Relation des choses de Yucatan de Diego de Landa: Texte espagnol et traduction française en regard, comprenant les signes du calendrier et de l'alphabet hiéroglyphique de la langue maya; accompagné de documents divers histori
NOTES
[1] Il serait difficile de décider la question de savoir si le chiffre 13 était sacré avant l’invention des combinaisons du calendrier, ou si ce furent ces combinaisons qui y donnèrent lieu. On sait, du reste, par le Manuscrit Cakchiquel, que le nombre treize est celui des premiers hommes qui furent créés sous le nom de Chay-Abah, pour la défense de Tullan, c’est-à-dire des treize premiers chefs de la noblesse guerrière, destinée à soutenir les dieux et le sacerdoce. (Voir la note au chapitre précédent de Lizana.) «La cause de cette prédilection, d’après Signenza, c’est que ce chiffre était le nombre des grands dieux.» (Clavigero, Hist. antig. de Mexico, tom. II, lib. VI.)
[2] De chumuc, moitié, milieu, et kin, soleil, jour, exactement midi.
[3] Gama remarque, à propos du calendrier mexicain, que, outre ces subdivisions, le jour civil se divisait encore en seize parties diverses, chacune ayant son nom particulier, huit pour le jour et huit pour la nuit. Elles commençaient au lever du soleil comme chez la plupart des peuples de l’Asie. Les quatre premières, de ce moment à midi, étaient signalées par un gnomon, sur le cadran solaire, et les quatre suivantes par un autre gnomon finissaient au soir. Ces heures étaient surtout à l’usage des prêtres. Les heures de la nuit se réglaient sur les étoiles; mais, en outre, les prêtres chargés de veiller au sommet des temples, annonçaient, par le bruit d’un instrument, les heures des sacrifices qui se répétaient plusieurs fois durant la nuit.
[4] Ce partage de cinq en cinq réglait aussi l’ordre des marchés, qui avaient lieu tous les cinq jours et qu’on appelait tianquix ou tianquixtli, en langue mexicaine, et kinic en maya.
[5] Kan veut dire aussi jaune; le mot corde se rendrait plutôt par Káan, suivant Ruz. Kan aurait pu avoir été écrit autrefois Can, et alors il s’agirait du serpent qui se présente si fréquemment dans les mythes et symboles de ces contrées.
[6] L’auteur du calendrier n’observe pas ici l’orthographe de son pays; au lieu de qimi ou quimi, il faudait cimi, le c maya, ainsi que nous l’avons dit plus haut, étant également dur devant toutes les voyelles.
[7] Chuen me paraît être une corruption de Chouen, appelé Hun-Choven dans le Livre sacré, le frère de Batz ou Hunbatz, qui occupe dans le calendrier quiché la même place que Chuen dans le yucatèque; comme on sait, l’un et l’autre furent changés en singes par leurs frères, qui les avaient fait monter au haut d’un arbre, le même probablement dont il est fait mention ici sous le nom de Chuen-ché ou arbre de Chuen.
[8] Au dire de Nuñez de la Vega, les vingt noms des jours du calendrier seraient ceux de vingt personnages, ancêtres de la race de ces contrées, et Been serait un prince qui aurait laissé son nom écrit sur le monolithe, appelé la Piedra parada (la pierre debout) de Comitan. Cette ville se trouve sur le chemin de Ciudad-Real de Chiapas à la frontière guatémalienne, et l’on voit dans ses environs des ruines considérables.
[9] Hix, se trouve avec l’orthographe iiz ou itz dans le calendrier quiché où il signifie le sorcier et la sorcellerie.
[10] L’orthographe de ce nom doit être Eznab ou Eɔanab.
[11] Ymix, écrit Imox dans le calendrier quiché et celui de Chiapas, est représenté sous l’image d’un monstre marin d’une forme particulière; c’est le Cipactli du calendrier mexicain, donné par Nuñez de la Vega, comme le premier père de la race de ces contrées. (Constitut. Diœces. del obispado de Chiappas, in præamb. § XXX.)
[12] Ik est le souffle ou le vent, un des symboles de Kukulcan ou Quetzalcohuatl.
[13] Akbal, mot vieilli qu’on retrouve dans la langue quichée avec le sens de marmite, vase, peut-être le même que le mot con ou comitl du mexicain, le vase mystérieux, faisant allusion au sexe de la femme, et qui joue un si grand rôle dans les mythes primitifs de l’Amérique.
[14] Uinal, signifiant un ensemble de vingt jours, paraît avoir la même origine que uinic, homme, vinak en langue quichée où ce mot a aussi le sens de vingt, parce qu’on était homme à vingt ans. Sa racine vin dans le quiché signifie acquérir, gagner, augmenter, croître, et vinak est un ancien participe qui dit, arrivé à sa croissance, d’où le mot homme. Ce mot a de l’analogie avec viginti, vingt, et win, en anglais acquérir, gagner.
[15] Afin de reconnaître quel est le chiffre correspondant avec le premier, il n’y a qu’à chercher le chiffre de la semaine avec lequel commence l’année et à ajouter successivement sept; mais, en faisant soustraction de treize, chaque fois que la somme de cette addition excède treize, ce qui donna les séries suivantes pour le premier jour de chacun des dix-huit mois 1, 8, 2 (15-13), 6, 3 (16-13), 10, 4, 11, 5, 12, 6, 13, 7, 1, 8, 2, 9, 3; en supposant, bien entendu, que le premier jour de l’année soit le premier de la semaine, et, généralement, en prenant pour premier chiffre des séries le chiffre de la semaine par laquelle l’année commence. (Stephens, Incidents of travel in Yucatan, vol. I, appendix, p. 436.)
[16] Zip paraît aussi signifier faute, erreur.
[17] Zeec, d’après Ruz, aurait le sens de discours, discourir.
[18] ɔe-yaxkin, ces deux mots ainsi réunis, dit l’auteur, ne signifient rien; cependant ɔe pourrait venir de ɔec, fondation, principe, d’autant plus que yaxkin ou yax-kin, soleil, verd nouveau, signifie l’été, ce qui reviendrait à dire le commencement de l’été; ce qui est d’autant plus exact que c’est le commencement de la saison sèche, appelée l’été dans ces contrées.
[19] Peut-être aussi parce que la campagne, à cette époque, de verte est devenue stérile, l’herbe jaunie et desséchée par les ardeurs du soleil.
[20] En examinant avec attention le signe qui représente le mois moan, on trouve que la partie principale est une tête d’oiseau, laquelle dans le manuscrit mexicain (dialecte maya) de la Bibliothèque impériale paraît être une tête d’ara; or l’ara se dit en maya mó ou móo.
[21] Páx ou páax signifie aussi rompre, briser.
[22] Ce nom s’applique parfaitement à un mois où les orages sont fréquents et où la foudre gronde avec tant de fracas; l’orage, l’ouragan étaient personnifiés dans les mythes antiques de ces contrées, c’étaient comme des manifestations de la divinité.
[23] Ce nom ferait-il allusion au temps dit de la nuit et des ténèbres qui précéda la civilisation nahuatl, dont il est si souvent question dans les traditions antiques?
[24] Ces jours s’appelaient aussi u tuz kin, u lobol kin, ce qui signifie jours mensongers, jours mauvais. (Cogolludo, Hist. de Yucatan, lib. IV, cap. 5.)
[25] Voir Landa, §.
Le Codex mexicain Letellier de la Bibliothèque impériale, que j’ai en ce moment sous les yeux, paraît destiné à résoudre cette question, si controversée depuis la conquête du Mexique. Les sept premiers folios de ce document, étant la suite d’un calendrier incomplet, représentent les douze derniers mois mexicains, terminant ici avec le mois de février, en sorte que, suivant l’auteur anonyme du Codex, le 6 mars serait le premier jour de l’année, laissant les cinq premiers jours de ce mois pour épagomènes, comme ils sont marqués ici. Or, l’année en laquelle écrivait l’anonyme était précisément une année bissextile; car il fait commencer les jours supplémentaires à un 29 février. «A XXIX de febrero, dit-il, los V dias muertos que no avia sacrificios.» Mais ce qui jette le plus de jour ici sur cette question, c’est que les jours supplémentaires sont désignés par des signes de couleur rouge et blanche, dans un quadrilatère au fond noir, lequel est surmonté d’un sixième signe semblable, en dehors du quadrilatère, et qui ne peut être que le jour restant, le 29 février, qui a tant embarrassé les savants, lequel est ajouté ici aux intercalaires, comme l’avait pensé Veytia. Ainsi qu’on peut le voir à la gravure ci-jointe, et que nous reproduisons d’après le Codex Letellier, le jour bissextile se représentait par un signe semblable aux supplémentaires; mais comme on ne pouvait le compter parmi ceux-ci d’une manière absolue, afin de ne pas déranger l’harmonie des jours et des années, on le plaçait en dehors du cadre; il avait ainsi sa place dans l’ordre chronologique et il s’écoulait avec les supplémentaires, sans qu’on lui donnât probablement aucune autre désignation. Il est à croire que les Mayas avaient quelque chose d’analogue.
[27] L’auteur de ce petit ouvrage donne d’excellentes raisons pour démontrer que l’Ahau-Katun était formé de périodes de 24 ans; mais en citant les manuscrits qui tous le déclarent, il n’en nomme aucun, et un peu plus loin il dit que ces manuscrits sont en petit nombre et incomplets, et qu’ils ne disent rien de l’origine de ce cycle. Notre auteur a-t-il bien compris ces manuscrits? Ajoutons que Landa et Cogolludo, sans compter même les faits consignés dans l’abrégé d’histoire chronologique, en langue maya, que Pio Perez invoque, paraissent prouver tout à fait le contraire. Voir ce que dit Landa § XLI, p. 315. Voici ce que dit Cogolludo: «Ils comptaient leurs ères et âges qu’ils mettaient dans leurs livres de 20 en 20 ans et par lustres de 4 en 4. Ils fixaient la première année à l’orient, lui donnant le nom de Cuch-haab, le second au couchant et l’appelaient Hiix, le troisième au sud, nommé Cauac, et le quatrième Muluc au nord. Ces lustres arrivant à cinq, faisaient vingt ans, ce qu’ils appelaient un Katun, et ils plaçaient une pierre sculptée sur une autre pierre également sculptée, fixée avec de la chaux et du sable dans les murs des temples, etc.» (Hist. de Yucatan, lib. IV, cap. 5.)
[28] Il est certain qu’à prendre ces chiffres pour guides, les périodes en question devraient être de 24 ans; mais ces chiffres, tout en s’accordant avec les séries de 24 en 24 ans, peuvent avoir une origine différente de celle que s’imagine l’auteur et faire partie d’une combinaison distincte, tout en servant à indiquer les Ahau-Katun. Ces calculs de l’auteur, comme on le voit, laissent beaucoup à désirer.
[29] L’auteur oublie complétement ment de nous dire quels sont ces manuscrits, et quant à ceux de don Cosme de Burgos qui vieudraient à l’appui de son système, s’ils sont perdus, comment les a-t-il pu connaître?
[30] Il est fort à regretter que tout cela ne soit pas mieux prouvé; car des faits rapportés par le manuscrit chronologique cité à l’appui de ces assertions, on est forcé de conclure, au contraire, que l’auteur anonyme de ce document donne à chaque période ou katun un nombre de vingt ans et non de vingt-quatre, ce que fait également Landa.
[31] Rien ne nous assure que ces périodes soient les périodes historiques; s’il y a eu des périodes de 24 en 24 ans, la citation actuelle donnerait plutôt à croire que ces chiffres s’appliquent à des périodes sacrées, non historiques ni civiles.
[32] C’est ici surtout que l’auteur se montre en contradiction avec lui-même. Le manuscrit chronologique auquel il réfère, donné par lui à M. Stephens et inséré dans le tome second de l’ouvrage Incidents of travel in Yucatan, porte, dans la traduction comme dans le texte maya, la date de 1536, et non de 1488. Or, nous avons dans Landa que le 13 Ahau, auquel cette année correspond, terminait précisément au 15 juillet 1541, le 11 Ahau, qui est le suivant, commençant avec le 16 juillet de la même année, pour finir, d’après cet écrivain, au 15 juillet 1561, juste vingt ans après. Ceci, non moins que les contradictions où tombe Pio Perez, dans la note explicative donnée par lui à la suite du manuscrit maya, dans laquelle il fait arriver les Espagnols au Yucatan avant l’année 1488, achève de discréditer son opinion au sujet de l’Ahau-Katun. Nous n’avons, néanmoins, pas voulu omettre l’article qu’il consacre à la période de 24 ans, son erreur même pouvant être utile plus tard pour découvrir l’origine des chiffres de 24 en 24 qui y ont donné lieu.
[33] Il semble que l’auteur dans ces dernières lignes prenne lui-même à tâche de détruire tout son système des katuns de 24 ans, bâti, sans aucun doute, sur les chiffres cités plus haut de 24 en 24, mais qui probablement s’expliqueront plus tard d’une autre manière.
[34] Ces pages de don Juan Pio Perez sont traduites, mais avec quelques variantes, dans l’ouvrage de Stephens, Incidents of travel in Yucatan, vol. Iᵉʳ, appendix.
[35] Tel qu’il est ici, l’opuscule fut rédigé pour une revue, publiée au Yucatan, sous le titre de Registro Yucateco.
LELO
LAI
U TZOLAN KATUNIL TI MAYAB.
SÉRIE
DES
ÉPOQUES DE L’HISTOIRE MAYA.
| Ahau. | An de l’ère chrétienne. |
|---|---|
| VIII | 401 |
| VI | 421 |
| IV | 441 |
| II | 461 |
Lai u tzolan katun lukci ti cab ti yotoch Nonoual cánte anilo Tutul Xiu ti chikin Zuiná, u luumil u talelob Tulapan chiconahthan.
C’est ici la série des époques écoulées depuis que s’enfuirent les quatre Tutul Xiu de la maison de Nonoual[1], étant à l’ouest de Zuinà, et vinrent de la terre de Tulapan[2].
| XIII | 481 |
| XI | 501 |
| IX | 521 |
| VII | 541 |
| V | 561 |
| III | 581 |
| I | 601 |
| XII | 621 |
| X | 641 |
| VIII | 661 |
Cánte bin ti katun lic u ximbalob ca uliob uaye yetel Holon-Chan-Tepeuh yetel u cuchulob: ca hokiob ti petene Uaxac Ahau bin yen cuchi, Uac Ahau, Can Ahau, Cabil Ahau, can-kal haab ca-tac hunppel haab. Tumen hun piztun Oxlahun Ahau cuchie ca uliob uay ti petene, can-kal haab ca-tac hunppel haab tu pakteil yete cu xinbalob lukci tu luumilob ca talob uay ti petene Chacnouitan lae.
Quatre époques s’écoulèrent depuis qu’ils se mirent en marche avant d’arriver par ici avec Holon-Chan-Tepeuh[3] et ses compagnons: avant d’atteindre cette péninsule[4], le Huit Ahau s’était passé, le Six Ahau, le Quatre Ahau, le Deux Ahau, quatre-vingt et un ans[5]. Car le premier point de la pierre du Treize Ahau[6] s’écoula avant qu’ils arrivassent à cette péninsule, quatre-vingt et un ans qu’ils tardèrent dans leur marche, depuis le départ de leur terre jusqu’à cette péninsule de Chacnouitan (an 482).
| VI | 681 |
Uaxac Ahau, Uac Ahau, Cabil Ahau.
Huit Ahau, Six Ahau[7], Deux Ahau.
| IV | 701 |
| II | 721 |
| XIII | 741 |
| XI | 761 |
| IX | 781 |
Kuchci Chacnouitan Ahmekat Tutul Xiu; hunppel haab minan ti ho-kal haab cuchi yanob Chacnouitan lae. Laitun uchci u chicpahal tzucuble Ziyan-Caan, lae Bakhalal.
Ahmekat Tutul Xin arrive en Chacnouitan[8]; un an manquait aux cent ans[9] qu’ils avaient été en Chacnouitan (c’est-à-dire à l’an 581). En ce temps-là eut lieu la conquête de la province de Ziyan-Caan, qui est celle de Bakhalal[10].
| VII | 801 |
| V | 821 |
| III | 841 |
| I | 861 |
| XII | 881 |
Can Ahau, Cabil Ahau, Oxlahun Ahau, ox-kal haab cu tepalob Ziyan-Caan, ca emob uay lae. Lai u haabil cu tepalob Bakhalal, chuulte laitun chicpahi Chichen-Ytza lae.
Quatre Ahau[11], Deux Ahau, Treize Ahau, soixante ans qu’ils gouvernèrent en Ziyan-Caan, depuis qu’ils y étaient descendus (de l’an 701 à l’an 761). C’est en ces années, durant lesquelles ils gouvernèrent à Bakhalal, que l’on marque le temps de la conquête de Chichen-Ytza[12].
| X | 901 |
| VIII | 921 |
Buluc Ahau, Bolon Ahau, Uuc Ahau, Ho Ahau, Ox Ahau, Hun Ahau.
Onze Ahau, Neuf Ahau, Sept Ahau, Cinq Ahau, Trois Ahau, Un Ahau[13].
| VI | 941 |
| IV | 961 |
| II | 981 |
| XIII | 1001 |
| XI | 1021 |
| IX | 1041 |
Uac-kal haab cu tepalob Chichen-Ytza, ca paxi Chichen-Ytza, ca binob cahtal Chanputun ti yanhi u yoto-chob Ah-Ytzaob, kuyen uincob lae. Uac Ahau chucuc u luumil Chanputun.
Depuis six vingt ans ils dominaient à Chichen-Ytza, lorsque Chichen-Ytza fut ruiné (de l’an 761 à l’an 881). Alors ils allèrent à Chanputun[14], où les Ytzas, hommes saints (sacrificateurs?), avaient eu des demeures[15]. Au Six Ahau, ils prennent possession du territoire de Champoton (de l’an 941 à l’an 961)[16].
| VII | 1061 |
| V | 1081 |
| III | 1101 |
| I | 1121 |
| XII | 1141 |
| X | 1161 |
| VIII | 1181 |
| VI | 1201 |
| IV | 1221 |
| II | 1241 |
| XIII | 1261 |
| XI | 1281 |
Can Ahau, Cabil Ahau, Oxlahun Ahau, Buluc Ahau, Bolon Ahau, Uuc Ahau, Ho Ahau, Ox Ahau, Hun Ahau, Lahca Ahau, Lahun Ahau. Uaxac Ahau, paxci Chanputun; ox’ahun-kal haab cu tepalob tumenel Ytza uincob, ca talob u tzacle u yotochob tu caten, laixtun u katunil binciob Ah-Ytzaob yalan che, yalan aban, yalan ak ti numyaob lae. Uac Ahau, Can Ahau, ca-kal haab ca talob u heɔob yotoch tu caten ca tu zatahob Chakanputun.
Quatre Ahau, Deux Ahau, Treize Ahau, Onze Ahau, Neuf Ahau, Sept Ahau, Cinq Ahau, Trois Ahau, Un Ahau, Douze Ahau, Dix Ahau. Au Huit Ahau, Chanputun fut ruiné[17], deux cent soixante ans depuis que les hommes d’Ytza régnaient à Chanputun (de l’an 681 à l’an 941), après quoi ils sortirent de nouveau à chercher des demeures, et alors, durant plusieurs époques, les Ytzas errèrent, couchant dans les bois, entre les rochers et les herbes sauvages, souffrant de grandes privations[18]. Six Ahau, Quatre Ahau, soit quarante ans (de l’an 941 à l’an 981), après quoi ils eurent de nouveau des demeures fixes, depuis qu’ils avaient perdu Chanputun[19].
| IX | 1301 |
| VII | 1321 |
| V | 1341 |
| III | 1361 |
| I | 1381 |
| XII | 1401 |
| X | 1421 |
Lai u katunil Cabil Ahau u heɔci cab Ahcuitok Tutul Xiu Uxmal. Cabil Ahau, Oxlahun Ahau, Buluc Ahau, Bolon Ahau, Uuc Ahau, Ho Ahau, Ox Ahau, Hun Ahau, Lahca Ahau, Lahun Ahau, lahun-kal haab cu tepalob yetel u halach uinicil Chichen-Ytza yetel Mayalpan.
C’est à l’époque Deux Ahau, qu’Ahcuitok Tutul-Xiu s’affermit à Uxmal (de l’an 981 à l’an 1001). Deux Ahau, Treize Ahau, Onze Ahau, Neuf Ahau, Sept Ahau, Cinq Ahau, Trois Ahau, Un Ahau, Douze Ahau, Dix Ahau; deux cents ans qu’ils régnèrent avec les puissants seigneurs de Chichen-Ytza et de Mayapan (de l’an 981 à l’an 1181)[20].
| VIII | 1441 |
| VI | 1461 |
| IV | 1481 |
| II | 1501 |
| XIII | 1521 |
| XI | 1541 |
| IX | 1561 |
Lai u katunil Buluc Ahau, Bolon Ahau, Uuc Ahau. Uaxac Ahau, paxci u halach uinicil Chichen-Ytza, tumenel u kebanthan Hunac-Eel u halach uinicil Mayalpan ichpac. Can-kal haab ca-tac lahun piz haab tu lahun tun Uaxac Ahau cuchie, lai u haabil paxci tumenel Ahtzin-Teyut-Chan, yetel Tzuntecum, yetel Taxcal, yetel Pantemit Xuchu-Cuet, yetel Ytzcuat, yetel Kakaltecat, lay u kaba uinicilob lae nuctulob ah Mayapanob lae. Laili u katunil Uaxac Ahau, lai ca binob u pá ah-Ulmil Ahau, tumenel u uahal-uahob yetel ah-Ytzmal Ulil Ahau; lae oxlahun uuɔ u katunilob ca paxob tumen Hunac-Eel tumenel u ɔabal u naátob. Uac Ahau ca ɔoci, hun-kal haab ca-tac can lahun pizi.
Voici les époques de Onze Ahau, Neuf Ahau, Sept Ahau[21]. Au Huit Ahau, les puissants seigneurs de Chichen-Ytza furent ruinés pour avoir péché en paroles contre Hunac Eel, ce qui arriva à Chac-Xib-Chac de Chichen-Ytza, qui avait péché en paroles contre Hunac Eel, le puissant seigneur de la forteresse de Mayapan[22]. Quatre-vingts années et dix points à la dixième pierre du Huit Ahau s’étaient écoulés, et c’est là l’année (an 1191) où il fut vaincu par Ah-Tzinteyut-Chan, avec Tzuntecum, avec Taxcal, avec Pantemit Xuchu-Cuet, avec Itzcuat, avec Kakaltecat, et ce sont là les noms des seigneurs marquants de Mayapan[23]. C’est dans la même période du Huit Ahau (de l’an 1181 à l’an 1201) qu’ils allèrent attaquer le roi Ulmil, à cause de ses grands festins avec Ulil, roi d’Ytzmal[24]; ils avaient treize divisions de troupes, lorsqu’ils furent défaits par Hunac-Eel, par celui qui donne l’intelligence[25]. Au Six Ahau, c’en était fait, après trente-quatre ans (entre l’an 1201 et l’an 1221)[26].
Uac Ahau, Can Ahau, Cabil Ahau, Oxlahun Ahau, Buluc Ahau. Chucuc u luumil ichpáa Mayalpan, tumenel u pach tulum, tumenel multepal ich cah Mayalpan, tumenel Ytza uinicob yetel ah-Ulmil Ahau lae.
Six Ahau, Quatre Ahau, Deux Ahau, Treize Ahau, Onze Ahau. Envahissement par les gens d’Ytza avec leur roi Ulmil[27] du territoire de la forteresse de Mayapan (de l’an 1201 à l’an 1221), à cause des fortifications du pays et parce qu’un gouvernement républicain dirigeait Mayapan.
Can-kal ca-tac oxppel haab, yocol Buluc Ahau cuchie paxci Mayalpan tumenel ah-Uitzil ɔul, Tancah Mayalpan.
Quatre-vingt-trois ans (se passent), et au commencement du Onze Ahau (de l’an 1281 à l’an 1301) Mayapan fut ruiné par les montagnards[28], qui se rendirent maîtres de Tancah de Mayapan[29].
Uaxac Ahau lay paxci Mayalpan lai u katunil Uac Ahau, Can Ahau, Cabil Ahau, lai haab ca yax mani Españoles u yaxilci caa luumi Yucatan tzucubte lae, oxkal haab pâxac ichpa cuchie.
C’est au Huitième Ahau que Mayapan fut ruiné[30]. Ce sont les époques du Six Ahau, du Quatre Ahau, du Deux Ahau, qui sont les années où arrivèrent pour la première fois les Espagnols[31], qui donnèrent depuis le nom de Yucatan à cette province. Soixante ans s’étaient écoulés depuis la ruine de la forteresse (an 1511-1517).
Oxlahun Ahau, Buluc Ahau, uchci maya-cimil ichpa yetel nohkakil: Oxlahun Ahau cimci Ahpulá uacppel haab u binel ma ɔococ u xocol Oxlahun Ahau cuchie, ti yanil u xocol haab ti likin cuchie, canil Kan cumlahi Pop, tu holhun Zip ca-tac oxppeli, Bolon Ymix u kinil lai cimi Ahpulá; laitun año cu ximbal cuchi lae ca oheltabac lay u xoc numeroil años lae 1536 años cuchie, ox-kal haab paaxac ichpá cuchi lae.
Au Treize Ahau, au Onze Ahau, il y eut de la peste avec de la petite vérole dans les châteaux[32]: au Treize Ahau, Ahpulá mourut[33], six ans manquant pour que le compte du Treize Ahau s’écoulât; le compte de l’année suivant à l’est et le Quatre Can commençant (le mois) Pop, ce fut au troisième mois Zip et au neuvième jour Ymix que mourut Ahpulá. Or, voici l’année où cela s’était passé, afin que son nombre correspondant soit connu: l’année 1536[34], soixante ans après que la destruction de la forteresse avait eu lieu[35].
Laili ma ɔococ u xocol Buluc Ahau lae lai ulci españoles kul uincob ti likin u talob ca uliob uay tac luumil lae Bolon Ahau hoppel Cristianoil uchci caputzihil: laili ichil u katunil lae ulci yax obispo Toroba u kaba.
Mais, avant que se fût terminé le compte du Onze Ahau, arrivèrent les Espagnols, et des hommes saints[36] vinrent avec eux quand ils touchèrent cette terre. Au Neuf Ahau, commença le christianisme et l’avénement du baptême: c’est durant cette période qu’arriva le nouvel évêque, dont le nom est Toral.[37]
NOTES
[1] Les Tutul Xiu, dont il est parlé dans toutes les histoires du Yucatan, sont évidemment les chefs d’une maison de la race nahuatl, établie dans le royaume de Tulan ou Tulhá, dont le siége parait avoir existé dans la vallée d’Ococingo, au nord-est de Ciudad-Real de Chiapas (San Cristobal). Cette maison portait apparemment le nom de Nonoual qu’on lui donne ici, d’où viendrait peut-être celui de Nonohualco ou Onohualco, comme le dit mal-à-propos Clavigero, et que les Mexicains donnaient à la côte yucatèque, située entre Xicalanco et Champoton. Nonoual ne serait-il pas une altération de Nanaual ou Nanahuatl qui joue un si grand rôle dans les traditions antiques?
[2] Stephens, d’après Pio Perez dit Zuiná que je laisse ici; cependant, il se pourrait que ce fût une erreur du copiste ou d’impression, au lieu de Zuiva qu’on trouve fréquemment dans le Livre sacré des Quichés et dans le Manuscrit Cakchiquel, uni à celui de Tulan, identique avec Tulapan dont il est question ici et qui indiquait la capitale du royaume de Tula, comme Mayapan indique la capitale du Maya.
[3] Holon est un mot qui appartient également à la langue maya, au tzendal et à ses dialectes; il signifie ce qui domine, ce qui est au-dessus et peut se prendre ici comme un titre et comme un nom. Chan appartient au nahuatl et au tzendal, mais dans deux sens fort distincts; dans la première langue il signifie maison, demeure; dans la seconde serpent, qui en maya se dit can. Tepeuh est nahuatl, il signifie mot à mot le maître, le chef de la montagne; c’est un titre souverain dans le quiché.
[4] Le mot maya est peten qu’on traduit par île, mais que les Mayas appliquaient en général à toutes les terres environnées d’eau, en partie, car ils savaient fort bien que leur pays était une péninsule.
[5] Il y a plusieurs manières de calculer ces époques. Landa, Cogolludo et les auteurs anciens, corroborés par les preuves historiques et chronologiques qu’ils apportent, ne leur donnent que vingt ans. Je crois qu’ils sont dans le vrai, et c’est d’après leur sentiment que j’ai réglé ce document chronologique, en plaçant les chiffres des Katun à côté du texte maya, et celui des années correspondantes de l’ère chrétienne vulgaire au français. En note, ainsi que Pio Perez l’avait fait lui-même en le donnant à Stephens, je mets les années correspondantes, d’après lui, aux Katun et dans le calcul desquels il me semble qu’il s’est glissé quelques erreurs, en outre de sa manière de voir, en leur assignant 24 ans au lieu de 20: le lecteur pourra aisément les vérifier lui-même. Suivant Pio Perez, les années écoulées durant le voyage des Tutul Xiu sont de l’an 144 à l’an 217.—Celle que nous trouvons en calculant les Katun à 20 ans chaque, s’accorde davantage avec l’époque assignée par Ixtlilxochitl à la défaite des Toltèques, et leur émigration de leur capitale à la fin du IVᵉ siècle.
[6] Piz-tun, pierre mesurée, dit le texte, c’est-à-dire la marque qui signalait chaque année du Katun.
[7] L’auteur anonyme de ce document ou le copiste passe ici le IV Ahau, comme il a passé les huit Ahaus précédents et comme il en passe d’autres plus loin; ce qui cause parfois une certaine confusion: aussi est-ce pour cela que j’ai placé les chiffres des Ahaus en colonne à côté du texte maya, suivant l’ordre de la série.
[8] Chacnouitan parait avoir été le nom antique de la partie du Yucatan qui s’étendait entre le royaume d’Acallan, au sud-est de la lagune de Terminos, et le pays voisin de Bacalar, au sud-est de la péninsule.
[9] Les faits historiques sont souvent placés dans ce document à la suite d’une série d’Ahaus, dont les années sont postérieures à celles de ces faits même. C’est ce que le contexte fait comprendre encore ici.—Pio Perez marque ici l’époque d’Amekat Tutul-Xiu, de l’an 218 à l’an 360.
[10] Ziyan-Caan, littéralement limite ou commencement du ciel; cette province s’appelait de Chectemal au temps de la conquête. Bak-halal, c’est-à-dire enceinte de bambous, nom qui devait convenir à cette ville, située probablement au bord de la lagune près de laquelle fut bâtie depuis Salamanca de Bacalar.
[11] Le IV Ahau passé sous silence un peu plus haut, paraît ici avec ceux qui le suivent.
[12] Pio Perez marque ici les années écoulées entre la conquête de Bacalar et celle de Chichen-Itza, de l’an 360 à l’an 432. Les Tutul-Xius auraient-ils succédé à Chichen, aux Itzas qui lui donnèrent leur nom et dont les deux princes furent assassinés après le départ ou la mort de celui qui était le chef des trois? c’est ce que ce document laisse entrevoir. On voit ici que les adhérents de ces princes s’étaient retirés à Champoton à la suite de cet événement, ce que Landa omet de faire connaître; mais il nous parle de Kukulcan qui serait arrivé dans cette ville après les Itzas et qui aurait calmé les troubles. La présence de Kukulcan, symbole, dieu ou chef d’une secte nahuatl, rattacherait l’introduction de sa religion à l’arrivée des Tutul Xius. Conf. la Relation de Landa, plus haut, pages 32 et 34.
[13] Suivant Pio Perez de l’an 432 à l’an 576.
[14] On ne voit pas par quelle suite d’événements les Tutul-Xius, après avoir été maîtres de Chichen-Itza durant cent vingt ans, auraient été forcés de quitter cette ville, à moins que la religion, dont les Itzas étaient les représentants, n’ait alors repris le dessus.
[15] La comparaison de ce document avec les faits rapportés par Landa, donnerait à penser que cet écrivain reçut d’un membre de la famille des Tutul Xius la plus grande partie de ses renseignements, tandis que le document conservé par Pio Perez paraîtrait avoir une origine itza.
[16] On ne voit pas ce que deviennent les Tutul Xius entre le XII et le VI Ahau: il est probable, toutefois, que c’est l’époque où ils cherchèrent à se concilier les princes et le peuple de Mayapan, ainsi que le raconte Landa, p. 41 et suiv.; c’est alors qu’ils commencèrent à se fortifier dans la montagne entre Mani, Uxmal et Maxcanú, d’où ils parvinrent sans doute à s’étendre ensuite jusqu’à Champoton, lors de la révolution qui renversa le trône des Cocomes à Mayapan.
[17] Pio Perez place ces époques entre les années 576 et 888. Mais ne commettrait-il pas une erreur dans son commentaire en mettant en scène les Tutul Xius? Il semble bien, d’après le texte maya, qu’il s’agit ici des Itzas, chassés par eux de Champoton, où ils avaient eu leurs demeures depuis qu’ils avaient dù abandonner Chichen, en 681, devant les progrès des Tutul Xius.
[18] Pio Perez omet de traduire ici le détail des souffrances des Itzas durant leur vie nomade dans les déserts. Les années correspondantes à ces époques sont, d’après lui, de l’an 888 à l’an 936.
[19] Où les Itzas trouvèrent-ils alors des demeures fixes? c’est ce que le texte ne dit pas; mais il laisse entrevoir qu’ils retournèrent alors à Chichen et qu’ils y raffermirent leur puissance. Quant au mot Chanputun ou Champoton, on le trouve ici orthographié d’une manière tout à fait différente dans le texte maya; il y a Chakanputun. Serait-ce le nom original?
[20] On reconnaît ici le système fédéral des Toltèques et l’influence manifeste des institutions de cette race, représentée par des Tutul Xius; il y a trois États, associés par un pacte politique, celui d’Uxmal qui a pour chefs les Tutul Xius, celui de Chichen-Itza gouverné par les Ulmil, et celui de Mayapan où ne régnaient probablement déjà plus les Cocomes, mais, autant qu’on peut le deviner, un prince de race étrangère; car, ainsi qu’à celui d’Uxmal, le texte donne le titre de halach-uinicil, et, à ceux de Chichen et d’Izamal, le titre supérieur d’Ahau ou roi.—D’après le calcul de Pio Perez, cette fédération commence à l’an 936 et dure jusqu’en 1176, c’est-à-dire deux cent quarante ans, tandis qu’il dit lui-même clairement dans le texte maya et dans la traduction anglaise de Stephens que ce fut une période de deux cents ans. Durant cette période, les trois rois fédérés furent souvent en guerre, comme on le voit ici et dans le texte de Landa. Conf. pag. 48 et suiv.
[21] Le texte signale ici les Katun XI, IX et VII; il passe le V, III, I, XII et X, pour arriver au VIII, où il y donne la défaite de Chac-Xib-Chac, prince de Chichen.
[22] Hunac-Eel (peut-être Huna-Ceel) est appelé dans le texte u halach uinicil Mayalpan ichpac, le puissant seigneur de la forteresse de Mayapan (halach uinicil, vraie humanité, est intraduisible), en opposition avec le titre d’Ahau donne aux rois de Chichen et d’Izamal; ce qui semble annoncer une origine étrangère. Mayapan, qui continue comme forteresse, était peut-être restée au pouvoir des légions de race nahuatl, introduites par les Cocomes, suivant Landa: ce qui confirmerait cette supposition, c’est la liste des six ou sept grands officiers, commandant les troupes mayapanèques, dont les noms sont à peu près tous d’origine nahuatl.
[23] Cette période de Katuns est comptée par Pio Perez entre les années 1176 et 1258.
[24] De 1258 à 1272, suivant Pio Perez.—Le texte maya dit ici Ah Ulmil Ahau, qui me paraît signifier le roi de la maison ou des Ulmil; Ulmil serait donc plutôt un nom patronymique qu’un nom de personne. Stephens, d’après Pio Perez, dit que la guerre le fit contre Ulmil, à cause de ses querelles avec Ulil, roi d’Izamal: le texte me semble dire le contraire, et, au lieu de querelles, je crois qu’il faut lire, à cause de ses festins ou des fêtes qu’il célébrait en commun avec Ulil.
[25] Stephens, d’après Pio Perez, passe sous silence les mots tumenel u ɔabal u naatob, qui suivent le nom de Hunac-Eel, lesquels me semblent signifier par celui qui accorde les dons de l’intelligence.
[26] Cette guerre qui avait commencé au VIII Ahau (entre 1181 et 1201) termine dans l’Ahau suivant (entre 1201 et 1221).
[27] Durant ce même VIII Ahau, le même roi du Chichen ou un autre de la même famille, profitant des troubles qui régnaient sans doute à Mayapan, envahit le territoire de cette ville. Ce qui paraît bien étrange ici, c’est le motif de cette invasion, c’est que Mayapan, sous les chefs de race nahuatl qui y dominaient, avait inauguré le gouvernement républicain. On voit, du reste, des traces de révolutions analogues au Quiché, presque vers la même époque. Voir mon Hist. des nations civilisées du Mexique, etc., tom. II, liv. ii, chap. 8, et le Livre sacré, pag. 325.
[28] Ces montagnards Ah-Uitzil, d’où venaient-ils? Nul ne le dit. Mais l’analogie du nom avec celui des Quichés, car quiche et uitzil sont identiques étymologiquement, semblerait annoncer une invasion venue de Guatémala qui n’en est, d’ailleurs, pas excessivement éloigné. Quelques mots dans le Livre sacré donneraient à penser que l’envahisseur aurait été le roi Gucumatz. Conf. Livre sacré, pag. 314.
[29] Tancah paraît avoir été la ville qui aurait succédé à Mayapan et bâtie, peut-être, sur une partie de ses ruines, après la révolution qui en avait chassé les Cocomes.—Pio Perez, dans Stephens, assigne ces époques entre l’an 1272 et l’an 1368, date, dit-il, de la destruction de Mayapan. La date suivante est de 1368 à 1392.
[30] Le VIII Ahau-Katun commence à l’an 1441 et termine à l’an 1461; c’est celui durant lequel tombe la destruction définitive, c’est-à-dire l’abandon de Mayapan, d’après ce document, que Landa fixe à cent vingt-cinq ans avant l’époque où il écrivait, environ l’an 1487 de notre ère.
[31] Une nouvelle preuve de l’incurie avec laquelle Pio Perez a fait le calcul des Katuns de ce document, c’est qu’il fixe ici la période à la fin de laquelle arrivèrent, pour la première fois, les Espagnols entre les années 1392 et 1488. L’Amérique n’était pas encore découverte: les événements dont il s’agit ici sont des années 1511-1517.
[32] La petite vérole avait été apportée par les Espagnols; quant à la perte en question ici, Conf. plus haut, pag. 62. Le mot ichpaa, qui est ici pour château ou forteresse, prouve que les grands édifices du Yucatan étaient encore en partie habités à cette époque.
[33] On ne dit pas qui était Ahpulà; mais pour que sa mort ait fait ici l’objet d’une date, il doit avoir été un personnage important parmi les Mayas, au moment de la conquête.
[34] Pio Perez fait mourir Ahpulà, suivant son commentaire, à l’an 1473, tandis que le document maya, texte et traduction, la fixe avec raison à l’an 1536, ce qui, avec les dates données par Landa, lève presque tous les doutes.
[35] Le document reparle ici de la ruine de Mayapan, en assignant à cet événement une antériorité de soixante ans au temps de la conquête: ce chiffre, répété deux fois, et à deux époques assez éloignées l’une de l’autre, semblerait annoncer une incorrection dans le texte où, au lieu d’ox-kal, trois-vingts, il faudrait lire probablement can-kal, quatre-vingts.
[36] Il s’agit ici des religieux qui, avec Landa, prêchèrent la doctrine chrétienne aux Mayas et commencèrent à les baptiser.
[37] Voir plus haut, pages 53 et 59.
ÉCRIT
DE
FRÈRE ROMAIN PANE
DES ANTIQUITÉS DES INDIENS,
QU’IL A RECUEILLIES AVEC SOIN EN HOMME QUI SAIT LEUR LANGUE,
PAR ORDRE DE L’AMIRAL[1].
Moi, frère Romain, pauvre ermite de l’ordre de Saint-Jérôme, j’écris, par ordre de l’illustre seigneur amiral et vice-roi, gouverneur des îles et de la terre-ferme des Indes, ce que j’ai pu apprendre et savoir de la croyance et de l’idolâtrie des Indiens, comme aussi ce qui a rapport à leurs dieux. De quoi je traiterai maintenant dans le présent écrit. Chacun, en adorant les idoles qu’ils ont chez eux, appelées Cemi[2], observe une manière et des superstitions particulières. Ils reconnaissent qu’il y a dans le ciel comme un être immortel, que personne ne peut voir; qu’il a une mère et qu’il n’a pas de principe, et ils l’appellent Io cahuva, Gua-Maorocon[3], et ils appellent sa mère Atabei, Iermao, Guacarapito et Zuimaco, qui sont cinq noms[4]. Ceux dont j’écris ces choses sont de l’île Espagnole; car des autres îles, je ne sais rien, ne les ayant jamais vues. De la même manière, ils savent de quel côté ils vinrent, d’où le soleil et la lune eurent leur origine, comment se fit la mer et en quel lieu vont les morts. Ils croient aussi que les morts leur apparaissent dans les chemins, lorsque l’un d’eux va seul; c’est pourquoi ils ne leur apparaissent point, quand plusieurs vont ensemble. Ce sont leurs aïeux qui leur ont fait croire tout cela: bien qu’ils ne sachent pas lire ni compter plus loin que dix.
CHAPITRE I. De quel côté sont venus les Indiens et de quelle manière.—L’île Espagnole a une province nommée Caanau, dans laquelle il se trouve une montagne qui s’appelle Canta, où il y a deux grottes, l’une dite Cacibagiagua et l’autre Amaiauua[5]. De Cacibagiagua sortit la plus grande partie des gens qui peuplèrent l’île. Ceux-ci se trouvant dans ces grottes, on y faisait de nuit la garde, et le soin en était commis à un qui s’appelait Marocael[6]; mais on dit qu’ayant tardé un jour à venir à la porte, le soleil l’enleva. Voyant donc que le soleil l’avait enlevé, à cause de sa mauvaise garde, ils lui fermèrent la porte, et ainsi il fut transformé en pierre auprès de la porte. On dit que quelques-uns étant ensuite allés pêcher furent pris par le soleil, et ils devinrent des arbres, appelés par eux Iobi, et d’une autre manière, ils les nomment Myrabolaniers[7].
La raison pour laquelle Marocael veillait et faisait la garde, c’était pour regarder de quel côté il voulait envoyer ou répartir le monde; et il paraît qu’il tarda trop pour son malheur.
CHAPITRE II. Comment les hommes se séparèrent des femmes.—Il arriva que l’un qui avait pour nom Guagugiona, dit à un autre qui s’appelait Giadruuaua[8] d’aller cueillir une herbe, dite le Digo, avec quoi ils se nettoient le corps, quand ils vont se laver. Celui-ci y alla avant le jour et le soleil l’enleva dans le chemin, et il devint un oiseau qui chante le matin comme le rossignol, et qui se nommait Giahuba Bagiael[9]. Guagugiona voyant que celui qu’il avait envoyé cueillir l’herbe Digo ne retournait point, se résolut à sortir de ladite grotte de Cacibagiagua.
CHAPITRE III.—Guagugiona, indigné de voir que ceux qu’il avait envoyés pour cueillir le digo avec lequel il voulait se laver, ne revenaient point, dit aux femmes: Laissez vos maris et allons-nous-en à d’autres pays et nous y porterons beaucoup de joyaux. Laissez vos enfants et emportons seulement l’herbe avec nous, et nous retournerons ensuite pour eux.
CHAPITRE IV.—Guagugiona partit avec toutes les femmes et s’en alla, cherchant d’autres pays; il arriva à Matinino[10] où il laissa aussitôt les femmes, et s’en alla dans une autre région nommée Guanin. Or, ils avaient laissé les petits enfants auprès d’un ruisseau. Mais ensuite lorsque la faim commença à les incommoder, on dit qu’ils se mirent à pleurer, appelant leurs mères qui étaient parties, et les pères ne pouvaient calmer leurs enfants, appelant leurs mères, à cause de la faim, en disant mama, pour parler, quoique en réalité ce fût pour demander le sein. Et tout en pleurant ainsi et en demandant le sein, disant too, too, comme celui qui demande quelque chose avec grande ardeur et beaucoup de constance, ils furent transformés en petits animaux, en manière de nains qu’on nomme Tona, à cause des cris qu’ils faisaient pour le sein; et de cette manière tous les hommes restèrent sans femmes[11].
CHAPITRE V.—Qu’ils s’en allèrent en quête de femmes une autre fois de l’île Espagnole, qui auparavant se nommait Aïti, et ainsi se nomment ses habitants[12]; et celles-ci et les autres îles, ils les nommaient Bouhi. Mais comme ils n’ont ni écriture ni lettres, ils ne peuvent rendre bon compte de la manière qu’ils ont entendu ces choses de leurs ancêtres; ils ne sont pas d’accord, d’ailleurs, sur ce qu’ils disent, et on ne peut écrire ce qu’ils racontent avec ordre. Dans le temps que Guahagiona[13] (Guahahiona) qui enleva toutes les femmes s’en allait, il emmena pareillement les femmes de son cacique qui se nommait Anacacugia[14], le trompant comme il avait trompé les autres; de plus Anacacugia, parent de Guahagiona qui s’en allait avec lui, entra dans la mer, et ledit Guahagiona étant dans le canot, dit à son parent: Attention que le beau Cobo est dans l’eau, lequel Cobo est le limaçon de mer. Et celui-là regardant l’eau pour voir le Cobo, Guahagiona son parent le saisit par les pieds et le jeta dans la mer; ainsi il prit toutes les femmes pour lui, laissant celles de Martinino où on dit qu’il n’y a que des femmes aujourd’hui pour lui; il s’en alla à une autre île qui s’appelle Guanin, et elle s’appela ainsi à cause des choses qu’il emporta de celle-ci en partant.
CHAPITRE VI.—Que Guahagiona retourna à la dite (montagne de) Canta d’où il avait enlevé les femmes.—On dit qu’étant dans la région où il était allé, Guahagiona vit qu’il avait laissé une femme dans la mer, et il en eut une grande jouissance; mais aussitôt après il chercha un grand nombre de baigneurs pour se faire laver, étant couvert de ces ulcères que nous appelons le mal français[15]. Ceux-là le mirent donc dans une Guanara, ce qui veut dire endroit retiré[16], et ainsi étant là, il guérit de ses ulcères. Elle lui demanda ensuite la permission de s’en aller en son chemin et il la lui donna. Cette femme s’appelait Guabonito[17], Guahagiona changea son nom et se nomma dorénavant Biberoci Guahagiona[18]. Et la femme Guallonito[19] donna à Biberoci Guahagiona beaucoup de Guanins et de Ciba, afin qu’il les portât liés aux bras; car dans ces pays les Colecibi sont des pierres qui ressemblent beaucoup au marbre et ils les portent liés aux bras et au col, et les Guanins ils les portent aux oreilles, en s’y faisant des trous, quand ils sont petits; ils sont de métal, à peu près de la grandeur d’un florin[20]. Le commencement de ces Guanins furent, disent-ils, Guabonito, Albeborael, Guahagiona et le père d’Albeborael[21]. Guahagiona resta dans le pays avec son père qui se nommait Hiauna; son fils, du côté du père, s’appelait Hia-Guaili-Guanin, ce qui veut dire fils de Hiauna[22]; et dorénavant il s’appela Guanin, et il s’appelle ainsi aujourd’hui. Mais comme ils n’ont ni lettres ni écriture, ils ne savent pas bien raconter ces sortes de fables et je ne puis les écrire bien. Je crois que je mettrai le commencement où devrait être la fin et la fin au commencement. Mais tout ce que j’écris est ainsi raconté par eux, juste comme je l’écris, et ainsi je le développe comme je l’ai entendu de ceux du pays.
CHAPITRE VII.—Comment il y eut encore une fois des femmes dans cette île de Haïti, et qui se nomme l’Espagnole.—Ils disent qu’un jour les hommes étaient allés se baigner: tandis qu’ils étaient dans l’eau, il pleuvait beaucoup, et ils étaient fort désireux d’avoir des femmes; et souvent, quand il pleuvait, ils étaient allés chercher les traces de leurs femmes. Ils ne pouvaient avoir d’elles aucune nouvelle; mais ce jour-là, on dit qu’en se baignant, ils virent tomber de quelques arbres, se laissant couler le long des branches, certaines formes de personnes qui n’étaient ni hommes ni femmes et qui n’avaient le sexe ni du mâle ni de la femelle. Ils allèrent donc pour s’en emparer; mais ces êtres s’enfuirent comme s’ils eussent été des aigles[23]. C’est pourquoi ils appelèrent, par ordre de leur cacique, deux ou trois hommes, puisqu’ils ne pouvaient s’en emparer eux-mêmes, afin qu’ils observassent combien elles[24] étaient, et qu’ils cherchassent pour chacune un homme qui fût Caracaracol, parce que ceux-ci avaient les mains âpres, et de cette façon ils tenaient bien ce qu’ils prenaient. Ils rapportèrent au cacique qu’il y en avait quatre, et ainsi ils conduisirent quatre hommes, qui étaient Caracaracols; le Caracaracol étant une maladie comme la gale qui rend le corps fort âpre[25]. Après qu’ils s’en furent emparés, ils tinrent conseil entre eux sur ce qu’ils pourraient faire pour que ce fussent des femmes; puisque ces êtres n’avaient le sexe du mâle ni de la femelle.
CHAPITRE VIII.—De quelle manière ils trouvèrent le moyen à ce que ce fussent des femmes.—Ils cherchèrent un oiseau qui s’appelait Inriri, anciennement dit Inrire Cahuuaiel, lequel fore les arbres, et dans notre langue s’appelle Pico[26]. De la même manière ils prirent ces femmes sans sexe de mâle ni de femelle, leur lièrent les pieds et les mains, et s’étant saisis de l’oiseau susdit, le leur amarra au corps: celui-ci croyant que c’étaient des pièces de bois, commença à faire son travail habituel, becquetant et trouant à l’endroit où d’ordinaire doit se trouver le sexe des femmes. C’est de cette manière, disent les Indiens, qu’ils eurent des femmes, à ce que racontent les plus anciens. Comme j’ai écrit à la hâte et que je n’avais pas suffisamment de papier, je n’ai pu mettre à sa place ce que par erreur je portai ailleurs; mais, somme toute, je n’ai pas erré, parce qu’eux croient le tout, de la même manière que cela est écrit. Retournons maintenant à ce que nous avions à mettre d’abord, c’est-à-dire leur opinion concernant l’origine et principe de la mer.
CHAPITRE IX. Comment ils disent que se fit la mer.—Il y avait un homme nommé Giaia, dont ils ne savent pas le nom[27]: et son fils se nommait Giaiael, ce qui veut dire fils de Giaia; lequel Giaiael voulant tuer son père, celui-ci l’envoya en exil dans un lieu, où il resta exilé quatre mois; après quoi son père le tua et mit ses os dans une calebasse et l’attacha au toit de sa maison, où elle demeura suspendue quelque temps. Il arriva qu’un jour désirant voir son fils, Giaia dit à sa femme: Je veux voir notre fils Giaiael, et celle-ci en fut contente; ayant descendu la calebasse, il la renversa pour voir les os de son fils, et il en sortit une multitude de poissons grands et petits[28], sur quoi voyant que les os s’étaient transformés en poissons, ils délibérèrent de les manger. Un jour donc qu’ils disent que Giaia était allé à ses conico, c’est-à-dire aux biens qui étaient de son héritage, vinrent quatre fils d’une femme qui s’appelait Itaba-Tahuuana, tous quatre d’une portée et jumeaux; laquelle femme étant morte dans l’enfantement, on l’ouvrit et on en retira lesdits quatre fils; et le premier qu’on en sortit fut Caracaracol, qui veut dire galeux, lequel Caracaracol eut pour nom..... les autres n’avaient point de nom.
CHAPITRE X.—Comme les quatre fils jumeaux d’Itaba-Tahuuana, qui était morte en couches, allèrent pour mettre ensemble la calebasse de Giaia où était son fils Agiael[29] qui s’était transformé en poissons; mais aucun d’eux n’eut la hardiesse de la prendre, excepté Dimivan Caracaracol[30] qui la détacha. Et tous se rassasièrent de poisson: et pendant qu’ils mangeaient, ils entendirent Giaia qui revenait de ses domaines; et voulant dans leur précipitation suspendre la calebasse, ils ne l’attachèrent pas bien, de manière qu’elle tomba à terre et se brisa. Ils disent que l’eau qui sortit de cette calebasse fut si abondante, qu’elle remplit toute la terre, et avec cette eau sortit une multitude de poissons; de là ils tiennent que la mer eut son origine[31]. Ceux-là partirent ensuite de là et trouvèrent un homme qui se nommait Con-el, lequel était muet[32].
CHAPITRE XI.—Des choses qui passèrent aux quatre frères, lorsqu’ils s’en allèrent fuyant de Giaia.—Aussitôt qu’ils arrivèrent à la porte de Bassa-Manaco, et qu’ils entendirent qu’il portait du cassabi[33], ils dirent, Ahiacauo Guarocoel, c’est-à-dire connaissons celui qui est notre aïeul. De même Demivan Caracaracol, voyant ses frères devant lui, entra au dedans pour voir s’il pouvait avoir quelque cassabi; lequel cassabi est le pain qui se mange dans le pays. Caracaracol étant entré dans la maison d’Aiamauaco[34], lui demanda du cassabi, qui est le pain susdit; et celui-ci se mit la main au nez et lui lança un guanguio[35] aux épaules; lequel guanguio était rempli de cogioba qu’il avait fait pour ce jour; laquelle cogioba est une certaine poudre que ces gens-ci prennent quelquefois pour se purger et pour d’autres effets que vous comprendrez ensuite. Ils la prennent avec une canne longue de la moitié d’un bras, qu’ils se mettent au nez par un bout et l’autre dans la poudre, et ainsi ils l’aspirent par le nez, et cela les fait purger généralement. Et ainsi il lui donna ce guanguio pour du pain et...... le pain qu’il faisait; mais il se retira fort indigné parce qu’ils le lui demandaient[36].
Caracaracol, après cela, s’en retourna vers ses frères, et leur raconta ce qui lui était arrivé avec Baiamanicoel[37], en leur faisant part du coup qu’il lui avait donné avec le guanguio sur l’épaule, et qui lui faisait beaucoup de mal. Alors les frères regardèrent l’épaule et virent qu’il l’avait très-gonflée, au point qu’il était près de mourir. Là-dessus, ils cherchèrent à la couper, mais sans y réussir: et prenant une manaia de pierre, ils la lui ouvrirent, et ainsi il en sortit une tortue femelle vivante[38]; et de cette manière ils fabriquèrent leur maison et ils prirent soin de la tortue. De ceci je n’ai pas entendu autre chose et il y a peu à tirer de ce nous avons écrit. Ils disent en outre que le soleil et la lune sortirent d’une grotte qui est dans le pays d’un cacique, appelé Mancia Tiuuel; laquelle grotte s’appelait Giououana et pour laquelle ils avaient une grande estime[39]. Ils la tiennent en totalité peinte à leur manière, sans aucune figure, mais avec beaucoup de feuillages et d’autres choses semblables: dans cette grotte, il y a deux Cimin, faits de pierre, petits, de la grandeur de la moitié du bras, les mains liées, et il semble qu’ils soient dans l’action de suer. Ils ont une grande estime pour ces Cimin, et quand il ne pleuvait point, ils disent qu’ils entraient là pour les visiter et qu’aussitôt il pleuvait. Or de ces deux Cimin l’un est appelé par eux Boinaiel et l’autre Maroio[40].
CHAPITRE XII.—De ce que ces gens-ci pensent au sujet des morts qui vont errants, et de quelle manière ils sont et ce qu’ils font.—Ils sont persuadés qu’il y a un lieu où vont les morts, qui se nomme Coaibai, et qu’il existe dans une partie de l’île appelée Soraia[41]. Le premier qui se trouva en Coaibai fut, disent-ils, un qui se nommait Machetaurie Guaiana, qui était seigneur dudit Coaibai, maison et demeure des morts[42].
CHAPITRE XIII. De la forme qu’ils disent qu’ont les morts.—Ils disent que de jour ils restent enfermés, et qu’ils vont promener la nuit; et qu’ils mangent d’un certain fruit nommé Guabaza, lequel a le goût de...... qui le jour sont...... et qui la nuit se changent en fruit, et que les (morts) en font un festin et se réunissent aux vivants. Or, pour les reconnaître, ils le font de cette manière, qu’ils lui touchent le ventre de la main, et que s’ils n’y trouvent pas l’ombilic, ils disent qu’il est operito, ce qui veut dire mort: c’est pour cela qu’ils disent que les morts n’ont pas d’ombilic. Et ainsi sont-ils quelquefois trompés, lorsqu’ils ne font pas attention à cela. Or s’ils se couchent avec quelque femme de celles de Coaibai, celles-ci, au moment où ils pensent les avoir entre les bras, s’évanouissent, et, à cause de cela, disparaissent en un moment. Voilà, quant à cela, ce qu’ils croient encore aujourd’hui. Quand une personne est en vie, ils appellent son esprit Goeiz et après la mort le nomment Opia: ils disent que ce Goeiz leur apparaît souvent sous la forme d’un homme ou d’une femme[43]; et ils ajoutent qu’il s’est trouvé des hommes qui ont voulu combattre avec lui, et qu’en venant aux mains, il disparaissait et que l’homme mettait ses bras ailleurs, sur quelque arbre auquel il demeurait attaché. C’est ce que tous croient en général, petits et grands, que l’esprit leur apparaît sous la forme du père, de la mère, des frères, ou des parents, ou sous d’autres formes. Le fruit qu’ils disent que mangent les morts, est de la grosseur d’une poire de coing. Ces morts ne leur apparaissent jamais de jour, mais constamment la nuit; aussi est-ce avec grande crainte que l’un ou l’autre se risque à sortir seul de nuit.
CHAPITRE XIV.—D’où ils tirent ces choses et qui les fait demeurer dans cette croyance.—Ce sont quelques hommes qui pratiquent (la médecine), parmi eux, appelés Bohuti, lesquels font beaucoup de fourberies, comme nous dirons plus loin, pour leur faire accroire qu’ils parlent avec eux et qu’ils savent tous leurs faits et secrets, et que quand ils sont malades, ils leur enlèvent la maladie: et ainsi ils les trompent. C’est de quoi j’ai vu une partie de mes propres yeux, comme des autres choses; je n’ai raconté que ce que j’ai entendu d’un grand nombre, particulièrement des principaux, avec lesquels j’ai pratiqué plus qu’avec d’autres; c’est pourquoi ceux-ci croient toutes ces fables avec plus de certitude que les autres. Quoi qu’il en soit, de même que les Maures, ils ont leurs lois réduites à des chants antiques, à l’aide desquels ils se gouvernent, ainsi que les Maures, comme si c’était par l’écriture. Et lorsqu’ils veulent chanter leurs chants, ils touchent d’un certain instrument qu’ils appellent Maiohauau[44], qui est de bois, concave et de beaucoup de force, léger, long d’un bras et large d’un demi-bras; et la partie où l’on touche est faite en forme de tenailles de maréchal-ferrant, et de l’autre côté (il a une ouverture oblongue; on frappe sur la première avec un bâton, terminé par une boule de gomme, lequel) est semblable à une massue; de telle manière, qu’elle ressemble à une citrouille au long col; et c’est là l’instrument qu’ils touchent. Or, il a un son si fort qu’on l’entend à une lieue et demie de loin; c’est à ce son qu’ils chantent leurs chants qu’ils apprennent par cœur: ceux qui en touchent sont les principaux d’entre eux, qui apprennent dès l’enfance à le toucher et à chanter en même temps, suivant leurs coutumes. Passons maintenant à la description d’un grand nombre d’autres choses et cérémonies et coutumes des gentils.
CHAPITRE XV.—Des observances de ces Indiens Buhu-itihu[45], et de quelle manière ils font profession de médecine et enseignent les gens; et dans leurs cures médicinales, souvent ils se trompent. Tous ou la plupart de ceux de l’ile espagnole ont un grand nombre de Cimi de différente sorte. L’un a les os de son père et de sa mère, de ses parents et de ses ancêtres, qui sont faits de pierre ou de bois. Et des deux sortes ils en ont beaucoup; les uns qui parlent, les autres qui font naître les choses qu’ils mangent; plusieurs qui font tomber la pluie, d’autres qui font souffler les vents. Ce sont toutes choses que ces pauvres ignorants croient que produisent ces idoles, ou pour mieux dire ces démons, ces gens-là n’ayant pas la connaissance de notre sainte foi. Quand quelqu’un est malade, ils lui amènent la Buhu-itihu, le médecin susdit. Le médecin est astreint à s’abstenir de la bouche, comme le malade lui-même, et à faire également le malade, ce qu’il fait de cette manière que vous allez entendre. Il faut donc qu’il se purge, comme le malade, et pour se purger, il prend d’une certaine poudre appelée Cohoba, en l’aspirant par le nez[46], laquelle l’enivre de telle sorte, qu’ils ne savent plus ce qu’ils font: et ainsi ils disent beaucoup de choses extrordinaires, dans lesquelles ils affirment qu’ils parlent avec les Cimi, et que ceux-ci leur disent que d’eux vient la maladie.
CHAPITRE XVI. De ce que font lesdits Buhu-itihu.—Lorsqu’ils vont visiter quelque malade, avant de sortir de leurs maisons, ils prennent de la vase du fond de leurs cruches ou du charbon pilé, et se noircissent tout le visage, pour faire croire au malade ce qu’il leur semble de sa maladie: ils prennent ensuite quelques petits os et un peu de viande, et, enveloppant le tout dans quelque chose, afin que rien ne puisse tomber, ils le prennent dans la bouche. Le malade étant déjà purgé avec la même poudre que nous avons dite, le médecin entre dans la maison; il commence par s’asseoir, et tous se taisent: s’il s’y trouve des enfants ils les envoient dehors, afin qu’ils ne mettent pas d’obstacle à l’office du Buhu-itihu, et il ne reste dans la maison qu’une ou deux des personnes principales. Or, se trouvant ainsi seuls, ils prennent quelques herbes de la Gioia.... grandes et une autre herbe, enveloppée dans la feuille d’un oignon, longue d’un demi-quartaut, et l’une des Gioia est de celles que tous prennent communément: les ayant broyées, ils en font une pâte avec les mains et puis se la mettent dans la bouche la nuit, pour vomir ce qu’ils ont mangé, afin que cela ne leur fasse pas de mal, et alors ils commencent à faire le chant susdit; et allumant une torche, ils prennent ce suc[47].
Cela fait d’abord, et s’étant tenu posé quelques instants, le Buhu-itihu se lève et s’avance vers le malade qui est assis seul au milieu de la maison, comme on l’a dit: il tourne deux fois à l’entour, suivant son plaisir; après quoi il se met devant lui, le prend par les jambes, le palpant aux cuisses, en descendant jusqu’aux pieds; puis il le tire avec force, comme s’il voulait détacher un membre de l’autre[48]: sur cela, il va au dehors de la maison dont il ferme la porte et lui parle, disant: Va-t-en à la montagne ou à la mer, ou bien où tu veux; et avec un souffle, comme qui souffle d’une sarbacane[49], il se retourne d’un autre côté, met ses mains ensemble, en fermant la bouche; et les mains lui tremblent comme d’un grand froid; il souffle sur ses mains et retire son haleine, comme on fait, en suçant la moelle d’un os, et aspire le malade au col, ou à l’estomac, aux épaules, ou aux joues, aux seins ou au ventre et en beaucoup d’autres parties du corps. Cela fait, il commence à tousser et à montrer un visage défait, comme s’il avait mangé quelque chose d’amer, et crache dans sa main. Il retire alors ce que nous avons dit qu’il s’était mis dans la bouche, étant dans sa maison, ou pendant le chemin, soit de la pierre, de l’os ou de la viande, comme on l’a dit. Et si c’est quelque chose qui se mange, il dit au malade: Fais attention que tu as mangé quelque chose qui t’a fait mal et que tu en souffres; regarde comme je te l’ai retiré du corps où ton Cemi l’avait mis, parce que tu ne l’avais pas prié, que tu ne lui avais érigé aucun autel, ou que tu ne lui avais donné aucun domaine.
Si c’est une pierre, il lui dit: Conserve-la bien soigneusement. Et quelquefois ils regardent comme certain que ces pierres sont utiles et qu’elles servent à faire accoucher les femmes: ils les gardent précieusement, enveloppées dans du coton, les plaçant dans de petits paniers, et leur donnent à manger de ce qu’ils mangent, et en usent de la même manière avec les Cimi qu’ils ont dans leurs maisons. Les grands jours de fête ils leur portent beaucoup à manger, comme du poisson, de la viande ou du pain, ou toute autre chose; ils mettent le tout dans la maison de Cimi, afin que la susdite idole en mange[50]. Le jour suivant ils emportent tous ces vivres chez eux, après que Cimi en a mangé. Et ainsi que Dieu les aide comme Cimi en mange et leur en donne d’autre, Cimi étant une chose morte, composée de pierre ou faite de bois.
CHAPITRE XVII. Comment les susdits médecins se sont trompés quelquefois.—Quand ensuite ils ont fait les choses susdites, et que, néanmoins, le malade vient à mourir, si le défunt a beaucoup de parents ou est seigneur de bourgades et s’il est puissant, il oppose de la résistance audit Buhu-itihu, ce qui veut dire médecin; car ceux qui peuvent peu, n’osent pas lutter contre ces médecins, et celui-là, s’il veut lui faire du mal, le fait ainsi[51]:
Voulant savoir si le malade est mort par la faute du médecin, ou si celui-ci n’a pas fait diète, comme il lui était ordonné, ils prennent une herbe appelée gueio, qui a les feuilles semblables à celles du basilic, grosses et larges, et qui autrement s’appelle aussi zachon. Ils prennent donc le suc de la feuille, coupent au mort les ongles et les cheveux du côté du front, les réduisent en poudre entre deux pierres et la mêlent avec le suc de l’herbe susdite, pour la donner ensuite à boire au mort, par le nez et par la bouche. Cela fait, ils demandent au défunt si le médecin est cause de sa mort et s’il a observé la diète. Ils lui demandent cela à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’il parle aussi clairement que s’il était vivant, et qu’il vienne à répondre à tout ce qu’on cherchait à savoir de lui, en disant que le Buhu-itihu n’a pas observé la diète, qu’il a été cause de sa mort cette fois; et ils disent que le médecin lui demande s’il est vivant, puisqu’il parle si clairement, et il répond qu’il est mort.
Alors, dès qu’ils ont appris ce qu’ils voulaient, ils le remettent dans sa tombe, d’où ils l’avaient ôté, afin de savoir de lui ce que nous venons de dire.
Ils font encore ces choses d’une autre manière pour savoir ce qu’ils veulent. Ils prennent le mort et font un grand feu, semblable à celui avec lequel le charbonnier fait le charbon, et lorsque le bois est tout entier réduit en braise, ils jettent le défunt sur ce grand brasier, et le recouvrent de terre, de la même manière que le charbonnier recouvre le charbon, et l’y laissent aussi longtemps qu’il leur fait plaisir. Et celui-ci s’y trouvant ainsi, ils l’interrogent comme on a dit qu’ils faisaient pour l’autre, à quoi il répond qu’il ne sait rien. Là-dessus, ils l’interpellent dix fois; et après cela il ne parle plus. Ils lui demandent s’il est mort; mais il ne répond plus de ces dix fois.
CHAPITRE XVIII. De quelle manière les parents du mort se vengent lorsqu’ils ont reçu la réponse au moyen du breuvage.—Les parents du mort se réunissent un jour donné et attendent le Buhu-itihu, auquel ils donnent la bastonnade, lui brisant bras et jambes, lui rompant la tête, au point de le laisser à moitié pilé, et dans la persuasion de l’avoir tué. Mais la nuit, disent-ils, il vient une multitude de couleuvres de toute sorte, blanches, noires, vertes et de beaucoup d’autres couleurs, qui lèchent le visage et toutes les parties du corps audit médecin, qu’ils avaient laissé pour mort, comme nous venons de le dire. Celui-ci reste ainsi deux ou trois jours, et, tandis qu’il est dans cet état, les os des bras et des jambes, dit-on, reviennent à se joindre et à se souder; il se lève, chemine tout doucement et s’en retourne à la maison. Ceux qui le voient l’interrogent en disant: N’étais-tu pas mort? Mais il répond que les Cimins sont venus à son secours, sous formes de couleuvres. Les parents du défunt, qui croyaient avoir vengé sa mort, sont remplis de colère, en voyant l’autre vivant; ils se désespèrent, et travaillent à l’avoir une autre fois entre leurs mains, pour le faire mourir, et, s’ils y parviennent, ils lui arrachent les yeux et lui brisent les testicules; car ils disent que nul de ces médecins ne peut mourir, quelques coups et bastonnades qu’on lui donne, s’ils ne lui enlèvent les testicules.
Comment ils savent ce qu’ils veulent de celui qu’ils brûlent, et comment ils exercent leur vengeance.—Lorsqu’ils découvrent le feu, la vapeur qui en sort s’élève jusqu’à ce que ceux-ci la perdent de vue et qu’elle ait produit un bruit perçant en sortant de la fournaise. Elle retourne en bas et entre dans la maison du médecin Buhu-itihu, et à l’instant même celui-ci, s’il n’a pas observé la diète, tombe malade, se couvre d’ulcères, et voit tomber la peau de tout son corps: c’est le signe auquel ils reconnaissent que celui-ci ne s’est pas abstenu, et pourquoi le malade est mort. Tels sont donc les charmes dont ces gens ont coutume d’user.
CHAPITRE XIX. De quelle manière ils font et gardent les Cimi de bois ou de pierre.—Ceux de pierre se font de cette manière. Lorsque quelqu’un va en voyage, dit-on, et qu’il voit un arbre dont la racine remue, l’homme s’arrête avec terreur et lui demande qui il est. Et il lui répond: Je m’appelle Buhu-itihu, et cela te dit ce que je suis. Alors cet homme allant trouver le susdit médecin, lui dit ce qu’il a vu, et le sorcier ou devin court tout de suite voir l’arbre dont l’autre lui a parlé; il commence par s’asseoir auprès et lui fait cagioba, comme nous l’avons dit plus haut, dans l’histoire des quatre frères. La cagioba faite, il se lève sur les pieds; il lui dit tous les titres connus d’un grand seigneur et le questionne ainsi: Dis-moi qui tu es et ce que tu fais ici; ce que tu me veux, et pourquoi tu m’as fait appeler? Dis-moi si tu veux que je te coupe, ou si tu veux venir avec moi; comment tu veux que je te porte, et je te fabriquerai une maison avec son domaine. Alors, cet arbre ou Cimi, devenu idole ou diable, lui répond en lui disant la forme sous laquelle il veut qu’on le fasse. Il le coupe et le fait de la manière qui lui a été commandée. Il lui fabrique sa maison avec son domaine, et souvent, dans l’année, il lui fait la cagioba. Cette cagioba c’est pour lui faire la prière et pour lui plaire; pour lui demander et savoir du Cimi quelques-unes des choses en bien et en mal, comme aussi pour lui demander des richesses.
Mais s’ils veulent savoir s’ils remporteront la victoire sur leurs ennemis, ils entrent dans une maison dans laquelle il n’entre personne que les principaux d’entre les habitants: leur chef est le premier à faire la cagioba et sonne. Tandis qu’il fait la cagioba, aucun de ceux qui sont dans l’assemblée ne parle, jusqu’à ce que le chef ait terminé; mais, après qu’il a fini sa prière, il reste quelques instants, la tête baissée et les bras sur les genoux; ensuite il lève la tête, en regardant vers le ciel, et parle. Alors tous lui répondent à la fois à haute voix; et, quand tous ont parlé, lui rendant grâces, il raconte la vision qu’il a eue dans l’ivresse de la cagioba, qu’il a aspirée par le nez; il dit qu’il a parlé avec le Cimi, qu’ils remporteront la victoire, ou que leurs ennemis fuiront, ou qu’il y aura une grande mortalité, ou des guerres, ou une famine, ou autre chose de ce genre, suivant ce qu’il convient à celui qui s’est enivré de dire. Considérez comment est son esprit; car ils disent qu’il leur semble voir que les maisons tournent, avec leurs fondations, sens dessus dessous, et que les hommes marchent les pieds en l’air. Ils font également cette cagioba aux Cimi de pierre et de bois, comme aux corps morts, ainsi que nous l’avons dit plus haut.
Les Cimi de pierre sont de diverses manières. Il y en a quelques-uns qu’ils disent que les médecins font avec le corps desséché (des morts), et les malades gardent ceux-ci qui sont meilleurs, pour faire accoucher les femmes enceintes. Il y en a d’autres qui parlent, qui sont de la forme d’un gros navet, aux feuilles étendues par terre comme les câpriers, et ces feuilles ont pour la plupart la forme de feuilles d’orme; d’autres ont trois pointes, et ils regardent comme certain qu’ils font naître la yuca. Ils ont des racines semblables au raifort. La feuille de la giutola (xutola) a tout au plus six ou sept pointes, et je ne sais à quoi je pourrais la comparer, car j’en ai vu quelques-unes qui lui ressemblent, en Espagne et en d’autres pays. La tige de la yuca est de la hauteur d’un homme. Parlons maintenant de la croyance qu’ils ont dans ce qui touche aux idoles et aux Cimi, et des grandes erreurs où il les font tomber.
CHAPITRE XX.—Du cimi Bugia (Buxa) et Aiba, qui, disent-ils, fut brûlé par eux, quand il eut des guerres, et à qui il crut des bras et une autre fois des yeux, et dont le corps grandit quand on l’eut lavé avec le jus de la yuca. La yuca était petite, et, avec l’eau et le jus susdit, ils la laissaient afin qu’elle devînt plus grosse: et ils affirment qu’elle donnait des maladies à ceux qui avaient fait ledit Cimi, pour ne pas lui avoir porté à manger de la yuca. Ce cimi avait pour nom Baidrama[52]. Or, quand quelqu’un tombait malade, ils appelaient le Buhu-itihu et lui demandaient d’où était venu sa maladie; et il lui répondait que Baidrama la lui avait envoyée parce qu’il ne lui avait pas envoyé à manger pour ceux qui avaient soin de sa maison; et ceci le Buhu-ituhu disait que le cimi Baidrama le lui avait dit.
CHAPITRE XXI. Du cimi de Guamorete.—Ils disent que quand ils firent la maison de Guamorete, lequel était un homme de condition, ils y mirent un Cimi qu’il tenait sur le haut de sa maison, lequel Cimi s’appelait Corocote[53]: or, dans le temps qu’ils avaient des guerres entre eux, les ennemis de Guamorete brûlèrent la maison où était ledit cimi Corocote. Alors ils disent qu’il se leva et s’en alla loin comme un tir d’arbalète de cet endroit, au près de l’eau; ils disent qu’étant sur la maison, il descendait de nuit et jouait avec les femmes: qu’ensuite Guamorete mourut et que ledit Cimi vint aux mains d’un cacique et qu’il continuait à jouer avec les femmes. Ils ajoutent qu’il lui naquit sur la tête deux couronnes; c’est pourquoi ils disaient: Puisqu’il a deux couronnes, certainement qu’il est fils de Corocote, et ils regardaient cela comme très-certain. Ce Cimi, un autre cacique le posséda ensuite, appelé Guatabanex, et son endroit s’appelait Giacaba.
CHAPITRE XXII.—D’un autre Cimi qu’ils appelaient Opigielguouiran que possédait un autre personnage de condition, qui se nommait Cauauan-Iovana, lequel avait sous lui un grand nombre de sujets.—De ce cimi Opigielguouiran[54] ils disent qu’il a quatre pattes, comme un chien, et qu’il est fait de bois: que souvent, la nuit, il sort de sa maison pour rôder dans les bois, où l’on allait le chercher; on le ramenait à sa maison, l’y liant avec des cordes, ce qui ne l’empêchait pas de retourner dans les bois. Or, lorsque les chrétiens arrivèrent à l’île Espagnole, on dit qu’il s’échappa et s’en alla dans un lac jusqu’où ils suivirent ses traces; mais ils ne le revirent plus jamais, et n’en savent pas davantage à son sujet. Ainsi que je l’ai acheté, ainsi je le vends.
CHAPITRE XXIII.—D’un autre Cimi, qui se nomme Guabancex.—Ce cimi Guabancex était dans le pays d’un grand cacique d’entre les plus distingués, appelé Aumatex: ce Cimi est femelle: et ils disent qu’il est accompagné de deux autres[55]; l’un est celui qui annonce, l’autre celui qui rassemble et gouverne les eaux. Or, quand Guabancex se fâche, ils disent qu’il fait mouvoir le vent et l’eau, qu’il renverse les maisons et arrache les arbres. Ce Cimi, qu’ils disent être femelle, est fait des pierres du pays: les deux autres Cimi dont il est accompagné, sont appelés l’un Guatauva; c’est le messager et l’avant-coureur qui ordonne, par le commandement de Guabancex, à tous les autres Cimi de cette province de l’aider à faire beaucoup de vent et d’eau; l’autre s’appelle Coatrischie; c’est lui qui rassemble les eaux dans les vallées entre les montagnes, et qui les laisse aller ensuite pour qu’elles bouleversent le pays. Et ceci, ces gens-là le tiennent pour certain.
CHAPITRE XXIV.—De ce qu’ils croient d’un autre Cimi qui se nomme Faragauaol.
Ce Cimi est celui d’un grand cacique de l’île Espagnole, et c’est une idole à qui ils attribuent différents noms, et qui fut trouvée de la manière que vous allez entendre. Ils disent qu’un jour, dans les temps passés, avant la découverte de l’île, sans qu’ils puissent dire quand, étant allés à la chasse, ils trouvèrent un certain animal; qu’étant couru après, il tomba dans une fosse, et qu’y regardant pour cela, ils virent un tronc d’arbre qui leur paraissait une chose vivante. Ce que voyant le chasseur, il courut à son maître qui était cacique, et père de Guaraionel et lui dit ce qu’il avait vu. Sur quoi ils y allèrent et trouvèrent la chose, comme le chasseur l’avait dite; et ayant pris le tronc ils lui fabriquèrent une maison. Ils disent que de cette maison il sortit plusieurs fois, retournant à l’endroit, d’où on l’avait enlevé, non précisément au même lieu, mais tout près; car le seigneur susdit ou son fils Guaraionel l’ayant envoyé chercher, le trouvèrent caché; une autre fois ils le lièrent et le mirent dans un sac; et avec tout cela, ses liens ne l’empêchaient pas de s’en aller. Et ces pauvres ignorants regardent ces choses comme des plus certaines.
CHAPITRE XXV.—Des choses qu’ils affirment avoir été dites par deux des principaux caciques de l’île Espagnole, l’un appelé Caziuaguel, père du dit Guarionel, et l’autre Guamanacoel.—C’est ce grand seigneur qu’ils disent être dans le ciel, et qui au commencement de ce livre est écrit Caizihu, lequel fit ici une abstinence comme celle que ces gens-ci font tous communément: à cet effet, ils restent renfermés six ou sept jours, sans rien manger, excepté du jus des herbes avec lequel ils se lavent également. Ce temps terminé, ils commencent à manger quelque chose qui alimente. Et dans le temps qu’ils sont restés sans manger, à cause de la faiblesse qu’ils éprouvent dans le corps et dans la tête, ils disent avoir vu quelque chose, peut-être désirée par eux: tous font donc cette abstinence en l’honneur des Cimi qu’ils possèdent, pour savoir s’ils remporteront la victoire sur leurs ennemis ou pour acquérir des richesses, ou pour toute autre chose qu’ils puissent désirer. Ils disent aussi que ce cacique avait affirmé avoir parlé avec Iocauuaghama, qui lui avait dit que, après sa mort, quel que fût celui qui demeurât vivant, il ne jouirait que peu de temps de l’autorité, parce qu’il viendrait dans le pays des gens habillés qui devaient les mettre sous le joug et les faire mourir, et qu’ils mourraient de faim. Mais ils pensèrent d’abord que ces gens seraient les Cannibales; et considérant que ceux-ci ne faisaient autre chose que piller et s’enfuir, ils crurent que ce devrait être une autre nation dont parlait le Cimi. D’où ils sont persuadés maintenant qu’il s’agissait de l’Amiral et des gens qu’il amena avec lui[56].. ..
Voilà tout ce que j’ai pu comprendre et savoir par rapport aux coutumes et rites des Indiens de l’île Espagnole, par le soin que j’ai mis; en quoi je ne prétends à aucune utilité spirituelle ou temporelle. Plaise à Notre-Seigneur de faire tourner tout cela à sa gloire et à son service, de me donner la grâce de pouvoir persévérer! s’il devait en être autrement qu’il m’ôte l’intelligence.
FIN DE L’ŒUVRE DU PAUVRE ERMITE ROMAIN PANE.
NOTES
[1] Ce petit ouvrage est tiré de l’histoire de Christophe Colomb, écrite par don Fernando Colomb, son fils. Au temps où Pinelo rédigea sa Bibliothèque en 1738, l’original espagnol n’existait plus; on n’a en Espagne qu’une traduction faite sur l’ouvrage en italien, imprimé à Venise en 1571, d’après lequel nous donnons la nôtre. Le frère Romain Pane, hermite de l’ordre des Hiéronymites, comme il le dit lui-même, écrivit son récit à la demande du grand navigateur; il se compose de vingt-six petits chapitres, comprenant dix-huit feuillets, insérés à la suite du chapitre LXI de l’ouvrage de don Fernando Colomb, au milieu duquel il est intercalé.
[2] Cemini, pluriel en italien, de cemi, cimi ou zemi, appelés ailleurs tuyra, tel est le nom générique des dieux ou génies inférieurs, bons ou mauvais, des aborigènes de Haïti, nom qu’ils appliquaient à un grand nombre d’idoles et d’amulettes, représentant ces génies ou aux reliques de leurs ancêtres. «Les Caciques, ajoute à ce sujet Fernando Colomb, ont trois pierres dans lesquelles eux et leurs peuples ont une grande dévotion. L’une, disent-ils, est favorable aux moissons et aux légumes; l’autre à l’accouchement des femmes et la troisième pour obtenir de l’eau et du soleil au besoin.» Dans les dialectes des Antilles, on prononce aussi ce mot ceme, cheme, chemi (ch guttural comme le j espagnol). En quelques endroits du Yucatan le nom de tzimin était donné à certains fantômes: au temps de la conquête, les Mayas appelaient ainsi le tapir en quelques endroits; ils le donnèrent au cheval. En langue nahuatl tzimitl, tzitzimitl, tzitzimime sont des fantômes ou démons: c’est le nom des étoiles qui tombèrent du ciel, au temps du déluge.
[3] Pierre Martyr d’Anghiera a pu consulter l’ouvrage original de Romain Pane, ainsi que d’autres documents analogues; il écrit ces deux noms Yocauna Gua-Maonocon (gua est un article pronominal dans la langue antique de Haïti). Ce dieu est le premier moteur tout-puissant, éternel et invisible (Sumario delle Indie Occidentali, etc. Col. de Ramusio, tom. III, fol. 34, V. Venise, 1606). On peut consulter, pour l’étymologie de ces noms, le petit vocabulaire haïtien placé à la suite de celui de la langue maya à la fin de ce volume.
[4] Cette mère, dans Pedro Martyr, reçoit les noms suivants: Attabeira, Mamona, Gua-Carapita, Iiella, Guimazoa; Humboldt dit que les noms sont très-estropiés dans l’édition italienne de la vie de Colomb par son fils. Dans l’île de Cuba, au lieu d’Atabei on disait Atabex, dont la racine at signifie un, unique, premier. Ceux-ci et quelques autres dieux supérieurs n’avaient point d’images.
[5] Pierre Martyr appelle le premier Caunana, le second Canta est écrit ailleurs Cauta; le troisième nom est écrit par l’auteur cité Caxi Baxagua, qui me paraît devoir être la véritable orthographe; le x étant pour ch, que le ci et gi représentent en italien. On lit aussi Amaiauna pour Amaiauua.
[6] Dans l’autre texte déjà cité Machockael.
[7] Suivant l’auteur cité, ces hommes avaient un vif désir de voir le monde; ils sortirent donc de nuit, mais n’ayant pu rentrer à temps, ils furent surpris par le soleil qui les changea en arbres iobi (ou hobi), c’est-à-dire en arbres analogues aux myrabolaniers. C’est le xocotl ou jocote du Mexique.
[8] Pierre Martyr l’appelle Vaguoniona, ajoutant qu’il avait un grand nombre d’enfants; l’un d’eux étant le Giadrauaua fut changé en rossignol.
[9] Giahuba-Bagiael, fils de Giahubabagi, autre orthographe peut-être de Guagugiona.
[10] Matinino est l’île appelée aujourd’hui la Martinique.
[11] Suivant Pierre Martyr, ces enfants criaient toa, toa, c’est-à-dire maman, maman, et ils furent, ainsi que leurs mères, changés en grenouilles par le soleil. Un auteur dit que tona était l’opossum ou sarigue.
[12] Aïti, c’est-à-dire (terre) âpre ou montagneuse. Bouhi paraît signifier bien habité.
[13] C’est le même qui est écrit plus haut Gua-Gugiona.
[14] Ana-Cacugia, c’est-à-dire fleur de cacao.
[15] Ainsi, Guahagiona prend la syphilis au milieu de la mer avec une femme de la grotte de Cacibagia; il est étrange de voir cette maladie paraître ainsi dans les histoires religieuses des peuples américains. Dans la légende sacrée de Teotihuacan, Nanahuatl, le Syphilitique, se jette dans les flammes et devient le soleil.
[16] L’endroit où l’on mène Guahagiona pour le guérir est un endroit retiré, et aussi un lieu sacré d’après l’étymologie du mot Gua-Nara.
[17] Guabonito, c’est-à-dire Goïave d’homme, suivant un interprète.
[18] Biberoci paraîtrait devoir s’interpréter Roi de l’amour de la seconde vie.
[19] Il y a ici probablement une erreur, Gualonito, tandis que plus haut il y a Guabonito.
[20] Le guanin était un bijou travaillé avec beaucoup d’art et en toutes sortes de figures. (Herrera, Hist. gen. de las Indias Occid., decad. I, chap. 3.) Le guanin était composé d’un amalgame de 18 parties d’or, 6 d’argent et 8 de cuivre. Ciba est la pierre.
[21] Ceci semble dire que l’usage de ces bijoux d’or devait son origine à Guabonito, à Albeborael, à Guahagiona et au père d’Albeborael, c’est-à-dire Albe-Bora, nom qui peut donner lieu à bien des conjectures, car il rappelle les nations primitives du nord, telles que les Hyper-Boréens, etc.
[22] Un commentateur de Romain croit trouver ici le commencement d’une dynastie antique, habile à travailler l’or et la pierre dure, et qui serait venue d’outre-mer; cette dynastie, les Hi-Auna ou Hi-Ona se rattacherait, suivant lui, aux anciennes tribus pélasges Aones ou Ioniens. La racine de ce nom, ion, on, ona, se trouve fréquemment, comme le peut voir le lecteur, dans les noms antiques de Haïti.
[23] Au lieu d’aigles, Pierre Martyr nous parle de fourmis qui descendaient le long des branches, ce qui a donné lieu à un grand nombre d’auteurs de cette époque de comparer cette fable à celle des Myrmidons.
[24] Ces êtres qui n’ont pas de sexe d’abord, sont cependant représentés ensuite par un pronom féminin, elles dans le texte italien; mais il se pourrait qu’il s’appliquât aux aigles, aguile.
[25] Caracaracol est un pluriel de caracol, formé par la répétition du mot, très-fréquent dans les langues anciennes de l’Amérique. Caracol est le nom générique du coquillage marin, et en particulier du crabe. Son étymologie haïtienne prête à de nombreuses interprétations: il signifie mot à mot, sorti d’un lieu sacré; dans le quiché, il signifierait, issu ou sorti d’un poisson. La coquille était au Mexique un symbole de la lune et en même temps de la génération: «De même que l’animal sort de sa coquille, ainsi que l’homme sort du ventre de sa mère,» dit un passage du MS. mexicain Letellier, de la Bibliothèque impériale. On peut remarquer encore, à cet égard, qu’en un grand nombre de ces provinces des îles et de terre ferme, où les hommes allaient nus, ils se cachaient le membre viril dans un grand coquillage, attaché par devant à une ceinture. Dans ce mot curieux on trouve le nom des Caras ou Cares, qui est répandu d’un bout à l’autre de l’Amérique, de la Floride au fond de la Bolivie, et d’où les Caraïbes ou Caribes paraissent avoir pris le leur. Ici, le Caracol paraît être l’aborigène de Haïti, ou du moins une race antérieure à ceux du Guanio ou Hiona, qu’elle sert comme esclave. Cette race est entachée d’une maladie analogue à la gale, la syphilis apparemment; car c’est en voguant en compagnie d’une femme du même pays, que Guahagiana a pris cette maladie. Voir au chapitre V.
[26] Cet oiseau inriri, appelé pico par les Espagnols, est le Picus imbrifœtus d’Hernandez. (Nieremberg, Hist. nat., lib. X, cap. 49.)
[27] Giaia est écrit Iaia dans l’abrégé de Ramusio. Ce Giaia était un homme puissant, dit le même abrégé.
[28] Malgré l’incohérence de toutes ces fables, on voit ici une connexion évidente entre l’histoire de ces poissons et celle des Caracols, rapportée plus haut. Ce chapitre et le suivant auraient dû précéder le VIIᵉ.
[29] Agiael, erreur du copiste, apparemment pour Giaiael.
[30] Dimivan-Caracaracol, sont deux noms extrêmement remarquables, d’autant plus qu’ils sont liés à d’autres noms, non moins curieux, qui vont suivre, et à des événements tout aussi intéressants. Déjà on a pu voir l’identité de Caras avec les Caras ou Cariens de l’Asie Mineure; ici se joint à ce nom celui de Dimivan, qui rappelle les Demavends, cette race antédiluvienne de la Perse. Ici encore Dimivan-Caracaracol avec les frères joue un rôle remarquable dans les événements qui causent, non le déluge, mais le cataclysme qui bouleverse l’Amérique et séparent les îles du continent.
[31] La version de Pierre Martyr, dans Ramusio, est beaucoup plus complète: «Du commencement de la mer, écrit celui-ci, ils disent qu’il y avait un homme puissant appelé Iaia: celui-ci ayant tué un fils unique qu’il avait, voulant l’ensevelir, et ne sachant où le mettre, l’enferma dans une grande calebasse, qu’il plaça ensuite au pied d’une montagne très-élevée, située à peu de distance du lieu qu’il habitait: or, il y allait la voir souvent par l’amour qu’il éprouvait pour son fils. Un jour, entre autres, l’ayant ouverte, il en sortit des baleines et d’autres poissons fort grands, de quoi Iaia, rempli d’épouvante, étant retourné chez lui, raconta à ses voisins tout ce qui lui était arrivé, disant que cette calebasse était remplie d’eau et de poissons à l’infini. Cette nouvelle s’étant divulguée, quatre frères qui étaient nés à la fois d’une seule couche, désireux de poissons, s’en allèrent où était la calebasse; comme ils l’avaient prise en mains pour l’ouvrir, Iaia étant survenu, et eux l’ayant aperçu, dans la crainte qu’ils eurent de lui, ils jetèrent par terre la calebasse; celle-ci s’étant brisée à cause du grand poids qu’elle renfermait, la mer sortit par ses ruptures, et toute la plaine qu’on voyait s’étendre au loin, sans fin ni terme d’aucun côté, s’étant couverte d’eau, fut submergée; les montagnes seulement restèrent, à cause de leur élévation, abritées de cette immense inondation, et ainsi ils croient que ces montagnes sont les îles et les autres parties de la terre qui se voient dans le monde.»
[32] Le nom de Con-El, fils de Con, qui suit les autres, n’est pas moins remarquable. Con ou Chon au Pérou, ce dieu sans chair et sans os, créateur des hommes qu’il détruit ensuite, pour leur donner plus tard une nouvelle existence, adoré au Mexique sous le nom de Co, Con, Comitl, comme un des symboles de la génération, rappelle d’une manière frappante le Kon, Chon ou Xons des théogonies antiques de l’Égypte et de la Phénicie, avec qui il est si complétement identique. Le Con-El de Haïti était muet; celui du Pérou sans chair ni os.
[33] Le cassabi ou pain de manioc, fait de la farine de la Yuca dont on extrait auparavant le suc, à cause de ses propriétés vénéneuses.
[34] Ce nom paraît être le même que le précédent Aiacauo.
[35] Ceci paraît être un sac où ils mettaient la cagioba ou coxoba, c’est-à-dire le tabac en poudre auquel il est fait souvent allusion dans ce petit ouvrage.
[36] Le sens ici est peu intelligible, à cause des mots intraduisibles qu’il y a dans le texte.
[37] Ici Baiamanicoel se trouve probablement pour Bassamanaco qui est plus haut.
[38] On sait que la tortue est souvent dans les fables anciennes un symbole de la terre sortie des flots.
[39] Ce cacique est appelé Machinnech dans l’abrégé de Pierre Martyr, dans Ramusio et la grotte Iovana-Boina.
[40] Suivant l’auteur précité le premier cimi s’appelait Binthaitel et le second Marohu.
[41] Soraia, pays du soleil couchant.
[42] Etymologiquement Coaibai est plutôt la demeure des ancêtres.
[43] L’auteur ou le traducteur doit se tromper ici; il dit d’abord que le goeiz est l’esprit du vivant; puis il le donne comme l’esprit du mort; il y a très-probablement goeiz pour opia.
[44] Dans Ramusio, le nom de maguey est donné à cette classe de tambours qui est le teponaztli des Mexicains et le tunkul du Yucatan. Cette traduction italienne est remplie d’incorrections. Il est bien évident qu’une ligne du texte original a été omise ici par mégarde; car ce tambour oblong deviendrait à la fin semblable à une calebasse, forme qui doit être appliquée au bâton avec lequel on le frappait. J’ai placé entre parenthèses les mots qui me paraissent y manquer.
[45] Bohu-itihu, mot à mot anciens hommes, on les appelle indifféremment aussi bohuti, boitii, bohique, et dans Pierre Martyr boition. Ces bohu-ilihus ou médecins formaient une caste puissante, mais bien dégénérée à l’époque de la découverte de l’Amérique; ils étaient les restes d’un sacerdoce antique qui avait établi primitivement dans les Antilles les trois classes, telles que les présentent les traditions du Livre sacré des Quichés; c’est-à-dire celle des Bohu-itihu ou prêtres, celle des Taino ou nobles, enfin celle des Anaboria, vassaux ou serviteurs. Malgré leur dégradation, on trouvait encore dans ce qui s’était conservé des institutions sociales dans ces îles, les débris d’une civilisation qui présentait des analogies remarquables avec celle du Yucatan, et d’autres régions du continent américain.
[46] Cohoba, ailleurs écrit cogioba, est le tabac en poudre dont il a été déjà question.
[47] On dirait qu’il y a constamment des mots oubliés; ici il est question d’un chant dont on aurait parlé, sans qu’il en ait été fait mention auparavant.
[48] Ne serait-ce pas là une sorte de magnétisme animal?
[49] Le texte italien dit: Come chi soffia una pala; peut-être est-ce pour soffiare de una paglia, souffler d’un fétu de paille.
[50] Il y a dans le texte Cimiche, prononcé tzimique; autre variante de zemi.
[51] Ici paraît sous tout son jour l’antagonisme qui existait dans les îles entre la noblesse et le Sacerdoce.
[52] Bugia, Aiba et Baidrama paraissent être trois noms du même cemi, et le peu qu’en rapporte l’auteur donnerait à penser qu’il s’agit ici d’une sorte de divinité de la guerre et du mal.
[53] Corocote était, suivant l’abrégé de Ramusio, un cemi fait de coton, et tous les enfants qui naissaient avec quelque signe particulier sur la tête ou le col, passaient pour avoir été engendrés par lui.
[54] Dans Pierre Martyr il est appelé Epileguanita.
[55] Gua-Bancex, Gua-Tauva et Coatrischie (Gua-Trixquié?) sont évidemment les trois personnes de la trinité que le Livre sacré des Quichés nous présente dans Hurakan (l’ouragan) et qui président aux nuages, à la foudre et à la tempête.
[56] Ce qui suit dans l’opuscule du frère Romain n’a plus aucun rapport avec les choses précédentes, c’est l’histoire de la conversion de quelques caciques, mêlée de miracles légendaires et sans le moindre intérêt dans la matière que nous traitons ici.
ESQUISSE D’UNE GRAMMAIRE
DE
LA LANGUE MAYA
D’APRÈS CELLES
DE BELTRAN ET DE RUZ.
A l’époque de la découverte du continent américain, le maya était la langue unique de toute la péninsule yucatèque et d’une partie des régions voisines, comprises actuellement sous le nom de Peten et de Lacandon, ainsi que des cantons fertiles arrosés par les nombreuses embouchures de l’Uzumacinta et du Tabasco. A cette langue se rattachaient différents dialectes: d’un côté, c’étaient le mopan, le peten et le chol, qui paraissent s’en être éloignés beaucoup, depuis lors; de l’autre, le tzendal, le zotzil et le mam, alliés également de fort près autrefois, mais qui s’annoncent plutôt comme un trait d’union entre les trois autres et le groupe quiché-guatémalien. Au rapport de Landa, l’Adelantado Montejo fut un des premiers qui eût travaillé à acquérir quelque connaissance de la langue des Mayas, afin, dit-il, de pouvoir converser avec eux. Les Franciscains, à qui était échue l’œuvre de la conversion du Yucatan, ne tardèrent pas à suivre son exemple, et celui qui s’appliqua tout d’abord à enseigner leurs enfants fut le Français Jacques de Testera, frère d’un chambellan de François Iᵉʳ, que les Espagnols chassèrent du Yucatan, à cause du zèle avec lequel il défendait les indigènes de leurs excès.
A la suite de la seconde expédition de Montejo, d’autres franciscains furent envoyés à Campêche et à Merida, où ils travaillèrent avec ardeur à se rendre maîtres des premiers éléments de la langue. Celui qui obtint le plus de succès fut le Père Luis de Villalpando, qui commença à l’apprendre d’abord, ajoute ici Landa, par signes et à l’aide de petites pierres, à la manière de ceux dont parle Torquemada[1]. La grammaire qu’il composa sur le plan des grammaires latines de son temps, augmentée et perfectionnée par Landa, aurait été publiée au rapport de Pinelo; mais, si elle existe, les exemplaires en sont aujourd’hui perdus. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage servit de base à plusieurs autres du même genre: telles furent les grammaires du Père Julian de Quartes, de Juan Coronel, de Juan de Azevedo, de Francisco Gabriel de San-Bonaventura et de Pedro Beltran de Santa-Rosa-Maria[2]; mais, à l’exception des ouvrages de ces deux derniers, on ne connaît rien aujourd’hui d’imprimé à ce sujet jusqu’à la grammaire publiée par le Père Joaquin Ruz, en 1844[3].
Le Père Pedro Beltran, parlant de la langue maya, dit, dans la préface, qu’elle est «gracieuse dans la diction, élégante dans les périodes et concise dans le style; capable d’exprimer souvent, dans un petit nombre de mots et de syllabes, le sens de plusieurs phrases. Si le disciple, ajoute-t-il, surmonte une fois la difficulté que présente au premier abord la prononciation de quelques consonnes extrêmement gutturales, il n’éprouvera guère d’embarras ensuite, pour se mettre au courant de la langue.»
DE L’ALPHABET.
L’alphabet de la langue maya manque des lettres d, f, g, j, q, r, s, v; mais elle en a d’autres, en revanche, que nous n’avons pas dans le français, deux, entre autres, où l’on trouve jusqu’à un certain point le son du d, du j et du z; tels sont le ɔ (c renversé), qui doit se prononcer dz, et le çh, que les livres modernes du Yucatan représentent avec un h barré ou croisé par le haut, mais que nous rendons ici par un ç pour plus de commodité. Autant qu’il nous est possible de nous en rendre compte, le son de ces deux lettres doit se rendre à peu près comme dj; mais elles se présentent rarement et dans un petit nombre de mots, où elles ne paraissent être qu’une variété du ch ordinaire de l’espagnol, qui se prononce tch.
La lettre c est dure indifféremment devant toutes les voyelles, autant que le k ou le q français; ainsi cimil, la mort, se prononce kimil. La lettre h est toujours aspirée avant ou après les voyelles, comme le j ou jota en espagnol[4]. I, devant une autre voyelle, prend le son de notre y, commun dans les ouvrages modernes, mais qui, d’ordinaire, est remplacé par deux ii dans les plus anciens, ou ij. K, différent du nôtre, a un son guttural que l’usage seul peut enseigner. Le pp est beaucoup plus fort que le p simple; il est, ainsi que le th, représenté dans les anciens ouvrages par tt ou double t; car il est de la classe des lettres américaines qu’on appelle détonnantes, le th maya n’ayant aucune analogie avec le th anglais. U est toujours prononcé ou, se modifiant légèrement en w devant une autre voyelle. La lettre x représente le son du ch français (en anglais sh), et le z a pour ainsi dire le son de notre s dur.
On peut remarquer, en règle générale, que les voyelles ont deux sons: l’un ordinaire, comme celui que nous connaissons, et l’autre nasal, que l’usage seul peut apprendre à distinguer du premier.
DE L’ARTICLE.
Les noms, dans la langue maya, sont indéclinables comme en français; les cas sont formés par des prépositions, suivies ordinairement d’un article qui détermine le sujet. Ces articles sont u, qui détermine la possession. Ex.: U hol pop, le chef de la natte, ou le maître d’orchestre; u luum Mayabob, la terre des Mayas. Les véritables articles sont le, leti, letile.
Singulier masculin et féminin.