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Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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LETTRES
DONT ON N'A PU RETROUVER LA DATE

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A MADEMOISELLE DESCARTES [503].

Sans date.

En m'apprenant, Iris, que vous savez rimer,

Vous m'apprenez aussi que vous savez aimer:

Mais, Iris, l'oserois-je dire!

Trouve-t-on quelque amant dans l'amoureux empire

Digne de cette noble ardeur

Dont vous peignez si bien la force et la grandeur?

Pensez-y donc, fille charmante.

Ah! qu'il est dangereux d'être trop tendre amante,

Puisqu'il n'est point d'amant heureux

Qui soit longtemps fort amoureux.

Par une ingratitude horrible,

Son amour s'allentit dès qu'on devient sensible,

Et l'ignorance d'être aimé

Le rend beaucoup plus enflammé.

Voilà, Mademoiselle, des vers aussi négligés que les vôtres sont beaux; j'en suis charmée, et je crois bien que toutes les muses sont également de vos amies, puisque vous écrivez aussi bien en vers qu'en prose; mais pour vous montrer que mon sentiment ne m'est pas particulier, je vous envoye quatre vers d'une amie que j'ai, qui est très-digne d'être la vôtre, car elle a un mérite infini, et M. de M...., qui l'admire aussi bien que moi, vous en répondra. Elle s'appelle Mme de P... [504]. Voilà les quatre vers qu'elle engagea dans un billet fort galant qu'elle m'écrivit un jour:

Où peut-on trouver des amans

Qui nous soient à jamais fidèles?

Je n'en sais que dans les romans

Et dans les nids des tourterelles.

Tout le monde choisi a su ces quatre vers. Si Voiture ou Sarazin ressuscitoient, ils voudroient les avoir faits. Cependant, Mademoiselle, la mauvaise opinion que j'ai des amants ne diminue rien de l'admiration que j'ai pour vos beaux vers. M. de M.... a trop bon goût pour y avoir rien changé. Il me les a montrés écrits de votre main sans une seule rature, et je les ai copiés de la mienne sans y rien changer; mais je prendrai pourtant la liberté de vous avertir de la juste signification d'un mot que vous avez sans doute employé sans y penser, afin qu'il n'y ait pas la moindre imperfection à ce que vous écrirez. Voici de quoi il s'agit: vous confondez deux mots, avant et devant, et il ne les faut pas confondre. Vous parlez juste quand vous dites:

Faut-il avant sa mort que tant de fois je meure.

Mais quand vous dites au dixième vers:

Et devant le trépas ne me fais pas mourir,

cela n'est pas juste. Dans les règles, il faudroit refaire le vers, et mettre avant au lieu de devant. On dit aller au devant de quelqu'un, ou il demeure devant ma porte; mais pour marquer précisément un temps, on dit, par exemple, avant que je fusse née, avant qu'il arrivât, et non pas devant.

Je vous demande pardon, Mademoiselle, de cette liberté; ce n'est pas ma coutume de faire le bel esprit, mais j'ai voulu vous donner ce petit avis d'amitié qui vous doit marquer la sincérité de mes louanges et qui ne diminue rien de mon admiration pour votre belle élégie; non plus que ma croyance en faveur de mon chien n'ôte rien de l'estime infinie que j'ai pour feu M. votre oncle. Ce n'est pas l'amitié que j'ai pour les animaux qui me prévient à leur avantage, c'est celle qu'ils ont pour moi qui me persuade en leur faveur; car on ne peut rien aimer par choix sans quelque sorte de raison; et selon cette règle, Mademoiselle, je suis parfaitement raisonnable, puisque la connoissance de votre mérite extraordinaire m'engage à vous aimer infiniment, et je prévois que tout cela doit durer autant que la vie de votre très-humble, etc., etc.

RÉPONSE DE MADEMOISELLE DESCARTES A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Je suis si fière, Mademoiselle, des vers de votre façon qui s'adressent à moi, que je crois déjà être immortalisée; mais est-il possible que vous ne trouviez à redire dans ma pauvre élégie que ce que vous y reprenez? Moi qui la regarde avec des yeux de mère, j'y voyois mille choses que j'eusse voulu n'y point voir; mais je n'ose plus blâmer ce que vous avez jugé digne de vos louanges, et je veux seulement, pour rendre témoignage à la vérité, vous assurer qu'elle est toute de mon imagination, et que mon cœur n'y a point de part.

Mon cœur qui de l'amour sut toujours se défendre,

Injustement en seroit soupçonné;

Il n'est jamais permis d'en prendre

Qu'après que l'on en a donné;

Et dans mes plus beaux jours mes beautés innocentes

De pareils attentats furent toujours exemptes.

Non, Mademoiselle, je n'ai jamais fait, Dieu merci, de conquêtes, et c'est ce qui me console plutôt que toutes les raisons que vous dites si agréablement dans vos beaux vers.

Tout berger est trompeur, inconstant et volage;

Malheur à celle qui s'engage.

Mille exemples fameux en convainquent l'esprit;

Mais malgré cette règle et si juste et si belle,

Si tôt que le cœur s'attendrit,

On croit que l'amour est fidèle.

Votre illustre amie, Mme de P..., a beau nous dire des merveilles dans ses quatre vers qui sont inimitables; on les admirera, on les voudra croire, et le cœur ira son chemin;

La seule tourterelle en amour est fidèle,

Mais quand notre cœur est charmé,

L'objet dont il est enflammé

Nous paraît constant tout comme elle.

Ainsi, Mademoiselle, il vaut mieux que je n'aie jamais eu d'amants, que de n'avoir eu pour préservatif que la vue de leur inconstance.

L'amour a soin de nous persuader

Qu'on brûlera pour nous d'une flamme éternelle,

Et que nous allons posséder

Un sort que n'eut jamais aucune autre mortelle.

Et je ne sais s'il n'est point à propos que l'on s'abuse ainsi quelquefois. On se tiendroit trop sur ses gardes, on vivroit dans une retraite et dans une solitude de cœur qui fait de la peine à imaginer; et, quant à la vérité, toute belle qu'elle est, elle peut être d'un moindre prix que certaines erreurs douces et charmantes qui flattent agréablement. Par exemple, Mademoiselle, je souhaite avec tant de passion d'être aimée de vous, que je crois qu'il en est quelque chose; ne me désabusez jamais, je vous en supplie, laissez-moi une imagination qui m'enchante et qui fait tout le bonheur de votre très-humble, etc., etc.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A MADEMOISELLE DESCARTES.

Sans date.

Vous dites fort modestement

Que vous n'avez point eu d'amant;

Ce discours n'est pas vraisemblable:

Mais du moins, fille incomparable,

Pour être sincère à mon tour,

Ne haïssez-vous point l'amour?

Et je trouve assez incroyable

D'aimer la passion qui peut tout enflammer

Sans que pas un amant ait osé vous aimer.

Où l'auriez-vous si bien connue,

Si vous ne l'aviez jamais vue?

Pour parler comme vous de l'amoureux ennui,

Il faut du moins, Iris, l'avoir appris d'autrui,

Il faut, dis-je en un mot, si l'on le veut connoître,

Le sentir ou l'avoir fait naître;

Mais on voit assez rarement,

Quand on aime l'amour, qu'on haïsse l'amant.

Je vous excepte pourtant de cette règle, Mademoiselle, car comme vous avez eu infiniment d'esprit dès votre plus tendre jeunesse, je suppose qu'il a été une garde fidèle de votre cœur, et que ne trouvant rien digne de lui, il a conservé sa liberté. Les vers dont votre lettre est semée, sont fort galants et fort jolis, et je vois bien que vous seriez plutôt de l'avis des quatre vers d'un ami que j'ai eu, que de celui des quatre de Mme de P.... Il les mettoit dans la bouche d'une dame. Les voici:

Mais quand sur notre esprit un amant qu'on estime

A pris quelque crédit,

On commence à douter si l'amour est un crime

Aussi grand qu'on le dit.

Je prends la liberté, Mademoiselle, de vous envoyer un madrigal qui a eu le bonheur de ne pas déplaire au Roi, et je souhaite qu'il soit aussi heureux auprès de vous, car je connois tout le prix de votre voix. Je voudrois bien que vous connussiez de même celui de mon amitié: car en un mot, Mademoiselle, je ne suis aimable que parce que je sais aimer mes amies d'une manière tendre et désintéressée, qui me distingue de beaucoup d'autres; je me vante hardiment de cette bonne qualité. Car étant aussi éloignées l'une de l'autre, vous n'en sauriez rien, si je ne vous le faisois connoître; et je ne vous parle ainsi que pour vous engager à m'employer à quelque chose qui puisse vous donner lieu de croire que je suis avec beaucoup de tendresse

Votre, etc., etc.

RÉPONSE DE MADEMOISELLE DESCARTES A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Sans date.

Vous l'avez bien jugé, Mademoiselle, j'étois née avec une belle disposition à l'amour.

Mais qui pourroit aimer, s'il ne plaît au Destin?

a fort bien dit un poëte de notre pays. Il faut que je vous dise tout mon secret; j'y suis obligée par reconnoissance, et je vous ai plus d'obligation que vous ne pensez.

Si mon cœur et sensible et tendre

De l'amour a su se défendre,

Je vous dois ce rare bonheur,

Seule vous en avez l'honneur;

Fille du monde sans pareille,

Fille du siècle la merveille.

Les héros que vous avez faits,

Héros en amour si parfaits,

M'ont fourni du mépris pour les amours vulgaires,

Et dégoûté mon cœur des amours ordinaires.

C'est la vérité pure, vous m'avez donné une si belle idée de l'amour dans tout ce que vous avez écrit, que je n'en ai rien voulu rabattre. J'ai cru qu'il falloit aimer ainsi, ou n'aimer pas du tout.

Vos beaux livres m'ont fait connoître

Un amour généreux, pur et sans intérêt,

Et qui l'a vu tel qu'il doit être

Ne peut le souffrir comme il est.

Cela soit dit, Mademoiselle, à la honte de la philosophie morale, je le sais par expérience,

D'une innocente ardeur la parfaite peinture,

Et l'exemple fameux d'une illustre aventure

Corrigent mieux les jeunes cœurs

Et les penchants de la nature,

Que la science austère et dure

Qui s'applique à régler les mœurs.

On aime tant à parler de soi-même que j'ai commencé par là, quoique je ne dusse vous parler que de votre merveilleux madrigal, qui est un des plus beaux que j'aie jamais vus.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A MADEMOISELLE DESCARTES.

Sans date.

Quand je fis de l'amour une image parfaite,

Des vulgaires amours j'espérai la défaite;

Mais malgré cet espoir nous voyons mille cœurs

Se laisser conquérir par d'indignes vainqueurs,

Qui, méprisant bientôt ce qu'ils ont pris sans gloire,

Courent incessamment de victoire en victoire,

Et se lassant enfin d'être trop tôt aimés,

Se moquent des Chloris dont ils furent charmés.

Mais puisque votre cœur, fille charmante et sage,

Est par mon assistance échappé du naufrage,

Et que des mers d'amour ne craignant plus les flots

Il est libre et jouit d'un glorieux repos,

Je ne me repens pas d'avoir fait la peinture

De cette passion et si noble et si pure,

Qui sait unir les cœurs sans blesser la raison;

Car l'amour héroïque est un contre-poison.

Si l'on devoit un prix dans la superbe Rome

A quiconque pourroit en sauver un seul homme;

Que ne devez-vous pas à cet heureux tableau

Où ma main a tracé ce qu'Amour a de beau,

Par l'opposition des amours passagères,

Des amours d'intérêt, des amours mensongères,

Des sentiments grossiers et de leurs faux appas!

Vous avez su franchir un si dangereux pas.

Je vous demande donc pour prix de mon ouvrage

Ce cœur, ce même cœur échappé du naufrage;

Ne le refusez pas à ma tendre amitié,

Qui vaut mieux que l'amour de plus de la moitié.

RÉPONSE DE MADEMOISELLE DESCARTES A MADEMOISELLE
DE SCUDÉRY.

Sans date.

Mon cœur est à votre service, Mademoiselle, et vous lui faites trop d'honneur de le souhaiter.

On ne peut refuser un cœur
Que l'illustre Sapho demande,

et si quelque Tirsis me l'avoit demandé aussi galamment que vous faites, j'étois perdue. Mais, Mademoiselle, on m'avoit bien dit qu'on ne peut aimer sans inquiétude: l'amitié que j'ai pour vous me rend déjà malheureuse.

La moindre aventure amoureuse

Trouble notre repos, blesse notre devoir;

Mais la tendre amitié n'est guère plus heureuse,

Quand on ne doit jamais se voir.

Il semble que vous ne m'ayez sauvée des écueils de l'amour, que pour me faire périr dans ceux de l'amitié.

Par vous des mers d'amour j'évitai les orages,

Mers fameuses par cent naufrages;

Mais mon sort n'en est pas meilleur;

Par vous, Sapho, mon malheur est extrême;

Vous me faites aimer, et j'aurai la douleur

De ne voir jamais ce que j'aime.

Je ne sais, Mademoiselle, si l'amour cause de plus cruelles peines, mais je sais bien que mon cœur n'en a jamais ressenti de plus sensibles, et que je ne trouve rien de si chagrinant que de vous admirer de si loin.

Pour moi votre commerce est honorable et doux,

Je reçois chaque jour de vous

Des vers que tout le monde admire;

Mais malgré cet honneur dont je me sens combler,

Je ne puis m'empêcher de dire:

Heureuse à qui vous voulez bien écrire,

Plus heureuse cent fois qui vous entend parler.

Quand je vois que ce qui ne vous coûte qu'un quart d'heure à faire fera mes délices toute ma vie, je dis avec cette fameuse Sapho que la Grèce a tant chantée:

Quand au rare mérite on est sensible et tendre,

Et que par la faveur des cieux,

On peut souvent vous voir et souvent vous entendre,

C'est un plaisir plus grand que le plaisir des dieux.

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY A M. HUET [505].

Sans date.

Il y a une chanson dont la reprise dit: Sans le secret l'amour n'a rien de doux; mais à ce que je vois, Monsieur, vous voulez aussi que l'amitié soit mystérieuse, puisque vous ne voulez que pas une de mes amies, ni pas un de mes amis, voient vos billets. Si j'étois un peu plus jeune, cela me seroit fort suspect, mais en l'état où sont les choses, je prends tout en bonne part, et je veux bien avoir pour vous toute la complaisance que vous voudrez. Ce n'est pas que souvent il me fût fort doux de me parer de vos billets et de les montrer à deux ou trois personnes seulement, mais si vous aimez le secret, il faut l'aimer comme vous. Cependant quelle apparence de refuser à Octavie et à Ménalque [506] le plaisir de voir ce que vous m'écrivez; songez-y encore une fois avant que de m'engager à faire le vœu du secret, et, en attendant, soyez bien persuadé que je vous estime infiniment, et qu'il ne tiendra pas à moi que nous ne formions une de ces amitiés qui durent autant que la vie.

AU MÊME [507].

Sans date.

Votre billet, Monseigneur, est digne de votre cœur, et si je l'ose dire, de mon amitié pour vous que le temps ne peut affoiblir. Le nom que vous n'avez pu lire est l'abbé d'Arche, homme de beaucoup de mérite et qui, comme je vous l'ai dit, est fort aimé de Mgr l'évêque d'Agen et de M. de Bétoulaud; et je vous suis très-obligée de lui vouloir bien donner votre suffrage. Pour la harangue de M. le recteur de l'Université, je viens d'apprendre qu'elle ne se prononcera pas mardi et que vous serez invité dans les formes, et par conséquent vous saurez l'heure précisément. Je vous remercie aussi de me promettre l'ouvrage du R. P. de la Rue, car mes mauvaises oreilles m'empêchant d'avoir le plaisir de l'aller entendre, je serai fort aise d'avoir celui de lire un discours de si bonne main. Conservez-moi, Monseigneur, votre précieuse amitié, et soyez persuadé que c'est pour le reste de ma vie que je suis, avec toute l'amitié que vous méritez, votre très-humble et très-obéissante servante.

AU MÊME [508].

Ce 21 de mai....

L'impatience de lire le bel ouvrage du R. P. de la Rue m'empêcha, Monseigneur, de vous remercier dès hier: ajoutez aussi que je crus qu'il seroit mieux de joindre mes louanges à mes remercîments; mais après l'avoir lu avec toute l'admiration qu'il mérite, je trouve toutes mes expressions tellement foibles pour louer le R. P. de la Rue, que je n'ose presque vous dire ce que j'en pense: car, de la manière dont il s'exprime, toutes ses expressions sont nobles, naturelles et persuasives. Il montre aux yeux ce qu'il veut représenter; il ôte aux plus grandes louanges ce qui les pourroit faire soupçonner de flatterie, et leur donne un air de vérité qui persuade ceux qui les entendent ou qui les lisent. Enfin, Monseigneur, il a su si sagement éviter tous les écueils de son sujet, qu'on ne l'en peut assez louer, et je ne puis assez vous remercier du plaisir que j'ai eu à l'admirer. Conservez-moi, Monseigneur, votre précieuse amitié, et me croyez toujours, avec autant de sincérité que de respect,

Votre très-humble, etc., etc.

A M. DE SABATIER DE L'ACADÉMIE D'ARLES, QUI LUI AVAIT
ADRESSÉ UNE ÉPITRE EN VERS [509].

Sans date.

Les louanges que vous me donnez, Monsieur, sont si agréables et si délicates, qu'il est difficile de les refuser; mais elles sont d'ailleurs si grandes et si noblement exprimées, qu'il faudroit avoir beaucoup d'audace pour s'en croire digne et les accepter; de sorte, Monsieur, que le parti le plus juste que je puisse prendre, c'est de louer la beauté de votre ouvrage sans m'en faire l'application. Un portrait flatté ne laisse pas d'être quelquefois admirablement peint, sans être fort ressemblant, et c'est même une des maximes des plus grands peintres d'embellir toujours leur objet. Je ne me regarde donc pas dans votre ouvrage, telle que je suis, mais telle que je devrois être pour le mériter.

Cependant, pour vous empêcher de vous repentir de l'honneur que vous m'avez fait, je vous apprends que mon cœur vaut mieux que mon esprit, que je suis une amie fidèle, sincère et désintéressée, et que si j'avois l'avantage d'être connue de vous par vous-même de ce côté-là, j'en pourrois être louée sans flatterie, et que je pourrois aussi recevoir vos louanges sans confusion. Mais en attendant, Monsieur, souffrez que j'ajoute un misérable impromptu à ce que je viens de vous dire; il n'est pas beau, il n'est que sincère, le voici:

Ne vous y trompez pas, votre aimable fontaine,

C'est la véritable Hippocrène;

Votre chant me surprend, il est charmant et doux,

Et tous les cygnes de la Seine

Ne peuvent mieux chanter que vous.

Voilà, Monsieur, les sentiments tout purs de
Votre très-humble et très-obéissante servante
MADELEINE DE SCUDÉRY.

A M. NUBLÉ [510].

Sans date.

C'est en vain, Monsieur, que vous me fuyez, car je suis résolue de vous avoir de l'obligation, et de pouvoir dire avec quelque vraisemblance, que vous êtes de mes amis. Je vous défie même hardiment de me refuser la grâce que je m'en vais vous demander. En effet, sachant quelle est votre vertu et votre équité, je ne pense pas que vous puissiez savoir qu'il y a une orpheline de douze ans qui a besoin de la protection de M. le président de Bailleul, sans avoir aussitôt envie de lui donner le placet que je vous envoie. Car, si vos amis vous connoissent bien, il n'est pas en votre pouvoir de vous empêcher de faire une action de vertu quand l'occasion s'en présente. Je vous promets pourtant de vous être fort obligée de votre sollicitation, quoique je sache bien que M. le président de Bailleul est un des juges du monde qui a le moins de besoin d'être sollicité, parce qu'il est un des plus équitables. Si vous aimiez les remercîments, je m'engagerois à vous faire remercier par MM. Ménage, Conrart, Chapelain, Pellisson et plusieurs autres de vos amis qui sont des miens.

Mais, comme je n'ai garde de vous soupçonner d'aimer une chose si peu solide, je me contente de vous assurer, qu'en m'obligeant vous obligerez la personne du monde la plus reconnoissante et qui, sans que vous le sachiez, admire le plus votre vertu.

MADELEINE DE SCUDÉRY.

A LA REINE CHRISTINE [511].

Sans date.

Madame,

Comme la santé est un bien si précieux qu'on ne sent presque plus la possession de tous les autres biens quand on a perdu celui-là, il m'est impossible d'apprendre que la santé de V. M. a été altérée, sans prendre la liberté de lui dire que personne ne peut avoir senti son mal plus vivement que moi; car, encore qu'en me l'apprenant on m'ait assuré que je n'avois rien à craindre pour sa vie, mon cœur en a été sensiblement touché, et j'attends l'ordinaire prochain avec la dernière impatience. J'ai même fait convenir M. de Pellisson, qui partage mes sentiments pour V. M., que les maux des personnes pour qui on a un attachement sincère, et s'il est permis de parler ainsi, une passion de respect, laissent une impression de douleur qui ne s'efface pas dès que le mal est passé, et qu'il faut que le temps ôte la crainte du retour du mal dont on a été alarmé, pour en être tout à fait en repos. Cependant lui et moi faisons des vœux pour l'affermissement de la santé de V. M. qui doit être précieuse pour tout le monde puisqu'elle en est un des plus grands ornements.

En mon particulier, Madame, si V. M. pouvoit savoir de quelle manière je suis sensible à tout ce qui la regarde, elle verroit bien que son mérite m'est toujours présent, et que le temps et l'éloignement ne peuvent m'empêcher d'être toute ma vie, avec la même admiration, le même zèle et le même respect, Madame, de V. M. la très-humble, très-passionnée et très-obéissante servante.

MADELEINE DE SCUDÉRY.

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