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Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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LETTRES
ADRESSÉES A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY,
OU QUI LA CONCERNENT.

BALZAC A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [512].

25 juillet 1639.

Mademoiselle,

Si j'eusse pu obtenir un bon moment de ma mauvaise santé, je vous aurois dit, il y a longtemps, que je n'ai ni assez d'humilité pour rejeter les louanges que vous me donnez, ni assez de présomption pour y consentir. De les croire d'une foi historique, ce seroit avoir l'imagination un peu forte; et de s'offenser aussi d'une fable si obligeante, ce seroit être de mauvaise humeur. En ceci, le tempérament que je veux choisir ne vous sera pas désavantageux. Je considérerai vos excellentes paroles comme purement vôtres, et sans que je pense qu'elles m'appartiennent. De cette sorte, elles feront toujours leur effet, et je demeurerai toujours persuadé, mais ce sera, Mademoiselle, des grâces de votre esprit et de l'éloquence qui loue, non pas de celle qui est louée.

Pardonnez à mon humeur défiante, si je ne puis bien croire que vous soyez de l'avis de votre lettre ni que ma Relation à Ménandre soit de la force que vous m'écrivez. Elle vous a touchée, néanmoins, pour ce que vous êtes sensible aux malheurs d'autrui, et que la bonté vous intéresse dans toutes les causes de l'innocence. Par là véritablement je puis mériter votre faveur, et monsieur votre frère me pourroit prendre aussi pour un des sujets qui ont besoin de son assistance. Il sait défendre à ce que je vois, avec autant de valeur qu'il sait attaquer, et ses boucliers ne sont pas moins impénétrables, que ses autres armes sont tranchantes. En effet, l'ouvrage qu'il vous a plû de m'envoyer de sa part [513] me semble avoir cette fatale solidité. Les plus grands ennemis des spectacles et des fêtes de l'esprit ne les sauroient violer à l'avenir sous une telle protection. Par son moyen, la volupté sera remise en sa bonne renommée, et de sa grâce nous nous réjouirons, sans scrupule, en dépit des tristes et des sévères. Je vous en dirois davantage si vous aviez dessein de m'examiner sur votre livre, et si vous vouliez que je vous rendisse compte de mes études, mais ce n'est pas ici le lieu de faire ni de commentaires, ni d'avant-propos. Et d'ailleurs, puisque les belles assemblées, n'étant pas ingrates, retentiront de tous côtés de la gloire de leur défenseur, il y a de l'apparence qu'une voix si foible, et qui vient de si loin que la mienne ne seroit pas remarquée dans le grand bruit que tant d'applaudissements doivent faire. Je me contente donc de vous dire sans aucun ornement de paroles, que je ne manque pas de reconnoissance, après une parfaite obligation, et que le présent que j'ai reçu ne pouvant être plus riche qu'il est, M. de Scudéry a trouvé le moyen de me le rendre plus agréable par l'envoi qu'il a désiré que vous m'en fissiez. Avec sa permission, je vous en remercie de tout mon cœur, et veux être, s'il vous plaît, toute ma vie,

Mademoiselle,
Votre très-humble et très-obligé serviteur,
BALZAC.

P. S. Je viens d'apprendre, par une lettre de M. Chapelain, que M. votre frère m'a fait encore un nouveau présent. Je l'attends avec impatience et vous supplie de lui dire, Mademoiselle, qu'il n'a point un plus passionné serviteur que moi, ni qui fasse plus d'estime de sa vertu. Plût à Dieu qu'il eût l'année prochaine quelque emploi digne de lui dans l'armée que commande M. le Prince! Il viendroit faire ici une station et me donneroit bien huit jours pour l'embrasser et pour l'entretenir à mon aise.

CHAPELAIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [514].

Paris, 4 aoust 1639.

Mademoiselle,

Je fus incivil de vous envoyer la lettre de M. de Balzac que je vous devois porter moi-même. Mais vous jetterez cette faute sur les embarras qui m'en ont déjà fait commettre tant d'autres envers vous, et qui vous ont dû faire étonner plus d'une fois que j'use si mal de la permission que vous m'avez donnée de vous rendre mes devoirs et de vous faire de mauvaises visites. Si vous m'avez pardonné les premières, je veux croire que vous ne me tiendrez pas rigueur pour cette dernière, et que vous vous contenterez du mal que j'ai eu en ne vous voyant pas. J'ai lu la lettre et l'ai trouvée digne de vous et de celui qui l'a écrite, comme je me l'étois bien imaginé devant que vous me l'eussiez communiquée. Avec votre permission, je la garderai tout aujourd'hui pour la faire voir à une couple de mes amis qui seront bien aises de voir que M. de Balzac connoît votre mérite et lui rend une partie de ce qui lui est dû.

Pour ce qui regarde mon portrait, Mademoiselle, M. le marquis de Montausier s'est réjoui lorsqu'il vous a dit qu'il en avoit vu l'ébauche, et vous aurez à lui reprocher qu'en cette rencontre il n'a pas traité assez sérieusement avec vous. C'est une matière sur laquelle je délibère encore, et, à vous dire mon sentiment en liberté, je penche beaucoup plus à supplier M. votre frère de me dispenser de lui faire un présent si peu digne de son cabinet, et de garder cet honneur pour ceux qui le méritent davantage [515]. Je vous en parle sans cette modestie affectée qui ne diffère guères de la vanité, et vous jure que j'appréhende d'être mêlé parmi ces grands hommes qui parent et doivent parer un illustre réduit. Cela ne pourra être sans faire tort à leur gloire qui s'offensera d'une société si inégale, et M. votre frère doit craindre lui-même d'en être blâmé, comme s'étant volontairement trompé par ce choix qui leur est si peu avantageux. J'irai au premier jour chez lui essayer de lui persuader que je ne paroisse pas là où je n'ai pas de place légitime, ou recevoir de lui une nouvelle jussion qui me mette à couvert, et le charge de tout le mal qui en pourroit arriver. Cependant vous le solliciterez, s'il vous plaît, en ma faveur, et le disposerez à ne me pas faire injustice en me fesant plus de grâce que je ne veux. C'est cela que vous demande pour cette heure avec instance, Mademoiselle,

Votre très-obéissant serviteur,
CHAPELAIN.

GODEAU A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [516].

Grasse, 16 août 1641.

Mademoiselle,

Au lieu de vous remercier de l'éloquente lettre que vous m'avez écrite, il faut que je m'en plaigne, et que je vous en fasse une correction. Ne savez-vous pas qu'il en est des écrivains, et surtout des poëtes, de même que des femmes? Si vous leur dites une fois qu'elles sont belles, le diable le leur redit cent, et elles ajoutent plus de créance à ce père du mensonge qu'à la glace la plus fidèle d'un miroir. L'esprit aime toutes ses productions, parce qu'en l'état de péché où nous sommes l'amour propre infecte toutes les puissances de notre âme, et surtout celle qui est la plus divine; mais, comme il a plus de part dans les vers que dans les autres ouvrages de prose, étant, s'il faut ainsi dire, comme créateur de ceux-là, il en est aussi plus jaloux, pour ne pas me servir d'un terme plus rude. Pourquoi donc prenez-vous tant de peine à me faire avaler un poison dont je suis déjà tout plein? Si vous pensez que la civilité vous y oblige, elle est bien cruelle. Si vous croyez ce que vous dites, il faut que je vous détrompe, et que je vous dise que dans le livre dont vous faites tant de cas, il n'y a rien de précieux que la matière [517]. C'est sans doute ce qui vous a fait tomber en erreur, et vous avez fait comme les amans qui trouvent que toutes les peintures de la personne qu'ils aiment sont des chefs-d'œuvre, et ne distinguent pas celles de l'ouvrier de celles de leur passion. Pour moi, je vous jure sincèrement que, parmi tant de pièces, je vois peu de choses qui me satisfassent, et beaucoup qui me déplaisent. Ma paresse naturelle m'a empêché de les corriger, et j'ai cru que cela n'empêcheroit pas la fin que je me suis proposée, qui est de rendre quelque service à Dieu, en détournant les hommes des choses profanes, au moins pour quelque temps. Croyez-moi, il n'y a point de gloire dans la terre dont on doive faire beaucoup de compte; les panégyristes sont vains, les louanges vaines, et ce qui en reste, fumée et vanité. Surtout je ne puis concevoir comment il est possible que, considérant avec un peu d'attention la grandeur des mystères de Dieu, on puisse s'imaginer que l'on en parle, je ne dirai pas dignement, mais médiocrement. Je le prie qu'il me pardonne mes fautes en cette occasion, et qu'il approuve, ou plutôt qu'il purifie mes intentions pour l'avenir. Je vous conseille aussi de vous repentir de vos cajoleries, elles ne m'ont que trop plû; mais ce qui m'oblige davantage c'est l'assurance qu'il vous plaît de me donner que je suis dans vos bonnes grâces. Croyez que je vous honore sincèrement et que je suis,

Mademoiselle, votre, etc., etc.

CHAPELAIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [518].

Paris, 12 avril 1645.

Mademoiselle,

Je suis encore plus coupable devant vous que devant monsieur votre frère, du long temps que j'ai laissé passer sans répondre à l'excellente lettre que vous me fîtes l'honneur de m'écrire quelques jours avant lui. Il est vrai que je le serois bien davantage si vous m'aviez laissé moyen de répondre, et si je n'avois à dire pour excuse qu'on ne peut que mal écrire après une chose si bien écrite que celle-là. Tout de bon, il ne se peut rien de mieux que cette lettre, et l'air dont elle est prise est si galant et si délicat qu'elle a donné de l'ennui aux plumes qui volent le plus haut parmi nous, et du plaisir à des oreilles qui sont blessées de tout ce qui n'est que médiocrement admirable. Je n'ai point réparti à ces merveilles de peur de me faire voir trop au-dessous, et que, par la comparaison d'elles avec ce que je vous eusse écrit, vous ne parussiez les avoir mal employées en me les écrivant. En récompense, Mademoiselle, je leur ai donné le triomphe qu'elles méritoient. Je les ai fait voir non seulement à Mlle Robineau qui y étoit si agréablement grondée et qui ne pouvoit mais du sujet que vous avez pris de m'y quereller si noblement, mais encore à tout l'hôtel de Clermont, à tout l'hôtel de Rambouillet, à Mme de Sablé et à Mlle de Chalais, à M. Conrart, à Mlle de Longueville et à Mme de Longueville même, qui tous leur ont fait justice en leur donnant des éloges qu'on ne donne qu'aux pièces achevées, et les ont ou lues plusieurs fois, ou retenues plusieurs jours, ou copiées avec soin, afin d'en mieux considérer les beautés.

Voilà, Mademoiselle, la seule réponse que je vous y ferai et qui vaudra mieux que si je vous protestois sérieusement que Mlle Robineau n'a point d'avantage sur vous dans mon esprit, et que je ne laisserois pas de vous honorer extrêmement et de me souvenir de votre mérite, quand elle se donneroit moins de soin qu'elle ne fait de m'exhorter à payer vos bontés pour moi, du moins par de mauvaises lettres. J'ai quelquefois le bonheur de la voir, mais ce n'est que quand elle est malheureuse, et que quelque rhume ou quelque autre indisposition l'arrête chez elle. Autrement vous savez que ses amies, ou les sermons, ou les pardons l'en tirent d'ordinaire, et qu'il n'y a rien de si rare que de l'y trouver. Quand je l'y rencontre, vous faites la meilleure partie de notre conversation, mais de manière que la plus grande délicatesse de votre amitié n'en pourroit être que satisfaite, si vous étiez aussi près de nos yeux, que vous l'êtes de notre cœur. Je suis témoin de la continuation de sa tendresse pour vous, et si elle daigne parler de moi dans ses lettres, elle vous aura témoigné que je suis pour vous tout ce que vous sauriez désirer, et qu'il n'y a point d'intérêts qui me soient plus chers que les vôtres. J'ai vu dans celle de Mlle Paulet ce que vous dites de si obligeant pour la rupture de mon voyage de Munster [519], et je l'ai plus senti que je ne vous le saurois dire. Il est certain, et je ne vous dissimulerai pas, que ce voyage choquoit entièrement mon inclination, qu'il troubloit l'ordre de ma vie, qu'il renversoit tous mes desseins et qu'il m'arrachoit à tous mes amis, si je n'eusse travaillé rigoureusement et avec succès pour le rompre. Je l'ai rompu et l'une des principales consolations qui m'en restent, c'est que par cet effort je me suis conservé libre, et que je m'en pourrai bien plus véritablement dire,

Mademoiselle,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

CHAPELAIN.

MADEMOISELLE DE CHALAIS A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [520].

Sablé, 28 juin 1647.

Mademoiselle,

J'ai vu la lettre que vous avez écrite à notre chère et très-aimable Mlle Paulet, sur le sujet qui me regarde. Il m'étoit si nouveau lorsque je partis de Paris, que tout ce que j'eus le temps de faire fut de dire à cette excellente amie ce qu'une personne de condition et de mérite avoit eu la bonté de me proposer pour moi, de son propre mouvement. Je dis de son propre mouvement, car encore qu'elle m'eût fait l'honneur de me dire, il y avoit quelque temps, qu'elle en vouloit parler, je tenois la chose si fort éloignée et de moi et de toute autre comme moi, que je croyois qu'il étoit entièrement impossible d'y pouvoir parvenir. Je le crois encore de la même sorte, et si bien, que quoique les personnes qui me font l'honneur de me souhaiter ce bien-là m'aient voulu empêcher de quitter Paris, je les ai très-humblement suppliées de me le permettre; et enfin je suis venue en Anjou avec aussi peu de crainte que de désir de l'événement de la chose.

Il semble que tout ce que je viens de vous dire soit éloigné de notre embarras et n'en soit pas la cause; vous saurez pourtant, s'il vous plaît, qu'il en fait une partie. Car lorsque M. de la Vergne pria Mme la marquise de Sablé de s'employer pour vous auprès de Mme d'Aiguillon, elle comprit, et moi aussi, sans s'expliquer davantage, que c'étoit pour être auprès de la nièce [521] qui, selon le bruit commun, devoit épouser le neveu de Mme d'Aiguillon. Mme la marquise de Sablé ne comprit autre chose ni moi non plus, en vérité, et j'en demeurai là fort facilement par l'opinion où j'étois et où je suis encore que la conduite de ces trois importantes personnes [522] est destinée à quelqu'une qui n'aura pas sans doute le mérite que vous avez, mais qui aura plus de faveur, plus de bonheur, et quelque nom de Madame qui sera plus propre à l'éclat qu'à bien réussir dans l'éducation de ces personnes-là. Voilà donc ce qui éloigna ma pensée de vous sur ce sujet, et ce qui me l'arrêta à celui que je viens de vous dire. Joint, comme j'ai déjà dit, que M. de la Vergne ne s'expliqua point. Il y a beaucoup de circonstances qui, vous étant déduites, serviroient à me justifier auprès de vous; et je n'en oublierai aucune, tant j'ai le désir de vous faire connoître la vérité de mes intentions, si je n'étois assurée que la bonté et la générosité de Mlle Paulet lui aura fait écrire tout ce qui aura servi à ma justification, comme je l'en avois très-humblement suppliée, après lui avoir fait voir le fond de mon cœur et la vérité toute pure. Votre lettre m'a fait connoître qu'elle est aussi ponctuelle que parfaite amie, et que vous êtes bonne et généreuse, par les sentiments et par la bonne opinion que vous avez prise de mon procédé. Je vous en suis infiniment obligée. S'il se pouvoit ajouter quelque chose à l'estime et à l'extrême affection que j'ai pour vous, je vous puis assurer que cette dernière obligation le feroit; mais je suis à vous, il y a si longtemps, que tout ce que je puis faire est de vous confirmer les vœux de mes très-humbles services, et de vous assurer que je ne perdrai jamais aucune occasion de vous en rendre. Plût à Dieu que cet emploi dont il s'agit fût partagé, et que j'y pusse servir avec vous! Je l'en aimerois infiniment davantage, et si je le pouvois espérer de cette sorte, je commencerois à le désirer. Mais j'en aurois trop de joie, c'est pourquoi je ne puis me le promettre.

J'avois supplié Mlle Paulet de ne laisser pas d'employer ses amis et les vôtres pour le dessein qu'elle a eu et qu'elle doit avoir encore pour vous. Il y a tant de raisons qui sont en votre personne, qui ne sont point en la mienne, qu'il devroit être plus facile de réussir pour vous que pour moi. J'y donnerais ma voix de tout mon cœur, si elle y pouvoit servir, et je vous puis assurer que j'aurais beaucoup plus de joie que ce bonheur-là vous arrivât qu'à moi-même, par quantité de raisons dont l'estime et l'affection que j'ai pour vous sont les principales. Je vous supplie de le croire, et que personne au monde ne saurait être, avec plus de vérité que je suis, votre très-humble et très-affectueuse servante.

MADEMOISELLE DE CHALAIS A MADEMOISELLE PAULET.

Sablé, 28 juin 1647.

Mademoiselle,

J'ai vu, par la réponse que vous a faite Mlle de Scudéry, la bonté avec laquelle vous lui avez écrit pour moi. Cette obligation, avec tant d'autres que je vous ai, touchent mon cœur si sensiblement que je n'ai point de paroles pour vous le pouvoir exprimer, mais seulement pour vous dire que je suis à vous absolument, que je vous estime et vous honore plus que personne du monde ne sauroit faire, et qu'enfin, je m'estimerois heureuse si je pouvois quelque jour vous témoigner, par mes très-humbles services, le désir que j'ai de vous en rendre. En vérité, ce me seroit la plus grande joie que je puisse recevoir. Au reste, Mademoiselle, j'écris à Mlle de Scudéry; je vous supplie d'avoir encore la bonté de lui vouloir confirmer tout ce que je lui dis. Je pense que vous me faites bien cette grâce de me croire et de ne douter en aucune façon de la sincérité de mes intentions. Je vous conjure encore de travailler et d'employer vos amis pour le dessein que vous avez eu pour cette excellente personne, et de croire que j'aurois une extrême joie si vous y pouviez réussir. En vérité, je n'en aurois pas tant pour moi-même. Je lui souhaite ce bonheur-là de toute la force de mon cœur, et je voudrois de la même sorte que cette autre personne qui a tant de bonté pour moi [523] n'eût jamais pensé à cela. J'y renonce très-volontiers, et je porte tous mes désirs pour notre amie; et vous, Mademoiselle, je vous conjure encore une fois d'y employer vos amis et vos soins. Pour moi, je suis dans une solitude [524] où je goûte de telle sorte le repos, que si je n'avois pas une extrême affection pour Mme la marquise de Sablé, et si je ne lui étois pas aussi obligée que je suis, j'aurois grande peine à songer à mon retour. Je m'y porte beaucoup mieux qu'à Paris; jugez quel charme, et s'il y a quelque chose dans la fortune qui vaille le bien de la santé. Je vous renvoie la lettre de Mlle de Scudéry, qui est admirable; je vous en rends mille très-humbles grâces, et vous supplie de croire que personne n'est avec plus de passion que moi,

Mademoiselle,
Votre très-humble et très-obéissante servante.

CHAPELAIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [525].

Paris, 17 juillet 1647.

Mademoiselle,

Il ne falloit pas moins que d'aussi grands reproches que ceux que j'ai lus dans la dernière de vos lettres à Mlle Paulet, pour m'obliger à rendre grâces par les miennes du glorieux combat que vous avez fait pour l'honneur de ma Pucelle [526]. A moins d'être provoqué avec des injures, et accusé d'incivilité et d'ingratitude, je ne me fusse jamais résolu à vous rien écrire sur votre courageux ouvrage, dans la crainte qu'en vous remerciant du bien que vous dites d'elle ou plutôt de moi, il ne semblât que j'en demeurasse d'accord et que je reçusse vos louanges sous couleur de les refuser. Vous savez, mademoiselle, qu'il y a une modestie ambitieuse, qui est pire que la vanité découverte, et vous ne voudriez pas que je fisse jamais rien qui m'en pût faire soupçonner. Cette considération est la vraie cause de mon silence, car, pour ma gratitude, vous ne l'avez pu ignorer, si M. Conrart s'est acquitté de ce qu'il m'avoit promis, ce que je ne puis croire qu'il ait oublié. Mais, Mademoiselle, puisque vous en faites l'ignorante afin de me mortifier, je vous dirai ici que la reconnoissance que j'ai de cette faveur ne sauroit être plus grande ni pour l'intérêt de la Pucelle ni pour le mien, et que j'estime à un point les belles et rares choses que vous avez voulu dire sur notre sujet, que je ne suis plus en peine de sa réputation ni de la mienne, et que quand ce que j'ai essayé de dire de sa vertu et de sa valeur devroit périr devant moi-même, je ne laisserois pas d'espérer de voir sa gloire conservée dans ce que vous avez écrit, et mon nom consacré à l'immortalité, parce que vous l'y avez daigné enchasser.

Du reste, je ne réponds rien sur la passion à laquelle vous imputez si galamment mon silence, et je laisse cela à faire à Mlle Robineau, à laquelle je pourrois également déplaire, en l'avouant ou en la désavouant. C'est une personne trop parfaite pour qu'on en doute qu'elle ne pût faire une conquête beaucoup plus difficile encore, et, d'un autre côté, elle est trop sévère pour ne trouver pas mauvais qu'on se confesse son esclave. C'est à elle à se prononcer là-dessus et à vous apprendre ce que vous en devez croire. De moi, j'avouerai tout ce qu'elle voudra, pourvu que ce ne soit pas que la passion que son mérite me pourroit avoir donnée ne pût compatir avec celle que je dois au vôtre et qui m'a rendu pour la vie, Mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

CHAPELAIN.

P.S.—Ayez agréable, s'il vous plaît, que monsieur votre frère lise ici mes très-humbles baise-mains et les grâces que je lui rends très-humbles de son souvenir et du beau et généreux sonnet dont il m'a jugé digne, dans le petit nombre de ceux qu'il en a voulu gratifier en cette cour.

SARASIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [527].

Du 30 décembre 1650.

N'attendez pas que je vous rende une lettre bien écrite pour celle que vous m'avez envoyée et qui ne le sauroit être mieux. Rien n'est si contraire au bel esprit que la guerre civile, et je vous supplie de croire que MM. Brook et Rukling, avec qui nous sommes tous les jours de conférence, ne sont pas de gens de l'Académie. De plus, vous savez, Mademoiselle, vous qui savez tout ce qui se peut sçavoir des Muses, que ces honnêtes filles chantent bien les combats, mais qu'elles ne suivent pas les armées; que lorsque les dieux et celui même qui leur préside vinrent à la charge devant Troye, elles demeurèrent sur le Parnasse, et qu'enfin elles n'ont eu guères de démêlés que celui des Piérides pour des chansons, ni guères pris de parti qu'entre Apollon et Marsyas pour la lyre contre la flûte. Une personne donc d'aussi peu d'école que je suis ne doit pas, ce me semble, prétendre à rien dire de beau ni s'efforcer inutilement à rendre les choses plus agréables. Ce sera assez qu'elles le soient par elles-mêmes, et vous vous contenterez, s'il vous plaît, que je vous envoye une bonne lettre au lieu d'une belle. De cette sorte, je suis fort assuré que ma réponse vous plaira, et que, pourvu que je vous mande que votre esprit et votre zèle ont touché son Altesse, et qu'elle est infiniment satisfaite de votre passion et de votre respect, vous n'irez pas vous plaindre que je vous l'ai dit grossièrement, et ne souhaiterez pas d'ornement où la simple naïveté a si bonne grâce. Que si le soin de votre héros vous touche autant que le vôtre propre, et que vous vouliez savoir s'il est autant estimé en cette cour qu'il le fut autrefois de toutes celles de l'Asie, j'ai bien encore de quoi vous plaire, et vous devez être contente de ce que jamais aucun des héros de sa sorte n'a mieux été reçu de la divine personne à qui monsieur votre frère l'a dédié. Le peu de temps que l'accablement de ses affaires et la nécessité de ses grandes occupations lui laissent est employé à sa conversation; et depuis huit jours [528] qu'on a apporté ici la cinquième partie de ses aventures, il ne s'en est point passé qu'on n'ait donné audience à Phérénice, à Orsane, ou à l'historien de Belesis [529]. Ces personnes ont toujours été du petit coucher, et tant qu'elles ont eu quelque chose à y dire, on ne les a interrompues que par des acclamations et des louanges. N'est-ce pas là vous dire tout ce que vous sauriez désirer de moi? Car, pour la continuation de mon amitié, dont vous me faites la grâce de témoigner trop de joie, j'espère que son Altesse aura bien la bonté de vous informer un jour si vos intérêts me sont chers et si je sais bien estimer votre mérite. Vous avez sans doute beaucoup de raisons de souhaiter que ce jour arrive bientôt, et vous devez vous intéresser plus que je ne saurois dire à voir cesser la persécution de cette illustre affligée. Si le ciel est juste, il préviendra les souhaits que nous en faisons; et, comme ce seroit impiété d'en douter, il faut croire que ce bonheur est proche et l'attendre avec tranquillité. Car enfin je ne saurois penser que ni cette excellente princesse, ni ce héros, pour qui vous avez une si légitime passion, étant innocents, soient persécutés davantage; en un mot, cela me semble autant impossible qu'à moi de cesser de vous honorer.

Je suis en vérité bien affligé de la mort de Mlle Paulet [530], et si je juge de votre douleur par votre amitié, je suis assuré qu'elle est extrême. Je vous demande de transmettre beaucoup de compliments et de civilités de ma part à mesdames vos hôtesses [531], et si j'étois encore assez bien parmi vos amis, je vous supplierois d'assurer Mme Aragonnais, Mlle Robineau et Mlle Boquet de mes très-humbles services.

CHAPELAIN.

La duchesse de Longueville crut devoir ajouter les lignes suivantes à la lettre de Sarasin:

C'est être bien hardie que d'écrire à une personne dont on a vu une lettre comme celle que vous avez écrite depuis peu; et c'est l'être tout autant que de placer son compliment dans une autre faite comme celle dans laquelle je vous écris. Mais, comme je préfère la réputation d'être reconnoissante à celle de bien écrire, j'abandonne de bon cœur la première, pour n'être pas tout à fait indigne de l'autre, comme je le serois sans doute si je pouvois savoir les constantes bontés de monsieur votre frère et de vous, sans vous témoigner combien j'en suis touchée. Je le suis encore si fort de vos ouvrages, et ils adoucissent si agréablement l'ennui de ma vie présente, que je vous dois quasi d'aussi grands remercîments là-dessus que sur la solide obligation que je vous ai de n'avoir pas changé pour moi avec la fortune, et d'avoir bien voulu soulager les maux qu'elle m'a faits par les biens que donne la continuation d'une amitié comme la vôtre. Celle de vos hôtesses m'est si considérable, que l'assurance que vous me donnez qu'elles en conservent toujours un peu pour moi m'a causé une véritable satisfaction. Je vous conjure de le leur dire de ma part, et qu'elles n'en peuvent avoir pour personne qui les estime et qui les aime plus que je fais.

LA PRINCESSE SIBYLLE DE BRUNSWICK A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [532].

Wolffenbuttel, 8 juillet 1654.

Mademoiselle,

Si je considère ce que je suis, je confesse franchement qu'il n'y a rien en moi qui soit digne de mériter les louanges que vous m'attribuez. Je sais trop mon imperfection, et connois bien que par l'excès de votre courtoisie et bonté ensemble, vous me veuillez par là encourager à imiter les vertus que vous possédez. Je m'efforcerai de suivre pour le moins leurs traces, si je ne les peux acquérir du tout. Que si vous avez parlé à mon avantage à ceux qui ont l'honneur de votre amitié, je vous en serois bien obligée, si ce n'est que je suis honteuse de ce que, par ma mauvaise lettre, j'ai publié mes défauts. Je me console pourtant qu'étant choisis de vous d'être dignes de votre amitié, ils auront assez de générosité pour les excuser. Si ce n'est une vanité de vous renouveler les offres de mon affection, comme une chose inutile à votre service, je vous dirois que je ne changerai jamais la résolution que j'ai prise de vous continuer les devoirs de ma bonne volonté, jusques à ce que par votre faveur je vous en puisse témoigner les effets, puisque je fais gloire d'être plus que personne du monde,

Mademoiselle,
Votre très-affectionnée,

SIBYLLE URSULE DE BRUNSWICK.

P. S. Mes commandements ne s'étendent jusques à la Cour de France. Si pourtant vous me permettez de vous prier de ne vouloir différer davantage le contentement que tout le monde ici aura de voir la suite de votre Clélie, je prends la liberté de vous en conjurer et pour le public et pour votre propre gloire.

MÉNAGE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [533].

1658.

Mademoiselle,

Il n'y a personne au monde qui ait pour vous des sentiments plus avantageux que moi. Je n'estime pas seulement, j'admire encore la beauté de votre génie, la vivacité de votre imagination, la solidité de votre jugement, les charmes de votre entretien, et ce nombre infini de rares connoissances que vous possédez si éminemment. Mais si j'ai de l'estime et de l'admiration pour les qualités de votre esprit, j'ai du respect et de la vénération pour celles de votre âme, pour votre bonté, pour votre douceur, pour votre tendresse, pour votre générosité, pour votre candeur, et surtout pour cette incomparable modestie, qui, au lieu de cacher votre mérite, le fait éclater davantage. Depuis que je reconnus en vous toutes ces excellentes qualités, et je les reconnus dès la première fois que j'eus l'honneur de vous entretenir, je vous ai toujours considérée comme un des principaux ornements de notre siècle, et comme la plus grande gloire de votre sexe.

Cependant, Mademoiselle, il est étrange que depuis ce temps-là je n'aie point encore fait savoir au public l'estime particulière que je fais d'une personne si extraordinaire, et qu'étant un des hommes du monde qui vous honore le plus dans son cœur, je sois un des hommes du monde qui vous ai le moins célébrée dans ses écrits. Quoique ma conscience ne me reproche rien de ce côté-là, et que mon silence ne soit qu'un effet de mon admiration, je ne laisse pas d'avoir quelque honte d'être si longtemps à vous rendre l'hommage que vous doivent ceux qui font profession d'honorer publiquement le mérite et la vertu. En attendant que je puisse vous rendre cet hommage par quelques-uns de mes écrits, qui ne soient pas tout à fait indignes de vous, l'amitié qui étoit entre feu M. Sarasin et moi m'ayant obligé de prendre soin et du recueil et de l'édition de ses ouvrages, je prends la liberté de vous en faire une offrande. Je suis assuré que je ne fais rien en cela contre l'intention de l'auteur, et que, comme vous étiez l'objet éternel de ses louanges et de ses respects, s'il eût publié lui-même ses œuvres, et plût à Dieu que sa mort précipitée n'eût pas privé le monde de cet avantage, il les eût publiées sous cette même protection que je vous demande. Je veux croire aussi, Mademoiselle, que je ne fais rien en cela qui vous soit désagréable, et que vous ne rejetterez pas mon offrande, non-seulement à cause de cette amitié tendre et officieuse que vous avez toujours eue pour M. Sarasin, mais aussi à cause de l'estime extraordinaire que vous avez toujours faite des productions de son esprit. J'ose bien vous dire qu'elles sont en effet très-dignes de votre approbation. L'ordre y paroît parmi l'abondance. Elles brillent de tous côtés d'esprit et d'invention. On y voit une variété agréable. On y voit de la prose et des vers en tout genre et en toutes langues. On y voit partout une facilité merveilleuse; et si on y remarque en quelques endroits des négligences, ces négligences ne sont pas même sans quelque agrément. Mais je dois me souvenir que j'écris une lettre et non pas un panégyrique ou une apologie; et que de louer ou de défendre davantage les œuvres de M. Sarasin, ce seroit entreprendre sur M. Pellisson, qui les a si excellemment et louées et défendues dans son admirable préface. Je n'ai donc plus qu'à vous supplier de recevoir avec votre bonté ordinaire ces précieux restes de notre cher et illustre ami, et de regarder le soin que j'ai pris de les recueillir, non-seulement comme un effet du zèle que j'ai pour la gloire d'un homme qui m'a donné tant de marques éclatantes de son affection, mais aussi comme un témoignage de la passion ardente et respectueuse avec laquelle je suis,

Mademoiselle,
Votre très-humble
et très-obéissant serviteur,

MÉNAGE.

P. CORNEILLE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [534].

A Rouen, 16 décembre 1659.

L'incomparable Sapho est suppliée de mander son avis à l'illustre Aspasie, touchant deux épigrammes faits [535] pour une belle dame de sa connoissance [536], qui, par un accès d'estime, avoit baisé la main gauche de l'auteur. Il y a partage pour juger lequel est le plus galant: l'un a plus d'essor de pensée, et l'autre a quelque chose de plus simple et plus naturel.

RÉPONSE DE L'INCOMPARABLE SAPHO.

[1659.]

Si vous parlez sincèrement

Lorsque vous préférez la main gauche à la droite,

De votre jugement je suis mal satisfaite:

Le baiser le plus doux ne dure qu'un moment;

Un million de vers dure éternellement,

Quand ils sont beaux comme les vôtres;

Mais vous parlez comme un amant,

Et peut-être comme un Normand:

Vendez vos coquilles à d'autres [537].

CHARPENTIER A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [538].

Mercredi, à onze heures du matin [1659].

Mademoiselle,

Je reçus hier au soir fort tard le billet que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire.... Si le temps l'eût permis, je vous en aurois remerciée sur l'heure même, car il est impossible de retenir un ressentiment si juste. Vous avez trop payé l'ouvrage que j'ai pris la hardiesse de vous offrir [539]; l'estime que vous en faites est assurément au-delà de son mérite, et je ne puis attribuer les louanges que vous lui avez données, qu'à la cause même que vous m'en découvrez en reconnoissant qu'il parle d'un de vos plus anciens amis. Je le sais, Mademoiselle, que Cyrus est un de vos amis, et que votre amitié est une de ses plus glorieuses aventures; c'est en cette considération que son nom est dans les plus belles bouches de France, et qu'il sert maintenant d'entretien au monde poli, qui autrement ne le connoîtroit guère:

Et moi qui le connois assez parfaitement,

Si vous en croyez mon serment,

J'aurois eu peu de soin de relever sa gloire,

Quoiqu'il ait autrefois mille peuples soumis,

Si je n'avois appris ailleurs que dans l'histoire,

Qu'il possède l'honneur d'être de vos amis.

BRÉBEUF A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [540].

Rouen, 24 août [1660].

Mademoiselle,

Je meurs de honte d'avoir été malade lorsque je me sentois indispensablement obligé à vous remercier de toutes les belles choses que j'ai trouvées dans votre lettre, et j'ai une confusion si grande de m'être laissé prévenir à vos civilités et d'avoir tant différé à vous les rendre, que j'ai peine à me pardonner mon indisposition, et à ne faire pas d'une fièvre de huit ou dix jours [541] une faute inexcusable. Mais, à vous parler ingénûment, je vous avoue, Mademoiselle, que, dans ma meilleure santé, il me seroit assez difficile de trouver des termes pour vous expliquer tout le ressentiment que j'ai de l'honneur que vous me faites. Vous me louez avec des paroles si riches et d'un air si parfaitement obligeant qu'il m'est presque impossible d'y répondre comme je dois et comme je le souhaite. Cependant, ce qui seroit pour d'autres que vous le dernier effort de la générosité n'est que votre style ordinaire. C'étoit assez du témoignage public que vous m'en aviez donné, sans y ajouter encore cette preuve particulière. Je me souviens, Mademoiselle, de l'obligation que vous a l'interprète de Lucain. Je sais que c'est à votre recommandation seule que ce divin génie [542], qui produit toujours et ne s'épuise jamais, a trouvé le secret de le faire vivre près de trois mille ans avant sa naissance, et qu'un art si ingénieux et si admirable peut encore le faire vivre plus de trois mille ans après sa mort. Un esprit de cette force a pouvoir sur tous les temps aussi bien que sur tous les pays; le passé et l'avenir en relèvent également, et comme j'ai osé croire enfin, sur la foi de mes amis, qu'il a pensé à moi quand il a parlé du traducteur de la Pharsale, je me persuade aisément qu'avec trois paroles il a mis du moins trente siècles entre moi et ce fâcheux genre de trépas qui tue encore après qu'on n'a plus de vie. N'étoit-ce point assez, Mademoiselle, d'avoir ménagé pour moi un privilége si peu commun et une faveur si extraordinaire, et en falloit-il davantage pour obliger de la plus excellente manière un malheureux inconnu qui ne vous peut être considérable que parce qu'il vous doit beaucoup, et qui ne mérite les grâces que vous lui faites que parce qu'il en a déjà reçu d'autres de vous? Sans doute il n'y en avoit que trop pour occuper toute la reconnoissance dont un esprit est capable, et je vois pourtant que ce qui étoit trop pour moi n'a pas encore été assez pour vous. Lorsque je m'entretenois avec ressentiment et avec respect de cette bonté excessive avec laquelle vous avez bien voulu agréer les Entretiens solitaires [543], et que je croyois beaucoup moins vous avoir fait un présent que l'avoir reçu, il se trouve que vous me remerciez encore de l'honneur qu'il vous a plu me faire, et que vous me récompensez avec soin de l'obligation que je vous ai: ce sont là, Mademoiselle, de ces beaux excès qui ne sont guère connus dans le monde, et qui ont besoin d'un exemple aussi puissant que le vôtre pour s'établir parmi nous.

Mais, bien que je me laisse flatter au dernier point au jugement avantageux que vous faites de moi et à une approbation qui ne me promet pas moins que celle de tout Paris ou même de toute la France, je conserve du moins encore assez de modération dans ma bonne fortune pour ne consentir pas entièrement à toutes les louanges que vous me donnez. Je me défends autant que possible d'une si pressante et si douce tentation de vanité, et je me dis à toute heure que, pour laisser descendre votre estime jusqu'à moi, il faut assurément que vous ayez pris plaisir à vous cacher tout ce que vous êtes. Je ne suis pas si étranger en mon pays que je ne sache un peu en quels termes les honnêtes et les habiles gens parlent de vous; ce n'est pas, à leur gré, dire assez tout ce qu'ils en pensent, que de publier en tous lieux qu'ils vous regardent comme le miracle de notre siècle, et pour moi, qui prends quelquefois la liberté de mêler ma voix à la leur et de parler le même langage, je puis dire que j'avance cette vérité avec d'autant plus de plaisir que je n'ai encore vu personne qui ait osé la contredire. Après cela, Mademoiselle, il semble qu'il ne vous doit point être permis de rien estimer, et que c'est usurper en quelque façon sur le droit des personnes qui sont infiniment au-dessous de vous que de vous résoudre à parler si avantageusement,

Mademoiselle,
De votre très-humble, très-obéissant,
et très-obligé serviteur,

BRÉBEUF.

LA CALPRENÈDE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [544].

A Vatimesnil, 12 septembre 1661.

Comme je sais la part que vous avez prise au malheur de M. le Surintendant, je veux bien, Mademoiselle, vous témoigner la douleur que j'en ai, et à laquelle je suis trop obligé par le souvenir des obligations que je lui ai, et à M. Pellisson aussi, qui, à ce que j'ai appris, est enveloppé dans sa disgrâce. Je voudrois au prix de mon sang être en état de leur témoigner ma reconnoissance, et parce qu'on m'a mandé qu'on envoie Mme la Surintendante à Limoges, et que j'ai en ce pays-là des parents et des amis assez considérables, je vous supplie de me mander si vous croyez qu'il y ait lieu de les employer pour son service, et qu'elle en puisse recevoir d'eux dans sa mauvaise fortune, afin que je leur écrive pour les obliger à lui rendre toutes les assistances qui leur seront possibles. Faites-moi, s'il vous plaît, la grâce de m'en écrire un mot le plus tôt que vous le pourrez, et de l'envoyer à la poste de Normandie avec l'adresse: Au Tillier; et croyez, s'il vous plaît, que ni dans cette affaire, ni dans aucune autre, il ne vous arrivera jamais rien où je ne m'intéresse, comme un homme qui vous honore et vous honorera toute sa vie de tout son cœur.

LA CALPRENÈDE.

CORBINELLI A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [545].

De ma prison (Montpellier),
7 septembre [1665].

Votre générosité ordinaire seroit bien bizarre d'oublier un ami qui, pendant dix-huit mois d'une prison très-rigoureuse, a pensé à vous comme les amants font à leurs maîtresses: j'ai tant de fois songé à tout ce que nous avons fait, à tout ce que nous avons dit sur un certain sujet! J'ai fait mon cours de beaux sentiments, de générosité, d'amitié parfaite, pendant tout le temps de cette affaire, et il est vrai que j'ai appris cette grande science, non-seulement à vous entendre, mais encore à vous voir faire, et en faisant de petites choses sur le modèle des grandes, ou que vous machiniez ou que vous exécutiez, ou du moins que vous méditiez. Auriez-vous donc oublié un homme qui étudioit votre âme et votre esprit avec tant d'application, d'admiration et de plaisir? Je ne le crois pas, quoique les apparences soient fortes, car vous ne m'avez pas écrit sur la liberté presque entière que le Roi m'a si bénignement accordée. Je ne tiens plus qu'à un filet, et je ne suis en prison que parce que je ne pourrois pas sortir d'un grand château si je le voulois; mais aussi je ne le voudrais pas, tant que M. de Vardes sera dans le sien; si bien qu'au vrai je ne suis prisonnier que vraisemblablement et par métaphore, etc....

LE P. RAPIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [546].

Dimanche 22 novembre 1665.

Mademoiselle,

J'ai bien du déplaisir, Mademoiselle, de ne pouvoir aller moi-même vous faire mes compliments sur la Tubéreuse [547] que vous m'avez fait la grâce de me donner. En vérité, elle a plus de grâce et de beauté dans vos vers que dans son original de sa nature. Tout ce qui passe par vos mains se perfectionne, et c'est un de vos admirables talents de donner de la grâce à tout ce que vous touchez. Je ne puis m'empêcher de vous témoigner ma joie des douceurs qui reviennent à votre ami M. de Pellisson, après tout ce qu'il a souffert. Vous voulez bien demander à M. Mesnager qu'il veuille me mener le voir, car j'en ai grande impatience. Je suis avec mes respects ordinaires à vous, Mademoiselle,

RAPIN,
de la Compagnie de Jésus.

FRANÇOIS DE BEAUVILLIERS, DUC DE SAINT-AIGNAN, A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [548].

25 janvier [1666].

Revoir le généreux Acante en liberté, recevoir de l'illustre Sapho les glorieuses marques d'un souvenir qui pourroit rendre heureux les plus infortunés de la terre, et goûter ces plaisirs en un même jour, c'est presque trop à la fois pour un cœur aussi tendre et aussi sensible que le mien. Il devroit au moins avoir le temps de se reconnoître, avant que d'en témoigner sa satisfaction, dans l'agréable désordre où le met cette double surprise; mais auroit-il pu reconnoître dignement les biens dont il est comblé, s'il avoit voulu attendre à vous rendre grâces qu'il se fût reconnu? J'aime mieux exprimer ma joie avec moins d'éloquence, et pendant que l'obligeant Acante est allé voir ce grand Roi duquel il a si bien parlé, assurer l'incomparable Sapho de l'estime et du respect que j'aurai toujours pour elle. Je pars demain à mon tour, jusques à mercredi au soir, et j'espère vous aller assurer jeudi en famille du pouvoir absolu que vous aurez toujours et sur ma famille et sur moi. En vérité Artaban [549] trouve plus de gloire à se dire à vous, Mademoiselle, que le fils de Pompée n'en acquit sous ce nom chez les Parthes et les Mèdes.

LE P. VERJUS A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [550].

Le 12 décembre [1666].

Un prêtre tel quel a voulu, Mademoiselle, que j'eusse l'honneur de vous envoyer la Vie d'un saint prêtre qu'il a fait imprimer. Le prêtre tel quel s'appelle M. de Saint-André, et le bon prêtre s'appeloit M. Le Nobletz. Si vous m'en croyez, vous n'en apprendrez pas davantage et vous laisserez la lecture de ce livre à d'autres moins curieux de belles lectures que vous.

Ne laissez pas, s'il vous plaît, Mademoiselle, de me savoir quelque gré de ce que je suis exact à m'acquitter des plus petites commissions qu'on me donne, jusqu'à vous envoyer un livre aussi mal écrit et aussi peu considérable que l'est celui-ci [551]. Vous jugerez, s'il vous plaît, de la joie que j'aurois d'obéir à une personne pour qui j'ai autant de respect et d'admiration que j'en ai pour vous.

VERJUS.

L'ÉVÊQUE DE DIGNE (FORBIN-JANSON) A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [552].

A Aix, le 4 février 1668.

Le billet que vous m'avez envoyé a été suivi d'une lettre du P. Annat qui m'écrit par ordre du Roi que Sa Majesté me nomme à l'évêché de Marseille. Je ne vous désavoue pas que je n'aie une joie sensible de me voir honoré de cette nouvelle marque de l'estime qu'un prince aussi éclairé que le nôtre a témoignée pour ma personne en cette rencontre. Mais je vous prie de croire que la part que vous prenez en ce qui me touche redouble mon contentement par celui qui vous en demeure. Pensez-vous que je connoisse si peu l'honneur qu'il y a d'être de vos amis, que je ne m'estime infiniment heureux de passer pour tel, particulièrement dans l'esprit de M. de Pellisson? Comme les lumières qu'il a le rendent plus capable de pénétrer dans les vôtres que qui que ce soit, il ne sauroit douter que les personnes que vous aimez n'aient du mérite, parce qu'il sait qu'il n'y a que le mérite seul qui puisse attirer votre amitié. Cependant vous me l'avez donnée par un pur effet de votre bonté, et je rougis de confusion d'en être si peu digne. C'est ce qui m'oblige à vous en demander la continuation avec plus d'ardeur, et vous assurer, Mademoiselle, qu'il n'y a rien dans le monde que je souhaite davantage que d'être un peu aimé de la merveille de notre siècle.

L'ÉVÊQUE DE DIGNE.

LE MÊME A LA MÊME.

Aix, 12 février 1668.

Je voudrois bien, Mademoiselle, que la fortune me donnât lieu de vous faire voir combien je suis sensible à la part que vous prenez en ce qui me touche. En vérité, j'ai toute la confusion du monde d'avoir si peu d'occasion de m'employer pour votre service. Une bonne et généreuse amie comme vous doit avoir pitié de ma gratitude, et ne me laisser pas toujours souhaiter inutilement de vous être utile. Le Roi ne pouvoit pas me donner un établissement plus doux et plus considérable; vous le connoissez, Mademoiselle, mieux que personne. Je l'estimerois infiniment davantage si je pouvois être assez heureux de vous y voir quelque jour. J'ai bien de la joie d'apprendre le rétablissement de la santé de notre illustre amie: Dieu nous la conserve, et vous donne le moyen de vous faire connoître combien je vous honore!

L'ÉVÊQUE DE DIGNE.

DUC DE SAINT-AIGNAN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [553].

Du 6 [avril 1668].

Je ne sais, Mademoiselle, de quelle manière je dois répondre à votre obligeante lettre, après avoir même demeuré assez longtemps sans y avoir répondu. Sera-ce en vous rendant mille très-humbles grâces de l'utilité de l'avis qu'il vous a plu de me donner? Sera-ce de votre admirable quatrain dont toute la cour est charmée? En vérité je crois que je ne dirai rien de tout cela, et que je ne vous parlerai que de la belle Lionne, mais si peu apprivoisée, à qui l'on a dédié la fable du Lion Amoureux [554]. Puisque quand on la voit on ne sauroit regarder autre chose, croyez-vous que quand on s'en entretient on puisse aisément changer de discours? A propos de cette belle Lionne, puisque lionne il y a, je vous en veux faire une petite histoire. J'étois l'autre jour dans votre cabinet, et, quoiqu'on ne puisse vous y voir trop tôt, ni vous y attendre avec trop d'impatience, je faillis à vous vouloir mal, lorsque vous me détournâtes de la contemplation du beau portrait que vous en avez. Je sais bien que l'aventure du lion ne lui est point arrivée, qu'elle a de belles et bonnes dents, et sais mieux encore que mon respect me mettra toujours à couvert de ses ongles. Mais, Mademoiselle, à quoi vous jouez-vous de me louer? Vous prenez quelque intérêt en ma gloire, et vous m'allez rendre si vain que je ne serai plus digne de votre estime. Connoissez un peu mieux, malgré votre modestie, ce que c'est d'être loué par l'illustre Sapho, de qui l'approbation peut faire l'estime et la félicité de tous ceux qu'il lui plaira; et croyez que personne n'y est plus sensible ni ne la reçoit avec plus de respect et n'en est pourtant moins digne qu'Artaban.

LE MÊME A LA MÊME.

Du 19 avril 1668.

Ce n'est rien, Mademoiselle, d'être sorti de dessous ce monceau de buffles, de pistolets, de bottes et de baudriers qui marquoient tant la guerre à la veille de la trêve et peut-être de la paix; je suis retombé de fièvre en chaud mal; de plus savants diroient de Scylle en Charibde; enfin ce que je veux dire, et que je ne dis point trop bien, c'est qu'après la troupe j'ai fait l'équipage de mon fils [555]; que la batterie de cuisine est une autre chose que celle des canons; que l'amour a son brandon, son bandeau, son arc, son carquois et ses flèches; que Mars a son dard, son bouclier, son casque et son cimeterre; mais que Comus a ses pots, ses plats et ses bouteilles. Il faut de tout à un guerrier, et pendant qu'on songe à l'équiper, on peut oublier jusques à l'illustre Sapho et jusques à la belle Lionne. Mais à propos de la belle Lionne, celui qui vient d'imposer aux lions un joug qu'ils ont voulu éviter [556], en parla, il n'y a que peu de jours, d'une manière fort agréable pour moi et fort glorieuse pour elle. Cet éloge fut publié, et ni elles ni nous ne le demandons pas particulier [557]. La seule vérité le tira de sa bouche et la seule vérité le tire de ma plume. Pour vous, généreuse Sapho, vous savez combien de pouvoir vous avez sur Artaban: il ne tiendra qu'à vous que vous n'en ayez des marques dans toutes les occasions où il vous plaira de l'employer.

PELLISSON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [558].

A Chambord, le 14 octobre 1668.

Je suis persuadé, Mademoiselle, qu'on vous a écrit qu'il n'y a point de maison royale qui soit d'un dessin plus noble et plus magnifique que Chambord. Le parc et la forêt qui l'environnent sont remplis de vieux chênes, droits et touffus, qui ont été consultés autrefois. Si les anciens arbres n'avoient été condamnés par un jugement équitable à un éternel silence, si l'obscurité de leurs oracles, et l'indiscrétion avec laquelle ils trahissoient les secrets des amans n'avoient obligé les dieux à les réduire à servir seulement pour l'ombrage et la fraîcheur, il y a sans doute beaucoup d'apparence que ceux de Chambord parleroient plus clairement que de coutume, et qu'ils décideroient en faveur de ce qu'ils voyent aujourd'hui, quoiqu'ils ayent eu l'honneur d'aider aux plaisirs de François Ier, dont la grandeur et la magnificence n'ont pu être surpassées que depuis quelques années. Le temps a été admirable, contre l'ordre des saisons, depuis que le Roi est parti de Saint-Germain....

Le Roi et la Reine sont allés assez souvent à la chasse. Rien n'est égal à la magnificence de tous les équipages et au bonheur avec lequel on a pris tout ce qu'on a attaqué. Les plus grands cerfs ont à peine duré une demi-heure..........

Vous verrez des descriptions régulières, belles et exactes d'une fête superbe et très-galante, que le Roi donna à la Reine et aux Dames, il y a quatre jours, à Herbaud [559]. Les Dames se promenèrent à cheval dans le parc; vous ne sauriez vous imaginer leur bonne grâce, leur air, leur ajustement, ni la surprise avec laquelle je les aperçus dans un endroit du bois....

Aussitôt que je les vis

Tous mes sens furent interdits:

Elles étoient aussi fières que belles.

Ce n'est pas sans raison; quelques-unes d'entr'elles

Ont fait des coups bien hardis;

J'admire leur audace extrême,

Mais je crains bien un jour pour elles même,

Et tels vainqueurs, après leurs grands exploits,

Peuvent être vaincus eux-mêmes quelquefois.

Plus la conquête est grande, et moins elle est parfaite,

Et leur victoire a bien de l'air d'une défaite [560].

Le Roi, la Reine et les Dames descendirent de cheval. Ils entrèrent dans une salle fort éclairée, où on dansa assez longtemps. Je ne puis me résoudre à vous entretenir de la beauté des Dames, de la diversité, de la commodité des appartemens. Je pourrois bien vous dire comme étoit Herbaud, un moment avant que le Roi y fût arrivé; mais tout parut en un moment changé par un enchantement admirable....

Je suis persuadé que M. d'Herbaud n'eut pas connu lui-même sa maison, et que, pour peu qu'il eût eu de disposition à se flatter, il se fût imaginé qu'il était devenu le maître du Louvre ou des Tuileries. Je vous assure qu'il me semble tous les jours que Le Brun, Mansart et Le Nostre ont employé tout leur talent et leur savoir dans les lieux où le Roi passe.

S'il s'avisoit d'entrer jamais

Dans le médiocre palais

Où vous régnez dans les tournelles,

La maison aussitôt deviendroit des plus belles,

Le vilain vestibule en seroit honoré,

L'obscur degré seroit tout éclairé,

Le passage seroit paré.

Que de lustres dans les ruelles!

Le cabinet enfin nous paroîtroit doré.

On passa, après que le bal fut fini, dans une orangerie qu'on avoit préparée pour un souper magnifique. La disposition des ornemens, des lumières, des buffets et des services, étoit admirable. M. le Maréchal de Bellefonds, qui, comme vous savez, est propre à plus d'une chose, avoit fait entremêler des festons de pampres chargés de muscats, avec des orangers fleuris, et on avoit disposé au-dessus une confusion si agréable, qu'il sembloit que le hasard y eût fait naître les plus beaux fruits de la Touraine; on avoit eu même quelque égard aux nuances, et ceux de la Cour, qui sont les plus savans et les plus profonds en ces matières, n'y trouvèrent rien à reprendre......

Vous savez, Mademoiselle, que rien n'est si périlleux que les inventions. Je ne voudrois pas m'attirer ceux qui les hasardent, car le nombre en est infini; mais il est vrai qu'on ne peut s'imaginer le succès heureux de celles dont je viens de vous parler, où l'on avoit pris un soin si exact de contenter tous les sens, qu'on n'a jamais vu une fête préparée en si peu de tems, avec tant de grandeur et de politesse.

Le Roi en donna avant-hier une autre dans le château de Blois, dont vous connoissez la réputation. Tout y étoit merveilleusement bien entendu. Je pourrois faire une description très-pompeuse du lieu qu'on avoit choisi, de l'abondance et de mille autres circonstances; elle n'avoit rien d'humain et d'ordinaire. Je ne suis cependant tenté en aucune manière de la comparer aux festins des Dieux. Il me semble qu'il n'est pas impossible, sans en faire mention, de parler dignement de leurs Majestés. Toutefois, sur un pareil sujet,

Un silence prudent doit être mon partage.

Je crains de profaner ses exploits glorieux.

Quelques foibles auteurs sans doute feroient mieux

De prendre ce parti respectueux et sage.

Ils font bien moins connoître à la postérité

La grandeur du héros que leur témérité.

PELLISSON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

A Landrecy, 6 mai 1670.

Je viens de recevoir en cet instant, Mademoiselle, votre lettre du 3 de ce mois. Elle a été ouverte, autant qu'on en peut juger par le cachet, mais cela n'importe guères. J'ai déjà répondu à la première, qui étoit du 30 avril ou du 29. Je me suis aussi donné l'honneur de vous écrire diverses fois, et en dernier lieu avant-hier, de Landrecy même. A peine ma lettre étoit-elle à la poste, que la résolution changea pour le voyage. On apprit qu'il y avoit à Ath deux maisons fermées pour la peste. Ainsi on fit le soir même un autre projet, par lequel, sans passer à Ath ni aux environs, le voyage étoit allongé de trois jours. Il fut résolu aussi de séjourner encore tout hier, et hier sur le soir il y eut un nouveau changement. Le Roi n'ira plus à Marienbourg ni à Philippeville, et le voyage, au lieu d'être prolongé de trois jours, sera abrégé de deux; de sorte qu'on espère d'être à Saint-Germain le 16 ou le 17 de juin. Le projet nouveau est que le Roi est allé aujourd'hui à Avesnes; demain il revient dîner ici et va coucher au Quesnoy. Je ne sais pas bien si l'on y séjournera. Plusieurs personnes sont demeurées ici pour laisser reposer les équipages; M. de Crussol entr'autres, avec M. de Montausier et M. le Dauphin, ce qui m'a obligé à demeurer aussi. Demain nous marcherons avec le Roi.

Je ne vous ferai point pour cette fois une longue réponse, me trouvant obligé à écrire plusieurs autres lettres. Je vous prie de bien remercier pour moi vos voisines de la rue de Berry, mais surtout Mme de Malnoue, à qui je prétends écrire un de ces jours. Nous parlons très-souvent de vous, non-seulement avec M. de Morinant, que je rencontre presque tous les jours, mais aussi avec M. de Montausier, qui vous aime toujours tendrement, et me chargea encore hier au soir de vous en assurer. Son petit Prince est plus joli qu'on ne vous le peut exprimer. Il profite à vue d'œil, pour ainsi dire, et en toutes choses; il est gai, enjoué, doux, civil, souple, nullement opiniâtre, témoignant de l'amitié à tout le monde; fort aise quand on le loue ou quand on témoigne de l'aimer. Il a eu ce plaisir jusques ici partout où nous avons passé. M. de Montausier humainement le fait voir au peuple autant qu'il peut, et l'oblige à caresser tout le monde. A Saint-Quentin, il combla tous ces pauvres gens de joie, parce qu'il le fit aller une fois à pied du logis du Roi jusqu'au sien, qui étoit assez loin, et une autre fois à cheval par toute la ville, afin qu'on le puisse mieux voir. Je ne manquerai pas de me souvenir de vous à Tournay avec M. l'Évêque, et partout ailleurs, quand ce ne seroit qu'avec moi-même. Je suis très-fâché que votre santé ne soit pas meilleure. Je vous conjure de m'en donner des nouvelles le plus souvent que vous pourrez. Il ne manque rien à la mienne que l'honneur de vous voir, qui l'augmenteroit sans doute par la joie que j'en aurois.

CORBINELLI [561] A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

[Vers 1670.]

J'en use pour vous comme pour les trois meilleures amies que j'aie. Je pars sans dire adieu ni à vous ni à elles; j'appelle des adieux en forme, où l'on prie de commander quelque chose, où l'on s'embrasse cérémonieusement, où l'on se dit mille riens fort tendres, ou mille mots tendres qui ne signifient rien d'effectif. Ceci est un pur effet de la cordialité, c'est un billet où j'atteste l'amitié même, si elle a une divinité à part, que je vous honore parfaitement et que je brûlerai de l'encens à ses autels en votre commémoration tous les trois mois dans un bois auprès d'Aigues-Mortes. Là, je songerai profondément à vous et à votre amie l'aimable Sombreil, et je vous regretterai du meilleur de mon pauvre cœur. Je vous prie de l'aimer toujours, je la prie de vous chérir et d'admirer sans cesse votre vertu et votre mérite et de tâcher de l'imiter, et je vous conjure toutes deux d'être persuadées que vous êtes gravées dans mon cœur, chacune d'un caractère particulier, mais qui sont l'un et l'autre ineffaçables.

CORBINELLI.

LE P. RAPIN A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [562].

De Basville, 21 septembre [1671].

Je viens de recevoir votre paquet, Mademoiselle; j'ai présenté de votre part à M. le P. Président celui de vos discours [563] qui est relié en veau: il l'avoit reçu dès hier au soir, et il nous l'avoit lu lui-même d'un bout à l'autre avec bien du plaisir; en effet, il loua fort le discours et nous le secondâmes fort. J'ai présenté les deux autres à MM. de Lamoignon; ils m'ont tous chargé de vous en faire leurs remercîments et de vous assurer de leur estime. Ils m'ordonnent de vous prier d'avertir M. de Pellisson de ne pas manquer à sa bonne coutume de venir à Basville; c'est une des personnes qu'on y voit le plus volontiers; Je ne sais si l'on a fait quelque chose pour l'affaire de votre neveu [564]; j'ai fort prié qu'on ne souffre pas qu'il sorte de chez nous, on m'a fait espérer quelque chose.

Je suis de tout mon respect à vous,

RAPIN,
de la Cie de Jésus.

P. S. J'ai trouvé l'endroit où vous parlez du Roi très-beau, et la prière à Notre-Seigneur très-dévote; enfin, ce discours est digne de vous comme tout ce que vous avez fait. Personne ne prend plus de part à votre gloire que moi.

CORBINELLI A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [565].

[1671.]

Moi qui ne lis non plus de gazettes que l'Alcoran, je ne pouvois pas deviner, Mademoiselle, que vous eussiez remporté le prix de l'éloquence, et en mille ans ne me serois pas avisé de vous en faire un compliment, parce que je n'eusse jamais pu croire que notre siècle s'avisât de mettre un prix pour cela. Je savois seulement en gros et en détail que vous en méritiez un sur tous les éloquens du monde, et que quand la fortune ne seroit plus brouillée avec le mérite, vous remporteriez le prix de toutes les belles qualités de l'esprit et du cœur. Je ne savois que cela, et ne devinois rien; c'est de là que procède mon silence sur votre victoire, mais c'est une belle victoire que celle là aussi, d'être l'admiration de toutes les nations qui savent notre langue, sur quoi elles ne vous ont rien donné. Oh! siècle, oh! mœurs, oh! honte de tout ce qu'il y a d'âmes sensibles! Ma cousine vient de me faire un compliment sur votre prix, et me chante pouilles de ne l'avoir pas deviné; elle vous aime trop; j'en suis jaloux.

CORBINELLI.

MASCARON, ÉVÊQUE DE TULLE, A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [566].

Tulle, le 5 janvier 1673.

Je vous souhaite, Mademoiselle, la plus glorieuse et la plus fortunée année que vous ayiez passée de votre vie. Ce n'est pas faire un petit souhait pour une personne dont toute la vie n'a été qu'une suite de gloire. Aussi n'en puis-je point faire d'autres, ayant pour vous tout le respect et l'attachement dont je suis capable. Je me pare de cela comme de mon plus bel ornement, et je m'en pare encore avec plus d'amour propre dans mon cœur qu'à la vue de tout le monde.

Plût à Dieu, Mademoiselle, avoir des occasions de vous en donner des marques qui ne vous laissassent aucun lieu de douter d'une vérité qui me tient si fort à cœur! Je partirai dans quinze jours pour Bordeaux; je serai étrangement mortifié si je n'y trouve point M. le premier Président [567], comme on m'en menace. Je me propose de cultiver avec tant de soin l'honneur de son amitié, si je l'y trouve, que vous aurez le plaisir de voir l'accroissement d'une liaison dont vous avez formé les premiers nœuds.

Je suis de tout mon cœur et avec tout le respect possible, Mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

JULES EV. DE TULLE.

MADAME DESHOULIÈRES A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [568].

Ce 1er décembre [1676].

Voici le petit médaillon et le manuscrit qu'on a trouvé charmant. Je renvoie le tout à ma belle et chère héroïne; toutefois j'aurois bien désiré garder encore quelques jours le petit manuscrit pour le montrer à deux ou trois de nos amis, mais ç'auroit été, ce semble, abuser de la permission, et véritablement je suis un peu honteuse, et n'aurois pu vous l'envoyer avant ce jour.

N'êtes-vous pas une bonne mie? Que de chagrin j'aurois si ce retard devoit vous en causer! Mais je me flatte que non, et que les Argonautes [569] pourront l'entendre avant leur départ, qui je crois n'est pas si près que vous pensez. Nous aurons samedi une lecture nouvelle d'un acte tout entier [570]; l'auteur, M. le duc de Nevers, et moi nous comptons sur vous. La compagnie ne sera pas nombreuse, mais elle vous plaira. Ainsi, ma belle et chère héroïne, ne nous manquez pas, et me croyez

Votre bonne amie,

DESHOULIÈRES.

BONNECORSE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [571].

De Marseille, ce 20 mars 1681.

Je vous suis infiniment obligé, Mademoiselle, de l'honneur que vous m'avez fait de m'envoyer les deux derniers volumes des Conversations morales. J'aurai bientôt le plaisir de les lire plus d'une fois et de profiter de mille beaux sentiments que j'y trouverai et qui sont, sans doute, dignes de l'illustre et vertueuse Sapho. Je n'ai reçu ces livres que depuis hier, Valentin ayant demeuré quelques jours à Lion et à Aix. Je ne manquai pas, d'abord que j'eus reçu le paquet, d'envoyer à M. le marquis de Peruis [572] le sien, comme vous le savez par sa lettre. Au reste, Mademoiselle, je vous rends encore des très-humbles grâces des remarques de la petite, mais illustre société; M. Duperret m'a envoyé ses sentiments sur le petit ouvrage, et je ferai exactement tout ce qu'il me dit. Je n'ai pas l'honneur de connoître ces deux illustres personnes ni de savoir leur nom; je leur suis pourtant infiniment obligé, et je voudrois pouvoir reconnoître leurs bons offices par des services très-humbles. Faites-moi s'il vous plaît la grâce, Mademoiselle, d'être persuadée de mon zèle pour tout ce qui vous regarde, car je suis toujours votre très-humble et très-obéissant serviteur,

BONNECORSE.

CHARLEVAL [573] A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Verneuil, vendredi matin 1683.

J'ai peur, Mademoiselle, que vous ne vous rebutiez à la fin du commerce d'un gentilhomme de campagne, à qui vos lettres pourtant donnent de la matière pour entretenir les charmantes hôtesses qui sont venues adoucir l'ennui de sa solitude. Ainsi, Mademoiselle, les nouvelles que vous me faites la grâce de m'écrire me servent à faire l'honneur de ma maison.

La levée du siége de Vienne est si importante pour l'Allemagne qu'elle n'avoit jamais été plus en danger d'être frontière d'un terrible voisin. Il me semble qu'il n'y a quasi que les moines qui montrent ici leur joie de cette grande expédition, et que nos politiques ont reçu cette nouvelle en philosophes qui sont modérés dans la prospérité.

L'on me mande que M. Pelletier refuse de qui que ce soit le titre de Monseigneur en parlant de lui.

Le soleil d'automne nous donne encore de si beaux jours que j'en ménage les heures dans un lieu sain et riant. C'est là qu'avec des voix charmantes et des figures qui plaisent aux cieux, je mène une vie innocente et affranchie des passions, avec des personnes capables d'en causer de grandes [574]. Mais les femmes et les sarabandes récréent les sens des gens de ménage, sans émouvoir l'âme en aucune façon. Cependant un homme seroit bien heureux qui pourroit, avec des voix charmantes et des figures agréables aux yeux, aller au ciel par le paradis terrestre. Mais nos docteurs nous enseignent des voies plus sûres qu'il faut suivre. Sans faire le dévot, voici quatre vers que j'ai donné ordre que l'on mît sur la porte de ma chapelle:

Passant, n'entre point en ce lieu

Si ton cœur n'est soumis et purgé de tous crimes;

Et si tu veux être agréable à Dieu,

N'y fais que des vœux légitimes!

Mes hôtesses, après divers voyages, sont revenues et m'ont chargé de vous assurer de leurs respects et de leurs services très-humbles. Elles se sentent fort obligées de l'honneur de votre souvenir.

CHARLEVAL.

MADAME DE MAINTENON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [575].

Versailles, 19 août 1684.

Quoique je ne vous remercie point des lettres que je reçois de vous, et de ce que vous y joignez quelquefois, croyez, Mademoiselle, que j'en fais tout le cas que je dois, que j'en fais l'usage que vous désirez, qu'elles font l'effet que vous en devez attendre, et que vous êtes fort estimée de celui dont vous faites le panégyrique [576]. Il a entendu lire de tous les côtés vos dernières Conversations [577], qu'il trouve aussi utiles qu'agréables. Je n'ose après cela rien dire de moi, si ce n'est que je suis absolument à vous.

MADAME DE SÉVIGNÉ A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [578].

Lundi, 11 septembre 1684.

En cent mille paroles je ne pourrois vous dire qu'une vérité, qui se réduit à vous assurer, Mademoiselle, que je vous aimerai et vous adorerai toute ma vie; il n'y a que ce mot qui puisse remplir l'idée que j'ai de votre extraordinaire mérite. J'en fais souvent le sujet de mes admirations et du bonheur que j'ai d'avoir quelque part à l'amitié et à l'estime d'une telle personne. Comme la constance est une perfection, je me réponds à moi-même que vous ne changerez point pour moi; et j'ose me vanter que je ne serai jamais assez abandonnée de Dieu, pour n'être pas toujours toute à vous. Dans cette confiance, je pars pour Bretagne où j'ai mille affaires; je vous dis adieu, et vous embrasse de tout mon cœur; je vous demande une amitié toute des meilleures pour M. de Pellisson; vous me répondrez de ses sentiments. Je porte à mon fils vos Conversations [579]; je veux qu'il en soit charmé, après en avoir été charmée.

MADAME DACIER A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [580].

Castres, 17 juillet 1685.

C'est avoir bien de la bonté, Mademoiselle, de se souvenir de gens qui le méritent si peu, et qui font si mal leur devoir; il est pourtant vrai que s'il ne falloit, pour mériter l'honneur que vous venez de me faire, que vous estimer parfaitement et connoître le prix de cette grâce, personne n'en seroit plus digne que nous. Il y a longtemps que vous avez toute notre estime, et le beau présent que vous nous avez fait n'a pu qu'augmenter notre admiration. En vérité, Mademoiselle, quoique l'on doive tout attendre de vous, je n'ai pas laissé d'être éblouie de toutes les beautés qui éclatent en foule dans vos Conversations. On peut dire que tout en est bon, mais j'y ai trouvé surtout de certains endroits qui m'ont enchantée et qui m'ont retenue plus que les autres par le plaisir extraordinaire qu'ils m'ont donné. Mon exemplaire est plein des marques que j'ai faites sur tous ces endroits.....

Votre très-humble et très-obéissante servante,

ANNE LEFÈVRE DACIER.

FLÉCHIER A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [581].

26 décembre 1685.

Mademoiselle,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il me falloit une lecture aussi délicieuse que celle-là, pour me délasser des fatigues d'un voyage, pour me guérir de l'ennui des mauvaises compagnies de ces pays-ci, et pour me faire goûter le repos, où la rigueur de la saison et la docilité de mes nouveaux convertis me retiennent en ma ville épiscopale [582]. En vérité, Mademoiselle, il me semble que vous croissez toujours en esprit; tout est si raisonnable, si poli, si moral et si instructif dans ces deux volumes que vous m'avez fait la grâce de m'envoyer [583], qu'il me prend quelquefois envie d'en distribuer dans mon diocèse pour édifier les gens de bien et pour donner un bon modèle de morale à ceux qui la prêchent. Les louanges du Roi sont si finement insérées, qu'il s'en feroit, en les recueillant, un excellent panégyrique. Recevez donc, Mademoiselle, avec mon remercîment, les louanges que vous donne un homme relégué dans une province, qui n'a pas encore perdu le goût de Paris, et qui vous conserve toujours la même estime qu'il a eue toute sa vie pour vous.

LE P. VERJUS A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [584].

A Versailles, le 25 novembre [1686].

Le billet, Mademoiselle, que vous me fîtes l'honneur de m'écrire il y a trois jours, a eu une trop bonne fortune pour me permettre de vous la laisser ignorer. Comme tout le monde n'a pas le même don que moi de déchiffrer ce que vous écrivez, j'en fis un extrait de ma main de tout ce qui regarde la maladie du Roi [585] sur le dos même du billet, afin que le R. P. de la Chaise en pût faire plus aisément la lecture à Sa Majesté, ce qu'il a fait il n'y a que deux heures, en présence de Mme de Maintenon qui dit d'abord que, connoissant votre zèle comme elle le connoissoit, elle s'étonnoit qu'on n'eût encore rien vu de vous sur ce sujet; et cet extrait ayant été lu ensuite, fut estimé et applaudi autant que je le désirois, et sans doute beaucoup [plus] que vous ne l'espériez. Je n'ai pas cru devoir différer de vous en rendre compte par le plaisir extrême que j'ai de pouvoir vous donner dans les occasions les petites marques dont je suis capable de mon respect infini pour votre mérite et de mon zèle extrême pour votre très-humble service,

VERJUS.

LA REINE CHRISTINE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [586].

Rome, 30 septembre 1687.

Je ne comprends pas, Mademoiselle de Scudéry, comment une personne qui a écrit comme vous sur la Tyrannie de l'usage, ignore celui qu'on a établi à Rome. Vous avez mal adressé votre ami. Ne savez-vous pas qu'il seroit plus facile à vos François de voir la grande Sultane que moi, quoique personne ne soit ni amoureux ni jaloux de moi, et que je sois, Dieu merci, en mon entière liberté? Il y a ici une espèce de passion qui n'a pas de nom, qu'on substitue à l'amour et à la jalousie qui règnent à Constantinople, et l'on s'y venge sur votre nation des chagrins bien ou mal fondés qu'on prétend avoir reçus de moi. Je suppose toutefois que cet usage finira, et si jamais cela arrive, je ferai voir à votre ami que tous les honnêtes gens sont bien reçus chez moi, mais surtout ceux qui sont de votre connoissance.

Je suis toutefois très-résolue de ne rien contribuer à ce changement, et la conduite de ma vie passée doit persuader aux gens que je me passe sans peine de tout. Cela n'empêche pas que vos reproches sur mon portrait ne me soient agréables. Vous avez raison, et je vous promets de réparer ma faute d'une manière qui ne vous déplaira pas. En attendant, en voici un qui ne vous coûtera rien. Sachez donc que depuis le temps que vous m'avez vue, je ne suis nullement embellie. J'ai conservé toutes mes bonnes et mauvaises qualités aussi entières et vives qu'elles ont jamais été. Je suis encore, malgré la flatterie, aussi mal satisfaite de ma personne que je la fus jamais. Je n'envie ni la fortune, ni les vastes États, ni les trésors à ceux qui les possèdent, mais je voudrois bien m'élever par le mérite et la vertu au-dessus de tous les mortels, et c'est là ce qui me rend mal satisfaite de moi. Au reste, je suis en parfaite santé qui me durera autant qu'il plaira à Dieu. J'ai naturellement une fort grande aversion pour la vieillesse, et je ne sais comment je pourrai m'y accoutumer. Si on m'eût donné le choix d'elle et de la mort, je crois que j'aurois choisi sans hésiter la dernière. Toutefois, puisqu'on ne nous consulte pas, je me suis accoutumée à vivre avec plaisir. Aussi la mort qui s'approche et qui ne manque jamais à son moment, ne m'inquiète pas; je l'attends sans la désirer et sans la craindre.

Mais il est temps de vous parler de vos ouvrages, qui sont agréables, utiles et savants. Vous mettez si bien en œuvre les belles choses, que vous me charmez. Vous divertissez et instruisez toujours sans ennuyer jamais. Je vous remercie du soin que vous avez pris de me les envoyer. Que je vous dois d'agréables moments, et comment vous les payer? Cependant, vous qui écrivez si bien, pourquoi avez-vous laissé mourir M. le Prince, sans faire quelque chose pour lui en vers ou en prose? Quelle perte pour la France! et quelle perte pour le siècle dont ce grand homme étoit un des plus dignes ornements! Pour moi je l'ai regretté autant qu'aucun des siens, et je vous condamne à faire quelque chose de digne d'un Héros d'un mérite aussi distingué et aussi extraordinaire. Il me semble que c'est un des plus grands plaisirs de la vie que de bien louer ce qui mérite de l'être. Vous qui avez des talents faits exprès, ne refusez pas cet encens à ce Prince qui l'a si bien mérité.

CHRISTINE ALEXANDRA.

MADAME DE SÉVIGNÉ A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Mardi [587] [3 août 1688].

Que voulez-vous dire de rare mérite, Mademoiselle? Peut-on nommer ainsi un autre mérite que le vôtre? J'en suis si persuadée, que si j'étois véritablement endormie, tous mes songes ne seroient que sur ce point. Mais croyez, Mademoiselle, que je ne le suis point, que je pense très-souvent à vous comme il y faut penser: tout mon crime, c'est de ne point témoigner des sentiments si justes et si bien fondés; mais attaquez-moi dans quelque moment que ce puisse être, et vous me retrouverez tout entière, comme dans le temps où vous avez été la plus persuadée de mon amitié. Ce sont des vérités que je vous dis, Mademoiselle; elles ne sauraient être mal reçues de vous. Je suis, comme vous voyez, le contraire d'une hypocrite d'amitié: pourrait-on dire qu'on est une hypocrite d'oubli?

Je vous rends mille grâces de vos livres; j'en avois ouï parler, je les souhaitois, et vous m'avez donné une véritable joie. L'agrément de ces Conversations et de cette Morale ne finira jamais; je sais qu'on en est fort agréablement occupé à Saint-Cyr [588]; je m'en vais lire avec plaisir cette marque obligeante de votre souvenir. Conservez-le moi, Mademoiselle, puisque je suis à vous par mille raisons. Ah! si vous entendiez comme je parle de vous, vous reconnoîtriez bien certainement [589]......

MADAME DE BRINON [590] A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

3 août 1688.

Je ne saurois différer davantage à vous témoigner le plaisir que vous avez fait à toute notre communauté, de lui avoir donné une morale qui convient si fort à celle qu'elle enseigne tous les jours. Vous avez trouvé le moyen, Mademoiselle, de beaucoup plaire en instruisant.... Votre génie est sans déchet, et votre esprit, qui a toujours fait l'admiration du sage, croît au lieu de diminuer. Madame de Maintenon, qui prend un singulier plaisir de nous enrichir de bons livres, et qui ne savoit pas que vous m'aviez fait part des trésors de votre Sapience, après avoir vu votre morale, me l'envoya fort obligeamment pour vous et pour moi, me mandant qu'elle croyoit qu'en son absence, ces livres me tiendroient lieu d'une bonne compagnie. Elle ne se trompoit pas, car voulant régaler les dames de Saint-Louis de quelque mets d'esprit convenable à leur état, je leur ai lu moi-même, dans nos promenades du soir, l'Histoire de la Morale, qui leur a toujours fait dire, quand on a sonné la retraite, que l'heure avançoit. Ces Conversations sont ici d'autant plus agréables qu'on en fait chez les demoiselles, qu'on a extraites de vos premières, qui ont donné lieu à un grand nombre d'autres, dont ces jeunes demoiselles font leur plaisir et celui des autres. Quand vous nous ferez l'honneur de venir à Saint-Cyr, vous vous retrouverez en plus d'un endroit, car nous sommes fort aises qu'on copie ce qui est bon [591].

LE P. BOUHOURS A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [592].

[1688.]

J'ai laissé passer la foule pour vous donner le bonjour et vous renouveler les assurances de mes très-humbles services. Si mon présent n'est pas fort beau ni fort digne de votre cabinet, il est au moins assez singulier et tout propre à faire figure sur le bord de votre cheminée. Tel qu'il est, je vous prie, Mademoiselle, de l'agréer comme une marque de l'estime particulière que j'ai pour votre personne et de l'affection véritable avec laquelle je serai toute ma vie votre très-obéissant serviteur,

BOUHOURS.

MASCARON, ÉVÊQUE D'AGEN, A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [593].

Montbran [594], 15 octobre [1688].

Persuadé comme je le suis, Mademoiselle, que vous m'honorez de votre amitié, je crois vous faire plaisir de vous apprendre que mon voyage a été très-heureux et que j'ai trouvé aux eaux et aux bains de Bagnères tout ce que j'y avois été chercher. Le Seigneur a envoyé son ange qui a remué les eaux et leur a donné la force de guérir. J'avois choisi pour mon divertissement la lecture de tous vos huit tomes de Conversations de Morale; l'Histoire des bains des Thermopyles [595] m'y détermina. Quoique cette lecture ne soit pas nouvelle pour moi, j'y retrouve pourtant, Mademoiselle, tous les charmes et tous les agréments de la nouveauté. Bon Dieu, la belle manière d'inspirer la vertu et l'amour des beaux sentiments! Saint Augustin a dit quelque part: Facilius flectitur animus cùm delectatur. Peut-on se faire un chemin plus doux à la persuasion et à la victoire?

J'ai vu auprès de Tarbes, par où j'ai passé, une charmante maison qui mériteroit autant d'être célébrée qu'aucune autre que je connoisse, par la beauté des canaux, des cascades, des jets d'eau, des jardins, des bois, et par la propreté de la maison et des meubles; on l'appelle Séméac [596], elle appartient à M. le comte de Gramont, à qui Mme de Saint-Chaumont l'a laissée. Voilà les trois choses dont j'étois plein, et dont j'ai l'honneur de vous rendre compte: ma santé, vos admirables Conversations et cette charmante maison. Je vous souhaite, Mademoiselle, assez de santé et de loisir pour instruire toujours si agréablement et si efficacement le public, et je suis, avec tout le respect et l'attachement possible, Mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

JULES, ÉVÊQUE C. D'AGEN.

MASCARON A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [597].

Le 16 août [1691].

Les six vers que vous m'avez envoyés, Mademoiselle, sont les plus jolis du monde, et ils sont d'autant plus jolis qu'ils disent la vérité. Quelque gloire qu'on s'acquît par d'autres endroits, on ne peut jamais excuser de prendre une si grosse portion du trésor dans des conjonctures pareilles où se trouve l'état. J'espère la paix de l'Église de l'habileté de M. le cardinal de Forbin [598]. Que ne lui devra pas l'Église pour la consommation d'une affaire si difficile! Je n'ose pourtant m'abandonner à la joie d'un si heureux [mot illisible], car il en coûte trop de revenir sur une aussi douce espérance que celle-là, lorsque les événements ne répondent pas aux projets.

Je vous fais mes compliments, Mademoiselle, sur la gloire que vient d'acquérir M. le Marquis de Créqui en Italie [599]. Si Dieu le conserve, nous verrons en lui l'image parfaite de l'illustre maréchal que nous pleurons [600].

Je vous souhaite de la fraîcheur, Mademoiselle; c'est à ce souhait, ce me semble, que tous les autres se doivent borner, car, à l'heure qu'il est, je crois être transporté sous la ligne, tant le ciel est brûlant ici. Je suis, avec tout le respect et tout l'attachement possible, à vous,

JULES É. C. [601] D'AGEN.

ARNAULD DE POMPONNE A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY [602].

Versailles, 27 août 1691.

Je réponds bien tard, Mademoiselle, aux marques si obligeantes que vous avez bien voulu me donner de votre souvenir dans une rencontre qui m'est si avantageuse. Comme je les ai fort distinguées des compliments qui viennent en foule dans de telles occasions [603], j'ai voulu vous dire avec plus de repos, qu'on ne peut vous honorer plus que je fais, ni être plus sensible que je le suis à vos bontés. Je pourrois, Mademoiselle, en trouver un grand témoignage dans la mémoire que vous me rappelez de tant de personnes que nous avons aimées et honorées également, mais je n'en veux pas d'autre que l'estime qui vous est si justement due, que j'ai toujours professée si vive et si forte pour votre vertu et pour votre mérite, et qui me fait être autant que personne

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

ARNAULD DE POMPONNE.

L'ABBESSE DE FONTEVRAULT [604] A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

A Fontevrault, 18 octobre 1692.

Je n'ai pas voulu vous remercier, Mademoiselle, des livres que vous avez eu la bonté de m'envoyer, que je ne les eusse reçus, et on les a gardés fort longtemps aux Filles-Dieu. J'aurois pu en toute sûreté en dire beaucoup de bien avant que de les avoir vus, mais j'ai cru ne vous en devoir parler qu'après en avoir jugé par moi-même. J'y ai trouvé toute la solide beauté et tout l'agrément que j'attendois; et en vérité, Mademoiselle, on ne sauroit trop vous admirer; je vous le dis bien grossièrement, mais c'est avec une sincérité dont vous devez être contente. Je vous supplie de me conserver quelque part en l'honneur de votre amitié (dont je connois tout le prix), et d'être persuadée que je serai toute ma vie, avec toute l'estime et toute la reconnoissance que je dois, Mademoiselle, votre très-humble servante.

M.-M. GABRIELLE DE ROCHECHOUART ABBESSE DE FONTEVRAULT.

BOSSUET A MADEMOISELLE DUPRÉ [605].

Versailles, ce 14 février 1693.

Je vous assure, Mademoiselle, que M. Pellisson est mort, comme il a vécu, en très-bon catholique; je l'ai toujours regardé, depuis le temps de sa conversion jusqu'à la fin de sa vie, comme un des meilleurs et des plus zélés défenseurs de notre religion. Il n'avoit l'esprit rempli d'autre chose, et deux jours avant sa mort, nous parlions encore des ouvrages qu'il continuoit pour soutenir la Transsubstantiation; de sorte qu'on peut dire sans hésiter qu'il est mort en travaillant ardemment et infatigablement pour l'Église. J'espère que ce travail ne se perdra pas, et qu'il s'en trouvera une partie considérable parmi ses papiers.

Au reste, il a voulu entendre la messe pendant tous les jours de sa maladie; et je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il s'en dispensât les jours de fête. Il me disoit en riant qu'il n'étoit pas naturel que ce fût moi qui l'empêchât d'entendre la messe. Il n'a jamais cru être assez malade pour s'aliter; et il s'est habillé tous les jours, jusqu'à la veille de sa mort; et il recevoit ses amis avec sa douceur et sa politesse ordinaire. Son courage lui tenoit lieu de forces; et jusqu'au dernier soupir, il vouloit se persuader que son mal n'avoit rien de dangereux. A la fin, étant averti par ses amis que ce mal pouvoit le tromper, il différa sa confession au lendemain pour s'y préparer davantage: et si la mort l'a surpris, il n'y a eu rien en cela de fort extraordinaire. C'étoit un vrai chrétien, qui fréquentoit les sacremens. Il les avoit reçus à Noël, et, à ce qu'on dit, encore depuis, avec édification. Bien éloigné du sentiment de ceux qui croient avoir satisfait à tous leurs devoirs pourvu qu'ils se confessent en mourant, sans rien mettre de chrétien dans tout le reste de leur vie, il pratiquoit solidement la piété; et la surprise qui lui est arrivée ne m'empêche pas d'espérer de le trouver dans la compagnie des justes. C'est, Mademoiselle, ce que j'avois dessein d'écrire à Mlle de Scudéry, avant même de recevoir votre lettre; et je m'acquitte d'autant plus volontiers de ce devoir, que vous me faites connoître que mon témoignage ne sera pas inutile pour la consoler. Je profite de cette occasion pour vous assurer, Mademoiselle, de mes très-humbles respects, et vous demander l'honneur de la continuation de votre amitié.

LE MÊME [606] A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

1693.

Ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, Mademoiselle, sur le sujet de M. Pellisson, me donne beaucoup de consolations, mais n'ajoute rien à l'opinion que j'avois de la fermeté et de la sincérité de sa foi, dont ceux qui l'ont connu ne demanderont jamais de preuves. J'ai parlé un million de fois avec lui sur des matières de religion, et ne lui ai jamais trouvé d'autre sentiment que ceux de l'Église catholique. Il a travaillé jusqu'à la fin pour sa défense: trois jours avant sa mort, nous parlions encore de l'ouvrage qu'il avoit entre les mains contre Aubertin, qu'il espéroit pousser jusqu'à la démonstration; ne souhaitant la prolongation de sa vie, que pour donner encore à l'Église ce dernier témoignage de sa foi. Je souhaite qu'on cherche au plus tôt un si utile travail parmi ses papiers, et qu'on le donne au public, non-seulement pour fermer la bouche aux ennemis de la religion, qui sont ravis de publier qu'il est mort des leurs, mais encore pour éclaircir des matières si importantes, auxquelles il étoit si capable de donner un grand jour. Quoiqu'il n'ait pas plu à Dieu de lui laisser le temps de faire sa confession, et de recevoir les saints Sacremens, je ne doute pas qu'il n'ait accepté en sacrifice agréable la résolution où il étoit de la faire le lendemain.

Le Roi, à qui vous désirez qu'on fasse connoître ses bonnes dispositions, les a déjà sues, et j'ai en cela prévenu vos souhaits. Ainsi, Mademoiselle, on n'a besoin que d'un peu de temps pour faire revenir ceux qui ont été trompés par les faux bruits qu'on a répandus dans le monde. Sa Majesté n'en a jamais rien cru; je puis, Mademoiselle, vous en assurer; et tout ce qu'il y a de gens sages qui ont connu, pour peu que ce soit, M. Pellisson, s'étonnent qu'on ait pu avoir un tel soupçon. C'est ce que j'aurois eu l'honneur de vous dire, si je n'étois obligé d'aller dès aujourd'hui à Versailles, et dans peu de jours, s'il plaît à Dieu, dans mon diocèse. Je m'afflige cependant, et je me console avec vous de tout mon cœur, et suis, avec l'estime qui est due à votre vertu et à vos rares talents,

Votre, etc., etc.

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