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Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face: Histoire d'une âme écrite par elle-même

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A sa cousine Marie Guérin.

——

Lettre Ire.

1888.

Avant de recevoir tes confidences (à propos des scrupules), je pressentais tes angoisses; mon cœur était uni au tien. Puisque tu as l'humilité de demander des conseils à ta petite Thérèse, elle va te dire ce qu'elle pense. Tu m'as causé beaucoup de peine en laissant tes communions, parce que tu en as causé à Jésus. Il faut que le démon soit bien fin pour tromper ainsi une âme! Ne sais-tu pas, ma chérie, que tu lui fais atteindre ainsi le but de ses désirs? Il n'ignore pas, le perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui veut être toute au bon Dieu; aussi, s'efforce-t-il seulement de lui persuader qu'elle pèche. C'est déjà beaucoup; mais, pour sa rage, ce n'est pas encore assez... il poursuit autre chose: il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé. Ne pouvant entrer, lui, dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure vide et sans maître. Hélas! que deviendra ce pauvre cœur!... Quand le diable a réussi à éloigner une âme de la communion, il a tout gagné, et Jésus pleure!...

O ma petite Marte, pense donc que ce doux Jésus est là, dans le Tabernacle, exprès pour toi, pour toi seule, qu'il brûle du désir d'entrer dans ton cœur. N'écoute pas le démon, moque-toi de lui, et va sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour.

Mais je t'entends dire: Thérèse pense cela parce qu'elle ne sait pas mes misères... Si, elle sait bien, elle devine tout, elle t'assure que tu peux aller sans crainte recevoir ton seul Ami véritable. Elle a aussi passé par le martyre du scrupule, mais Jésus lui a fait la grâce de communier toujours, alors même qu'elle pensait avoir commis de grands péchés. Eh bien, je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen de se débarrasser du démon; s'il voit qu'il perd son temps, il nous laisse tranquille.

Non, il est impossible qu'un cœur dont l'unique repos est de contempler le Tabernacle—et c'est le tien, me dis-tu—offense Nôtre-Seigneur au point de ne pouvoir le recevoir. Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au Cœur, c'est le manque de confiance.

Prie-le beaucoup, afin que tes plus belles années ne se passent pas en craintes chimériques. Nous n'avons que les courts instants de la vie à dépenser pour la gloire de Dieu; le diable le sait bien; c'est pour cela qu'il essaie de nous les faire consumer en travaux inutiles. Petite sœur chérie, communie souvent, bien souvent, voilà le seul remède si tu veux guérir.

Lettre IIe.

1894.

Tu ressembles à une petite villageoise qu'un roi puissant demanderait en mariage, et qui n'oserait accepter sous prétexte qu'elle n'est pas assez riche, qu'elle est étrangère aux usages de la cour. Mais son royal fiancé ne connaît-il pas mieux qu'elle sa pauvreté et son ignorance?

Marie, si tu n'es rien, oublies-tu que Jésus est tout? Tu n'as qu'à perdre ton petit rien dans son infini tout, et à ne plus penser qu'à ce tout uniquement aimable.

Tu voudrais voir, me dis-tu, le fruit de tes efforts? C'est justement ce que Jésus veut te cacher. Il se plaît à regarder tout seul ces petits fruits de vertu que nous lui offrons et qui le consolent.

Tu te trompes, ma chérie, si tu crois que ta Thérèse marche avec ardeur dans le chemin du sacrifice: elle est faible, bien faible; et, chaque jour, elle en fait une nouvelle et salutaire expérience. Mais Jésus se plaît à lui communiquer la science de se glorifier de ses infirmités[255]. C'est une grande grâce que celle-là, et je le prie de te la donner, car dans ce sentiment se trouvent la paix et le repos du cœur. Quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer; on regarde seulement l'unique Bien-Aimé.

Tu me demandes un moyen pour arriver à la perfection. Je n'en connais qu'un seul: L'AMOUR. Aimons, puisque notre cœur n'est fait que pour cela. Parfois, je cherche un autre mot pour exprimer l'amour; mais sur la terre d'exil, la parole qui commence et finit[256] est bien impuissante à rendre les vibrations de l'âme; il faut donc s'en tenir à ce mot unique et simple: AIMER.

Mais à qui notre pauvre cœur prodiguera-t-il l'amour? Qui donc sera assez grand pour recevoir ses trésors? Un être humain saura-t-il les comprendre? et surtout, pourra-t-il les rendre? Marie, il n'existe qu'un Etre pour comprendre l'amour: c'est notre JÉSUS; Lui seul peut nous rendre infiniment plus que nous ne lui donnerons jamais...

A sa cousine Jeanne Guérin.

(Mme La Néele.)

——

Août 1895.

Il est bien grand, ma chère Jeanne, le sacrifice que Dieu t'a demandé en appelant au Carmel ta petite Marie; mais souviens-toi «qu'il a promis le centuple à celui qui, pour son amour, aura quitté son père, ou sa mère, ou sa sœur[257].» Eh bien, puisque tu n'as pas hésité, pour l'amour de Jésus, à te séparer d'une sœur, chérie au delà de tout ce qu'on peut dire, il se trouve obligé de tenir sa promesse. Je sais qu'ordinairement ces paroles sont appliquées aux âmes religieuses; cependant, je sens au fond de mon cœur qu'elles ont été prononcées aussi pour les généreux parents, qui font à Dieu le sacrifice d'enfants plus chers qu'eux-mêmes.

Aux deux missionnaires
ses Frères spirituels.

FRAGMENTS

——

Lettre Ire.

26 décembre 1895.

Notre-Seigneur ne nous demande jamais de sacrifice au-dessus de nos forces. Parfois, il est vrai, ce divin Sauveur nous fait sentir toute l'amertume du calice qu'il présente à notre âme. Lorsqu'il demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au jardin de l'Agonie: «Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi...» Mais empressons-nous d'ajouter aussi: «Que votre volonté soit faite et non la mienne.»[258] Il est bien consolant de penser que Jésus, le divin Fort, a connu toutes nos faiblesses, qu'il a tremblé à la vue du calice amer, ce calice qu'il avait autrefois si ardemment désiré.

Monsieur l'Abbé, votre part est vraiment belle, puisque Notre-Seigneur vous l'a choisie et que, le premier, il a trempé ses lèvres à la coupe qu'il vous présente. Un saint l'a dit: «Le plus grand honneur que Dieu puisse faire à une âme, ce n'est pas de lui donner beaucoup, c'est de lui demander beaucoup.» Jésus vous traite en privilégié; il veut que, déjà, vous commenciez votre mission et que, par la souffrance, vous sauviez des âmes. N'est-ce pas en souffrant, en mourant, que lui-même a racheté le monde? Je sais que vous aspirez au bonheur de sacrifier votre vie pour lui; mais le martyre du cœur n'est pas moins fécond que l'effusion du sang; et, dès maintenant, ce martyre est le vôtre. J'ai donc bien raison de dire que votre part est belle, qu'elle est digne d'un apôtre du Christ.

Lettre IIe.

1896.

Travaillons ensemble au salut des âmes; nous n'avons que l'unique jour de cette vie pour les sauver, et donner ainsi au Seigneur des preuves de notre amour. Le lendemain de ce jour sera l'éternité; alors Jésus vous rendra au centuple les joies si douces que vous lui sacrifiez. Il connaît l'étendue de votre immolation, il sait que la souffrance de ceux qui vous sont chers augmente encore la vôtre; mais Lui-même a souffert ce martyre pour sauver nos âmes. Il a quitté sa Mère, il a vu la Vierge Immaculée debout au pied de la Croix, le cœur transpercé d'un glaive de douleur; aussi j'espère que notre divin Sauveur consolera votre bonne mère, et je le lui demande instamment.

Ah! si le divin Maître laissait entrevoir à ceux que vous allez quitter pour son amour la gloire qu'il vous réserve, la multitude d'âmes qui formeront votre cortège au Ciel, ils seraient déjà récompensés du grand sacrifice que votre éloignement va leur causer.

Lettre IIIe.

24 février 1896.

Je vous demande de faire chaque jour pour moi cette petite prière qui renferme tous mes désirs:

«Père miséricordieux, au nom de votre doux Jésus, de la sainte Vierge et des saints, je vous demande d'embraser ma sœur de votre Esprit d'amour, et de lui accorder la grâce de vous faire beaucoup aimer.»

Si le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous supplie de continuer chaque jour la même prière, car je désirerai au Ciel la même chose que sur la terre: AIMER JÉSUS ET LE FAIRE AIMER.

Lettre IVe.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La seule chose que je désire, c'est de voir le bon Dieu aimé; et j'avoue que si, dans le ciel, je ne pouvais plus travailler pour sa gloire, j'aimerais mieux l'exil que la Patrie.

Lettre Ve.

21 juin 1897.

Vous pouvez chanter les divines miséricordes! elles brillent en vous dans toute leur splendeur. Vous aimez saint Augustin, sainte Madeleine, ces âmes auxquelles beaucoup de péchés ont été remis, parce qu'elles ont beaucoup aimé; moi aussi, je les aime, j'aime leur repentir et surtout leur amoureuse audace. Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives de Simon, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois, je sens que son cœur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que, non seulement il est disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.

Ah! mon frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre, moi aussi, l'amour du Cœur de Jésus, j'avoue qu'il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse; mais, plus encore, ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour. Comment, lorsqu'on jette ses fautes, avec une confiance toute filiale, dans le brasier dévorant de l'amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour?

Je sais qu'un grand nombre de saints passèrent leur vie à faire d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés, mais que voulez-vous! «Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste[259]...» Jésus l'a dit, et c'est pour cela que je suis la voie qu'il me trace: je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien; et ce que Jésus daigne opérer dans mon âme, je le lui abandonne sans réserve.

Lettre VIe.

1897.

Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable: la conduite du Roi des Cieux à l'égard de ses amis. Depuis qu'il a levé l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et remporter la victoire. «Toute vie de missionnaire est féconde en croix», disait Théophane Vénard; et encore: «Le vrai bonheur est de souffrir, et, pour vivre, il nous faut mourir.»

Mon frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la croix: réjouissez-vous! C'est bien plus par la souffrance et la persécution que par de brillantes prédications que Jésus veut affermir son règne dans les âmes.

Vous dites: «Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler.» Le Père Mazel, qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas parler non plus; cependant, il a déjà cueilli la palme... Oh! que les pensées divines sont au-dessus des nôtres!... En apprenant que ce jeune missionnaire était mort, avant même d'avoir foulé le sol de sa mission, je me suis sentie portée à l'invoquer; il me semblait le voir au Ciel dans le glorieux chœur des martyrs. Sans doute, aux yeux des hommes, il ne mérite pas le titre de martyr; mais, au regard du bon Dieu, ce sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des confesseurs de la foi.

S'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute sainteté, je sais, moi, qu'il est infiniment juste; et cette justice qui effraie tant d'âmes fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce n'est pas seulement exercer la sévérité envers les coupables, c'est encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu. J'espère autant de la justice du bon Dieu que de sa miséricorde; c'est parce qu'il est juste «qu'il est compatissant et rempli de douceur, lent à punir et abondant en miséricorde. Car il connaît notre fragilité, il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de nous[260]!...» O mon frère! en entendant ces belles et consolantes paroles du Roi-Prophète, comment douter que le bon Dieu ne veuille ouvrir les portes de son royaume à ses enfants qui l'ont aimé jusqu'à tout sacrifier pour lui, qui, non seulement, ont quitté leur famille et leur patrie, pour le faire connaître et aimer, mais encore désirent donner leur vie pour lui!... Jésus avait bien raison de dire qu'il n'est pas de plus grand amour que celui-là! Comment donc se laisserait-il vaincre en générosité? Comment purifierait-il, dans les flammes du purgatoire, des âmes consumées des feux de l'amour divin?...

Voici bien des phrases pour exprimer ma pensée, ou plutôt pour ne pas arriver à le faire. Je voulais simplement vous dire que, selon moi, tous les missionnaires sont martyrs par le désir et la volonté; et que, par conséquent, pas un ne devrait aller en purgatoire.

Voilà, mon frère, ce que je pense de la justice du bon Dieu; ma voie est toute de confiance et d'amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur d'un si tendre Ami. Parfois, lorsque je lis certains traités où la perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche le cœur, et je prends l'Ecriture Sainte. Alors tout me paraît lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de reconnaître son néant et de s'abandonner, comme un enfant, dans les bras du bon Dieu. Laissant aux grandes âmes, aux esprits sublimes les beaux livres que je ne puis comprendre, encore moins mettre en pratique, je me réjouis d'être petite, puisque «les enfants seuls et ceux qui leur ressemblent seront admis au banquet céleste.»[261] Heureusement que le Royaume des Cieux est composé de plusieurs demeures! car, s'il n'y avait que celles dont la description et le chemin me semblent incompréhensibles, certainement je n'y entrerais jamais...

Lettre VIIe.

13 juillet 1897.

Votre âme est trop grande pour s'attacher aux consolations d'ici-bas! C'est dans les Cieux que vous devez vivre par avance, car il est dit: «Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur.»[262] Votre unique trésor, n'est-ce pas Jésus? Puisqu'il est au Ciel, c'est là que doit habiter votre cœur. Ce doux Sauveur a, depuis longtemps, oublié vos infidélités; seuls vos désirs de perfection lui sont présents pour réjouir son cœur.

Je vous en supplie, ne restez plus à ses pieds; suivez ce premier élan qui vous entraîne dans ses bras; c'est là votre place, et je constate, plus encore que dans vos autres lettres, qu'il vous est interdit d'aller au Ciel par une autre voie que celle de votre petite sœur.

Je suis tout à fait de votre avis: le Cœur de Jésus est bien plus attristé des mille petites imperfections de ses amis que des fautes, même graves, que commettent ses ennemis. Mais, mon frère, il me semble que c'est seulement quand les siens se font une habitude de leurs indélicatesses et ne lui en demandent pas pardon, qu'il peut dire: «Ces plaies que vous voyez au milieu de mes mains, je les ai reçues dans la maison de ceux qui m'aimaient.»[263]

Pour ceux qui l'aiment et qui, après chaque petite faute, viennent se jeter dans ses bras en lui demandant pardon, Jésus tressaille de joie. Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses serviteurs: «Mettez-lui un anneau au doigt et réjouissons-nous.»[264] Ah! mon frère, que la bonté et l'amour miséricordieux du Cœur de Jésus sont peu connus! Il est vrai que, pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire...

Lettre VIIIe.

1897.

Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.

Jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune: cela m'aurait paru de la lâcheté; mais lui, dès mon enfance, a daigné me donner la persuasion intime que ma course ici-bas serait courte.

Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie: la souffrance unie à l'amour. Quand je serai au port, je vous enseignerai comment vous devez naviguer sur la mer orageuse du monde: avec l'abandon et l'amour d'un enfant qui sait que son père le chérit, et ne saurait le laisser seul à l'heure du danger.

Oh! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Cœur de Jésus, ce qu'il attend de vous! Votre dernière lettre a fait tressaillir doucement mon cœur. J'ai compris jusqu'à quel point votre âme est sœur de la mienne, puisqu'elle est appelée à s'élever à Dieu par l'ascenseur de l'amour, et non à gravir le rude escalier de la crainte. Je ne m'étonne pas de voir que la familiarité avec Jésus vous semble difficile: on ne peut y arriver en un jour; mais j'en suis sûre, je vous aiderai beaucoup plus à marcher dans cette voie délicieuse, quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle; et bientôt vous direz, comme saint Augustin: «L'amour est le poids qui m'entraîne.»

Lettre IXe.

26 juillet 1897.

Quand vous lirez ce petit mot, peut-être ne serai-je plus sur la terre. Je ne connais pas l'avenir; cependant, je puis dire avec assurance que l'Epoux est à la porte. Il faudrait un miracle pour me retenir dans l'exil, et je ne pense pas que Jésus le fasse, car il ne fait rien d'inutile.

O mon frère, que je suis heureuse de mourir! Oui, je suis heureuse, non parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas: la souffrance unie à l'amour est, au contraire, la seule chose qui me paraît désirable en cette vallée de larmes; je suis heureuse de mourir parce que, bien plus qu'ici-bas, je serai utile aux âmes qui me sont chères.

Jésus m'a toujours traitée en enfant gâtée... C'est vrai que sa croix m'a accompagnée dès le berceau; mais cette croix, il me l'a fait aimer avec passion.

Lettre Xe.

14 août 1897.

Au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais qu'il n'y a qu'une chose nécessaire: travailler uniquement pour Lui, et ne rien faire pour soi ni pour les créatures. Jésus veut posséder complètement votre cœur; pour cela, il vous faudra beaucoup souffrir... mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez arrivé à l'heureux moment de votre entrée au Ciel!...

Je ne meurs pas, j'entre dans la vie... et tout ce que je ne puis vous dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des Cieux...................

Portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de «Celine».  Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement. Portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de «Celine».

Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement.

PREMIÈRE PARTIE

Mon chants d'aujourd'hui.

Air: Dieu de paix et d'amour.

——

Ma vie est un instant, une heure passagère,
Ma vie est un moment qui m'échappe et qui fuit.
Tu le sais, ô mon Dieu, pour t'aimer sur la terre,
Je n'ai rien qu'aujourd'hui!

Oh! je t'aime Jésus!... vers toi mon âme aspire...
Pour un jour seulement reste mon doux appui!
Viens régner en mon cœur, donne-moi ton sourire
Rien que pour aujourd'hui!

Que m'importe, Seigneur, si l'avenir est sombre!
Te prier pour demain, oh! non, je ne le puis...
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd'hui!

Si je songe à demain, je crains mon inconstance,
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l'ennui;
Mais je veux bien, mon Dieu, l'épreuve, la souffrance
Rien que pour aujourd'hui!

Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle,
O Pilote divin, dont la main me conduit!
Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle,
Rien que pour aujourd'hui!

Ah! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face;
Là je n'entendrai plus du monde le vain bruit.
Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce
Rien que pour aujourd'hui!

Près de ton Cœur divin, oubliant ce qui passe,
Je ne redoute plus les traits de l'ennemi.
Ah! donne-moi, Jésus, dans ton Cœur une place,
Rien que pour aujourd'hui!

Pain vivant, Pain du ciel, divine Eucharistie,
O mystère touchant que l'amour a produit!
Viens habiter mon cœur, Jésus, ma blanche Hostie,
Rien que pour aujourd'hui!

Daigne m'unir à toi, Vigne sainte et sacrée,
Et mon faible rameau te donnera son fruit,
Et je pourrai t'offrir une grappe dorée,
Seigneur, des aujourd'hui.

Cette grappe d'amour dont les grains sont les âmes,
Je n'ai pour la former que ce jour qui s'enfuit...
Oh! donne-moi, Jésus, d'un apôtre les flammes,
Rien que pour aujourd'hui!

O Vierge Immaculée! O toi la douce Etoile
Qui rayonne Jésus et qui m'unit à lui,
O Mère! laisse-moi me cacher sous ton voile,
Rien que pour aujourd'hui!

O mon Ange gardien! couvre-moi de ton aile,
Eclaire de tes feux ma route, ô doux ami!
Viens diriger mes pas, aide-moi, je t'appelle,
Rien que pour aujourd'hui!

Je veux voir mon Jésus, sans voile, sans nuage;
Cependant ici-bas je suis bien près de lui...
Il ne sera caché son aimable Visage
Rien que pour aujourd'hui!

Je volerai bientôt pour dire ses louanges,
Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui;
Alors je chanterai sur la lyre des anges
L'éternel aujourd'hui!

Juin 1894.

————

Vivre d'amour!

Air du cantique: Il est à moi!

——

«Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole, et mon Père l'aimera... et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.....

Je vous donne ma paix... demeurez en mon amour.»

(Joan., XIV, 23, 27.—XV, 9.)

Au soir d'amour, parlant sans parabole,
Jésus disait: «Si quelqu'un veut m'aimer,
«Fidèlement qu'il garde ma parole,
«Mon Père et moi viendrons le visiter;
«Et, de son cœur, faisant notre demeure,
«Notre palais, notre vivant séjour,
«Rempli de paix, nous voulons qu'il demeure
«En notre amour.»

Vivre d'amour, c'est te garder toi-même,
Verbe incréé! Parole de mon Dieu!
Ah! tu le sais, divin Jésus, je t'aime!
L'Esprit d'amour m'embrase de son feu.
C'est en t'aimant que j'attire le Père,
Mon faible cœur le garde sans retour;
O Trinité! vous êtes prisonnière
De mon amour.

Vivre d'amour, c'est vivre de ta vie,
Roi glorieux, délices des élus!
Tu vis pour moi caché dans une hostie...
Je veux pour toi me cacher, ô Jésus!
A des amants il faut la solitude,
Un cœur à cœur qui dure nuit et jour;
Ton seul regard fait ma béatitude,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor;
Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire,
C'est regarder la croix comme un trésor!
Au ciel, je dois vivre de jouissance,
Alors l'épreuve aura fui sans retour:
Mais, ici-bas, je veux dans la souffrance
Vivre d'amour!

Vivre d'amour, c'est donner sans mesure,
Sans réclamer de salaire ici-bas;
Ah! sans compter je donne, étant bien sûre
Que lorsqu'on aime on ne calcule pas.
Au Cœur divin, débordant de tendresse,
J'ai tout donné! légèrement je cours...
Je n'ai plus rien que ma seule richesse:
Vivre d'amour!

Vivre d'amour, c'est bannir toute crainte,
Tout souvenir des fautes du passé.
De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
Au feu divin chacun s'est effacé.
Flamme sacrée, ô très douce fournaise,
En ton foyer je fixe mon séjour;
Jésus, c'est là que je chante à mon aise:
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est garder en soi-même
Un grand trésor en un vase mortel.
Mon Bien-Aimé! ma faiblesse est extrême!
Ah! je suis loin d'être un ange du ciel.
Mais, si je tombe à chaque heure qui passe,
Me relevant, m'embrassant tour à tour,
Tu viens à moi, tu me donnes ta grâce,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est naviguer sans cesse,
Semant la joie et la paix dans les cœurs;
Pilote aimé! la charité me presse,
Car je te vois dans les âmes, mes sœurs.
La charité, voilà ma seule étoile:
A sa clarté, je vogue sans détour;
J'ai ma devise écrite sur ma voile:
«Vivre d'amour!»

Vivre d'amour, lorsque Jésus sommeille,
C'est le repos sur les flots orageux.
Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille,
J'attends en paix le rivage des cieux...
La Foi bientôt déchirera son voile,
Et mon Espoir ne comptera qu'un jour;
La Charité gonfle et pousse ma voile,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est, ô mon divin Maître!
Te supplier de répandre tes feux
En l'âme élue et sainte de ton prêtre;
Qu'il soit plus pur qu'un séraphin des cieux!
Protège-la ton Eglise immortelle,
Je t'en conjure à chaque instant du jour.
Moi, son enfant, je m'immole pour elle,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est essuyer ta Face,
C'est obtenir des pécheurs le pardon.
O Dieu d'amour! qu'ils rentrent dans ta grâce,
Et qu'à jamais ils bénissent ton Nom!
Jusqu'à mon cœur retentit le blasphème;
Pour l'effacer je redis chaque jour:
O Nom sacré! je t'adore et je t'aime,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est imiter Marie
Baignant de pleurs, de parfums précieux
Tes pieds divins, qu'elle baise ravie,
Les essuyant avec ses longs cheveux;
Puis, se levant, dans une sainte audace,
Ton doux Visage elle embaume à son tour:
Moi, le parfum dont j'embaume ta Face,
C'est mon amour!

«Vivre d'amour, quelle étrange folie!
Me dit le monde, ah! cessez de chanter;
Ne perdez pas vos parfums, votre vie;
Utilement, sachez les employer!»
—T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
Tous mes parfums sont à toi sans retour.
Je veux chanter en sortant de ce monde:
Je meurs d'amour!

Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
Et c'est celui que je voudrais souffrir.
O Chérubins! accordez votre lyre,
Car, je le sens, mon exil va finir...
Dard enflammé, consume-moi sans trêve,
Blesse mon cœur en ce triste séjour.
Divin Jésus, réalise mon rêve:
Mourir d'amour!

Mourir d'amour, voilà mon espérance!
Quand je verrai se briser mes liens,
Mon Dieu sera ma grande récompense;
Je ne veux point posséder d'autres biens.
De son amour je suis passionnée;
Qu'il vienne enfin m'embraser sans retour!
Voilà mon ciel, voilà ma destinée:
Vivre d'amour!...

25 février 1895.

LA SAINTE FACE
DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
(D'après le Saint Suaire de Turin.)
LA SAINTE FACE  DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST  (D'après le Saint Suaire de Turin.)  Propriété réservée.  Carmel de Lisieux, pinx1.

PRIÈRE

O Jésus, qui dans votre cruelle Passion êtes devenu «l'opprobre des hommes et l'homme de douleurs», je vénère votre divin Visage, sur lequel brillaient la beauté et la douceur de la divinité, maintenant devenu pour moi «comme le visage d'un lépreux!» Mais sous ces traits défigurés, je reconnais votre amour infini, et je me consume du désir de vous aimer et de vous faire aimer de tous les hommes. Les larmes qui coulèrent si abondamment de vos yeux m'apparaissent comme des perles précieuses que je veux recueillir, afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes des pauvres pécheurs.

O Jésus, dont le Visage est la seule beauté qui ravit mon cœur, j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de votre regard, de ne pas sentir l'inexprimable baiser de votre bouche; mais je vous supplie d'imprimer en moi votre divine ressemblance et de m'embraser de votre amour, afin qu'il me consume rapidement, et que j'arrive bientôt à voir votre glorieux Visage dans le Ciel!

Ainsi soit-il.

(Prière de la servante de Dieu,      
Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.
)

Indulgence de 300 jours, chaque fois, applicable aux âmes du Purgatoire.

Pie X, 13 Février 1905.

————

Faveurs accordées par Sa Sainteté Pie X
LE 9 DÉCEMBRE 1905
à tous ceux qui méditeront pendant quelques instants sur la Passion
devant cette Image de la Sainte Face.

1º Toutes les indulgences accordées précédemment par les Souverains Pontifes à la Couronne des Cinq Plaies.

2º La Bénédiction Apostolique.

Cantique à la sainte Face.

Air: Les regrets de Mignon. (F. Boissière.)

——

Jésus, ton ineffable image
Est l'astre qui conduit mes pas;
Tu le sais bien, ton doux Visage
Est pour moi le ciel ici-bas!
Mon amour découvre les charmes
De tes yeux embellis de pleurs.
Je souris à travers mes larmes,
Quand je contemple tes douleurs.

Oh! je veux pour te consoler
Vivre ignorée et solitaire;
Ta beauté que tu sais voiler
Me découvre tout son mystère,
Et vers toi je voudrais voler!

Ta Face est ma seule patrie,
Elle est mon royaume d'amour;
Elle est ma riante prairie,
Mon doux soleil de chaque jour;
Elle est le lis de la vallée
Dont le parfum mystérieux
Console mon âme exilée,
Lui fait goûter la paix des cieux.

Elle est mon repos, ma douceur,
Et ma mélodieuse lyre...
Ton Visage, ô mon doux Sauveur,
Est le divin bouquet de myrrhe
Que je veux garder sur mon cœur!

Ta Face est ma seule richesse;
Je ne demande rien de plus.
En elle, me cachant sans cesse,
Je te ressemblerai, Jésus!
Laisse en moi la divine empreinte
De tes traits remplis de douceurs,
Et bientôt je deviendrai sainte,
Vers toi j'attirerai les cœurs!

Afin que je puisse amasser
Une belle moisson dorée,
De tes feux daigne m'embraser!
Bientôt, de ta bouche adorée,
Donne-moi l'éternel baiser!

12 août 1895.

Dirupisti, Domine, vincula mea!

Vous avez rompu mes liens, Seigneur! (Ps. cxv, 7.)

A Sr MARIE DE L'EUCHARISTIE

POUR LE JOUR DE SON ENTRÉE AU CARMEL

Air: Mignon, connais-tu le pays? (A. Thomas.)

——

O Jésus, en ce jour tu brises mes liens!
C'est dans l'Ordre béni de la Vierge Marie
Que je pourrai trouver les véritables biens.
Seigneur, si j'ai quitté ma famille chérie,
Tu sauras la combler de célestes faveurs...
A moi, tu donneras le pardon des pécheurs!

Jésus, au Carmel je dois vivre,
Puisqu'en cette oasis ton amour m'appela;
C'est là que je veux te suivre,
T'aimer et bientôt mourir...
C'est là, oui, c'est là!

O Jésus, en ce jour tu combles tous mes vœux:
Je pourrai désormais, près de l'Eucharistie,
M'immoler en silence, attendre en paix les cieux!
M'exposant aux rayons de la divine Hostie,
A ce foyer d'amour je me consumerai,
Et comme un séraphin, Seigneur, je t'aimerai.

Jésus, bientôt je dois te suivre
Au rivage éternel, quand finiront mes jours;
Toujours, au ciel je dois vivre,
T'aimer et ne plus mourir,
Toujours, oui, toujours!

15 août 1895.

Jésus, mon Bien-Aimé, rappelle-toi!...

Air: Rappelle-toi.

——

«Ma fille, cherche celles de mes paroles qui respirent le plus d'amour; écris-les, et puis, les gardant précieusement comme des reliques, aie soin de les relire souvent. Quand un ami veut réveiller au cœur de son ami la vivacité première de son affection, il lui dit: Souviens-toi de ce que tu éprouvais quand tu me dis un jour telle parole; ou bien: Te souviens-tu de tes sentiments à telle époque, un tel jour, en un tel lieu? Crois-le donc, les plus précieuses reliques qui demeurent de moi sur la terre sont les paroles de mon amour, les paroles sorties de mon très doux Cœur.»

Notre-Seigneur à sainte Gertrude.

Oh! souviens-toi de la gloire du Père,
Rappelle-toi les divines splendeurs
Que tu quittas, t'exilant sur la terre,
Pour racheter tous les pauvres pécheurs.
O Jésus! t'abaissant vers la Vierge Marie,
Tu voilas ta grandeur et ta gloire infinie.
De ce sein maternel
Qui fut ton second ciel,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'au jour de ta naissance,
Quittant le ciel, les Anges ont chanté:
«A notre Dieu: gloire, honneur et puissance!
Et paix aux cœurs de bonne volonté!»
Depuis dix-neuf cents ans, tu remplis ta promesse.
Seigneur, de tes enfants, la paix est la richesse:
Pour goûter à jamais
Ton ineffable paix,
Je viens à toi!

Je viens à toi, cache-moi dans tes langes,
En ton berceau je veux rester toujours!
Là, je pourrai, chantant avec les anges,
Te rappeler les fêtes de ces jours:
O Jésus! souviens-toi des bergers et des mages
Qui t'offrirent, joyeux, leurs cœurs et leurs hommages;
Du cortège innocent
Qui te donna son sang,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que, les bras de Marie,
Tu préféras à ton trône royal;
Petit enfant, pour soutenir ta vie,
Tu n'avais rien que le lait virginal!
A ce festin d'amour que te donne ta Mère,
Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit frère,
De ta petite sœur
Qui fit battre ton Cœur,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que tu nommas ton père
L'humble Joseph, qui, par l'ordre du Ciel,
Sans t'éveiller sur le sein de ta Mère,
Sut t'arracher aux fureurs d'un mortel.
Verbe-Dieu, souviens-toi de ce mystère étrange:
Tu gardas le silence et fis parler un ange!
De ton lointain exil
Sur les rives du Nil,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que, sur d'autres rivages,
Les astres d'or et la lune d'argent,
Que je contemple en l'azur sans nuages,
Ont réjoui, charmé tes yeux d'enfant.
De ta petite main qui caressait Marie,
Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.
Et tu pensais à moi!
Jésus, mon petit Roi,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, dans la solitude,
Tu travaillais de tes divines mains;
Vivre oublié fut ta plus chère étude,
Tu rejetas le savoir des humains!
O toi qui d'un seul mot pouvais charmer le monde,
Tu te plus à cacher ta sagesse profonde...
Tu parus ignorant!
O Seigneur tout-puissant,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'étranger sur la terre,
Tu fus errant, toi, le Verbe éternel!
Tu n'avais rien, non pas même une pierre,
Pas un abri, comme l'oiseau du ciel.
O Jésus! viens en moi, viens reposer ta tête,
Viens!... à te recevoir mon âme est toute prête.
Mon bien-aimé Sauveur,
Repose dans mon cœur,
Il est à toi!

Rappelle-toi les divines tendresses
Dont tu comblas les tout petits enfants;
Je veux aussi recevoir tes caresses.
Ah! donne-moi tes baisers ravissants!
Pour jouir dans les cieux de ta douce présence,
Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance:
Tu nous l'as dit souvent:
«Le Ciel est pour l'enfant.....»
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'au bord de la fontaine
Un Voyageur, fatigué du chemin,
Fit déborder sur la Samaritaine
Les flots d'amour que renfermait son sein.
Ah! je connais Celui qui demandait à boire:
Il est le «Don de Dieu», la source de fa gloire!
C'est toi l'eau qui jaillit,
Jésus! tu nous as dit:
«Venez à moi!

«Venez à moi, pauvres âmes chargées;
«Vos lourds fardeaux bientôt s'allégeront,
«Et, pour toujours, dans mon Cœur submergées,
«De votre sein des sources jailliront.»
J'ai soif, ô mon Jésus! cette eau, je la réclame.
De ses torrents divins daigne inonder mon âme;
Pour fixer mon séjour
En l'océan d'amour,
Je viens à toi!

Rappelle-toi qu'enfant de la lumière,
Souvent, hélas! je néglige mon Roi;
Oh! prends pitié de ma grande misère,
Dans ton amour, Jésus, pardonne-moi!
Aux affaires du ciel daigne me rendre habile,
Montre-moi les secrets cachés dans l'Evangile.
Ah! que ce livre d'or
Est mon plus cher trésor,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que ta divine Mère
A sur ton Cœur un pouvoir merveilleux!
Rappelle-toi qu'un jour, à sa prière,
Tu changeas l'onde en vin délicieux!
Daigne aussi transformer mes œuvres indigentes...
A la voix de Marie, ô Dieu! rends-les ferventes:
Que je suis son enfant,
Mon Jésus, bien souvent,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que souvent les collines
Tu gravissais au coucher du soleil;
Rappelle-toi tes oraisons divines,
Tes chants d'amour à l'heure du sommeil!
Ta prière, ô mon Dieu, je l'offre avec délice
Pendant mes oraisons, pendant le saint office:
Là, tout près de ton Cœur,
Je chante avec bonheur,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, voyant la campagne,
Ton divin Cœur devançait les moissons;
Levant les yeux vers la sainte Montagne,
De tes élus tu murmurais les noms!
Afin que ta moisson soit bientôt recueillie,
Chaque jour, ô mon Dieu, je m'immole et je prie.
Que ma joie et mes pleurs
Sont pour tes moissonneurs,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette fête des Anges,
Cette harmonie au royaume des cieux,
Et le bonheur des sublimes phalanges,
Lorsqu'un pécheur vers toi lève les yeux!
Ah! je veux augmenter cette grande allégresse...
Jésus, pour les pécheurs je veux prier sans cesse;
Que je vins au Carmel
Pour peupler ton beau ciel,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette très douce flamme
Que tu voulais allumer dans les cœurs:
Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
Je veux aussi répandre ses ardeurs.
Une faible étincelle, ô mystère de vie,
Suffit pour allumer un immense incendie.
Que je veux, ô mon Dieu,
Porter au loin ton feu,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette fête splendide
Que tu donnas à ton fils repentant;
Rappelle-toi que pour l'âme candide,
Tu la nourris toi-même, à chaque instant!
Jésus, avec amour tu reçois le prodigue...
Mais les flots de ton Cœur, pour moi, n'ont pas de digue.
Que tes biens sont à moi,
Mon Bien-Aimé, mon Roi,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, méprisant la gloire,
En prodiguant tes miracles divins
Tu t'écriais: «Comment pouvez-vous croire
«Vous qui cherchez l'estime des humains?
«Les œuvres que je fais vous semblent surprenantes:
«Mes amis en feront de bien plus éclatantes.»
Que tu fus humble et doux,
Jésus, mon tendre Epoux,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'en une sainte ivresse
L'Apôtre-vierge approcha de ton Cœur!
En son repos il connut ta tendresse;
Et tes secrets il les comprit, Seigneur!
De ton disciple aimé je ne suis pas jalouse;
Je connais tes secrets, car je suis ton épouse...
O mon divin Sauveur,
Je m'endors sur ton Cœur.
Il est à moi!

Rappelle-toi qu'au soir de l'agonie,
Avec ton sang se mêlèrent les pleurs;
Perles d'amour! leur valeur infinie
A fait germer de virginales fleurs.
Un Ange, te montrant cette moisson choisie,
Fit renaître la joie en ton âme bénie;
Jésus, que tu me vis
Au milieu de tes lis,
Rappelle-toi!

Ton sang, tes pleurs, cette source féconde
Virginisant les calices des fleurs,
Les a rendus capables, dès ce monde,
De t'enfanter un grand nombre de cœurs.
Je suis vierge, ô Jésus! Cependant, quel mystère!
En m'unissant à toi, des âmes je suis mère...
Des virginales fleurs
Qui sauvent les pécheurs,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'abreuvé de souffrance
Un Condamné, se tournant vers les cieux,
S'est écrié: «Bientôt dans ma puissance
«Vous me verrez paraître glorieux!»
Qu'il fût le Fils de Dieu, nul ne le voulait croire,
Car elle se cachait son ineffable gloire.
O Prince de la Paix!
Moi, je te reconnais...
Je crois en toi!

Rappelle-toi que ton divin Visage,
Parmi les tiens, fut toujours inconnu!
Mais tu laissas pour moi ta douce image...
Et tu le sais, je t'ai bien reconnu!
Oui, je te reconnais, même à travers tes larmes,
Face de L'Eternel, je découvre tes charmes.
Que ton regard voilé
Mon cœur a consolé,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette amoureuse plainte
Qui, sur la croix, s'échappa de ton Cœur.
Ah! dans le mien, Jésus, elle est empreinte:
Oui... de ta soif il partage l'ardeur!
Plus il se sent blessé de ses divines flammes,
Plus il est altéré de te donner des âmes.
Que, d'une soif d'amour,
Je brûle nuit et jour,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi, Jésus, Verbe de vie,
Que tu m'aimas jusqu'à mourir pour moi!
Je veux aussi t'aimer à la folie;
Je veux aussi vivre et mourir pour toi:
Tu le sais, ô mon Dieu, tout ce que je désire,
C'est de te faire aimer, et d'être un jour martyre.
D'amour je veux mourir.
Seigneur, de mon désir,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'au jour de ta victoire,
Tu nous disais: «Celui qui n'a pas vu
«Le Fils de Dieu tout rayonnant de gloire,
«Il est heureux... si quand même il a cru!»
Dans l'ombre de la foi, je t'aime et je t'adore:
O Jésus, pour te voir j'attends en paix l'aurore.
Que mon désir n'est pas
De te voir ici-bas,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, montant vers le Père,
Tu ne pouvais nous laisser orphelins;
Que, te faisant prisonnier sur la terre,
Tu sus voiler tes rayons tout divins;
Mais l'ombre de ton voile est lumineuse et pure,
Pain vivant de la foi, céleste nourriture.
O mystère d'amour!
Mon Pain de chaque jour:
Jésus, c'est toi!

Jésus, c'est toi qui malgré les blasphèmes
Des ennemis du Sacrement d'amour,
C'est toi qui veux montrer combien tu m'aimes,
Puisqu'en mon cœur tu fixes ton séjour.
O Pain de l'exilé! sainte et divine Hostie!
Ce n'est plus moi qui vis; mais je vis de ta vie:
Ton ciboire doré,
Entre tous préféré,
Jésus, c'est moi!

Jésus, c'est moi ton vivant sanctuaire
Que les méchants ne peuvent profaner.
Reste en mon cœur, n'est-il pas un parterre
Dont chaque fleur vers toi veut se tourner?
Mais, si tu t'éloignais, ô blanc Lis des vallées!
Je le sais bien, mes fleurs seraient vite effeuillées.
Toujours, mon Bien-Aimé,
Jésus, Lis embaumé,
Fleuris en moi!

Rappelle-toi que je veux sur la terre
Te consoler de l'oubli des pécheurs;
Mon seul Amour, exauce ma prière:
Ah! pour t'aimer, donne-moi mille cœurs!
Mais c'est encore trop peu, Jésus, beauté suprême,
Donne-moi pour t'aimer ton divin Cœur lui-même;
De mon désir brûlant,
Seigneur, à chaque instant,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que ta volonté sainte
Est mon repos, mon unique bonheur;
Je m'abandonne et je m'endors sans crainte
Entre tes bras, ô mon divin Sauveur!
Si tu t'endors aussi lorsque l'orage gronde,
Je veux rester toujours en une paix profonde;
Mais pendant ton sommeil,
Jésus! pour le réveil
Prépare-moi!

Rappelle-toi que souvent je soupire
Après le jour du grand avènement.
Qu'il vienne enfin l'Ange qui doit nous dire:
«Le temps n'est plus, venez au jugement!»
Alors rapidement je franchirai l'espace,
Et j'irai me cacher en ta divine Face.
Qu'au séjour éternel
Tu dois être mon ciel,
Rappelle-toi!

21 octobre 1895.

Au Sacré-Cœur.

Air: Petit soulier de Noël.

——

Auprès du Tombeau, sainte Madeleine,
Cherchant son Jésus, se baissait en pleurs.
Les Anges voulaient adoucir sa peine,
Mais rien ne pouvait calmer ses douleurs.
Votre doux éclat, lumineux Archanges,
Ne suffisait pas à la contenter;
Elle voulait voir le Seigneur des Anges,
Le prendre en ses bras, bien loin l'emporter.

Au Sépulcre Saint, restant la dernière,
Marie était là, bien avant le jour;
Son Dieu vint aussi, voilant sa lumière.
Elle ne pouvait le vaincre en amour...
Lui montrant alors sa Face bénie,
Bientôt un seul mot jaillit de son Cœur;
Murmurant le nom si doux de «Marie»,
Jésus lui rendit la paix, le bonheur.
. . . . . . . . . . . . . . .

Un jour, ô mon Dieu, comme Madeleine,
J'ai voulu te voir, m'approcher de toi;
Mon regard plongeait dans l'immense plaine
Dont je recherchais le Maître et le Roi.
Et je m'écriais, voyant l'onde pure,
L'azur étoilé, la fleur et l'oiseau:
Si je ne vois Dieu, brillante nature,
Tu n'es rien pour moi qu'un vaste tombeau.

J'ai besoin d'un cœur brûlant de tendresse,
Restant mon appui sans aucun retour;
Aimant tout en moi, même ma faiblesse,
Ne me quittant pas la nuit et le jour.
Je n'ai pu trouver nulle créature
Qui m'aimât toujours sans jamais mourir;
Il me faut un Dieu prenant ma nature,
Devenant mon frère et pouvant souffrir.

Tu m'as entendue, oh! l'Epoux que j'aime...
Pour ravir mon cœur, te faisant mortel,
Tu versas ton sang, mystère suprême!
Et tu vis encor pour moi sur l'Autel.
Si je ne puis voir l'éclat de ta Face,
Entendre ta voix pleine de douceur,
Je puis, ô mon Dieu, vivre de ta grâce,
Je puis reposer sur ton Sacré-Cœur!

O Cœur de Jésus, trésor de tendresse,
C'est toi mon bonheur, mon unique espoir!
Toi qui sus bénir, charmer ma jeunesse,
Reste auprès de moi jusqu'au dernier soir.
Seigneur, à toi seul j'ai donné ma vie,
Et tous mes désirs te sont bien connus.
C'est en ta bonté toujours infinie
Que je veux me perdre, ô Cœur de Jésus!

Ah! je le sais bien, toutes nos justices
N'ont, devant tes yeux, aucune valeur;
Pour donner du prix à mes sacrifices,
Je veux les jeter en ton divin Cœur.
Tu n'as pas trouvé tes Anges sans tache;
Au sein des éclairs tu donnas ta loi;
En ton Cœur Sacré, Jésus, je me cache,
Je ne tremble pas: ma vertu c'est toi!

Afin de pouvoir contempler ta gloire,
Il faut, je le sais, passer par le feu.
Et moi, je choisis pour mon purgatoire
Ton amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu!
Mon âme exilée, en quittant la vie,
Voudrait faire un acte de pur amour,
Et puis, s'envolant au ciel, sa patrie,
Entrer dans ton Cœur, sans aucun détour!...

Octobre 1895.

Le Cantique éternel

Chanté dès l'exil.

Air: Mignon regrettant sa patrie. (Luigi Bordèse.)

——

Ton épouse, ô mon Dieu, sur la rive étrangère
Peut chanter de l'amour le cantique éternel;
Puisqu'au sein de l'exil tu daignes, sur la terre,
Du feu de ton amour l'embraser comme au ciel!

Mon Bien-Aimé, beauté suprême!
A moi tu te donnés toi-même;
Mais en retour, Jésus, je t'aime:
Fais de ma vie un seul acte d'amour!

Oubliant ma grande misère,
Tu viens habiter dans mon cœur.
Mon faible amour, ah! quel mystère!
Suffit pour t'enchaîner, Seigneur.

Amour qui m'enflamme,
Pénètre mon âme!
Viens, je te réclame,
Viens, consume-moi!

Ton ardeur me presse,
Et je veux sans cesse,
Divine fournaise,
M'abîmer en toi.

Seigneur, la souffrance
Devient jouissance,
Quand l'amour s'élance
Vers toi sans retour.

Céleste patrie,
Douceur infinie,
Mon âme ravie
Vous a chaque jour...
Céleste patrie
O joie infinie,
Vous n'êtes que l'Amour!

10 mars 1896.

J'ai soif d'amour!

Air: Au sein de l'heureuse patrie.

——

Dans ton amour, t'exilant sur la terre,
Divin Jésus, tu t'immolas pour moi.
Mon Bien-Aimé, reçois ma vie entière;
Je veux souffrir, je veux mourir pour toi.

Seigneur, tu nous l'as dit toi-même:
«L'on ne peut rien faire de plus
«Que de mourir pour ceux qu'on aime.»
Et mon amour suprême
C'est toi, Jésus!

Il se fait tard, déjà le jour décline:
Reste avec moi, céleste Pèlerin.
Avec ta croix je gravis la colline;
Viens me guider, Seigneur, dans le chemin!

Ta voix trouve écho dans mon âme:
Je veux te ressembler, Seigneur
La souffrance, je la réclame...
Ta parole de flamme
Brûle mon cœur!

Avant d'entrer dans l'éternelle gloire,
«Il a fallu que l'Homme-Dieu souffrît».
C'est par sa croix qu'il gagna la victoire;
O doux Sauveur, ne nous l'as-tu pas dit?

Pour moi, sur la rive étrangère,
Quels mépris n'as-tu pas reçus!...
Je veux me cacher sur la terre,
Etre en tout la dernière,
Pour toi, Jésus.

Mon Bien-Aimé, ton exemple m'invite
A m'abaisser, à mépriser l'honneur:
Pour te ravir, je veux rester petite;
En m'oubliant, je charmerai ton Cœur.

Ma paix est dans la solitude,
Je ne demande rien de plus.
Te plaire est mon unique étude,
Et ma béatitude
C'est toi, Jésus!

Toi, le grand Dieu que l'univers adore,
Tu vis en moi, prisonnier nuit et jour;
Ta douce voix à toute heure m'implore,
Tu me redis: «J'ai soif! j'ai soif d'amour!...»

Je suis aussi ta prisonnière,
Et je veux redire à mon tour
Ta tendre et divine prière,
Mon Bien-Aimé, mon Frère:
J'ai soif d'amour!

J'ai soif d'amour! Comble mon espérance:
Augmente en moi, Seigneur, ton divin feu!
J'ai soif d'amour! bien grande est ma souffrance.
Ah! je voudrais voler vers toi, mon Dieu!

Ton amour est mon seul martyre;
Plus je le sens brûler en moi,
Et plus mon âme te désire.
Jésus, fais que j'expire
D'amour pour toi!

30 avril 1896.

Mon ciel à moi.

Air: Dieu de paix et d'amour.

——

Pour supporter l'exil de la terre des larmes,
Il me faut le regard de mon divin Sauveur;
Ce regard plein d'amour m'a dévoilé ses charmes,
Il m'a fait pressentir le céleste bonheur.
Mon Jésus me sourit, quand vers lui je soupire;
Alors je ne sens plus l'épreuve de la foi.
Le regard de mon Dieu, son ravissant sourire,
Voilà mon ciel à moi!

Mon ciel est d'attirer sur l'Eglise bénie,
Sur la France coupable et sur chaque pécheur,
La grâce que répand ce beau fleuve de vie
Dont je trouve la source, ô Jésus, dans ton Cœur.
Je puis tout obtenir lorsque, dans le mystère,
Je parle cœur à cœur avec mon divin Roi.
Cette douce oraison, tout près du sanctuaire,
Voilà mon ciel à moi!

Mon ciel, il est caché dans la petite hostie
Où Jésus, mon Epoux, se voile par amour.
A ce foyer divin je vais puiser la vie;
Et là, mon doux Sauveur m'écoute nuit et jour.
Oh! quel heureux instant, lorsque dans ta tendresse
Tu viens, mon Bien-Aimé, me transformer en toi!
Cette union d'amour, cette ineffable ivresse,
Voilà mon ciel à moi!

Mon ciel est de sentir en moi la ressemblance
Du Dieu qui me créa de son souffle puissant;
Mon ciel est de rester toujours en sa présence,
De l'appeler mon Père et d'être son enfant;
Entre ses bras divins je ne crains pas l'orage...
Le total abandon, voilà ma seule loi!
Sommeiller sur son Cœur, tout près de son Visage,
Voilà mon ciel à moi!

Mon ciel, je l'ai trouvé dans la Trinité sainte
Qui réside en mon cœur, prisonnière d'amour.
Là, contemplant mon Dieu, je lui redis sans crainte
Que je veux le servir et l'aimer sans retour.
Mon ciel est de sourire à ce Dieu que j'adore,
Lorsqu'il veut se cacher pour éprouver ma foi;
Sourire, en attendant qu'il me regarde encore,
Voilà mon ciel à moi!

7 juin 1896.

Mon espérance.

Air: O saint autel qu'environnent les Anges.

——

Je suis encor sur la rive étrangère;
Mais, pressentant le bonheur éternel,
Oh! je voudrais déjà quitter la terre
Et contempler les merveilles du ciel!
Lorsque je rêve à l'immortelle vie,
De mon exil je ne sens plus le poids;
Bientôt, mon Dieu, vers ma seule patrie
Je volerai pour la première fois!

Ah! donne-moi, Jésus, de blanches ailes,
Pour que, vers toi, je prenne mon essor.
Je veux voler aux rives éternelles,
Je veux te voir, ô mon divin Trésor!
Je veux voler dans les bras de Marie,
Me reposer sur ce trône de choix,
Et recevoir de ma Mère chérie,
Le doux baiser pour la première fois!

Mon Bien-Aimé, de ton premier sourire
Fais-moi bientôt entrevoir la douceur;
Ah! laisse-moi, dans mon brûlant délire,
Oui, laisse-moi me cacher en ton Cœur.
Heureux instant!... O bonheur ineffable!
Quand j'entendrai le doux son de ta voix...
Quand je verrai, de ta Face adorable
L'éclat divin, pour la première fois!

Tu le sais bien, mon unique martyre
C'est ton amour, Cœur sacré de Jésus!
Vers ton beau ciel, si mon âme soupire,
C'est pour t'aimer... t'aimer de plus en plus!
Au ciel, toujours m'enivrant de tendresse,
Je t'aimerai sans mesure et sans lois.
Et mon bonheur me paraîtra sans cesse
Aussi nouveau que la première fois!

12 juin 1896.

Jeter des fleurs.

Air: Oui, je le crois, elle est immaculée.

——

Jésus, mon seul amour, au pied de ton calvaire,
Que j'aime, chaque soir, à te jeter des fleurs!
En effeuillant pour toi la rose printanière,
Je voudrais essuyer tes pleurs!

Jeter des fleurs!... c'est t'offrir en prémices
Les plus légers soupirs, les plus grandes douleurs.
Mes peines, mon bonheur, mes petits sacrifices:
Voilà mes fleurs!

Seigneur, de ta beauté mon âme s'est éprise;
Je veux te prodiguer mes parfums et mes fleurs.
En les jetant pour toi sur l'aile de la brise,
Je voudrais enflammer les cœurs!

Jeter des fleurs! Jésus, voilà mon arme
Lorsque je veux lutter pour sauver les pécheurs.
La victoire est à moi: toujours je te désarme
Avec mes fleurs!

Les pétales des rieurs caressant ton Visage
Te disent que mon cœur est à toi sans retour.
De ma rose effeuillée, ah! tu sais le langage,
Et tu souris à mon amour...

Jeter des fleurs! redire tes louanges,
Voilà mon seul plaisir sur la rive des pleurs.
Au ciel j'irai bientôt avec les petits anges
Jeter des fleurs!

28 juin 1896.

Mes désirs près du Tabernacle.

Air: Prévenons les feux de l'aurore.

——

Petite clef, oh! je t'envie,
Toi qui peux ouvrir chaque jour
La prison de l'Eucharistie,
Où réside le Dieu d'amour.
Mais je puis, quel touchant miracle!
Par un seul effort de ma foi,
Ouvrir aussi le Tabernacle,
M'y cacher près du divin Roi...

Je voudrais, dans le sanctuaire,
Me consumant près de mon Dieu,
Toujours briller avec mystère,
Comme la lampe du saint Lieu.
O bonheur! en moi, j'ai des flammes,
Et je puis gagner chaque jour,
A Jésus, un grand nombre d'âmes,
Les embraser de son amour...

A chaque aurore, je t'envie,
O pierre sainte de l'autel!
Comme dans l'étable bénie,
Sur toi veut naître l'Eternel.
Ecoute mon humble prière:
Viens en mon âme, doux Sauveur!
Bien loin d'être une froide pierre,
Elle est le soupir de ton Cœur.

O corporal entouré d'Anges,
Que je te porte envie encor!
Sur toi, comme en ses humbles langes,
Je vois Jésus, mon seul trésor.
Change mon cœur, Vierge Marie,
En un corporal pur et beau,
Pour recevoir la blanche hostie
Où se cache ton doux Agneau.

Sainte patène, je t'envie...
Sur toi, Jésus vient reposer!
Oh! que sa grandeur infinie,
Jusqu'à moi daigne s'abaisser...
Jésus, comblant mon espérance,
De l'exil n'attend pas le soir:
Il vient en moi!... par sa présence,
Je suis un vivant ostensoir.

Je voudrais être le calice
Où j'adore le Sang divin!
Mais je puis, au saint Sacrifice,
Le recueillir chaque matin.
Mon âme à Jésus est plus chère
Que les précieux vases d'or;
L'autel est un nouveau Calvaire,
Où, pour moi, son Sang coule encor.

Jésus, Vigne sainte et sacrée,
Tu le sais, ô mon divin Roi,
Je suis une grappe dorée
Qui doit disparaître pour loi.
Sous le pressoir de la souffrance,
Je te prouverai mon amour.
Je ne veux d'autre jouissance
Que de m'immoler chaque jour.

Quel heureux sort! Je suis choisie
Parmi les grains de pur froment
Qui, pour Jésus, perdent la vie;
Bien grand est mon ravissement!
Je suis ton épouse chérie,
Mon Bien-Aimé, viens vivre en moi.
Oh! viens, ta Beauté m'a ravie,
Daigne me transformer en toi!

1896.

Jésus seul.

Composé pour une novice.

Air: Près d'un berceau.

——

Mon cœur ardent veut se donner sans cesse,
Il a besoin de prouver sa tendresse.
Ah! qui pourra comprendre mon amour?
Quel cœur voudra me payer de retour?
Mais, ce retour, en vain je le réclame;
Jésus, toi seul peux contenter mon âme.
Rien ne saurait me charmer ici-bas;
Le vrai bonheur ne s'y rencontre pas.

Ma seule paix, mon seul bonheur,
Mon seul amour, c'est toi, Seigneur!

O toi qui sus créer le cœur des mères,
Je trouve en toi le plus tendre des pères.
Mon seul Amour, Jésus, Verbe éternel,
Pour moi, ton Cœur est plus que maternel!
A chaque instant, tu me suis, tu me gardes;
Quand je t'appelle, ah! jamais tu ne tardes.
Et si parfois tu sembles te cacher,
C'est toi qui viens m'aider à te chercher...

C'est à toi seul, Jésus, que je m'attache;
C'est dans tes bras que j'accours et me cache.
Je veux t'aimer comme un petit enfant;
Je veux lutter comme un guerrier vaillant.
Comme un enfant plein de délicatesses,
Je veux, Seigneur, te combler de caresses;
Et, dans le champ de mon apostolat,
Comme un guerrier je m'élance au combat!

Ton Cœur, qui garde et qui rend l'innocence,
Ne saurait pas tromper ma confiance;
En toi, Seigneur, repose mon espoir:
Après l'exil, au ciel j'irai te voir.

Lorsqu'en mon cœur s'élève la tempête,
Vers toi, Jésus, je relève la tête;
En ton regard miséricordieux,
Je lis: Enfant... pour toi, j'ai fait les cieux!

Je le sais bien, mes soupirs et mes larmes
Sont devant toi tout rayonnants de charmes;
Les Séraphins, au ciel, forment ta cour,
Et cependant tu cherches mon amour...
Tu veux mon cœur... Jésus, je te le donne!
Tous mes désirs je te les abandonne;
Et ceux que j'aime, ô mon Epoux, mon Roi,
Je ne veux plus les aimer que pour toi.

15 août 1896.

La volière de l'Enfant-Jésus.

Air: Au Rossignol. (Gounod.)

——

Pour les exilés de la terre,
Le bon Dieu créa les oiseaux;
Ils vont, gazouillant leur prière,
Dans les vallons, sur les coteaux.
Les enfants joyeux et volages,
Ayant choisi leurs préférés,
Les emprisonnent dans des cages
Dont les barreaux sont tout dorés.
. . . . . . . . . . . . . . .
O Jésus, notre petit Frère,
Pour nous, tu quittas le beau ciel;
Mais, tu le sais bien, ta volière,
Divin Enfant, c'est le Carmel.

Notre cage n'est pas dorée,
Cependant nous la chérissons;
Dans les bois, la plaine azurée,
Plus jamais nous ne volerons!
Jésus! les bosquets de ce monde
Ne peuvent pas nous contenter;
Dans la solitude profonde,
Pour toi seul nous voulons chanter.
Ta petite main nous attire;
Enfant, que tes charmes sont beaux!
O divin Jésus! ton sourire
Captive les petits oiseaux.

Ici l'âme simple et candide
Trouve l'objet de son amour;
Ici la colombe timide
N'a plus à craindre le vautour.
Sur les ailes de la prière,
On voit monter le cœur ardent,
Comme l'alouette légère
Qui, bien haut, s'élève en chantant!
Ici l'on entend le ramage
Du roitelet, du gai pinson.
O petit Jésus! dans leur cage,
Tes oiseaux gazouillent ton Nom.

Le petit oiseau toujours chante:
Son pain ne l'inquiète pas...
Un grain de millet le contente,
Jamais il ne sème ici-bas.
Comme lui, dans notre volière,
Nous recevons tout de ta main;
L'unique chose nécessaire,
C'est de t'aimer, Enfant divin!
Aussi nous chantons tes louanges
Avec les purs esprits du ciel;
Et, nous le savons, tous les Anges
Aiment les oiseaux du Carmel.

Jésus, pour essuyer les larmes
Que te font verser les pécheurs,
Tes oiseaux redisent tes charmes,
Leurs doux chants te gagnent des cœurs.
Un jour, loin de la triste terre,
Lorsqu'ils entendront ton appel,
Tous les oiseaux de ta volière
Prendront leur essor vers le ciel.
Avec les charmantes phalanges
Des petits chérubins joyeux,
Eternellement, tes louanges
Nous les chanterons dans les cieux!

25 décembre 1896.

Glose sur le Divin.

D'après saint Jean de la Croix.

——

Appuyé sans aucun appui; sans lumière et dans les ténèbres, je vais me consumant d'amour. (S. Jean de la Croix.)

Au monde, quel bonheur extrême!
J'ai dit un éternel adieu.
Elevé plus haut que lui-même,
Mon cœur n'a d'autre appui que Dieu;
Et maintenant je le proclame:
Ce que j'estime près de lui,
C'est de voir mon cœur et mon âme
Appuyés sans aucun appui!

Bien que je souffre sans lumière,
En cette existence d'un jour,
Je possède au moins sur la terre
L'Astre céleste de l'amour.
Dans le chemin qu'il me faut suivre
Se rencontre plus d'un péril;
Mais, par amour, je veux bien vivre
Dans les ténèbres de l'exil.

L'amour, j'en ai l'expérience,
Du bien, du mal qu'il trouve en moi,
Sait profiter; quelle puissance!
Il transforme mon âme en soi.
Ce feu qui brûle dans mon âme
Pénètre mon cœur sans retour;
Ainsi dans son ardente flamme
Je vais, me consumant d'amour!

1896.

A l'Enfant-Jésus.

——

Jésus, tu connais mon nom,
Et ton doux regard m'appelle...
Il me dit: «Simple abandon,
Je veux guider ta nacelle.»

De ta petite voix d'enfant,
Oh! quelle merveille!
De ta petite voix d'enfant
Tu calmes le flot mugissant,
Et le vent.

Si tu veux te reposer,
Alors que l'orage gronde,
Sur mon cœur daigne poser
Ta petite tête blonde.

Que ton sourire est ravissant
Lorsque tu sommeilles!
Toujours avec mon plus doux chant,
Je veux te bercer tendrement,
Bel Enfant!

Décembre 1896.

Ma Paix et ma Joie.

Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?

——

Il est des âmes sur la terre
Qui cherchent en vain le bonheur;
Mais, pour moi, c'est tout le contraire,
La joie habite dans mon cœur.
Cette fleur n'est pas éphémère,
Je la possède sans retour;
Comme une rose printanière,
Elle me sourit chaque jour.

Vraiment je suis par trop heureuse.
Je fais toujours ma volonté;
Pourrais-je n'être pas joyeuse
Et ne pas montrer ma gaîté?
Ma joie est d'aimer la souffrance,
Je souris en versant des pleurs.
J'accepte avec reconnaissance
L'épine au milieu de mes fleurs.

Lorsque le ciel bleu devient sombre,
Et qu'il semble me délaisser,
Ma joie est de rester dans l'ombre,
De me cacher, de m'abaisser.
Ma paix, c'est la volonté sainte
De Jésus, mon unique amour:
Ainsi je vis sans nulle crainte;
J'aime autant la nuit que le jour.

Ma paix, c'est de rester petite;
Aussi, quand je tombe en chemin,
Je puis me relever bien vite,
Et Jésus me prend par la main.
Alors, le comblant de caresses,
Je lui dis qu'il est tout pour moi...
Et je redouble de tendresses,
Lorsqu'il se dérobe à ma foi.

Ma paix, si je verse des larmes,
C'est de les cacher à mes sœurs.
Oh! que la souffrance a de charmes,
Quand on sait la voiler de fleurs!
Je veux bien souffrir sans le dire,
Pour que Jésus soit consolé;
Ma joie est de le voir sourire
Lorsque mon cœur est exilé.

Ma paix, c'est de lutter sans cesse
Afin d'enfanter des élus;
C'est de redire avec tendresse,
Bien souvent, à mon doux Jésus:
Pour toi, mon divin petit Frère,
Je suis heureuse de souffrir!
Ma joie unique sur la terre,
C'est de pouvoir te réjouir.

Longtemps encor je veux bien vivre,
Seigneur, si c'est là ton désir.
Dans le ciel je voudrais te suivre,
Si cela te faisait plaisir.
L'amour, ce feu de la patrie,
Ne cesse de me consumer;
Que me fait la mort ou la vie?
Mon seul bonheur, c'est de t'aimer!...

21 janvier 1897.

Mes Armes.

A une novice pour sa Profession.

Air: Partez, hérauts...

——

«L'épouse du Roi est terrible comme une armée rangée en bataille; elle est semblable à un chœur de musique dans un camp d'armée.» Cant., VI, 3; VII, I.

«Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux embûches de l'ennemi.» Ephes., VI, II.

Du Tout-Puissant j'ai revêtu les armes,
Sa main divine a daigné me parer;
Rien désormais ne me cause d'alarmes,
De son amour qui peut me séparer?
A ses côtés, m'élançant dans l'arène,
Je ne craindrai ni le fer ni le feu;
Mes ennemis sauront que je suis reine,
Que je suis l'épouse d'un Dieu.

O mon Jésus! je garderai l'armure
Que je revêts sous tes yeux adorés;
Jusqu'au soir de l'exil, ma plus belle parure
Sera mes vœux sacrés.

O Pauvreté, mon premier sacrifice,
Jusqu'à la mort tu me suivras partout;
Car, je le sais, pour courir dans la lice,
L'athlète doit se détacher de tout.
Goûtez, mondains, le remords et la peine,
Ces fruits amers de votre vanité;
Joyeusement, moi je cueille en l'arène
Les palmes de la Pauvreté.

Jésus a dit: «C'est par la violence
Que l'on ravit le royaume des cieux.»
Eh bien! la Pauvreté me servira de lance,
De casque glorieux.

La Chasteté me rend la sœur des Anges,
De ces esprits purs et victorieux.
J'espère un jour voler en leurs phalanges;
Mais, dans l'exil, je dois lutter comme eux.
Je dois lutter, sans repos et sans trêve,
Pour mon Epoux, le Seigneur des seigneurs.
La Chasteté, c'est le céleste glaive
Qui peut lui conquérir des cœurs.

La Chasteté, c'est mon arme invincible;
Mes ennemis, par elle, sont vaincus;
Par elle je deviens, ô bonheur indicible!
L'épouse de Jésus.

L'Ange orgueilleux, au sein de la lumière,
S'est écrié: «Je n'obéirai pas!...»
Moi, je répète en la nuit de la terre:
Je veux toujours obéir ici-bas.
Je sens en moi naître une sainte audace,
De tout l'enfer je brave la fureur.
L'Obéissance est ma forte cuirasse
Et le bouclier de mon cœur.

O Dieu vainqueur! je ne veux d'autres gloires
Que de soumettre en tout ma volonté;
Puisque l'obéissant redira ses victoires
Toute l'éternité!

Si du guerrier j'ai les armes puissantes,
Si je l'imite et lutte vaillamment,
Comme la vierge aux grâces ravissantes,
Je veux aussi chanter en combattant.
Tu fais vibrer de ta lyre les cordes,
Et cette lyre, ô Jésus, c'est mon cœur!
Alors je puis de tes miséricordes
Chanter la force et la douceur.

En souriant je brave la mitraille,
Et dans tes bras, ô mon Epoux divin,
En chantant je mourrai sur le champ de bataille,
Les armes à la main!

25 mars 1897.

Un lis au milieu des épines.

Composé pour une novice.

Air: L'envers du ciel.

——

O Seigneur tout-puissant! dès ma plus tendre enfance,
Je puis bien m'appeler l'œuvre de ton amour;
Je voudrais, ô mon Dieu, dans ma reconnaissance,
Ah! je voudrais pouvoir te payer de retour.
Jésus, mon Bien-Aimé, quel est ce privilège?
Pauvre petit néant, qu'avais-je fait pour toi?
Et je me vois ici, suivant le blanc cortège
Des vierges de ta cour, aimable et divin Roi!

Hélas! je ne suis rien que la faiblesse même;
Tu le sais bien, mon Dieu, je n'ai pas de vertus!
Mais tu le sais aussi, pour moi, le bien suprême
Qui me charma toujours... c'est toi, mon doux Jésus!
Lorsqu'en mon jeune cœur s'alluma cette flamme
Qui se nomme l'amour... tu vins la réclamer.
Et loi seul, ô Jésus, pus contenter mon âme,
Car jusqu'à l'infini j'avais besoin d'aimer!

Comme un petit agneau loin de la bergerie,
Gaîment je folâtrais, ignorant le danger;
Mais, ô Reine des cieux, ma Bergère chérie,
Ton invisible main savait me protéger!
Ainsi, tout en jouant au bord des précipices,
Déjà tu me montrais le sommet du Carmel;
Je comprenais alors les austères délices
Qu'il me faudrait aimer pour m'envoler au ciel.

Seigneur, si tu chéris la pureté de l'Ange,
De ce brillant esprit qui nage dans l'azur,
N'aimes-tu pas aussi, s'élevant de la fange,
Le lis que ton amour a su conserver pur?
S'il est heureux, mon Dieu, l'Ange à l'aile vermeille
Qui paraît devant toi tout blanc de pureté,
Ma robe, dès ce monde, à la sienne est pareille,
Puisque j'ai le trésor de la virginité!

1897.

La rose effeuillée.

Air: Le fil de la Vierge ou La Rose mousse.

——

Jésus, quand je te vois soutenu par ta Mère,
Quitter ses bras,
Essayer en tremblant sur notre triste terre
Tes premiers pas;
Devant toi je voudrais effeuiller une rose
En sa fraîcheur,
Pour que ton petit pied bien doucement repose
Sur une fleur.

Cette rose effeuillée est la fidèle image,
Divin Enfant!
Du cœur qui veut pour toi s'immoler sans partage
A chaque instant.
Seigneur, sur tes autels plus d'une fraîche rose
Aime à briller;
Elle se donne à toi, mais je rêve autre chose:
C'est m'effeuiller...

La rose en son éclat peut embellir ta fête,
Aimable Enfant!
Mais la rose effeuillée, on l'oublie, on la jette
Au gré du vent...
La rose, en s'effeuillant, sans recherche se donne
Pour n'être plus.
Comme elle, avec bonheur, à toi je m'abandonne,
Petit Jésus!

L'on marche sans regret sur des feuilles de rose,
Et ces débris
Sont un simple ornement que sans art on dispose,
Je l'ai compris...
Jésus, pour ton amour j'ai prodigué ma vie,
Mon avenir;
Aux regards des mortels, rose à jamais flétrie,
Je dois mourir!

Pour toi je dois mourir, Jésus, beauté suprême,
Oh! quel bonheur!
Je veux en m'effeuillant te prouver que je t'aime
De tout mon cœur.
Sous tes pas enfantins je veux avec mystère
Vivre ici-bas;
Et je voudrais encore adoucir au Calvaire
Tes derniers pas...

Mai 1897.

L'abandon.

——

«L'abandon est le fruit délicieux de l'amour.»
Saint Augustin.

Il est sur cette terre
Un arbre merveilleux;
Sa racine, ô mystère!
Se trouve dans les cieux.
Jamais, sous son ombrage,
Rien ne saurait blesser;
Là, sans craindre l'orage,
On peut se reposer.
De cet arbre ineffable,
L'amour, voilà le nom;
Et son fruit délectable
S'appelle l'abandon!

Ce fruit, dès cette vie,
Me donne le bonheur;
Mon âme est réjouie
Par sa divine odeur.
Ce fruit, quand je le touche,
Me paraît un trésor;
Le portant à ma bouche,
Il m'est plus doux encor.
Il me donne en ce monde
Un océan de paix;
En cette paix profonde
Je repose à jamais.

Seul, l'abandon me livre
En tes bras, ô Jésus!
C'est lui qui me fait vivre
Du pain de tes élus;
A toi je m'abandonne,
O mon divin Epoux!
Et je n'ambitionne
Que ton regard si doux.
Toujours je veux sourire,
M'endormant sur ton Cœur...
Et là, je veux redire
Que je t'aime, Seigneur!

Comme la pâquerette
Au calice vermeil,
Moi, petite fleurette,
Je m'entr'ouvre au soleil.
Mon doux soleil de vie,
O mon aimable Roi!
C'est ta divine Hostie,
Petite comme moi...
De sa céleste flamme
Le lumineux rayon
Fait naître dans mon âme
Le parfait abandon.

Toutes les créatures
Peuvent me délaisser;
Je saurai sans murmures
Près de toi m'en passer.
Et si tu me délaisses,
O mon divin Trésor!
N'ayant plus tes caresses,
Je veux sourire encor.
En paix je veux attendre,
Doux Jésus, ton retour,
Et sans jamais suspendre
Mes cantiques d'amour!

Non, rien ne m'inquiète,
Rien ne peut me troubler.
Plus haut que l'alouette
Mon âme sait voler!
Au-dessus des nuages,
Le ciel est toujours bleu;
On touche les rivages
Où règne le bon Dieu!
J'attends en paix la gloire
Du céleste séjour,
Car je trouve au ciboire
Le doux fruit de l'amour!

Mai 1897.

LA VIERGE-MÈRE LA VIERGE-MÈRE  Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

A ce Festin d'Amour que te donne ta Mère
Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit Frère!

DEUXIÈME PARTIE

Première poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.

La Rosée divine
ou le Lait virginal de Marie.

Air: Noël d'Adam.

——

Mon doux Jésus, sur le sein de ta Mère
Tu m'apparais tout rayonnant d'amour;
Daigne à mon cœur révéler le mystère
Qui t'exila du céleste séjour.
Ah! laisse-moi me cacher sous le voile
Qui te dérobe à tout regard mortel.
Près de toi seule, ô matinale étoile,
Mon âme trouve un avant-goût du ciel!

Quand, au réveil d'une nouvelle aurore,
Du soleil d'or on voit les premiers feux,
La tendre fleur qui commence d'éclore
Attend d'en haut un baume précieux:
C'est du matin la perle étincelante,
Mystérieuse et pleine de fraîcheur,
Qui, produisant une sève abondante,
Tout doucement fait entr'ouvrir la fleur.

C'est toi, Jésus, la Fleur à peine éclose.
Je te contemple à ton premier éveil;
C'est toi, Jésus, la ravissante rose,
Le frais bouton, gracieux et vermeil.
Les bras si purs de ta Mère chérie
Forment pour toi: berceau, trône royal.
Ton doux soleil, c'est le sein de Marie,
Et ta rosée est le lait virginal!

Mon Bien-Aimé, mon divin petit Frère,
En ton regard je vois tout l'avenir:
Bientôt pour moi tu quitteras ta Mère;
Déjà l'amour te presse de souffrir!
Mais sur la croix, ô Fleur épanouie!
Je reconnais ton parfum matinal;
Je reconnais les perles de Marie:
Ton sang divin c'est le lait virginal!

Cette rosée, elle est au sanctuaire,
L'Ange voudrait s'en abreuver aussi;
Offrant à Dieu sa sublime prière,
Comme saint Jean il redit: «Le Voici!»
Oui, le voici ce Verbe fait Hostie,
Prêtre éternel, Agneau sacerdotal!
Le Fils de Dieu, c'est le Fils de Marie...
Le Pain de l'Ange est le lait virginal!

Le Séraphin se nourrit de la gloire,
Du pur amour et du bonheur parfait;
Moi, faible enfant, je ne vois au ciboire
Que la couleur, la figure du lait.
Mais c'est le lait qui convient à l'enfance,
Du Cœur divin, l'amour est sans égal...
O tendre amour, insondable puissance!
Ma blanche Hostie est le lait virginal!

2 février 1893.

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