Saint Paul
IV
SES PREMIERS PAS D’APÔTRE
En abordant Saul, Ananie l’avait appelé : « Frère. » La confiance d’une fraternité familiale accueillit le néophyte parmi « les saints » de Damas. Un converti a toujours le privilège d’être choyé ; on fête en lui l’hôte imprévu ou le fils prodigue. La repentance et le baptême effaçaient chez Saul ce qu’on savait de lui. On ne voulait s’en souvenir que pour magnifier Dieu du miraculeux changement. Sa rencontre avec le Seigneur — les disciples le comprenaient — apportait à la Résurrection une preuve d’un autre ordre que le témoignage des Douze : l’évidence involontaire appuyée par la cécité qu’un second miracle, après la double vision, venait de guérir.
Positifs comme les païens, les Israélites avaient besoin de ces concordances palpables, propres à bouleverser des cœurs charnels. Quand ils approchaient Saul, les chrétiens, à travers la flamme de son récit, croyaient toucher le Visiteur invisible. Une certitude renouvelée leur faisait dire : « Le Christ est bien avec nous, comme il l’a promis, jusqu’à ce qu’il revienne ; et il sauve son Église par ceux-là mêmes qui se juraient de l’exterminer. » Saul était un trophée. Les plus clairvoyants pénétraient déjà son avenir : ce petit homme, bâti comme une machine de guerre, tournerait à l’avantage de la Vérité les puissances qu’il égarait contre elle, et centuplées par l’Esprit Saint. Tout le monde, au reste, sentit, dès l’abord, son ascendant ; la violence de sa charité neuve se propagea comme un incendie.
A peine baptisé, il entra dans une synagogue et il annonça de sa voix robuste que Jésus était « le Fils de Dieu[117] ».
[117] Actes IX, 20.
La méthode qu’il inaugure, il y restera, jusqu’au bout, fidèle, malgré les atroces vexations des Juifs. Il aime ses frères, les hommes de sa race ; il veut leur salut, avant celui des autres ; car c’est à eux, les premiers, que l’Évangile a été offert. Aussi, dans toutes les villes, il commencera par tenter leur conversion.
D’autres motifs d’apostolat lui désignaient comme lieu de prédication les synagogues. Elles n’étaient pas seulement des salles de prière pour les Juifs circoncis. Sur les bancs de marbre, le long des murs, venaient s’asseoir, aux heures des réunions, ceux qu’on dénommait « les craignant Dieu », des païens dégoûtés des idoles et qu’attirait le monothéisme d’Israël, la netteté du Décalogue, la vigueur intransigeante des principes juifs. Saul songeait à ces prosélytes, pressentait leur conversion plus facile que celle des docteurs.
Ceux-ci durent, aux premiers mots, secouer la tête, quand il proposa cette nouveauté audacieuse : « Jésus est le Fils de Dieu. » Invoquait-il, afin de le démontrer, le seul fait de l’apparition ? Certainement, il demanda aux Écritures les preuves des prophéties que la théologie orthodoxe ne pouvait récuser[118]. Nous l’imaginons déroulant le livre des Psaumes et citant celui qui commence : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Sieds-toi à ma droite… Avant l’étoile du matin je t’ai engendré[119]… » Il n’oublia point le verset fameux d’Isaïe :
[118] C’est la forme d’argumentation qu’emploieront vis-à-vis des Juifs tous les apologistes. Voir le dialogue de Justin avec Tryphon, les Tractatus adversus Judaeos de Tertullien et de saint Augustin.
[119] Ps. CIX.
« Avant que l’enfant sache dire : Papa, maman, il ravira la force de Damas et les dépouilles de Samarie[120]. » Les mages étaient venus de l’Arabie offrir à l’enfant-roi la force de l’Orient, l’or et les parfums. Samarie signifiant les idolâtres, c’était l’hommage de la Gentilité qu’avait voulu Jésus dans ses langes ; et Saul l’interpréta sans doute comme la promesse de vie ouverte à tous les hommes de volonté droite.
[120] VIII, 4.
Seulement, on voudrait savoir s’il aborda aussitôt ce point de doctrine décisif : les conditions extérieures requises des gentils pour être sanctifiés. Devraient-ils, avant tout, traverser l’initiation juive, obéir à la Loi et à toute la Loi, ou entreraient-ils dans l’Église par le simple baptême ? La jeune chrétienté, d’ici peu, atteindrait une croisée de routes d’où son avenir dépendait. Pour choisir l’une et non l’autre, l’expérience de Saul était en défaut. Sa discipline native l’aurait incliné à conclure : La Loi, avec la rigueur de ses préceptes, restera l’arc-boutant du Temple nouveau, ou, du moins, de son vestibule.
Paul se défendra toujours de vouloir abolir la Loi[121], il soumettra Timothée à la circoncision ; il s’unira au vœu des nazirs et, comme un Juif exemplaire, remplira les engagements de ces observances dévotes.
[121] « Détruirons-nous donc la Loi par le moyen de la foi ? A Dieu ne plaise ! Au contraire, nous établirons la Loi » (Rom. III, 31).
Cependant, il proclamera la Loi et ses œuvres impuissantes à justifier sans la foi en Jésus-Christ. Il poussera, de toute sa véhémence, l’assemblée de Jérusalem à simplifier ce qu’on maintenait des prohibitions mosaïques.
Qu’on ne l’accuse pas de se contredire : l’inspiration divine tempérait en ses principes l’inflexibilité par la souplesse pratique. Dès ses débuts d’apôtre, Paul dut concevoir les lignes cardinales de ce qu’il appellera « son évangile[122] » : les gentils baptisés sont, dans l’Église, les égaux des Juifs ; tout chrétien, même Juif d’origine, est libre à l’égard de la Loi ; l’ensemble des Saints ne fait dans le Christ, et avec Lui, qu’un seul corps mystique.
[122] Pour le sens de cette expression, voir Rom. II, 16 ; XVI, 25 ; Tim. II, 8 ; II Cor. IV, 3 ; I Cor. XV, 1 ; Gal. I, 11 ; II, 2.
A Damas, porta-t-il, de synagogue en synagogue, ces hardiesses ? Les Actes n’en disent rien. Sa prédication paraît avoir surtout causé une surprise énorme : « Comment ! Celui qui dévastait la secte nazaréenne, il soutient à présent que Jésus, c’est le Messie ! »
On l’écouta d’abord par curiosité. Mais le fanatisme israélite se mit sur ses gardes. Saul fut jugé, comme il avait jugé les disciples du Christ, un renégat. Son cas s’aggravait d’une sorte de trahison officielle. Quoi donc ! Le sanhédrin l’avait chargé de poursuivre les hérétiques dangereux, et il se faisait le héraut de leur apostasie ! C’était absurde et scandaleux !
Les docteurs de la ville l’attaquèrent furieusement ; il leur tint tête. L’obstacle excitait son énergie, comme la pierre, sur le passage du torrent, le fait rebondir plus haut qu’elle. Il confondit leurs objections. Exaspérés, ils préparèrent contre lui des violences. Il ne brava point ce péril de mort. Au bout de quelques jours, il partit.
Lui-même a rappelé[123] qu’il prit le chemin du désert : « Je m’en allai en Arabie. » Trois mots pour une période de trois ans, c’est peu.
[123] Gal. I, 17.
Qu’alla-t-il faire en Arabie ?
On a supposé qu’il se recueillit, comme Moïse, dans la solitude. Saul, au pied du Sinaï, méditant sur l’ancienne et la nouvelle Alliance, ce thème serait beau pour une amplification romanesque. Il a parlé quelque part du Sinaï, mais dans un sens purement allégorique :
« Le Sinaï est une montagne d’Arabie correspondant à la Jérusalem actuelle qui est esclave avec ses fils[124]… » Nul indice ne confirme qu’il ait séjourné dans ces régions. Assurément, il utilisa, pour des heures contemplatives, le silence des espaces sans routes et sans maisons. Mais le désert, pas plus que la mer, ne pouvait l’arrêter longtemps. A cet égard, comme à bien d’autres, il tourne le dos aux prophètes d’avant le Christ. Les images qui, d’elles-mêmes, s’insèrent dans son éloquence sont des métaphores de citadin, d’homme sociable qui prend plaisir à voir des maçons tailler des pierres, des cohortes en armes défiler, même des athlètes courir dans le stade, d’un homme qui sait la valeur de l’épargne et des échanges commerciaux.
[124] Id. IV, 24.
Le Christ l’avait élu pour qu’il portât son nom devant les peuples. Selon toute vraisemblance, à Pétra, ou parmi les montagnards du Hauran, il essaya d’implanter l’Évangile. Les colonies juives étaient d’ailleurs nombreuses en un pays qui servait de passage aux plus lointaines caravanes, aux tapis de la Perse et aux perles de l’Inde. S’il n’a jamais évoqué cette mission, c’est qu’elle n’aboutit à aucun établissement durable ; de même il sous-entendra son voyage à Chypre, ayant remis à Barnabé tout le soin de l’Église qu’ils y fondèrent.
Avec sa confiance magnifique, il revint à Damas, comme il repassera par Lystres, Iconium, Antioche de Pisidie, après avoir été chassé de ces trois villes, et, à Lystres, lapidé.
A Damas, les chefs des synagogues avaient, comme on s’en doute, signalé sa défection au grand sanhédrin de Jérusalem, aux princes des prêtres. Ceux-ci n’avaient pu qu’ordonner de saisir le traître et de le ramener à leur tribunal où il recevrait le châtiment de sa forfaiture.
Mais Saul était alors loin de Damas ; et, quand il y rentra, Rome avait repris d’une main forte les rênes de l’Orient. Citoyen romain, il était protégé contre une arrestation arbitraire, même contre une expulsion. Les Juifs, pour se défaire de lui, complotèrent de l’assassiner. Il l’apprit, se cacha, se préparait à s’enfuir. Afin de rendre l’évasion impossible, les Juifs s’assurèrent la complicité de l’ethnarque, officier au service du roi arabe Arétas, à qui incombait la police de la ville[125]. L’ethnarque fit garder par des soldats toutes les portes.
[125] L’histoire de la Syrie, dans ces années-là, est fort trouble. Il est très simple pourtant d’admettre la présence simultanée de l’autorité romaine et d’une police locale qu’exerçaient les indigènes. C’est ainsi que nous procédons encore en Syrie.
Les « disciples » ménagèrent à Saul un moyen aventureux de s’échapper. L’un d’eux habitait, dans un faubourg, une maison dont les fenêtres surplombaient le rempart. En pleine nuit, on descendit par là Saul caché au creux d’une corbeille d’osier ronde, une corbeille pour le pain ou le poisson.
Paul, plus tard, commémora cette fuite[126] en glorifiant le Seigneur de l’avoir dérobé au poignard de ses ennemis.
[126] II Cor. XI, 32-33.
Une témérité, qui semblerait excessive, si l’Esprit n’avait dirigé ses pas, le conduisit à Jérusalem ; là, d’autres embuscades le guettaient.
Son désir était grand de voir Pierre, le premier des Douze, et de « l’interroger[127] ». Il voulait connaître aussi Jacques, le parent du Seigneur, et Jean, ceux qui « passaient pour être des colonnes[128] ».
[127] Gal. I, 18.
[128] Id. II, 9.
Ce séjour dans la ville sainte allait être une des grandes épreuves du converti.
Les Juifs, au début, ne paraissent pas l’avoir inquiété. Trois ans après l’événement de Damas, la persécution juive était finie. Rome interdisait au sanhédrin toute violence tyrannique. Malgré son privilège de citoyen romain, Saul s’exposait pourtant à des représailles. Mais une humiliation acerbe l’attendait. Il tenta d’entrer en rapports avec les disciples, de « se coller à eux[129] », dit naïvement le narrateur. Tous avaient peur de lui, « ne voulaient pas croire qu’il fût vraiment un disciple ». Le miracle de sa conversion s’était accompli au loin ; quand on en parlait, on secouait la tête. Le parti judaïsant devait savoir sa prétendue mission de mettre, dans l’Église, les gentils baptisés au rang des chrétiens nés Juifs. Il sema derrière lui de méchants soupçons. Rien ne pouvait être plus dur à Saul que de sentir niées sa loyauté et l’évidence du fait divin.
[129] Actes IX, 26.
Les Douze le tenaient à l’écart, prudents comme il convient à des chefs. Mais Saul aborda Barnabé, homme d’un naturel entreprenant, généreux, semblable au sien. Ils fraternisèrent aussitôt. Barnabé crut au miracle, à l’inspiration de Saul ; il pénétra l’avenir d’un tel compagnon, et, mettant sa main dans la sienne, il l’introduisit auprès des Apôtres.
Prodigieuse rencontre de Paul et de Pierre, des héros qui allaient s’emparer du monde avec deux bâtons mis en croix !
Saul raconta comment le Seigneur s’était montré sur la route et lui avait parlé ; puis son entrée hardie dans les synagogues de Damas où, par sa voix, Jésus fut annoncé comme le Fils de Dieu.
Son récit émerveilla Pierre, Jacques et Jean. L’enthousiasme de Saul, sa puissance irradiante de conviction les transportèrent. En un moment il devint leur ami. Ils sortirent avec lui dans les rues de Jérusalem. Saul visita les lieux où s’étaient déroulées les souffrances du Christ. Il « interrogeait » sur lui ceux qui avaient mangé et bu en sa compagnie après sa Résurrection.
Il confrontait avec leurs principes d’apostolat les siens. Pierre, semble-t-il, n’avait pas encore eu la vision de Joppé ; il croyait, en bon Juif, devoir s’abstenir des aliments impurs ; il subissait les préventions nationales au sujet des idolâtres ; il avait quelque peine à n’établir aucune différence entre les chrétiens circoncis et les païens baptisés. Cependant il admettait que le don de la pénitence et de la justice appartient à tous.
Saul entreprit de lui faire un esprit plus large ; d’autre part, il reçut de l’Apôtre une connaissance plus riche des traditions évangéliques. Beaucoup de choses lui avaient été révélées par le Seigneur lui-même[130]. Mais, sur la manière d’interpréter les dogmes, d’administrer les sacrements, ces entretiens ouvraient des questions multiples.
[130] I Cor. XI, 23 : « Pour moi, j’ai appris du Seigneur — et je vous l’ai enseigné aussi — que le Seigneur Jésus, la nuit qu’il fut livré, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit en disant : « Ceci est mon corps livré pour vous… »
A Jérusalem, Saul se retrouva en face des gens qu’il avait connus avant sa conversion, et principalement, des Juifs hellénistes, ciliciens, syriens, cyrénéens. Il se mit à disputer contre eux ; il voulut leur démontrer que le Messie était venu, que tous les hommes étaient appelés au salut.
Ils s’irritèrent d’une doctrine outrageante pour la fierté juive. Saul devenait un péril public ; il fallait le mettre hors d’état de nuire. Comme à Damas, on résolut de l’exterminer.
Prévenu, Saul ne se résignait pas à la fuite. Malgré l’obstination imbécile de ses ennemis et les méfiances persistantes des judaïsants, il voulait travailler à la rédemption de ses frères. Mais une vision changea ses plans. Comme il priait dans le Temple, il eut une extase et il vit Jésus qui lui disait :
« Sors en hâte de Jérusalem, parce qu’ils ne recevront pas ton témoignage sur moi. »
Saul, se défendant contre une injonction qui le déconcertait, opposa :
« Seigneur, ils savent que je menais en prison et que je violentais dans les synagogues ceux qui croyaient en toi. Et, quand on versait le sang d’Étienne, ton témoin, j’étais là, j’approuvais, et je gardais les vêtements de ceux qui le mettaient à mort. » (Donc, sous-entendait-il, mon témoignage aura pour eux plus de force qu’un autre.) Mais Jésus lui répéta :
« Pars ; je vais t’envoyer au loin chez les gentils[131]. »
[131] Actes XXII, 17-21.
Cette vision, comme toutes celles que nous connaissons dans la vie de saint Paul, porte ce signe original d’être totalement involontaire. Il ne cherchait point les révélations. Elles se présentaient à l’improviste, quand il avait besoin d’être éclairé ou conforté ; et il n’en retenait que l’élément intellectuel. Il ne fut pas un visionnaire à la façon d’Ézéchiel ou de Jean ; on supposerait difficilement l’Apocalypse dictée par lui. Son génie est, en somme, peu créateur d’images apocalyptiques. Dans ses prévisions sur la fin des temps[132], il renvoie à une catéchèse orale, se contentant d’allusions sommaires aux approches de la Parousie. Certes, il désira le retour du Christ dans sa gloire, comme l’espéraient tous les disciples, comme nous devons nous-mêmes l’espérer[133]. Venez, Seigneur, c’est toute l’attente des chrétiens[134]. Paul, quand il appliquait à Jésus, devant les Juifs, les textes des prophètes qui montrent le Messie, tantôt humilié, tantôt triomphant, leur exposa bien des fois l’argument dont les accablera Tertullien[135] : il faut concevoir deux Avents du Christ ; une première fois, il s’est manifesté sous la figure de la Victime. Mais il reparaîtra, selon sa parole, avec des légions d’Anges, dans la splendeur du feu et l’éclat des trompettes, sur la majesté des nuées.
[132] II Thessal. II.
[133] Voir sur ce point le catéchisme de Trente.
[134] Les deux mots araméens qu’on répétait dans les assemblées chrétiennes, Maran Atha, répondaient à cette attente, ils signifiaient : Venez, Seigneur ; ou : Je viendrai vite.
[135] Adversus Judaeos, ch. XIV.
En attendant, l’Apôtre possédait la Présence mystique, l’intimité de l’Esprit, et, parfois, il était ravi jusqu’au troisième ciel, là où il percevait « ces mots ineffables qu’il n’est pas licite à un mortel de redire[136] ». Il entendait, aux tournants décisifs de sa route, la voix qui redresse et fortifie.
[136] II Cor. XII, 4.
Sa première vision, à Jérusalem, lui précisa l’objet de son avenir : à Pierre, le soin des églises juives d’origine ; à lui, la moins belle part, la plus humble, les incirconcis.
Et c’est pourquoi il écrira aux Galates qu’il a quitté Jérusalem « inconnu de visage aux églises de Judée qui sont dans le Christ. On y avait simplement entendu dire : Celui qui nous persécutait annonce aujourd’hui la foi qu’il dévastait. Et elles glorifiaient Dieu à mon sujet[137] ».
[137] I, 22-24.
Chose étonnante ! Les Apôtres lui avaient assurément communiqué les fameuses paraboles où Jésus signifiait la déchéance d’Israël : celle de la vigne louée à d’autres ouvriers, quand les vignerons ont tué le Fils du Maître envoyé vers eux ; celle de l’invité aux noces jeté, mains et pieds liés, dans les ténèbres extérieures, tandis que les gueux du chemin viennent prendre place dans la salle du banquet. Il connaissait les prophéties sur la destruction du Temple, sur la ruine de Jérusalem. Jamais, dans ses Épîtres, il n’évoquera ces traits populaires. S’il rappelle l’institution de l’Eucharistie, c’est qu’il en fut instruit par le Seigneur lui-même.
Il négligera de répéter ce qui appartenait au domaine commun ; sa mission, il la circonscrira dans « son évangile », dans les vérités qu’il tenait d’une révélation directe, non, d’ailleurs, sans les soumettre au discernement de « ceux qui passaient pour des colonnes ».
Il avait séjourné à Jérusalem, auprès de Céphas, quinze jours seulement[138]. A son départ, des chrétiens l’escortèrent, de peur qu’il ne fût assailli en route, jusqu’à Césarée. Là, il s’embarqua pour la Syrie, et gagna Tarse, la ville de son enfance. Qu’y fera-t-il ? De nouveau, comme en Arabie, nous perdons la ligne exacte de ses mouvements. Sa vie ressemble à ces fleuves qui, par intervalles, s’en vont sous terre, puis resurgissent. Mais, alors même qu’on ne peut la suivre, on devine, dans la profondeur, l’impulsion grondante du courant ; et, lorsqu’il se déploiera en pleine lumière, nous le reverrons plus ample, puissamment nourricier.
[138] Gal. I, 18.