. Je lui écrivis hier pour l'en remercier, et je lui envoyai ma lettre par les personnes dont Mlle de Clisson s'est souvenue, et qu'il reçut très-civilement. Comme on m'a dit qu'il y a un grand nombre de legs, je voudrois bien savoir si les noms de Vaumale ou de Valcroissant ne se trouvent pas parmi ceux à qui cette généreuse personne en a laissé. Si vous trouvez occasion de le savoir, vous me ferez plaisir de me l'apprendre et de savoir aussi ce qu'elle laisse à M. de la Bastide [496], qui est en Angleterre. Vous voyez, Monseigneur, que j'use de la liberté que la véritable amitié donne. Conservez-moi la vôtre, et soyez assuré que la mienne durera autant que la vie de votre, etc., etc.

A MADAME DE CHANDIOT [497].

Ce 27 octobre [1699.]

MADRIGAL.

Chandiot est une merveille

Qui n'aura jamais de pareille.

Sa beauté n'est qu'un simple trait

De son admirable portrait.

Ses vertus, son cœur magnanime

Ont acquis toute mon estime,

Et je l'aime d'un air et si tendre et si doux

Que mes plus chers amis en deviennent jaloux.

Voilà, Madame, un impromptu que je n'ai pu m'empêcher de faire, c'est l'ouvrage de ma reconnoissance plutôt que de mon esprit. Je vous envoye un petit mot de Mme de Balmont que je vous recommande tout de nouveau comme ma fille. Son mari l'a mandée, mais, comme ça été après avoir reçu une lettre de son oncle qui lui a donné l'emploi, je crains qu'il ne soit pas converti, et je lui conseillerois de loger chez la veuve du médecin que vous lui avez enseignée, car je craindrois que, s'il n'est pas converti, il ne l'empoisonnât [498], et il est bon d'examiner sa conduite avant que de s'y fier. Elle suivra vos conseils et vous trouverez que c'est une très-bonne personne; elle part pour aller à Besançon le 9 du mois prochain. M. l'abbé Bosquillon trouve votre générosité, aussi bien que moi, très-grande, et nous sommes toujours tout d'un avis en parlant de vous. Votre dernière lettre est si bien écrite qu'il l'a admirée comme moi. Le Roi est revenu en santé parfaite de Fontainebleau; il a mis à son retour Mme la duchesse de Bourgogne avec M. son époux [499]; elle fut le lendemain à Saint-Cyr pour éviter les visites des courtisans en semblables occasions. Sa Majesté ira le jour des Morts à Marly où elle sera quatorze jours. Voilà, Madame, ce qu'il y a de nouveau. Je suis à vous comme vous le méritez, c'est-à-dire que je suis, plus que personne ne peut l'être, votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. VALLÉE, PREMIER COMMIS DU CONTRÔLE GÉNÉRAL
DES FINANCES [500].

27 janvier [1701].

Comme je crois que c'est aux bons offices que vous m'avez rendus, Monsieur, que je dois la bonté que Mgr Chamillart a eue pour moi, en me fesant payer de la pension dont le Roi m'honore, c'est par cette raison que je vous en rends de tout mon cœur mille très-humbles grâces. Je m'adresse aussi à vous, Monsieur, pour vous prier de lui rendre la lettre que j'ai l'honneur de lui écrire pour lui en témoigner ma reconnoissance. Soyez, s'il vous plaît, bien persuadé de la mienne à votre égard, et que je n'oublierai jamais tous les services que vous me rendez avec tant de bonté, en me fesant payer si promptement. Je suis, Monsieur, avec toute l'estime que vous méritez, votre très-humble et très-obéissante servante, etc.

P. S.—Monseigneur Chamillart a fait une réponse très-obligeante à ma lettre.

A M. HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES [501].

23 avril [1701].

J'ai reçu, Monseigneur, avec beaucoup de plaisir, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; car je croyois que vous m'aviez tout-à-fait oubliée. J'ai été fort touchée de la mort de M. de Segrais [502]: il y avoit cinquante ans qu'il étoit de mes amis, et j'ai fait quelques vers pour conserver sa mémoire. Cela vous doit faire connoître, Monseigneur, que je n'oublie pas mes anciens amis, et que je me souviens parfaitement de tous les témoignages d'amitié que vous m'avez rendus autrefois.

Le rhumatisme que j'ai aux genoux est devenu si fâcheux que je ne marche plus, mais mon estomac et ma raison sont toujours en santé, et par conséquent, Monseigneur, je serai toute ma vie, avec toute l'estime et le respect que vous méritez, votre très-humble et très-obéissante servante, etc.

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