Mémoires de Céleste Mogador, Volume 1
A peine arrivés à Lyon, il fallut que ma mère s'occupât de trouver un logement. Nous demandâmes la place des Célestins, où demeurait le maître à qui ma mère était adressée. Notre intention était de nous loger tout près de là. Nous trouvâmes, dans une maison voisine, une petite chambre bien modeste. La femme qui nous sous-loua cette chambre nous parut revêche et malveillante.
Je vous ai déjà dit, je crois, que ma mère avait pris un passe-port sous le nom de son amie Henriette. Le passe-port portait donc un nom de demoiselle. En m'entendant l'appeler maman, on la regardait de travers.
Notre hôtesse était une femme d'environ cinquante ans, maigre, petite; sa figure n'avait rien de méchant, mais elle avait la voix si aigre et la parole si sèche, qu'elle me faisait presque peur. Je ne passais jamais devant sa porte sans marcher sur la pointe des pieds.
Il y avait deux jours que nous étions à Lyon. Maman était allée chez son maître, qui l'avait très-bien reçue; mais elle n'avait pas osé lui dire qu'elle avait une fille. J'étais donc destinée à rester enfermée toute la journée.
La perspective d'être seule pendant des jours entiers me semblait affreuse. Je commençais à regretter mon beau-père et les coups qu'il me donnait. Si notre propriétaire avait eu l'air un peu plus gracieux, je me serais insinuée chez elle; mais elle avait la figure gaie comme une porte de prison, et elle n'aimait au monde qu'un gros chat gris.
Ma mère voyait ma peine, et, pour me consoler, elle me faisait mille promesses, pour le dimanche. Tout cela ne servait qu'à faire couler mes larmes de plus belle. Ma mère se mettait alors à pleurer de son côté. C'était sa force contre moi. Je devins raisonnable: je promis d'être bien sage et d'ourler des mouchoirs. Il fallait que je fusse bien attendrie pour faire cette promesse, car j'avais horreur des travaux à l'aiguille.
Nous étions au vendredi. Ma mère ne devait entrer en fonctions que le lundi. Nous allâmes nous promener aux Brotteaux. Nous avions emporté notre déjeuner; nous étions assises à l'ombre d'un beau marronnier, et nous allions nous mettre à manger, quand je sentis quelque chose de froid et d'humide s'approcher de mon cou. J'eus tellement peur que je n'osai pas me retourner. Je regardai maman, qui se mit à rire si fort, que je me décidai à tourner la tête, et je vis un gros chien barbet, couleur marron et blanc. C'est, du moins, ce que nous reconnûmes depuis, car, ce jour-là, il était si crotté, qu'il était impossible de rien distinguer, à l'exception de ses yeux gris-clair, de son nez noir, de ses dents blanches et de sa gueule rose. C'était un pauvre honteux. Il s'était approché de nous, au moment où j'allais porter à ma bouche la tartine que j'avais à la main. Je lui donnai mon pain. En quatre ou cinq coups de dents, il eut bientôt mangé plus que ma mère et moi.
Le repas achevé, nous fîmes une partie de course. Au bout d'une heure, nous étions si bien ensemble qu'il ne voulait plus me quitter, et que je le trouvais superbe. Nous revînmes à la maison; il me suivit jusqu'à la porte. J'avais bien envie de demander à maman la permission de le garder; mais un gros chien mange beaucoup, et nous avions bien juste pour nous.
Le moment suprême était arrivé: maman avait la main sur le marteau de la porte. Je pris mon courage à deux mains:
—Ma petite mère, voilà que nous rentrons, mais le pauvre chien est bien loin pour retrouver sa maison; si tu voulais, je le garderais jusqu'à dimanche; je ne m'ennuierais pas, et nous le reconduirions où nous l'avons trouvé.
—Tu es folle, ma fille; tu veux nous faire renvoyer. Ne te rappelles-tu pas que la propriétaire a hésité à me louer, parce que j'avais un enfant. Si maintenant je lui amène un chien, elle va faire de beaux cris.
Je sentais la justesse de ces raisons. Je ne pouvais pas promettre de cacher mon ami; il était de la taille d'un gros caniche. La porte s'ouvrit: mon barbet entra avec moi. Je lui disais bien: Va-t'en, va-t'en; mais il remuait la queue et ne bougeait pas. Je roulais dans mes yeux de grosses larmes, prêtes à tomber. Maman n'y tint pas; elle me prit la main, et baptisant mon chien en signe d'adoption:
—Viens, Mouton, dit-elle; tu tiendras compagnie à Céleste.
Nous nous enfermâmes tous les trois dans notre chambre. Le reste de la journée se passa à faire la toilette de Mouton. Lorsqu'il fut bien lavé, bien peigné, je m'aperçus, avec des transports croissants, qu'il était loin d'être laid. Je n'avais plus peur d'être seule.
Quand ma mère eut travaillé quelque temps, comme elle entendait à merveille le commerce, qu'elle avait beaucoup de goût, ses maîtres devinrent très-bons pour elle. Elle raconta sa position et révéla mon existence. On lui fit des reproches de ne pas m'avoir amenée avec elle; la dame voulait venir me chercher tout de suite.
—N'y allez pas, lui dit maman; elle a un chien qu'elle ne voudrait pas quitter, c'est une passion dont vous ne pouvez vous faire l'idée.
La dame s'obstina à venir me chercher malgré mon chien, et à m'emmener avec mon chien.
Je fis une entrée superbe, en compagnie de Mouton. J'étais si assotée de ce chien que je ne pouvais parler d'autre chose. Quand on me disait: Tu es gentille, je répondais: Mouton se porte bien.—Es-tu bien sage?—Je répondais: Il n'est pas gourmand du tout.
Plusieurs mois se passèrent ainsi; nous étions bien heureuses. Nous recevions des lettres d'Henriette, qui nous disait ce qui se passait à Paris. Mon beau-père avait remué ciel et terre pour savoir où nous étions. Il avait été pleurer chez tous nos amis; mais on le connaissait bien et personne ne se laissait attendrir par ses grimaces.
Il courait, buvait, jouait. Au bout de six mois, il fut criblé de dettes, et n'aurait pas tardé à commettre quelque mauvaise action, qui l'aurait fait mettre en prison, sans une rencontre bien malheureuse qui lui révéla notre retraite et le mit sur notre trace.
Ma mère tenait le comptoir du chapelier chez qui elle travaillait.
Un jour, il vint un homme qui la reconnut pendait qu'elle le servait.
—Je ne me trompe pas, lui dit-il, vous êtes madame G... J'ai vu votre mari, il y a deux mois: c'est un bien méchant homme; il dit, à qui veut l'entendre, que vous vous êtes sauvée avec un amant; mais, soyez tranquille, ma femme l'a joliment remis à sa place.
—Gardez-vous, lui répondit ma mère, de dire que vous m'avez rencontrée.
L'homme fit les plus belles promesses de discrétion du monde. La première chose qu'il fit, en rentrant chez lui, fut d'écrire à sa femme: «Devine qui je viens de rencontrer à Lyon, chez un tel, chapelier, cette pauvre Mme G... avec sa fille.»
Peu de temps après, mon beau-père savait où nous étions. Comme il n'avait pas un sou, il se fit engager en qualité de chauffeur sur un bateau à vapeur qui faisait le service de Lyon. Je vous ai dit qu'il était ingénieur-mécanicien.
Ignorant la présence de G... à Lyon, nous vivions dans une complète sécurité. Le réveil fut affreux.
Un jour, ou plutôt un soir, car à quatre heures et demie, dans l'hiver, il fait nuit, je promenais mon chien. J'étais au milieu de la place, quand un homme me prit dans ses bras, et m'enleva de terre comme une plume.
J'allais crier; mais tout d'un coup les battements de mon cœur s'arrêtent, ma voix s'éteint dans ma gorge. Je venais de reconnaître mon beau-père.
Il ne me dit pas un mot; je ne pouvais revenir de ma surprise. Ce fut seulement quand je vis que nous nous éloignions de la maison que je lui dis: Où me conduisez-vous donc? ma mère demeure là.—Sois tranquille, elle viendra bien nous retrouver.
Je fis un effort pour m'arracher de ses bras et crier; mais il me serra si fort que mes os craquèrent et que ma voix mourut sur mes lèvres. Il m'étouffait.
—Écoute, me dit-il, ta mère est une misérable. Il y a bien longtemps que je la cherche; elle va me payer aujourd'hui tout le mal qu'elle m'a fait. Je sais bien qu'elle ne m'aime pas; toi, c'est autre chose, il faudra bien qu'elle te trouve, mais elle cherchera longtemps.
Je compris que j'étais perdue. Je jetai un dernier regard en arrière; chaque pas qui m'éloignait de ma mère me faisait mourir. J'allais fermer les yeux, quand je vis mon chien qui me suivait. Tout mon courage me revint, je n'étais plus seule. Je regardai. Mon chien avait l'air triste: on eût dit qu'il comprenait.
Nous passâmes dans plusieurs rues, puis devant un grand passage qui me fit peur. C'était la boucherie. Tous ces cadavres de bestiaux pendus aux portes, ce ruisseau qui coulait au milieu du passage, plein d'un sang noir et caillé, les quinquets fumeux qui projetaient à l'entrée une lueur sombre et terne; tout cela me faisait trembler de tous mes membres.
Nous étions arrêtés à l'entrée du passage. Déjà G... mettait son pied sur la première marche; par un mouvement plus fort que ma volonté, je lui passai mes deux bras autour du cou. Il n'y prit pas garde, le méchant homme, car s'il eût compris ma terreur, il m'eût fait entrer dans ce passage pour mieux me faire souffrir; mais, regardant à sa gauche, il traversa la rue et nous entrâmes dans une espèce de cul-de-sac; vers le milieu, il s'arrêta; je regardai la maison où il se disposait à entrer. Elle était haute, étroite; les fenêtres étaient fermées. Au rez-de-chaussée, il y avait une seule boutique dont les carreaux étaient blanchis. Cette maison ne ressemblait pas aux autres maisons. L'allée était noire. En entrant, mon corps se raidit et j'appelai mon chien. Mais en se retournant et voyant la pauvre bête sur ses pas, G... lui donna un coup de pied. Je sentis quelque chose de si douloureux à mon cœur, que je m'affaissai sur l'épaule de mon bourreau. Je ne vis plus rien; je n'entendis plus rien que les plaintes de mon chien qui s'éloignait en gémissant. Je ne sais si je m'étais évanouie, ou si la volonté de ne plus voir, de ne plus entendre, m'avait engourdie pendant quelques instants. Enfin j'entendis parler; c'était une voix de femme. J'ouvris les yeux et sautai à bas de la chaise sur laquelle on m'avait déposée. Je courus près de cette femme; je me serrai si près d'elle, qu'on eût dit que je voulais entrer dans son corps. Je vis les yeux de G... qui dardaient sur moi; je détournai la tête et n'osai dire un mot. Nous étions dans une salle qui me paraissait étrange. Cela ressemblait à un café, et cependant cela n'en était pas un. Il y avait là des chaises, des tables, un comptoir, des liqueurs, plusieurs femmes décolletées, à peine vêtues. Une de ces femmes était assise à côté de G... C'est près de celle-là que je m'étais réfugiée. Elle avait la voix rauque, l'air méchant. Deux autres femmes étaient à une table avec deux hommes; au milieu de ce groupe montait une flamme bleue et rouge qui me fascinait et donnait un air diabolique aux personnages qui l'entouraient. Deux autres femmes jouaient aux cartes. J'en vis une autre encore, qui, derrière moi, travaillait à une petite robe d'enfant. Elle avait l'air plus jeune que ses compagnes; elle était plus décente dans sa mise. Elle avait quitté son ouvrage et me regardait. Je la vis bien en face. Ses yeux était bons; sa figure, quoique laide, avait quelque chose de doux qui m'attirait vers elle.
Avec l'instinct de la peur, qui cherche à fuir, j'examinai cette singulière boutique où j'étais prisonnière, les carreaux dépolis ne me permettaient pas de voir au-dehors; la porte sur la rue était condamnée.
Je fis un mouvement de surprise. La femme près de laquelle j'étais placée se préparait à boire un verre de liqueur jaune clair, qui se renversa en partie sur elle.
—Le diable emporte l'imbécile! s'écria-t-elle; voilà ma robe tachée.
Et elle me poussa si brutalement que j'allai rouler à quelques pas. Je restai stupéfaite, n'osant même plus lever les yeux.
Au bout d'un instant, je sentis quelqu'un qui me tirait doucement par la manche. C'était la femme qui travaillait. Je pris la main qu'elle me tendait et je la serrai de toutes mes forces; elle me prit sur ses genoux. Mon cœur se détendit un peu.
Les deux femmes qui étaient à table avec des hommes dirent à celle qui était près de G...—Eh! la Louise, veux-tu du punch?
—Non, répondit celle qu'on appelait ainsi, c'est bon pour des enfants votre mélasse; j'aime mieux l'eau-de-vie naturelle.
Elle acheva de boire le verre qui avait été la cause de ma disgrâce. Puis s'adressant à G..., elle reprit la conversation interrompue.
—Tu dis donc que ce moucheron d'enfant t'appartient? Tu aurais bien dû la laisser chez toi, car les règlements sont très-durs.
G... garda le silence. Il vida lentement son verre, et ayant, sans doute, combiné ce qu'il voulait dire, il commença ainsi:
—Je me suis marié il y a huit ans: j'aimais ma femme; elle m'a trompé; c'est une misérable. Elle m'a fait tant d'infamies que je me suis séparé d'elle; mais les lois sont injustes: elles laissent les filles à la mère. Ma femme a obtenu de garder sa fille. Ma femme vit ici, à Lyon, avec son amant. Je suis venu de Paris pour lui voler mon enfant; mon intention est de repartir demain. Mais j'avais peur que l'on me cherchât cette nuit; j'ai pensé que je ne serais pas découvert ici: il faut donc que vous nous gardiez tous les deux.
Je poussai un long soupir; je n'osais rien dire à la femme qui me tenait dans ses bras, mais je la regardai; elle me comprit, me serra doucement et me fit signe de me taire.
La Louise répondit à G... qu'elle comprenait sa conduite; que pourtant je n'avais pas l'air de l'adorer, et qu'il aurait mieux fait de me laisser.
—C'est vrai, dit G..., que l'enfant ne m'aime guère; mais cela viendra plus tard. On lui a dit que je n'étais pas son père; on l'a élevée à me haïr. Elle m'aimera quand elle sera plus raisonnable, et qu'elle comprendra que je l'ai sauvée de l'inconduite et du mauvais exemple de sa mère.
Je sentis comme un mouvement nerveux, que ne put réprimer la femme qui me tenait. Je la regardai; elle me fit encore signe de me taire.
—Ah! continua G..., si elle pouvait se sauver, elle ne manquerait pas de le faire; aussi je ne la perdrai pas de vue.
—Comme cela te plaira, reprit la Louise, mais je ne veux pas qu'elle reste près de moi.
Ma protectrice prit alors la parole du ton le plus naturel:
—Je la garderai, si tu veux. Il est tard maintenant; il est presque sûr que je serai seule; j'en aurai bien soin; je sais ce que c'est que les enfants.
Cette proposition eut l'air de sourire à la Louise.
—Cela te va-t-il? dit-elle à G...
—Oui, pourvu qu'elle ne la laisse pas sortir.
—Sois tranquille. Elle a une fille qu'elle élève joliment, va! Allons, ma petite, dit-elle, en se tournant vers moi, tu vas rester avec Marguerite; ton père viendra te chercher demain.
Je me reculai. J'avais peur d'être touchée ou embrassée par cette créature.
Dès que la porte fut fermée, je dis à Marguerite:
—Ah! madame, vous allez me conduire près de maman, n'est-ce pas?
A ce moment, un grand bruit se fit entendre dans le coin où étaient les quatre personnes dont j'ai parlé plus haut. On se disait des injures; on était au moment de se battre. Marguerite m'emporta dans une chambre voisine et me dit:
—Maintenant, parle, mais parle bas, car ton père est à côté de nous; il n'y a qu'une cloison qui nous sépare.
Je lui racontai mon histoire de mon mieux. Je lui dis que je venais d'être enlevée, que ma mère devait être morte d'inquiétude. Je joignis mes mains, et je la suppliai d'aller prévenir maman.
Elle me coucha dans son lit, ferma sa porte à double tour et sortit.
Quand elle fut partie, je m'endormis. J'étais pourtant bien malheureuse, j'avais pourtant bien peur; mais la fatigue et la faim l'emportèrent sur mon désespoir. La faim! comme tous les enfants malheureux, j'avais formé le projet de me laisser mourir de faim, et j'avais obstinément refusé toute nourriture.
Mon sommeil était plutôt de la défaillance que du sommeil. Je n'entendis pas rentrer Marguerite. Elle dormait près de moi, quand je m'éveillai. Tout me revint en mémoire, et je lui demandai des nouvelles de ma mère.
—Je l'ai vue, me dit-elle: elle a l'air d'une bien honnête femme. Je lui ai dit où tu étais. Elle va venir, comme si quelqu'un du dehors l'avait avertie, car cet homme pourrait me battre, s'il savait que c'est moi qui suis allée la prévenir.
Nous entendîmes parler très-haut dans la salle du bas. Je jetai un grand cri; je venais de reconnaître la voix de ma mère.
Je m'élançai vers la porte. Marguerite me retint et frappant à la cloison:
—Est-ce que vous n'entendez pas le tapage qui se fait en bas? C'est une femme qui demande un enfant; cela pourrait bien vous regarder. Venez chercher votre fille.
Ainsi que Marguerite l'avait bien deviné, on ne répondit pas tout de suite de la chambre voisine. Elle me poussa dans l'escalier, attendit quelques secondes, de manière à me donner de l'avance, et s'écria bien haut, pour être entendue de tout le monde.
—Ah! bien, pendant que je vous parlais, la petite vient de se sauver.
La pauvre fille cherchait ainsi à concilier le succès de ma fuite avec la peur que lui causait la colère de G...
Je n'étais pas encore en bas que j'entendis la porte s'ouvrir et G... s'élancer à ma poursuite. Mais, avant qu'il pût m'atteindre, j'étais près de ma mère, je la serrais dans mes bras, je buvais ses larmes.
G... se rua sur nous; mais toutes les femmes nous firent un rempart de leurs corps. Ma mère leur avait en peu de mots expliqué sa position. Sa vue seule avait dissipé les effets des mensonges de G... La vérité a une force qui éclate d'elle-même.
En voyant ces femmes disposées à nous défendre, G... sentit augmenter sa fureur.
—Je vais les tuer toutes deux! s'écria-t-il exaspéré.
—J'ai donc bien fait d'envoyer chercher la garde? dit Marguerite, qui était entrée la dernière.
Ce mot produisit son effet. G... s'arrêta, les poings crispés, la bouche écumante; mais il s'arrêta.
Marguerite, qui avait montré pour moi, depuis la veille, autant de présence d'esprit que de bonté, ne le perdait pas de vue. Elle profita de ce moment d'hésitation, et nous fit sortir par une porte qui donnait sur la cour.
G... nous crut dans une autre salle; toutes les femmes l'entouraient, l'engageant à ne pas bouger, afin qu'on pût renvoyer la garde. Voyant qu'elle n'arrivait pas, il se rassura un peu; croyant qu'il aurait le temps de nous emmener, il se dirigea du côté où nous étions sorties.
—Est-ce que c'est cette pauvre femme que vous cherchez encore? lui dit Marguerite en lui montrant que la porte donnait sur la cour, et la cour sur la rue, vous ne la trouverez plus; elle est partie avec son enfant, entendez-vous? avec son enfant qui n'est pas le vôtre. Vous, vous n'êtes qu'un misérable! Sortez d'ici.
Toutes les femmes se mirent après lui. G... fut obligé de quitter la place.
—Oh! je les retrouverai, vociférait-il en s'éloignant; elles payeront pour tout ce que vous m'avez dit et pour tout ce que vous m'avez fait.
Il était temps qu'il se sauvât. La fureur de ces femmes était portée à son comble, et elles l'auraient cruellement battu.
Leur bon cœur m'avait sauvée d'un grand danger.