Saint Paul
I
SAUL LE PERSÉCUTEUR
LE MARTYRE D’ÉTIENNE
Violente du début à la fin, l’histoire de saint Paul s’ouvre par une scène terrible.
C’était au moment où les Douze, voyant l’urgence de diviser le ministère temporel du spirituel, avaient décidé, « pour le service des tables[28] », l’élection des Sept.
[28] Actes VI, 1.
Les disciples se souvenaient du conseil : « Ne vous inquiétez ni d’avoir de quoi manger, ni d’avoir de quoi vous vêtir[29]. » Afin de le suivre comme un précepte, ils avaient mis en commun ce qu’ils possédaient. Les riches avaient offert leurs revenus, vendu leurs terres, leurs maisons, ou donné leur logis à des frères pauvres. De la sorte, il n’y avait plus que des pauvres parmi les fidèles. Leur nombre croissait au delà des ressources ; suffire à tous les besoins devenait compliqué.
[29] Math. VI, 25.
Le dénûment, pour chacun, pouvait être une béatitude ; pour la communauté, même à Jérusalem où « cinq petits oiseaux coûtaient deux as[30] » et une fiasque d’huile un as[31], il engendrait un malaise. La volonté de perfection n’était pas égale chez tous. Certains se crurent lésés dans le partage quotidien. Des veuves, peut-être chargées d’enfants, réclamaient plus que d’autres ; autour d’elles on excitait leurs doléances.
[30] Luc XII, 6. L’as valait 3 cent. 39.
[31] V. Schwalm, Vie privée du peuple juif, p. 340.
Elles appartenaient à des familles de Juifs hellénistes, de ceux qui, ayant séjourné en Cilicie, en Cyrénaïque, en Égypte, à Rome, parlaient la langue internationale d’alors, le grec commun, la koïné.
Ces hellénistes, nous les retrouverons en face de Paul, remuants, grondeurs, fanatiques. Comme ils étaient revenus de l’étranger dans la ville sainte, ils faisaient sonner haut leur zèle religieux, et formaient, sans doute malgré eux, bande à part vis-à-vis des Palestiniens ; ceux-ci les regardaient d’assez haut comme le fils de la parabole, demeuré chez son père, dévisage son cadet, quand il rentre au logis. Le nom même d’hellénistes qu’ils leur infligeaient accusait une suspicion, comme si un long contact avec les païens et l’usage de leur langue les entachaient d’impureté.
Hommes d’affaires, les hellénistes appliquaient sur leur judaïsme un vernis grec, afin de mieux lui préparer un royaume universel ; la culture de l’intelligence leur était un moyen de conquête, comme la ruse et l’argent. Eux seuls se targuaient de gagner des prosélytes. C’étaient des nationalistes calculateurs ; et ils devaient abominer une doctrine qui, visant au règne de l’Esprit, excluait leurs grossiers moyens.
Même convertis, — car la foi nouvelle toucha leur élite, — ils maintenaient leur humeur exigeante, toujours en défense et méfiants. Au sujet des veuves de leur groupe ils murmurèrent, « grognèrent » avec ensemble. Les Douze, voulant la paix dans l’unité et comprenant qu’il fallait mieux organiser l’économie de la vie commune, prirent occasion de cet incident pour l’institution des Sept[32].
[32] On a longuement épilogué sur la raison de ce nombre sept. Marquait-il la subordination à l’égard des Douze ? Correspondait-il aux sept pains multipliés par Jésus, ou aux sept anges debout devant Dieu (Tob. XII, 15) ? Les repas en commun se prenaient-ils en sept endroits de la ville ? Un diacre présidait-il à chacun ? Toutes ces explications sont plausibles, non décisives. Il est probable que les Sept, tous hellénistes, complétaient le ministère, devenu insuffisant, d’autres diacres, élus déjà, et palestiniens.
L’assemblée des fidèles semble leur avoir proposé les noms à choisir. Les sept élus portaient des noms grecs ; tous Juifs de naissance, sauf Nicolas, prosélyte d’Antioche. Les Douze, après avoir prié, leur imposèrent les mains, les investissant de pouvoirs liturgiques. Car les diacres ne devront pas seulement veiller à distribuer le pain ; ils participeront au mystère eucharistique ; ils baptiseront ; ils enseigneront.
Préposé à des œuvres de charité, « comblé de grâce et de puissance », Étienne révéla des dons suréminents. Il opérait « au milieu du peuple des miracles et des signes extraordinaires ». Il prêchait aussi, catéchisait les indigents qu’il soulageait, les infirmes qu’il guérissait.
On a conjecturé qu’il osa provoquer dans leurs synagogues les Juifs hellénistes ; d’où les fureurs liguées contre lui. S’arrogea-t-il cette mission ? Il est plus simple d’admettre qu’irrités des prodiges et des conversions qu’il multipliait, les Juifs déléguèrent quelques orateurs de synagogues, agressifs et retors, qui lui portèrent un défi public, espérant l’humilier, abattre son prestige.
Certains d’entre ses contradicteurs fréquentaient la synagogue des Ciliciens. Saul de Tarse devait en être. Né vers l’an 10 ou 12, il avait en 36 vingt-trois ou vingt-cinq ans. Les pharisiens attaquèrent sans doute Étienne sur la doctrine du Christ. Le débat tourna simplement à leur confusion ; ils ne purent tenir contre l’Esprit de sagesse qui parlait en lui.
Alors ils ourdirent, pour le perdre, des calomnies décisives. Étienne avait blasphémé contre Moïse, contre le Temple et la Loi.
Contre le Temple ! Nul grief ne pouvait être plus redoutable. C’était le crime qu’on avait reproché à Jésus.
Le Temple signifiait le relèvement et la stabilité d’Israël. Tout l’orgueil et toute l’opulence du peuple de Iahvé s’y concentraient. Lieu saint unique, nombril du monde, la gloire de Dieu l’habitait. De très loin il éblouissait, tel qu’une montagne de marbre, mais avec les pointes dorées de sa toiture, les colonnes de ses portiques, ses neuf portes plaquées d’or et d’argent, et la dixième en bronze de Corinthe, si lourde qu’au dire de Josèphe[33] il fallait, pour la fermer, les bras de vingt hommes. Du matin au soir, les victimes y montaient, le sang des boucs et des taureaux éclaboussait les cornes de l’autel, la graisse des holocaustes fumait sur les brasiers. Les appels des trompettes et des cors, les clameurs des psaumes exaltaient au-dessus de la ville des rythmes de piété guerrière. Enfin, le trésor, le Corban détenait des richesses formidables et mystérieuses. On n’avait pas oublié la poutre d’or cachée dans une solive de bois, et qui pesait, disait-on, trois cents mines[34]. Sans le Temple, sans les pèlerinages et les sacrifices, que seraient devenus les commerçants de Jérusalem, les éleveurs palestiniens ?
[33] Bellum judaïcum, II, 17.
[34] Josèphe, Antiquités juives, XIV, XII. Les chiffres donnés par Josèphe doivent souvent être accueillis avec une sévère méfiance.
Le dénigrer, parler de sa destruction possible, cette impiété devait paraître aux Juifs monstrueuse et suprême, d’autant plus exaspérante qu’au fond ils pressentaient les catastrophes prédites, suspendues sur lui et sur eux.
Les ennemis d’Étienne déchaînèrent contre sa personne, peut-être au Temple même, un tumulte de la populace. Rien n’était plus aisé dans une ville pleine de mendiants, de pèlerins excitables, où des centaines de synagogues pouvaient se communiquer le mot d’ordre d’une conjuration. Il brava la foule, rendant témoignage au Juste, au Fils de l’homme assassiné par les mêmes Israélites qui voulaient sa perte.
Ceux-ci prirent à témoin de son langage impie des anciens du peuple et des scribes, des pharisiens ; ils l’appréhendèrent, le jetèrent en prison. L’accusé comparut ensuite devant le grand sanhédrin.
S’il fallait en croire le Talmud[35], « quarante ans avant la destruction du Temple, le droit de prononcer les sentences capitales fut ôté à Israël ». En fait, chaque fois qu’il sentait se relâcher la pression romaine — or la mise en jugement d’Étienne dut concorder avec la disgrâce et le départ de Pilate — le sanhédrin tendait à reprendre ses pouvoirs juridiques. Les Romains lui reconnaissaient d’ailleurs le droit de juger les crimes religieux. Seulement, les sentences avaient besoin d’être validées par le procurateur ; limitation humiliante que les pharisiens ne désespéraient pas d’annuler.
[35] Trad. Schwab, t. XI, Traité sanhédrin, p. 238. Juster (op. cit., t. II, p. 134) estime ce texte peu probant, et c’est aussi l’avis du P. Lagrange (Saint Étienne et son sanctuaire à Jérusalem, p. 29).
Dans l’affaire d’Étienne ils agiront comme envers Jésus avec une combinaison de violence et d’hypocrisie. Pour brusquer le dénouement, une émeute interviendra. L’accusé sera poussé au lieu du supplice avant d’être régulièrement condamné. Quelque chose des formes légales persistera dans son exécution. Cependant elle les démentira ; sa mort fera songer à celle d’Akhan, voleur du manteau rouge et des deux cents sicles d’argent qui devaient être offerts au Seigneur, lapidé par tout le peuple, dans la vallée d’Achor[36].
[36] Josué VII, 18-26.
Le sanhédrin siégeait dans l’enclos du Temple. La salle était disposée en demi-cercle ; ainsi les soixante-dix juges pouvaient se voir, se surveiller, échanger des clins d’yeux[37]. A droite et à gauche deux scribes inscrivaient les opinions énoncées et leurs motifs. Au centre trônait le grand prêtre, reconnaissable, peut-on croire, à la lame d’or qui ceignait son front, aux gemmes du rational qu’il portait dans les circonstances solennelles[38].
[37] C’est la raison donnée dans le Talmud (loc. cit., p. 269).
[38] Sur le costume que portait le grand prêtre, comme chef du peuple juif, nous n’avons aucune donnée ferme.
Devant les juges trois séries de disciples s’asseyaient, chacune de vingt-trois membres, ayant leur place marquée. C’est parmi eux que nous imaginons Saul, et les regards homicides qu’il envoyait sur Étienne.
L’accusé se dressa, magnifique de pureté candide. Quand les témoins déclarèrent :
« Nous l’avons entendu dire : Ce Jésus le Nazaréen détruira ce lieu-ci et changera les coutumes que nous transmit Moïse », il n’eut pas l’air d’avoir écouté, mais parut en extase ; la flamme des yeux furibonds dardés contre son visage sembla s’y changer en un éclat angélique. Il se présentait, comme jadis les prophètes devant les rois, accusateur et juge de ses juges ; lui et Jacques le Mineur, plus tard précipité du Temple et lapidé, devaient être les derniers nabis.
Le grand prêtre l’interrogea comme s’il l’invitait à se défendre, mais pensant bien l’accabler sous l’évidence de son crime :
« Tout cela est-il vrai ? »
Étienne répondit par un discours sublime dont Paul comprit, dans la suite, l’enseignement. Au lieu de se disculper, il représenta le passé d’Israël depuis les promesses reçues par Abraham. Il essaya de faire entendre qu’elles dépassaient l’existence du Temple, sinon le culte mosaïque.
Israël, durant des siècles, avait adoré son Dieu, nomade comme lui, ici ou là ; et le tabernacle n’était qu’une tente dressée pour un soir, la tente de bergers en marche. Le buisson en feu d’où était sortie, devant Moïse, la voix du Seigneur, avait été vraiment « la terre sainte ». Puis les Hébreux avaient, dans le désert, servi des idoles, disant à Aaron : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous. » Ils s’étaient prosternés sous « l’armée des cieux ». Salomon avait construit une demeure au Dieu de Jacob ; mais « le Très-Haut n’habite pas dans des maisons construites de main d’homme… Le prophète a dit : « Le ciel m’est un trône, et la terre un escabeau pour mes pieds ; quelle maison me bâtirez-vous ?… »
Dans cette histoire d’un peuple où les grands faits se découpent comme des morceaux d’horizon, la nuit, sous les éclairs d’un orage prochain, Étienne insérait des allusions crucifiantes au Juste méconnu et vendu, renié par ses frères, dont Joseph et Moïse étaient les figures trop intelligibles ; il ne dissimulait pas qu’une foi toute matérielle au Temple équivalait à une idolâtrie.
L’auditoire suivait son raisonnement assez pour en avoir horreur. Tous ces vieux pharisiens, les bras croisés dans leurs longues manches, commençaient à s’agiter ; les jeunes trépignaient, murmuraient. Au début, on avait écouté ; les Juifs respectaient, chez l’accusé, le droit de défense ; ils se plaisaient inlassablement aux récits où les aventures de leurs pères, commentées dans un sens prophétique, leur promettaient un retour des gloires, une délivrance pareille à celles d’autrefois. Étienne parlait, de même que son maître Jésus, non en scribe ni en casuiste péroreur, mais « comme ayant une puissance ». A mesure que son exégèse devenait plus manifestement hostile, l’indignation grondait. Loin de la prévenir, il la défia soudain par une apostrophe qu’on peut croire transcrite jusqu’à nous, telle — ou à peu près — qu’il la proféra :
« Gens au cou raide, incirconcis de cœurs et d’oreilles, c’est toujours vous qui résistez à l’Esprit saint : comme furent vos pères, ainsi vous êtes. Quel est celui des prophètes que n’ont pas persécuté vos pères ? Ils ont tué ceux qui prophétisaient sur la venue du Juste envers qui vous êtes maintenant devenus traîtres et assassins, vous qui avez reçu la Loi en préceptes d’anges et ne l’avez pas gardée. »
Les auditeurs frémirent ; chaque mot leur « sciait le cœur en deux » ; ils « grinçaient des dents ». Quand on a vu, en Orient, des foules exaspérées, il est facile de concevoir, dans ces formidables minutes, l’aspect du sanhédrin : l’ondulation des manteaux blancs ; les roulements d’yeux féroces dont les feux se croisaient ; les mâchoires tendues, les nez en pince de crabe et les doigts crochus convergeant sur l’accusé comme pour le mettre en pièces. Les sifflements de rage, les voix rauques se heurtaient.
Rien ne troublait Étienne ; percevait-il le souffle de mort qui grondait autour de sa tête ? Un ravissement l’enlevait ivre des joies promises, ivre du Paradis ; il se tenait immobile comme une colonne de lumière ; mais, tout d’un coup, éperdu d’apporter aux hommes la présence de son Dieu, il cria, le front renversé, déployant ses bras vers des clartés invisibles :
« Voici ! Je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. »
Blasphème ! Il attestait comme une évidence la gloire du Nazaréen, sa résurrection.
Les Juifs n’y tirent plus ; ils se bouchèrent les oreilles, et toute la salle se leva d’un seul élan frénétique, pour entraîner l’impie hors du sanhédrin. Massé vers les portes, le peuple l’accueillit avec des aboiements d’extermination. Pourtant il ne fut pas lapidé à l’endroit même.
Le Lévitique ordonnait : « Fais sortir le blasphémateur du camp[39]. » On emmena Étienne hors de la ville, et, probablement, sur une hauteur, au nord de Jérusalem.
[39] XXIV, 14.
D’après la Loi[40], « à la distance d’environ dix coudées du lieu du supplice », on déshabillait le condamné, on lui disait de se confesser ; « car tous les suppliciés se confessent, et celui qui se confesse aura sa part dans le monde futur »… Le lieu de la lapidation devait avoir une élévation double de la hauteur d’un homme. Les témoins imposaient leurs mains au condamné comme à une victime expiatoire. Un des deux le précipitait ensuite, de façon qu’il tombât au-dessous, et sur le dos, non sur le ventre. « S’il était mort, on ne lui faisait plus rien ; sinon, l’autre témoin lui jetait une pierre sur le cœur ; s’il n’était pas mort, tous les assistants l’achevaient avec des pierres. »
[40] Talmud, Traité sanhédrin, p. 277-280.
Dans le supplice d’Étienne, il n’apparaît pas que les Juifs aient ainsi procédé. Les deux témoins, pour être plus à l’aise, déposèrent leurs manteaux « aux pieds d’un jeune homme qui se nommait Saul ». Mais nous apercevons, aussitôt après, le martyr assailli par les pierres, debout jusqu’à l’instant où il s’agenouille et succombe. Son exécution fut donc tout ensemble rituelle et tumultuaire. Son martyre imita, en abrégé, la Passion du Christ. En méditant son agonie, il s’était disposé à mériter la couronne, comme son nom l’y prédestinait. Le disciple eut infiniment moins à souffrir que le Maître. Il se contenta d’être, à son tour, parfait dans l’immolation.
« Seigneur Jésus, disait-il, recevez mon esprit. » Et, s’étant mis à genoux, il supplia d’une voix puissante : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. »
La doctrine du pardon était au fond même de la Rédemption : quand l’Homme-Dieu a remis par son sang l’offense irrémissible, comment l’homme oserait-il appeler sur ses ennemis une vengeance ? Mais Étienne ne se borna pas à pardonner ; il s’offrait en hostie pour ses bourreaux, pour quelqu’un surtout qu’il connaissait peut-être, Saul dont sa mort préparait la mission.
On voudrait suivre Saul durant les phases du jugement et du supplice. Son courroux contre Étienne partait d’un amour indigné : le blasphémateur devait mourir ; la Loi et les choses saintes réclamaient justice.
Reçut-il de sa dialectique un sourd ébranlement ? Nous n’en pouvons rien savoir. L’extase d’Étienne, son cri : « Je vois les cieux ouverts » lui revinrent plus d’une fois, comme le témoignage scandaleux d’une illusion qu’il ne voulait pas admettre. Mais, quand un fait contredit une croyance vivace et plus forte que tout, il reste inexistant, du moins pour les régions conscientes de la vie interne.
Pendant qu’autour du martyr la canaille vociférait, et que les exécuteurs, faisant cercle, ramassaient pour l’abattre les cailloux de la route, Saul regardait, pâle et palpitant d’une fureur contenue. Il ne lança lui-même aucune pierre ; assister ceux qui frappent lui suffisait. Il considérait avec étonnement cet homme si calme qui ne cherchait pas à se défendre ; les projectiles déchiraient son front, ses mains étendues, la nudité sanglante de sa poitrine et de ses reins meurtris ; il ne gémissait pas, il tressaillait à peine sous les coups ; et la vigueur de sa voix demeurait intacte, lorsqu’il jeta vers Dieu sa prière de victime heureuse. Atteint, soit au cœur, soit à la tête, du choc mortel, il s’étendit sur la terre, dans son sang, comme sur un lit doux pour le sommeil[41]. Quel endurcissement intrépide ! dut songer Saul. Il faudra, contre l’erreur nazaréenne, une sévérité sans merci. Et, si quelque pitié le sollicitait, il la réprima comme une faiblesse. Il rentra, plus ferme encore dans sa haine.
[41] Il s’endormit, disent les Actes.
* *
SAUL ET L’ÉGLISE
Le grand prêtre Caïphe, les Anciens du peuple jugeaient comme lui. Une violence en réclame d’autres. Les disciples d’Étienne ou de pieux prosélytes ensevelirent[42] le Saint avec une solennité d’affliction qui le glorifiait. Pour venir à bout de l’hérésie tenace, une répression méthodique fut décidée. Elle était possible au début du principat de Caligula, dans la brève période où la Judée respira plus libre, entre l’éloignement d’un procurateur odieux — sa disgrâce obtenue semblait une victoire sur Rome — et l’arrivée du successeur.
[42] Le corps du lapidé devait être, d’après la Loi, pendu jusqu’au soir à une potence. Les Actes ne disent pas que cet opprobre fut infligé au cadavre d’Étienne.
La persécution visa par système les Nazaréens d’origine helléniste ; ceux-là, comme Étienne, négligeaient hardiment le Temple, sinon la Loi. Les Douze, nés Palestiniens, plus exacts aux observances mosaïques, restèrent à Jérusalem ; et rien ne donne à entendre qu’ils furent, pour lors, inquiétés. Les autres se dispersèrent, emportant avec eux l’Évangile qui, par là, s’étendit au loin.
Faut-il dater de ce moment ou de plus tôt les chrétientés de la Samarie, de la Syrie, d’Alexandrie ? Il y en avait une à Antioche, une à Damas, puisque Saul alla bientôt la pourchasser.
Comment Saul, après avoir joué dans le martyre d’Étienne le rôle d’un comparse, simple gardien du vestiaire, reparaît-il, peu de temps après, commissaire du sanhédrin, investi d’un pouvoir de haute police qu’il exerce à la façon d’un enragé ? Son zèle, sa véhémence d’exécution l’avaient, sans doute, mis en valeur. Ses qualités de chef s’imposèrent. Dans les crises terroristes, ce sont toujours les jeunes qui prennent la tête du mouvement.
Sur la férocité de sa campagne le narrateur des Actes s’est plu à insister ; par trois fois[43] il la certifie. Saul entrait dans les maisons suspectes, en arrachait les hommes et les femmes, les entassait dans les geôles, les faisait flageller, les contraignait à renier leur foi, ou les ramenait à Jérusalem et, devant les tribunaux, intervenait pour qu’ils fussent menés au supplice.
[43] VIII, 3 ; XXII, 4-5 ; XXVI, 9-11.
Quatre fois aussi[44] dans ses Épîtres, Paul évoque son passé de persécuteur ; s’il n’y revient guère plus souvent, c’est que toutes les églises en savaient les moindres détails.
[44] Galates I, 13-14 ; I Cor. XV, 9 ; Philippiens III, 6 ; Ire à Timothée I, 13.
« Vous avez ouï dire, écrivait-il aux Galates, ma façon d’être dans le judaïsme : que je persécutais à outrance l’Église de Dieu, et que je la dévastais ; et j’allais dans mon zèle pour le judaïsme plus loin que beaucoup de Juifs, mes camarades, défenseur à l’excès des traditions pharisiennes. »
Nous n’avons aucun motif d’induire que Paul, quinze ou vingt ans après, exagérait ses violences pour mieux attester : Je me suis converti malgré moi, sans nul mérite, sans que rien m’y préparât.
L’étrange, c’est plutôt le ton dégagé de sa confession ; pas un mot ne laisse entendre que la mémoire de ses violences l’a bourrelé de remords. Il expliquera très simplement, plus tard, à Timothée, pourquoi il a pu trouver grâce devant Dieu :
« Le Christ Jésus m’a établi dans son service, moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur, tourmenteur. Il m’a pris en pitié parce que j’avais agi sans savoir, dans le manque de foi. »
Les fureurs de Saul sortaient donc d’un zèle exaspéré pour la religion qu’il croyait uniquement vraie. Ses cruautés trouveraient une explication dans ce mot aigu de Pascal :
« Jamais on ne fait le mal si pleinement ni si gaiement que quand on le fait par conscience. »
Mais il faut aussi comprendre quelle pouvait être l’âme d’un Juif au Ier siècle, ce qu’était le monde autour de lui.
On aurait grand tort de se figurer Israël comme un peuple, avant tout, féroce. Dans son histoire, les traits de miséricorde et de tendresse n’ont rien d’anormal. Sur l’âpreté des tempéraments, le précepte divin posait son onction :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ta force. »
Entre Iahvé et son peuple, un principe de suavité tempérait la crainte :
« Le Seigneur ton Dieu t’a porté, lui disait Moïse, comme un homme porte (sur l’épaule) son fils tout petit[45]. »
[45] Deutéronome I, 31.
A l’intérieur de la famille, une loi sainte gouvernait les rapports du père et des enfants, des frères et des proches entre eux. C’était une loi exigeant « la circoncision du cœur[46] » ; la bonté, le pardon y tenaient leur place. Avant le père de la parabole évangélique, on s’était souvenu d’Ésaü étreignant dans les larmes Jacob faible, humilié ; de Joseph se réconciliant avec ses frères indignes ; de David pleurant le misérable Absalom et criant : « Qui me donnera de mourir à ta place, Absalom, mon fils, ô mon fils Absalom ! »
[46] Id. X, 16.
Selon le code mosaïque les juges devaient rendre justice au pérégrin comme à l’Hébreu, au petit comme au grand, sans faire acception de personnes, parce que leur jugement « était le jugement de Dieu[47] ». Quand on entrait en guerre, devant une ville ennemie, avant de donner l’assaut, il fallait « lui offrir la paix[48] ». C’était une obligation de respecter durant un mois la femme captive[49].
[47] Id. I, 17.
[48] Deutéronome XX, 10-11.
[49] Id. XXI, 11-14.
Moïse interdisait de livrer l’esclave fugitif à son maître[50], de garder plus d’un jour le gage du débiteur pauvre[51]. Il commandait au riche d’ouvrir sa main à l’indigent, de laisser, pour l’orphelin et la veuve, sur l’olivier quelques olives, dans la vigne quelques grappes[52]. Il enseignait même la pitié pour les animaux : « Si, en marchant sur une route, tu trouves dans les branches d’un arbre ou à terre, un nid d’oiseau, et la mère couvant ses œufs ou ses petits, tu ne la retiendras pas captive[53]. » Josèphe, célébrant l’humanité de la loi juive, observe qu’elle défendait de tuer les animaux, « s’ils entraient en suppliants dans une maison[54] ».
[50] Id. XXIII, 15.
[51] Id. XXIV, 12-13.
[52] Id. XXIV, 21.
[53] Id. XXII, 6.
[54] Contre Apion, l. II, ch. VI.
Un peuple où l’on avait conçu et compris, du moins littéralement, le Cantique des Cantiques, les Psaumes, les Livres des Prophètes, ne pouvait ignorer les délicatesses ni les violences de l’amour humain ou divin. Nul n’a senti d’une façon plus véhémente que l’amour est fait de pitié.
Mais les Juifs pouvaient-ils échapper à la dureté foncière de tout l’Orient sémitique ? Quand on pense aux tyrans assyriens, aux atrocités rituelles qu’attestent les bas-reliefs et les inscriptions de ces pays, on s’étonne moins de voir Israël, en guerre contre des voisins terribles, exterminer dans les villes hommes, femmes, petits enfants, incendier les maisons, ne laisser que des cendres et de l’horreur derrière lui. Les Hébreux savaient ce qui les attendait s’ils épargnaient les idolâtres ; ils exécutaient sur eux le juste châtiment d’Iahvé, et, plus encore, en les exterminant, ils se préservaient de leurs dieux redoutables.
Israël eut besoin d’être fanatique ; autrement il aurait succombé, et, avec lui, le pacte d’alliance, le témoignage du seul Dieu vrai. Il se savait élu entre tous les peuples ; sa fierté d’un tel privilège était farouche. Jamais orgueil nobiliaire n’a pu être comparé à celui des Juifs. Un grand orgueil offensé devient cruel en se croyant juste. D’où, chez eux, des vindictes inflexibles dont celles des hidalgos espagnols seraient une faible réplique.
Le pays où ils se fixèrent, malgré ses parties fertiles, est dur comme son climat.
Pays de hautes vallées et de faîtes abrupts, peu accessible par la mer, et qui repousse l’étranger. Six mois d’été sans pluie ; un hiver assez rude. Les villages, sur les pentes, ressemblent à des tas de pierres. Nulle part au monde la pierre ne règne aussi implacable ; on s’explique la lapidation, supplice éminemment juif ; sous les monceaux de silex on chercherait les os d’un lapidé. Je ne connais rien de plus désolant, surtout en automne, que la descente de Jérusalem à Jéricho : des bosses de terres nues, après des bosses de terres nues, çà et là broussailleuses, ou d’un gris de lèpre, chargées de boursouflures livides, au-dessus d’une gorge rougeâtre qui fait saillir et béer ses roches comme des gueules de bêtes altérées.
De telles régions ne pouvaient convenir qu’à des brigands ou à des clans rigides, intraitables pour tout ce qui violait les mœurs et les principes de la communauté.
La Loi mosaïque les enserrait dans des haies de préceptes et de rites, dans les craintes minutieuses des cas d’impureté. Elle exigeait de ces paysans rapaces le sacrifice de leurs bestiaux, des victimes, certains jours, sans nombre[55]. Aux grandes fêtes, le parvis du Temple devenait un énorme abattoir ; le gémissement des animaux égorgés couvrait les voix des prêtres ; ceux-ci n’étaient plus que d’infatigables bouchers. Les lévites parfois devaient monter sur des escabeaux pour ne pas tremper leurs jambes dans les nappes de sang qui débordaient[56]. Le matin de Kippour, lors du grand jeûne d’octobre, quand on avait imposé les mains au bouc qu’on chargeait des péchés du peuple, les assistants crachaient tous sur lui, le piquaient avec des épines[57]. Il était coiffé d’une bande de laine écarlate ; puis, à coups de fouet, les prêtres le chassaient hors de la ville, en un lieu désert. Là, on lui arrachait du dos sa toison qu’on éparpillait sur les broussailles, et on le jetait dans un précipice. S’il se relevait, personne ne lui donnait à manger ; il s’en allait mourir comme un maudit, dans un trou.
[55] Pour la dédicace du Temple de Salomon, les Paralipomènes (l. II, VII, 5) dénombrent l’immolation de vingt-deux mille bœufs et de cent vingt mille béliers. Pour la même cérémonie, Josèphe (A. J., VIII, 2) parle de douze mille veaux et de cent vingt mille agneaux.
[56] Voir M. Marnas, Miriam, p. 220.
[57] Voir l’épître dite de Barnabé. Le passage sur le bouc est une citation tirée on ne sait d’où.
Atroces pour nous, ces rites expiatoires l’étaient bien moins que ceux des idolâtres, offrant leurs fils au bûcher de Moloch, ou se mutilant, comme faisaient les prêtres de Cybèle, en public, avec frénésie. Ils provoquaient les Juifs à la pénitence, commémorant les peines dont Iahvé avait frappé leurs pères impies ou fornicateurs. Ils préfiguraient la victime substituée, elle volontaire et parfaite, le Christ percé d’épines, flagellé, honni. Mais, chez des âmes brutales, ils excitaient le goût du sang, une sorte d’irritation luxurieuse déviée en ivresse de tuerie.
D’ailleurs, asservis à des maîtres iniques, les Juifs, tout en courbant l’échine, avaient médité d’affreuses représailles. Si on touchait à leur culte et à la Loi, ils résistaient sauvagement, et les répressions étaient inexorables. Lorsque Antiochus Épiphane prétendit helléniser Jérusalem, établir dans le Temple une statue de Zeus, lorsqu’il eut interdit la circoncision, les pharisiens s’obstinèrent à faire circoncire les nouveau-nés. Tous ceux qui étaient dénoncés étaient battus de verges, mutilés, mis en croix ; et les bourreaux, après avoir étranglé les enfants, pendaient leurs cadavres au cou des crucifiés[58]. Hérode ayant fait clouer sur le portail du Temple un aigle d’or, deux docteurs, Judas et Mathias, l’arrachèrent en plein midi, devant la foule, et le brisèrent à coups de hache. Arrêtés, ils justifièrent leur violence avec ce seul argument : « Nous avons vengé l’outrage fait à Dieu et l’honneur de la Loi dont nous sommes les disciples. » Pour déchaîner un mouvement furieux, il suffit que Pilate voulût faire promener à travers les rues de Jérusalem des enseignes militaires où figurait le médaillon de César[59]. Caligula, quand il essaya d’imposer dans le Temple sa statue en « nouveau Jupiter », faillit soulever toute la Judée contre Rome.
[58] Josèphe, Antiq., l. XII, VII.
[59] Id., l. XVIII, IV.
A mesure que la nation juive se vit plus étroitement harcelée par l’hellénisme[60], pressée par l’arrogance et la rapacité romaines, son esprit de révolte se renforça ; mais il devait se perdre dans l’anarchie des factions. Sadducéens, bourgeois et sceptiques, semblables à nos radicaux d’aujourd’hui, pharisiens intransigeants, zélotes et démagogues illuminés s’exécraient les uns les autres. Les bandes armées, les brigandages se multipliaient. Les grands prêtres soudoyaient des séditieux qui provoquaient des rixes ; ils les envoyaient saisir dans les granges des dîmes appartenant aux sacrificateurs « dont quelques-uns étaient si pauvres qu’ils mouraient de faim[61] ». Des sicaires, les jours de fête, arrivaient à Jérusalem, cachant des dagues sous leurs manteaux.
[60] Sous Caligula, les Grecs massacrèrent, dans les progroms d’Alexandrie, au dire de Josèphe, cinquante mille Juifs ; d’où l’ambassade conduite par Philon auprès de l’Empereur.
[61] Josèphe, Antiq., l. XX, VI.
Ils poignardaient les gens au milieu des cérémonies, et, les voyant tomber morts, se penchaient sur eux comme pour les secourir, échappant ainsi aux soupçons[62].
[62] Id. XX, VII. Et Eusèbe, H. E., II, XX.
La férocité des mœurs, l’exaspération des caractères atteignaient déjà ce paroxysme qui aboutira aux atrocités héroïques du siège de Jérusalem, aux épouvantes de Massada. Josèphe, homme cultivé, raconte, comme une chose toute naturelle, de quelle manière il traita un factieux de Tibériade. Celui-ci était venu simplement lui réclamer une somme qu’il ne devait pas :
« Je le fis battre de verges, je lui fis couper une main qu’on lui attacha au cou, et je le leur renvoyai en cet état[63]. »
[63] Vie, ch. XXIV.
Plus loin, il invite un autre séditieux à se trancher lui-même, d’un coup d’épée, la main gauche. Et cet homme s’empresse d’obtempérer.
Saul, dans son offensive contre les Nazaréens, se comporta donc selon la rigueur d’un bon pharisien sectaire. Il y ajoutait l’emportement de sa jeunesse, la fierté d’exceller dans une œuvre juste. Nul doute qu’il n’écoutât en même temps des impulsions démoniaques. Il dira dans la suite : « Nous n’avons pas seulement à combattre contre la chair et le sang, mais contre les Puissances, contre les Maîtres de ce monde ténébreux[64]. » Les Puissances d’en bas l’armaient de leur furie. Elles l’avaient élu comme un parfait agent d’extermination.
[64] Éphésiens, VI, 12.
Au reste, il croyait connaître l’histoire de Jésus, ses enseignements ; il les interprétait, sans intelligence, « en homme charnel » ; il en demeurait scandalisé, outré. Il était pharisien, et Jésus avait écrasé, sous une réprobation, la superbe, l’hypocrisie des pharisiens. Israël attendait un Messie qui établirait sa revanche sur les oppresseurs et même lui soumettrait l’univers. Isaïe l’avait annoncé : L’empire sera sur son épaule. A cette prophétie, mal comprise, vulgarisée dans tout l’Orient, les Romains eux-mêmes prêtaient attention[65]. Jésus, trompant les espoirs terrestres d’Israël, semblait l’ennemi à détruire dans la personne de ses disciples, faux prophètes qui blasphémaient l’éternité de la Loi, l’avenir du peuple saint. Que devenait son privilège, si toutes les nations étaient appelées au Royaume ? En persécutant les Galiléens, Saul pensait « rendre hommage à Dieu[66] ».
[65] Tacite, Hist., V, 13, et Suétone, Vespasien, IV.
[66] « L’heure vient où quiconque vous tuera croira rendre hommage à Dieu » (Jean, XVI, 2).
On a contesté qu’il ait pu les traquer hors de Palestine, jusqu’en Syrie. Mais, dans une phase de trouble, le sanhédrin se hâtait de ressaisir une compétence pénale dont il était jaloux. Or, la Syrie appartenait en ce temps-là au roi Arétas, beau-père d’Hérode le Tétrarque ; et les Juifs, nous le savons par Paul lui-même, s’entendaient fort bien avec Arétas[67]. En fait, partout où vivait une communauté juive, l’émissaire du sanhédrin exerçait un droit de police.
[67] « A Damas, l’ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville pour se saisir de moi » (II Cor. XI, 32). Juster (op. cit., t. II, p. 134-139) estime incertaine, mais possible, la compétence du sanhédrin hors de la Palestine ; car Hérode avait eu le droit de se faire remettre par les autorités romaines des criminels enfuis à l’étranger. Ce droit, surtout en matière de crimes religieux, avait pu passer d’Hérode au sanhédrin.
Tout persécuteur devient un persécuté. Dans l’idée que des victimes lui échappent, il ne dort plus. Pour allonger sa liste de suspects, il n’a jamais assez d’espions. Fatalement, son inquisition s’étendra aussi loin qu’il peut faire devant lui le vide par la terreur. C’est pourquoi nous trouverons Saul, avec une escorte de policiers, en marche vers Damas, « soufflant la menace et le meurtre », frémissant d’anéantir une Église qui se croyait à l’abri.
Mais, avant de le joindre sur la route brûlante où le Christ lui donna rendez-vous, il convient de le mieux connaître et d’atteindre les premiers linéaments de sa personnalité.
* *
QUI ÉTAIT SAUL ?
Il s’est chargé de nous répondre ; il a dressé un sommaire état civil, exhibé, pour les biffer aussitôt d’un trait méprisant, ses titres de noblesse juive :
« Si quelque autre s’imagine être puissant selon la chair, moi encore plus : circoncis le huitième jour, Israélite par ma race, de la tribu de Benjamin, Hébreu issu d’Hébreux ; à l’égard de la Loi, pharisien[68]… »
[68] Philipp. III, 4-3.
Aujourd’hui, on jugerait un peu vague le signalement. Ce n’est point négligeable, pourtant, d’apprendre que Saul, « Hébreu issu d’Hébreux », était de la tribu de Benjamin, et pharisien.
Né hors de Palestine, il devait s’attacher d’autant plus à la pureté de ses ascendants, certifier qu’il tenait du judaïsme tout ce qu’il était. Mais il se prévalait d’un autre avantage : sa famille avait rang dans la tribu de Benjamin, celle qui marchait en tête des processions, ayant, la première, traversé la mer Rouge, de Benjamin qui, seule avec Juda, après la grande captivité, avait relevé les murailles de Sion[69]. Ce n’était pas tout ; pharisien, il appartenait à une caste supérieure, un peu comme le religieux d’un Ordre vis-à-vis des séculiers. Les pharisiens, « les gens à part », se posaient eux-mêmes au-dessus du commun des Juifs ; ils avaient seuls la haute science, la vertu sans reproche ; car peut-on être agréable au Seigneur, si on ne connaît toute la Loi ? Et ils se targuaient de la méditer nuit et jour ; plus ils en resserraient les préceptes, plus ils en aggravaient les contraintes, plus ils s’estimaient devant Dieu.
[69] Esdras, l. II, XI.
Chez Saul, l’orgueil théocratique fut sans doute immense. Converti, il reconnaîtra que la fierté du sang est une vanité misérable, une de ces choses « qu’on jette aux chiens[70] ». Pour l’instant, excusons-le ; jamais peuple n’a pu justifier, comme Israël, la gloire de ses origines ; il était l’unique nation choisie par le Tout-Puissant, conduite par lui, en ses grandeurs comme en ses désastres, afin qu’elle gardât les vérités essentielles et la semence d’où l’Homme-Dieu prendrait sa chair.
[70] Philipp. III, 8. Tel est le sens exact du mot violent qu’il emploie : skybala.
Le Messie étant venu, le peuple juif aurait pu mourir, comme l’arbuste des solitudes quand, au sommet de sa tige, la fleur pourpre a surgi. Il a survécu en qualité de témoin ; la conscience de sa mission divine l’avait doué d’une telle force qu’il est resté, dans sa déchéance, un peuple-roi. Que lui importe d’avoir bu, durant des siècles, les affronts comme l’eau ? Il garde dans la bouche le goût du vin des Maîtres ; il n’a jamais douté de lui-même ; cette foi tenace le prédestinait à dominer les nations ; et, maintenant, il a fait de toutes « l’escabeau de ses pieds ».
A Jérusalem, un vendredi, vers 4 heures — c’est le moment où les Israélites dévots vont allumer des cierges contre le mur des pleurs et psalmodier — j’ai remarqué un petit bossu qui se rengorgeait en marmottant des prières et se balançait, un livre à la main, avec une mine de satisfaction presque arrogante. Je me suis dit : « Voilà Saul ! »
La fierté juive, en Saul, était doublée de la hauteur pharisienne. Pour celle-ci Jésus n’avait eu que des mots terribles. Le réquisitoire qu’abrège saint Mathieu (ch. XXIII) est un magnifique portrait de la caste, et qui vise, au delà, toute l’enflure des orgueils sociaux. Les pharisiens n’agissent que pour être vus ; il élargissent leurs phylactères, ils allongent les franges de leurs robes. Ils aiment les lits d’honneur dans les banquets, les bancs d’honneur dans les synagogues. Ils veulent qu’on les salue sur les places, qu’on les appelle : Rabbi, Rabbi !…
Saul pouvait donc se vanter d’appartenir, comme on dirait, à une honorable famille juive. Son père n’était pourtant pas un Hébreu de Judée, mais un helléniste établi à l’étranger depuis assez longtemps ; il portait le titre de citoyen romain, et son fils en hérita.
Pas une seule fois dans les Épîtres, Tarse n’est nommée ; ce sont les Actes qui font dire à Paul[71] — et il le dit en araméen : — « Je suis né à Tarse, en Cilicie. »
[71] XXII, 3. Il eut, vraisemblablement, dès son enfance, deux noms : un nom juif, Saul, et un romain à désinence grecque, Paulos.
Tarse, proche de la mer, au débouché de la seule route par où les caravanes venant de l’Asie Mineure franchissaient le défilé des portes ciliciennes, était alors une des plus grandes villes de l’Orient. La plaine de Cilicie, ample et magnifique, avec l’opulence de ses cotons et de ses blés, ferait songer à l’Égypte, si elle ne s’appuyait aux rampes du Taurus, dont les crêtes coiffées de nuages la barrent à l’Occident.
Point de jonction entre la haute Asie et la côte — le long du Cydnus les bateaux de toute la Méditerranée remontaient jusqu’à ses quais — elle s’offrait comme un confluent de civilisations. L’Hellade y superposait son empreinte à celle de l’Assyrie, de la Perse, de la Phénicie. Ses monnaies portent souvent un Baal, figuré en Zeus, ayant un aigle à son côté[72]. Tarse amalgamait l’élégance grecque avec les rites et les voluptés du vieil Orient. C’était là que, sur la proue d’or de sa galère, sous des voiles de soie parfumées, Cléopâtre avait attendu Antoine. Quand Paul citera aux Corinthiens le proverbe grec[73] :
Mangeons et buvons, car demain nous mourrons,
il se souviendra peut-être aussi de l’inscription assyrienne que portait, non loin de Tarse, la statue de Sardanapale, la statue aux doigts disposés comme si elle voulait les faire craquer :
[72] Voir Ramsay, The Cities of Paul, p. 129.
[73] 1 Cor. XV, 32. Ce proverbe se rencontre dans la Thaïs de Ménandre, mais il était déjà dans Isaïe (XXII, 13), où Paul a dû le prendre.
« Passant, mange, bois, divertis-toi ; car tout le reste ne vaut pas cela[74]. »
[74] Strabon, XIV, V. On voit encore à Tarse une construction massive avec des murailles d’une prodigieuse épaisseur qu’on dénomme le tombeau de Sardanapale.
Les Tarsiens possédaient, à un étrange degré, la facilité qu’ont les Orientaux communément d’apprendre les langues et d’improviser. Les écoles de Tarse envoyaient à Rome des grammairiens et des philosophes. Le stoïcisme y florissait.
Sur les bords du Cydnus, un gymnase célèbre groupait les meilleurs maîtres. Saul, enfant, le fréquenta-t-il ? Apprit-il le grec dans une école juive, près de la synagogue, ou avec un pédagogue, dans la maison de son père ? L’essentiel pour nous, c’est qu’il eut une pleine connaissance de la langue des idées, de l’idiome qui pouvait le mieux rendre universelle sa doctrine. S’il était né à Jérusalem, il l’aurait ignorée ou mal sue. Les rabbins défendaient de l’apprendre aux garçons, sauf, disaient-ils en raillant, « lorsqu’il ne faisait ni jour ni nuit[75] ». Elle était, pour leur méfiance, le véhicule du mensonge païen ; quiconque avait sucé le miel des fables helléniques trouvait dans la vérité des Écritures une amertume.
[75] Talmud. Péa, I ; Josèphe (Antiq., XX, 18) constate le mépris des Juifs pour l’étude des langues profanes.
Mieux encore que le grec, Saul retint ce qu’on apprenait à tous les petits Hébreux, les dix-huit bénédictions de l’Amida, la psalmodie du Hallel. Il vit, dans la synagogue, le lecteur tirer de l’armoire l’étui qui enfermait les rouleaux de la Loi, et, chez son père, le soir de chaque vendredi, s’allumer les lampes du sabbat.
Il reçut aussi les rudiments d’un métier manuel. Nous savons par les Actes[76] qu’il était « un faiseur de tentes ». Rien ne prouve que son père lui-même fût artisan. Mais, selon les docteurs, tout bon Juif devait savoir œuvrer de ses mains ; et le fameux Chammaï exhibait à son oreille le copeau du charpentier.
[76] XVIII, 3.
Saul sut fabriquer ces tentes noires en poil de chèvre où s’abritent encore les bergers ciliciens. J’ai vu, dans un faubourg de Tarse, des ouvriers en faire le tissu d’après des méthodes simplistes qui, depuis les temps de Paul, n’ont guère dû changer.
Ils étaient trois dans un hangar ouvert sur les côtés, trois hommes maigres, un peu chauves, grisonnants, avec des visages ascétiques. Le premier, debout, mettait en action un rouet d’où pendaient deux bouts de corde ; d’une sacoche suspendue contre son tablier il tirait un à un les poils qu’il tordait autour de la corde en mouvement. Il filait ainsi, marchant à reculons depuis le fond du hangar jusqu’à l’entrée, et là, il abaissait la longueur du fil, le déposait auprès des autres.
Ses deux compagnons travaillaient, assis à terre sur une peau de mouton, les pieds dans un trou. Chacun d’eux avait devant soi un vaste métier incliné quelque peu en arrière ; il y disposait la chaîne, l’écartait avec un couteau de bois, passait agilement la navette entre les fils tendus, les arrêtait ; puis il étirait la chaîne et la trame d’un coup sec de son cardoir, outil massif en bois poli, qui ressemblait, sauf ses dents, à un joug pour les bœufs.
On s’explique comment Paul, après avoir manié des heures ce cardoir pesant, écrivait d’une main gourde. Quand il dit aux Galates : « Voyez les gros caractères de mon écriture[77] », il ne fait pas allusion à ses mauvais yeux qui l’eussent contraint de grossir les lettres. Il écrivait comme un ouvrier dont les doigts sont raidis par la manœuvre d’une chose très lourde[78].
[77] VI, 11.
[78] Cet outil pèse près de deux kilos.
Auprès des artisans de Tarse, je recueillis quelques détails propres à préciser certains faits dans sa vie. Leur métier est lucratif[79] ; il a dû l’être toujours. De la sorte, Paul subvenait à ses besoins et à ceux des indigents, sans être une charge pour personne ; il pouvait pratiquer largement la maxime du Seigneur Jésus :
[79] Ils gagnent, par journée, cinquante à soixante francs.
« Donner, c’est plus de béatitude que recevoir[80]. » J’appris, en outre, des camarades lointains de l’Apôtre — savaient-ils son nom ? — qu’ils besognaient, comme lui, « nuit et jour[81] ». Ils dormaient sur des sacs ; peut-être en faisait-il autant. Mais leur travail, tout uniforme et machinal, laisserait libre leur esprit, s’ils avaient le goût de penser ; et Paul devait, sans interrompre le jeu de la navette et du cardoir, songer aux églises ou prêcher autour de lui.
[80] Actes XX, 35.
[81] I Thessalon. II, 9 : « Nuit et jour au travail pour n’être à charge à personne d’entre vous » ; et I Cor. IV, 12 : « Nous nous épuisons à travailler de nos mains. »
A l’âge où il n’était qu’un apprenti amateur, il ne soupçonnait guère qu’en tissant des poils de chèvre il préparait son apostolat. L’étude des Écritures et les sentences des rabbins le captivaient davantage.
Son père voulut qu’il achevât sa formation de pharisien et de lettré. Vers douze ans, il fit, comme tous les adolescents juifs, un pèlerinage rituel à Jérusalem. Si l’on entend au sens littéral ce qu’il dit aux Juifs[82] de son éducation, il aurait même grandi dans la ville sainte. Mais il ajoute qu’il fut « nourri aux pieds de Gamaliel » ; le fameux rabbi l’aurait-il admis comme auditeur, s’il n’avait eu déjà la maturité d’un étudiant ?
[82] Actes XXII, 3. Le terme qu’il emploie veut dire : nourri en grandissant.
Nous imaginons volontiers Saul, assis aux pieds du maître, les genoux entre ses mains croisées, semblable à ces jeunes musulmans qui, dans les mosquées, font cercle autour d’un imam, silencieux et ravis, les yeux pleins d’une sorte d’extase, tandis que le docteur, derrière une petite table, pérore avec un feu prophétique.
L’éducation d’un étudiant juif se concevrait assez bien d’après celle d’un séminariste dans un milieu sacerdotal fermé. La science qu’il absorbait se ramassait autour de l’Écriture et de la Loi. Il devait posséder à fond le Pentateuque, lire les prophètes, devenir exégète et théologien. Il lisait aussi des écrits ésotériques comme le Livre d’Hénoch, l’Assomption de Moïse[83].
[83] Voir Lagrange, le Messianisme chez les Juifs, passim.
Mais l’exégèse juive se plaisait à l’imprévu des conclusions ; elle accrochait aux textes des allégories, une dialectique retorse et paradoxale. Ainsi, à propos du premier homme :
« Le Saint (béni soit-il) a fait dans le moule d’Adam tous les hommes de la terre, et personne n’est semblable à l’autre. Aussi, chacun doit se dire que le monde a été créé pour lui…
« Dieu a varié dans l’homme trois choses : le visage pour éviter des confusions ; la pensée, afin d’éviter des vols ; la voix, pour éviter (la nuit) des unions illégitimes[84]. »
[84] Baba Bathra, trad. Schwab, p. 270.
Les Écritures elles-mêmes étaient submergées sous les commentaires de la Loi. Retenir sans notes — car il était interdit de noter les décisions des rabbins — tous les cas qu’elle posait, les solutions contradictoires, les possibilités qu’elle impliquait, c’était un travail embrouillé, comme celui d’apprendre le grand alphabet chinois.
Aucun acte ne devait être accompli sans bénir le Seigneur, et chaque bénédiction exigeait une formule spéciale. On ne prononçait pas les mêmes mots, à table, pour bénir des raves coupées en petits morceaux ou des raves coupées en long[85]. Avant de boire, les pharisiens se lavaient les doigts. Mais, selon Chammaï, il fallait d’abord faire cette ablution, ensuite verser l’eau dans le calice ; selon Hillel, verser l’eau avant de se laver.
[85] Voir Marnas, op. cit., p. 26.
Et puis il y avait les ergoteries sans fin sur les impuretés, sur ce qui est permis ou prohibé les jours de sabbat[86]. Il y avait la casuistique des dommages qui entraînent ou non un châtiment :
[86] Faut-il rappeler l’opposition d’Hillel et de Chammaï autour de ce point grave, si, un jour de fête, on pouvait manger un œuf pondu dans la journée ?
« Si un coq, en voltigeant d’un endroit à un autre, cause des dégâts par son contact, le propriétaire sera responsable du dégât entier. Mais, si le dommage est survenu par le vent des ailes, le propriétaire ne doit payer que la moitié de la valeur[87]. »
[87] Baba Gama, trad. Schwab, p. 12.
« Deux ânes se suivent ; l’un glisse et tombe ; puis l’autre arrive, se heurte contre lui et tombe aussi ; enfin le troisième heurte celui-ci et tombe à son tour ; le maître du premier devra payer à celui du deuxième le dommage survenu, et le deuxième au troisième[88]. »
[88] Baba Gama, p. 25.
« Si un homme frappant son père ou sa mère les blesse, ou s’il blesse quelqu’un le jour du sabbat, il ne paie rien, car il est condamné à mort. Si un homme blesse son propre esclave païen, il n’est pas condamné au paiement[89]. »
[89] Id. p. 65.
On ne s’étonnera guère que la logique, chez saint Paul, conserve des traces d’arguties, une tendance aux coudes brusques dans le cheminement des idées[90]. Un trait consigné par le Talmud sur Rabbi Gamaliel, son maître, révèle, s’il est véridique, l’ironie subtile d’un sophiste qui trouve réponse à tout :
[90] De même, les citations composites, ou qui mettent des textes en enfilade, sont une réminiscence des méthodes rabbiniques (voir Prat, Théologie de saint Paul, I, p. 32-33).
« R. Gamaliel allait prendre ses bains à Acco dans une maison de bains qui appartenait à la déesse Aphrodite (le temple de cette déesse, ses prêtres et le personnel étaient entretenus des revenus qu’on tirait de la maison de bains). Un païen nommé Proclus ben Philosophos lui demanda comment il pouvait se permettre d’aller prendre des bains dans une maison affectée au service d’une idole, quand la Loi mosaïque défendait de tirer profit des objets consacrés aux divinités païennes. Une fois sorti, R. Gamaliel répondit : « Je ne vais pas dans le domaine de l’idole, c’est elle qui vient dans le mien ; on n’a pas construit la maison de bains en l’honneur d’Aphrodite ; c’est elle qui sert d’ornement à la maison de bains[91]. »
[91] Aboda Zara, trad. Schwab, p. 212.
Gamaliel, comme son aïeul Hillel, se distinguait par une relative largeur de vues où il corrigeait la casuistique dure, pointilleuse de Chammaï. Il représentait, parmi les pharisiens, l’école libérale. Le langage qu’il tient dans le sanhédrin, au sujet des Apôtres, énonce une bizarre doctrine de laisser faire et de fatalisme providentiel :
« … Et maintenant je vous dis : Écartez-vous de ces hommes et laissez-les ; parce que, si leur volonté, leur œuvre ne sont qu’humaines, elles tomberont d’elles-mêmes. Mais, si elles sont de Dieu, vous ne pouvez les abattre, de peur qu’on ne vous trouve combattant contre Dieu[92]. »
[92] Actes V, 35-39.
On a supposé qu’une inspiration divine lui suggéra cette politique évasive. La tradition[93] le représente comme secrètement chrétien.
[93] Les Recognitiones, livre apocryphe, hérétique, mais qui date du IIe siècle, disent de lui : « Gamaliel, prince du peuple, était secrètement notre frère. » Sur la légende de Gamaliel, voir Lagrange, Saint Étienne et son sanctuaire, p. 42-59.
Quoi qu’il en soit, entre lui et Saul éclate une antithèse : voilà un Maître, pondéré, souple, théoricien de l’indulgence, et son disciple agit à l’encontre de sa doctrine autant qu’un Jacobin de 93 démentait un Necker ou un Montesquieu.
Il serait oiseux de vouloir élucider ce problème, comme de trancher si Paul fut ou non rabbin. Très souvent le disciple est l’opposé du maître ; de même que le fils est la négation du père. Gamaliel eut un fils fanatique et hostile aux chrétiens. Saul, dans sa jeunesse, était quelqu’un de très indépendant. Porté aux extrêmes, il suivait en ses haines la fougue de ses énergies. S’il admirait la science et l’autorité de Gamaliel, il estimait dangereux son libéralisme. En tant que Juif, avait-il tort ?
Une hypothèse semble absurde, effroyable, celle de concevoir la foi chrétienne étouffée dans sa première croissance. A ne l’envisager qu’humainement, elle aurait pu l’être, si on l’avait exterminée avec suite et sans merci. Mais les empereurs ne la persécuteront par système qu’au second et au troisième siècle, quand il sera trop tard pour la tuer. Et la persécution juive a été brève, intermittente, indécise. Une puissance supérieure la contrecarrait, la paralysait. Hérode aura beau tenir Pierre lié de deux chaînes entre les soldats. Un Ange touchera les chaînes ; elles se dénoueront ; d’elle-même, la porte de fer s’ouvrira. Et Saul, au moment où il se croit victorieux de Jésus le Nazaréen, va devenir son esclave, « le vase d’élection ».