Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies
Impromptu fait au donjon de Vincennes en visitant la chambre
où le prince de Condé avoit été prisonnier.
En voyant ces œillets qu'un illustre guerrier
Arrosa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtissoit des murailles,
Et ne t'étonne pas si Mars est jardinier [627].
Stances sur la Paix [628].
Taisez-vous, trop aigres trompettes
Qui chassiez au printemps tous les braves du Cours,
Laissez entendre les musettes,
Voici le règne des Amours.
La paix s'en va bientôt rétablir son empire
Et l'on ne verra plus de cœur qui ne soupire.
⁂
Vous qui faisiez les insensibles
Et qui par vanité pensiez l'être toujours,
Vous ne serez plus invincibles,
Voici le règne des Amours.
La paix s'en va bientôt rétablir son empire
Et l'on ne verra plus de cœur qui ne soupire.
⁂
Vous, belles, qui par mille charmes
Êtes avec raison l'ornement de nos jours,
Que vous ferez verser de larmes!
Voici le règne des Amours.
La paix s'en va bientôt rétablir son empire
Et l'on ne verra plus de cœur qui ne soupire.
A M. Conrart, sur un cachet qu'il donna à l'auteur [629].
Pour mériter un cachet si joli,
Si bien gravé, si brillant, si poli,
Il faudroit avoir, ce me semble,
Quelque joli secret ensemble;
Car enfin les jolis cachets,
Demandent de jolis billets.
Mais, comme je n'en sais point faire,
Que je n'ai rien qu'il faille taire,
Ni qui mérite aucun mystère,
Il faut vous dire seulement
Que vous donnez si galamment
Qu'on ne peut se défendre
De vous donner son cœur, ou de le laisser prendre.
Billet en vers à M. de Charleval [630].
Qu'une louange délicate
Nous touche, nous plaise et nous flatte,
N'en doutez point.
Mais, pour bien goûter cette gloire,
Il faut, Damon, la pouvoir croire,
C'est là le point.
Voilà, Monsieur, par où je me sauve du danger où vos ingénieuses louanges m'ont exposée. Si je pouvois me laisser persuader, j'aurois trop de vanité.
Mon cœur que la raison éclaire
Méprise de l'encens vulgaire,
N'en doutez point.
Mais rejeter par modestie
Le plus pur encens d'Arabie,
C'est là le point.
Requête ou Placet des Amans contre les Filous [631].
Prince, le plus aimable, et le plus grand des Rois,
Nous venons implorer le secours de vos lois:
Tout l'état amoureux vous adresse ses plaintes;
Vous seul pouvez calmer nos soucis et nos craintes,
Vous seul pouvez nous faire un sort qui soit plus doux,
L'amour même ne peut nous rendre heureux sans vous.
La nuit, si favorable aux flammes amoureuses,
A beau nous préparer les faveurs précieuses,
Sans respecter ce Dieu, les voleurs indiscrets
Troublent impunément ces mystères secrets;
Chaque jour leur audace éclate davantage,
On ne va plus la nuit sans souffrir quelque outrage;
On trompe d'un jaloux les regards curieux,
Mais d'un filou caché l'on ne fuit point les yeux.
Comme on n'ose marcher sans avoir une escorte,
On ne peut se glisser par une fausse porte,
Et seul au rendez-vous si l'on veut se trouver,
On est déshabillé devant que d'arriver.
La nuit dont le retour ramène les délices,
Ces paisibles moments à l'amour si propices,
Destinés seulement à de tendres plaisirs,
Ne sont plus employés qu'à de fâcheux soupirs.
Les maris rassurés, les mères sans alarmes
Dans un si grand désordre ont su trouver des charmes.
La nuit n'est plus à craindre à leur esprit jaloux,
Ils dorment en repos sur la foi des filous.
Ils aiment le plaisir qui nous tient en contrainte
Et la frayeur publique a dissipé leur crainte.
O vous qui dans la paix faites couler nos jours,
Conservez dans la nuit le repos des amours;
Que du guet surveillant la nombreuse cohorte
Nous serve à l'avenir d'une fidèle escorte,
Qu'ils sauvent des voleurs tous les amans heureux,
Et souffrent seulement les larcins amoureux:
Qu'ils nous ôtent la crainte, et qu'en toute assurance
Nous goûtions les plaisirs de l'ombre et du silence.
En faveur de l'amour finissez notre ennui,
Vous n'avez pas sujet de vous plaindre de lui:
Ce Dieu, dont le pouvoir domine tous les autres,
En vous donnant ses lois semble avoir pris les vôtres;
Il garde pour vous seul ce qu'il a de plus doux,
Il commande partout et n'obéit qu'à vous,
Il sépare de vous l'éclat de la couronne,
Et fait qu'on aime en vous votre seule personne.
Plaisir que rarement les Rois peuvent goûter,
Et duquel toutefois vous ne pouvez douter.
Ainsi puisse le ciel, pour vous faire justice,
Au moindre de vos vœux être toujours propice,
Épargner vos souhaits, prévenir vos désirs,
Et remplir votre cœur de joie et de plaisirs!
Mais comme il n'en est pas hors l'amoureux empire,
Et qu'un roi ne peut être heureux s'il ne soupire,
Puissiez-vous, de l'amour secrètement charmé,
Toujours fort amoureux, être toujours aimé,
Et sans vous désirer de nouvelles conquêtes,
Puissiez-vous demeurer en l'état où vous êtes!
Réponse des Filous à la Requête des Amans.
Prince, dont le seul nom fait trembler tous les Rois,
Suspendez un moment la rigueur de vos lois;
Souffrez que les voleurs vous demandent justice
Contre de faux amans tout remplis d'artifice:
Si l'on les croit, ils sont de nous fort mal-traités,
Nous nous opposons seuls à leurs félicités,
Nous troublons leurs plaisirs, les nuits les plus obscures
N'ont plus pour leur amour de douces aventures.
Où sont-ils les amans que nous avons volés?
Commandez qu'on les nomme et qu'ils soient enrôlés.
Hélas! depuis dix ans que nous courons sans cesse,
Nous n'avons pu trouver ni galant, ni maîtresse,
Et pour notre malheur nous n'avons jamais pris
Ni portraits précieux, ni bracelets de prix:
En vain sans respecter plumes, soutane et crosses,
Nous avons arrêté et chaises et carrosses;
Nous ne trouvons jamais où s'adressent nos pas,
Que plaideurs, que joueurs, que chercheurs de repas,
Que courtisans chagrins, que chercheurs de fortune,
Dont la foule, grand Roi, souvent vous importune;
Mais de tendres amans, vrais esclaves d'amour,
On en trouve la nuit aussi peu que le jour.
C'étoit au temps jadis que les amans fidèles
Pour tromper les Argus montoient par les échelles,
Qu'on les voloit sans peine au premier point du jour,
Et qu'ils cachoient leur vol autant que leur amour.
Sous votre grand aïeul, d'amoureuse mémoire,
Les filous nos ayeux, célèbres dans l'histoire,
Ne passoient pas de nuits sans prendre à des amans
Des portraits enrichis d'or et de diamans,
Et chacun, sans placet, sans tant de doléance,
Rachetoit son portrait et payoit le silence.
C'est ainsi qu'on aimoit en ce siècle si doux,
Sous un prince charmant qu'on voit revivre en vous;
Mais aujourd'hui qu'Amour daigne suivre la mode,
Que le moindre respect passe pour incommode,
Nous trouvons tout au plus quelques pauvres coquets
Qui n'ont jamais sur eux que des madrigalets;
Ils courent nuit et jour, se tourmentant sans cesse,
Sans jamais enrichir ni voleurs ni maîtresse.
Qu'ils marchent hardiment, ils font peu de jaloux
Et n'ont à redouter ni martyrs ni filous.
Pour tous leurs rendez-vous ils peuvent prendre escorte
Sans besoin de la nuit ni de la fausse porte;
Mais la licence règne avecque tant d'excès,
Qu'ils osent bien se plaindre et donner des placets;
Ne les écoutez pas, ils sont pleins d'artifice,
Prononcez cet arrêt tout rempli de justice:
Un amant qui craint les voleurs
Ne mérite pas de faveurs.
Vers envoyés à Mlle de Scudéry, pour accompagner une corbeille
pleine de bijoux dont les Filous lui faisoient présent pour ses étrennes.
Ces hommes redoutés que l'on nomme Filous,
Dont vous avez pris la défense,
Sont de leur gloire trop jaloux
Pour demeurer dans le silence:
Ils parlent, mais bien faiblement,
N'ayant aujourd'hui la puissance
De marquer leur reconnoissance
Que par des souhaits seulement.
⁂
Si la fortune favorable
Jetoit un doux regard sur eux,
Et que, devenant plus traitable,
Elle favorisât leurs vœux,
Quand du butin ils feroient leur partage,
Le plus riche seroit pour vous faire un hommage.
Tous les jours, en faisant leurs courses,
Ils rapportent assez de bourses,
Dont l'espoir les va devançant;
Car pipés de leur bonne mine,
Quand au fond on les examine,
On n'y rencontre que du vent.
⁂
Telle est celle que dans ce jour
Nous vous présentons pour étrenne.
Nous en avons fait choix sur plus d'une douzaine,
Prises en ville, ou dans la cour,
Car la nuit nous ne savons pas
Où le hasard guide nos pas.
⁂
Nous prîmes la même journée
Le bracelet plein de petits bijoux,
Qu'une dame peu fortunée,
Venoit de recevoir avec un billet doux.
La belle, croyant nous toucher,
Nous en conta toute l'histoire,
Que sans peine elle nous fit croire,
Mais nos cœurs furent de rocher.
⁂
Si nous vous sommes nécessaires,
Sans vous faire tant de discours,
Nous quitterons en tout temps nos affaires,
Pour vous offrir notre secours;
Dans le besoin sonnez fort votre cloche,
Soudain le Balafré, la Roche,
Bras-de-fer et Roland-sans-Peur,
Vous serviront avec ardeur,
Car ce sont des gens sans reproche.
Réponse de Mlle de Scudéry à une jeune demoiselle qu'elle
soupçonne lui avoir fait cette galanterie.
Votre injustice est sans égale,
De faire parler des filous,
Lorsque d'une main libérale
Vous donnez d'aimables bijoux.
⁂
Croyez-moi, charmante Célie,
Vous ne sauriez vous déguiser
Et votre Muse est trop polie,
En vain elle veut m'abuser.
⁂
Je connois sa délicatesse,
Son air charmant et ses appas,
Et je ne sais quelle tendresse
Que les autres Muses n'ont pas.
⁂
En vain le Balafré, la Roche
Entreprendroient de me duper,
Et je vous fais un doux reproche
De me vouloir toujours tromper.
⁂
Vous savez pourtant trop bien feindre
Et mon cœur vous feroit pitié,
S'il commençoit un jour à craindre
D'être surpris en amitié.
⁂
Reprenez-vous, chère Célie,
Et promettez-vous désormais,
Que soit sérieux, soit folie,
Vous ne me tromperez jamais.
Madrigal sur ce qu'elle a dit au sujet des vols qu'on a voulu faire chez elle [632].
Afin d'écarter de chez vous
Tous les voleurs et les filous,
Vous prenez grand soin de répandre
Que vous n'avez pour biens que l'esprit et le cœur.
Sapho, je ne veux point redoubler votre peur,
Mais si l'on croit jamais qu'on puisse vous les prendre,
Tel vous paroît homme d'honneur
Qui bientôt deviendra voleur.
M. BOSQUILLON.
Madrigal sur le précédent.
Votre esprit droit, votre bon cœur
Ne sont point gibier à voleur;
Mais pour la richesse infinie
De votre admirable génie,
Sapho, que tous les jours on lui fait de larcins!
Des muses comme vous en la plus haute place
De tout temps ce sont les destins;
Et jusqu'au sommet du Parnasse
On vole avec bien plus d'audace
Qu'on ne fait sur les grands chemins.
M. PETIT (de Rouen).
A Célie, le jour de sa fête.
Angélique ou Célie, ou tous les deux ensemble,
Malgré toutes les fleurs que ce beau jour assemble,
Je veux tous vos regards, toute votre amitié,
Ou ne leur rien laisser que regards de pitié.
Des bords de l'Orient je suis originaire,
Le soleil proprement se peut dire mon père,
Le printemps ne m'est rien, je ne le connois pas,
Et ce n'est point à lui que je dois mes appas.
Je l'appelle en raillant le père des fleurettes,
Du fragile muguet, des simples violettes,
Et de cent autres fleurs qui naissent tour à tour,
Mais de qui les beautés durent à peine un jour.
Voyez-moi seulement, je suis la plus parfaite,
J'ai le teint fort uni, la taille haute et droite,
Des roses et du lis j'ai le brillant éclat,
Et du plus beau jasmin le lustre délicat;
Je surpasse en odeur et la jonquille et l'ambre,
Et les plus grands des Rois me souffrent dans leur chambre.
Faut-il vous dire tout? votre esprit est discret;
Je vais lui confier mon plus galant secret:
J'ai su plaire à Louis à qui tout voudroit plaire;
Ne me regardez plus comme une fleur vulgaire.
A son cœur de héros, à ses exploits guerriers,
On eût dit que son cœur n'aimoit que les lauriers,
Que seule à ses faveurs la palme osoit prétendre;
Cependant il me voit d'un regard assez tendre.
Après un tel honneur, cédez, moindres beautés,
Vous avez plus de nom que vous n'en méritez.
Vous, Célie, excusez si j'ai l'âme hautaine,
Et si dans mes discours je parois un peu vaine.
Par l'avis de Sapho je demande vos chants,
Si chéris des neuf sœurs, si doux et si touchants,
Pour publier partout du couchant à l'aurore,
Que je suis sans égale en l'empire de Flore,
Que le triste Hyacinthe avec tous ses appas,
Et cette fleur qui suit mon père pas à pas,
Les roses de Vénus nouvellement écloses,
Ajax si renommé dans les métamorphoses,
La fleur du beau Narcisse, et la fleur d'Adonis,
Toutes doivent céder à la fleur de LOUIS.
LES JASMINS JONQUILLES.
A M. l'abbé Regnier.
Madrigal.
Cinq ou six petits arbrisseaux,
Qui l'an prochain seront plus beaux,
Venons en corps demander place
Sur votre agréable terrasse.
Si des autres jasmins nous n'avons pas l'éclat,
Notre parfum du moins est bien plus délicat;
Et nos petites fleurs écloses
N'entêtent pas comme les roses.
Nous ne disputons rien au superbe oranger,
Sous son ombre humblement nous voulons nous ranger;
Mais sachez que Sapho nous aime
Avec une tendresse extrême;
Et que ce qui doit rendre un présent précieux,
Consiste à nous donner ce qu'on aime le mieux.
Sur la mort d'Anne d'Autriche [633].
Janvier 1666.
Anne, dont les vertus, l'éclat et la grandeur
Ont rempli l'univers de leur vive splendeur,
Dans la nuit du tombeau conserve encor sa gloire,
Et la France à jamais aimera sa mémoire.
Elle sut mépriser les caprices du sort,
Regarder sans horreur les horreurs de la mort,
Affermir un grand trône et le quitter sans peine;
Et pour tout dire enfin, vivre et mourir en Reine.
Sixain sur la conquête de la Franche-Comté.
Les héros de l'antiquité
N'étoient que des héros d'été:
Ils suivoient le printemps comme des hirondelles,
La Victoire en hiver pour eux n'avoit pas d'ailes;
Mais malgré les frimas, la neige et les glaçons,
Louis est un héros de toutes les saisons.
Madrigal sur la Paix.
Jamais on n'avoit tant vanté
Ni campagne d'hiver, ni campagne d'été,
Quand Louis revenoit suivi de la Victoire.
Quelle est cette nouvelle gloire!
Sur ses propres exploits a-t-il pu renchérir,
Après tant de succès sur la terre et sur l'onde?
Oui, car donner la Paix au monde
C'est plus que de le conquérir.
Autre.
Dès que tu fais un pas, l'Europe est en alarmes,
Et contre l'effet de tes armes
Rien ne pourroit la soutenir.
Mais dans un calme heureux tu gouvernes la terre;
Quand on peut lancer le tonnerre,
Il est beau de le retenir.
A l'Illustre secrétaire des Dames, quel qu'il puisse être [634].
D'où viennent ces lauriers si verts, si précieux?
Sortent-ils de la terre ou tombent-ils des cieux?
Et d'où partent ces vers pleins d'esprit et de grâce,
Dont le tour délicat tous les autres efface?
Généreux inconnu, pourquoi vous cachez-vous?
Le plaisir d'obliger est un plaisir si doux!
Je vous cherche partout, et ne vous puis connoître;
Êtes-vous mon ami? Ne le pouvez-vous être?
Vous contenterez-vous de n'être qu'estimé?
En ne se nommant pas on ne peut être aimé.
Soyez du moins jaloux de votre propre ouvrage;
Nos plus rares esprits viennent lui rendre hommage.
Il n'a qu'un seul défaut qui se corrigera:
Mettez-y votre nom, et rien n'y manquera.
Aux Demoiselles de Saint-Cyr.
Vous de qui l'innocence et la noble jeunesse
S'élève au pied du Trône à l'ombre d'un grand Roi,
Voulez-vous recueillir le fruit de sa largesse?
Du Roi de l'univers apprenez bien la loi.
De la nouvelle Esther [635] admirez la sagesse,
Sa rare piété, sa prudence et sa foi.
Ne demandez au ciel ni grandeur, ni richesse,
Dont le frivole éclat rend nos yeux éblouis;
Mais par des vœux ardents et remplis de tendresse,
Abrégeant vos souhaits, demandez-lui sans cesse,
Pour vous, pour nous, pour tous, qu'il conserve Louis.
Sur la naissance du duc de Bourgogne (1682).
Venez, heureux enfant, venez à la lumière:
Vous allez commencer une illustre carrière;
Et le soleil qui naît aux bords de l'Orient
N'a pas, à sa naissance, un éclat si riant.
Tout brille autour de vous; les jeux, les ris, la gloire,
Parent votre berceau comme un char de victoire.
Mais, ô royal enfant, quand on sort des héros
On ne vit pas longtems dans les bras du repos.
Hâtez-vous, que le corps, l'esprit et le courage
Forcent les lois du tems et les règles de l'âge.
Passez rapidement les frivoles plaisirs,
Et concevez bientôt d'héroïques désirs.
Vous pourrez surpasser tous les princes du monde,
De vos premiers exploits couvrir la terre et l'onde,
Digne de votre nom, être admiré de tous,
Et voir toujours Louis bien au-dessus de vous,
Éclairer tous vos pas, vous servir de modèle,
Être du roi des rois une image fidèle,
Le bonheur des François, l'âme de ses États,
Et l'exemple éternel de tous les Potentats.
Pour Monseigneur le duc de Bourgogne, faisant l'exercice
avec les Mousquetaires devant le Roi.
Quel est ce petit mousquetaire
Si savant en l'art militaire,
Et plus encore en l'art de plaire?
L'énigme n'est pas mal aisé:
C'est l'Amour, sans autre mystère,
Qui pour divertir Mars, s'est ainsi déguisé.
Sur ce que ce jeune Prince ne trouva pas bon qu'on l'eût
comparé à l'Amour.
Prince consolez-vous d'être un petit Amour,
Imitez bien Louis, vous serez Mars un jour.
Portrait de Mme la duchesse de Bourgogne.
Avoir tous les appas de l'aimable jeunesse,
Joindre avec la beauté l'esprit et la sagesse,
Suivis d'un air charmant qu'on ne peut exprimer,
C'est ce qu'on trouve en la princesse,
Qu'on ne se lasse point de voir et d'admirer,
Et qui de tous les cœurs sait se faire adorer.
La Fauvette à Sapho, en arrivant à son petit bois,
suivant sa coutume, le 15 d'avril.
Plus vite qu'une hirondelle,
Je viens avec les beaux jours,
Comme fauvette fidèle,
Avant le mois des amours.
⁂
J'ai trouvé sur mon passage
Un spectacle fort nouveau,
Pour m'expliquer davantage,
C'est le Doge et son troupeau [636].
⁂
Quoi, lui dis-je, entrer en France
Et vous montrer en ces lieux!
Oui, dit-il, par la clémence
Du plus grand des demi-dieux.
⁂
Son cœur toujours magnanime
Ne pouvant se démentir,
Veut oublier notre crime,
Voyant notre repentir.
⁂
Ah! m'écriai-je, ravie,
Ce héros par son grand cœur
Pardonne à qui s'humilie,
Et de lui-même est vainqueur.
⁂
Dieux! quel bonheur est le vôtre,
D'aller recevoir sa loi;
Je n'en voudrois jamais d'autre,
Mais ce bien n'est pas pour moi.
⁂
C'est assez que ma maîtresse
Souffre que ma foible voix,
Chante et rechante sans cesse
Qu'il est le phœnix des Rois.
⁂
Allez, Doge, allez sans peine
Lui rendre grâce à genoux:
La République romaine
En eût fait autant que vous.
A M. de Coulanges, à Rome.
Madrigal.
Quoi, cette muse si jolie
Qui sait badiner sagement
Et toujours agréablement,
Se taira-t-elle en Italie?
Je lui demande trait pour trait
Un bon et fidèle portrait
D'un Pape que tout le monde aime:
Je me connois bien en tableaux,
Cette muse en fait de fort beaux,
Sa manière n'est pas la même:
Jamais sur le Parnasse on ne vit rien de tel,
Elle est tantôt Callot et tantôt Raphaël.
Réponse de M. de Coulanges.
COULANGES A MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.
Sur l'air: Quand je suis une fois en débauche.
Sapho, j'ai longtemps hésité,
Mais il faut que je chante
Le retour de votre santé;
Ce beau sujet me tente.
Quand la fièvre vous fait souffrir
Ce n'est qu'une querelle,
Eh quoi! jamais peut-on mourir
Quand on est immortelle?
Réponse de Mademoiselle de Scudéry.
Vous louez trop flatteusement
Une pauvre mortelle.
Je sais bien qu'en vers quand on ment
Ce n'est que bagatelle;
Mais, pour ne vous rien déguiser,
Je ne saurois me rendre,
Car il faudroit pour m'apaiser
Le portrait d'Alexandre [639].
Sur le portrait de feu M. le duc de Montausier [640].
C'est là de Montausier l'héroïque visage,
C'est là son air si grand, et si noble, et si sage,
C'est tout ce qu'il nous laisse après avoir été.
O triste souvenir! quand je mets tout ensemble,
Son esprit, son savoir et son cœur indompté,
Fier, bon, tendre, constant, rempli de piété,
Hélas, je cherche en vain quelqu'un qui lui ressemble.
Sur la mort de l'abbé Boisot (1694).
Quoi! cet illustre abbé si bon, si vertueux,
Si savant, si poli, d'un cœur si généreux,
Qui connoissoit si bien le merveilleux Acante [641],
Dont il étoit aimé d'une amitié constante,
A subi de la mort les implacables lois!
Ah! d'un si rare ami la perte surprenante
Rend ma douleur si violente
Que je crois perdre Acante une seconde fois.
Madrigal de Mlle Descartes sur la fauvette de Sapho.
Voici quel est mon compliment
Pour la plus belle des fauvettes,
Quand elle revient où vous êtes:
Ah! m'écriai-je alors avec étonnement,
N'en déplaise à mon oncle, elle a du jugement [642].
L'ANNEAU D'HORACE.
A Mlle de Scudéry, en lui envoyant un anneau d'or, dans lequel est enchassée
une agate antique où le portrait d'Auguste est gravé en relief.
L'aimable courtisan d'Auguste,
Horace, dont la lyre enchanta les humains,
Portoit au doigt ce petit buste
Du plus grand de tous les Romains.
Pour louer ce maître du monde,
Qui, l'honorant d'un si beau sort,
Lui fit sentir sa main en bienfaits si féconde,
Ce portrait l'inspiroit d'abord.
Mais, Sapho, si jadis cette puissante image
Sut l'échauffer d'un feu si charmant et si doux,
A qui convient si bien qu'à vous
Ce reste de son héritage?
Les Grâces comme à lui, sur cent sujets divers,
Vous ouvrent leur noble carrière,
Et son âme en vos mains passe encor tout entière,
Quand le nom de Louis, sur l'aile de vos vers,
Ainsi qu'en un char de lumière,
Vole aux deux bouts de l'univers.
Que dis-je! Horace même auroit manqué d'haleine,
Et n'auroit pu vous imiter,
S'il eût eu comme vous sur les bords de la Seine
Tant de miracles à chanter.
Qu'auroit-il dit de Mons, de Besançon, de Lille
Et de tant d'ennemis, avec un bras d'Achille,
Repoussés en tant de façons?
Peut-être qu'au milieu de ces riches moissons,
Sa muse impuissante et stérile,
N'auroit pu lui fournir que de trop foibles sons.
Peut-être que l'anneau qui fit couler sa veine
Parmi tant de rayons n'auroit de rien servi,
Et que son œil surpris n'eût soutenu qu'à peine
Les hauts faits qui l'auroient ravi.
Mais Louis d'un regard fait cent fois plus qu'Auguste
N'eût fait avec mille regards,
Sapho, quand votre esprit et si vif et si juste,
Sous des tas de lauriers nous peint ce nouveau Mars.
Pour moi, malgré ma longue absence,
Je crois revoir encor ce Héros de la France,
Quand mon zèle, à mes yeux, retraçant ce vainqueur,
Chaque instant offre à ma mémoire
Le portrait que toute sa gloire
A si bien gravé dans mon cœur.
DE BÉTOULAUD.
Réponse de Mlle de Scudéry à M. de Bétoulaud.
L'Anneau d'Horace est précieux,
Il plaît à tous les curieux;
Mais, Damon, l'oserois-je dire?
J'eusse bien mieux aimé sa lyre.
Peut-être me la cachez-vous,
Et vous chantez d'un air si doux,
Si noble, si haut, et si juste
Un héros bien plus grand qu'Auguste,
Que j'ai sujet de soupçonner
Que vous pouviez me la donner.
Quoi qu'il en soit, je vous la laisse,
Je n'aurois pas assez d'adresse
Pour en tirer un son charmant;
Mais je chanterai hardiment
Que la vérité toute pure,
Sans ornement et sans figure,
Suffit pour faire voir que les héros romains
N'étoient près de Louis que des fantômes vains,
Et que le faux éclat de leurs vertus payennes
Est terni pour jamais par ses vertus chrétiennes.
Quand il répand son âme au pied de nos autels
Il ne compte pour rien ses lauriers immortels,
Et cette humilité, qui n'eut jamais d'exemple,
Lui fait bien plus d'honneur que n'auroit fait un temple.
Aux habitants de Gironne, 1694.
Lorsque vos Rois étoient de vrais Rois catholiques,
Saint Narcisse [643] prioit pour vous;
Mais lorsqu'il voit Nassau, chef de tant d'hérétiques,
Suborner votre prince et s'unir contre nous,
Ce saint qui sert un Dieu jaloux,
Et qui ne veut point de partage,
Cesse de protéger un prince si peu sage,
Et par un équitable choix
Se range du parti du plus juste des Rois.
Sentiment généreux, ou Réponse de Mlle de Scudéry aux vers d'un
de ses amis qui la flattoit d'immortalité.
Quand l'aveugle destin auroit fait une loi
Pour me faire vivre sans cesse,
J'y renoncerois par tendresse,
Si mes amis n'étoient immortels comme moi.
Autre réponse à un madrigal où on la traitoit encore
d'immortelle.
Votre madrigal est joli,
Il est agréable et poli;
Vous me louez de bonne grâce:
Mais pour cette immortalité
Dont on parle tant au Parnasse,
Hélas! ce n'est que vanité.
Car à la fin, Damon, le plus grand nom s'efface
Dans la sombre postérité:
Et si le ciel vouloit contenter mon envie
J'en quitterois ma part pour un siècle de vie.
Vers adressés à Mlle de Scudéry.
Sapho, l'ornement de nos jours,
Toi qui fis de si beaux modèles
Des plus hautes vertus, des plus chastes amours,
Pour les héros et pour les belles,
Qui, sans les imiter, les admirent toujours,
Et qui n'en sont pas plus fidèles;
Tous ces chefs-d'œuvre précieux
Assurent à ton nom une immortelle gloire,
Et t'ont placée au rang des filles de mémoire
Pour chanter les exploits et les amours des dieux.
DE CALLIÈRES [644].
Ci-gît la Sapho de nos jours,
Qui sur la Grecque eut l'avantage
D'accorder les tendres amours
Avec la raison la plus sage.
Jeux innocents, prenez le deuil,
Muses, pleurez sur son cercueil
La perte de vos plus doux charmes,
Beau sexe, fondez-vous en larmes;
Votre principal ornement
Est caché dans ce monument.
Mme D'OSEVILLE.
FIN.