Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au directoire exécutif.
Le citoyen Comeyras, ministre de la république près les Grisons, s'est rendu ces jours derniers au quartier-général: il aurait désiré qu'en conséquence des capitulats qui existaient entre l'archiduc de Milan et les ligues grises, j'eusse fait fournir du blé à ces dernières. Nous avons même eu une petite discussion, parce qu'il prétendait que vous aviez ordonné cette fourniture; mais, par la lecture de la lettre que le ministre Lacroix m'a écrite, il a été convaincu que ce n'était qu'une simple autorisation pour le faire si je le jugeais convenable. Je lui ai dès-lors fait observer qu'il m'était impossible de fournir la quantité de blé qu'il désirait, à moins que les ligues ne demandassent l'exécution de cet article des capitulats; ce qui nous mettrait en droit d'exiger le passage qui est accordé à l'archiduc de Milan, en indemnisation de ladite fourniture.
Nous avons arrêté en conséquence qu'arrivé à Coire, il écrirait aux chefs des ligues qu'il avait éprouvé quelques obstacles à obtenir l'exécution de l'ordre du directoire pour la fourniture des blés, qui ne pouvait avoir lieu qu'en me faisant connaître officiellement les capitulats. Le commissaire Comeyras m'a demandé de l'argent pour payer les pensions des Grisons; il croit qu'avec 60,000 francs notre parti dans ce pays serait considérablement accru.
Si les circonstances de la guerre nous conduisaient dans le pays des Grisons, ou si nous avions besoin d'y avoir une force pour s'opposer aux incursions des ennemis, y aurait-il de l'inconvénient à faire un corps de tous les Suisses qui ont été au service de France et qui sont pensionnés: ce qui formerait un corps d'élite de 800 hommes, connaissant parfaitement les chemins, et qui nous seraient d'un grand secours?
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au directoire exécutif.
Messieurs du sénat de Venise voulaient nous faire comme ils firent à Charles VIII. Ils calculaient que comme lui nous nous enfoncerions dans le fond de l'Italie, et nous attendaient probablement au retour.
Je me suis sur-le-champ emparé de la citadelle de Vérone, que j'ai armée avec leurs canons, et en même temps j'ai envoyé un courrier au citoyen Lallement, notre ministre à Venise, pour lui dire d'enjoindre au sénat de cesser ses armemens. Vous avez vu les notes que je vous ai envoyées là-dessus par mon dernier courrier, déjà l'armement a discontinué.
La république de Venise nous a déjà fourni 3,000,000 pour la nourriture de l'armée; ce n'est pas elle qui fournit, mais un entrepreneur qu'elle paye secrètement. J'en étais ainsi convenu avec le provéditeur-général, en convenant cependant qu'un jour la république française paierait.
Cet entrepreneur est venu plusieurs fois me trouver pour avoir de l'argent: je l'ai renvoyé avec des promesses, et ordre positif de continuer à fournir: il a été trouver les commissaires du gouvernement, qui lui ont donné une lettre de change de 300,000 liv. à prendre sur les contributions du pape. De toutes les mesures, c'était la plus mauvaise; aussi aujourd'hui ne veut-on plus fournir. Par cette lettre de change de 300,000 liv., payables dans un temps où l'on sait qu'il nous revient 21,000,000, on a ôté tout espoir d'être payé, et en même temps l'on a laissé sentir que, par l'importunité et en laissant manquer le service, l'on tirerait de nous de l'argent; de sorte qu'aujourd'hui je suis obligé de me fâcher contre le provéditeur, d'exagérer les assassinats qui se commettent contre nos troupes, de me plaindre amèrement de l'armement qu'on n'a pas fait du temps que les Impériaux étaient les plus forts, et, par là, je les obligerai à nous fournir, pour m'apaiser, tout ce qu'on voudra. Voilà comme il faut traiter avec ces gens-ci; ils continueront à me fournir, moitié gré, moitié force, jusqu'à la prise de Mantoue, et alors je leur déclarerai ouvertement qu'il faut qu'ils me payent la contribution portée dans votre instruction, ce qui sera facilement exécuté. Je crois qu'il serait utile que vous témoignassiez à M. Quirini votre étonnement de l'armement des Vénitiens, qui était, sans aucun doute, dirigé contre nous. Il n'y a pas de gouvernement plus traître et plus lâche que celui-ci.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au citoyen Miot, ministre de la république à Florence.
J'ai reçu, citoyen ministre, vos différentes lettres relatives à l'occupation de Porto-Ferrajo par les Anglais. Tant qu'il y avait espoir de pouvoir résoudre le grand-duc à mettre cette place en état de résister, vous avez bien fait de lui parler ferme; aujourd'hui je crois comme vous que les menaces seraient impuissantes et inutiles. Je crois qu'il faut qu'il n'en soit plus question, ne laisser transpirer aucune marque de ressentiment, et attendre que les circonstances et les ordres du gouvernement nous mettent à même d'agir, non pas de parler.
Je vous prie de surveiller ce qui se fait à Livourne, et de m'en donner souvent des nouvelles. Si les circonstances s'opposent à ce que vous vous rendiez de suite à Rome, faites-le moi savoir, afin que je prenne d'autres mesures.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au citoyen Sapey.
Tous les Corses ont ordre de se rendre à Livourne, pour de là passer dans l'île. Le général Gentili va s'y rendre lui-même. Préparez tous les moyens possibles d'embarquement et de passage. J'ordonne au général Vaubois de tenir huit milliers de poudre, quatre mille fusils de chasse, mille paires de souliers et une certaine quantité de balles à votre disposition, pour pouvoir en fournir aux insurgés de ce département.
Je vous autorise à prendre les mesures que vous me proposez par votre lettre du 19 messidor. N'épargnez aucun moyen pour faire passer des secours et avoir des nouvelles des départemens de Corse.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au citoyen Bonelli.
J'ai reçu votre lettre de Bocognano, en date du 23 juin. Je vous félicite de votre arrivée en Corse. J'ai donné l'ordre à tous les réfugiés de se préparer à partir pour se mettre à la tête des braves patriotes de Corse, secouer le joug anglais, et reconquérir la liberté, objet perpétuel des sollicitudes de nos compatriotes.
Quelle gloire pour eux, s'ils peuvent seuls chasser de la patrie ces orgueilleux Anglais! Gloire et bonheur pour ceux qui se prononceront les premiers! Je vous recommande de ne vous livrer à aucun esprit de parti; que tout le passé soit oublié, hormis pour le petit nombre d'hommes perfides qui ont égaré ce brave peuple.
Les armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin sont dans le coeur de l'Allemagne; tout sourit à la république. Faites en sorte de faire parler bientôt de vous; embrassez nos bons amis, et assurez-les qu'avant peu ils seront délivrés de la tyrannie qui les opprime.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
À l'ordonnateur en chef.
Vous mettrez 100,000 francs à la disposition du citoyen Sucy, commissaire des guerres à Gênes, pour subvenir aux besoins des hôpitaux, des transports d'artillerie et de l'équipage de siège qui est à Savone, et à toutes les autres dépenses relatives aux troupes qui restent encore dans la rivière de Gênes.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au citoyen Garrau, commissaire du gouvernement.
La réquisition que vous avez faite, citoyen commissaire, au général Vaubois, est contraire à l'instruction que m'a donnée le gouvernement. Je vous prie de vous restreindre désormais dans les bornes des fonctions qui vous sont prescrites par le gouvernement du directoire exécutif; sans quoi, je me trouverais obligé de défendre, à l'ordre de l'armée, d'obtempérer à vos réquisitions. Nous ne sommes tous que par la loi: celui qui veut commander et usurper des fonctions qu'elle ne lui accorde pas, n'est pas républicain.
Quand vous étiez représentant du peuple, vous aviez des pouvoirs illimités, tout le monde se faisait un devoir de vous obéir: aujourd'hui vous êtes commissaire du gouvernement, investi d'un très-grand caractère; une instruction positive a réglé vos fonctions, tenez-vous y. Je sais bien que vous répéterez le propos que je ferai comme Dumouriez: il est clair qu'un général qui a la présomption de commander l'armée que le gouvernement lui a confiée, et de donner des ordres sans un arrêté des commissaires, ne peut être qu'un conspirateur.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 2 thermidor an 4 (20 juillet 1796).
Au général Vaubois.
Je suis très-peu satisfait, général, de votre proclamation. Le commissaire du gouvernement n'a pas le droit de vous requérir, et dans la place importante que vous commandez, l'on est aussi coupable d'obéir à ceux qui n'ont pas le droit de commander, que de désobéir à ses chefs légitimes. Par l'esprit de l'instruction que je vous avais donnée, et par tout ce que je vous avais dit de vive voix pendant mon séjour à Livourne, il devait vous être facile de sentir que cette proclamation n'aurait pas mon approbation.
Le citoyen Belleville a été uniquement chargé des opérations relatives au séquestre des biens appartenans dans Livourne à nos ennemis. J'ai appris avec étonnement le gaspillage et le désordre qui y existent.
Vous devez accorder au citoyen Belleville toute la force dont il peut avoir besoin, et vous devez le revêtir et lui donner toute la confiance nécessaire pour qu'il dénonce les abus, et fasse tourner au profit de la république les marchandises que nous avons séquestrées à nos ennemis.
Pressez l'armement et l'équipement de la soixante-quinzième demi-brigade, parce que, dès l'instant que ces braves gens seront reposés, mon intention est de les rappeler a l'armée.
L'intention du gouvernement n'est pas qu'on fasse aucun tort aux négocians livournais, ni aux sujets du grand-duc de Toscane. Tout en cherchant les intérêts de la nation, on doit être généreux et juste. J'ai été aussi affligé qu'étonné des vexations que l'on commet contre le commerce de Livourne.
Vous voudrez bien me rendre un compte détaillé de tout ce qui a été fait à ce sujet; vous aurez soin surtout de m'instruire par quelle autorité le citoyen Lachaise a quitté son consulat de Gênes pour s'ingérer dans les affaires de Livourne. Une grande quantité de réfugiés corses se rendent à Livourne, pour de là passer dans cette île. Tenez quatre mille fusils de chasse, un millier de paires de pistolets, six milliers de poudre et des balles en proportion à la disposition du citoyen Sapey, qui sera chargé de les faire passer aux patriotes insurgés de ce département.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 3 thermidor an 4 (21 juillet 1796).
À son éminence le cardinal secrétaire d'état à Rome.
J'ai l'honneur, monseigneur, d'envoyer auprès de Sa Sainteté le citoyen Cacault, agent de la république française en Italie, pour qu'il puisse s'occuper de l'exécution de l'armistice qui a été conclu entre la république française et Sa Sainteté, sous la médiation de la cour d'Espagne. Je vous prie de vouloir bien le reconnaître en cette qualité.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 3 thermidor an 4 (21 juillet 1796).
Au citoyen Cacault.
Vous voudrez bien, en conséquence d'une lettre adressée au cardinal secrétaire d'état des affaires étrangères de Sa Sainteté, exiger un ordre du pape pour le commandant d'Ancône, afin qu'il reçoive la garnison que j'y enverrai.
Vous ferez partir les 5,000,000 qui doivent former le premier paiement; savoir, 2,000,000 au quartier-général, dont reçu sera donné par le payeur de l'armée, et le reste à Tortone. Il faudra que le premier convoi se mette en marche de Rome vingt-quatre heures après votre arrivée.
Les 500,000 qui doivent former le second paiement devront partir de Rome peu de jours après les premiers, puisque, selon l'armistice, ils doivent partir le 5 thermidor.
Les 5,500,000 liv. qui forment le dernier paiement, doivent partir de Rome le 5 vendémiaire.
Les savans et artistes qui doivent faire le choix des tableaux, manuscrits et statues, s'adresseront à vous, et vous leur donnerez la protection nécessaire en faisant les démarches qu'il conviendra. S'il était utile, pour les frais de transport, de donner des fonds aux artistes, vous les feriez prendre sur les fonds provenant des contributions du pape.
Sur 5,500,000 liv. que le pape doit nous fournir en dernier paiement, 4,000,000 sont destinés pour la marine. Le ministre de la marine doit envoyer, à cet effet, des commissaires.
Vous préviendrez, en attendant, pour que l'on prépare des chanvres, des bois et autres objets de construction de cette nature.
Les 1,500,000 liv. restant seront fournis en chevaux et draps pour habiller les troupes. Vous demanderez en conséquence quatre cents chevaux, taille de hussards; quatre cents, taille de dragons, et six cents de charrois, qui seront transférés à Milan, où l'estimation en sera faite entre le général Baurevoir, chargé des dépôts de l'armée, et les experts envoyés par le pape; pour le reste, des draps bleus et blancs pour habiller nos troupes.
Vous demanderez la liberté de tous les hommes qui sont arrêtés à Rome pour leurs opinions, et notamment pour les personnes dénommées dans la liste ci-jointe, ainsi que pour le citoyen Labrousse de Bordeaux.
En conséquence de la décision du directoire et de la commission, arrêtée à Florence par M. d'Azara, le pape se trouve tenu de payer les contributions qui avaient été imposées sur la légation de Ravenne, montant à 1,200,000 francs en denrées et 1,200,000 francs en argent.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 4 thermidor an 4 (22 juillet 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai instruit, citoyens directeurs, que j'ai fait passer en Corse une vingtaine de réfugiés.
J'ai ordonné au général de division Gentili et aux généraux de Casalta et Cervoni de se rendre à Livourne, d'où ils partiront pour se mettre à la tête des insurgés. Le général Gentili qui se trouve avoir ce commandement, est un homme sage, prudent, ayant l'estime des personnes du pays et la confiance des montagnards.
J'ordonne à la gendarmerie du département de Corse, de cent quatre-vingts hommes, tous du pays, de se rendre à Livourne, d'où je les ferai également passer: cela joint à quatre mille fusils de chasse, à six milliers de poudre, nous donnera tout l'intérieur du pays; dès l'instant que tout cela sera organisé, j'y ferai passer une compagnie de canonniers avec cinq à six pièces de montagnes, avec quoi il est facile que l'on puisse s'emparer de Saint-Florent qui n'a aucune fortification permanente. Ce port pris, les Anglais n'ont plus d'intérêt à tenir les autres; d'ailleurs, les habitans d'Ajaccio et de Bastia sont très-impatiens du joug anglais.
Je vous prie de vouloir bien me faire connaître si vous trouverez de l'inconvénient à accorder une amnistie générale au peuple de ce département, hormis aux principaux chefs.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 4 thermidor an 4 (22 juillet 1796).
Au directoire exécutif.
La ville de Reggio se soulève contre le duc de Modène; des députés de cette ville sont venus me demander protection et assistance: comme nous avons conclu un armistice avec le duc de Modène, j'ai cru devoir les exhorter à la tranquillité. Je ne vous rends compte de ceci que pour que vous sachiez que les sujets du duc de Parme et de Modène sont très-peu attachés à leur prince.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 4 thermidor an 4 (22 juillet 1796).
Au citoyen Salicetti.
La fortune a paru nous être contraire un moment: il s'est passé tant d'événemens depuis cinq ou six jours, et j'ai encore tant d'occupations, qu'il m'est impossible de vous en faire une relation exacte; mais enfin, grâce à la victoire de Lonado et aux mesures rigoureuses que j'ai prises, les choses prendront une tournure satisfaisante. J'ai levé le siège de Mantoue; je suis ici presque avec toute mon armée.
Je saisirai la première occasion de présenter bataille à l'ennemi: elle décidera du sort de l'Italie; battu, je me retirerai de l'Adda; battant, je ne m'arrêterai pas aux marais de Mantoue. Louis10 vous dira de bouche les détails de nos deux victoires de Lonado et de Salo.
Louis vous parlera de ma force actuelle et de celle des ennemis. Écrivez au général Kellermann de me faire passer à doubles journées toutes les troupes disponibles; assurez-vous que les châteaux de Milan, Tortone, Alexandrie et Pavie sont approvisionnés. Nous sommes ici extrêmement fatigués; cinq de mes chevaux sont crevés de fatigue. Je ne puis écrire au directoire, je vous charge de lui annoncer en peu de mots ce que je vous marque et ce que Louis vous dira de bouche.
BONAPARTE.
Footnote 10: (return) Louis Bonaparte, son frère.
Au quartier-général de Brescia, le 15 thermidor an 4 (2 août 1796).
Au directoire exécutif.
Nous avons essuyé des revers, citoyens directeurs, mais déjà la victoire commence à revenir sous nos drapeaux. Si l'ennemi nous a surpris le poste de Salo et a eu le bonheur de nous enlever celui de la Corona, nous venons de le battre à Lonado, et de lui reprendre Salo. Je vous envoie un de mes aides-de-camp, qui pourra vous donner de bouche des renseignemens plus détaillés. Je vous enverrai demain une relation de tout ce qui s'est passé pendant ces six jours.
Vous pouvez compter sur le courage et la confiance de la brave armée d'Italie, et sur notre ferme résolution de vaincre. C'est dans cette circonstance difficile et critique que j'ai eu lieu d'admirer le courage et l'entier dévouement de l'armée à la gloire nationale.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 16 thermidor an 4 (3 août 1796).
Au général Guillaume.
Vous devez avoir été témoin des batailles données à l'ennemi aujourd'hui et ces jours derniers: nous lui avons pris 20,000 hommes, et tué un grand nombre. L'armée ennemie est en pleine déroute, et demain ou après nous serons dans vos murs. En attendant, quelles que soient les circonstances, ne vous rendez qu'à la dernière extrémité. La brèche faite, montrez la plus grande fermeté.
Salut, estime et gloire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Castiglione, le 19 thermidor an 4 (6 août 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Les événemens militaires se sont succédés avec une telle rapidité depuis le 11, qu'il m'a été impossible de vous en rendre compte plus tôt.
Depuis plusieurs jours, les vingt mille hommes de renfort que l'armée autrichienne du Rhin avait envoyés à l'armée d'Italie étaient arrivés; ce qui, joint à un nombre considérable de recrues et à un grand nombre de bataillons venus de l'intérieur de l'Autriche, rendait cette armée extrêmement redoutable: l'opinion générale était que bientôt les Autrichiens seraient dans Milan.
Le 11, à trois heures du matin, la division du général Masséna est attaquée par des forces nombreuses; elle est obligée de céder l'intéressant poste de la Corona, au même instant une division de quinze mille Autrichiens surprend la division du général Soret à Salo, et s'empare de ce poste important.
Le général de brigade Guieux, avec six cents hommes de la quinzième demi-brigade d'infanterie légère, se renferme dans une grande maison de Salo, et là brave tous les efforts de l'ennemi qui le cernait de tous côtés. Le général de brigade Rusca a été blessé.
Tandis qu'une partie de cette division cernait le général Guieux à Salo, une autre partie descendit sur Brescia, surprit les factionnaires qui s'y trouvaient, fit prisonnières quatre compagnies que j'y avais laissées, quatre-vingts hommes du vingt-cinquième régiment de chasseurs, deux généraux et quelques officiers supérieurs qui étaient restés malades.
La division du général Soret, qui aurait dû couvrir Brescia, fit sa retraite sur Dezenzano. Dans cette circonstance difficile, percé par une armée nombreuse que ces avantages devaient nécessairement enhardir, je sentis qu'il fallait adopter un plan vaste.
L'ennemi, en descendant du Tyrol par Brescia et l'Adige, me mettait au milieu. Si l'armée républicaine était trop faible pour faire face aux divisions de l'ennemi, elle pouvait battre chacune d'elles séparément, et par ma position je me trouvais entre elles. Il m'était donc possible, en rétrogradant rapidement, d'envelopper la division ennemie descendue de Brescia, la prendre prisonnière et la battre complètement, et de là revenir sur le Mincio attaquer Wurmser et l'obliger à repasser dans le Tyrol; mais pour exécuter ce projet, il fallait dans vingt-quatre heures lever le siège de Mantoue, qui était sur le point d'être pris, car il n'y avait pas moyen de retarder six heures. Il fallait, pour l'exécution de ce projet, repasser sur-le-champ le Mincio, et ne pas donner le temps aux divisions ennemies de m'envelopper. La fortune a souri à ce projet, et le combat de Dezenzano, les deux combats de Salo, la bataille de Lonado, celle de Castiglione en sont les résultats.
Le 12 au soir, toutes les divisions se mirent en marche sur Brescia; cependant la division autrichienne qui s'était emparée de Brescia était déjà arrivée à Lonado.
Le 13, j'ordonnai au général Soret de se rendre à Salo pour délivrer le général Guieux, et au général Dallemagne, d'attaquer et de reprendre Lonado, à quelque prix que ce fût. Soret réussit complètement à délivrer le général Guieux, à Salo, après avoir battu l'ennemi, lui avoir pris deux drapeaux, deux pièces de canon et deux cents prisonniers.
Le général Guieux et les troupes sous ses ordres sont restés quarante-huit heures sans pain et se battant toujours contre les ennemis.
Le général Dallemagne n'eut pas le temps d'attaquer les ennemis, il fut attaqué lui-même. Un combat opiniâtre, longtemps indécis, s'engagea; mais j'étais tranquille, la brave trente-deuxième demi-brigade était là. En effet, l'ennemi fut complètement battu; il laissa six cents morts sur le champ de bataille et six cents prisonniers.
Le 14 à midi, Augereau entra dans Brescia: nous y trouvâmes tous nos magasins, que l'ennemi n'avait pas encore eu le temps de prendre, et les malades qu'il n'avait pas eu le temps d'évacuer.
Le 15, la division du général Augereau retourna à Monte-Chiaro, Masséna prit position à Lonado et à Ponte-San-Marco. J'avais laissé à Castiglione le général Valette avec dix-huit cents hommes; il devait défendre cette position importante, et par là tenir toujours la division du général Wurmser loin de moi. Cependant le 15 au soir, le général Valette abandonna ce village avec la moitié de ses troupes, et vint à Monte-Chiaro porter l'alarme, en annonçant que le reste de sa troupe était prisonnière; mais abandonnés de leur général, ces braves gens trouvèrent des ressources dans leur courage, et opérèrent leur retraite sur Ponte-San-Marco. J'ai sur-le-champ, et devant sa troupe, suspendu de ses fonctions ce général, qui déjà avait montré très-peu de courage à l'attaque de la Corona.
Le général Soret avait abandonné Salo; j'ordonnai au brave général Guieux d'aller reprendre ce poste essentiel.
Le 16, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence: le général Guieux, qui était à notre gauche, devait attaquer Salo; le général Masséna était au centre et devait attaquer Lonado; le général Augereau, qui était à la droite, devait attaquer par Castiglione. L'ennemi, au lieu d'être attaqué, attaqua l'avant-garde de Masséna, qui était à Lonado; déjà elle était enveloppée, et le général Pigeon prisonnier: l'ennemi nous avait enlevé trois pièces d'artillerie à cheval. Je fis aussitôt former la dix-huitième demi-brigade et la trente-deuxième en colonne serrée, par bataillon; et pendant le temps qu'au pas de charge, nous cherchions à percer l'ennemi, celui-ci s'étendait davantage pour chercher à nous envelopper: sa manoeuvre me parut un sûr garant de la victoire. Masséna envoya seulement quelques tirailleurs sur les ailes des ennemis, pour retarder leur marche; la première colonne arrivée à Lonado força les ennemis. Le quinzième régiment de dragons chargea les houlans et reprit nos pièces.
Dans un instant l'ennemi se trouva éparpillé et disséminé. Il voulait opérer sa retraite sur le Mincio; j'ordonnai à mon aide-de-camp, chef de brigade, Junot, de se mettre à la tête de ma compagnie des guides, de poursuivre l'ennemi, de le gagner de vitesse à Dezenzano, et de l'obliger par là de se retirer sur Salo. Arrivé à Dezenzano, il rencontra le colonel Bender avec une partie de son régiment de houlans, qu'il chargea; mais Junot ne voulant pas s'amuser à charger la queue, fit un détour par la droite, prit en front le régiment, blessa le colonel qu'il voulait prendre prisonnier, lorsqu'il fut lui-même entouré; et après en avoir tué six de sa propre main, il fut culbuté, renversé dans un fossé, et blessé de six coups de sabre, dont on me fait espérer qu'aucun ne sera mortel.
L'ennemi opérait sa retraite sur Salo: Salo se trouvant à nous, cette division errante dans les montagnes a été presque toute prisonnière. Pendant ce temps Augereau marchait sur Castiglione, s'emparait de ce village; toute la journée il livra et soutint des combats opiniâtres contre des forces doubles des siennes: artillerie, infanterie, cavalerie, tout a fait parfaitement son devoir; et l'ennemi, dans cette journée mémorable, a été complètement battu de tous les côtés.
Il a perdu dans cette journée vingt pièces de canon, deux à trois mille hommes tués ou blessés et quatre mille prisonniers, parmi lesquels trois généraux.
Nous avons perdu le général Beyrand. Cette perte, très-sensible à l'armée, l'a été plus particulièrement pour moi: je faisais le plus grand cas des qualités guerrières et morales de ce brave homme.
Le chef de la quatrième demi-brigade, Pouraillier; le chef de brigade du premier régiment d'hussards, Bourgon; le chef de brigade du vingt-deuxième régiment de chasseurs, Marmet, ont également été tués.
La quatrième demi-brigade, à la tête de laquelle a chargé l'adjudant-général Verdier, s'est comblée de gloire.
Le général Dommartin, commandant l'artillerie, a montré autant de courage que de talent.
Le 17, j'avais ordonné au général Despinois de pénétrer dans le Tyrol par le chemin de Chieso, il devait auparavant culbuter cinq à six mille ennemis qui se trouvaient à Gavardo. L'adjudant-général Herbin eut de grands succès, culbuta les ennemis, en fit un grand nombre prisonniers; mais n'ayant pas été soutenu par le reste de la division, il fut entouré, et ne put opérer sa retraite qu'en se faisant jour au des ennemis.
J'envoyai le général Saint-Hilaire à Salo pour se concerter avec le général Guieux, et attaquer la colonne ennemie qui était à Gavardo, pour avoir le chemin du Tyrol libre. Après une fusillade assez vive, nous défîmes les ennemis, et nous leur fîmes dix-huit cents prisonniers.
Pendant toute la journée du 17, Wurmser s'occupa à rassembler les débris de son armée, à faire arriver sa réserve, à tirer de Mantoue tout ce qui était possible, à les ranger en bataille dans la plaine, entre le village de Scanello, où il appuya sa droite, et la Chiesa, où il appuya sa gauche.
Le sort de l'Italie n'était pas encore décidé. Il réunit un corps de vingt-cinq mille hommes, une cavalerie nombreuse, et sentit pouvoir encore balancer le destin. De mon côté, je donnai des ordres pour réunir toutes les colonnes de l'armée.
Je me rendis moi-même à Lonado, pour voir les troupes que je pouvais en tirer; mais quelle fut ma surprise, en entrant dans cette place, d'y recevoir un parlementaire, qui sommait le commandant de Lonado de se rendre, parce que, disait-il, il était cerné de tous côtés. Effectivement, les différentes vedettes de cavalerie m'annonçaient que plusieurs colonnes touchaient nos grand'gardes; et que déjà la route de Brescia à Lonado était interceptée au pont San-Marco. Je sentis alors que ce ne pouvait être que les débris de la division coupée qui, après avoir erré et s'être réunis, cherchaient à se faire passage.
La circonstance était assez embarrassante: je n'avais à Lonado qu'à peu près douze cents hommes; je fis venir le parlementaire, je lui fis débander les yeux; je lui dis que si son général avait la présomption de prendre le général en chef de l'armée d'Italie, il n'avait qu'à avancer; qu'il devait savoir que j'étais à Lonado, puisque tout le monde savait que l'armée républicaine y était; que tous les officiers-généraux et officiers supérieurs de la division seraient responsables de l'insulte personnelle qu'il m'avait faite: je lui déclarai que si sous huit minutes, toute sa division n'avait pas posé les armes, je ne ferais grâce à aucun.
Le parlementaire parut fort étonné de me voir là, et un instant après toute cette colonne posa les armes. Elle était forte de quatre mille hommes, deux pièces de canon, et cinquante hommes de cavalerie; elle venait de Gavardo, et cherchait une issue pour se sauver: n'ayant pas pu se faire jour le matin par Salo, elle cherchait à le faire par Lonado.
Le 18, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence; cependant il était six heures du matin et rien ne bougeait encore. Je fis faire un mouvement rétrograde à toute l'armée pour attirer l'ennemi à nous, du temps que le général Serrurier, que j'attendais à chaque instant, venait de Marcario, et dès-lors tournait toute la gauche de Wurmser. Ce mouvement eut en partie l'effet qu'on en attendait. Wurmser se prolongeait sur sa droite pour observer nos derrières.
Dès l'instant que nous aperçûmes la division du général Serrurier, commandée par le général Fiorella, qui attaquait la gauche, j'ordonnai à l'adjudant-général Verdière d'attaquer une redoute qu'avaient faite les ennemis dans le milieu de la plaine pour soutenir leur gauche. Je chargeai mon aide-de-camp, chef de bataillon, Marmont, de diriger vingt pièces d'artillerie légère, et d'obliger par ce seul feu l'ennemi à nous abandonner ce poste intéressant. Après une vive canonnade, la gauche de l'ennemi se mit en pleine retraite.
Augereau attaqua le centre de l'ennemi, appuyé à la tour de Solférino; Masséna attaqua la droite, l'adjudant-général Leclerc, à la tête de la cinquième demi-brigade, marcha au secours de la quatrième demi-brigade.
Toute la cavalerie aux ordres du général Beaumont marcha sur la droite, pour soutenir l'artillerie légère et l'infanterie. Nous fûmes partout victorieux, partout nous obtînmes les succès les plus complets.
Nous avons pris à l'ennemi dix-huit pièces de canon, cent vingt caissons de munitions. Sa perte va à deux mille hommes, tant tués que prisonniers. Il a été dans une déroute complète; mais nos troupes, harassées de fatigue, n'ont pu les poursuivre que l'espace de trois lieues. L'adjudant-général Frontin a été tué: ce brave homme est mort en face de l'ennemi.
Voilà donc en cinq jours une autre campagne finie. Wurmser a perdu dans ces cinq jours soixante-dix pièces de canon de campagne, tous ses caissons d'infanterie, douze à quinze mille prisonniers, six mille hommes tués ou blessés, et presque toutes les troupes venant du Rhin. Indépendamment de cela, une grande partie est encore éparpillée, et nous les ramassons en poursuivant l'ennemi. Tous les officiers, soldats et généraux ont déployé dans cette circonstance difficile un grand caractère de bravoure. Je vous demande le grade de général de brigade pour les adjudans Verdier et Vignolles: le premier a contribué aux succès d'une manière distinguée; le second, qui est le plus ancien adjudant-général de toute l'armée, joint à un courage sûr des talens et une activité rares. Je vous demande le grade de chef de bataillon pour l'adjoint Ballet, celui de général de division pour le général de brigade Dallemagne; celui de chef de brigade d'artillerie pour le citoyen Songis, chef de bataillon.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 21 thermidor an 4 (8 août 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Le 19 au matin l'ennemi tenait la ligne du Mincio, sa droite appuyée à son camp retranché à Peschiera, sa gauche à Mantoue, et son centre à Valeggio. Augereau se posta à Borghetto, et engagea une vive canonnade avec l'ennemi. Pendant ce temps-là, Masséna se porta à Peschiera, attaqua l'ennemi dans le camp retranché qu'il avait fait devant cette place, le mit en déroute, lui prit douze pièces de canon, et lui fit sept cents prisonniers.
Le résultat de ce combat a été d'obliger l'ennemi à lever le siège de Peschiera, et à quitter la ligne du Mincio.
Dans la journée du 20, Augereau passa le Mincio à Peschiera. La division du général Serrurier se porta sur Vérone, où elle arriva à dix heures du soir, dans le temps que la division du général Masséna avait repris ses anciennes positions, fait quatre cents prisonniers, pris sept pièces de canon. L'arrière-garde ennemie était encore dans Verone; les portes étaient fermées et les ponts-levis levés. Le provéditeur de Venise, sommé de les ouvrir, déclara qu'il ne le pouvait pas de deux heures. J'ordonnai aussitôt qu'on les ouvrît à coups de canon, ce que le général Dommartin fit exécuter sur-le-champ, et en moins d'un quart d'heure. Nous y avons trouvé différens bagages et fait quelques centaines de prisonniers.
Nous voilà donc retournés dans nos anciennes positions: l'ennemi fuit au loin dans le Tyrol; les secours que vous m'avez annoncés venant des côtes de l'Océan commencent à arriver, et tout est ici dans la situation la plus satisfaisante.
L'armée autrichienne, qui depuis six semaines menaçait d'invasion en Italie, a disparu comme un songe, et l'Italie qu'elle menaçait est aujourd'hui tranquille.
Les peuples de Bologne, de Ferrare, mais surtout celui de Milan, ont, pendant notre retraite, montré le plus grand courage et le plus grand attachement à la liberté. À Milan, tandis que l'on disait que les ennemis étaient à Cassano, et que nous étions en déroute, le peuple demandait des armes, et l'on entendait dans les rues, sur les places, dans les spectacles, l'air martial: «Allons, enfans de la patrie.»
Le général Victor, à la tête de la dix-huitième demi-brigade, a montré la plus grande bravoure au combat de Peschiera.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 22 thermidor an 4 (9 août 1796).
À la municipalité de Milan.
Lorsque l'armée battait en retraite, que les partisans de l'Autriche et les ennemis de la liberté la croyaient perdue sans ressource; lorsqu'il était impossible à vous-mêmes de soupçonner que cette retraite n'était qu'une ruse, vous avez montré de l'attachement pour la France, de l'amour pour la liberté; vous avez déployé un zèle et un caractère qui vous ont mérité l'estime de l'armée, et vous mériteront celle de la république française.
Chaque jour votre peuple se rend davantage digne de la liberté; il acquiert chaque jour de l'énergie: il paraîtra sans doute un jour avec gloire sur la scène du monde. Recevez le témoignage de ma satisfaction, et du voeu sincère que fait le peuple français pour vous voir libres et heureux.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 24 thermidor an 4 (11 août 1796).
Au citoyen Miot.
J'ai reçu vos différentes lettres, mon cher ministre; vous recevrez plusieurs exemplaires de la relation que vous désirez. On dit l'empereur sur le point de mourir: cherchez à voir quelqu'un qui puisse vous instruire du moment où cela pourrait arriver.
Vous sentez combien cela est important, et combien il est essentiel que je sois instruit du moment où le grand-duc se mettra en chemin pour Vienne.
Faites passer par un courrier les pièces que j'adresse au général Vaubois et au citoyen Cacault. Instruisez-moi avec votre exactitude ordinaire. L'intérêt du gouvernement est que l'on ne fasse rien dans la Toscane qui puisse indisposer le grand-duc, maintenez donc la neutralité.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).
À M. le chevalier d'Azara, à Rome.
J'ai reçu, monsieur, plusieurs lettres de vous, auxquelles les circonstances et mes occupations ne m'ont pas permis de répondre aussi promptement que j'aurais voulu.
Cacault vous remettra les deux pièces authentiques que vous m'avez envoyées, avec une lettre de la municipalité de Ferrare: vous y verrez que c'est une affaire arrangée.
On m'assure que la cour de Rome vous a demandé de lui prouver que la France était érigée en république. On m'assure qu'à Rome on ne veut plus accorder de bénédictions aux Ferrarais et aux Bolonais, mais bien à ceux de Lugo. Joignez à cela le légat envoyé à Ferrare et le retard de l'exécution de l'armistice, et le roi votre maître se convaincra de la mauvaise foi d'un gouvernement dont l'imbécillité égale la faiblesse.
M. Capelletti se conduit fort mal à Bologne: c'est à vous, monsieur, à y mettre ordre; je serais fâché de le chasser de la ville. Aussi bien, j'ignore ce qu'il est, ce qu'il fait, et ce qu'il prétend.
S.A.R. l'archiduc de Parme s'est conduit envers l'armée française avec la plus grande franchise et les sentimens d'amitié les plus sincères.
Je vous prie, monsieur, de croire aux sentimens, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).
Au citoyen Cacault, à Rome.
Le pape a envoyé un cardinal légat à Ferrare, dans le temps qu'il croyait sans doute les Français perdus. Cela est-il conforme au traité d'armistice que nous avons signé? Les bourgeois de Ferrare ont refusé de le recevoir. Je viens de donner l'ordre à ce cardinal de se rendre sur-le-champ au quartier-général.
Vous recevrez une lettre de la municipalité de Ferrare qui paraît être d'accord avec M. d'Azara; c'est donc une affaire finie. Je vous envoie en conséquence les deux pièces authentiques que le ministre m'avait envoyées.
Le premier convoi d'argent n'est pas encore arrivé: tout va bien lentement. Il paraît qu'il y a beaucoup de mauvaise foi. Surveillez, et instruisez-moi; envoyez des hommes affidés pour savoir ce qui se fait à Naples et ce qui s'y est fait pendant nos opérations militaires. Je vous enverrai des relations et des adresses qui vous feront plaisir, et vous mettront au fait de ce qui s'est passé.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 25 thermidor an 4 (12 août 1796).
À S.A.R. le grand-duc de Toscane.
J'ai reçu la lettre dont V.A.R. m'a honoré, en date du 13 juillet. Elle ne m'est arrivée que fort tard, ce qui, joint aux nombreux événemens qui viennent de se passer, a mis quelque retard dans ma réponse.
Le gouvernement a appris, avec la plus grande douleur, l'occupation de Porto-Ferrajo par les Anglais. Il aurait été si facile à votre altesse de défendre cette place; il lui aurait été si avantageux de se conserver la possession de cette partie essentielle de ses états, qu'on est obligé de penser que la trahison de votre gouverneur, pareille à celle de Spannochi, est la cause de cet événement aussi désagréable pour la France que pour vos sujets.
Le directoire exécutif serait autorisé, sans doute, à s'emparer, par représailles, des états de votre altesse royale qui sont sur le continent; mais, fidèle aux sentimens de modération, le gouvernement français ne changera en rien et n'altérera d'aucune manière la neutralité et la bonne harmonie qui règnent entre lui et votre altesse royale.
Je suis avec les sentimens d'estime, etc., de votre altesse royale le très, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (12 août 1796).
Au sénat de Bologne.
J'apprends, messieurs, que les ex-jésuites, les prêtres et les religieux troublent la tranquillité publique.
Faites-leur connaître que dans le même temps que la république française protège la religion et ses ministres, elle est inexorable envers ceux qui, oubliant leur état, se mêlent des affaires publiques ou civiles. Prévenez les chefs des différentes religions que la première plainte qui me sera portée contre les religieux, j'en rendrai tout le couvent responsable, je les chasserai de la ville, et je confisquerai leurs biens au profit des pauvres.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).
Bonaparte, général en chef, au directoire exécutif.
L'ennemi, après sa retraite, occupait en force la Corona et Monte-Baldo; il paraissait vouloir s'y soutenir. Masséna y a marché le 24 thermidor, s'est emparé de Monte-Baldo, de la Corona, de Preaboco, a pris sept pièces de canon et fait quatre cents prisonniers. Il se loue beaucoup de la trente-huitième demi-brigade d'infanterie légère, de son aide-de-camp Rey, et de son adjudant-général Chabran.
Le 25, j'ai ordonné au général Sauret et au général de brigade Saint-Hilaire de se rendre à la Rocca d'Anfo, où l'ennemi paraissait vouloir tenir. Cette opération a réussi; nous avons forcé la Rocca d'Anfo, rencontré l'ennemi à Lodrone: après un léger combat, nous avons pris ses bagages, six pièces de canon et onze cents prisonniers.
Augereau a passé l'Adige, a poussé l'ennemi sur Roveredo, et a fait quelques centaines de prisonniers. L'ennemi a dans Mantoue quatre mille malades; dans ce mois, les environs de cette place sont pestilentiels, et je me borne à y placer des camps d'observation qui tiennent la garnison dans les limites.
Si une division de l'armée du Rhin peut venir prendre position à Inspruck et jeter l'ennemi sur la droite, je me porterai à Trieste, je ferai sauter son port et saccager la ville.
Si l'armée de Sambre-et-Meuse arrive au Danube, que celle du Rhin puisse être en forces à Inspruck, je marcherai sur Vienne par le chemin de Trieste, et alors nous aurons le temps de retirer les immenses ressources que contient cette place.
Le premier projet peut s'exécuter de suite; pour le second, il faudrait une bonne bataille qui éparpillât le prince Charles, comme j'ai éparpillé Wurmser, et de suite marcher tous sur Vienne.
La chaleur est excessive. J'ai quinze mille malades, peu, très-peu de mortalités.
J'attends les secours que vous m'annoncez; il n'est encore arrivé que très-peu de choses.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).
Du même au directoire exécutif.
J'ai reçu avec reconnaissance, citoyens directeurs, le nouveau témoignage d'estime que vous m'avez donné par votre lettre du 13 thermidor. Je ne sais pas ce que MM. les journalistes veulent de moi: ils m'ont attaqué dans le même temps que les Autrichiens. Vous les avez écrasés par la publication de votre lettre; j'ai complètement battu les Autrichiens: ainsi, jusqu'à cette heure, ces doubles tentatives de nos ennemis ne sont pas heureuses.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).
Du même au directoire exécutif.
Les bijoux et diamans que l'armée a envoyés à Gênes, et qui, depuis, étaient en route pour Paris, et que l'on a fait rétrograder à Gênes, doivent valoir au moins deux ou trois millions; cependant on n'en a offert à Gênes que 400,000 fr. Je crois qu'il est de l'intérêt de la république que ces objets précieux soient transportés à Paris. Le grand nombre d'étrangers qui sont dans cette capitale rendront la vente de ces objets plus fructueuse; d'ailleurs, j'apprends que la compagnie Flachat doit les prendre pour 400,000 fr. Ce serait une affaire ruineuse pour le gouvernement.
J'avais fait mettre en séquestre les biens des Napolitains à Livourne. Le commissaire du gouvernement, à ce que m'écrit le consul, a fait lever ce séquestre; cependant cela aurait été un bon article du traité de paix. Cette cour de Naples se conduit mal: les Napolitains qui sont ici se sont très-mal conduits pendant nos événemens militaires, et je pense qu'il serait dangereux qu'ils continuassent à y rester. M. Pignatelli est-il à Paris? Les négociations de paix sont-elles commencées? Si cela n'est pas, je crois que nous avons le droit de séquestrer cette cavalerie. Il y a deux mille chevaux.
On dit que le roi de Naples s'avance sur le territoire du pape. Je lui ai fait signifier que s'il s'avançait sur le terrain de Sa Sainteté, l'armistice serait nul, et que je marcherais pour couvrir Rome.
La cour de Rome a cru l'armée perdue, et déjà elle avait envoyé un légat à Ferrare. La municipalité et la garde de cette ville se sont bien conduites et ont refusé de le recevoir. Je viens d'ordonner au cardinal de se rendre à mon quartier-général.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 26 thermidor an 4 (13 août 1796).
Du même au directoire exécutif.
Je crois utile, citoyens directeurs, de vous donner mon opinion sur les généraux employés à cette armée. Vous verrez qu'il en est fort peu qui peuvent me servir.
BERTHIER: talens, activité, courage, caractère, tout pour lui.
AUGEREAU: beaucoup de caractère, de courage, de fermeté, d'activité; a l'habitude de la guerre, est aimé du soldat, heureux dans ses opérations.
MASSÉNA: actif, infatigable, a de l'audace, du coup d'oeil et de la promptitude à se décider.
SERRURIER: se bat en soldat, ne prend rien sur lui, ferme, n'a pas assez bonne opinion de ses troupes; est malade.
DESPINOIS: mou, sans activité, sans audace, n'a pas l'état de la guerre, n'est pas aimé du soldat, ne se bat pas à sa tête; a d'ailleurs de la hauteur, de l'esprit et des principes politiques sains: bon à commander dans l'intérieur.
SAURET: bon, très-bon soldat, pas assez éclairé pour être général, peu heureux.
ABATTUCCI11: pas bon à commander cinquante hommes.
Footnote 11: (return) Vieux général de division, oncle du brave général Abattucci, mort au siège d'Huningue, en 1797.
GARNIER, MEUNIER, CASABIANCA: incapables, pas bons à commander un bataillon dans une guerre aussi active et aussi sérieuse que celle-ci.
MACQUART: brave homme, pas de talens, vif.
GAUTHIER: bon pour un bureau, n'a jamais fait la guerre.
Vaubois et Sahuguet étaient employés dans les places, je viens de les faire venir à l'année: j'apprendrai à les apprécier; ils se sont très-bien acquittés de ce que je leur ai confié jusqu'ici; mais l'exemple du général Despinois, qui était très-bien à Milan et très-mal à la tête de sa division, m'ordonne de juger les hommes d'après leurs actions.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).
Au général chef de l'état-major.
Vous ordonnerez au général de brigade Murat de partir pour Casal-Maggior, où il commandera une colonne mobile destinée à faire exécuter les différens articles de la réquisition relative à Casal-Maggior.
Vous lui nommerez une commission militaire qui l'accompagnera pour faire juger ceux qui auraient assassiné les Français, ceux qui seraient auteurs ou qui auraient excité à la révolte.
Il aura avec lui un commissaire des guerres et l'agent militaire pour percevoir la contribution d'un million.
Il effectuera en entier le désarmement; il aura soin d'effectuer en trois ou quatre jours les différentes dispositions de la proclamation.
Sa colonne mobile sera composée de cent hommes du vingt-unième régiment de chasseurs, de deux pièces d'artillerie légère et de la cinquante-unième demi-brigade.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).
Au chef de l'état-major.
Les chefs de corps remettront aux généraux de division sous qui ils se trouvent, la note des officiers absens, et spécialement de ceux qui se trouveraient à Milan, Brescia et Plaisance.
2°. Ceux qui seraient à Brescia, à Milan et à Plaisance sans permission et qui se trouvent absens depuis plus de quarante-huit heures, seront sur-le-champ destitués par le général de division, qui en enverra à cet effet la note au chef de l'état-major.
3°. Le général de division se fera rendre compte de ceux qui sont absens par permission, révoquera les permissions qui ne seraient pas indispensables au service. Il fixera dans cette révocation le jour où l'officier doit rejoindre son corps, sous peine de destitution.
4°. Les commandans de Milan, de Brescia et de Plaisance feront publier dans la ville et consigner aux portes, que tout militaire, quel qu'il soit, même blessé, ait à se faire inscrire à l'état-major de la place.
5º. La municipalité n'accordera aucun billet de logement que sur le visa du commandant de la place.
6°. La municipalité remettra, tous les cinq jours, la liste des officiers logés dans la ville, avec le jour de leur arrivée. Les commandans des places enverront un double de cet état à l'état-major général.
7°. Ils feront arrêter tous les officiers qui se trouveraient dans leur ville sans une permission des chefs de corps, visée par le général de division.
8°. Ceux qui auraient des raisons réelles de service qui autorisassent leur séjour dans une de ces places, auront de l'état-major de la place un billet qui les autorisera à rester tant de jours.
9º. Tout officier qui sera surpris dans une de ces places six heures après l'expiration de sa permission sera arrêté, et il en sera rendu compte au général de division sous lequel se trouve son corps.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).
Au général Kellermann.
Nous sommes dans des circonstances, mon cher général, où nous avons le besoin le plus urgent de troupes.
Les maladies nous mettent tous les jours beaucoup de monde aux hôpitaux, je vous prie donc de ne pas perdre un seul moment, et d'activer la marche des troupes le plus qu'il vous sera possible. Le moindre retard peut être dangereux et produire le plus mauvais effet.
Wurmser reçoit à chaque instant de nouveaux renforts. Je compte, mon cher général, sur votre zèle ordinaire, et je vous prie de recevoir mes complimens pour les peines que vous n'avez cessé de vous donner.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 1er fructidor an 4 (18 août 1796).
Au directoire exécutif.
Le 28, à deux heures du matin, quinze cents hommes de la garnison de Mantoue sortaient par la porte de Cerese, dans le même moment que trois mille hommes sortaient par la porte de Pradella: tous nos avant-postes se retirèrent. L'ennemi était à une portée de fusil de nos batteries, qu'il espérait déjà enlever; mais le brave cinquième bataillon de grenadiers était là. Les généraux Fevrilla et Dallemagne placent leurs troupes, saisissent le moment favorable, attaquent l'ennemi, le mettent en désordre après deux heures de combat, et le conduisent jusqu'aux palissades de la ville. La perte de l'ennemi est de cinq à six cents hommes.
Le 29, je comptais faire embarquer cent grenadiers, et j'espérais pouvoir m'emparer d'une des portes de la ville; mais les eaux ayant diminué de plus de trois pieds, il n'a pas été possible de tenter ce coup de main.
Le 30, à onze heures du soir, le général Serrurier ordonna au général Murat et à l'adjudant-général Vignolles, avec deux cents hommes, d'attaquer la droite du camp retranché des ennemis, dans le temps que le général Dallemagne, à la tête d'une bonne colonne, attaquait la gauche. Le chef de bataillon d'artillerie Andréossy, officier du plus grand mérite, avec cinq chaloupes canonnières qu'il avait armées, alla donner à l'ennemi une fausse alerte; et dans le temps qu'il attirait sur lui tous les feux de la place, les généraux Dallemagne et Murat remplissaient leur mission, et portaient dans les rangs ennemis le désordre et l'épouvante. Le chef de brigade du génie traça pendant ce temps à quatre-vingts toises l'ouverture de la tranchée sous le feu et la mitraille de l'ennemi. Au même instant les batteries de Saint-Georges, de Pradella et de la Favorite, les deux premières composées de six pièces de gros calibre, et à boulets rouges, de six gros mortiers; la dernière, de huit pièces, destinée à rompre la communication de la citadelle avec la ville, commencèrent à jouer contre la place. Dix minutes après, le feu se communiqua de tous côtés dans la ville. La douane, le Collorado et plusieurs couvens ont été consumés. À la pointe du jour, la tranchée n'était que faiblement tracée; l'ennemi réunissait une partie de ses forces et cherchait à sortir sous le feu terrible des remparts; mais nos intrépides soldats, cachés dans des ravins, derrière des digues, postés dans toutes les sinuosités qui pouvaient un peu les abriter de la mitraille, les attendaient de pied ferme sans tirer. Cette morne constance seule déconcerta l'ennemi, qui rentra dans ses murs.
La nuit suivante, on a perfectionné la tranchée, et dans la nuit de demain, j'espère que nos batteries seront armées et prêtes à tirer.
Je ne vous parlerai pas de la conduite de l'intrépide général Serrurier, dont la réputation militaire est établie, et à qui nous devons, entre autres choses, le gain de la bataille de Mondovi. Le chef de brigade Chasseloup, le chef de bataillon Samson, et le chef de bataillon Meuron donnent tous les jours des preuves de talens, d'activité, de courage, qui leur acquièrent des titres à la reconnaissance de l'armée et de la patrie.
Toutes les troupes montrent une patience, une constance et un courage qui donnent l'audace de concevoir les entreprises les plus hardies.
Le chef de bataillon Dussot, qui commande le brave cinquième bataillon de grenadiers, est le même qui a passé, le premier, le pont de Lodi.
Je vous enverrai incessamment la sommation que j'ai faite au gouverneur, et la réponse qu'il m'a faite.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).
Du même au directoire exécutif.
1°. La division du général Sahuguet bloque Mantoue.
Le 7, à trois heures du matin, nous avons à la fois attaqué le pont de Governolo et Borgo-Forte, pour faire rentrer la garnison dans ses murs. Après une vive canonnade, le général Sahuguet, en personne, s'est emparé du pont de Governolo, dans le temps que le général Dallemagne s'emparait de Borgo-Forte. L'ennemi a perdu cinq cents hommes tués, blessés ou prisonniers. La douzième demi-brigade et le citoyen Lahoz se sont distingués.
2°. La division du général Augereau est à Verone.
3°. Celle du général Masséna est à Rivoli. Celle du général Sauret, dont je viens de donner le commandement au général Vaubois, est à Storo, le général Sauret étant malade.
Il a été indispensable de donner quelques jours de repos aux troupes, de rallier les corps disséminés après un choc si violent, et de réorganiser le service des administrations absolument en déroute: il y a de ces messieurs qui ont fait leur retraite tout d'une traite sur le golfe de la Spezzia.
Le commissaire des guerres Salva abandonne l'armée; l'esprit frappé, il voit partout des ennemis; il passe le Pô et communique à tout ce qu'il rencontre la frayeur qui l'égare, il croit les houlans à ses trousses: c'est en vain qu'il court en poste deux jours et deux nuits, rien ne le rassure; criant de tous côtés: sauve qui peut, il arrive à deux lieues de Gênes: il meurt après vingt-quatre heures d'une fièvre violente, dans les transports de laquelle il se croit blessé de cent coups de sabre, et toujours par les terribles houlans. Rien n'égale cette lâcheté que la bravoure des soldats. Beaucoup de commissaires des guerres n'ont pas été plus braves. Tel est, citoyens directeurs, l'inconvénient de la loi qui veut que les commissaires des guerres ne soient que des agens civils, tandis qu'il leur faut plus de courage et d'habitudes militaires qu'aux officiers mêmes: le courage qui leur est nécessaire doit être tout moral; il n'est jamais le fruit que de l'habitude des dangers, J'ai donc senti dans cette circonstance combien il est essentiel de n'admettre à remplir les fonctions de commissaire des guerres, que des hommes qui auraient servi dans la ligne plusieurs campagnes, et qui auraient donné des preuves de courage. Tout homme qui estime la vie plus que la gloire nationale et l'estime de ses camarades, ne doit pas faire partie de l'armée française. L'on est révolté lorsqu'on entend journellement les individus des différentes administrations avouer et se faire presque gloire d'avoir eu peur.
Nous avons à l'armée quinze mille malades, il n'en meurt par jour que quinze ou vingt; mais on dit que le mois de septembre est le moment où les maladies sont plus dangereuses. Jusqu'à cette heure ce ne sont que des fièvres légères. Je viens de visiter les hôpitaux de Milan: j'ai été très-satisfait, ce qui est dû en partie au zèle et à l'activité du citoyen Burisse, agent principal de cette partie.
Je n'ai encore reçu aucune troupe venant de l'Océan; l'on nous a annoncé seulement trois mille hommes composant la sixième demi-brigade, qui arrivent à Milan le 15.
On ne m'a annoncé aucune troupe de la division du général Chateauneuf-Randon, seulement la dixième demi-brigade de ligne, forte de six cents hommes, est arrivée à Nice.
Si les six mille hommes que vous m'avez annoncés du général Chateauneuf-Randon et les treize mille hommes que l'on m'a annoncés depuis longtemps de l'armée de l'Océan étaient arrivés, mon armée se trouverait presque doublée, et j'aurais balayé devant moi l'armée autrichienne. Si ces renforts arrivent dans le courant du mois, nous continuerons à nous trouver dans une position respectable, et dans le cas même de mettre fin à l'extravagance de Naples; mais je crains que vos ordres sur le mouvement de ces troupes ne soient mal exécutés.
Nos demi-galères sont sorties de Peschiera, où elles ont pris dix grosses barques et deux pièces de canon appartenants aux ennemis.
Tout est ici dans une position satisfaisante. Nous attendons la première nouvelle du général Moreau pour nous avancer dans le Tyrol; cependant, si cela tarde encore quelques jours, nous nous avancerons provisoirement jusqu'à Trente. On m'assure que le général Wurmser est rappelé et remplacé par le général Dewins.
Le roi de Sardaigne ayant licencié ses régimens provinciaux, les barbets se sont accrus. Un chariot portant de l'argent a été pillé. Le général Dugard allant à Nice a été tué. J'ai organisé une colonne mobile avec un tribunal contre les barbets, pour en faire justice.
Je ne puis influer d'aucune manière sur les départemens du Var et du Rhône; mon éloignement est tel, que je reçois les lettres beaucoup plus tard que le ministre de la guerre.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (18 août 1796).
Au chef de l'état-major.
Vous voudrez bien envoyer les ordres pour qu'il soit réuni, au village de Tende, une colonne mobile composée de cinquante gendarmes du département des Alpes-Maritimes; cinquante gendarmes du département du Var; trois mille deux cents hommes pris dans la division du général Casabianca; deux cents hommes pris à Antibes et aux îles Marguerite; cent cinquante hommes de la garde nationale des Alpes-Maritimes; deux cents hommes de la garde nationale du district de Grasse; deux pièces de canon.
Cette colonne mobile sera commandée par le général Casabianca. La commission militaire que j'ai ordonnée pour juger les barbets, tiendra ses séances au village de Tende. Le département des Alpes-Maritimes enverra une commission, qui restera à Tende; elle sera chargée de recueillir tous les renseignemens que pourront lui donner les municipalités et les habitans pour détruire ces rassemblemens et purger le département des brigands qui l'infestent.
Les généraux, officiers supérieurs, soldats et commission, réunis à Tende, seront payés moitié en argent et moitié en mandats, comme l'armée active.
Le payeur de l'armée fera payer cette colonne mobile par le payeur de Coni; elle sera nourrie de vivres de la ville de Coni, et aura une ration de viande comme le reste de l'armée.
Les villages seront responsables des secours qu'ils donneraient aux scélérats.
Le général Macquart et le général piémontais seront prévenus de la formation de cette colonne mobile.
Le général Macquart aura ordre de se concerter avec le général Casabianca, pour envoyer de son côté de gros piquets, afin de détruire rapidement les brigands.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).
Au général chef de l'état-major.
Vous voudrez bien, citoyen général, ordonner au général Gentili d'organiser en compagnies tous les Corses réfugiés qui se trouvent à Livourne, officiers, sous-officiers et soldats. Les généraux corses, les chefs de brigade ou de bataillon réfugiés commanderont chacun une de ces compagnies. Il leur sera distribué des fusils de ceux existans dans la place.
Ces compagnies ne feront aucun service autre que celui relatif à l'embarquement pour la Corse. En cas de générale ou d'alerte, le général Gentili prendra les ordres du général de division commandant la place, pour les postes que devront occuper lesdites compagnies. Les capitaines, lieutenans ou sous-lieutenans faisant partie de ces compagnies devront être armés d'un fusil.
Je vous laisse le maître de faire un règlement pour déterminer tout ce que je n'aurais pas prévu, afin que tous les Corses réfugiés, faisant partie desdites compagnies, puissent toucher sans confusion les rations dues à leur grade, et qu'ils puissent, en cas d'événement, remplacer à Livourne le bataillon de la soixante-quinzième demi-brigade que j'en ai retiré.
Vous préviendrez le général Gentili que je lui enverrai incessamment des instructions sur l'expédition de la Corse.
La gendarmerie de la vingt-huitième division, étant organisée, devra concourir au service de la place. Vous autoriserez ses chefs à se recruter parmi les réfugiés corses existans à Livourne.
BONAPARTE.
Donnez l'ordre à deux cents hommes du bataillon de la douzième demi-brigade, qui est à Milan, de partir demain matin pour se rendre, par le chemin le plus court, à Casal-Maggior, pour être aux ordres du général Murat, et remplacer la cinquante-unième demi-brigade.
Donnez ordre à la cinquante-unième demi-brigade de partir aussitôt que ces deux cents hommes seront arrivés, pour se rendre à Livourne par le chemin le plus court.
Donnez l'ordre d'établir, sous trois fois vingt-quatre heures, dans le château de Pavie, un hôpital de vénériens. On tiendra, dans le magasin du château, cinq cents fusils avec pierres, cartouches, etc., afin de pouvoir armer, en cas d'événement, les vénériens.
Donnez l'ordre au bataillon de la sixième demi-brigade, le premier arrivé, de laisser deux cents hommes dans le château de Pavie. Aussitôt que ces deux cents hommes seront arrivés à Pavie, donnez ordre à la quatorzième demi-brigade de partir pour Livourne par le chemin le plus court. Faites passer en revue la cinquante-unième demi-brigade et la quatorzième, au moment de leur départ.
Ordonnez l'établissement d'un hôpital de cinq cents malades dans le château de Milan. Mon intention est que l'on choisisse les hommes les moins malades. Ordonnez qu'il y ait toujours dans le château de Milan cinq cents fusils, avec ce qui est nécessaire, pour, en cas d'événement, armer lesdits malades.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 8 fructidor an 4 (25 août 1796).
Au général de division Sauret.
La considération de votre santé m'a seule engagé à vous donner le commandement de la réserve, et à vous remplacer dans celui de la division actuellement sous vos ordres: cette division est encore destinée à des mouvemens dont la vivacité est incompatible avec votre état actuel; mais vous saurez encore vous rendre utile dans le poste où je vous place, et qui n'est pas moins essentiel; le service qu'il doit faire est moins rude et plus adapté à votre situation.
La réserve doit voir l'ennemi; mais elle est destinée à le joindre par des chemins moins difficiles. Les services que vous avez rendus doivent vous assurer que ce changement n'a rien qui doive vous affecter; il est absolument étranger à aucune diminution dans la confiance que je dois à votre bravoure et à votre patriotisme.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous enverrai incessamment, citoyens directeurs, deux lettres que je reçois de Corse. Les Anglais embarquent toutes les munitions de guerre sur des barques pour les transporter à l'île d'Elbe. Où donc est le projet qu'ils avaient pu avoir dans le temps qu'ils nous croyaient battus, de se porter sur Livourne, comme le pourrait faire croire une proclamation qu'ils ont publiée.
Tous les réfugiés corses sont déjà rendus à Livourne: le commissaire Salicetti compte partir demain.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).
Au directoire exécutif.
J'ai commencé à entamer les négociations à Venise, je leur ai demandé les vivres pour le besoin de l'armée. Je vous envoie la copie de la lettre au citoyen Lallement. Dès l'instant que j'aurai balayé le Tyrol, on entamera des négociations conformes à vos instructions; dans ce moment-ci, cela ne réussirait pas: ces gens-ci ont une marine puissante, et sont à l'abri de toute insulte dans leur capitale; il sera peut-être bien difficile de leur faire mettre les séquestres sur les biens des Anglais et sur ceux de l'empereur.
J'ai fait appeler à Milan le citoyen Faypoult. Nous sommes convenus des mesures préparatoires à prendre pour l'exécution de vos instructions sur Gènes.
Dès l'instant que nous serons à Trente, que l'armée du Rhin sera à Inspruck, et qu'une partie du corps de troupes qui m'arrive de la Vendée sera à Tortone, je me porterai à Gênes de ma personne, et votre arrêté sera exécuté dans toute sa teneur.
Quant au grand-duc de Toscane, il faut encore dissimuler. J'ai fait un changement de troupes dans la place de Livourne, pour détourner les calculateurs sur le nombre, et faire un mouvement dans l'intérieur de l'Italie, pour accroître les bruits que je fais courir pour contenir la populace de Rome et les Napolitains.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).
Au directoire exécutif.
Le roi de Naples, à la tête de vingt-quatre mille hommes (ce qui pourrait bien n'aller qu'à quinze mille), s'est avancé sur les terres du pape, menaçant de se porter sur Rome, et de là venir se joindre à Wurmser, ou se porter sur Livourne pour, de concert avec les Anglais, nous chasser de cette place. L'alarme était dans Rome, et le cabinet de Sa Sainteté était dans la plus grande consternation.
J'ai écrit au citoyen Cacault de rassurer la cour de Rome, et de signifier à celle de Naples que si le roi des Deux-Siciles s'avançait sur les terres de Rome, je regarderais l'armistice comme nul, et que je ferais marcher une division de mon armée pour couvrir Rome. Le citoyen Cacault m'assure, sans en être certain, que le roi de Naples s'est désisté de son entreprise, et qu'il est retourné de sa personne à Naples. Cette cour est perfide et bête. Je crois que si M. Pignatelli n'est pas encore arrivé à Paris, il convient de séquestrer les deux mille hommes de cavalerie que nous avons en dépôt, arrêter toutes les marchandises qui sont à Livourne, faire un manifeste bien frappé, pour faire sentir la mauvaise foi de la cour de Naples, principalement d'Acton; dès l'instant qu'elle sera menacée, elle deviendra humble et soumise. Les Anglais ont fait croire au roi de Naples qu'il était quelque chose. J'ai écrit à M. d'Azarria, à Rome; je lui ai dit que si la cour de Naples, au mépris de l'armistice, cherche encore à se mettre sur les rangs, je prends l'engagement, à la face de l'Europe, de marcher contre les prétendus soixante-dix mille hommes avec six mille grenadiers, quatre mille hommes de cavalerie et cinquante pièces de canon. La bonne saison s'avance: d'ici à six semaines, j'espère que la plus grande partie de nos malades seront guéris. Les secours que vous m'annoncez arrivés, je pourrai à la fois faire le siège de Mantoue, et tenir en respect Naples et les Autrichiens.
La cour de Rome, pendant le temps de nos désastres, ne s'est pas mieux conduite que les autres; elle avait envoyé un légat à Ferrare, je l'ai fait arrêter, et je le tiens en otage à Brescia: c'est le cardinal Mattei. Le vice-légat, nommé Grena, s'était sauvé, et n'était plus qu'à deux heures de Rome; je lui ai envoyé l'ordre de venir à Milan; il est venu. Comme il est moins coupable, je le renverrai après l'avoir retenu quelques jours ici.
On fait courir beaucoup de bruits sur le roi de Sardaigne; mais je crois que tout cela est dénué de fondement. Il a vendu son équipage d'artillerie, licencié ses régimens provinciaux; et s'il cherche à recruter, c'est qu'il aime mieux avoir des troupes étrangères que des régimens nationaux, dont il est peu sûr. Il serait bon que les journalistes voulussent bien ne pas publier sur son compte des absurdités comme celles qu'on publie tous les jours. Il est des coups de plume écrits sur des ouï-dire, et sans mauvaise intention, qui nous font plus de mal, plus d'ennemis, qu'une contribution dont nous tirerions avantage. Peut-être serait-il utile qu'un journal officiel insérât un article qui démentît ces bruits absurdes et ridicules.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 9 fructidor an 4 (26 août 1796).
Au citoyen Miot, ministre de la république à Florence.
J'ai reçu toutes vos lettres. Il y a à Livourne deux mille deux cents hommes de la soixante-quinzième demi-brigade, et six cents Corses réfugiés que j'organise en compagnies. J'y envoie les quinzième et quatorzième demi-brigades, soyez tranquille.
Dissimulez avec le grand-duc; s'il se conduit mal, il paiera tout à la fois: ces gens-ci sont peu à craindre.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 13 fructidor an 4 (30 août 1796).
Au chef de l'état-major.
Il arrive quelquefois que le défaut de transport empêche le soldat de toucher sa ration de pain de vingt-quatre onces et qu'il n'en touche que douze: il est juste, lorsque cela arrive, de l'indemniser en lui donnant l'équivalent en argent. En conséquence, le général en chef ordonne qu'il sera, dans ce cas, donné un sou et demi par douze onces. L'inspecteur des vivres de la division devra donner un certificat, qui sera visé par le commissaire des guerres, par le chef d'état-major de la division, et par le général commandant le camp. Le quartier-maître, à la fin de la décade, présentera le certificat à l'ordonnateur en chef, qui le fera solder.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Brescia, le 13 fructidor an 4 (30 août 1796).
Aux habitans du Tyrol.
Vous sollicitez la protection de l'armée française, il faut vous en rendre dignes: puisque la majorité d'entre vous est bien intentionnée, contraignez ce petit nombre d'hommes opiniâtres à se soumettre, leur conduite insensée tend à attirer sur leur patrie les fureurs de la guerre.
La supériorité des armes françaises est aujourd'hui constatée: les ministres de l'empereur, achetés par l'or des Anglais, le trahissent; ce malheureux prince ne fait pas un pas qui ne soit une faute.
Vous voulez la paix, les Français combattent pour elle: nous ne passons sur votre territoire que pour obliger la cour de Vienne de se rendre au voeu de l'Europe désolée, et d'entendre les cris de ses peuples. Nous ne venons pas ici pour nous agrandir, la nature a tracé nos limites au Rhin et aux Alpes, dans le même temps qu'elle a posé au Tyrol les limites de la maison d'Autriche.
Tyroliens, quelle qu'ait été votre conduite, rentrez dans vos foyers; quittez des drapeaux tant de fois battus, et impuissans pour se défendre. Ce n'est pas quelques ennemis de plus que peuvent redouter les vainqueurs des Alpes et d'Italie, mais c'est quelques victimes de moins que la générosité de ma nation m'ordonne de chercher à épargner.
Nous nous sommes montrés redoutables dans les combats, mais nous sommes les amis de ceux qui nous reçoivent avec hospitalité.
La religion, les habitudes, les propriétés des communes qui se soumettront seront respectées.
Les communes dont les compagnies de Tyroliens ne seraient pas rentrées à notre arrivée seront incendiées, les habitans seront pris en otages et envoyés en France.
Lorsqu'une commune sera soumise, les syndics seront tenus de donner à l'heure même la note des habitans qui seraient à la solde de l'empereur, et s'ils font partie des compagnies tyroliennes, on incendiera sur-le-champ leurs maisons et on arrêtera leurs parens jusqu'au dernier degré, lesquels seront envoyés en ôtage en France.
Tout Tyrolien faisant partie des compagnies franches, pris les armes à la main, sera sur-le-champ fusillé.
Les généraux de division seront chargés de la stricte exécution du présent arrêté.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Due-Castelli, le 13 fructidor an 4 (30 août 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai rendu compte, citoyens directeurs, dans ma dernière dépêche, que le général Wurmser, obligé d'abandonner Bassano, s'était porté de sa personne avec les débris de deux bataillons de grenadiers à Montebello, entre Vicence et Verone, où il avait rejoint la division qu'il avait fait marcher sur Verone, forte de quatre mille cinq cents hommes de cavalerie et cinq mille d'infanterie, au premier instant qu'il avait su que je me portais sur Trente.
Le 23, la division du général Augereau se porta sur Padoue; elle ramassa les débris de l'armée autrichienne et quatre cents hommes qui les escortaient: celle de Masséna se rendit à Vicence. Wurmser se trouvait entre l'Adige et la Brenta: il lui était impossible de franchir la Brenta, puisque deux divisions de l'armée lui en fermaient le passage; il ne lui restait d'autre ressource que de se jeter dans Mantoue; mais ayant prévu, à mon départ pour Trente, le mouvement que ferait le général Wurmser, j'avais laissé dans Verone le général de division Kilmaine, et fait garnir d'artillerie les remparts de cette place. Le général Kilmaine, avec sa sagacité ordinaire, a su imposer à l'ennemi et le tenir pendant quarante-huit heures en respect, le repoussant par le feu de son artillerie toutes les fois qu'il a essayé de pénétrer. Je n'avais pu lui laisser que des forces trop peu considérables pour contenir une ville très-populeuse, et pour repousser un corps d'armée qui avait autant de raisons de ne rien épargner pour se rendre maître de cette place importante. Il se loue beaucoup du chef de bataillon Muirond, qui y commandait l'artillerie.
Le 28 au soir, le général Wurmser apprit l'arrivée du général Masséna à Vicence, il sentit qu'il n'avait plus un moment à perdre; il fila toute la nuit le long de l'Adige, qu'il passa à Porto-Legnago.
Le 24 au soir, la division du général Masséna passa l'Adige à Ronco, dans le temps que la division du général Augereau marchait de Padoue sur Porto-Legnago, ayant bien soin d'éclairer sa gauche pour que l'ennemi ne cherchât pas à se sauver par Castel-Basilo.
Le 25, à la pointe du jour, je donnai ordre à la division du général Masséna de se porter à Sanguinetto, afin de barrer le passage à Wurmser; le général Sahuguet, avec une brigade, se porta à Castellaro, et eut ordre de couper tous les ponts sur la Molinella.
Combat de Cerea.
Pour se rendre de Ronco à Sanguinetto, il y a deux chemins: l'un, qui part de Ronco, passe par la gauche, en suivant l'Adige, et rencontre le chemin de Porto-Legnago à Mantoue; le second conduit directement de Ronco à Sanguinetto: c'était celui qu'il fallait prendre, au contraire on prit le premier. Le général Murat, à la tête de quelques centaines de chasseurs, arrivé à Cerea, rencontra la tête de la division de Wurmser; il culbuta plusieurs escadrons de cavalerie. Le général Pigeon, commandant l'avant-garde du général Masséna, sentant la cavalerie engagée, se précipite avec son infanterie légère pour la soutenir; il passe le village et s'empare du pont sur lequel l'ennemi devait passer: la division du général Masséna était encore éloignée. Après un moment d'étonnement et d'alarme donnée à la division du général Wurmser, ce général fit ses dispositions, culbuta notre avant-garde, reprit le pont et le village de Cerea. Je m'y étais porté au premier coup de canon que j'avais entendu, il n'était plus temps. Il faut faire à l'ennemi un pont d'or ou lui opposer une barrière d'acier. Il fallut se résoudre à laisser échapper l'ennemi, qui, selon tous les calculs et toutes les probabilités, devait être, ce jour-là, obligé de poser les armes et de se rendre prisonnier. Nous nous contentâmes de rallier notre avant-garde et de retourner à demi-chemin de Ronco à Cerea. Nous avons trouvé le lendemain sur le champ de bataille plus de cent hommes tués de l'ennemi, et nous lui avons fait deux cent cinquante prisonniers. Nous sommes redevables au courage du huitième bataillon de grenadiers et au sang-froid du général de brigade Victor, d'être sortis à si bon marché d'une lutte aussi inégale.
Combat de Castellaro.
Wurmser fila toute la nuit du 25 au 26 sur Mantoue avec une telle rapidité, qu'il arriva le lendemain de bonne heure à Nogara. Il apprit que les ponts de la Molinella étaient coupés, et qu'une division française l'attendait à Castellaro. Il sentit qu'il ne fallait pas essayer de forcer Castellaro, puisque, dès la pointe du jour, nous nous étions mis à sa poursuite: j'espérais encore le trouver se battant avec le général Sahuguet; mais malheureusement celui-ci n'avait pas coupé le pont de Villa-Impenta sur la Molinella, à une lieue de sa droite: Wurmser avait filé par là. Dès l'instant que le général Sahuguet avait su son passage, il avait envoyé quelques chasseurs pour le harceler et retarder sa marche; mais il avait trop peu de monde pour pouvoir y réussir. Le général Charton, avec trois cents hommes, fut enveloppé par un régiment de cuirassiers. Au lieu de se poster dans les fossés, ces braves soldats voulurent payer d'audace et charger les cuirassiers; mais après une vigoureuse résistance ils furent enveloppés. Le général Charton a été tué dans ce combat, et les trois cents hommes ont été faits prisonniers, parmi lesquels le chef de brigade Dugoulot, chef de la douzième demi-brigade d'infanterie légère.
Prise de Porto-Legnago.
Le général Augereau, arrivé le 21 devant Porto-Legnago, investit la place; le général Masséna y envoya la brigade du général Victor pour l'investir du côté de l'Adige: après quelques pourparlers, la garnison, forte de seize cent soixante-treize hommes, se rendit prisonnière de guerre le 27. Nous y trouvâmes vingt-deux pièces de canon de campagne, tout attelées, ainsi que leurs caissons et les cinq cents hommes que Wurmser nous avait fait prisonniers au combat de Cerea, et qui, par ce moyen, furent délivrés.
Combat de Due-Castelli.
Le 28, la division du général Masséna partit à la pointe du jour de Castellero, se porta sur Mantoue par la route de Due-Castelli, afin d'engager l'ennemi à rentrer dans la place, en s'emparant du faubourg Saint-George; le combat s'engagea à midi, il fut encore engagé trop promptement: la cinquième demi-brigade se trompa de chemin et n'arriva pas à temps. La nombreuse cavalerie ennemie étonna notre infanterie légère; mais la brave trente-deuxième soutint le combat jusqu'au soir, et nous restâmes maîtres du champ de bataille, éloignés de deux milles du faubourg Saint-George. Le général Sahuguet, après avoir investi la citadelle, s'est porté sur la Favorite: déjà il avait obtenu les plus grands succès, il avait pris à l'ennemi trois pièces de canon; mais il fut obligé de prendre une position en arrière, et d'abandonner l'artillerie qu'il venait de prendre à l'ennemi.
Bataille de Saint-George.
Cependant les hulans, les hussards et les cuirassiers ennemis, fiers de ces petits succès, inondaient la campagne; le général Masséna leur fit tendre des embuscades, qui obtinrent un succès d'autant plus heureux, qu'elles mirent aux prises notre infanterie légère avec eux. Nous en tuâmes ou prîmes environ cent cinquante. Les cuirassiers ne sont pas à l'abri de nos coups de fusil. L'ennemi a eu au moins trois cents blessés.
C'est dans ces petits chocs que le général Masséna a montré beaucoup de fermeté à rallier sa troupe et à la conduire au combat. Le général Kilmaine, à la tête du vingtième de dragons, a contenu l'ennemi, et a par là rendu un grand service. Ces combats, qui n'étaient dans la réalité que des échauffourées, donneront beaucoup de confiance à nos ennemis. Il fallait l'accroître par tous les moyens possibles, car nous ne pouvions pas avoir de plus grand bonheur que de porter l'ennemi à engager une affaire sérieuse hors de ses remparts.
Le général Masséna prit, la nuit du 28 au 29, une position en arrière. Le lendemain, à la pointe du jour, nous apprîmes que les ennemis avaient fait sortir presque toute leur garnison pour défendre la Favorite et Saint-George, et par là se conserver les moyens d'avoir des fourrages pour nourrir leur nombreuse cavalerie.
À deux heures après midi, le général Bon, commandant provisoirement la division du général Augereau, qui est malade, arriva de Governolo, longeant le Mincio, et attaqua l'ennemi placé en avant de Saint-George, sur notre gauche; le général la Salcette se porta pour couper les communications de la Favorite à la citadelle; le général Pigeon, passant par Villa-Nova, alla pour tourner une plaine où la cavalerie ennemie pouvait manoeuvrer, et pour couper les communications de la Favorite à Saint-George.
Lorsque ces différentes attaques furent commencées, le général Victor, avec la dix-huitième demi-brigade de bataille, en colonne serrée par bataillon, et à la hauteur de division, marcha droit à l'ennemi; la trente-deuxième demi-brigade, soutenue par le général Kilmaine à la tête de deux régimens de cavalerie, marcha par la droite pour acculer les ennemis, et les pousser du côté où était le général Pigeon. Le combat s'engagea de tous côtés avec beaucoup de vivacité; le huitième bataillon de grenadiers, placé à l'avant-garde, et conduit par l'adjudant-général Leclerc et mon aide-de-camp Marmont, fit des prodiges de valeur.
La quatrième demi-brigade de bataille, qui avait sur la gauche commencé le combat, avait attiré la principale attention de l'ennemi, qui se trouvait percé par le centre: nous enlevâmes Saint-George. Un escadron de cuirassiers chargea un bataillon de la dix-huitième, qui le reçut baïonnette en avant, et fit prisonniers tous ceux qui survécurent à cette charge.
Nous avons fait dans cette bataille deux mille prisonniers, parmi lesquels un régiment entier de cuirassiers et une division de hulans. L'ennemi doit avoir au moins deux mille cinq cents hommes tués ou blessés; nous avons pris vingt-cinq pièces de canon avec leurs caissons tout attelés.
Parmi nos blessés dans les journées du 28 et du 29, sont: le général Victor, le général Berlin, le général Saint-Hilaire, le général Mayer, blessé en allant au secours d'un soldat chargé par un cuirassier ennemi; le général Murat, blessé légèrement; le chef de brigade Lannes; le chef de bataillon Rolland; le chef de brigade du dixième régiment de chasseurs à cheval, Leclerc, a été blessé en chargeant à la tête de son régiment. À l'affaire du 28, le chef de brigade de la dix-huitième, qui a eu son cheval tué sous lui à l'affaire de Bassano, s'est particulièrement distingué. Suchet, chef de bataillon de la dix-huitième, a été blessé à la journée du 25, en combattant courageusement à la tête de son bataillon. Aucun des officiers généraux n'est blessé grièvement, et j'espère que nous ne serons pas longtemps privés de leurs services.
L'adjudant-général Belliard, officier de distinction, qui a eu un cheval tué sous lui dans l'une des précédentes affaires, s'est parfaitement bien conduit. Les adjoints aux adjudans-généraux Charles et Salkoski se sont parfaitement conduits.
Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Leclerc, chef de brigade du dixième régiment de chasseurs à cheval, et de l'avancement pour les adjoints d'Amour et Ducos qui ont été blessés.
Je demande le grade de chef d'escadron d'artillerie légère pour les citoyens Rozet et Coindet, tous deux capitaines d'artillerie légère.
J'ai nommé adjudant-général l'ex-adjudant provisoire Roche, officier très-distingué, qui s'est conduit parfaitement dans différentes affaires. J'ai nommé chef de brigade au premier régiment de hussards l'adjudant-général Picard, officier de la plus grande distinction. Le chef de brigade du septième régiment de hussards, le citoyen Paym, a été blessé à la tête de son régiment. Le quinzième de dragons s'est conduit, dans toutes ces circonstances, avec le plus grand courage.
Ainsi, si la garnison de Mantoue a été renforcée à peu près par cinq mille hommes d'infanterie, je calcule que la bataille de Saint-George doit à peu près les lui avoir fait perdre. Quant à la cavalerie, c'est un surcroît d'embarras et de consommation. Je ne doute plus que Wurmser ne tente toute espèce de moyens pour sortir de Mantoue avec elle.
Depuis le 16 de ce mois nous sommes toujours nous battant, et toujours les mêmes hommes contre des troupes nouvelles. L'armée que nous venons presque de détruire était encore formidable; aussi il paraît qu'elle avait des projets hostiles, nous l'avons surprise et prévenue dans le temps qu'elle faisait son mouvement.
Je vous envoie mon aide-de-camp Marmont, porteur de vingt-deux drapeaux pris sur les Autrichiens.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Nous n'avons pas d'autre chose à faire, citoyens directeurs, si nous voulons profiter de notre position actuelle, que de marcher sur Trieste. Nous serons à Botzen dès l'instant que l'armée du Rhin se sera avancée sur Inspruck; mais ce plan, que nous adoptons, et qui était bon au mois de juin, ne vaut plus rien à la fin de septembre. Les neiges vont bientôt rétablir les barrières de la nature, le froid commence déjà à être vif; l'ennemi, qui l'a senti, s'est jeté sur la Brenta pour couvrir Trieste. Je marche aujourd'hui le long de la Brenta, pour attaquer l'ennemi à Bassano, ou pour couper ses derrières s'il fait un mouvement sur Verone. Vous sentez qu'il est impossible que je m'engage dans les montagnes du Tyrol, lorsque toute l'armée ennemie est à Bassano et menace mon flanc et mes derrières. Arrivé à Bassano, je bats l'ennemi: comment voulez-vous qu'alors je le pousse par devant et que je cherche à lui enlever Trieste? Le jour où j'aurais battu l'ennemi à Bassano, et où l'armée du Rhin serait à Inspruck, les quatre mille hommes, débris de la division qui gardait Trente, se retireraient, par Brixen et Lientz, sur le Frioul: alors la communication sera vraiment établie avec l'armée du Rhin, et j'aurai acculé l'ennemi au-delà de Trieste, point essentiel où se nourrit l'armée ennemie. Ensuite, selon la nature des circonstances, je me tiendrai à Trieste ou je retournerai sur l'Adige. Après avoir détruit ce port, et selon la nature des événemens, je dicterai aux Vénitiens les lois que vous m'avez envoyées par vos ultérieures instructions. De là encore il sera facile, si les renforts du général Châteauneuf-Randon arrivent, et si vous me faites fournir dix mille hommes de l'armée des Alpes, d'envoyer une bonne armée jusqu'à Naples. Enfin, citoyens directeurs, voulez-vous cet hiver ne pas avoir la guerre au coeur de l'Italie? Portons-la dans le Frioul.
L'armée du Rhin, occupant Inspruck, garde mon flanc gauche; d'ici à un mois, les neiges et les glaces le feront pour elle, et elle pourra retourner sur le Danube. Vous sentez mieux que moi, sans doute, l'effet que fera la prise de Trieste sur Constantinople, sur la Hongrie et sur toute l'Italie. Au reste, citoyens directeurs, le 22 je serai à Bassano. Si l'ennemi m'y attend, il y aura une bataille qui décidera du sort de tout ce pays-ci; si l'ennemi se recule encore sur Trieste, je ferai ce que les circonstances militaires me feront paraître le plus convenable; mais j'attendrai vos ordres pour savoir si je dois, ou non, me transporter sur Trieste.
Je crois qu'il serait nécessaire de former à Milan trois bataillons de Milanais, qui serviraient à renforcer l'armée qui bloque Mantoue. Si vous adoptez le projet de se porter sur Trieste, je vous prie de me faire connaître de quelle manière vous entendez que je me conduise avec cette ville, dans le cas où l'on jugerait à propos de l'évacuer quelque temps après.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
La division du général Masséna passa l'Adige, le 26, au pont de Golo, suivant le grand chemin du Tyrol: elle est arrivée à Ala, le 17; le même jour, à deux heures après midi, notre cavalerie a sabré les avant-postes ennemis, et leur a pris six chevaux.
La division du général Augereau est partie de Verone dans le même temps, et s'est postée sur les hauteurs qui séparent les états de Venise du Tyrol.
La division du général Vaubois est partie en même temps de Storo, à la gauche du lac de Garda; son avant-garde est arrivée à Torbole, où elle a été jointe par la brigade du général Guieux, qui s'était embarquée à Salo sur le lac de Garda; son avant-garde, commandée par le général de brigade Saint-Hilaire, a culbuté l'ennemi, qu'il a rencontré au pont de la Sarca, et lui a fait cinquante prisonniers.
Le 17, au soir, le général Pigeon, commandant l'infanterie légère de la division du général Masséna, me donne avis que l'ennemi tient en force le village de Serravalle: il reçoit et exécute l'ordre d'attaquer, il force l'ennemi, et lui fait trois cents prisonniers.
Le 18, à la pointe du jour, nous nous trouvons en présence. Une division de l'ennemi gardait les défilés inexpugnables de Marco, une autre division au-delà de l'Adige gardait le camp retranché de Mori. Le général Pigeon, avec une partie de l'infanterie légère, gagne les hauteurs à la gauche de Marco; l'adjudant Sornet, à la tête de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie légère, attaque l'ennemi en tirailleurs; le général de brigade Victor, à la tête de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie de bataille en colonne serrée par bataillon, perce par le grand chemin; la résistance de l'ennemi est long-temps opiniâtre: au même instant, le général Vaubois attaque le camp retranché de Mori; après deux heures de combat très-vif, l'ennemi plie partout. Le citoyen Marois, mon aide-de-camp, capitaine, porte l'ordre au général Dubois de faire avancer le premier régiment de hussards, et de poursuivre vivement l'ennemi. Ce même général se met lui-même à la tête, et décide de l'affaire; mais il reçoit trois balles, qui le blessent mortellement. Un de ses aides-de-camp venait d'être tué à ses côtés. Je trouve un instant après ce général expirant. «Je meurs pour la république, faites que j'aie le temps de savoir si la victoire est complette.» Il est mort.
L'ennemi se retire à Roveredo: j'ordonne au général de brigade Rampon de passer avec la trente-deuxième entre cette ville et l'Adige; le général Victor, pendant ce temps-là, entre au pas de charge dans la grande rue; l'ennemi se replie encore en laissant une grande quantité de morts et de prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Vaubois a forcé le camp retranché de Mori, et poursuivi l'ennemi sur l'autre rive de l'Adige; il était une heure après-midi; l'ennemi, battu partout, profitait des difficultés du pays, nous tenait tête à tous les défilés, et exécutait sa retraite sur Trente. Nous n'avions encore pris que trois pièces de canon et fait mille prisonniers.
Le général Masséna fait rallier toutes les demi-brigades, et donne un moment de repos à sa division: pendant ce temps, nous allons, avec deux escadrons de cavalerie, reconnaître les mouvemens de retraite de l'ennemi; il s'est rallié en avant de Caliano, pour couvrir Trente, et donner le temps à son quartier-général d'évacuer cette ville. S'il a été battu pendant toute la journée devant Caliano, nulle position n'est inexpugnable. L'Adige touche presque à des montagnes à pic, et forme une gorge qui n'a pas quarante toises de largeur, fermée par un village, un château élevé, une bonne muraille qui joint l'Adige à la montagne, et où il a placé toute son artillerie. Il faut de nouvelles dispositions: le général Dommartin fait avancer huit pièces d'artillerie légère pour commencer la canonnade. Il trouve une bonne position, d'où il prend la gorge en écharpe.
Le général Pigeon passe avec l'infanterie légère sur la droite; trois cents tirailleurs se jettent sur les bords de l'Adige pour commencer la fusillade, et trois demi-brigades en colonne serrée et par bataillon, l'arme au bras, passent le défilé. L'ennemi, ébranlé par le feu de l'artillerie, par la hardiesse des tirailleurs, ne résiste pas à la masse de nos colonnes; il abandonne l'entrée de la gorge; la terreur se communique dans toute sa ligne, notre cavalerie le poursuit.
Le citoyen Marois, mon aide-de-camp, capitaine, suivi de cinquante hussards, veut gagner la tête et arrêter toute la colonne ennemie: il la traverse, et est lui-même jeté par terre et blessé de plusieurs coups; une partie de l'armée ennemie lui a marché sur le corps; il a plusieurs blessures dont aucune n'est mortelle. Le chef de brigade du premier régiment de hussards est tué. Le citoyen Bessières, capitaine de ma compagnie des guides, voit deux pièces de canon sur le point de s'échapper; il s'élance avec cinq ou six guides, et, malgré les efforts des ennemis, arrête les pièces.
Six ou sept mille prisonniers, vingt-cinq pièces de canon, cinquante caissons, sept drapeaux, tel est le fruit de la bataille de Roveredo, une des plus heureuses de la campagne. La perte de l'ennemi doit avoir été considérable.
Le 19, à huit heures du matin, le général Masséna est entré dans Trente. Wurmser a quitté cette ville la veille, pour se réfugier du côté de Bassano.
Le général Vaubois, avec sa division, marcha aussitôt à la poursuite des ennemis. Son arrière-garde s'était retranchée à Lavis, derrière la rivière de Laviso, et gardait le débouché du pont, qu'il fallait cependant passer. Le général Dallemagne, à la tête de la vingt-cinquième demi-brigade, passe, non sans beaucoup de peine, sous le feu de l'ennemi, retranché dans le village, et le général Murat passe au gué à la tête d'un détachement du dixième de chasseurs, portant un nombre égal de fantassins pour poursuivre l'ennemi. L'adjudant-général Leclerc, avec trois chasseurs et le citoyen Desaix, chef de brigade des Allobroges, accompagné de douze carabiniers ou grenadiers, étaient parvenus à tourner l'ennemi, et s'étaient embusqués à une demi-lieue en avant; la cavalerie, se sauvant au galop, se trouve tout d'un coup arrêtée; l'adjudant-général Leclerc est légèrement blessé de quelques coups de sabre. Ses ennemis cherchent à s'ouvrir un passage; mais les douze carabiniers, secondés des trois chasseurs, croisent leurs baïonnettes et forment un rempart inexpugnable.
La nuit était déjà obscure: cent hussards ennemis sont pris, ainsi qu'un étendard du régiment de Wurmser.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Cismone, le 22 fructidor an 4 (8 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous ai rendu compte du combat de Serravalle, de la bataille de Roveredo: j'ai à vous rendre compte du passage des gorges de la Brenta.
La division du général Augereau s'est rendue le 20 à Borgo du val de Lugana par Martillo et Val-Laiva; la division du général Masséna s'y est également rendue par Trente et Levico.
Le 21 au matin, l'infanterie légère faisant l'avant-garde du général Augereau, commandée par le général Lannes, rencontra l'ennemi, qui s'est retranché dans le village de Primolo, la gauche appuyée à la Brenta, et la droite à des gorges à pic. Le général Augereau fait sur-le-champ ses dispositions; la brave cinquième demi-brigade d'infanterie légère attaque l'ennemi en tirailleurs; la quatrième demi-brigade d'infanterie de bataille, en colonne serrée et par bataillon, marche droit à l'ennemi, protégée par le feu de l'artillerie légère: le village est emporté.
Mais l'ennemi se rallie dans le petit fort de Cavivo, qui barrait le chemin, et au milieu duquel il fallait passer; la cinquième demi-brigade légère gagne la gauche du fort et établit une vive fusillade dans le temps où deux ou trois cents hommes passent la Brenta, gagnent les hauteurs de droite, et menacent de tomber sur les derrières de la colonne. Après une résistance assez vive, l'ennemi évacue ce poste; le cinquième régiment de dragons, auquel j'ai fait restituer ses fusils, soutenu par un détachement du dixième régiment de chasseurs, se met à sa poursuite, atteint la tête de la colonne, qui, par ce moyen, se trouve toute prisonnière.
Nous avons pris dix pièces de canon, quinze caissons, huit drapeaux et fait quatre mille prisonniers. La nuit et les fatigues des marches forcées et des combats continuels que nos troupes ont soutenus, m'ont décidé à passer la nuit à Cismone; demain matin, nous traverserons le reste des gorges de la Brenta.
Les citoyens Stock, capitaine au premier bataillon de la cinquième demi-brigade d'infanterie légère; Milhaud, chef de brigade du cinquième régiment de dragons; Lauvin, adjudant, sous-lieutenant du même régiment; Duroc, capitaine d'artillerie, qui a eu son cheval tué sous lui; Julien, aide-de-camp du général Saint-Hilaire; le frère du général Augereau et son aide-de-camp, se sont particulièrement distingués. L'ardeur du soldat est égale à celle des généraux et des officiers; il est cependant des traits de courage qui méritent d'être recueillis par l'historien, et que je vous ferai connaître.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bassano, le 22 fructidor an 4 (8 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous ai rendu compte de la marche de l'armée d'Italie sur Trente et du passage des gorges de la Brenta. Cette marche rapide et inattendue de vingt lieues en deux jours, a déconcerté entièrement l'ennemi, qui croyait que nous nous rendrions droit sur Inspruck; et avait en conséquence envoyé une colonne sur Verone pour menacer cette place, et nous faire craindre pour nos derrières. Wurmser voulait nous couper, et il l'était lui-même.
Je vous ai rendu compte de notre marche et des événemens qui l'ont accompagnée jusqu'au 21 au soir, où nous avons couché au village de Cismone, près du débouché des gorges de la Brenta. Il ne me reste plus qu'à vous rendre compte de la bataille de Bassano.
Le 22, à deux heures du matin, nous nous mîmes en marche: arrivés aux débouchés des gorges, près du village de Salaqua, nous rencontrâmes l'ennemi. Le général Augereau se porta avec sa division sur la gauche, et envoya à sa droite la quatrième demi-brigade; j'y fis passer également toute la division du général Masséna. Il était à peine sept heures du matin, et le combat avait commencé. Forts de leur bonne position, et encouragés par la présence de leurs généraux, les ennemis tinrent quelque temps; mais grâce à l'impétuosité de nos soldats, à la bravoure de la cinquième demi-brigade légère, de la quatrième demi-brigade de ligne, l'ennemi fut partout mis en déroute. Le général Murat envoya des détachemens de cavalerie à la poursuite de l'ennemi. Nous marchâmes aussitôt sur Bassano: Wurmser et son quartier-général y étaient encore. Le général Augereau y entrait par sa gauche, dans le même temps que le général Masséna y entrait par sa droite, à la tête de la quatrième demi-brigade, dont une partie à la course, une partie en colonnes serrées, fonce sur les pièces qui défendent le pont de la Brenta, enlève ces pièces, passe le pont et pénètre dans la ville malgré les efforts des grenadiers, élite de l'armée autrichienne, chargés de protéger la retraite du quartier-général.
Nous avons, dans cette journée, fait cinq mille prisonniers, pris trente-cinq pièces de canon tout attelées, avec leurs caissons; deux équipages de pont de trente-deux bateaux, tout attelés; plus de deux cents fourgons également tout attelés, portant une partie des bagages de l'armée. Nous avons pris cinq drapeaux; le chef de brigade Lannes en a pris deux de sa main. Le général Wurmser et le trésor de l'armée n'ont été manqués que d'un instant. Une escouade de ma compagnie des guides, qui était à ses trousses, l'ayant poursuivi vivement, a eu deux hommes tués; et le citoyen Guérin, lieutenant de la compagnie, blessé.
Le général Verdier, le général Saint-Hilaire; le chef de bataillon de la quatrième demi-brigade, Frère, qui a été blessé; les citoyens Cassau et Gros, capitaines des grenadiers de la même brigade; le citoyen Stock, capitaine de la cinquième demi-brigade d'infanterie légère; le citoyen Pelard, carabinier de la cinquième demi-brigade (ce brave homme traversa trois pelotons ennemis, et arrêta l'officier général qui les commandait; il lui a seul tué treize hommes), se sont couverts de gloire.
Nous sommes dans ce moment à la poursuite d'une division de huit mille hommes que Wurmser avait fait marcher sur Vicence, et qui est le seul reste de cette armée formidable qui menaçait, il y a un mois, de nous enlever l'Italie.
En six jours, nous avons livré deux batailles et quatre combats; nous avons pris à l'ennemi vingt-un drapeaux; nous lui avons fait seize mille prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux; le reste a été tué, blessé ou éparpillé. Nous avons, dans les six jours, toujours nous battant dans des gorges inexpugnables, fait quarante-cinq lieues, pris soixante-dix pièces de canon avec leurs caissons, leurs attelages, une grande partie du grand parc de l'armée, et des magasins considérables répandus sur toute la ligne que nous avons parcourue.
Je vous prie d'accorder le grade de général de brigade au chef de brigade Lannes: il est le premier qui ait mis l'ennemi en déroute à Dego, qui ait passé le Pô, le pont de Lodi, et qui soit entré dans Bassano; à l'adjudant-général Chabran, qui s'est particulièrement distingué à la bataille de Roveredo, comme il l'avait précédemment fait à celle de Lonado et à la retraite de Rivoli.
Je vous demande de nommer à la place de chef de brigade de la quatrième demi-brigade le chef de bataillon Frère, et de l'avancement pour les officiers qui se sont distingués dans les affaires différentes dont je vous ai rendu compte.
BONAPARTE.
De Montebello, le 24 fructidor an 4 (10 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Wurmser, avec quinze cents hommes de cavalerie, trois mille d'infanterie, et tout le quartier-général, est serré entre la division de Masséna, qui est partie ce matin de Vicence et file sur Villa-Nova, et la division du général Augereau, qui est partie de Padoue et va sur Porte-Legnago.
Wurmser, échappé de Bassano, s'est rendu à Citadella, de là à Vicence et à Montebello rejoindre ses troupes, et a essayé de forcer Verone; mais Kilmaine que j'y avais laissé, prévoyant son projet, l'a repoussé. J'apprends à cette heure qu'il longe l'Adige et tâche de gagner Mantoue. Il est possible que ce projet lui réussisse: alors, moyennant deux demi-brigades de plus que je donnerai à Sahuguet, je suis maître de l'Italie, du Tyrol et du Frioul.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 5e jour complémentaire an 4 (21 septembre 1796).
À sa majesté le roi de Sardaigne.
Les officiers préposés par votre majesté pour commander en la partie de ses états qui lui a été restituée par le traité de paix, voient, sinon avec plaisir, au moins avec indifférence, les assassinats et les brigandages qui se commettent contre les Français.
Par le traité de paix conclu entre votre majesté et la république française, la république devait continuer à occuper la partie de ces états qui avait été laissée à l'armée par le traité d'armistice: croyant faire quelque chose d'agréable à votre majesté, je lui ai rendu non-seulement le gouvernement civil, mais encore le gouvernement militaire, avec la clause spéciale que les routes seraient gardées, et que même nos convois seraient escortés par ses troupes.
Je prie donc votre majesté de vouloir bien ordonner que l'on tienne un corps de troupes respectable aux villages de Limon et de Limonais, lequel ferait des patrouilles jusqu'à Lacas, escortant les convois, et prenant toutes les mesures nécessaires pour maintenir cette route sûre, ainsi que Vadier, et généralement dans tous les pays voisins de Demont, formant la communication de Coni à Barcelonnette.
Je demande également à votre majesté que les cinq individus qui ont été arrêtés à Borgo-San-Dalmazzo par les Français, soient remis entre les mains du commandant militaire à Coni.
Je la prie également de donner les ordres à ses différens gouverneurs, pour qu'ils s'emploient avec loyauté à faire arrêter les brigands, dans quelques endroits qu'ils soient trouvés.
Indépendamment de l'intérêt de l'humanité et de la justice, votre majesté donnera, par cette conduite, une preuve de sa loyauté, et contribuera à éteindre ces germes de discorde, qui finiraient par se propager dans l'intérieur de ses états.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 5e jour complémentaire an 4 (21 septembre 1796).
Au ministre des affaires étrangères du roi de Sardaigne.
Je ne suis point diplomate, Monsieur, je suis militaire: vous pardonnerez ma franchise. Sur différens points des états de sa majesté, les Français sont assassinés, volés. Par le traité de paix, le roi qui est tenu de nous accorder le passage sur ses états, doit nous le donner sûr, et ce n'est même que pour cet effet que, contre la teneur du traité de paix, j'ai pris sur moi de restituer à sa majesté non-seulement le gouvernement civil, mais même le gouvernement militaire dans la partie de ses états qui lui a été restituée par la république. À Viné, à Limon, sous les yeux de la garnison de Demont, sous ceux des corps de troupes que M. Franchar commande à Borgo-San-Dalmazzo, l'on se porte tous les jours à des excès qui paraissent non-seulement tolérés, mais même encouragés par le gouvernement.
Je vous demanderai donc une explication simple:
1°. Le roi ne doit-il pas être tenu d'indemniser et de réparer les pertes faites en conséquence des délits qui se commettent sur son territoire contre les Français, lorsque ces délits se commettent en plein jour et par des corps soldés de deux ou trois cents personnes?
2°. Le roi a-t-il, avec vingt-cinq mille hommes qu'il a sous les armes, assez de forces pour contenir dans ses états des brigands, et faire respecter les lois de la justice, de l'humanité et des traités?
On ne juge les hommes, monsieur, que par leurs actions: la loyauté du roi est généralement connue; cependant on se trouve bien forcé de penser qu'il est des raisons de politique qui portent à encourager, ou du moins à tolérer des atrocités aussi révoltantes.
J'ai écrit à sa majesté elle-même, je vous prie de lui présenter ma lettre. Le gouvernement français ne fera rien ouvertement ni secrètement, qui tendrait à détruire ou à affaiblir l'effet du gouvernement du roi sur ses peuples; vous n'ignorez pas, cependant, combien cela serait facile. Le jour où vous voudrez sincèrement détruire les brigands qui infestent notre communication de Coni à Barcelonnette, ils n'existeront plus.
Je vous prie de me croire, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 10 vendémiaire an 5 (1er octobre 1796).
Au chef de l'état-major.
Vous donnerez des ordres au générai Kilmaine pour le désarmement du Mantouan, et pour qu'on restitue tous les chevaux qui ont été achetés aux soldats. Vous ferez payer chaque cheval le prix qu'il aura coûté, sans que cela puisse excéder cent vingt francs par cheval. Vous formerez trois colonnes mobiles, commandées par des hommes sages et probes, qui parcourront, la première, la partie du Mantouan comprise entre le Pô, le Mincio et l'Oglio; la seconde, la partie comprise entre le Mincio, le Pô et l'Adige; la troisième, tout ce qui se trouve en deçà du Pô. Je crois que cent cinquante hommes d'infanterie et la moitié en cavalerie seront plus que suffisans pour chacune de ces colonnes.
Chacune des colonnes se rendra aux trois chefs-lieux, Castiglione, Roverbello et Conzague, pour procéder au désarmement, à la recherche de tout ce qui appartiendrait aux Autrichiens, à l'arrestation des hommes turbulens qui auraient excité les peuples à prendre les armes contre l'armée, à la restitution des chevaux vendus par les soldats.
Je vous recommande surtout de vous faire rendre compte de la conduite des moines de San-Benedetto; dans ce village il s'est commis des horreurs: j'y avais ordonné une imposition extraordinaire, qu'il faudra payer sur-le-champ. Vous demanderez au commissaire ordonnateur copie de mon ordre.
Je vous recommande aussi de mettre un terme à ces perpétuelles réquisitions qui désolent les pays conquis, sans presque aucun profit pour la république.
Concertez-vous avec le commissaire ordonnateur Aubernon, pour qu'un tas de fripons, sous prétexte de l'approvisionnement de l'armée, ne dépouillent pas les villages à leur profit. Vous êtes dans le Mantouan le premier agent de la république, vous devez donc porter votre surveillance sur tout ce qui peut intéresser l'ordre public. Il y a à Castiglione une commission administrative chargée de la levée des impositions, prêtez-lui main-forte et tous les secours qui dépendront de vous.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 10 vendémiaire an 5 (1er octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Après la bataille de Saint-George, nous cherchâmes à attirer Wurmser à une seconde action, afin d'affaiblir la garnison dans une affaire extra muros: nous nous gardâmes donc bien d'occuper le Sarraglio, j'espérais qu'il s'y rendrait; nous continuâmes seulement à occuper le pont de Governolo, afin de nous faciliter le passage du Mincio.
Le quatrième jour complémentaire, l'ennemi se porta avec quinze cents hommes de cavalerie à Castellucio; nos grand'gardes se replièrent, comme elles en avaient l'ordre; l'ennemi ne passa pas outre. Le 3 vendémiaire, il se porta sur Governolo, en suivant la ligne droite du Mincio: après une canonnade très-vive et plusieurs charges de notre infanterie, il fut mis en déroute; il eut cent hommes faits prisonniers et cinq caissons pris, tout attelés.
Le général Kilmaine, auquel j'ai donné le commandement des deux divisions qui assiègent Mantoue, resta dans ses mêmes positions jusqu'au 8, espérant toujours que l'ennemi, porté par l'envie de faire entrer des fourrages, chercherait à sortir; mais l'ennemi s'était campé à la Chartreuse, devant la porte Pradella et la chapelle, et devant la porte Cerese. Le général Kilmaine fit ses dispositions d'attaque, se porta par plusieurs points sur ces deux camps, que l'ennemi évacua à son approche, après une légère fusillade d'arrière-garde.
Nous occupons la porte Pradella et celle de Cerese, et nous bloquons la citadelle.
Il est impossible, dans ce moment-ci, de penser au siège de Mantoue, à cause des pluies; il ne sera faisable qu'en janvier. À cette époque, l'empereur aura une puissante armée dans le Tyrol et dans le Frioul: déjà il a réuni un corps de six mille hommes dans ce dernier pays, et il a fait venir huit mille hommes à Botzen.
Rien n'égale l'activité qu'il y a dans l'Empire pour recruter l'armée d'Italie.
Voici la force de notre armée:
J'ai dix-huit mille neuf cents hommes à l'armée d'observation, neuf mille hommes à l'armée de siège.
Je vous laisse à penser, si je ne reçois point de secours, s'il est possible que je résiste cet hiver à l'empereur, qui aura cinquante mille hommes dans six semaines.
J'ai demandé au commissaire du gouvernement de me faire passer la quarantième demi-brigade qui est à Lyon; j'ai ordonné que l'on me fasse passer la quatre-vingt-troisième, qui est à Marseille, et le dixième bataillon de l'Ain, qui est à Toulon, et qui doit être incorporé dans nos cadres. Ces deux demi-brigades, si elles arrivent, forment quatre mille cinq cents hommes.
Le général Willot a mal à propos retenu la onzième demi-brigade, forte de quatre cents hommes, et que le général Châteauneuf-Randon envoyait ici. Ajoutez à ce nombre le dixième bataillon de l'Ain, fort de cinq cents hommes, qui est à Nice, cela fait neuf cents hommes des six mille que ce général devait envoyer.
Renouvelez les ordres au général Châteauneuf-Randon; ordonnez le départ de la quarantième, qui est à Lyon, et de la quatre-vingt-septième, qui est à Marseille; faites-nous passer quinze mille hommes de ceux qui sont à portée; mais calculez que, sur quatre mille hommes que vous envoyez, il n'en arrivera que la moitié.
Songez qu'il faut que vous ayez en Italie, pour pouvoir vous soutenir pendant l'hiver, trente-cinq mille hommes d'infanterie à l'armée d'observation et dix-huit mille hommes d'infanterie à l'armée de siège, pour faire face à l'empereur. Ces deux forces réunies font cinquante-trois mille hommes, il en existe dans ce moment vingt-sept. Supposez que la saison étant meilleure, il nous rentre trois mille malades, quoique les pluies d'automne nous en donnent beaucoup, il resterait vingt-trois mille hommes à nous envoyer.
J'espère avoir, avant un mois, si par des courriers extraordinaires vous confirmez mes ordres et mes réquisitions, huit mille hommes, tirés des garnisons du midi.
Il faut donc encore quinze mille hommes. Si vous les faites partir de Paris ou des environs, ils pourront arriver dans le courant de décembre; mais il faut qu'ils aient les ordres de suite. Si vous avez des dépôts, envoyez-nous-en de même pour encadrer dans nos corps.
Il nous faudrait encore quinze cents hommes de cavalerie légère ou des dragons: par exemple, le quatorzième régiment de chasseurs. Il faudrait huit cents canonniers pour le siège de Mantoue, dix officiers du génie, et quelques officiers supérieurs d'artillerie pour le même siège.
Il nous faudrait de plus quinze cents charretiers, organisés en brigades, ayant leurs chefs; je n'ai que des Italiens qui nous volent: deux bataillons de sapeurs et sept compagnies de mineurs.
Si la conservation de l'Italie vous est chère, citoyens directeurs, envoyez-moi tous ces secours. Il me faudrait également vingt mille fusils; mais il faudrait que ces envois arrivassent, et qu'il n'en soit pas comme de tout ce que l'on annonce à cette armée, où rien n'arrive. Nous avons une grande quantité de fusils, mais ils sont autrichiens; ils pèsent trop, et nos soldats ne peuvent s'en servir.
Nous avons ici des fabriques de poudre, dont nous nous servons, et qui nous rendent trente milliers par mois: cela pourra nous suffire.
Je vous recommande de donner des ordres pour que les huit mille hommes que j'attends à la fin d'octobre arrivent: cela seul peut me mettre à même de porter encore de grands coups aux Impériaux. Pour que les trois mille hommes du général Châteauneuf-Randon arrivent, il faut qu'ils partent six à sept mille.
J'essaye de faire lever ici une légion armée de fusils autrichiens, et habillée avec l'uniforme de la garde nationale du pays: cette légion sera composée de trois mille cinq cents hommes au complet; il est possible que cela réussisse.
Les avant-postes du général Vaubois ont rencontré la division autrichienne qui défend le Tyrol; il a fait à l'ennemi cent dix prisonniers.
Quelles que soient les circonstances qui se présenteront, je vous prie de ne pas douter un seul instant du zèle et du dévouement de l'armée d'Italie à soutenir l'honneur des armes de la république.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Le peuple de la Lombardie se prononce chaque jour davantage; mais il est une classe très-considérable qui désirerait, avant de jeter le gant à l'empereur, d'y être invitée par une proclamation du gouvernement, qui fût une espèce de garant de l'intérêt que la France prendra à ce pays-ci à la paix générale.
Cette résolution du gouvernement, et l'arrêté qui établirait un gouvernement régulateur, et qui reconnaîtrait dès aujourd'hui l'indépendance de la Lombardie, avec quelques modifications pour la durée de la guerre, vaudrait à l'armée autant qu'un secours de trois à quatre mille hommes.
Les friponneries qui se commettent sont innombrables: au milieu de la guerre, il ne m'a pas été possible d'y porter un coup d'oeil sévère; mais aujourd'hui, pendant le séjour à Milan que les circonstances me permettent, je vous promets de leur faire une guerre vive: je vous annoncerai bientôt que le conseil en aura fait justice d'une douzaine.
Désormais le peuple de la Lombardie, plus heureux, sentira moins le poids de l'armée, et sera moins sujet aux vexations. Il n'en est pas de même du malheureux Mantouan: la nature frémit en pensant à la nuée de coquins qui désolent ce pays. J'ai fait quelques dispositions pour atténuer le mal.
Bologne et Ferrare, n'ayant pas de troupes, sont les plus heureux de tous: on vient d'y établir des surveillans; s'ils font comme les anciens agens militaires de la Lombardie, qui se sont pour la plupart sauvés avec une caisse, ils porteront la désolation dans ce beau pays. Je vais avoir soin de m'en faire rendre compte.
Reggio a fait sa révolution et a secoué le joug du duc de Modène. C'est peut-être le pays d'Italie qui est le plus prononcé pour la liberté.
Modène avait essayé d'en faire autant; mais les quinze cents hommes de troupes que le duc y tient en garnison ont fait feu sur le peuple et dissipé l'attroupement. Je crois que le plus court de tout ceci serait de déclarer l'armistice rompu, vu qu'il est encore dû cinq à six cent mille liv., et de mettre cette place à l'instar de Bologne et de Reggio. Ce seraient des ennemis de moins que nous aurions, car la régence ne dissimule pas la crainte que nous lui inspirons, et la joie qu'elle ressent des succès des ennemis. Je vous prie de vouloir bien me prescrire vos ordres là-dessus.
Je crois qu'il ne faut pas laisser cet état dans la situation de déchirement où il se trouve, mais déclarer au plénipotentiaire que vous avez à Paris les négociations rompues. Au lieu d'avoir un nouvel ennemi, nous aurions au contraire des secours et des alliés, les peuples de Modène et de Reggio réunis. Cependant, comme la face des affaires change tous les quinze jours dans ce pays, puisque cela suit les opérations militaires, et qu'il ne faudrait pas que votre rupture avec Modène arrivât dans un instant où je ne pourrais pas disposer de quinze cents hommes pendant quelques jours, pour établir un nouvel ordre de chose dans ce pays, vous pourriez déclarer à l'envoyé de Modène que vous m'avez fait connaître vos intentions, et que vous me chargez de la conclusion de la paix avec son prince. Il viendrait alors au quartier-général, ayant soin de lui signifier qu'il y soit rendu avant douze jours. Je lui déclarerais alors que toutes négociations sont rompues, dans le même instant que nos troupes entreront dans Modène, feront poser les armes à la garnison, prendront pour otages les plus enragés aristocrates, et mettront en place les amis de la liberté de Modène.
Vous aurez alors Modène, Reggio, Bologne et Ferrare, où la masse du peuple se forme tous les jours pour la liberté, et où la majorité nous regarde comme libérateurs, et notre cause comme la leur.
Les états de Modène arrivent jusqu'au Mantouan: vous sentez combien il nous est intéressant d'y avoir, au lieu d'un gouvernement ennemi, un gouvernement dans le genre de celui de Bologne, qui nous serait entièrement dévoué. Nous pourrions, à la paix générale, donner le Mantouan au duc de Parme, ce qui serait politique sous tous les rapports; mais il serait utile que vous fissiez connaître cela à l'ambassadeur d'Espagne, pour que cela revienne au duc de Parme; ce qui l'engagerait à nous rendre beaucoup de services. Puisque nous sommes alliés avec l'Espagne, il ne serait point indifférent que le duc de Parme réunît à notre armée un de ses régimens de sept à huit cents hommes: cela me rendrait disponible un pareil nombre de nos troupes, et ferait que tous les habitans du duché de Parme regarderaient notre cause comme la leur; ce qui est toujours beaucoup. J'emploierai ce corps devant Mantoue, ou pour l'escorte des prisonniers et des convois, ce que nos gens font très-mal: sur quatre mille prisonniers, il s'en sauve ordinairement mille; ce qui est produit par le petit nombre d'escortes que je peux y mettre. J'ai essayé, pour les escortes, de quatre cents hommes Milanais, ce qui m'a parfaitement réussi; il faudrait aussi que le duc fût obligé de nous fournir un bataillon de pionniers fort de huit cents hommes, avec les outils.
Éloignés, comme nous sommes de la France, ce sera pour nous un bon secours que l'alliance de ce prince, puisque ses états sont sur le théâtre de la guerre.
Les barbets désolent nos communications: ce ne sont plus des voleurs isolés, ce sont des corps organisés de quatre à cinq cents hommes. Le général Garnier, à la tête d'une colonne mobile que j'ai organisée, occupe dans ce moment-ci Tende; il en a arrêté et fait fusiller une douzaine.
L'administration du département du Var s'est refusée à fournir deux cents hommes que j'ai mis en réquisition pour la formation de cette colonne mobile. Le général Willot non-seulement a refusé d'obéir à un ordre que j'ai donné pour le départ du dixième bataillon de l'Ain, mais encore il a retenu la onzième demi-brigade, que le général Châteauneuf-Randon envoyait à l'armée, et un escadron du dix-huitième régiment de dragons. Ce général a cependant huit mille hommes dans sa division, troupes suffisantes pour conquérir le midi de la France, s'il était en révolte.
Je tiens en respect et je fais la police dans un pays ennemi plus étendu que toute sa division, avec huit ou neuf cents hommes. Ce général a des idées trop exagérées, et embrasse trop les différentes opinions des partis qui déchirent la France, pour pouvoir maintenir l'ordre dans le Midi sans une armée puissante.
Le général Willot a servi, au commencement de la révolution, à l'armée d'Italie; il jouit de la réputation d'un brave homme et d'un bon militaire, mais d'un royaliste enragé. Ne le connaissant pas, et n'ayant pas eu le temps de peser ses opérations, je suis bien loin de confirmer ce jugement; mais, ce qui me paraît bien avéré, c'est qu'il agit dans le Midi comme dans la Vendée, ce qui est un bon moyen pour la faire naître.
Quand on n'a égard à aucune autorité constituée, que l'on déclare en masse tous les habitans de plusieurs départemens indignes du nom de citoyen, on veut ou se former une armée considérable, ou faire naître la guerre civile: je ne vois pas de parti mitoyen. Si vous laissez le général Willot à Marseille, il faut lui donner une armée de vingt mille hommes, ou vous attendre aux scènes les plus affligeantes.
Quand une ville est en état de siège, il me semble qu'un militaire devient une espèce de magistrat, et doit se conduire avec la modération et la décence qu'exigent les circonstances, et il ne doit pas être un instrument de factions, un officier d'avant-garde. Je vous soumets toutes ces réflexions, spécialement par la nécessité que j'ai d'avoir des troupes.
Je vous prie aussi d'ôter de dessous mes ordres la huitième division, parce que les principes et la conduite du général Willot ne sont pas ceux qu'il doit avoir dans sa place, et que je me croirais déshonoré de voir, dans un endroit où je commande, se former un ferment de trouble, et de souffrir qu'un général sous mes ordres ne soit qu'un instrument de factions.
Par sa désobéissance et par son insubordination, il est la cause des horreurs qui se commettent dans ce moment dans le département des Alpes-Maritimes. Le convoi des tableaux chefs-d'oeuvre d'Italie a été obligé de rentrer à Coni; il eût été pris par les barbets. Si le général Willot n'obéit pas sur-le-champ à l'ordre que je lui ai donné de faire partir la quatre-vingt-troisième demi-brigade, mon projet est de le suspendre de ses fonctions. Nice même, dans ce moment-ci, n'est pas en sûreté.
Les barbets tirent leurs forces du régiment provincial de Nice, que le roi de Sardaigne a licencié; peut-être serait-il utile de faire un corps particulier de tous les habitans des Alpes maritimes qui se sont trouvés engagés dans le régiment provincial et le corps franc au moment de la guerre. On pourrait, dans ce cas, déclarer qu'ils ne reprendront leurs droits de citoyens qu'après avoir servi deux ans sous les drapeaux de la république.
J'ai écrit au ministre des affaires étrangères et au roi de Sardaigne lui-même des lettres très-fortes. J'espère que tous les jours le nombre de ces brigands sera moins redoutable.
J'ai envoyé à Turin le citoyen Poussielgue, secrétaire de la légation à Gênes, sonder les dispositions de ce cabinet pour un traité d'alliance; il nous faut ce prince ou la république de Gênes. J'avais même désiré une entrevue avec le ministre des affaires étrangères du roi de Sardaigne, mais cela n'a pu s'arranger.
BONAPARTE.