Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies
LE CHEVALIER DE MÉRÉ A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [607].
Sans date.
Il y a peu d'honnêtes gens qui ne vous admirent, Mademoiselle, et ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis charmé de tout ce qui vient de vous, et que vous êtes bien dans mon esprit. Mais si je vous ose dire ce qui se passe dans mon cœur, le billet que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire vous y a mise bien avant. On ne devroit souhaiter d'être agréable que pour plaire aux personnes comme vous qui jugent sainement de tout. Et si je m'allois imaginer qu'il y en eût beaucoup dans le monde que je pusse voir quelquefois, j'aurois bien de la peine à me tenir dans la retraite, où mes jours s'écoulent tranquillement. J'ai donné de la jalousie à un de vos amis et des miens, en lui montrant votre billet, et l'assurant aussi que jamais ni lui ni Voiture n'ont rien fait de ce prix-là. Je ne sais si vous ne serez point surprise que je me sois vanté d'une faveur qui me devoit rendre assez heureux en moi-même sans la dire à personne. Mais, Mademoiselle, si vous vouliez qu'elle fût secrète, il ne falloit pas m'écrire des choses qui vous donnent tant de gloire, et qui me sont si avantageuses.
L'ABBÉ DE FURETIÈRE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [608].
Sans date.
Je suis trop honoré de la devise que vous avez faite pour moi [609], et je n'ai garde de manquer de vous en remercier: je ne vous remercie pas pourtant de l'avoir faite si belle; vous n'en faites point d'autres, et rien ne part de votre esprit qui ne lui ressemble. Certainement, Mademoiselle, les devises qui sont difficiles ne le sont pas pour vous. Ce petit ouvrage, que M. de Gombauld appeloit un grand travail, ne vous est véritablement qu'un jeu; et vous trouvez sans peine ce que les autres cherchent bien souvent sans le pouvoir trouver. Je voudrois bien vous rendre la pareille, et faire une belle devise pour Mlle de Scudéry. J'y ai songé, j'y songerai encore; mais je crains bien d'avoir la destinée de ce bonhomme.... dont je vous ai parlé quelquefois. Vous devriez, Mademoiselle, oublier un moment d'être vous-même, et faire votre devise; j'entends une devise de louange, et non pas de modestie; une devise qui marque l'admiration où nous sommes d'un mérite aussi extraordinaire que le vôtre. Mais, je le vois bien, vous voulez vous en tenir à cette devise cruelle [610], qui est une prescription [611] de l'Amour, et qui nous fait entendre qu'il faut se borner, quand on vous voit, aux sentiments qu'on a pour Mlle N.... Quel moyen, Mademoiselle, que vous soyez précisément obéie, et qu'on ne vous aime pas plus que vous ne vous aimez vous-même? Le P. B*** et moi ne vous parlons jamais de ce que vous ne voulez jamais entendre. Nous disons même dans le monde que nous avons en vous une illustre amie: mais, dans le fond de l'âme, nous sommes vos très-humbles et très-obéissants amans. Après cela, je l'adopterois, cette devise cruelle, et me ferois honneur de l'avoir faite; j'en serois par tout estimé; mais que m'en reviendroit-il? Rien, Mademoiselle, sinon d'avoir flatté votre humeur fière et dédaigneuse, et de n'en être pas mieux pour cela dans un cœur aussi aimable et aussi impénétrable que le vôtre.
M. DE PERTUIS, GOUVERNEUR DE COURTRAY, A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY, SA BONNE AMIE [612].
Sans date.
Vous ne connoissez pas la vie de l'armée; elle a ses charmes, et quand on l'a goûtée, on ne sauroit s'en passer. Nous avons peut-être plus de peine que vous; mais nous avons aussi plus de plaisir. Pour ce qui est des périls dont vous me parlez, je ne vous répondrai pas comme le fit le baron de *** à Gassion, qui l'exhortoit à la bravoure: Je rirai bien si tu meurs devant moi. Je vous dirai seulement, que si l'on étoit immortel dans vos îles enchantées, j'irois volontiers participer à votre immortalité; mais puisque ce bienheureux séjour n'a pas un si beau privilége, je ne risque rien ici qu'il ne faille perdre ailleurs; et j'aime autant être tué par un carabin de Nuremberg, que par un médecin de Montpellier. Je suis,
Mademoiselle,
Votre très-humble, etc.,
PERTUIS.
LE LABOUREUR A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [613].
Ce samedi matin.
Le beau temps est venu, et les cerises s'en vont: j'ai peur, Mademoiselle, que si vous ne faites bientôt ici une promenade, vous n'y en trouviez plus. Je ne vois qu'une chose qui la doive retarder, qui est que la santé du R. P. Bouhours ne lui pût pas permettre encore de sortir, ou que vous voulussiez que M. de Pellisson fût de la partie. En ce cas-là, nous attendrons tant qu'il vous plaira; nous laisserons passer les cerises, et nous vous donnerons des prunes et des pêches qui les vaudront bien. Au reste, Mademoiselle, je n'entends pas que le R. P. Bouhours et Mme sa sœur tiennent la place d'aucune autre personne. J'attends toujours M. Nublé et M. Ménage. J'en dirois autant de M. de Pellisson, et ce seroit de bon cœur, mais c'est une étrange chose que la Cour. J'appréhende que quand le Roi seroit ici, il ne pût s'en séparer pour vous faire compagnie. Je m'en rapporte à vous: ordonnez-en comme il vous plaira; mais faites votre compte que je vous attends, et surtout, Mademoiselle, quand vous voudrez venir, faites-moi la grâce de nous avertir deux ou trois jours auparavant.
Je suis votre très-humble et très-obéissant serviteur,
LE LABOUREUR.
LE P. RAPIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [614].
D'Arras, 10 mai.
On m'a tant fait d'honneur ici en votre considération, Mademoiselle, que je ne puis en partir sans vous en faire mes remercîments. Il ne se peut rien ajouter à la manière dont M. de Montplaisir [615] m'a reçu. J'ai bien reconnu par là le pouvoir que vous avez sur lui, et que c'est vous qui êtes le lieutenant de Roi ici. Il m'a régalé chez lui; il m'a offert son carrosse pour aller à Douay, a pris la peine de me venir visiter chez nous: du reste, il n'a rien oublié pour me faire comprendre combien il vous honore et vous estime. Aidez-moi, Mademoiselle, à lui en faire de dignes remercîments. Vous y êtes obligée, puisque c'est en votre considération qu'il a fait tout cela, et pour m'obliger extrêmement. Faites de sorte que j'aie un peu de part de ses bonnes grâces: car on a fort envie d'être de ses amis dès qu'on a le bonheur de le connoître: je vous laisse faire cela. En partant, je laisse le pauvre M. de Verduc en mauvais état pour sa santé; j'en suis inquiété. Je laissai au P. Pallu, ami du P. Bouhours, quinze pistoles pour sa dispense, et deux pour l'habiller un peu honnêtement pour entrer à Cluny. Ayez la bonté de me faire savoir de vos nouvelles, je vous en prie; j'en pourrois recevoir à Bruxelles, si vous preniez la peine d'adresser vos lettres à M. de Gourville dans dix ou douze jours; l'abbé de Chaumont le connoît. On ne peut pas être si longtemps éloigné de vous sans savoir de vos nouvelles. Vous voulez bien que je salue M. de Pellisson pour qui je continue toujours à prier Dieu; car le bon Dieu nous le doit, étant aussi homme de bien qu'il est. N'allez pas vous aviser, s'il vous plaît, Mademoiselle, de nous faire la guerre pendant que je vais être Flamand. Je ne vous demande que deux mois de temps; après, vous ferez ce qu'il vous plaira pour vos prétentions sur le Brabant. Je suis, avec mon respect ordinaire, à vous en N. S.
RAPIN
de la Cie de Jésus.
REGNIER DESMARAIS A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [616]
Ce vendredi à midi.
Votre laquais ne me donna pas l'autre jour le loisir, Mademoiselle, de vous remercier sur le champ des beaux vers que vous m'avez fait la grâce de m'envoyer, et je faisois état de vous en aller remercier dès le lendemain. Mais depuis cela, il m'est survenu des affaires qui m'ont empêché de vous aller rendre mes devoirs comme je souhaitois. En attendant que je le puisse, je ne veux pas différer, Mademoiselle, à vous témoigner combien j'ai été satisfait de votre dernier madrigal. Les dernières choses que vous faites l'emportent toujours sur les premières, mais il n'y a que vous seule qui puissiez l'emporter sur vous-même. Je ne saurois en même temps vous rendre d'assez grands remercîments des marques de bonté et de considération dont vous m'honorez. Croyez, s'il vous plaît, Mademoiselle, que vous n'en sauriez jamais avoir pour personne qui ait plus de respect et plus de vénération pour vous que j'en ai, et qui soit plus absolument votre très-humble et très-obéissant serviteur.
REGNIER DESMARAIS.
LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [617].
Le 12 de novembre.
Puisque les reproches que Mme Duplessis vous a faits m'ont valu la plus agréable et la plus obligeante lettre du monde, je devrois, ce me semble, Mademoiselle, lui laisser le soin de vous faire paroître combien j'en suis touché, pour m'attirer encore de nouvelles grâces; mais, quelque avantage que j'en puisse recevoir par là, je ne puis me priver du plaisir de vous témoigner moi-même ma reconnoissance, et de vous dire la joie que j'ai de croire avoir un peu de part en votre amitié. Je ne parlerois pas si hardiment, si j'avois moins de foi en vos paroles, et c'est par cette confiance seule que je me tiens si assuré de la chose du monde que je souhaite le plus. Je suis ravi de la belle action de M. de Savoie; j'espère que la clémence viendra à la mode, et que nous ne verrons plus de malheureux. J'écrirai à un de nos amis, et je vous supplierai même de lui vouloir faire tenir ma lettre, puisque vous me le permettez.
Faites-moi l'honneur de croire, Mademoiselle, que j'ai plus d'estime et de respect pour vous que personne du monde, et que je suis passionnément votre très-humble et très-obéissant serviteur.
LAROCHEFOUCAULD.
LE MÊME A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [618].
Ce 7 décembre.
Je vous suis sensiblement obligé, Mademoiselle, de votre souvenir et du présent que vous me faites; rien n'est plus beau que ce que vous m'avez envoyé, et rien au monde ne me peut toucher davantage que la continuation de vos bontés. J'en recevrai une marque qui me sera très considérable si vous me faites obtenir quelque part dans l'amitié de M. Renier [619]; personne assurément ne l'estime plus que moi. Je vous dois déjà tant de choses que je pense que vous voudrez bien que je vous doive encore celle-ci.
Je vous demande encore d'être persuadée de mon respect et de ma reconnoissance, et que je suis plus que personne du monde
Votre très-humble et très-obéissant serviteur.
LAROCHEFOUCAULD.
LA COMTESSE DE LAFAYETTE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [620].
Sans date.
Je ne vous puis dire, Mademoiselle, quelle est ma joie quand vous me faites l'honneur de vous souvenir de moi, et quand je reçois des marques de ce souvenir par des choses qui me donnent par elles-mêmes un si véritable plaisir. Vous êtes toujours admirable et inimitable; il ne se peut rien de plus divertissant et de plus utile que ce que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer; vous seule pouvez joindre ces deux choses. Je vous supplie de croire que si ma santé me le permettoit, j'aurois souvent l'honneur de vous rendre mes devoirs.
LA C sse DE LA FAYETTE.
NANTEUIL A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [621]
Mademoiselle,
Votre générosité m'offense, et n'augmente point du tout votre gloire, du moins selon mon opinion. Une personne comme vous, à qui j'ai tant d'obligations, que je considère si extraordinairement, et pour laquelle non-seulement je devrois avoir fait tous les efforts de ma profession, mais avoir témoigné plus de reconnoissance à toutes ses civilités que je n'ai fait, m'envoyer de l'argent et vouloir me payer en princesse un portrait [622] que je lui dois il y a si longtemps, est sans doute pousser trop loin la générosité, et me prendre pour le plus insensible de tous les hommes. Vous me permettrez donc, Mademoiselle, de vous en faire une petite réprimande, et comme vous me permettez encore de chérir tout ce qui vient de vous, je prends volontiers la bourse que vous avez faite, et vous remercie de vos louis, que je ne crois pas être de votre façon! Cependant, si en quelque jour un peu moins nébuleux qu'il n'en fait en ce temps-ci, vous me vouliez donner deux heures de votre temps pour aller achever chez vous l'habit de votre portrait, je serois ravi de me rendre ponctuel à vos ordres. J'aurois la liberté de vous expliquer plus franchement mes sentiments, parce que cela ne m'attacheroit pas si fort que quand je travaille au visage, et après avoir achevé de vous rendre ce petit service, je conviendrois de m'estimer heureux puisque vous auriez une autre vous-même près de vous qui vous persuaderoit éloquemment que je suis,
Mademoiselle,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
NANTEUIL.
GEORGE DE SCUDÉRY A MADAME L'ABBESSE DE CAEN [623].
Paris, 7 avril 1660.
Un homme moins glorieux que je ne le suis, Madame, auroit cherché l'appui de sa sœur auprès de vous, et tâché de tirer ses avantages de l'honneur que vous lui faites de l'aimer, mais je vous avoue que j'aime mieux devoir ma gloire à ma hardiesse qu'à sa faveur, et que si je puis obtenir celle de votre amitié, je veux vous la devoir toute entière. Comme l'obligation en sera plus grande, ma reconnoissance le sera aussi, et comme vous n'appellerez personne au partage de la grâce, personne ne partagera mon ressentiment. Je vous le confesse, Madame, j'ai le cœur plus élevé que ce roi qui, tout Espagnol qu'il étoit, se contentoit d'être appelé le mari de la reine, et si vous ne me regardiez que comme frère de Sapho, vous ne rempliriez pas du tout mon ambition. Personne ne sait mieux que moi ce qu'elle vaut, car je l'ai faite ce qu'elle est; mais, avec tout cela, Madame, je ne lui veux point devoir votre bienveillance, parce que nous changerions de fortune et que je lui devrois plus qu'elle ne me doit. Cependant, comme il faut connoître pour aimer, je vous envoie de quoi me connoître, c'est le portrait d'un héros où j'ai employé tout mon art, et comme vous avez l'âme grande, j'espère que la peinture du plus grand homme de la terre ne vous déplaira pas trop, et qu'après avoir enduré que ma sœur vous peigne, vous souffrirez quelque jour que son frère prenne ses couleurs et ses pinceaux pour vous peindre, afin que vous puissiez juger de la diversité des manières, et connoître en même temps le dessein que j'ai d'être toujours
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
DE SCUDÉRY.
LE MÊME A M. DE SAINTE-MARTHE [624].
Sans date.
Monsieur,
N'ayant pas l'honneur d'être connu de vous, je n'aurois pas aussi la hardiesse de vous faire une prière, si elle ne regardoit votre gloire aussi bien que ma satisfaction; mais ne doutant point que vous ne soyez sensible à cette noble passion des grandes âmes, j'ose vous dire qu'après avoir assemblé les portraits de tous les illustres de notre nation, je croirois n'avoir rien fait si je n'avois celui du grand Scévole, et comme je sais que vous en avez un, je vous supplie, Monsieur, de me le vouloir prêter pour en tirer une copie; je le conserverai avec soin, et vous le renvoyerai dans peu de jours. Je m'assure que vous ne condamnerez pas mon dessein, puisqu'il n'a pour objet que la réputation d'un homme à qui vous devez la vie; et, pour vous montrer que c'est dans votre maison que je cherche les grands personnages, mon laquais a ordre de vous faire voir le portrait de votre grand oncle. Que si mon nom par malheur n'a pas l'honneur d'être connu de vous, notre ami commun, M. Colletet, vous assurera qu'on me peut confier toute chose, et moi je vous assurerai qu'après cette grâce je serai toute ma vie,
Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
DE SCUDÉRY.
MADAME DE LONGUEVILLE A GEORGE DE SCUDÉRY [625].
Moulins, 29 août 1654.
Ça été par vraie honte que j'ai été si longtemps sans faire réponse à votre dernière lettre, car elle étoit si pleine de remercîments que je ne trouvois pas bien fondés, qu'en vérité je ne savois du tout qu'y répondre; car enfin je ne prétends pas que le petit présent que je vous ai fait [626] vous montre toute ma reconnoissance. Je prétends seulement qu'il vous la marque, et qu'en vous faisant souvenir de moi, il vous remette dans la mémoire une personne qui a gravé dans la sienne ce que vous avez fait pour elle, et qui, n'étant pas née tout à fait bassement, ne peut être aussi touchée de votre générosité sans souhaiter qu'une meilleure fortune lui fournisse les occasions de contribuer à rendre la vôtre proportionnée à votre mérite.
ANNE-GENEVIÈVE DE BOURBON.
P. S. J'ai mandé mes sentiments sur Alaric à M. Chapelain; il vous les auroit dit sans doute, s'il ne s'étoit pas imaginé que vous les devinez aisément, et que vous êtes fort persuadé que les gens qui n'ont pas tout à fait méchant goût ne peuvent qu'admirer ce qui part de votre esprit. Je vous prie que Mlle de Scudéry sache par votre moyen que je conserve pour elle toute l'estime qu'elle mérite.
CHOIX
DE
POÉSIES