Pages d'Islam
MÉRIÉMA
Mériéma était venue planter sa tente noire à larges raies rouges dans le camp des « Amouriat », filles de sa tribu, aux pieds des hautes murailles fauves d’Oudarh’ir[12].
[12] Un des sept ksours de l’agglomération de Figuig.
Elle avait seize ans. Grande, mince sous sa mlahfa bleu sombre, sa chair ambrée était encore souple et ferme. Son visage, encadré de nattes brunes, était obscur et beau. L’arc des sourcils magnifiait l’éclat des grands yeux roux, aux paupières teintes et, dans l’immobilité grave des traits, le sourire enfantin des lèvres sensuelles s’entr’ouvrait sur des dents larges et nacrées. Des cercles d’or étaient passés dans les lobes délicats de ses oreilles et, à ses poignets frêles, de larges anneaux d’argent brillaient d’un éclat terne, rehaussé par les larmes de sang des incrustations de corail.
Sous sa tente, il y avait un vieux coffre vert, à lourdes ferrures frustes, d’humbles ustensiles de ménage nomade et le lit — un grand tapis d’Aflou plié et quelques vieux coussins en laine.
Dans la grande pouillerie sauvage de ce quartier des prostituées de Figuig, Mériéma l’« Amouria » était l’unique, enviée de toutes.
De ses mains lentes, elle vaquait chaque jour aux soins de sa tente, puis, longuement, elle se parait, drapant ses loques de pauvresse sur son corps de reine.
Sous l’ombre bleuâtre de la tente. Mériéma s’asseyait, les jambes croisées, les mains abandonnées sur ses genoux.
Et, pendant des heures, elle attendait ainsi.
En face d’elle, un champ nu et poudreux, fauve, s’étendait jusqu’aux murs ocreux de la palmeraie humide de Zenaga. Là-bas, sous les dattiers sveltes, c’étaient les séguias murmurantes, les étangs obscurs où se reflétaient les troncs torses, les grandes frondaisons bleuâtres, et les régimes d’or, superbe fécondité de la terre âpre, la poussière blonde qui reparaissait, plus près, brûlée par le soleil dévorateur.
Et les chameaux lents passaient…