Mahatma Gandhi
« Notre lutte, déclare Gandhi, a pour fin l’amitié avec le monde entier… La Non-violence est venue parmi les hommes ; et elle restera. Elle est l’Annonciatrice de la paix du monde… »
La paix du monde est loin. Nous n’avons pas d’illusions. Nous avons vu abondamment, au cours d’un demi-siècle, les mensonges, les lâchetés et les cruautés de l’espèce humaine. Ce qui n’empêche point de l’aimer. Car, même chez les plus vils, il y a un nescio quid Dei… Nous n’ignorons rien des fatalités matérielles qui pèsent sur l’Europe du XXe siècle, l’écrasant déterminisme des conditions économiques qui l’enserrent, les siècles de passions et d’erreurs pétrifiées qui constituent autour des âmes de notre temps une croûte dure, que ne peut trouer la lumière. Mais nous connaissons aussi les miracles de l’esprit. Historien, nous avons vu leurs éclairs transpercer des cieux plus sombres que le nôtre. Vivant d’une heure, nous entendons dans l’Inde le tambour de Çiva, « le Maître-Danseur, qui voile son regard dévorant et maîtrise ses pas pour sauver l’univers du retour à l’abîme… »[154]
[154] Extrait de la plus antique invocation à Çiva, dans la pièce Mudrâ-Râkshasa par Vishâkhadatta.
Les Realpolitiker de la violence (révolutionnaire ou réactionnaire) se raillent de cette foi ; et ils montrent ainsi leur ignorance des réalités profondes. Qu’ils se raillent ! J’ai cette foi. Je la vois bafouée ou persécutée en Europe ; et, dans mon propre pays, nous sommes une poignée… (Sommes-nous même une poignée ?…) Mais quand je serais seul à croire, que m’importe ? Le propre de la foi est — loin de nier l’hostilité du monde — de la voir et de croire, — contre elle : c’est encore mieux ! Car la foi est un combat. Et notre Non-violence est le plus rude combat. Le chemin de la paix n’est pas celui de la faiblesse. Nous sommes moins ennemis de la violence que de la faiblesse. Rien ne vaut sans la force : ni le mal ni le bien. Et mieux vaut le mal entier que le bien émasculé. Le pacifisme geignant est mortel à la paix : il est une lâcheté et un manque de foi. Que ceux qui ne croient pas, ou qui craignent, se retirent ! Le chemin de la paix est le sacrifice de soi.
C’est la leçon de Gandhi[155]. Il ne lui manque que la Croix. Chacun sait que, sans les Juifs, Rome l’eût refusée au Christ. Et le British Empire vaut l’Empire Romain. Mais l’élan est donné. L’âme des peuples d’Orient en a été remuée jusqu’en ses profondeurs ; et ses vibrations s’étendent à toute la terre.
[155] Et c’est aussi l’exemple des Conscientious Objectors qui d’Angleterre, essaiment dans tous les pays d’Europe.
Les grandes apparitions religieuses en Orient ont un rythme. De deux choses l’une, ou celle de Gandhi vaincra, ou elle se répétera, — comme se sont répétés, des siècles à l’avance, le Messie et Buddha, — jusqu’à l’incarnation complète en un demi-dieu mortel, du principe de Vie qui mènera vers la nouvelle étape l’humanité nouvelle.
Février 1923.
FIN