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Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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Que si je voulois un amant,

Il auroit, comme vous, l'esprit doux et charmant,

Il seroit, comme vous, un galant agréable,

Et mon cœur, comme à vous, lui seroit favorable.

Après cela, Monsieur, il faut vous parler un peu plus sérieusement, et vous dire des nouvelles de notre très cher et très illustre malade, de qui la santé commence de revenir, et est pourtant encore très foible; mais j'espère que ce même soleil qui nous va bientôt donner des roses, lui redonnera de la force. Cependant, j'ai à vous dire que la dernière lettre que vous m'avez écrite a été son premier plaisir, car je ne lui fais pas de secret de notre galanterie, et ce seroit en effet grand dommage de la cacher à un tel confident que lui.

RÉPONSE DE SAPHO AU MAGE DE SIDON [338].

A Paris, le 19 juin 1654.

Lorsque je reçus votre dernière lettre, nous avions ici le plus beau temps du monde; mais à peine eus-je achevé de lire la description que vous me faites de la désolation de votre pays, qu'un effroyable coup de tonnerre, suivi d'une pluie terrible, et d'une grêle de grosseur extraordinaire, changea toute la face du ciel qui, depuis cela, ne nous a point paru avec sa beauté ordinaire. En vérité, il ne s'en faut guère que je ne croie que vous n'êtes pas seulement Mage, mais Magicien, et que c'est vous qui, par quelque enchantement, nous avez ôté tous nos beaux jours. Cependant, si toutes nos belles vous soupçonnoient de ce crime, vous seriez bien embarrassé à vous sauver de leur fureur. Car, enfin, elles ne peuvent presque aller au Cours, et celles qui s'obstinent à y vouloir aller, malgré le mauvais temps, y sont toutes défrisées, et n'y paroissent point belles. En mon particulier, comme je ne prends pas grand intérêt à cette promenade, je me consolerois aisément si le vent ne faisoit autre mal que de défriser des galans et de décoiffer des coquettes. Mais ce qu'il y a de pis, c'est que les blés sont déposés, si ce désordre de saison continue. Je veux pourtant espérer que ce malheur n'arrivera pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

On dit qu'il est difficile qu'il y ait de l'amour sans jalousie et de la jalousie sans amour. J'ai même bien de la peine quelquefois à n'en point avoir en amitié, et c'est ce qui me fait craindre que la vôtre ne soit un peu tiède; car vous n'êtes non plus inquiété de ce que font vos amies, que si vous n'y aviez nul intérêt. Il n'en est pas de même de moi, puisque je suis quelquefois jalouse de vos orangers, que je crois que vous aimez plus que vous ne m'aimez. Mais je ne songe pas, en parlant ainsi que je viens de dire, qu'il n'y a point de jalousie sans amour; pour ôter donc le scrupule, il faut y ajouter ces paroles: ou sans amitié; car, par ce moyen, je suis à couvert de toute mauvaise explication. Je voudrois bien vous en dire davantage, mais je n'ai plus de papier. Devinez le reste si vous . . . . . . . . . . vous dire autre chose, sinon, que je suis pour vous tout [339] . . . . . . . . . . . . . . . .

A MADAME LA COMTESSE DE MAURE [340].

Octobre 1655.

Foi de demoiselle, votre lettre est une des plus agréables lettres du monde. Mais, Madame, n'admirez-vous point qu'à l'exemple de M. de Bouillon qui disoit: Foi de prince, je n'ai pu m'empêcher de jurer, pour me donner un titre de noblesse, comme il le faisoit pour s'en donner un de principauté? Je sens même que j'ai quelque envie de dire que mon serment est peut-être mieux fondé que le sien. Mais, quoiqu'il en soit, l'histoire de votre lettre est une plaisante histoire, et la manière dont vous l'avez écrite est si ingénieuse, et fait si bien voir tous les personnages de cette aventure, que qui verroit un Tableau du Monde, de votre main, verroit une chose merveilleuse. Au reste, Madame, ceux qui s'imaginent qu'il faut du marbre et du jaspe pour faire un très-beau palais, n'y entendent rien. Du moins, êtes-vous bien plus adroite qu'eux, puisqu'avec un enchaînement de toutes les folies que la vanité peut faire dire et penser, vous faites une des plus belles lettres que je vis jamais. Sincèrement, Madame, je crois la chose comme je la dis, et la flatterie n'y ajoute rien. Je vous en dirois davantage; mais j'ai l'imagination si remplie de cette princesse qui se baigne, de celle qui se couche, de cette dame qui s'assied et se relève, et de ce capucin qui se fourre là, comme diable à miracle, que je ne puis même penser sérieusement à ce que je vous écris. Il paroît bien, Madame, que cela est ainsi, car je vous écris les plus terribles mots du monde; et quand j'aurois été à la cour de la reine de Suède, je ne dirois guère pis. Mais, pour finir plus sagement, je vous en demande pardon, et je vous proteste avec vérité que je suis absolument à vous.

A UNE PERSONNE INCONNUE, QUI LUI AVOIT ENVOYÉ UN PRÉSENT. [341]

Mai 1656.

J'avoue ingénument que je ne puis deviner qui vous êtes, et que je ne sais pas même si je vous dois nommer Monsieur, Madame ou Mademoiselle; mais qui que vous soyez, je dois vous louer et vous remercier, et je dois pourtant me plaindre de vous. En effet, vous avez une cruauté étrange de vous cacher à une personne qui, malgré toute sa mauvaise fortune, voudroit avoir plus donné qu'elle n'a reçu de vous, pour savoir votre nom; car je ne sache rien de plus cruel, que d'être obligée, sans savoir à qui on a de l'obligation. Mais je ne sache aussi rien de plus digne de louange, que d'avoir de la libéralité sans ostentation, et sans intérêt, puisqu'à mon avis, il n'y a guère de vertu qui soit plus souvent suspecte de vanité ou d'artifice que celle-là. Vous donnez, sans doute, de la plus généreuse manière du monde, car vous donnez à une personne qui, non-seulement ne vous a rien demandé, mais qui même n'aime point qu'on lui donne; à une personne qui ne vous connoît point, et qui ne pourroit, quand elle vous connoîtroit, vous rendre autre chose que des remercîments. Mais à ne mentir pas, je ne sais comment en faire à une personne inconnue. Montrez-vous donc, s'il vous plaît, puisque je ne puis parler à propos, si je ne sais à qui je parle.

Au reste, il faut que je vous confesse qu'il y a des moments où je meurs de peur que vous ne me connoissiez guère mieux que je vous connois; car il semble que vous vouliez m'obliger à porter une couleur où je croyois avoir renoncé pour toute ma vie, et que je ne croyois plus pouvoir porter avec bienséance, si ce n'étoit en œillets, en roses, ou en anémones, m'étant résolue à ne mettre plus que du bleu, du gris de lin, de l'Isabelle et du blanc. De grâce, pensez bien sérieusement si vous ne me prenez point pour une autre, et si votre présent est bien adressé; mais, sur toutes choses, ne vous opiniâtrez point à vous cacher à moi, si vous ne me voulez forcer d'aller au devin. Je crains bien, pourtant, que la science de cette sorte de gens ne se trouve courte en cette occasion; car, après tout, ils n'ont jamais rien vu de semblable. On les a souvent consultés pour découvrir ceux qui se cachent en dérobant, mais jamais ceux qui se cachent en donnant; et le plus expert de tous les devins, et la plus vieille devineresse s'étonneroient d'une telle nouveauté. Ne me contraignez donc pas d'en venir là, et donnez-moi lieu de vous..... j'ai pensé dire de vous embrasser; mais comme je viens de me souvenir de ce que j'ai dit au commencement de ce billet, et que je ne sais si je vous dois nommer Monsieur ou Madame, je n'ose en user si librement.

Contentez-vous donc que je vous assure que je n'ai jamais rien souhaité avec plus d'ardeur, que d'avoir l'honneur de vous connoître, et de vous pouvoir rendre grâces de votre galante libéralité. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelque espèce de commodité à pouvoir être ingrate innocemment; mais au hasard de rougir en vous voyant, je voudrois pourtant bien vous voir afin de vous pouvoir dire tout ce que je pense de vous. Peut-être avez-vous passé cent fois dans mon imagination, depuis que j'ai reçu votre présent, et peut-être y êtes-vous encore tel ou telle que vous êtes. Je confesse néanmoins que vous avez cent fois changé de forme, et que vous m'avez paru tantôt belle, tantôt beau; tantôt galant, tantôt galante; tantôt douce et spirituelle; tantôt généreux et brave; tantôt avec une épée, tantôt avec un éventail; tantôt avec une soutane, tantôt avec un cordon bleu; tantôt avec une belle et magnifique jupe, et tantôt avec un bréviaire; et Voiture ne voyoit pas sa belle inconnue avec tant de beautés différentes que je vous ai vu ou vue en habillements différens. Faites donc cesser toutes ces illusions qui m'importunent; vous le pouvez par une seule parole, puisque vous n'avez qu'à me dire votre nom, et vous m'obligerez beaucoup plus sensiblement que vous ne m'avez obligée en me faisant un magnifique présent.

PELLISSON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [342].

A Paris, ce lundi 9me d'octobre 1656.

Accablé de soucis sans nombre,

J'allois mélancolique et sombre,

Comme font ceux qui sont partis

De l'aimable Carisatis.

Et j'étois déjà dans Mons [343], sans avoir trouvé, ou du moins sans avoir vu personne sur mon chemin, tant j'étois renfermé en moi-même, lorsque j'aperçus la claire rivière de Seine qui, étalant toutes ses beautés, m'appeloit de loin et me disoit: Si vous allez à Paris, j'y vais aussi, et pourvu que vous me vouliez suivre, je vous mènerai par un des plus agréables chemins qu'on puisse voir.

J'eusse été d'humeur bien cruelle

Si je n'eusse fait pour elle

Ce que j'avois fait l'autre jour

Pour un procureur de la cour.

C'est pourquoi, sans me faire prier davantage, je descendis par le côteau d'Ablon, et allai la joindre avec dessein de ne la quitter qu'aux portes de Paris. Je n'eus pas sujet de m'en repentir: car, encore que j'eusse souvent ouï parler de ses caprices et de ses boutades, je la trouvai tout le long du jour la plus égale du monde; soit que nous passassions parmi de vertes prairies, ou parmi des sablons stériles, que son lit fût étroit ou large, que le soleil se cachât ou se montrât, elle me parut toujours riante, et jamais je ne vis la moindre ride ni le moindre trouble sur son front. J'attribue sa bonne humeur à l'entretien que nous eûmes ensemble, car nous ne parlâmes jamais que de vous. Elle me demanda d'abord, suivant la coutume des voyageurs qui se rencontrent, d'où je venois et ce que j'allois faire à Paris. Je lui dis que je venois d'être heureux et que j'allois être malheureux, parce que j'avois quitté l'incomparable Sapho, le généreux Cléodamas, la sage Ibérise, l'aimable Agélaste et le galant Mérigène [344]. Est-il possible, me dit elle, qu'on me doive toujours parler de cette Sapho et de ce Cléodamas. Il n'y a point de corbillart [345] qui ne me rompe la tête de leur vertu et de leur mérite; et depuis ma source jusqu'à la mer, je ne trouve point de rivage où l'on ne m'en demande des nouvelles. On remarquoit autrefois qu'un de mes coches ne pouvoit être sans quelque religieux; mais je n'en vois point à cette heure où il n'y ait quelqu'un de leurs tendres amis, ou pour le moins de leurs admirateurs. Ces gens-là, puisqu'ils aiment tant de gens, ne doivent aimer personne. Si je croyois ce que vous dites, lui répondis-je, je me jetterois la tête la première dans votre sein. Mais il est vrai que Cléodamas ni Sapho n'aiment pas tous ceux dont ils sont aimés. Il n'est pas donné à tout le monde d'en venir là, et vous voyez par mon exemple qu'il y faut plus de bonheur que de mérite.

Après cela, elle me demanda comment vous vous divertissiez à Carisatis, et je lui fis grand plaisir quand je lui dis qu'elle faisoit une grande partie de votre divertissement, et que vous vous amusiez la moitié du jour à la regarder. Elle se radoucit fort alors et me dit que vous sachant en son voisinage par le rapport de la petite rivière d'Orge, comme c'est fort la mode de vous visiter et de faire amitié avec vous, elle avoit été tentée plusieurs fois de s'élever jusque sur votre montagne, mais à la vérité qu'il y avoit un peu haut pour elle, et qu'elle n'avoit pu faire autre chose que de vous envoyer quelques brouillards qui peut-être vous avoient été importuns. Cela pourroit bien être, lui dis-je; mais, croyez-moi, on vous quitte de ce compliment. Il vaut mieux que l'on vous voie de plus loin, et la divine Sapho s'abaissera plutôt jusqu'à descendre sur vos rives. Je sais même qu'elle l'auroit déjà fait, mais sa chère Agélaste n'aime pas à remonter par cette côte si roide, et trouve aussi bien que vous que c'est un peu haut pour elle.

Avec ces discours et plusieurs autres dont je vous rendrai compte à notre première vue, nous arrivâmes à la porte Saint-Bernard, où nous devions nous séparer. La Seine me demanda alors si je m'étois ennuyé avec elle, et comme je l'eus assurée que non: Quand vous retournerez, me dit-elle, trouver la bonne compagnie que vous avez laissée, ne viendrez-vous pas le long de mon rivage? Pour retourner, lui dis-je avec ma sincérité accoutumée, c'est une autre affaire; car, pour ne vous en point mentir, votre chemin est le plus long, et j'ai un peu plus d'impatience quand je vais à Carisatis que quand j'en reviens. La pauvre rivière comprit bien alors que si je l'avois suivie, c'étoit moins pour être avec elle que pour m'éloigner lentement de vous. Elle me quitta donc de dépit sans dire un seul mot davantage, et s'alla cacher toute honteuse sous le pont prochain. Pour moi, je me résolus de laisser passer l'eau sous le pont, et de venir vous écrire mon aventure. Si je ne l'ai pas écrite avec assez d'esprit, c'est que je garde tout ce que j'en ai pour écrire une lettre à Cicéron [346]. Ce Cicéron est un homme fâcheux, qui n'entend point raillerie; pour peu que vous vous relâchiez avec lui, il se plaint que vous le négligez, que vous écriviez bien mieux autrefois au commencement de votre connoissance, quand vous aspiriez à être de ses amis; et comme c'est un consul romain et le père de l'éloquence, il faut tâcher, s'il se peut, de le contenter. Laissez-le-moi traiter avec la cérémonie qu'il demande, et souvenez-vous qu'on fait festin aux étrangers, et qu'on ne donne à ses intimes amis que son ordinaire. Les belles paroles seront pour lui, et les sentiments tendres, respectueux et constants, pour vous et pour toute votre aimable compagnie.

RÉPONSE DE SAPHO A HERMINIUS (PELLISSON).

De Carisatis, le 10 octobre 1656.

Quand je vous fis la guerre de la négligence de vos billets, je ne pensois pas que vous en dussiez être sitôt corrigé. Cependant, il le faut avouer, ce que vous m'avez envoyé est si galant et si bien écrit, qu'on ne sait où prendre de l'esprit pour vous répondre. Ce n'est pas, comme vous savez, qu'il n'y en ait honnêtement dans la tête de Cléodamas, mais il ne m'en veut ni donner ni prêter. Pour l'aimable Mérigène [347], il n'y a pas encore assez longtemps que je le connois pour oser lui en emprunter; et pour Agélaste, elle dit qu'elle a affaire de tout ce qu'elle en a pour vous écrire, de sorte que je me trouve en un fort grand embarras. Si je savois qui vous a appris à parler à la Seine qui vous a si bien entretenu, je pourrois me servir du même maître, pour apprendre à vous écrire; car enfin on ne croiroit pas, à l'entendre, qu'elle vînt de Bourgogne, tant elle parle galamment et juste. Je voudrois bien savoir si toutes les autres rivières ont autant d'esprit que celle-là. Ce qui m'étonne, c'est que quand vous l'avez entretenue, elle n'avoit pas encore été à Paris. Elle n'a pourtant rien d'une provinciale, et je suis bien plus normande qu'elle n'est bourguignonne. Une autre fois, quand vous partirez de Carisatis, on ne vous plaindra plus tant, puisque vous vous en allez en si bonne compagnie.

J'ai pourtant à vous dire que la Seine, malgré vos avis, n'a pas laissé de nous envoyer ce matin un grand brouillard, mais il s'en est allé si vite qu'il ne nous a guère incommodés; c'est pourquoi ne lui en faites pas de reproches, au contraire, remerciez-la bien civilement, de la bonté qu'elle a de passer tous les jours devant mes fenêtres, elle, dis-je, qui seroit souhaitée en tant de beaux lieux, si on pensoit qu'elle y voulût aller. Priez-la aussi, je vous en conjure, s'il arrive qu'elle entende encore parler de moi dans les coches et dans les corbillarts, comme si j'étois un bel esprit,

De faire entendre en son murmure,

Que bel esprit est une injure,

Et que j'aimerois mieux être carpe ou merlan,

Que d'être bel esprit seulement pour un an.

Tout de bon, c'est le plus fâcheux métier du monde; et si la Seine savoit combien c'est une chose importune, elle ne s'amuseroit pas tant à gazouiller, de peur de devenir elle-même un bel esprit.

RÉPLIQUE D'HERMINIUS A SAPHO.

De Paris, le 13 octobre 1656.

Bel esprit, ou carpe, ou merlan,

Ou bien Raphaël de village [348],

Vous êtes cause que j'enrage.

Je ne saurois qu'avec ahan

Répondre à votre bel ouvrage,

Et remplir de vers cette page,

Quand vous me donneriez un an

Et davantage, etc.

Tout de bon, encore qu'il n'y ait rien de plus galant que votre lettre et que vos vers, en l'humeur où je suis, il me semble qu'il n'y auroit rien de moins obligeant qu'une réponse fort galante, quand je pourrois vous la faire. Les dames que je vis hier vouloient que je ne vous en fisse point du tout, pour vous punir de ce que vous vous oubliez à Athis, ou plutôt de ce que vous oubliez tout le monde. Je n'ai pas cru que mon devoir me permît d'en user ainsi, mais je ne crois pas aussi qu'il m'ordonne de me réjouir avec vous de ce que vous dînerez dimanche à Savigny, et que vous n'êtes pas encore bien résolue de revenir le lendemain. Tout ce que je puis, c'est de souffrir mon mal en patience, et de vous écrire, comme un bon homme sans esprit et sans façon, ce que j'aurai à vous mander, en faisant autant de ratures que de lignes. Ne pensez pas que ces ratures soient affectées, elles sont les plus naturelles du monde, et vous verrez bien par là que je ne suis pas trop en état de vous divertir.

J'écrivis hier soir à M. Conrart, et je prétendois ce matin faire des merveilles pour vous et pour Agélaste: mais en bonne foi il m'a été impossible. J'ai voulu fouiller dans mon magasin de fadaises, la serrure étoit tellement mêlée que je n'ai jamais su l'ouvrir. Si vous voulez des billets galants, je vous en envoie deux que M. Isarn m'écrit de Bordeaux; mais il est auprès d'une nouvelle maîtresse qu'il aime fort, comme vous verrez: ce remède est excellent pour avoir de l'esprit. Le malheur est qu'il est quelquefois pire que le mal même, et je ne crois pas que vous voulussiez me conseiller d'y avoir recours, vous qui avez banni l'amour de tout votre royaume de Tendre. Pardonnez-moi si je vous écris si bizarrement. Je suis le plus sot du monde, mais je ne vous en aime pas moins.

M. DE BOUILLON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [349].

21 mai 1657.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . «Jusques ici je m'étois renfermé dans mon métier de faire des chansons [350], et, parmi nos beautés champêtres, j'étois renommé pour n'y être pas tout à fait malhabile. Mais il a fallu que mon ambition m'ait porté non-seulement à faire le portrait d'Amaryllis (Mme de Valençay) [351], mais encore à me donner l'honneur de vous écrire. Vous me trouverez sans doute, Mademoiselle, bien téméraire d'avoir fait l'un et l'autre; mais je crois surtout que, pour entreprendre de vous faire une lettre, il falloit ne voir le péril que de cinquante lieues. Si j'avois été plus près, j'aurois été moins hardi, j'aurois imité ces faux braves qui ne sont jamais vaillants que hors l'occasion.». . . .

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A M. DE BOUILLON.

«Lorsque je reçus les beaux vers que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer, je songeois plus à la mort qu'à me divertir.... J'eusse été bien aise de me trouver en état d'oser vous rendre grâce comme vous le méritez; mais mon mal m'ayant laissé une certaine langueur d'esprit qui ne se dissipera de sitôt, j'ai cru qu'il valoit mieux vous remercier moins bien que vous remercier trop tard.»

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A M. DE RAINCY [352].

D'Athis, le 28 septembre 1657.

Que vous connoissez bien cette douce folie,

Qui ne peut se passer de la mélancolie,

Vous qui ne pensez pas que les Ris et les Jeux,

Soient les plus grands plaisirs de l'Empire amoureux.

Les vulgaires amants ne demandent qu'à rire,

Et ne connoissent pas cet aimable martyre

Qui mêle les chagrins avecque les désirs,

Qui confond les tourments avecque les plaisirs,

Qui de mille douleurs et de mille supplices,

Fait naître, en un moment, mille et mille délices.

Ils cherchent vainement ce qu'ils ne trouvent pas,

Car l'amour enjoué n'a que de faux appas.

Vous voyez bien, Monsieur, que je suis de l'avis de vos admirables vers; tout de bon, j'en ai l'esprit tout à fait touché; Théodamas les admire aussi bien que moi; Agélaste en a le cœur tout ému, et votre ange brun les a trouvés les plus beaux du monde. Je ne sais même s'il ne s'est point repenti de son enjouement, et s'il n'a point souhaité que sa belle humeur ne lui eût pas fait perdre sa conquête. Quoi qu'il en soit, votre madrigal a été trouvé fort galant, et les vers de la fin de votre billet, merveilleux; de sorte qu'il faut avoir perdu la raison pour oser rimer en vous répondant. Mais, comme vous le savez, la rime est quelquefois une maladie qu'on ne guérit pas comme on veut; je n'y suis pourtant pas sujette, dont je suis bien aise. Cependant, je vous avouerai que malgré que j'en aie, il faut qu'un petit madrigal sorte de ma tête, car je sens qu'il y fourmille, comme les madrigaux fourmilloient dans celle de M. Pellisson le jour qu'il en fit tant avec Sarasin. Voyez donc ce que je dis de votre ange brun, sous le nom de Climène:

Climène est aimable, elle est belle,

On ne peut lui rien désirer,

Si ce n'est qu'un amant fidèle,

Soupirant longtemps auprès d'elle,

Lui puisse apprendre à soupirer.

Tout de bon, Monsieur, ne vous repentez-vous point de m'avoir écrit? Vous auriez pourtant grand tort: car la reconnoissance que j'en ai vaut mieux que la réponse que je vous fais. Mais, après vous avoir parlé d'un ange brun, qui n'est assurément pas du dernier ordre, il faut que je vous parle d'un ange blond, qui dînera céans aujourd'hui, car les anges dont nous parlons ne sont pas si spiritualisés qu'ils puissent conserver leur beauté sans manger. L'ange brun y viendra passer l'après-dînée; je vous laisse à penser combien vous serez désiré, et si les galants qui s'y trouveront ne seroient pas bien aise que ce fût encore la mode de dire: Comme l'on voit le fer entre deux calamites [353]. Mais comme nous ne sommes plus aux siècles des comparaisons, et que celle-là est trop usée, il faudra que les galants s'en passent. Ces galants, Monsieur, seront l'ingénieux Térame [354], et le sage Mérigène; je n'y mets pas Théodamas, parce qu'il est le juge de la galanterie. Sérieusement, Monsieur, vous ne sauriez croire combien je vous suis obligée de m'avoir écrit. Pour vous en récompenser, recevez mille douceurs non-seulement des anges blonds et des anges bruns, mais de Théodamas, de Mérigène, d'Agélaste et de moi, qui suis assurément pour vous tout ce que vous pouvez désirer que je sois.

Il n'y a que l'ange brun, Théodamas, Agélaste et moi qui ayons vu votre billet, quoiqu'il mérite d'être vu de tous ceux qui ont de l'esprit; mais j'ai fait vœu d'être toujours exacte. De grâce, assurez M. de Montrésor de la vénération que j'ai pour sa vertu.

SAPHO AU MAGE DE SIDON.

De Paris, le 21 octobre 1658 [355].

Votre cœur n'a point de tendresse,

Si vous étiez jaloux vous seriez envieux;

Quand on aime bien sa maîtresse,

On ne veut point qu'on lui parle des yeux.

Il vous est aisé de juger, Monsieur le Mage, que Mlle Sapho a vu votre apostille en vers, dans une de vos lettres à Théodamas, et qu'elle a fort bien connu que votre jalousie n'est qu'un jeu de votre esprit; car si elle étoit effective, vous n'eussiez pas parlé comme cela. Allez, allez, vendez vos coquilles à d'autres qu'à ceux qui viennent du Mont-Saint-Michel. On se connoît ici aussi bien en jalousie qu'en lieu du monde, et l'on n'en prendra jamais de fausse pour de véritable. Parlez donc mieux une autre fois, si vous voulez être cru. Et pour vous apprendre à parler comme il faut pour persuader ceux à qui l'on parle, je vous assure, Monsieur, qu'il m'ennuie fort d'être si longtemps sans avoir de vos nouvelles; que nous avons parlé très-souvent de vous, Théodamas et moi; que nous vous avons souhaité cent fois dans l'allée des Soupirs, et que si vous ne m'aimez pas toujours ardemment, vous êtes plus coupable que vous ne pouvez vous l'imaginer. Au reste, j'ai prié M. Conrart de faire dire à M. Cavalier que j'ai la 4e partie de Clélie à vous envoyer, et je vous dis à vous-même que je suis au désespoir de n'être point votre sœur, pour aller du moins passer tous les hivers avec vous, non pas pour m'aller chauffer à vos tisons, mais à votre soleil. Cependant, comme il n'y a pas apparence que cela puisse être, il se faut contenter de vous dire de loin que je suis absolument à vous.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A MADAME LA COMTESSE DE MAURE [356].

Juillet 1660.

J'ai lu, avec beaucoup de plaisir, Madame, le livre que je vous renvoye; il y a de l'esprit partout, et je ne sais quel air de qualité, qui marque la main d'où il vient. Il y a même une ingénieuse raillerie en beaucoup d'endroits, qui ne s'apprend point dans les livres; et si mon nom n'étoit point placé aussi avantageusement qu'il est dans cet agréable ouvrage, je n'aurois eu que de l'admiration, et du plaisir, en le lisant. Mais, malgré moi, il a fallu avoir de la confusion de savoir que je ne mérite pas les louanges que l'on me donne, et que tout ce que j'ai écrit en ma vie ne mérite, non plus que moi, la gloire d'être louée par une si grande, et si illustre princesse. Voilà tout ce que vous peut dire une personne qui vous écrit avec beaucoup de précipitation, et qui est à vous, avec tout le respect qu'elle vous doit.

RÉPONSE DE MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A UN AUTEUR QUI LUI AVAIT ENVOYÉ UNE PIÈCE INTITULÉE
«LE LOUIS D'OR
 [357]

(1660.)

Vous savez bien, Monsieur, que je suis accoutumée d'entendre parler des Lapins, des Fauvettes et des Abricots. Mais après tout, je n'ai pas laissé d'être surprise de la conversation que vous avez eue avec votre Louis d'or, et je le trouve si bien instruit des choses du monde, que j'en suis étonnée.

Quand il seroit du temps des premiers jacobus,

Des nobles à la Rose, et des vieux carolus,

Il ne sauroit pas plus de choses.

Ovide a moins que lui fait de Métamorphoses.

Il fait aux plus galants d'agréables leçons,

Il raille, il fait des vers de toutes les façons;

Mais ce qu'il fait de plus étrange,

C'est qu'entre mes mains il se range,

Car ses frères ne m'aiment pas,

Ils n'ont aussi pour moi que de foibles appas,

Et par le mépris je m'en venge.

Mais pour ce Louis d'or que je reçois de vous,

De qui la gloire est immortelle

Qui ne craint plus ni touche, ni coupelle,

Il fait seul un trésor dont mon cœur est jaloux.

Voilà, Monsieur, tout ce qu'une malade vous peut répondre. Mais je vous assure que ce n'est pas tout ce qu'elle pense; et que si Sapho se portoit bien, elle vous loueroit de meilleure grâce, et vous remercieroit avec plus d'esprit. Que sais-je même si, passant des louanges de votre Louis d'or à un sujet plus relevé, elle ne se sentiroit point inspirée de vous parler

D'un Louis, dont la vie en merveilles féconde,

Est l'ouvrage du ciel et le bonheur du monde;

Dont le bras triomphant, et les charmes vainqueurs

Domptent les nations, et captivent les cœurs:

D'un JVLE, dont les soins redonnent à la France

Les Jeux et les Plaisirs, la Paix et l'Abondance,

Qui va faire couler dans nos heureux climats

Ces larges fleuves d'or, la force des États;

Et gémir de regret le Pactole et le Tage,

Que la Fable a flattés d'un pareil avantage;

D'un JVLE dont les soins ont nos désirs bornés:

Dont les sages conseils, justement couronnés,

Font voir à l'univers que la plus belle gloire

Est de cesser de vaincre au fort de la victoire.

Mais je m'aperçois que ce sujet là est trop relevé pour moi, et qu'il vaut beaucoup mieux ne rien dire, que de n'en dire pas assez. Il n'en est pas de même de vous, Monsieur. Au contraire, je vous exhorte à faire quelque ouvrage plus grand à la gloire de ceux que vous avez loués en huit vers seulement; car il ne faut pas faire des portraits en petit d'un grand Héros, comme on en fait d'une maîtresse, puisqu'on ne doit avoir les uns que pour les cacher, et que les autres doivent être vus de tout le monde.

A M. PELLISSON, CHEZ M. LE SURINTENDANT, A NANTES [358].

Aux Pressoirs [359],
vendredi six heures du matin.
Septembre 1661.

Je pars dans un quart d'heure pour Paris. Je ne pus m'embarquer hier parce qu'il fit un temps effroyable, de sorte que je prends le carrosse de M. de Miremont; il me le donne de fort bonne grâce. Je laisse la petite Marianne et M. Pineau avec la sienne (sic), et je suis si mal de ma tête que j'en perds patience. Peut-être que quelques remèdes me soulageront. Je vous en écrirai demain plus au long, et je ne vous écris aujourd'hui que pour vous demander de vos nouvelles et pour vous prier de m'envoyer un billet pour M. Congnet, qui lui témoigne que vous affectionnez l'affaire de M. Pineau; car, comme vous ne lui écrivîtes pas en lui envoyant les lettres dont il s'agit, il ne s'est pas pressé de le faire. Je vous demande pardon, mais je ne puis refuser cela à ceux qui m'en prient.

Adieu, jusqu'à demain. Souvenez-vous de moi, plaignez-moi et m'aimez toujours. Je ne puis vous dire que cela aujourd'hui, mais j'en pense bien davantage.

AU MÊME.

Samedi au soir (septembre 1661).

J'arrivai hier fort tard ici après avoir laissé le pauvre M. Jacquinot [360] et madame sa femme en larmes. Sincèrement je leur suis bien obligée de l'amitié qu'ils m'ont témoignée en partant. Je prétendois vous écrire une longue lettre aujourd'hui, mais quoique je n'aie fait savoir mon arrivée à personne, j'ai été accablée de monde et le comte Tott [361] qui va arriver, sera cause que je ne vous dirai pas tout ce que je voudrois. Ma santé est toujours de même. Deslis vient d'être reprise de la fièvre pour la troisième fois. Mme de Caen [362] vous baise mille fois les mains; Mlle Boquet et Mme Duval en font autant. Je commence déjà, malgré les caresses de mes amies et de mes amis, de regretter les Pressoirs du temps que vous y veniez.

Au reste l'exil de Mlle de la Mothe fait grand bruit ici, mais comme je sais qu'on vous a mandé cette histoire [363] je ne vous en dis rien. On dit que M. le Surintendant doit laisser revenir le Roi et aller de Bretagne à B...... [364] Je crois qu'il sera bien qu'il y soit le moins qu'il pourra, afin d'ôter à ses ennemis la liberté de dire qu'il ne s'arrête que pour fortifier B.... L'intérêt particulier que je prends à ce qui le regarde, m'oblige de vous parler ainsi. On dit fort ici dans le monde de Paris qu'il est mieux que personne dans l'esprit du Roi. Fontainebleau est si désert que l'herbe commence de croître dans la cour de l'Ovale. M. Ménage a été ici, qui vous baise mille fois les mains. Si je ne craignois pas de vous fâcher, je vous dirois que Mme v... m... [365] dit et fait de si étranges choses tous les jours, que l'imagination ne peut aller jusque-là, et tout le monde vous plaint d'avoir à essuyer une manière d'agir si injuste et si déraisonnable. Pour moi je souffre tout cela avec plaisir, puisque c'est pour l'amour d'une personne qui me tient lieu de toutes choses. Je ne vous en dirois rien, si la chose n'alloit à l'extrémité, et si je ne jugeois pas qu'il est bon qu'en général vous sachiez son injustice. Ne vous en fâchez pourtant pas, car cela ne tombe ni sur vous ni sur moi. A votre retour, je vous dirai un compliment que les dames de la Rivière me firent ensuite de quelque chose que m. v. m. (Madame votre mère) avoit dit. Mais, après tout, il faut laisser dire à cette personne ce qu'il lui plaira et s'en mettre l'esprit en repos. Mme Delorme [366] me fait des caresses inouïes et Mme de Beringhen aussi. Je ne sais ce qu'elles veulent de moi. En voilà plus que je ne pensois, et si [367] ce n'est pas tout ce que je voudrois vous dire. Souvenez-vous de moi, je vous en prie. Mandez-moi quand vous reviendrez, et m'écrivez un pauvre petit mot pour me consoler de votre absence qui m'est la plus rude du monde.

AU MÊME.

7 septembre 1661.

Voici la troisième fois que je vous écris sans avoir entendu de vos nouvelles [368] depuis mon départ des Pressoirs. Il me semble pourtant que vous pouviez m'écrire un pauvre petit billet de deux lignes seulement pour me tirer de l'inquiétude où votre silence me met; car enfin il y a douze jours que vous êtes parti. Je ne vous demande point de longue lettre, je ne veux qu'un mot qui me dise comment vous vous portez. Car, pour peu que je sache que vous vivez, je présupposerai que vous m'aimez toujours, et qu'il vous souvient de moi autant que je me souviens de vous. J'aurois quatre mille choses à vous dire de différentes manières, mais il faut les garder pour votre retour.

M. de Méringat [369] qui est à Paris, vous baise les mains. M. de la Mothe-le-Vayer en fait autant et m'a chargée de vous donner un petit livre de sa façon que je vous garde. M. Nublé m'a promis la harangue que fit M. le premier président de la chambre des comptes [370], lorsque Monsieur [371] fut porter des édits à sa compagnie. Ce discours est fort hardi, on le loue fort à Paris, et l'on en fait grand bruit partout. Si je l'ai devant que de fermer mon paquet je vous l'envoyerai.

On dit toujours que M. le S... [372] va droit à être premier ministre, et ceux même qui le craignent commencent à dire que cela pourroit bien être. On travaille à l'accommodement de Mlle de la Mothe. Mme la comtesse de la Suze [373] a enfin été démariée, de sorte que c'est tout de bon qu'elle est Mme la comtesse d'Adington. Au reste, on dit hier chez une personne de qualité et du monde, que Mme Duplessis-Bellière pourroit bien épouser M. le duc de Villeroy, et qu'elle sera gouvernante de M. le Dauphin. Mais on parle parmi tout cela de Belle-Ile, de sorte qu'il est assez bon de se précautionner contre tout ce que l'on peut dire. Je vous mande tout ce que je sais, vous en ferez ce qu'il vous plaira.

Au reste, j'ai été bien surprise de trouver ici, à mon retour, entre les mains de plusieurs personnes, les vers que M. le S... fit pour répondre aux vôtres [374]; car j'en faisois un grand secret. Lambert les a donnés à Mme de Toisy et à ma belle-sœur, et il leur a dit qu'il a eu commandement d'y faire un air, et en effet il en a fait un. On montre aussi une contre-réponse que vous avez faite, qui n'est point de ma connoissance.

On a fait quatre vilains vers pour l'aventure de Mlle de la Mothe que Mme de Beauvais [375] a fait chasser. C'est le bon M. de la Mothe qui me les a dits. Il y a une vilaine parole, mais n'importe! ce n'est pas moi qui l'y ai mise:

Ami, sais-tu quelque nouvelle

De ce qui se passe à la cour?

—On y dit que la m.......

A chassé la fille d'amour.

Tout le monde blâme M. le marquis de Richelieu [376].

Adieu, en voilà trop. Pour vous j'ajouterai cependant que madame votre mère a dit à M. Ménage des choses qui vous épouvanteroient, si vous les saviez, tant elles sont déraisonnables, emportées et hors de toute raison. Aussi Boisrobert fait-il une comédie de toutes ces belles conversations [377]. Je ne vous en aurois rien dit si plusieurs personnes ne m'étoient venues dire que j'étois obligée de vous avertir d'une partie de la vérité. Pardonnez-le-moi, et croyez que, pour ce qui me regarde, je sacrifie toutes choses à votre plaisir, pourvu que vous me conserviez toujours votre affection. Vous le devez, et je vous en conjure par la plus sincère, la plus tendre et la plus fidèle amitié du monde. C'est tout ce que je puis vous dire de si loin. Bonsoir; écrivez-moi un mot, car votre silence me tue.

Mille amitiés à M. de la Bastide et à M. du Mas [378]. Donnez, s'il vous plaît, au premier, une lettre que M. Pineau lui écrit. Mme de Caen vous baise les mains, elle vous a envoyé une lettre pour M. le Surintendant. Le pauvre M. de Montpellier vous prie toujours de ne l'oublier pas, quand vous serez de retour, et dit que, s'il y a quelqu'un dans sa compagnie qui ne lui plaise pas, on n'a qu'à le lui dire. Ce pauvre homme me promet des merveilles, mais, comme vous le savez, je ne vous demande jamais que ce que vous devez et ce qui vous plaît.

A M. HUET, A CAEN [379].

[Septembre 1661.]

Quoique je ne sois pas ingrate, je souhaite pourtant de tout mon cœur de ne vous rendre jamais compassion pour compassion: cela veut dire, en un mot, que la fortune ne vous fasse jamais éprouver une douleur pareille à la mienne; car enfin, Monsieur, en une même semaine j'ai vu un homme illustre [380] qui me protégeoit, dans le plus pitoyable état du monde, un fidèle et généreux ami en prison [381] et un autre dans le tombeau [382]. Je compte presque pour rien le renversement de la fortune de M. Pellisson et de la mienne en particulier, quoique ces deux choses s'y trouvent. Mon chagrin a une cause plus noble, et l'amitié toute seule fait toute l'amertume de ma douleur. Plaignez-moi donc, Monsieur, s'il est vrai que vous m'aimez un peu, et soyez assuré qu'il ne vous arrivera jamais ni joie, ni douleur que je ne partage avec vous.

AU MÊME [383].

[Fin de 1661.]

On se fait honneur en plaignant ses amis malheureux, et on profite de leur infortune en la partageant avec eux; mais le mal est, Monsieur, qu'on ne les soulage guère en les plaignant; et après tout, quand on fait ce qu'on peut, on fait ce qu'on doit, et l'on a toujours l'avantage de n'augmenter pas leurs déplaisirs, par le chagrin qu'il y a d'apprendre qu'on a des amis ingrats: car j'appelle de ce nom-là ces âmes insensibles qui ne se laissent point toucher à la douleur, et qui ne prennent jamais de part qu'à la joie de ceux qu'ils aiment le mieux. Pour vous, Monsieur, vous avez l'âme trop noble pour en user de cette sorte, et je sens comme je dois, la bonté que vous avez de vous intéresser si obligeamment à ce qui me touche et à ce qui regarde un illustre malheureux, qui mérite sans doute votre amitié. Il n'est aucunement coupable d'aucun crime et la calomnie ne l'accuse même de rien. Mais après tout, il est prisonnier, tout son bien est entre les mains du Roi, et quand il n'auroit que le malheur de son maître, il seroit toujours bien à plaindre. Je suis bien fâchée, Monsieur, de ne vous entretenir que de choses si tristes et peu agréables, mais j'ai si bonne opinion de vous, que je crois que vous ne vous en tiendrez pas importuné, et qu'au contraire vous en estimerez davantage l'amitié que je vous ai promise.

LETTRE DE REMERCÎMENT AU ROI [384].

[Octobre 1663.]

Je sais trop le profond respect que l'on doit à V. M. pour prendre la hardiesse de lui écrire, si son propre bienfait ne me l'eût donnée et s'il n'y avoit trop de honte à n'en pas témoigner de ressentiment. Je le dirai même, Sire, à V. M., puisqu'elle ne m'a pas jugée indigne de ses grâces. Il est désormais de son intérêt de recevoir avec la même bonté le très-humble et très-respectueux remercîment que j'ose lui en faire. Je n'ai assurément nulle de ces qualités éclatantes qui attirent son estime et sa faveur et en tirent un nouvel éclat. Je ne puis moi-même justifier l'action de V. M. qu'en l'assurant d'une reconnoissance éternelle. Elle a sans doute voulu montrer en pensant à moi qu'elle sait trouver du temps pour les moindres choses comme pour les plus grandes, qu'elle n'ignore rien, et ne connoît pas seulement les services mais aussi le cœur de ses sujets dont il n'y en a point qui ait plus de passion que j'en ai toujours eu pour sa gloire.

J'ai fait, Sire, des vœux pour la naissance de V. M. quand c'étoit un bien plus souhaité qu'espéré de toute la France. J'en ai fait pour le bonheur de son règne que cette naissance miraculeuse nous sembloit promettre. Quand on a admiré les victoires et les conquêtes de V. M., je les ai senties; quand son heureux mariage et la paix qu'elle donnoit à ses peuples ont fait la prospérité de l'État, j'en ai fait la mienne; quand Dieu lui a donné cet aimable Dauphin qui fait présentement les délices des deux plus grandes reines qui aient jamais été, j'en ai eu une joie particulière, et, si je l'ose dire, toute cachée que je suis dans le monde, mon zèle et mon affection m'ont fait suivre V. M. depuis son berceau jusqu'à son char de triomphe.

Il n'y a guère d'apparence, Sire, que je cesse aujourd'hui, qu'à tant de devoir et d'inclination je puis ajouter la joie d'avoir eu quelque petite part aux pensées du plus grand roi du monde, et d'avoir été du moins un moment dans cet esprit qui n'est que justice, que lumière, que gloire et que grandeur.

Mais, Sire, il ne m'appartient pas de louer V. M., bien que ce soit aujourd'hui l'occupation de toute la terre. Il n'est pas juste, quelque bonté qu'elle pût avoir, de l'arrêter inutilement, Elle dont tous les moments sont autant d'actions utiles et glorieuses. Qu'elle me pardonne, s'il lui plaît, ce peu que je lui en ai fait perdre. Je voulois lui faire connoître que je sais parfaitement le prix que donne à un bienfait une main aussi illustre que la sienne, afin qu'elle comprît plus aisément avec quel zèle, quelle fidélité et quel respect je serai toute ma vie, etc.

A M. HUET, A CAEN [385].

Le 18 décembre.... [1663].

J'ai eu une extrême joie, Monsieur, de recevoir des marques de votre souvenir, et M. Pellisson m'a priée de vous remercier fort tendrement de la part que vous prenez à ce petit commencement de liberté qu'on lui a donné [386], et qui donne lieu d'en espérer bientôt une plus grande: principalement depuis que le Roi en a parlé très-ouvertement, et qu'il a fait lire plusieurs choses qu'il a faites pendant les temps les plus rigoureux de sa captivité. Il revient du moins au monde, avec la satisfaction de voir que son malheur lui a encore acquis un nombre infini d'amis, outre ceux qu'il avoit déjà. . . . . . . . . . . . .

A M. COLBERT [387].

[Décembre 1663.]

Monsieur,

Quoique je n'aie presque pas l'honneur d'être connue de vous, je ne laisse pas d'espérer que vous ne trouverez point mauvais que je prenne non-seulement la liberté de vous écrire, mais encore celle de vous demander une grâce; et pour vous obliger à m'écouter favorablement, je vous protesterai d'abord que le Roi n'a point de sujette qui ait plus de passion ni plus de zèle que j'en ai toujours eu pour sa gloire, et que feu M. le Cardinal n'a jamais obligé personne qui ait eu plus d'estime pour ses grandes qualités ni plus de reconnoissance de ses bienfaits.

Après cela, Monsieur, j'ose vous conjurer très-instamment, si vous le pouvez, comme je n'en doute point, de faire que la prison de M. de Pellisson soit un peu plus douce. Si sa vertu, sa probité, son zèle pour le service du Roi, et la considération que je sais qu'il a toujours eue pour vous, vous étoient bien connus, vous le regarderiez sans doute comme un homme dont l'innocence doit être protégée par vous. Je le dis d'autant plus hardiment, Monsieur, que j'espère que j'aurai quelque jour l'honneur de vous le faire voir clairement. Je vous conjure donc, Monsieur, d'avoir la bonté de faire en sorte que la mère de M. de Pellisson, M. Rapin son beau-frère, M. Ménage et moi, ayons la liberté de le voir une fois ou deux la semaine.

J'ose vous dire encore, Monsieur, que si vous saviez bien les choses, vous connoîtriez que je ne vous demande rien que de juste, lorsque je vous conjure d'adoucir la prison de mon ami. J'ose même vous assurer, Monsieur, que cette douceur sera glorieuse au Roi, pour le service duquel je suis assurée que M. de Pellisson voudroit donner toutes choses, jusques à sa propre vie, et je vous assure aussi que vous ne pouvez rien faire de plus juste ni de plus honnête. Je n'ose vous dire, Monsieur, que j'aurai une reconnoissance éternelle de cette grâce, si vous me l'accordez; mais je vous assure que vous obligerez un nombre infini d'honnêtes gens en obligeant mon ami. Si j'eusse cru ne vous importuner pas, je vous aurois demandé un quart d'heure d'audience pour vous dire ce que je vous écris et peut-être quelque chose de plus; mais n'ayant osé le faire, je me suis hasardée de vous écrire sans vouloir employer personne auprès de vous, quoique j'aie beaucoup d'amis par qui j'eusse pu vous faire prier; mais j'ai mieux aimé ne devoir rien qu'à votre propre générosité. Voilà, Monsieur, quels sont les sentiments d'une personne qui aura beaucoup de joie si vous voulez bien qu'elle ait l'honneur d'être toute sa vie, Monsieur, votre très-humble, très-obligée et très-obéissante servante,

MADELEINE DE SCUDÉRY.

A M. HUET [388].

[1664 ou 1665.]

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les avocats disent que l'illustre prisonnier se défend si bien lui-même, que nul autre ne le doit défendre, et il donne de si justes marques de sa capacité et de sa constance, que son infortune lui devient tous les jours plus glorieuse. Voilà, Monsieur, tout ce que peut vous dire une personne qui vous honore infiniment, et qui vous demande la continuation de votre amitié.

AU MÊME.

[Fin de 1665 ou commencement de 1666.]

Je ne sais, Monsieur, si vous songez quelquefois qu'il y a longtemps que je vous dois une réponse; mais je sais bien que vous êtes obligé d'y songer, et que j'ai eu si souvent envie de vous écrire, que vous m'en devez savoir fort bon gré. J'attendois toujours que j'eusse l'esprit plus tranquille, afin de vous écrire sans chagrin: mais comme je prévois que j'aurai encore deux ou trois mois d'inquiétude, je me résous enfin à vous entretenir, toute mélancolique que je sois. Ce n'est pas que les affaires de M. de Pellisson ne soient en fort bon état, et que tout le monde ne rende justice à sa vertu, mais sachant combien il aime son maître, et étant lui-même fort touché de son infortune, je ne puis pas avoir l'esprit en repos que cette affaire ne soit terminée. Mais après tout, Monsieur, mon amitié est toujours la même, et j'espère que vous la reverrez paroître avec les premières roses, telle qu'elle étoit l'année passée à la saison des violettes. Faites donc en sorte que je retrouve la vôtre telle qu'elle étoit; je vous en conjure par l'admirable Octavie.

AU MÊME [389].

Vendredi [1670].

Comme je n'ai pas de plus grand plaisir que de louer ce qui mérite d'être loué, surtout quand mes amis en sont les auteurs, je suis très-fâchée, Monsieur, que vous ayez donné des bornes aux louanges que je vous dois, en me louant comme vous avez fait à la fin de votre excellent Discours sur l'origine des Romans [390]. Car après cela, je n'ose presque dire tout le bien que j'en pense, de peur qu'on ne m'accuse d'être plus touchée de ce que vous dites de moi, que de toutes les belles choses dont votre discours est rempli. Mais, puisque des raisons de modestie m'empêchoient peut-être de vous louer en parlant aux autres avec tout le zèle que je voulois, il faut du moins que je le fasse en parlant à vous, et que je vous die de plus que M. de Pellisson m'a écrit de Saint Germain, que votre ouvrage étoit très-beau et très-savant, et qu'il vous ira remercier d'un si agréable présent, dès qu'il viendra à Paris. Je pense, Monsieur, que ses louanges valent mieux que les miennes, mais je ne laisserai pas de vous dire que non-seulement il paroît beaucoup de savoir dans votre discours, mais, outre cela, un discernement exquis et un véritable génie pour ces sortes d'ouvrages. Vous avez précisément choisi les romans qui ont fait les délices de ma première jeunesse, et qui m'ont donné l'idée des romans raisonnables qui peuvent s'accommoder avec la décence et l'honnêteté; je veux dire, Théagène et Chariclée, Théogène et Charide [391], ainsi que l'Astrée; voilà proprement les vraies sources où mon esprit a puisé les connoissances qui ont fait ses délices. J'ai seulement cru qu'il falloit un peu plus de morale afin de les éloigner de ces romans ennemis des bonnes mœurs, qui ne peuvent que faire perdre le temps.

Au reste si les choses que vous dites sont choisies, les expressions le sont aussi, et rien n'est mieux écrit que votre discours. Je vous dirai seulement qu'on peut en quelque sorte répondre à l'accusation que vous faites aux romans bien faits, d'avoir amené l'ignorance à leur suite, qu'ils devroient avoir produit un effet contraire; car comme l'histoire et la fable sont mêlées aux romans dont la scène est tirée de l'antiquité, les femmes qui ont de l'esprit doivent raisonnablement chercher à lire les originaux de ces sortes de choses dont elles trouvent des passages dans les romans; et j'ai une amie qui n'eût jamais connu Xénophon ni Hérodote, si elle n'eût jamais lu le Cyrus, et qui en le lisant s'est accoutumée à aimer l'histoire et même la fable. Je ne m'oppose pourtant pas à ce que vous avez avancé; je dis seulement que l'ignorance dont vous parlez a plus d'une cause et qu'il peut être bien de ne dire que celle-là.

Je vous demande pardon, Monsieur, de vous faire une si longue lettre, et de vous dire pourtant en si peu de paroles, que personne n'est plus que moi, votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. P. TAISAND [392].

19 juillet 1673.

J'eus hier bien du déplaisir, Monsieur, de n'être pas en état de vous voir, mais j'en ai beaucoup davantage d'être forcée de vous refuser la première chose que vous m'avez demandée; la raison de ce refus est que je n'ai jamais donné de clef ni de Cyrus, ni de Clélie, et je n'en ai pas moi-même. J'ai fait les portraits de mes amis et de mes amies, selon l'occasion qui s'en est présentée, et la description de quelques-unes de leurs maisons, sans aucune liaison aux aventures qui ne sont fondées que sur la vraisemblance.

Si Mlle Bossuet [393] a de la curiosité pour quelques noms, je rappellerai ma mémoire pour la contenter. Je connois son mérite sur sa réputation, et je l'honore infiniment. M. de Condom, son frère, pourroit savoir de M. de Montausier que je dis vrai lorsque je vous assure que je n'ai point donné de clef de ces ouvrages-là. J'espère que vous serez assez équitable, Monsieur, pour recevoir mes excuses, et pour ne m'en croire pas moins votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. CHARPENTIER [394].

[1673.]

J'ai reçu avec bien de la joie, Monsieur, le précieux présent que vous m'avez fait. Je voudrois bien que mes louanges fussent d'un prix assez considérable pour contribuer à votre gloire, mais, telles qu'elles sont je vous assure que je les emploie avec plaisir à rendre justice à votre Églogue [395] qui est assurément très-belle et bien digne de vous et de son sujet. Je n'oserois, Monsieur, vous en dire davantage en parlant à vous, mais ce n'est pas tout le bien que j'en dirai en parlant aux autres. J'aime naturellement à louer tout ce qui mérite d'être loué; jugez donc, Monsieur, avec quel plaisir je louerai votre ouvrage, étant autant que je suis votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. L'ABBÉ HUET, A AUNAY [396].

Le 7 juillet [1684].

Votre lettre m'a surprise fort agréablement, Monsieur, car depuis longtems l'exactitude des petits soins n'a plus été nécessaire à vous conserver dans mon cœur la place que votre mérite vous y a acquise. J'ai donc reçu le témoignage de votre souvenir avec joie, et la plainte que vous faites au sujet du madrigal, est trop obligeante pour ne satisfaire pas la curiosité que vous avez de le voir. Je l'envoyai au-devant du roi qui le reçut des mains de Mme de Maintenon à Roye, deux heures après avoir reçu la capitulation de Luxembourg [397]; car je l'avois fait dès le premier bruit qui avoit couru que cette place avoit capitulé; ce qui ne s'étoit pas trouvé véritable. Je serois bien aise qu'il ne vous déplaise pas, et qu'il ait l'honneur de plaire à M. de Morangis, que j'honore toujours beaucoup. Je fis encore une petite bagatelle quand le roi partit, qui n'a pas déplu au monde; mais cela est trop bagatelle pour vous l'envoyer. J'aurai dans douze ou quinze jours deux petits volumes à vous donner. Apprenez-moi ce que j'en dois faire pour les faire parvenir entre vos mains. Notre cher M. Ménage est toujours très-incommodé; il ne peut passer de sa chambre dans son cabinet qu'avec des potences. Il supporte cela avec beaucoup de patience, et se rend encore plus digne de la compassion de ses amis. Je lui ai envoyé demander votre adresse; je m'en sers donc, Monsieur, pour vous assurer que sans que vous en preniez nul soin vous me trouverez toujours la même. La mémoire de notre chère Mme de Malnoue [398] sert encore à conserver l'amitié que j'ai pour vous, et il me semble que c'est l'aimer encore que d'aimer ce qu'elle aimoit. Voilà, Monsieur, les sentiments très-purs de votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. DE VERTRON [399].

[1685 OU 1686.]

J'ai tant d'estime, Monsieur, pour Mlle de la Vigne, que tout ce qui vient de sa part m'est précieux. Je vois par vos vers et par votre lettre que votre seul mérite peut vous faire recevoir agréablement par vous-même; mais comme j'ai une toux fort cruelle qui ne me permet pas de beaucoup parler, je vous demande cinq ou six jours pour guérir, afin de pouvoir vous louer et vous remercier sans vous importuner en toussant. Ne vous figurez pas, Monsieur, que je sois un bel esprit, je ne suis rien moins que cela, mais je suis une bonne amie qui fais profession d'être fort sincère et qui suis déjà par avance,

Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME.

1685 ou 1686.

Comme je suis cruellement enrhumée, Monsieur, vous me devez pardonner de ne vous avoir pas remercié plus promptement de la belle devise que vous avez faite pour M. le duc de Saint-Aignan; elle lui convient admirablement, et j'ai su que le jour du carrousel [400] il confirma cette vérité par la manière libre, noble et dégagée dont il s'acquita de l'emploi qu'il y avoit. Je vous en rends donc mille grâces très-humbles, Monsieur, et je donne à l'ouvrage que vous avez fait pour Louis le Grand [401], toutes les louanges qu'il mérite, en parlant aux autres, mais en parlant à vous, je ne me hasarderai pas d'entrer dans le détail de celles dont il est digne; il y auroit de la vanité à le faire. Il me suffit donc de vous dire, que cet ouvrage est aussi bien qu'il peut être, dans le dessein que vous avez eu de renfermer dans une petite espace [402], une gloire qu'à peine l'univers peut contenir. J'aurois peut-être désiré que vous eussiez un peu mieux parlé de Soliman qui avoit de très-grandes qualités; car il est toujours beau aux victorieux de soumettre des gens d'un mérite éclatant, mais cela n'est rien et ne sera remarqué que de moi, qui dans ma première jeunesse ai fort estimé ce prince othoman. Voilà, Monsieur, tout ce qu'un grand rhume me permet de vous dire, et que je suis autant que je le dois,

Votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME.

[1685 ou 1686.]

Le sonnet que vous m'envoyez [403], Monsieur, est fort beau, mais il est trop flatteur; j'en rabats ce que je dois, et je vous en remercie sans me laisser persuader ce que je ne mérite pas. Je suis fâchée, Monsieur, pour l'amour de vous, de ne pouvoir changer ma manière, mais je ne le puis. J'ai un grand nombre d'amis, et je suis assurée qu'il n'y en a pas un qui me conseillât de changer un caractère dont je me suis si bien trouvée. Il y a plus de trente ans que M. le duc de Montausier me loue de ne faire pas le bel esprit; en un mot, Monsieur, rien n'est plus opposé à mon humeur, et je ne puis, en façon du monde, faire ce que vous désirez. Quand mes amis me montrent quelque ouvrage, je ne décide jamais rien. Les deux aimables personnes que vous avez choisies suffisent à juger des choses plus difficiles [404]: Si elles ne s'accordent pas, choisissez un honnête homme pour être un tiers. Voilà, Monsieur, tout ce que je puis. Et pour finir par où j'ai commencé, je vous loue et vous remercie, et je vous promets de louer avec plaisir l'ouvrage qui remportera le prix; c'est tout ce que peut

Votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. BOISOT, ABBÉ DE SAINT-VINCENT, A BESANÇON [405].

Le 2 novembre 1686.

Votre lettre, Monsieur, m'a surprise fort agréablement, car je n'avois nul lieu de l'attendre aussi flatteuse qu'elle est, et je vois bien que je dois la bonne opinion que vous avez de moi à mes amis; mais, au hasard de vous en désabuser, je voudrois bien que vous eussiez quelque affaire agréable en ce pays-ci, qui me donnât lieu de connoître par moi-même un aussi honnête homme que vous; car je ne vous connois pas seulement, Monsieur, par les belles lettres que j'ai reçues de vous, je vous connois encore par M. de Pellisson, qui ne loue jamais sans sujet. De sorte, Monsieur, que si mon estime peut contribuer à votre satisfaction, vous pouvez en être assuré et qu'il ne tiendra qu'à vous que je ne sois toute ma vie,

Votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. l'ÉVÊQUE DE POITIERS [406].

[Février 1687.]

Si je n'étois pas un peu malade et fort affligée de la mort de M. le maréchal de Créqui [407], j'accepterois avec joie l'honneur que vous me voulez faire, Monseigneur; mais je n'ai pu encore aller voir mes amies affligées et il n'y auroit nulle raison d'aller me réjouir dans ce temps où je dois pleurer avec elles. Gardez-moi votre bonne volonté pour une autre fois et je serai ravie de ne vous refuser pas, car je suis véritablement votre très-humble servante et très-obéissante malade.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

Le 12 septembre 1687.

Quoique je sois fort diligente, Monsieur, à reconnoître dans mon cœur tout ce que vous avez fait pour m'obliger, je dois vous paroître un peu paresseuse à vous remercier du plaisir que m'ont donné toutes vos lettres espagnoles [408]. Mais un grand rhume m'a empêchée de les lire durant quelque temps. Je les trouve pleines de beaucoup d'esprit et je suis persuadée qu'il y en avoit plus en ce temps-là en Espagne qu'il n'y en a aujourd'hui, et je suis assurée que le Roi qui y règne n'écrit pas comme celui dont M. de Pellisson m'a fait voir les lettres, ni les dames de sa cour comme la Torquilla. Je vous remercie donc, Monsieur, d'avoir songé à me les faire voir. Vous ne me dites point s'il faut vous les renvoyer. Cependant je prends la liberté de vous donner douze vers [409] que je fis le lendemain que j'eus été voir Saint-Cyr par ordre de Mme de Maintenon, qui m'y reçut avec beaucoup de bonté. On y a fait un chant parfaitement beau. Il y a près de trois cents jeunes demoiselles dans cette maison. C'est un établissement admirable. C'est à ces jeunes filles que j'adresse ces vers. Je souhaite qu'ils ne vous déplaisent pas, Monsieur, et que vous me croyiez autant que je suis

Votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME.

17 octobre 1687.

Que direz-vous, Monsieur, de mon silence? Les apparences sont contre moi, mais, dans la vérité, je ne suis pas coupable, car je ne suis point du tout ingrate. Votre italien m'a fait pour le moins autant de plaisir que votre espagnol, et puis un sonnet écrit de la propre main du Tasse [410] est une chose infiniment agréable à quiconque est sensible au mérite d'un si excellent homme. Je vous en aurois remercié plus tôt, sans un grand rhume qui m'a fort importunée; et puis j'eusse bien voulu vous envoyer en échange quelque chose de moi propre à vous divertir. Mais je vous envoie, Monsieur, des vers d'un gentilhomme de mes amis de Bordeaux qui fait de fort belles choses. [411] Vous en verrez le sujet au titre. Il faut seulement savoir qu'un peu avant cela, le Roi m'avoit fait l'honneur de me donner sa médaille. Vous voyez, Monsieur, que je paie mes dettes du bien d'autrui. Mais ce n'est qu'en vers que j'en use ainsi, car vous trouverez dans mon propre cœur toute l'estime que vous méritez et toute la reconnoissance que doit avoir votre très-humble et très-obéissante servante.

M. de Pellisson est à Fontainebleau. Je lui montrerai le sonnet à son retour, qui lui fera plaisir.

AU MÊME.

Le 19 août 1689.

J'ai reçu, Monsieur, de si grands remercîments de MM. de Bonnecorse père et fils [412], que je serois bien ingrate si je ne vous témoignois pas la reconnoissance que j'ai de toutes les manières honnêtes dont vous avez reçu ma très-humble prière. Je le fais donc de tout mon cœur et je vous assure que je ne perdrai jamais le souvenir de cette générosité. Mais pour achever la grâce, ne pourriez-vous pas obtenir de M. de Moncault qu'il fît pour le cadet que vous avez si bien reçu, ce que M. de Valcroissant écrivit hier sur ma table, en partant pour aller prendre possession du petit gouvernement que le Roi lui a donné? Il a été gouverneur de M. de Barbésieux, fils de M. de Louvois. Il est de Provence et de mes anciens amis, et c'est lui qui a fait mettre M. de Bonnecorse aux cadets de Besançon. Ce garçon m'a écrit qu'il vaquoit trois lieutenances d'infanterie; il en a aussi écrit à M. de Valcroissant; mais, par malheur, il partoit pour Flandre avec Mme sa femme. Mais lui ayant demandé ce qu'il falloit faire, il écrivit le petit mémoire que je vous envoie [413]. Voyez, Monsieur, si vous pourriez obtenir de M. de Moncault ce que ce mémoire porte. M. de Pellisson l'en remercieroit, et moi aussi, et je vous en serois parfaitement obligée. Le père de ce garçon est un parfaitement honnête homme que M. de Pellisson et moi aimons beaucoup. Je prends la liberté de mettre un petit billet dans votre paquet pour ce gentilhomme-là.

Je serai ravie de voir ce que le médecin écrira sur le mal extraordinaire de la fille dont vous m'avez fait le récit. Je crois que vous seriez bien aise de savoir que le Roi a donné pour gouverneur à M. le duc de Bourgogne, M. le duc de Beauvilliers, homme d'une grande vertu. M. de Chevreuse [414] est sous-gouverneur, et M. l'abbé de Fénelon précepteur. Le Roi sut hier, par un exprès parti de Rome le 10, que le Pape était à l'agonie. Il est venu aujourd'hui un autre courrier: on se figure, avec bien de l'apparence, qu'il apporte la nouvelle de la mort. Les cardinaux françois se préparent à partir, et M. le duc de Chaulnes aussi, avec la qualité d'ambassadeur extraordinaire. M. d'Uxelles se défend admirablement bien à Mayence; Brégy se défend de même. La flotte du Roi est la plus belle du monde. La dyssenterie est dans celle de ses ennemis, et il y a lieu de croire que Dieu bénira les armes de Louis le Grand et confondra ses ennemis. Mais pour finir par où j'ai commencé, Monsieur, je vous rends mille grâces très-humbles et suis pour toute ma vie votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME.

Le 7 de septembre 1689.

Je réponds un peu tard, Monsieur, à votre lettre du 28, parce que je voulois la montrer à M. de Pellisson, afin qu'il m'aide à reconnoître la manière obligeante dont vous agissez pour M. de Bonnecorse. Mais vous pouvez assurer M. de Moncault [415] et vous assurer vous-même qu'il sentira vivement tout ce que vous faites l'un et l'autre pour ce gentilhomme dont le père est son ami et le mien, et que vous trouveriez très-digne d'être le vôtre si vous le connoissiez. Il a de l'esprit, du savoir et beaucoup de vertu. Je lui avois écrit afin qu'il rendît office à l'ambassadeur de Constantinople qui devoit passer à Marseille. Il a fait cela de si bonne grâce que ce m'est un nouvel engagement de le protéger en la personne de son fils. Continuez donc, Monsieur, de le servir auprès de M. de Moncault. Mais comme ce garçon-là n'est pas l'aîné de la famille, il vaut mieux lui faire donner une lieutenance dans un bon corps d'infanterie que de le mettre dans la cavalerie où il y a plus de dépenses à faire.

Après cela, je laisse le reste à faire à votre générosité et à celle de M. de Moncault, dont M. de Pellisson me dit avant-hier encore beaucoup de bien. J'écris aujourd'hui au cadet de Besançon, ne voulant pas toujours abuser de votre honnêteté, et j'écris aussi à son père pour lui apprendre la continuation de vos bontés pour son fils. Je vous assure que ce garçon-là n'en est pas ingrat, car il m'en écrit comme en ayant le cœur pénétré. Mayence fait toujours des merveilles, et Brégy ne se dément pas. Mais les nouvelles d'Irlande ne sont pas bonnes, et l'on ne doute pas que Londonderry n'ait été secouru. Les cardinaux françois vont en diligence à Rome pour empêcher, s'ils peuvent, que le conclave ne nous donne un pape aussi ennemi de la France que le dernier; mais la maison d'Autriche fait une grande ligue. La flotte angloise n'a pas voulu attendre la nôtre. Il y a une épitaphe du Pape qui ne le flatte pas, mais vous l'aurez peut-être reçue. Je suis, Monsieur, avec autant d'estime que de reconnoissance, votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME.

Le 7 octobre 1689.

......Il faut vous répondre, Monsieur, sur ce que vous me demandez touchant Saint-Cyr. Il n'y a pas toujours des places vacantes, mais on écrit dans un registre celles qui ont des places retenues. Il faut faire preuve de quatre degrés de noblesse par pièces originales par-devant M. d'Hozier, fils du grand généalogiste, préposé pour cela; mais il faut auparavant avoir parlé à Mme de Maintenon, qui seule conduit toute cette maison. Il faut que la petite fille ait sept ans passés; on n'en reçoit point au-delà de douze. On désire qu'elles soient saines et qu'elles ne soient pas difformes. Mais j'ai à vous dire qu'on n'en mariera plus comme on a fait. Elles y seront jusqu'à vingt ans. Quand il vaque des places de religieuses dans les abbayes royales où le Roi a droit d'en nommer une, s'il y a des demoiselles que Dieu appelle à la religion, on en choisit une et on l'envoye à cette abbaye-là. Voilà, Monsieur, ce que je vous en puis dire. Si les filles ne font pas bien leur devoir, on les rend aux parents, et il en est sorti deux il y a trois jours. J'ajoute après cela que, quoique j'aie refusé à une personne de me mêler de mettre des filles dans ce lieu-là, si vous voulez dresser un mémoire bien circonstancié de la condition de la demoiselle, de la vertu de la mère, du père, du bien de cette famille, de l'âge de la fille et peindre même la petite personne, je ferai voir le mémoire à Mme de Maintenon. Mais comme la Cour partit hier pour Fontainebleau, d'où elle ne reviendra à Versailles que le 23 de ce mois, il faudra attendre ce retour-là....

Votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. HUET [416].

[1689.]

Je suis fort aise, Monseigneur, que vous m'ayez fait l'honneur de vous souvenir de moi, sans vous souvenir de mon ignorance; car peut-être, si vous vous en étiez souvenu, ne m'eussiez-vous pas donné votre excellent ouvrage [417]. Je voudrois bien cependant que vous m'eussiez aussi envoyé quelque habile traducteur, afin de ne perdre rien d'un livre qui n'est pas favorable à certaines machines cartésiennes, contre lesquelles je me suis déclarée hautement il y a longtemps, sans employer pourtant contre le philosophe, que mon chien, ma guenon et mon perroquet. Mais comme il y a certaines choses qu'on entend plus facilement que les autres, j'ai fort bien entendu les louanges que vous donnez à M. de Montausier dans votre préface, et quelques autres petits endroits dont je n'oserois parler en détail de peur de m'égarer. Le philosophe que vous attaquez si vivement a une nièce [418] que j'aime beaucoup et qui a infiniment de mérite; mais elle entend raillerie sur la philosophie de son oncle, comme vous le verrez par un madrigal qu'elle m'envoya au commencement d'avril, lorsqu'elle sut que la pauvre fauvette étoit revenue dans mon petit bois, suivant sa coutume.

Quand la plus belle des fauvettes

Je vis revenir où vous êtes,

Ah! m'écriai-je alors avec étonnement,

N'en déplaise à mon oncle, elle a du jugement.

Après cela j'ose vous supplier de recevoir un petit madrigal [419] .... et que vous me croyiez toujours votre, etc., etc.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

Le 22 mars 1690.

Il y a sept semaines, Monsieur, que je suis malade, et quoique je sois beaucoup mieux, je ne recevrai pourtant des visites qu'après Quasimodo, et, à la réserve de trois ou quatre personnes, je ne vois encore qui que ce soit. Mais, quand je serai achevée de guérir, je serai ravie de voir M. l'abbé Nicaise et de le remercier de son présent. Si vous lui écrivez, Monsieur, vous me ferez plaisir de l'assurer de mes services très-humbles et de mon estime.

Au reste il y a une contestation entre des gens de savoir pour donner la préférence à un des trois éloges du Roi que M. de Pellisson a faits dans ce qu'il a écrit sur la religion. Le premier est au premier volume des Réflexions [420] que je sais que vous avez: il est placé dans la relation sur l'état de la religion en France. Le second éloge est au second volume des Réflexions et le troisième est à la fin des Chimères [421], que je suppose que M. de Pellisson vous a données. Comme j'estime beaucoup votre discernement, Monsieur, et la délicatesse de votre goût, je vous prie de les relire, d'en choisir un, et de me mander celui que vous aurez préféré, en un papier à part. J'ai déjà plusieurs avis de cette sorte; vous serez, Monsieur, en bonne compagnie, et cela fera plaisir à M. de Pellisson. Je suis avec toute l'estime que vous me connoissez et toute la reconnoissance possible, votre très-humble et très obéissante servante, etc., etc.

RÉPONSE DE MADEMOISELLE DE SCUDÉRY AUX VERS DE M. LE PREMIER PRÉSIDENT DE LA GUYENNE, [422]
OÙ IL SOUTENOIT QU'ON NE POUVOIT CHOISIR ENTRE LES TROIS ÉLOGES [423]
PARCE QU'ILS ÉTOIENT ÉGAUX EN BEAUTÉ.

[Mai 1690.]

Quoi qu'en puissent dire vos vers,

Rien n'est égal en l'univers.

Le soleil même en sa carrière,

Répand diversement sa brillante lumière,

Et ses rayons si purs, et si clairs, et si beaux,

Aux yeux les plus perçants paroissent inégaux.

.... Après cela, Monsieur, il me semble que vous devriez vous rendre à ce grand exemple et préférer un des trois Éloges aux deux autres.... On trouve, sans doute, dans le premier, tout ce que les panégyriques les plus étendus peuvent avoir de plus fort et de plus noble pour donner l'idée d'un Roi accompli. Le second, en peu de paroles, et en forçant l'envie même à en faire un portrait admirable, a sans doute une charmante nouveauté.... Mais je sens dans le troisième quelque chose de divin qui tient de l'inspiration, qui emporte mon cœur en ravissant mon esprit, et qui ne me permet pas de rester dans une neutralité volontaire comme la vôtre. J'ai même, ce me semble, Monsieur, un grand préjugé qui favorise mon sentiment; car il faut que vous demeuriez d'accord que tout homme sage proportionne les choses qu'il dit à ceux à qui il parle. On ne parle pas à un grand Roi comme à un simple particulier, à des dames comme à des docteurs; et, selon cette règle, l'auteur des Éloges a dû s'élever davantage en parlant à Dieu pour un grand Roi, et y penser avec plus d'application que lorsqu'il en parloit à de pauvres fugitifs égarés.... Cette distinction de style selon les divers sujets est même le véritable caractère de l'auteur des Éloges, dont il ne s'est jamais départi; et qui considérera, non pas tant la multitude de ses ouvrages que leur prodigieuse variété, ne doutera pas qu'il n'ait eu dessein de mieux parler à Dieu qu'aux hommes. Dans le commencement de sa vie, n'ayant encore que vingt ans, il fit la paraphrase des Institutes de Justinien, par où il sembloit qu'il ne dût jamais être appliqué qu'aux choses les plus savantes, et quoique ce petit ouvrage ait fait entendre ce que c'est que la jurisprudence romaine jusques aux dames même, quand elles ont voulu être curieuses, et que toutes sortes de personnes l'aient lu avec plaisir, il s'en faut beaucoup qu'il soit du caractère de ceux qui suivirent. L'Histoire de l'Académie a passé et passera toujours pour un chef-d'œuvre, le style n'en étant ni trop, ni trop peu élevé, ayant même évité avec beaucoup d'art les écueils qui se rencontroient dans son sujet. Peu de temps après, ce qu'on appelle le monde fut rempli et charmé d'ouvrages de poésie ingénieuse, galante et agréable. La fameuse Fauvette vola partout où le françois est entendu; le Caprice contre l'estime, l'Oranger, le Dialogue de Pégase et d'Acante et cent autres marquent assez ce que je dis. Et pour montrer qu'il a su varier ses ouvrages de poésie comme ses ouvrages de prose, plusieurs odes héroïques ou chrétiennes ont mérité l'approbation des plus habiles; et ce poëme d'Eurymedon [424] où le Roi est si bien loué, a fait voir en abrégé tout ce que les poëmes épiques les plus parfaits ont de plus sublime et de plus héroïque. Ce Panégyrique du Roi [425] prononcé à l'Académie, il y a plus de quinze ans, et privé par conséquent de toutes les belles actions que le Roi a faites depuis, ce Panégyrique, dis-je, quoiqu'il ne soit pas la trentième partie de celui de Pline, qu'on a tant vanté, a paru donner une plus grande idée de Louis le Grand que celle que Pline donne de Trajan. La préface sur les ouvrages de Sarazin, que M. Ménage m'a fait l'honneur de me dédier, a été admirée de tous ceux qui l'ont vue.... Quant à ses agréables ouvrages de poésie, sachant qu'il ne les a jamais regardés que comme des jeux de son esprit, sans songer même à les conserver ni vouloir qu'on les imprimât, je dois en quelque sorte m'accommoder à sa modestie. Je dirai pourtant encore qu'en des siècles bien différents on a fort loué ceux qui ont été capables de cette surprenante variété, et que ceux même qui cherchent à critiquer Homère et l'Arioste conviennent qu'ils sont admirables par la diversité des images qu'ils présentent à leurs lecteurs, et en cela beaucoup au-dessus de Virgile et du Tasse. Mais pour reprendre ce qui me reste à dire, tout ce que quelques personnes de la cour et des amis particuliers de l'auteur des Trois Éloges ont vu de son Histoire du Roy, tombent d'accord qu'on y trouve tout ce qu'on admire dans les historiens de l'antiquité les plus parfaits. Ses ingénieux et solides quatrains de morale pour l'instruction d'un jeune prince, et que tout le monde connoît, en conservant un style naturel et noble, tel qu'il le faut pour des maximes, inspirent l'amour de la vertu agréablement; et, en dernier lieu, ce que l'auteur des Éloges a écrit sur la religion fait assez connoître qu'il a proportionné son style au sujet qu'il a traité, et que, par conséquent, il a eu dessein que ce dernier éloge du Roi, contenu avec beaucoup d'art dans une pièce qu'il adresse à Dieu, fût le plus élevé et le plus parfait. Aussi a-t-il eu l'avantage d'être loué de tout le monde et de l'être même par un des plus habiles protestants étrangers qu'on connoisse [426], ce qui n'est guère moins extraordinaire que d'être loué par l'envie même. Voilà, Monsieur, quel est le sentiment de votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

Le 7 mars 1691.

Vous portez, Monsieur, la générosité si loin pour M. de Belgeri, que je ne trouve point de termes pour vous exprimer ma reconnoissance, ni pour vous louer comme vous méritez de l'être, et je renferme tout cela dans mon cœur où rien ne se perd jamais.... Après cela, Monsieur, je ne puis m'empêcher de vous faire remarquer qu'il n'eût pas été possible de prévoir, quand j'avois garnison toutes les nuits pour me garantir des voleurs, qu'une aventure si importune, au lieu de m'appauvrir comme j'avois lieu de le craindre, enrichiroit mon cabinet en me faisant recevoir des madrigaux très-agréables, et la plus jolie lettre du monde que j'y conserverai soigneusement. En vérité, Monsieur, après avoir lu ce que votre aimable amie vous écrit [427], je vous soupçonnerois volontiers de me tromper, et je croirois que cette jolie lettre est de quelque personne de la cour, que des affaires ont menée dans votre pays, si j'en connoissois quelqu'une qui écrivît avec autant d'esprit et autant de politesse. Ce qui m'en plaît encore infiniment, Monsieur, c'est qu'il me paroît qu'elle croit vous faire plaisir de vous parler de moi. Car, du reste, les louanges d'une personne qui ne me connoît pas, quoique très-ingénieuses et très-bien écrites, me donnent beaucoup d'estime pour elle sans me donner de vanité.

Dieu me garde de chercher noise

Avec une telle Comtoise!

J'aime beaucoup mieux filer doux,

Et ne répondre que par vous.

Vous lui direz donc, s'il vous plaît, Monsieur, que je ne sais pas si elle a été ou si elle est votre maîtresse, mais que je vois beaucoup d'apparence que vous avez été son maître en l'art de bien écrire. Mais, pour vous aider à divertir une si charmante écolière, je vous envoie des vers d'un de mes amis de Bordeaux qui s'appelle M. Bétoulaud, d'un mérite fort distingué, et qui est présentement à Paris. Celui dont je parle m'a donné lieu de faire plusieurs présents agréables au Roi. Je vous envoie donc une empreinte d'une aigle qui tient une couronne de laurier à son bec. Cette aigle est gravée sur une très-belle agate orientale que j'ai donnée à Sa Majesté avec les vers qui l'accompagnent. Je vous envoie encore une empreinte d'un cachet de cornaline, où un phénix est représenté sur un bûcher, que le même M. de Bétoulaud a donné à M. de Pellisson avec un madrigal dont vous trouverez le sens fort juste.

Et comme les nouvelles peuvent divertir à la campagne, je vous apprends que durant que tous les princes ligués sont assemblés à la Haye pour résoudre quel mal ils pourront faire à la France, nous voyons de tous côtés de quoi troubler leur assemblée; car toute la gendarmerie a ordre de se tenir prête à partir au premier commandement. Toutes les troupes sont en mouvement en Flandre; l'artillerie doit être prête à marcher le 10 de ce mois, et l'on ne doute pas d'un siége avant la fin de mars. Tous les vaisseaux de Toulon sont en état de mettre à la voile; vingt galères sont prêtes à Marseille. Il vient quatre mille matelots de Provence pour nos vaisseaux de Ponant; il marche beaucoup de troupes en Piémont, et, de tous les côtés, le Roi est le plus grand roi du monde. J'espère même que nous n'aurons pas un pape autrichien. Voilà, Monsieur, de quoi amuser votre aimable amie, Mlle Bordey, que je voudrois bien qui fût la mienne: je n'en désespérerois pas si elle savoit à quel point je suis la vôtre. Mais, à mon grand regret, vous ne le savez pas vous-même, n'ayant nulle occasion de vous témoigner combien je suis, etc., etc.

A MADEMOISELLE BORDEY [428].

Ce 16 mars 1691.

Je vous suis infiniment obligée, Mademoiselle, de l'honneur que vous m'avez fait de m'écrire, mais permettez-moi de vous dire que je suis la personne du monde qu'on doit le moins craindre, aussi vous puis-je assurer que je n'aime nullement qu'on me craigne, et je n'ai jamais inspiré ce sentiment-là dans le cœur de ceux qui m'ont vue. Bannissez-le donc, s'il vous plaît, du vôtre à mon égard, et la raison le veut ainsi. Car premièrement avec tout l'esprit que vous avez, vous ne devez craindre personne, et puisque vous ne craignez pas M. l'abbé de Saint-Vincent qui est plus redoutable que moi, vous avez eu tort de m'appréhender. Je ne me pique point du tout de bel esprit; je parle et j'écris simplement pour me faire entendre, je ne cherche pas à dire de belles choses que peut-être je ne trouverois pas, mes premières pensées me semblent ordinairement les meilleures, je les prends comme elles viennent. Jugez après cela, Mademoiselle, si vous avez eu raison de me craindre; mais je puis vous assurer que si une grande estime peut faire naître l'amitié, vous m'aimerez un peu, car tout ce que j'ai vu de vous et tout ce que M. l'abbé de Saint-Vincent m'en a écrit, vous ont donné une si bonne place dans mon cœur que je ne suis pas indigne d'en avoir du moins une petite dans le vôtre, et d'obtenir la permission d'être toute ma vie, avec toute l'estime que vous méritez, votre très-humble et très-obéissante servante.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

Le 23 mars 1691.

Je vous envoie ma réponse à votre aimable amie, Monsieur, et je vous prie de lui rendre témoignage que j'ai reçu sa lettre fort tard, afin qu'elle ne m'accuse pas d'un défaut que je n'ai point; car je suis fort exacte à répondre aux personnes que j'estime. Je vous envoie ma lettre ouverte, afin que vous voyiez qu'elle avoit tort de me craindre et que vous lui persuadiez qu'on peut m'aimer sans injustice. M. de Bonnecorse aura été fâché de ne vous trouver pas; car je sais par M. son père qu'il a beaucoup de reconnoissance des obligations qu'il vous a. Je crois qu'il aura reçu une lettre de recommandation de M. le comte Devaux pour son colonel, qui ne lui sera pas inutile, car il est son parent et son ami.

La plupart de nos jeunes princes partirent avant-hier. M. le duc de Chartres partira cette semaine, mais il ne paroît pas que M. le Dauphin doive aller. Le secours pour l'Irlande est parti de Brest. Il n'y avoit encore à Rome nulle apparence de Pape le 24 du passé, et l'on croit que le conclave traînera. Le duc de Savoie est en un état déplorable; mais son imprudence le rend indigne de compassion. Sa femme et sa maîtresse sont françoises et il passe pour constant que la dernière l'a engagé avec le prince d'Orange, dont on ne sait nulles nouvelles...... M. de Pellisson est à Versailles, à peu près comme à l'ordinaire pour sa santé, et je suis toujours également, Monsieur, votre, etc., etc.

AU MÊME.

Le 27 juillet 1691.

Je vous envoie, Monsieur, une trop longue lettre pour cette généreuse amie. Je vous en demande pardon et j'accourcirai celle que je vous écris autant que je le pourrai. Vous aurez su la surprenante mort de M. de Louvois, que cinq médecins et trois chirurgiens ont dit être empoisonné; et l'on vous aura dit que M. le chancelier de France est aussi chancelier de l'ordre; mais je ne sais si vous savez que le Roi a fait ministres d'État M. le duc de Beauvilliers et M. de Pomponne qui ont tous deux une vertu distinguée. Le dernier est de mes anciens amis, qui a autant de capacité que de vertu.

Après cela, Monsieur, je crois devoir vous dire que j'ai su par M. le cardinal de Forbin, que nous avons un pape dont on a lieu de beaucoup espérer pour la chrétienté [429]. Il est Napolitain, mais il n'a point de neveu; il ne veut point de parents auprès de lui, et a déclaré qu'on ne verra point de Napolitains au palais. Il a le cœur droit et juste et d'une bonté infinie. Il aime à donner l'aumône, et dès qu'il fut élu, il ordonna de changer quatre mille écus romains en jules, pour donner aux pauvres le jour de son couronnement. Voici les emplois qu'il a eus, qui doivent lui avoir donné de l'expérience: Référendaire de l'une et l'autre signatures, vice-légat d'Urbin, inquisiteur à Malte, gouverneur de Viterbe, nonce à Florence, archevêque de la ville [430], nonce en Pologne, nonce à l'Empire, évêque de Lucques, secrétaire des évêques réguliers, maître de chambre de Clément X et d'Innocent XI, cardinal, évêque de Faënse, archevêque de Naples, et souverain pontife le 12 juillet 1691. Il garde les principaux ministres du dernier pape, qui sont de nation françoise. Enfin il paroît qu'on ne pouvoit mieux choisir. Il a 87 ans, mais d'une bonne santé et d'un esprit ferme...... Je suis, Monsieur, avec toute l'estime que vous méritez, votre, etc., etc.

AU MÊME.

Le 29 d'août 1691.

Ne soyez point en inquiétude, Monsieur, de la malice que votre aimable amie vous a faite: elle n'est ni contre son honneur, ni contre le vôtre, et je l'en estime davantage et vous aussi. Ce que je dis vous paroîtra peut-être une énigme, mais c'est à elle à vous l'expliquer. Elle n'a qu'à vous montrer ma lettre, vous l'entendrez à l'heure même. Si je ne m'étois pas trouvée mal, je vous aurois répondu plus tôt. La bizarrerie de la saison a un peu altéré ma santé. Mais j'espère que la joie que j'ai de la honte dont le prince d'Orange se couvre tous les jours, aidera à la rétablir. Quand il partit de Londres, il dit qu'il alloit prendre Dinan, reprendre Mons et gagner une grande bataille. Cependant il n'en a rien fait et toute notre armée se moque de lui, depuis les princes jusqu'aux goujats. La paix de l'Empire avec les Turcs, qu'il avoit promise aux princes ligués, ne s'avance pas, le pape a refusé de l'argent à l'Empereur, et j'espère qu'il accordera bientôt des bulles à la France.

J'ai encore après cela, Monsieur, une chose à vous dire, et vous ne vous y attendez pas, c'est que je vous défie d'honorer plus Mlle Bordey que je l'honore. Ne vous avisez pas de me disputer cette vérité, car vous offenseriez injustement votre, etc., etc.

A MADEMOISELLE BORDEY.

29 août 1691.

Le proverbe qui dit que tous chemins vont à Rome, est fait exprès pour vous, Mademoiselle, car vous allez à la gloire par des routes tout opposées. On vous laisse un trésor en dépôt; vous le révélez généreusement sans vous laisser tenter à nul intérêt. On vous confie un trésor d'esprit en vous confiant un agréable dialogue [431] que la modestie de son auteur veut cacher; vous me le montrez pour son honneur, sans vous arrêter à une injuste exactitude qui priveroit votre ami des louanges qu'il mérite d'avoir su tourner si ingénieusement un entretien qu'il étoit si difficile de rendre agréable. Je vous loue donc, Mademoiselle, et vous remercie tout ensemble de m'avoir fait part de cette jolie aventure dont je n'ai pu faire part à M. Pellisson; car, encore qu'il ait rendu justice à votre mérite, après avoir vu les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, je vous assure, Mademoiselle, qu'il ne peut guère donner de temps à ses amis. Je le vois toutes les fois qu'il vient à Paris, mais il arrive souvent qu'on vient le chercher dans mon cabinet, et que ses visites sont fort interrompues. Cependant tenez pour certain qu'il vous honore autant que vous le méritez, et que je pourrois le récuser, si on me vouloit forcer de l'accepter pour juge, comme vous le désirez. Mais j'aime mieux vous céder, et convenir que j'eusse pu laisser du moins en purgatoire l'âme d'un homme qui hasardoit son salut pour deux mille écus, et qui en laissoit plus de cinquante mille à son fils unique. Je vous cède donc, Mademoiselle, sans nulle peine, mais je vous défie hardiment d'estimer plus M. l'abbé de Saint-Vincent que je l'estime, et je vais le défier, en lui répondant, de vous honorer plus que je fais, et d'être plus votre serviteur que je suis votre très-humble servante, etc., etc.

A M. HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES [432].

Ce 25 d'octobre [1691].

Je vous remercie, Monseigneur, de m'avoir appris que notre ami [433] a eu beaucoup de voix; je ne le savois pas. M. Pavillon est fort honnête homme et par-dessus cela cousin-germain de Mme de Pontchartrain [434]; il est constant qu'il n'y pensoit pas, je le sais de certitude. Si M. de Meaux et M. Dangeau eussent été à l'Académie, je crois que M. de la Loubère l'eût emporté; ce sera pour une autre fois, il se porte assez bien pour voir une autre occasion. Je suis bien aise, Monseigneur, que vous comptiez ma voix pour quelque chose, mais si vous connoissiez bien mon cœur, vous me mettriez du moins au premier rang de vos amies, et peut-être à côté de vos premiers amis, car personne n'est plus que je le suis votre très-humble et très obéissante servante.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

Le 18 décembre 1691.

Je vous envoie, Monsieur, une lettre pour votre aimable amie, où vous mettrez, s'il vous plaît, le nom qu'elle porte aujourd'hui [435], car vous ne me l'avez pas mandé. Je ne doute point que son mariage ne soit heureux, puisque vous l'avez approuvé. Je n'ai pas été si prudente qu'elle, car j'ai préféré trois fois en ma vie la liberté à la richesse, et je ne m'en saurois repentir. Vous ne lui direz pas, s'il vous plaît, Monsieur, ce que je vous écris, car ce qui est bien pour une personne ne l'est pas pour l'autre. Pourvu qu'elle ait la liberté de vous voir souvent, je ne la plaindrai pas de toutes les suites d'un mariage que la sympathie réciproque n'a pas fait.

Vous aurez su que M. de Château-Renaud a amené douze mille Irlandais que le roi d'Angleterre veut aller voir en Bretagne, et il en viendra encore quatre mille. Il y a eu une entreprise sur Nice qui a manqué, l'avis en étant venu de Rome au gouverneur de la place. Les nouvelles d'hier de Montmélian étoient qu'on avoit comblé le fossé et qu'il y avoit quatre mineurs attachés au corps de la place. Le Pape a commencé de donner audience publique au peuple et avoit écouté cent personnes la veille qu'on m'a écrit. On travaille aux affaires de France et l'on en espère bien.

Un fameux missionnaire, curé des Invalides, a été reconnu pour être le plus grand hypocrite qui fut jamais [436]. Il est en fuite et laisse cent mille écus de dettes. On a trouvé dans une de ses cassettes cinq portraits de dames et plus de cent lettres dignes du feu; il n'y a jamais rien eu d'égal. Il étoit confesseur de M. le duc de Beauvilliers qui est la vertu même. Cette histoire a des circonstances qui font détester l'hypocrite et l'hypocrisie. Je crois, Monsieur, qu'il est permis de se réjouir de ne ressembler en rien à ces gens-là, et que, sans vaine gloire, on en peut remercier Dieu. Cela doit même faire estimer davantage les amis véritables qu'on a. Vous pouvez juger, Monsieur, que je vous mets de ce nombre, aussi bien que M. de Pellisson, et que je me fais un nouveau plaisir d'être, autant que je le suis, votre, etc., etc.

A MADAME DE CHANDIOT (MADEMOISELLE BORDEY).

Le 18 décembre 1691.

J'ai une si bonne opinion de votre jugement, Madame, que je ne doute pas qu'il ne faille se réjouir avec vous de votre mariage, quoique ce soit, selon moi, la chose du monde la plus difficile à faire bien à propos. Mais si j'avois l'honneur de connoître celui que vous avez choisi pour époux, je me réjouirois hardiment avec lui, car je le trouve le plus heureux du monde d'avoir une femme de votre mérite. Je vous souhaite, Madame, tout le bonheur dont vous êtes digne, et je souhaite en même temps qu'en changeant de condition, vous n'ayez pas changé de sentiments pour moi, qui suis toujours plus que je ne puis l'exprimer,

Votre, etc., etc.

A M. HUET, ÉVÊQUE D'AVRANCHES [437].

[Fin de 1691.]

Je vous dois, Monseigneur, non-seulement des remercîments et des louanges, mais de l'admiration pour avoir si bien su éclaircir ce que la géographie ancienne a de plus obscur et de plus embrouillé. Comme j'ai autrefois assez voyagé sur les bords de l'Euphrate [438] et que depuis peu j'ai fait un petit voyage à Suze, et que les auteurs qui en ont parlé sont de ma connoissance, j'ai pris beaucoup de plaisir à vous voir concilier des opinions si différentes, et tirer la vérité, ou du moins la vraisemblance, de tant de sentiments contraires. Je vous loue donc et vous admire, Monseigneur, et je suis avec beaucoup de sincérité,

Votre, etc.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

11 janvier 1692.

Comme ce n'est pas ma coutume, Monsieur, de me laisser surpasser en témoignages d'amitié, je vous rends confidence pour confidence, en vous apprenant que la dernière page de votre dernière lettre a pensé donner de la jalousie à M. de Pellisson, et qu'elle lui a paru si bien écrite que, si la modestie naturelle l'avoit pu souffrir, il l'auroit fait imprimer. Il en a parlé à M. l'abbé de Ferrières [439] avec tant d'éloges que je la lui montrerai la première fois qu'il me verra. Tout ce que je vous dis, Monsieur, est vrai au pied de la lettre, et je vous assure, avec la sincérité dont je fais profession, que personne en France ne peut mieux écrire. Cet endroit de votre lettre a un caractère de politesse aussi digne d'un honnête homme de la cour que d'un excellent académicien.

Après cela, Monsieur, j'ai à me réjouir avec vous de ce que vous avez des bulles qui sont l'objet des désirs de tant d'évêques, et je suis bien aise de savoir qu'un cardinal, qui est un de mes plus anciens et intimes amis [440], ne vous a pas été inutile. Mais il est à souhaiter que le Pape finisse bientôt les affaires de France. Les effroyables désordres que les troupes allemandes font dans le Modenais, le Parmesan et le Plaisantin y peuvent contribuer, et la prise de Montmélian donne beaucoup de force aux négociations de M. de Rebenac. La consternation a été grande à Turin en voyant le gouverneur de cette place n'y ramener que cinquante Piémontais; tous les Savoyards étant retournés chez eux, ou ayant pris parti dans nos troupes. M. de Chamlay est allé visiter la place afin de résoudre si on la rasera ou si on la fera rétablir pour la garder: il faut cinq cent mille francs pour la réparer. Il court bruit de quelque dessein en Flandre, soit pour Charleroi ou pour Namur; mais ce n'est encore qu'un bruit. Comme vous me marquez, Monsieur, que Mme de Chandiot n'a pas autant de loisirs qu'autrefois, je ne réponds pas à sa réponse, et je me contente de vous prier de l'assurer que je lui souhaite un grand nombre d'années heureuses, et pour vous, Monsieur, en vous désirant tout le bonheur dont vous êtes digne, c'est vous désirer des biens infinis. Mais permettez-moi en même temps de désirer que vous me conserviez toute votre amitié et que vous soyez persuadé que je suis très-sincèrement votre, etc.

P. S. J'apprends qu'hier le mariage de Mlle de Blois [441] et de M. le duc de Chartres fut arrêté. Le Roi donne deux millions d'argent, cinquante mille écus de pension, le Palais-Royal en propre et cent mille écus de pierreries. J'apprends encore qu'il est arrivé dix-huit vaisseaux anglois chargés d'Irlandais et qu'il en viendra encore dix, et qu'en dernier lieu on a rompu la grande écluse entre Charleroi et Namur, ce qui incommodera beaucoup la navigation des ennemis.

AU MÊME.

Le 5 avril 1692.

Quand on écrit, Monsieur, comme vous écrivez, on ne doit pas craindre ni d'être oublié, ni d'importuner; aussi ai-je lu cet endroit de votre lettre comme une excuse modeste d'avoir été si longtemps sans me donner de vos nouvelles, et je la reçus agréablement sans la prendre dans le sens que vous voulez lui donner. M. de Pellisson vous pourroit témoigner que je lui parle de vous très-souvent. Je voulois même vous envoyer un exemplaire de la seconde édition de son dernier ouvrage, où vous verrez des additions fort curieuses; mais il a voulu que vous l'eussiez de sa main qui vaut mieux que la mienne. J'ai été fort aise d'apprendre que M. le baron de Bressey [442] et M. le chevalier de Vaudrey sont de votre pays et de votre connoissance; car je connois leur mérite par la renommée, et j'ai un ami particulier qui a contribué à attacher le premier au service du Roi. Car ayant été pris auprès de Namur par un parti de Dinan, il fut envoyé au fort de l'Escarpe proche Douai, dont M. de Valcroissant, gentilhomme de Provence qui a été gouverneur de M. de Barbezieux, est gouverneur, et fort de mes amis depuis longues années. Vous savez sans doute que le Roi l'a fait maréchal de camp, avec deux mille écus de pension, et qu'il lui donne de quoi lever un régiment à titre étranger. Le Roi l'a parfaitement bien traité: je le sais par M. de Valcroissant qui l'a bien servi. Le Roi lui fera rendre Mme sa femme qui est à Namur; car il y a plusieurs officiers espagnols prisonniers. Pour M. le chevalier de Vaudrey, son action d'éclat a été d'un héros de roman. Aussi ai-je ouï dire que Madame Royale de Savoye la douairière en avoit eu le cœur fort touché. Je suis ravie que vous ayez un ami si brave. Je ne savois pas la devise de sa maison, qu'il mérite bien [443]. La semaine sainte fait une grande stérilité de nouvelles, Monsieur; je ne puis louer le mari de votre aimable amie de l'avoir dérobée au monde, mais je la loue de sa sage conduite, et je me persuade qu'on vous l'a moins dérobée qu'au public, et que vous pourrez l'assurer de mon service très-humble. Pour vous, Monsieur, je n'ai qu'à vous assurer que mon estime et mon amitié dureront autant que la vie de votre, etc., etc.

AU MÊME.

30 avril 1692.

Je vous dois, Monsieur, non-seulement une réponse, mais mille remerciements d'une visite que M. le Président Boisot [444] m'a faite; car si vous ne lui aviez pas dit du bien de moi, je ne l'aurois pas reçue. Je souhaite qu'il ne s'en soit pas repenti. Je vous dois encore un compliment très-honnête de Mme de Chandiot dans un billet qu'elle a écrit à M. de Pellisson, qui est d'un tour si délicat qu'il n'y a personne qui ne voulût l'avoir écrit. Je vous prie, Monsieur, de la louer et de la remercier de ma part. Comme je ne doute pas que Monsieur votre frère ne vous mande toutes les nouvelles du monde, je ne vous parlerai de la belle entreprise d'Angleterre que parce que je ne m'en saurois empêcher; rien n'étant plus glorieux pour Louis le Grand que d'envoyer une armée de trente mille hommes pour rétablir le roi d'Angleterre, dans le même temps qu'il a tant de princes ligués contre lui. Cependant j'avance hardiment qu'il n'y a que les vents contraires qui puissent empêcher le succès de cette héroïque entreprise.

Comme j'ai des amis et des parents tout le long des côtes de Normandie, je sais tout ce qui s'y passe. Le roi d'Angleterre arriva à Caen le 24 de ce mois, à quatre heures après-midi. Il y trouva mylord Danchot (sic), le colonel Canon et les principaux officiers écossois qui avoient débarqué au Havre. Ils se saluèrent avec tant de marques de tendresse que ce prince en eut les larmes aux yeux. Ils furent très-contents de lui. Ce prince partit le lendemain, à cinq heures du matin, pour aller à son armée, composée de vingt mille hommes de bonnes troupes, sans compter les dix mille qui doivent s'embarquer au Havre, où M. de Choiseul étoit déjà arrivé, et où le marquis de Nesmond, frère d'un de mes amis, avoit ordre de se rendre. M. de Tourville doit mettre à la voile le 27 pour aller à la Hogue, où le roi d'Angleterre doit s'embarquer, et l'on m'écrit du Havre que dans peu on verra passer huit à neuf cents voiles qui iront fondre en Angleterre. J'ai vu des lettres de la Haye. L'usurpateur étoit à Loo, brouillé avec M. de Bavière et fort embarrassé. On dit toujours que le Roi partira le 12 de mai; mais je ne puis croire que son voyage soit long.

Le bibliothécaire du Vatican est mort: c'étoit un grand ennemi de la France. L'entreprise d'Angleterre va faire un grand bruit dans ce pays-là. Le prince de Danemarck y est, et viendra en France ensuite. Comme vous aimez les belles choses, je vous envoie de beaux vers d'un de mes amis de Bordeaux; en voici le sujet: Il m'envoya le jour de l'équinoxe, que le soleil commence de remonter, une pierre gravée et très-antique. On voit tous les signes du zodiaque à l'entour et le soleil dans son char au milieu. Et comme on parle en même temps du voyage du Roi et que le soleil est sa devise, M. Bétoulaud applique heureusement le voyage du Roi autour du soleil. La pierre est en jaspe oriental et les habiles médaillistes disent que c'est un talisman. J'ai cru que vous seriez bien aise de voir ce petit ouvrage [445] et que vous pardonneriez à l'auteur les trop grandes louanges qu'il donne à votre, etc., etc.

AU MÊME.

10 mai 1692.

Je vous prie, Monsieur, de me pardonner la liberté que je prends de vous envoyer une réponse que je dois à Mme de Chandiot, que je serai bien aise que vous lui rendiez en main propre. Après cela, Monsieur, je vous dirai que le Roi part aujourd'hui avec toute sa royale famille pour aller coucher à Chantilly où il séjournera demain, et lundi il ira à Compiègne, mardi à Noyon et mercredi à Château-Cambresis.... On m'écrit du camp du roi d'Angleterre qu'il y arrive tous les jours des Anglois qui assurent qu'on l'y attend avec impatience, et que la plupart des grands seigneurs sont à leur tête qui se déclareront pour lui dès qu'il paroîtra. Il arrive aussi à son camp des Écossois et des Irlandais; mais le temps est cause que la flotte de Brest n'est pas encore à la Hogue. Celle de Saint-Malo, composée de trois cents voiles, a passé au Havre où quatre mille chevaux s'embarquent. Il ne faut que douze heures pour passer de la Hogue aux ports d'Angleterre. Une chose qui fait beaucoup raisonner, c'est qu'on a défendu à tous nos armateurs d'attaquer ni de prendre nuls vaisseaux marchands anglois; cela est positivement vrai. Le prince d'Orange paroît, dit-on, en grande indolence à Loo.

Tout va bien à Constantinople; j'en eus hier des nouvelles; et tout va bien à Rome. Il devoit y avoir consistoire le lundi d'après le jour qu'on m'écrivoit, et le Pape avoit fait la veille une action de grande vigueur dont on le louoit fort. Le prince Tassi (Taxis), qui a l'intendance des postes d'Espagne, de Naples et de Milan, et qui, en cette qualité, a les armes d'Espagne sur sa porte, ayant eu quelque démêlé avec le secrétaire de l'ambassadeur de Venise, commanda à son cocher de faire verser le carrosse de ce secrétaire au milieu du Cours. Mais le cocher maladroit en versant le secrétaire versa aussi son maître [446], qui en fut si irrité, qu'il battit et maltraita un laquais de l'ambassadeur de Venise, qui suivoit le secrétaire, et parla même insolemment de l'ambassadeur et de la République. Le lendemain, craignant quelque insulte de cet ambassadeur, il fut faire cortége à la cavalcade des cardinaux, et fut aussi au Cours, son fils avec lui et plusieurs braves, avec des armes cachées dans son carrosse. Il en avoit même trente bien armés chez lui; de sorte que le Pape apprenant cela, envoya deux cents sbires avec une compagnie du château Saint-Ange, qui prirent le prince Tassi, son fils et ses trente braves qui firent pourtant une décharge, et les menèrent en prison. L'ambassadeur d'Espagne a filé doux et ne s'en est pas mêlé. J'ai cru que vous seriez bien aise de savoir cela.

Je suis, Monsieur, très-sincèrement votre, etc., etc.

AU MÊME.

31 mai 1692.

Il y a si longtemps que je vous dois une réponse, Monsieur, que peut-être avez-vous oublié que je vous la dois. Mais je ne laisse pas de vous en demander pardon, quoique je n'aie nul tort; car des embarras imprévus ne m'ont pas laissé le temps de respirer. Et puis, Monsieur, votre dernière lettre étoit si excessivement modeste qu'il eût fallu vous en gronder. J'en ai fait convenir M. de Pellisson qui vous fait bien des compliments. Sa santé est toujours assez incertaine et la bizarrerie de la saison y contribue pour beaucoup. Car je n'ai jamais vu un tel printemps.

Cependant les armes du Roi sont en état de le faire vaincre de toutes parts. Nos trente-cinq galères aux côtes d'Italie ont vu prendre Oneille, l'épée à la main, aux troupes qu'elles avoient descendues en ce lieu-là; et le Roi avec ses formidables armées fait trembler toute la Flandre, et trembler un usurpateur si intrépide qu'il n'a jamais craint Dieu. La Gazette vous dira sans doute que Namur fut investi le 24, par M. de Boufflers, entre Sambre et Meuse; mais je ne sais si elle vous dira assez bien que le Roi ayant décampé, conduisit son armée sur quatre colonnes, Sa Majesté se tenant à la plus proche des ennemis. Il la conduisit avec toute la capacité d'un général consommé en l'art militaire. Il fut, suivi de Vauban, reconnoître la place, marquer le camp, les attaques et les batteries et donner ordre à toute chose, jusques à régler les fronts de l'armée. Celle de M. de Luxembourg couvre le siége à une lieue et demie de là. Les ennemis ont tiré trois mille chevaux de la place, dont ils se repentent. Le prince d'Orange est vers Bruxelles qui assemble des troupes; on dit qu'il n'a pas encore trente-six mille hommes. Il est sorti trente dames de Namur que le Roi a fait arrêter. On ne sait pas encore ce qu'il veut en faire. Vauban assure que le siége ne sera pas long. La ville est commandée par deux montagnes d'où on la mettra en cendres. Le 21, M. le duc, M. de Villeroy et M. de Bressey arrivèrent devant Namur. Je reçois dans ce moment des lettres de la Hogue qui m'assurent que M. de Tourville a dû y arriver jeudi 29 de ce mois, avec les escadres de M. de Château-Renaud et de M. de Villette qui l'ont joint. On m'interrompt pour me donner une lettre du Havre du 29, qui porte que depuis dix heures et demie on entendoit des décharges continuelles de canon: ce qui fait croire qu'il y a un combat entre les deux flottes, et que les chaloupes qui étoient venues disoient que ce combat se faisoit à treize lieues de là au nord-ouest. J'en aurai apparemment demain des nouvelles, je vous les manderai l'ordinaire prochain. Permettez-moi d'assurer Mme de Chandiot de mon service très humble, Monsieur, et me croyez autant que je le suis

Votre, etc., etc.

P. S. J'apprends que le Roi a envoyé les trente dames dans une abbaye de religieuses et ordonné qu'on les traite magnifiquement et avec beaucoup d'honnêteté. Cela est fort beau au Roi.

AU MÊME.

20 juillet 1692.

Je reçus hier au soir, Monsieur, votre lettre du 15 qui m'a fait beaucoup de plaisir; car j'allois vous écrire pour me plaindre de votre silence, et pour vous envoyer un madrigal qui vous fera voir que j'ai trouvé plus de facilité à railler le prince d'Orange qu'à louer le Roi. Il est vrai que je le loue ailleurs, et qu'ayant écrit à Mme de Maintenon à Dinan et au R. P. de la Chaise devant Namur, ce madrigal n'est qu'un petit enfant perdu qui court le monde. Je souhaite pourtant qu'il ne vous déplaise pas. M. Perrault de l'Académie a fait quatre vers assez plaisants, les voici:

AUX JÉSUITES DE L'ARMÉE.

Commodément, aussi bien qu'en lieu sur,

Vous avez vu le siége de Namur;

C'est un emploi bien digne de louange;

Plus n'en a fait ce grand prince d'Orange.

Enfin, Monsieur, c'est la mode de se moquer de lui, et tout Paris est rempli de chansons de ce caractère-là. Je crois que dans un mois j'aurai deux petits volumes à vous envoyer. Apprenez-moi par quelle voie je pourrai vous les faire tenir. Le Roi est revenu en parfaite santé. Il a donné de fort bonne grâce le gouvernement d'Antibes au neveu du cardinal de Janson dont le père vient de mourir [447]. Il a dit, en le donnant, qu'il le donnoit aux services de l'oncle et du père. J'en écrirai demain à cette Éminence. Au reste, vous vous moquez de moi quand vous me dites que vous me devez une partie des honneurs qu'on vous a rendus à votre voyage; car vous ne les devez qu'à votre mérite. Mais vous me devez un peu d'amitié, parce que je suis sincèrement, avec toute l'estime que vous méritez, votre, etc., etc.

P. S. Excusez une très-mauvaise plume et me permettez d'assurer l'aimable Mme de Chandiot de mon service très-humble.

AU MÊME.

Le 20 septembre 1692.

Je ne sais, Monsieur, ce que vous pensez de mon silence; mais je vous assure que la cause n'en est fâcheuse que pour moi, et que dans le temps que je ne vous ai pas répondu, je me suis souvenue tous les jours que je devois vous répondre, et que je me privois d'un grand plaisir en ne vous donnant pas lieu de me faire l'honneur de m'écrire. Mais un rhume, un procès au Grand Conseil [448] et plusieurs autres embarras m'ont fait résoudre d'attendre que je puisse vous envoyer deux petits volumes d'Entretiens de morale [449] pour faire ma paix avec vous. Mais par malheur il y a tant de fautes d'impression, sans compter les miennes, que je ne sais s'ils seront bien propres à vous apaiser, en cas que vous m'ayez fait l'honneur d'être un peu irrité de mon silence. Quoi qu'il en soit, Monsieur, je vous demande une voie pour vous les envoyer; car j'appris hier par M. de Pellisson que M. le président Boisot est à Besançon en bonne santé, dont je suis fort aise; et vous me ferez le plaisir de l'assurer de mon très-humble service. Nous eûmes avant-hier, ici et à Versailles, un tremblement de terre: je le sentis mais je ne le connus pas d'abord. J'étois assise dans une chaise qui touchoit la porte d'un petit cabinet de la chambre où je couche, qui n'est pas celle que vous avez vue. Je sentis que cette porte ébranloit ma chaise, et ma chaise m'ébranloit moi-même. Mais comme cela dura peu, j'ai cru que c'étoit un chat enfermé dans le cabinet qui en vouloit sortir, et je n'en eus nulle émotion. Mais une heure après dîner, je sus que dans tout mon quartier il n'y avoit pas de maison où il ne se trouvât quelqu'un qui ne s'en fût aperçu. Et il fut si fort à Notre-Dame que tous ceux qui s'y trouvoient en sortirent, croyant que l'église alloit tomber. On sentit aussi le tremblement plus fort sur les ponts qu'ailleurs. M. de Pellisson m'écrivit hier qu'il s'étoit fait sentir si fort à Versailles, au Grand-Commun où il loge, au château, à la Ville et à la paroisse, que le peuple songeoit déjà à quitter les maisons et à gagner la campagne. Le Roi étoit à Marly: on ne savoit pas encore hier si on l'y avoit senti; mais une laitière de Montreuil me dit hier que tous les arbres avoient été ébranlés et que ceux qui descendoient la montagne ne pouvoient s'empêcher de tomber: par bonheur cela fut court. M. de Pellisson n'en sentit rien, car il s'étoit endormi dans une chaise après avoir dîné, et le valet fut le seul qui s'en aperçut. J'ai cru, Monsieur, devoir vous dire cet événement dont tous les rois du monde ne sont pas les maîtres. Je ne vous dis point que tout va bien de toutes parts, ma lettre est déjà trop longue, mais seulement que Mme la baronne de Bressey est ici pour solliciter les affaires de son mari. M. de Valcroissant est venu avec elle. On m'a dit qu'elle est jeune et belle, et peut-être me viendra-t-elle voir. Son mari est à Arras. Permettez-moi d'assurer Mme de Chandiot de mon service très-humble et de la justice que je rends à son mérite, et de vous assurer vous-même, Monsieur, que personne ne vous honore plus que je fais, ni n'est plus véritablement votre, etc., etc.

P. S. J'apprends que le tremblement de terre a été à Marly comme à Versailles, sans y faire aucun mal.

AU MÊME.

11 octobre 1692.

Je vous écris aujourd'hui, Monsieur, par un temps si extraordinaire qu'on ne peut s'empêcher de s'en plaindre. Il fit hier un jour de mois de mars; le soleil étoit fort clair, il geloit un peu à la campagne et le froid étoit modéré. Présentement toutes les maisons sont couvertes de neige et il y en a plus d'un pied de haut dans mon jardin; et il en tombe encore en telle abondance que l'air en est obscurci. Et, avec cela, il fait un grand vent et un froid très-piquant: ce qui n'accommode pas une santé délicate comme est celle de M. de Pellisson, ni une enrhumée comme moi, ni les armées qui sont encore en campagne. Après cela, Monsieur, je vous dirai que je n'ai pas été obligée d'envoyer au collége de Bourgogne; car M. l'abbé Reud [450] est venu lui-même prendre les livres que je vous destinois. Et comme il y avoit déjà assez de monde dans mon cabinet, et que je ne parle pas de loin, je ne pus l'entretenir comme je l'eusse voulu, et je ne le remerciai qu'en le conduisant dans ma chambre. Vous trouverez des fautes d'impression sans nombre qui ne sont pas à l'errata. Ne les confondez pas avec les miennes et excusez les unes et les autres. Souvenez-vous, Monsieur, que je vous ai demandé vos sentiments sincères; je fais la même prière à Mme de Chandiot. Mais pour les avoir tous purs, je les demande de sa main, afin d'avoir deux plaisirs pour un. Assurez-la, s'il vous plaît, de mes très-humbles services et d'une estime très-distinguée. N'allez pas vous figurer que je cherche à me faire louer, au contraire je ne veux que m'instruire.

Je ne vous dis pas de nouvelles, car vous ne pouvez ignorer que les armes du Roi ont été victorieuses en Allemagne comme en Flandre; que le duc de Savoye a abandonné le peu qu'il avoit pris, de peur d'être pris lui-même, et qu'au lieu d'être un conquérant, il n'est qu'un brûleur de maisons. On me dit hier qu'il a la fièvre tierce; cela est extraordinaire après avoir eu la petite vérole. Le prince d'Orange n'est pas sorti de Flandre fort héroïquement: car il partit de nuit sans dire adieu à personne; ses gardes demeurèrent en état jusqu'au lendemain au jour qu'on déclara son départ. On croit qu'il passera en Angleterre, où les esprits sont fort divisés. Le prince régent de Wirtemberg, que M. le maréchal de Duras a pris, est très-bien fait, a beaucoup d'esprit et n'a nul accent ni nul air étranger. Le Roi et la Reine d'Angleterre sont à Fontainebleau où le Roi les a reçus, comme les deux dernières années, avec une magnificence toute royale et une honnêteté héroïque. Vous en connoîtrez une partie dans un des Entretiens. Permettez-moi, Monsieur, de faire mille compliments à M. votre frère et de vous assurer sincèrement que personne ne vous estime et ne vous honore plus que votre servante, sans excepter M. de Pellisson.

AU MÊME.

3 novembre 1692.

Je dois réponse, Monsieur, à deux de vos lettres, mais un grand rhume et beaucoup d'affaires très-différentes m'ont empêchée de me donner l'honneur et le plaisir de vous répondre plus tôt. Il y a une chose dans la première dont j'aurois profité si je l'avois sue lorsque je fis la conversation sur la tyrannie de l'usage; car cela me fait croire que j'ai eu raison de le faire. En effet, Monsieur, peut-on rien voir de plus différent que l'usage singulier de Besançon et celui de tous les autres lieux du monde, et surtout de celui de la cour de Paris? Car vous me dites qu'il faut cacher soigneusement dans votre ville que j'ai l'honneur d'avoir quelque commerce avec Mme de Chandiot: et il m'est arrivé plusieurs fois que des dames que je n'ai jamais vues ont dit que j'étois de leurs amies et que je leur écrivois. Mais du moins me sera-t-il permis de parler de son mérite à M. de Pellisson et de me louer de sa bonté.

Pour votre seconde lettre, Monsieur, je commence d'y répondre par vous remercier de la manière dont vous avez reçu mon présent. Je vous envoye le véritable errata que j'ai fait mieux que celui de l'imprimeur, et vous verrez que les anciens Romains, qu'on a mis au lieu de mettre les Lacédémoniens est une faute d'impression. Cela est su trop généralement pour être une ignorance. Vous me ferez plaisir de me renvoyer cet errata. Pour ce que vous me dites, Monsieur, que les lecteurs aimeroient mieux qu'on leur laissât la liberté de juger, vous me permettrez de vous dire que je n'exécuterois pas le dessein que mes amis m'ont fait prendre, si je suivois vos avis. Car ces entretiens ne sont pas ceux de deux philosophes de la secte de Diogène, ce sont des hommes et des dames du monde qui doivent parler comme on y parle. Et il est constamment vrai que le bel usage veut qu'on relève avec esprit ce qui se dit d'agréable dans une compagnie composée de personnes qui savent l'exacte politesse, et les conversations auroient un air sec et incivil sans cet usage. De sorte, Monsieur, que voulant faire passer la politesse de notre temps au temps qui viendra, j'ai dû faire parler les personnages que j'introduis comme les honnêtes gens parlent. Pour l'endroit de l'amour-propre si caché dans notre cœur, il faut qu'il m'aveugle puisque je ne puis deviner ce que vous y devinez. Et comme cela a passé devant les yeux de M. de Pellisson sans qu'il s'y soit arrêté, et devant ceux de trois ou quatre personnes à qui j'ai montré cet endroit depuis votre objection, et qui n'y ont rien trouvé à dire, j'ai lieu de croire que s'il y a faute, elle doit être petite. Pour ce mot de sentiments dont vous me parlez, peut-être seroit-il mieux qu'il y eût: d'inspirer de semblables sentiments, au lieu de susceptibles. Mais, Monsieur, je serois bien glorieuse, s'il n'y avoit pas d'autres imperfections à mon ouvrage. Il est vrai que ces sentiments sont si heureux dans le monde, que je crois que quelque constellation cache leurs défauts. Je viens de recevoir une lettre de M. l'évêque d'Agen [451], qui est le plus éloquent prélat du royaume, et une de M. l'évêque d'Avranches [452] qui est le plus savant, qui me persuadent ce que je dis. Une jeune demoiselle de quatorze ans a fait des vers au-dessus de son âge, pour les louer; une autre de vingt-quatre ans en a fait de très-jolis. M. le Camus Melson [453] en a fait aussi, et MM. Bétoulaud et Bosquillon, Petit et plusieurs autres en ont fait de très-beaux. Mais au milieu de tout cela, Monsieur, je donne à votre suffrage le prix qu'il mérite et je tiens à grand honneur que les Entretiens ne vous aient pas ennuyé. Ma lettre est déjà si longue que je n'ose y rien ajouter, si ce n'est de vous supplier de me permettre d'assurer M. votre frère de mes très-humbles services et d'être bien persuadé que personne ne vous estime et ne vous honore plus que je fais, ni n'est avec plus de sincérité votre, etc.

A M. HUET, ÉVÊQUE d'AVRANCHES [454].

[1692.]

Je suis ravie, Monseigneur, de vous retrouver dans votre billet tel que je vous trouvai autrefois à Chasse-Midi [455] et dans mon cabinet, et je vous assure aussi qu'à la réserve de mes oreilles qui ne valent rien, vous me trouverez toujours la même. J'ai murmuré en secret que vous ne m'ayez rien dit sur la mort de M. Ménage [456]. Vous aurez pu voir que mes amis vivent dans mon cœur après leur mort par ce que j'ai dit de M. de Montausier [457]. Vous jugez de là, Monseigneur, si je puis oublier les vivants, surtout quand ils ont un mérite aussi distingué que le vôtre; aussi vous puis-je assurer que c'est pour toute ma vie que je suis votre très-humble et très-obéissante servante.

P. S. Je voudrois fort que l'Entretien sur la Reconnoissance ne vous déplût pas, je ne sais si je l'oserai espérer.

A M. L'ABBÉ BOISOT.

21 février 1693.

N'attendez aujourd'hui de moi que des larmes et des plaintes, Monsieur, car la perte que j'ai faite est si grande, et la douleur que j'en ai est si vive, que rien ne la peut ni égaler ni exprimer. On peut dire sans flatterie que le Roi y perd le plus zélé de ses sujets, le siècle un grand ornement, les belles-lettres un grand éclat, tous ses amis une âme héroïque et la religion un grand défenseur. Mais je crois perdre plus que tout cela ensemble; car un ami de quarante années de ce mérite-là, qu'on a connu dans la bonne et dans la mauvaise fortune et trouvé toujours également digne d'admiration dans l'une et dans l'autre, est une perte que nulle autre ne peut égaler. Chacun a eu toute la surprise qui la pouvoit faire sentir d'une manière plus dure; car M. de Pellisson n'avoit pas de fièvre. Il dormoit assez bien, il n'a pas gardé le lit un seul jour. Il fut à la messe le dimanche gras, et le jour de la Vierge il écrivit au cardinal Janson une lettre de consolation sur la mort de sa sœur qui étoit mon amie, et une au gouverneur de Philippeville pour le remercier des bons offices qu'il avoit rendus à un de mes amis. Je vous dis tout cela, Monsieur, pour vous faire connoître qu'il ne croyoit pas mourir. Il m'écrivoit tous les jours l'état de son mal; mais lui, ayant un peu empiré le vendredi au soir, il prit la résolution de se confesser le lendemain au matin, et de recevoir Notre-Seigneur. Il s'endormit tout habillé dans sa chaise, mais ses gens, trouvant son dormir trop long et trop fort, le réveillèrent. Mais, hélas! il avoit perdu la connoissance et mourut quatre heures après sans nulle violence. De sorte, Monsieur, que la maladie fut courte et la mort subite. L'innocence de sa vie et un nombre infini de bonnes œuvres ne mettent pas ceux qui l'ont connu en peine de son salut. Mais un faux dévot et de malins esprits suscités par l'enfer, ont essayé de ternir la conversion la plus parfaite qui ait jamais été, et répandu un grand bruit que ce qui l'avoit empêché de se confesser, c'est qu'il étoit encore huguenot. Ce bruit si faux et si malin m'a donné beaucoup de peine pour défendre cet illustre ami dans la plus noire calomnie qui fût jamais. Grâce à Dieu, le Roi et tous les gens sages ne l'ont pas cru. J'écrivis à Mme de Maintenon, à M. le Chancelier, à M. Le Peletier, à M. de Meaux une lettre de quinze pages. Je vous enverrai, l'ordinaire prochain, une copie de sa réponse. Ce grand évêque, le R. P. de la Chaise, tous les jésuites des trois maisons de Paris, et enfin tous les honnêtes gens lui ont rendu justice, et j'ai trouvé une preuve incontestable pour sa foi sur le mystère de l'Eucharistie, et pour sa dévotion au Saint Sacrement. On a trouvé parmi ses papiers de Versailles un traité qu'il faisoit de ce mystère et qu'il espéroit faire imprimer à Pâques. On l'a porté à M. de Meaux et ses calomniateurs commencent d'être honteux de leur calomnie. On lui a fait un service à Versailles où il est enterré, un à l'abbaye Saint-Germain où il y eut grand monde. L'Académie en fit dire hier un aux Billettes où les plus illustres académiciens se trouvèrent, et l'Académie de Soissons en doit aussi faire dire un. J'aurois cent choses à vous dire, Monsieur, mais les larmes m'aveuglent et la douleur me suffoque. Je remercie Mme de Chandiot de l'équité qu'elle a de me plaindre, et comme ma plus douce consolation est d'aimer ce qu'il a aimé, permettez-moi, Monsieur, d'être toute ma vie, votre, etc., etc.

AU MÊME [458].

28 février 1693.

La vive et juste douleur dont mon cœur est pénétré pour la perte irréparable d'un illustre ami de quarante années, ne m'a pas permis de vous répondre plus tôt, Monsieur, et je vois plus de cinquante lettres auxquelles je n'ai pas répondu. Et ma douleur a tellement altéré ma santé que j'ai eu besoin de tout mon courage pour n'être pas accablée par tant de malheurs à la fois. Car je n'ai pas eu seulement à supporter la plus vive affliction qui fut jamais et la plus juste, il a fallu que j'aie à combattre la plus noire calomnie qui ait jamais été, et je m'y suis opposée avec tant de vigueur que, grâce à Dieu, ce monstre sorti d'enfer est près d'expirer.

Il se rencontre que le curé de Versailles, qui est un missionnaire, étoit irrité de ce que M. de Pellisson alloit tous les jours à la messe à la chapelle du château, ou aux Récollets, comme en étant plus proche; de sorte qu'étant mal disposé, il crut ce que la canaille libertine ou huguenote et envieuse publia, et ce faux bruit se répandit partout. Je vous envoie la copie de la réponse que m'a faite M. de Meaux. Elle est mal écrite, mais je n'ai pas le temps de l'écrire [459]. Vous verrez que le Roi a rendu justice à l'illustre mort. Je le sais par cent endroits, et il n'y a plus que quelque canaille envieuse et hérétique qui ose mal parler de sa foi. Au contraire, on m'écrit des éloges de sa piété. Il alloit faire imprimer à Pâques ce qu'il écrivoit sur l'Eucharistie, que M. Pirot, docteur de Sorbonne, avoit déjà vu et fort approuvé. Enfin, Monsieur, j'ai la consolation de voir le mensonge s'en aller en fumée pour laisser briller la vérité. C'est tout ce que vous dira pour aujourd'hui une affligée que la douleur a fait malade. Je fais ce que je puis pour résister à tous ces maux, car je suis nécessaire à conserver sa mémoire. Aidez-moi, Monsieur, dans ce juste dessein. Remerciez pour moi Mme de Chandiot de la bonté qu'elle a eue de me plaindre, et l'assurez de mon très-humble service. Et me permettez d'espérer, Monsieur, que vous me continuerez l'amitié dont vous m'avez honorée, et vous souvenez pour me l'accorder que j'ai eu le bonheur d'être quarante années la première amie d'un homme si rare, qu'on peut dire que le Roi y perd le plus zélé de ses sujets, le siècle un grand ornement, les belles-lettres un grand éclat, ses amis une âme héroïque et l'Église un grand défenseur. Le temps m'empêchera, Monsieur, de vous en dire davantage, mais rien ne peut m'empêcher d'être toujours, votre, etc., etc.

P. S. Je ne puis relire, je vous en demande pardon.

AU MÊME.

7 mars 1693.

Je ne combats pas votre douleur, Monsieur, et je vous rends la justice que vous me rendez, mais la colère m'a donné du courage et la force de résister à cette juste douleur pour combattre la calomnie qui, grâce à Dieu, est étouffée par la vérité. Je vous envoie la lettre de M. de Meaux que vous me demandez. J'en reçus hier une autre par laquelle il m'assure qu'il n'oublie rien pour honorer la mémoire de notre cher et illustre ami. Mme de Maintenon en a écrit très-avantageusement, M. l'abbé de la Trappe [460] en a fait l'éloge, un de ses amis, le R. P. de la Chaise, en rendit dimanche de grands témoignages chez Monseigneur l'archevêque où il y avoit assemblée, et tout d'une voix la calomnie fut condamnée. A Angers, l'évêque [461] a justifié pleinement l'illustre mort et deux ministres bien convertis l'ont défendu contre le bas peuple hérétique. Le dernier Mercure galant contient un éloge véritable de notre ami. Ceux qui font le Mercure ont cru que je l'avois écrit; mais il est d'un de mes amis appelé M. Bosquillon, à qui j'avois donné un simple mémoire. M. Turgot Saint-Clair a fait deux épitaphes en latin qu'on estime fort. Mais il les montre et ne les donne pas; il en use ainsi de tout ce qui part de son esprit. Il y aura encore d'autres éloges avec un peu de temps; c'est tout ce qu'on peut faire avec un ami qu'on perd. M. de Leibnitz d'Hanovre lui donne mille louanges dans une lettre qu'il a écrite à une religieuse de grand monde, qui est à Maubuisson [462]. Enfin, Monsieur, la médisance se change en éloges et la vérité triomphe du mensonge.

Permettez-moi, Monsieur, de remercier M. le président Boisot et toute votre famille de la justice qu'ils me rendent en me plaignant, et de les assurer de mon service très-humble. Et pour vous, Monsieur, je veux croire que, sachant que j'étois la première amie de l'illustre mort depuis trente-huit ans, cela me tiendra lieu de mérite et que vous voudrez bien que je sois le reste de ma vie, votre, etc., etc.

AU MÊME.

3 avril 1693.

Comme la douleur est du poison pour moi, Monsieur, ma santé n'a pu résister à celle dont mon cœur est pénétré. Et comme mes larmes m'ont attiré une fluxion sur les yeux, je n'ai pas pu vous répondre plus tôt pour vous remercier de m'avoir envoyé ce que vous aviez écrit sur notre incomparable ami, qui se trouve parfaitement beau. Et je vous exhorte, Monsieur, à continuer votre dessein et de trouver lieu de placer cette belle lettre [463], qui fera honneur à l'illustre mort et à vous. Et je ne doute pas non plus que ce que vous écrivez n'en fasse beaucoup au cardinal de Granvelle [464]. Je vous exhorte donc, Monsieur, à exécuter votre dessein comme notre ami vous l'eût conseillé. Sa mémoire, grâce à Dieu, a l'éclat qu'elle mérite, et l'on m'écrit de Bordeaux que quelques huguenots ayant voulu dire quelque chose contre sa mémoire, on s'est moqué d'eux et on les fera taire. Mais ce qui est très-considérable, Monsieur, c'est que mardi dernier M. l'abbé de Fénelon fut reçu à l'Académie pour remplir la place de M. de Pellisson. L'assemblée fut très-nombreuse; Monseigneur l'archevêque s'y trouva. Le R. P. de la Chaise y étoit et plus de cent personnes de mérite, qui admirèrent la harangue que fit M. l'abbé de Fénelon. Car ce fut le plus bel et le plus grand éloge qui ait jamais été fait, et tout son discours fut rempli des louanges du Roi et de celles de l'illustre mort. Et comme il l'avoit vu et entretenu la veille qu'il mourut, il étoit un témoin irréprochable de tout ce qu'il disoit à son avantage. Enfin, Monsieur, il fit un portrait si ressemblant de notre ami et le regretta si vivement, qu'il attendrit tous ceux qui l'entendirent et plusieurs académiciens en pleurèrent. Le directeur de l'académie répondit et loua aussi beaucoup, mais l'abbé charma toute l'assemblée. J'espère que cela sera bientôt imprimé et vous verrez, Monsieur, que le médecin qui a parlé à M. votre intendant [465], est un très-impertinent calomniateur; mais je voudrois bien savoir les sottises que vous m'avez mandé qu'il disoit, car je les détruirois toutes. Il est vrai que M. de Pellisson ne croyoit jamais tout à fait les médecins qui le voyoient, et qu'ils en murmuroient. Mais enfin la vérité a triomphé du mensonge, et je ne doute pas que vous n'en soyez bien aise. Un neveu de notre incomparable ami, qui est bien connu et qui est capitaine dans le régiment de Guiche, a été présenté au Roi par M. le duc de Noailles, et il en a été reçu agréablement. Voilà, Monsieur, tout ce qu'une toux cruelle me permet de vous dire, et que je suis avec toute l'estime que vous méritez, votre, etc., etc.

AU MÊME.

22 mai 1693.

Je dois réponse à deux de vos lettres, Monsieur, qui m'ont été très-agréables, car je suis ravie que mes soins ne vous déplaisent pas.... Dès que mes premières larmes furent essuyées j'écrivis à Castres, à un ancien ami de M. de Pellisson, pour le prier de m'apprendre ce qu'il savoit de l'enfance et de l'éducation de l'illustre mort, et vous en avez vu quelques petites circonstances agréables dans l'Éloge; car pour la suite de sa vie, je la sais par moi-même, et une amitié de trente-neuf années aussi intime que la nôtre ne m'en a rien laissé ignorer. Le malheur veut que les endroits les plus héroïques ne se peuvent écrire; mais il y en a sans doute assez pour faire connoître que c'étoit un homme d'un mérite extraordinaire, soit pour la vaste étendue de son esprit, aussi agréable que solide, ou par sa rare vertu et sa sincère piété. On n'a pas parlé de l'éloge de la feue Reine-mère, Monsieur, parce qu'il est court, et qu'il y a plusieurs autres choses très-ingénieuses dont les lecteurs seront bien aises d'être surpris. Cet éloge fut fait pour être gravé sur une manière de petite plaque d'argent, derrière le portrait de cette Reine, dont la bordure est d'or, enrichie de deux mille écus de pierreries, et je fus choisie par M. de Remirecour, dont j'avois donné la connoissance à M. de Pellisson, pour faire les vers qui sont gravés sur l'or au-dessous de la figure de cette princesse. Je vous les enverrai une autre fois [466]. Je crois que vous n'avez pas vu l'Eurymédon, dont je suis la cause de plusieurs manières [467]. C'est une chose étonnante, quand on sait en quelle affreuse prison il a été fait. Si je vous parlois, je redoublerois votre admiration pour notre ami, et vous me sauriez gré de lui avoir donné lieu, par mon courage et par mon industrie, de faire en ce lieu-là toutes les héroïques et agréables choses qu'il y a faites durant quatre ans. Au reste, Monsieur, j'ai à vous dire que ce que M. de Pellisson a laissé du Traité de l'Eucharistie n'a nul besoin d'être retouché par personne. Il n'y faut pas changer un mot, ni en discuter une syllabe. Nous ne savons pas s'il vouloit aller plus loin, mais ce qui est fait est parfait, et ses calomniateurs seront confondus. Je conseillerai qu'on garde soigneusement le manuscrit, car il y a partout des apostilles et des corrections de la main de l'auteur entre les lignes. Au reste on vient de me dire que Roze [468] en Catalogne [est assiégé], Heidelberg en Allemagne, et que le Roi va en Flandre. Monsieur partira bientôt pour la Bretagne. On meuble le château de Vitry, qui est à six lieues de Laval. On ne craint pas le prince d'Orange le long de nos côtes, mais on craint avec raison que les pluies ne gâtent les blés et n'incommodent beaucoup les troupes. Mais il pleuvra sur les ennemis du Roi comme sur ses armées. Excusez toutes les ratures de cette lettre; ma plume ne vaut rien et mon esprit, en parlant de M. de Pellisson, n'est pas libre. M. Bosquillon à qui j'ai fait voir votre lettre, en est charmé et m'a dit qu'il voudroit écrire aussi bien que vous pour vous louer dignement. Pour moi, Monsieur, qui ne fais point de souhaits impossibles, je me contente de vous assurer avec une simplicité sincère que personne ne vous honore plus que votre, etc.

AU MÊME.

7 juin 1693.

Vous m'avez écrit une si belle lettre, Monsieur, que je n'ai pas pu m'empêcher de la montrer à deux ou trois de mes amis, et entre autres à M. Bosquillon, qui l'a admirée. Mais je ne l'ai montrée qu'après avoir prié ceux à qui je la faisois voir de vous pardonner ce que vous dites de trop à mon avantage. Je ne rejette pourtant que les louanges de mon esprit, et j'accepte hardiment celles qu'on donne à mon cœur et à mon amitié, parce que je suis persuadée qu'il est du devoir d'une personne raisonnable d'avoir le cœur comme je l'ai, et d'aimer ses amis comme j'aime les miens. Car, selon moi, quiconque n'est pas ainsi mérite d'être blâmé. Je vous remercie donc, Monsieur, de la justice que vous me rendez sur certains articles, seulement regardant vos louanges comme un pur effet de votre honnêteté et de votre politesse. Si vous étiez à Paris je vous montrerois le poëme d'Eurymédon......... Comme je suis la seule qui ai toutes les poésies de cet illustre mort et que j'y ai plus d'une sorte de droits, particulièrement à celles qu'il a faites dans la Bastille, parce qu'il n'eût pu les faire sans mon secours, je les garde soigneusement jusqu'à ce qu'on les mette au jour. Voici les quatre premiers vers d'Eurymédon qui me sont adressés:

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