Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.
Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
La république de Venise a peur: elle trame avec le roi de Naples et le pape; elle se fortifie et se retranche dans Venise. De tous les peuples de l'Italie, le Vénitien est celui qui nous hait le plus: ils sont tous armés, et il est des cantons dont les habitans sont braves. Leur ministre à Paris leur écrit que l'on s'arme, sans quoi tout est perdu: on ne fera rien de tous ces gens-là si Mantoue n'est pas pris.
Le roi de Naples a soixante mille hommes sur pied, il ne peut être attaqué et détrôné que par dix-huit mille hommes d'infanterie et trois mille de cavalerie. Il serait possible que, de concert avec l'Autriche et Rome, il portât un corps sur Rome et ensuite sur Bologne et Livourne: ce corps pourrait être de quinze mille hommes, et inquiéterait beaucoup l'armée française.
Le grand-duc de Toscane est absolument nul sous tous les rapports.
Le duc de Parme se conduit assez bien; il est nul aussi sous tous les rapports.
Rome est forte par son fanatisme: si elle se montre contre nous, elle peut accroître de beaucoup la force du roi de Naples, m'obliger à tenir trois mille hommes de plus sur mes derrières, par l'inquiétude qu'elle mettrait dans l'esprit de ces peuples: seule, sans Naples, il faudrait deux mille hommes d'infanterie et quinze cents de cavalerie pour la soumettre. Si elle arme, le fanatisme lui donne quelque force; il y aurait du sang de répandu: réunie avec Naples, l'on ne peut marcher à Rome avec moins de vingt mille hommes d'infanterie et deux mille hommes de cavalerie; et si l'on voulait aller à Naples après avoir été à Rome, il faudrait une armée de vingt-quatre mille hommes d'infanterie et de trois mille cinq cents de cavalerie. Je pense que six mille hommes d'infanterie et cinq cents de cavalerie suffiraient pour tenir les états du pape en respect, en s'y conduisant avec adresse et caractère, une fois que l'on s'en serait rendu maître.
Le roi de Sardaigne fomente la rébellion des barbets. Si Naples et Rome agissent contre nous, il faudra trois mille hommes de plus dans les places du Piémont.
Gênes. Le 16 de ce mois, le ministre Faypoult présentera une note au sénat, et nous ferons notre opération, conformément à vos ordres; si elle réussit, nous pourrons compter sur le gouvernement.
Si vous persistez à faire la guerre à Rome et à Naples, il faut vingt-cinq mille hommes de renfort, qui, joints aux vingt mille, nécessaires pour tenir tête à l'empereur, font un renfort de quarante-cinq mille hommes qu'il faudrait. Si vous faites la paix avec Naples, et qu'il n'y ait que Rome, il serait possible, avec les seules forces destinées à tenir tête à l'empereur, de profiter d'un moment favorable pour l'écraser; il faudrait compter cependant sur un surcroît de trois mille hommes.
Je crois que vous ne pouvez faire à la fois, dans la position actuelle de la république, la guerre à Naples et à l'empereur. La paix avec Naples est de toute nécessité: restez avec Rome en état de négociations ou d'armistice jusqu'au moment de marcher sur cette ville superbe.
Rome deviendrait très-forte de sa réunion avec Naples. Si nous sommes battus sur le Rhin, il nous convient de faire la paix avec Rome et avec Naples.
Il est une autre négociation qui devient indispensable, c'est un traité d'alliance avec le Piémont et Gênes. Je voudrais donner Massa et Carrara, les fiefs impériaux à Gênes, et la faire déclarer contre la coalition.
Si vous continuez la guerre avec Naples, il me paraît nécessaire de prendre Lucques et d'y mettre garnison: cette place est forte et bien armée; elle couvre les états de Gênes et offre une retraite à la garnison de Livourne.
Par cette lettre et celles que je vous enverrai incessamment, vous connaîtrez parfaitement notre position. Je n'avais jamais compté qu'après avoir détruit en une campagne deux armées à l'empereur, il en aurait une plus puissante, et que les deux armées de la république hiverneraient bien loin du Danube: le projet de Trieste et de Naples était fondé sur des suppositions.
J'ai écrit à Vienne, et ce soir le courrier part dans le même temps que l'armée se porte sur la Brenta.
Je fais fortifier l'Adda; mais c'est une faible barrière. Je vous le répète, des secours prompts, car l'empereur fait déjà filer ses troupes.
La négociation avec Rome a été mal conduite: il fallait, avant de l'entamer, qu'elle eût rempli les conditions de l'armistice; l'on pouvait au moins attendre quelques jours, et l'on aurait facilement eu les cinq millions du second paiement, dont une partie était déjà arrivée à Rimini. On a montré au pape tout le traité à la fois, il fallait au contraire préalablement l'obliger à se prononcer sur le premier article; mais surtout on ne devait pas choisir l'instant où l'armée était dans le Tyrol, et l'on devait avoir à l'appui un corps de troupes à Bologne, qui se serait accru par la renommée. Cela nous coûte dix millions, cinq de denrées, et tous les chefs-d'oeuvre d'Italie, qu'un retard de quelques jours nous aurait donnés.
Tous ces pays-ci sont si peuplés, la situation de nos forces est si connue, tout cela est tellement travaillé par l'empereur et par l'Angleterre, que la scène change tous les quinze jours.
Si nous ne réussissons pas dans tout ce que nous entreprendrons, je vous prie de croire que ce ne sera pas faute de zèle et d'assiduité.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).
À Sa Majesté l'empereur d'Allemagne, roi de Hongrie et de Bohême, archiduc d'Autriche, etc.
Sire, l'Europe veut la paix. Cette guerre désastreuse dure depuis trop long-temps.
J'ai l'honneur de prévenir votre majesté que si elle n'envoie pas des plénipotentiaires à Paris pour entamer les négociations de paix, le directoire exécutif m'ordonne de combler le port de Trieste et de ruiner tous les établissemens de votre majesté sur l'Adriatique. Jusqu'ici j'ai été retenu dans l'exécution de ce plan, par l'espérance de ne pas accroître le nombre des victimes innocentes de cette guerre.
Je désire que votre majesté soit sensible aux malheurs qui menacent ses sujets, et rende le repos et la tranquillité au monde.
Je suis avec respect, de votre majesté,
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 11 vendémiaire an 5 (2 octobre 1796).
Au chef de l'état-major.
J'apprends, citoyen général, que plusieurs négocians génois, en conséquence d'une intrigue, sont sortis avec grand fracas de Gênes, et se sont réfugiés à Milan, laissant entrevoir qu'ils sont instruits que les Français doivent bombarder Gênes. Vous voudrez bien leur donner ordre de sortir sur-le-champ de la Lombardie, et de retourner à Gênes, ayant à coeur d'ôter aux malveillans les moyens d'inquiéter le brave peuple de Gênes, auquel l'armée d'Italie a des obligations essentielles, tant pour les blés qu'il nous a procurés dans les momens de détresse, que par l'amitié que, de tout temps, il a témoignée pour la république.
Dans ce moment, où ils viennent de fermer leur port aux Anglais et de chasser le ministre de l'empereur qui avait fomenté la rébellion des fiefs impériaux, ils ont des droits plus particuliers à la protection de la république française.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 13 vendémiaire an 5 (4 octobre 1796).
Au citoyen Garreau, commissaire du gouvernement.
Nous avons le plus grand besoin d'argent, soit à l'armée, soit en France: je crois donc qu'il faudrait que vous prissiez ce soir des mesures pour faire ramasser le plus qu'il sera possible des sommes sur les créances de la chambre, les capitaux de l'archiduc et les créances connues sous le nom de Rivellet: ces trois objets pourront nous être d'une grande ressource, et vous savez que nous avons besoin de ne rien épargner.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 14 vendémiaire an 5 (5 octobre 1796).
Au cardinal Mattei.
Les circonstances dans lesquelles vous vous êtes trouvé, Monsieur, étaient difficiles et nouvelles pour vous; c'est à cela que je veux bien attribuer les fautes essentielles que vous avez commises. Les vertus morales et chrétiennes que tout le monde s'accorde à vous donner, me font désirer vivement que vous vous rendiez dans votre diocèse. Assurez tous les ministres du culte et les religieux des différentes congrégations, de la protection spéciale que je leur accorderai, toutes les fois cependant qu'ils ne se mêleront pas des affaires politiques des nations.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).
Au souverain pontife.
J'ai l'honneur de communiquer à votre sainteté un manifeste qui circule dans la Romagne, afin de connaître s'il est officiel, ou s'il est publié par les ennemis de la religion et de votre sainteté.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).
Au citoyen Faypoult, ministre de la république française à Gênes.
J'apprends, citoyen ministre, que le citoyen Gosselin, commissaire ordonnateur de l'armée, se trouve à Gênes: je vous prie de le faire arrêter et conduire à Milan.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 15 vendémiaire an 5 (6 octobre 1796).
Au chef de l'état-major.
Vous ferez arrêter et conduire à Milan le commissaire des guerres Flague, partout où il se trouvera. Il est accusé d'avoir vendu un tonneau de quinquina. On présume qu'il est à Livourne.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Mantoue ne pourra pas être pris avant le mois de février, je dois déjà vous l'avoir annoncé: vous verrez par là que notre position en Italie est incertaine, et notre système politique très-mauvais.
Nous avons entamé des négociations avec Rome lorsque l'armistice n'était pas rempli, lorsque dix millions en tableaux et cinq millions en denrées étaient sur le point de nous être livrés. Rome arme, fanatise les peuples; l'on se coalise de tous côtés contre nous, l'on attend le moment pour agir, l'on agira avec succès si l'armée de l'empereur est un peu renforcée.
Trieste est aussi près de Vienne que Lyon l'est de Paris: en quinze jours les troupes y arrivent. L'empereur a déjà, de ce côté-là, une armée.
Je vous ferai passer toutes les pièces qui vous mettront à même de juger de notre position et de la situation des esprits.
Je crois la paix avec Naples très-essentielle, et l'alliance avec Gênes, ou la cour de Turin, nécessaire.
Faites la paix avec Parme et une déclaration qui prenne sous la protection de la France les peuples de la Lombardie, Modène, Reggio, Bologne et Ferrare, et par-dessus tout, envoyez des troupes. Il est de nécessité, à la fin d'une campagne comme celle-ci, d'envoyer quinze mille hommes de recrues. L'empereur en a envoyé trois fois pendant la campagne.
On gâte tout en Italie, le prestige de nos forces se dissipe: l'on nous compte. Je crois imminent, et très-imminent, que vous preniez en considération la situation de votre armée en Italie, que vous adoptiez un système qui puisse vous donner des amis, tant du côté des princes que du côté des peuples. Diminuez vos ennemis. L'influence de Rome est incalculable. On a très-mal fait de rompre avec cette puissance; tout cela sert à son avantage. Si j'eusse été consulté sur tout cela, j'eusse retardé la négociation de Rome comme celle de Gênes et de Venise. Toutes les fois que votre général en Italie ne sera pas le centre de tout, vous courrez de grands risques. On n'attribuera pas ce langage à l'ambition; je n'ai que trop d'honneur, et ma santé est tellement délabrée, que je crois être obligé de vous demander un successeur. Je ne peux plus monter à cheval, il ne me reste que du courage, ce qui est insuffisant dans un poste comme celui-ci.
Tout était prêt pour l'affaire de Gênes; mais le citoyen Faypoult a pensé qu'il fallait retarder. Environné de peuples qui fermentent, la prudence veut que l'on se concilie celui de Gênes jusqu'à nouvel ordre. J'ai fait sonder par le citoyen Poussielgue la cour de Turin, elle est décidée à une alliance. Je continue cette négociation. Des troupes, des troupes, si vous voulez conserver l'Italie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Cent cinquante hommes de la garnison de Mantoue étaient sortis le 8, à dix heures du matin, de la place, avaient passé le Pô à Borgoforte pour chercher des fourrages; cependant, à cinq heures après midi, nous achevâmes le blocus de Mantoue en nous emparant de la porte Pradella et de celle de Cerese, comme j'ai eu l'honneur de vous en instruire par mon dernier courrier.
Ce détachement, se trouvant par là séparé de Mantoue, chercha à se retirer à Florence. Arrivé à Reggio, les habitans en furent instruits, coururent aux armes et les empêchèrent de passer, ce qui les obligea à se retirer dans le château de Monte-Chiragolo, sur les états du duc de Parme. Les braves habitans de Reggio les poursuivirent, les investirent et les firent prisonniers par capitulation. Dans la fusillade qui a eu lieu, les gardes nationales de Reggio ont eu deux hommes tués. Ce sont les premiers qui aient versé leur sang pour la liberté de leur pays.
Les braves habitans de Reggio ont secoué le joug de la tyrannie de leur propre mouvement, et sans même être assurés qu'ils seraient soutenus par nous.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 vendémiaire an 5 (8 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ferai passer, citoyens directeurs, une proclamation sur Modène. Ces petits régentaux s'avisent de conspirer, je les ai prévenus. Pourquoi faut-il que je n'aie pas deux brigades pour en faire autant à Rome? Mais je n'ai pas de troupes disponibles, et Naples est là qui nous obligerait à rétrograder. L'affaire de Modène améliore un peu notre position.
Je suis ici environné de voleurs; j'ai déjà trois commissaires des guerres, deux administrateurs et des officiers au conseil militaire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 18 vendémiaire an 5 (9 octobre 1796).
Au commissaire du gouvernement.
Il faudrait, je crois, réunir un congrès à Modène et à Bologne, et le composer des députés des états de Ferrare, Bologne, Modène et Reggio; les députés seront nommés par les différens gouvernemens, de manière que l'assemblée soit composée d'une centaine de personnes. Vous pourriez faire la distribution proportionnée à la population en favorisant un peu Reggio. Il faudra avoir soin qu'il y ait parmi ces députés des nobles, des prêtres, des cardinaux, des négocians et de tous les états, généralement estimés patriotes. On y arrêterait, 1°. l'organisation de la légion italienne; 2°. l'on ferait une espèce de fédération pour la défense des communes; 3°. ils pourraient envoyer des députés à Paris pour demander leur liberté et leur indépendance. Ce congrès ne devrait pas être convoqué par nous, mais seulement par des lettres particulières: cela produirait un grand effet, et serait une base de méfiance et d'alarme pour les potentats de l'Europe, et il est indispensable que nous ne négligions aucun moyen pour répondre au fanatisme de Rome, pour nous faire des amis et pour assurer nos derrières et nos flancs. Je désirerais que ce congrès fût tenu le 23 de ce mois. Je vous prie de prendre en grande considération cet objet, je ferai en sorte de m'y trouver pour cette époque. Nous sommes ici sans un sou, et tout coûte. Procurez-nous de l'argent.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 19 vendémiaire an 5 (10 octobre 1796).
Au chef de l'état-major.
Vous voudrez bien, général, donner l'ordre de faire arrêter l'officier qui commandait le poste de la Chiuza lors de l'affaire du 11 thermidor, et le faire traduire au conseil militaire comme traître ou lâche, ayant rendu ce poste sans raison et sans y être forcé.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 20 vendémiaire an 5 (11 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
L'affaire de Modène, citoyens directeurs, a parfaitement réussi: ce pays est content et heureux de se voir délivré du joug qui pesait sur lui. Les patriotes sont nombreux et en place. Je vous enverrai différens imprimés qui vous mettront au fait de la tournure que je donne à l'esprit pour opposer fanatisme à fanatisme, et nous faire des amis des peuples qui, autrement, deviendraient nos ennemis acharnés. Vous y trouverez l'organisation de la légion lombarde. Les couleurs nationales qu'ils ont adoptées sont le vert, le blanc et le rouge.
Parmi les officiers, il y a beaucoup de Français; les autres sont des officiers italiens, qui, depuis plusieurs années, se battent avec nous à l'armée d'Italie. Le chef de brigade est un nommé Lahoz, milanais: il était aide-de-camp du général Laharpe. Je l'avais pris avec moi; il est connu des représentans qui ont été à l'armée d'Italie, et spécialement du citoyen Ritter.
Je vous enverrai un manuscrit de l'organisation que je compte donner à la première légion italienne. À cet effet, j'ai écrit aux commissaires du gouvernement pour que les gouvernans de Bologne, de Modène, de Reggio et de Ferrare aient à se réunir en congrès: cela se fera le 23. Je n'oublie rien de ce qui peut donner de l'énergie à cette immense population, et tourner les esprits en notre faveur. La légion lombarde sera soldée, habillée, équipée par les Milanais. Pour subvenir à cette dépense, il faudra les autoriser à prendre l'argenterie des églises, ce qui vient à peu près à 1,000,000.
Je vous enverrai différentes lettres avec différentes notes du citoyen Cacault. Tout annonce que, d'ici à un mois, de grands coups se porteront en Italie. D'ici à ce temps, il faudra avoir conclu une alliance avec Gênes ou avec le roi de Sardaigne. Vous ferez peut-être aussi très-bien de faire la paix avec le roi de Naples.
J'ai renvoyé le citoyen Poussielgue à Turin pour continuer sa négociation; je lui ai dit de vous instruire directement de Turin, de l'issue de cette seconde entrevue.
Faites surtout que je sois instruit de notre position actuelle avec Naples; vous savez que j'ai deux mille quatre cents hommes de cavalerie napolitaine, que je fais surveiller, et qu'il faudrait prévenir, si nous avions de plus fortes raisons de nous méfier de Naples: s'ils agissent de leur côté en même temps que les Autrichiens et les autres puissances, cela ne laisserait pas d'être un surcroît d'embarras. Au mois de thermidor, lorsque je me repliais sur Brescia, je pensais à les faire arrêter, et je ne l'osai pas.
Le général Serrurier m'écrit de Livourne que le grand-duc arme aussi.
Pour peu que ma santé me le permette, croyez que je n'épargnerai rien de ce qui sera en mon pouvoir pour conserver l'Italie.
Je vous ferai tenir une lettre du citoyen Faypoult: il me paraît, d'après cela, qu'on négocie l'affaire de Gênes à Paris, et que nous avons bien fait de ne pas nous en mêler. Cette conduite inspire au gouvernement génois de la méfiance. Je reviens à mon principe, en vous engageant à traiter avant un mois avec Gênes et Turin.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 20 vendémiaire an 5 (11 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Des corps nombreux de l'empereur filent dans le Tyrol. Les pluies d'automne continuent toujours à nous donner beaucoup de malades. Il n'y a pas grand'chose à espérer du renfort des hommes aux hôpitaux, puisqu'il y a à présumer que c'est dans un mois que l'on frappera ici les grands coups.
Je vous enverrai incessamment la réponse que le général Châteauneuf m'a faite par un courrier extraordinaire que je lui avais expédié: il s'ensuit donc que je ne puis rien espérer au-delà de deux mille hommes, et votre ordre en portait six mille. Vous m'avez prévenu, par le dernier courrier, qu'il allait m'arriver dix mille hommes, indépendamment de ces deux mille hommes. Vous devez me faire connaître le jour et le lieu de leur départ, avec leur état de situation: s'il part dix mille hommes, vous devez calculer qu'il n'en arrivera que cinq mille.
Je ne sais pas encore si le général Kellermann fait venir la quarantième de Lyon, et si le général Willot obéit à l'ordre que je lui ai donné de faire partir la quatre-vingt-troisième. De ces deux demi-brigades, si elles arrivent à temps, dépend peut-être le destin de l'Italie.
Je fais fortifier Pizzighitone, Reggio, et tous les bords de l'Adda. J'ai fait fortifier également les bords de l'Adige; enfin, dans l'incertitude du genre de guerre que je ferai et des ennemis qui pourront m'attaquer, je n'oublie aucune hypothèse, et je fais dès aujourd'hui tout ce qui peut me favoriser. Je fais mettre en même temps les châteaux de Ferrare et d'Urbin près Bologne en état de défense.
Nous avons beaucoup d'officiers d'artillerie et du génie malades. Faites-nous partir une dizaine d'officiers de chacune de ces armes, des hommes actifs et braves: Mantoue nous a ruiné ces deux armes. Je vous prie de laisser le commandement de ces armes au citoyen Chasseloup et au général Lespinasse: ce sont deux très-bons officiers. J'ai tant de généraux de brigade blessés et malades que, malgré ceux que vous faites tous les jours, il m'en manque encore: il est vrai qu'on m'en a envoyé de si ineptes, que je ne puis les employer à l'armée active.
Je vous prie de nous envoyer le général Duvigneau et quelques autres de cette trempe. Envoyez-nous plutôt des généraux de brigade que des généraux de division. Tout ce qui nous vient de la Vendée n'est pas accoutumé à la grande guerre; nous faisons le même reproche aux troupes, mais elles s'aguerrissent.
Mantoue est hermétiquement bloqué, et cela avec sept mille hommes d'infanterie, et mille cinq cents hommes de cavalerie.
Envoyez-nous des hommes qui aient servi dans la cavalerie, pour recruter nos régimens; nous leur procurerons des chevaux: qu'ils viennent avec leur uniforme de dragons, chasseurs ou hussards, leurs sabres et carabines, hormis les dragons qui doivent avoir des fusils comme l'infanterie. Il y a tant de ces anciens gendarmes qui infestent les rues de Paris: moyennant quelques recruteurs qui courraient les rues, en faisant ressouvenir qu'ici on paye en argent, je crois qu'il serait possible de vous en procurer un bon nombre. Nous avons plus de mille deux cents hommes de cavalerie malades ou blessés, et leurs chevaux sont à ne rien faire aux dépôts. Envoyez-nous des officiers de cavalerie, chefs de brigade, capitaines, nous trouverons ici à les placer: que ce soit des hommes qui se battent.
Je vous prie de donner la retraite aux chefs de brigade Goudran du vingtième de dragons, et au citoyen Sérilhac du vingt-cinquième de chasseurs: ce sont des hommes qui sont malades la veille d'une affaire; ces gens-là n'aiment pas le sabre. Je vous prie aussi de faire donner la retraite au citoyen Gourgonier, chef d'escadron au premier de hussards.
Le chef du septième régiment de hussards, qui a été blessé, est un brave homme, mais il est trop vieux, et il faut lui accorder sa retraite. Moyennant que ces officiers supérieurs manquent, les affaires écrasent un petit nombre de braves qui finissent par être blessés, prisonniers ou tués; et les corps se trouvent sans chef.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 21 vendémiaire an 5 (12 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous enverrai l'état de ce que l'armée a dépensé. Vous y verrez que les calomnies que l'on s'est plu mal à propos à accumuler sur l'ordonnateur Denniée ne peuvent pas l'atteindre. C'est un bon travailleur et un homme d'ordre, sans avoir cependant des talens transcendans.
Vous remarquerez qu'il y a une grande différence entre le compte du payeur de l'armée et celui des commissaires du gouvernement: cela roule sur quatre ou cinq millions. Les commissaires du gouvernement prétendent avoir donné cinq millions de plus au payeur, qui, de son côté, est en règle, puisqu'il dit: présentez-moi mes bons; d'ailleurs il connaît sa dépense. Je crois que cette différence vient de ce que les commissaires du gouvernement ont eux-mêmes ordonnancé des fonds et fait payer des dépenses arriérées, sans que cet argent ait été versé dans la caisse du payeur et que l'ordonnateur l'ait ordonnancé; ce qui est subversif de toute comptabilité et de tout ordre. Il est à ma connaissance que trois ou quatre adjudans-généraux, ayant été faits prisonniers, ont eu, à leur retour, 3,000 liv. de gratification accordées par les commissaires: vous sentez bien que l'ordonnateur n'aurait pas fait solder ces gratifications. Elles ont été accordées à de braves officiers qui les méritaient; mais cela a produit le mauvais effet de faire naître des prétentions chez tous les officiers supérieurs qui ont été faits prisonniers, et malheureusement il n'y a que trop d'argent de dépensé en indemnités pour pertes. Au moindre petit échec, chacun a perdu son porte-manteau; les conseils d'administration signent tout ce que l'on veut, cela m'a fait prendre le parti de ne plus faire accorder, même gratification de campagne, sans signature du ministre; ce qui nous économisera beaucoup.
Vous voyez donc que, depuis six mois que nous sommes en campagne, on n'a dépensé que onze millions: il reste donc à vous expliquer pourquoi on a dépensé si peu, c'est que, 1°. on a long-temps vécu de réquisitions; 2°, nous avons eu des denrées en nature de Modène, Parme, Ferrare et Bologne; 3°. la république nous a fourni et nous fournit encore beaucoup de denrées; enfin nous vivons souvent avec les magasins de l'ennemi.
Je vous prie de nous envoyer le commissaire ordonnateur Naudin; il est un peu vieux, mais je le connais pour un homme probe et sévère, il pourra être chargé utilement pour la république d'un des services de cette armée; je crois même que vous feriez bien de le faire ordonnateur des contributions, chargé de correspondre avec le ministre des finances et la trésorerie: vos commissaires pourraient alors en avoir simplement la surveillance comme des autres parties, ce qui les rendrait au rôle passif qu'ils doivent avoir par vos instructions, et remédierait aux abus sans nombre qui existent.
Je ne puis pas d'ailleurs vous dissimuler qu'il n'y a presque aucun ordre dans les contributions. Vos commissaires ne sont pas assez habitués aux détails de la comptabilité; il faut de plus un esprit de suite, que leurs occupations ou le grand caractère dont ils sont revêtus ne leur permet pas d'avoir.
Je crois donc qu'un commissaire ordonnateur, chargé en chef des contributions, indépendant du commissaire ordonnateur en chef, qui aurait un payeur nommé par la trésorerie, surveillerait d'une manière efficace la compagnie Flachat, en ce qu'il aurait un détail exact, une comptabilité sûre de tout ce qu'il aurait remis et des lettres de change qui sont tirées.
Enfin, vos commissaires font de beaux tableaux, qui ne s'accordent ni avec ceux du payeur, ni avec ceux de la compagnie Flachat: pourquoi? C'est que la comptabilité est une science à part; elle exige un travail à part et une attention réfléchie: d'ailleurs, peut-être penserez-vous qu'il convient de ne pas donner une comptabilité de détails à des hommes qui ont une responsabilité morale et politique. Si, suivant l'esprit de vos instructions, vos commissaires ne doivent que surveiller, il faut que jamais ils n'agissent; et il y a, en général, une présomption défavorable contre ceux qui manient de l'argent.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 21 vendémiaire an 5 (12 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Depuis que je suis à Milan, citoyens directeurs, je m'occupe à faire la guerre aux fripons; j'en ai fait juger et punir plusieurs: je dois vous en dénoncer d'autres. En leur faisant une guerre ouverte, il est clair que j'intéresse contre moi mille voix, qui vont chercher à pervertir l'opinion. Je comprends que, s'il y a deux mois, je voulais être duc de Milan, aujourd'hui je voudrai être roi d'Italie; mais, tant que mes forces et votre confiance dureront, je ferai une guerre impitoyable aux fripons et aux Autrichiens.
La compagnie Flachat n'est qu'un ramassis de fripons sans crédit réel, sans argent et sans moralité: je ne serai pas suspect pour eux, car je les croyais actifs, honnêtes et bien intentionnés; mais il faut se rendre à l'évidence.
1°. Ils ont reçu quatorze millions, ils n'en ont payé que six, et ils refusent d'acquitter les mandats donnés par la trésorerie, à moins de quinze ou vingt pour cent. Ces honteuses négociations se font publiquement à Gênes. La compagnie prétend qu'elle n'a pas de fonds; mais, moyennant cet honnête profit, elle consent à solder le mandat.
2°. Ils ne fournissent aucune bonne marchandise à l'armée; les plaintes me viennent de tous côtés; ils sont même fortement soupçonnés d'avoir fait pour plus de quatre-vingt mille quintaux de blé en versemens factices, en corrompant les garde-magasins.
3°. Leur marché est onéreux à la république, puisqu'un million, qui pèse, en argent, dix mille livres, serait transporté par cinq ou six voitures, et en poste, pour cinq à six mille francs, tandis qu'il en coûte près de cinquante mille, la trésorerie leur ayant accordé dans son marché cinq pour cent. Flachat et Laporte ont peu de fortune et aucun crédit; Peregaldo et Payen sont des maisons ruinées et sans crédit; cependant, c'est à la réunion de ces quatre noms que l'on a confié tous les intérêts de la république en Italie. Ce ne sont pas des négocians, mais des agioteurs, comme ceux du Palais-Royal.
4°. Peregaldo, né à Marseille, s'est désavoué d'être Français; il a renié sa patrie et s'est fait Génois: il ne porte pas la cocarde, il est sorti de Gênes avec sa famille, répandant l'alarme en disant que nous allions bombarder Gênes. Je l'ai fait arrêter et chasser de la Lombardie. Devons-nous souffrir que de pareilles gens, plus mal intentionnées et plus aristocrates que les émigrés mêmes, viennent nous servir d'espions, soient toujours avec le ministre de Russie à Gênes, et s'enrichissent encore avec nous?
Le citoyen Lacheze, consul à Gênes, est un fripon: sa conduite à Livourne, en faisant vendre des blés à Gênes à vil prix, en est la preuve.
Les marchandises ne se vendent pas à Livourne. Je viens de donner des ordres à Flachat de les faire vendre; mais je parie que, grâce à tous ces fripons réunis, cela ne rendra pas deux millions: ce qui devrait en rendre sept au moins.
Quant aux commissaires des guerres, hormis Denniée, ordonnateur en chef, Boinod, Mazad et deux ou trois autres, le reste n'est que des fripons: il y en a trois en jugement; ils doivent surveiller, et ils donnent les moyens de voler, en signant tout. Il faut nous en purger, et nous en renvoyer de probes, s'il y en a; il faudrait en trouver qui eussent déjà de quoi vivre.
Le commissaire ordonnateur Gosselin est un fripon: il a fait des marchés de bottes à trente-six livres, qui ont été renouvelés depuis à dix-huit livres.
Enfin, vous dirai-je qu'un commissaire des guerres, Flack, est accusé d'avoir vendu une caisse de quinquina que le roi d'Espagne nous envoyait? D'autres ont vendu des matelas; mais je m'arrête, tant d'horreurs font rougir d'être Français. La ville de Crémone a fourni plus de cinquante mille aunes de toile fine pour les hôpitaux, que ces fripons ont vendue: ils vendent tout.
Vous avez calculé sans doute que vos administrateurs voleraient, mais qu'ils feraient le service et auraient un peu de pudeur: ils volent d'une manière si ridicule et si impudente, que, si j'avais un mois de temps, il n'y en a pas un qui ne pût être fusillé. Je ne cesse d'en faire arrêter et d'en faire mettre au conseil de guerre; mais on achète les juges: c'est ici une foire, tout se vend. Un employé accusé d'avoir mis une contribution de 18,000 fr. sur Salo, n'a été condamné qu'à deux mois de fers. Et puis comment voulez-vous prouver? ils s'étayent tous.
Destituez ou faites arrêter le commissaire ordonnateur Gosselin; destituez les commissaires dont je vous envoie la note. Il est vrai qu'ils ne demandent peut-être pas mieux.
Venons aux agens de l'administration.
Thevenin est un voleur, il affecte un luxe insultant: il m'a fait présent de plusieurs très-beaux chevaux dont j'ai besoin, que j'ai pris, et dont il n'y a pas eu moyen de lui faire accepter le prix. Faites-le arrêter et retenir six mois en prison; il peut payer 500,000 fr. de taxe de guerre en argent: cet homme ne fait pas son service. Les charrois sont pleins d'émigrés, ils s'appellent royal charrois, et portent le collet vert sous mes yeux; vous pensez bien que j'en fais arrêter souvent, mais ils ne sont pas ordinairement où je me trouve.
Sonolet, agent des vivres jusqu'aujourd'hui, est un fripon: l'agence des vivres avait raison.
Ozou est un fripon et ne fait jamais son service.
Collot fait son service avec exactitude, il a du zèle et plus d'honneur que ces coquins-là.
Le nouvel agent qui a été envoyé par Cerf-Beer paraît meilleur que Thevenin. Je ne vous parle ici que des grands voleurs. Diriez-vous que l'on cherche à séduire mes secrétaires jusque dans mon antichambre? Les agens militaires sont tous des fripons. Un nommé Valeri est en jugement à Milan, les autres se sont sauvés.
Le citoyen Faypoult, votre ministre; Poussielgue, secrétaire; et Sucy, commissaire ordonnateur, honnêtes hommes, sont témoins des friponneries que commet la compagnie Flachat à Gênes; mais je suis obligé de partir demain pour l'armée; grande joie pour tous les fripons qu'un coup d'oeil sur l'administration m'a fait connaître.
Le payeur de l'armée est un honnête homme, un peu borné; le contrôleur est un fripon, témoin sa conduite à Bologne.
Les dénonciations que je fais, sont des dénonciations en âme et conscience comme jury. Vous sentez que ce n'est pas dans ma place et avec mon caractère que je vous les dénoncerais, si j'avais le temps de ramasser des preuves matérielles contre chacun d'eux: ils se couvrent tous.
Desgranges, agent des vivres, est intelligent; mais il nous faudrait ici Saint-Maime, homme de mérite et de considération: le service se ferait, et vous épargneriez plusieurs millions: je vous prie de nous l'envoyer. Enfin il faudrait pour agens non pas des tripoteurs d'agiotage, mais des hommes qui eussent une grande fortune et un certain caractère. Je n'ai que des espions. Il n'y a pas un agent de l'armée qui ne désire notre défaite, pas un qui ne corresponde avec nos ennemis; presque tous ont émigré sous des prétextes quelconques; ce sont eux qui disent notre nombre et qui détruisent le prestige: aussi je me garde plus d'eux que de Wurmser; je n'en ai jamais avec moi; je nourris pendant les expéditions mon armée sans eux, mais cela ne les empêche pas de faire des comptes à leur manière.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai rendu compte, citoyens directeurs, que j'avais formé une colonne mobile à Tende contre les barbets; elle remplit parfaitement sa tâche. Les barbets sont mis de tous côtés en déroute, plusieurs de leurs chefs ont été fusillés. Le général Garnier, qui commande cette colonne mobile, montre beaucoup de zèle et se donne beaucoup de mouvement.
Les maladies continuent toujours, mais jusqu'à cette heure elles n'ont pas fait de grands ravages.
Je vous avais demandé dans ma dernière lettre vingt-cinq mille fusils; mais en ayant trouvé soixante-quatre mille à Livourne, appartenant au roi d'Espagne, j'en ai fait prendre vingt mille que j'ai fait conduire à l'armée. M. Azara, à qui j'en ai demandé la permission, m'a écrit que cela ne le regardait pas, mais qu'il n'y voyait pas un grand inconvénient, dès l'instant qu'on les ferait remplacer.
Je vous prie de prendre avec la cour d'Espagne les arrangemens que vous croirez bons. Si vous lui faites rendre ces fusils aux Pyrénées, elle y gagnera, puisqu'ils auraient pu être pris par les Anglais.
Les Autrichiens ont dans ce moment-ci quatorze mille hommes dans le Tyrol et quinze mille sur la Piave: ils attendent de nouveaux renforts. L'attaque tardera encore probablement quelques décades. Si la quatre-vingt-troisième est partie de Marseille comme je l'ai ordonné, et la quarantième de Lyon, comme le général Kellermann me l'a promis, il n'y a rien à craindre, et nous battrons encore cette fois-ci les Autrichiens. Si la circonstance de l'évacuation de la Méditerranée par les Anglais vous portait à ne pas vouloir faire la paix avec Naples, il faudrait chercher à l'amuser encore quelque temps. Je ne pense pas, si nous sommes maîtres de la mer, qu'il ose faire avancer des troupes par ici.
Si nous devenons maîtres de la Méditerranée, je crois qu'on doit exiger du commerce de Livourne 5 ou 6,000,000 fr. au lieu de 2 qu'il offre pour indemniser des marchandises qu'il a aux Anglais.
Enfin, citoyens directeurs, plus vous nous enverrez d'hommes, plus non-seulement nous les nourrirons facilement, mais encore plus nous lèverons de contributions au profit de la république. L'armée d'Italie a produit dans la campagne d'été 20,000,000 fr. à la république, indépendamment de sa solde et de sa nourriture: elle peut en produire le double pendant la campagne d'hiver, si vous nous envoyez en recrues et en nouveaux corps une trentaine de mille hommes.
Rome et toutes ses provinces, Trieste et le Frioul, même une partie du royaume de Naples deviendront notre proie; mais, pour se soutenir, il faut des hommes.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ferai passer, citoyens directeurs, la lettre que je viens de recevoir du général Gentili: il paraît, d'après cela, que la Méditerranée va devenir libre. La Corse, restituée à la république, offrira des ressources à notre marine, et même un moyen de recrutement à notre infanterie légère.
Le commissaire du gouvernement, Salicetti, part ce soir pour Livourne pour se rendre en Corse. Je vais ordonner à la huitième division de tenir un bataillon prêt à embarquer à Toulon; je ferai également partir un bataillon de Livourne, lesquels, joints à deux corps de gendarmerie, suffiront pour y établir le bon ordre.
Le général Gentili va commander provisoirement cette division: je lui donne les instructions nécessaires pour l'organisation de deux corps de gendarmerie. Je l'autorise provisoirement à mettre en réquisition plusieurs colonnes mobiles, pour pouvoir donner force au commissaire du gouvernement de pouvoir occuper les forteresses jusqu'à l'arrivée des troupes françaises. Lorsque ces troupes seront arrivées dans l'île, mon projet est d'y envoyer le général Berruyer pour y commander: j'y envoie un officier d'artillerie et un du génie pour y organiser la direction; mais comme cette île contient cinq à six forteresses aussi faibles qu'inutiles, je leur prescris de ne faire aucune dépense, mais seulement de faire des projets pour la défense du golfe Saint-Florent: il n'y a que ce point qui soit bien essentiel à la république, et où dès-lors il conviendrait de concentrer toute la défense de l'île, en y établissant une place, une fortification permanente, et en y employant pour la construire les sommes que coûteraient la réparation et l'entretien des forteresses inutiles de Bastia, Corte, Calvi, Ajaccio et Bonifaccio, où il suffit d'entretenir simplement des batteries de côtes. Si nous eussions eu une place à Saint-Florent et que nous y eussions concentré toutes nos forces, les Anglais ne se seraient pas emparés de cette île.
Comme l'établissement de Saint-Florent est encore en l'air, je crois que vous devriez concentrer toute l'administration militaire à Ajaccio, qui, jusqu'à ce que Saint-Florent soit devenu quelque chose, est le point le plus intéressant de l'île. Ce serait une grande faute que de placer à Bastia, comme l'avait fait l'ancienne administration, le point central de l'administration, vu que Bastia étant situé du côté de l'Italie, communique très-difficilement avec la France. L'expulsion des Anglais de la Méditerranée a une grande influence sur le succès de nos opérations militaires en Italie. L'on doit exiger de Naples des conditions plus sévères, cela fait le plus grand effet moral sur l'esprit des Italiens, assure nos communications, et fera trembler Naples jusque dans la Sicile.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Bologne, Modène, Reggio et Ferrare se sont réunis en congrès, en envoyant à Modène une centaine de députés: l'enthousiasme le plus vif et le patriotisme le plus pur les animent; déjà ils voient revivre l'ancienne Italie: leur imagination s'enflamme, leur patriotisme se remue, et les citoyens de toutes les classes se serrent. Je ne serais pas étonné que ce pays-ci et la Lombardie, qui forment une population de deux à trois millions d'hommes, ne produisissent vraiment une grande secousse dans toute l'Italie. La révolution n'a pas ici le même caractère qu'elle a eu chez nous: d'abord, parce qu'elle n'a pas les mêmes obstacles à vaincre et que l'expérience a éclairé les habitans; nous sommes bien sûrs au moins que le fanatisme ne nous fera pas de mal dans ce pays-ci, et que Rome aura beau déclarer une guerre de religion, elle ne fera aucun effet dans ce pays conquis.
Une légion de deux mille cinq cents hommes s'organise, habillée, soldée et équipée aux frais de ce pays-ci et sans que nous nous en mêlions. Voilà un commencement de force militaire, qui, réunie aux trois mille cinq cents que fournit la Lombardie, fait à peu près six mille hommes. Il est bien évident que si ces troupes, composées de jeunes gens qui ont le désir de la liberté, commencent à se distinguer, cela aura pour l'empereur et pour l'Italie des suites très-importantes. Je vous enverrai par le prochain courrier les actes et les manifestes publiés à cette occasion par le congrès.
J'attends avec quelque impatience les troupes que vous m'annoncez. J'ai fait sommer Wurmser dans Mantoue, je vous ferai passer la sommation; je n'ai pas jugé à propos de me servir de l'arrêté que vous m'envoyez, puisque vous m'en laissez le maître: par la réponse qu'il me fera, je verrai le ton qu'il prend. Le courrier que vous m'avez ordonné d'envoyer à Vienne est parti il y a long-temps: il doit être arrivé à cette heure, et j'en attends la réponse.
Dès l'instant que je saurai bien positivement que les Anglais ont passé le détroit, et que je saurai quelles sont vos intentions sur Naples et où en sont vos négociations, je prendrai avec Rome le ton qu'il convient: j'espère que j'obligerai ces gaillards-là à restituer l'argent qu'ils envoyaient pour la contribution et qu'ils ont fait retourner de Ravenne à Rome.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au général Gentili.
Vous passerez en Corse, citoyen général, pour y commander cette division. Arrivé dans cette île, vous donnerez le commandement temporaire de Bastia au citoyen Ristori, chef de brigade; celui d'Ajaccio au citoyen Regi, chef de brigade; celui de Saint-Florent au citoyen Jean-Charles Cotoni, capitaine; celui de Corte au citoyen Collé, chef de brigade; celui de Bonifaccio au citoyen Sabrini, capitaine, et celui de Calvi au citoyen Mamobli, capitaine.
Vous lèverez trois compagnies dans la garde nationale de Bastia, qui feront le service de la forteresse; vous choisirez trois capitaines patriotes, entre autres, le citoyen Girasco.
Vous lèverez deux compagnies dans la garde nationale d'Ajaccio, qui feront le service de la garde de la forteresse; vous nommerez capitaines les citoyens Tornano et Levio.
Vous lèverez de même une compagnie, prise dans la garde de Bonifaccio, de Calvi, de Saint-Florent et de Corte, pour la garde des forteresses et des magasins de la place.
Vous ferez extraire des compagnies de gendarmerie de la vingt-huitième division tous les officiers et soldats qui sont des départemens du Liamone et du Golo. Vous laisserez le commandement de la gendarmerie du département du Liamone au citoyen Gentili, avec le grade de chef de bataillon.
Vous vous concerterez avec le commissaire du gouvernement Salicetti pour le choix des autres emplois; vous prendrez des hommes attachés à la république et à la liberté.
Vous organiserez trois colonnes mobiles dans le département du Golo, fortes chacune de trois cents hommes. Vous en organiserez deux dans le département du Liamone. Vous donnerez le commandement de l'une au citoyen Grimaldi; vous choisirez pour les deux autres des patriotes braves et républicains: en Balagne et dans les terres des communes, vous choisirez, pour commander l'une des colonnes mobiles du département du Liamone, le citoyen Bouchi, et un patriote reconnu pour le côté de la Rogue.
Vous accorderez un pardon général à tous ceux qui n'ont été qu'égarés; vous ferez arrêter et juger par une commission militaire les quatre députés qui ont porté la couronne au roi d'Angleterre, les membres du gouvernement et les meneurs de cette infâme trahison, entre autres les citoyens Pozzo di Borgo; Bertholani, Piraldi, Stefanopoli, Tartarolo, Filipi et l'un des chefs de bataillon qui seront convaincus d'avoir porté les armes contre les troupes de la république.
Ainsi, la vengeance nationale n'aura à peser que sur une trentaine d'individus, qui se seront peut-être sauvés avec les Anglais.
Vous ferez également arrêter tous les émigrés, s'il y en avait qui eussent l'audace de continuer leur séjour dans les terres occupées par les troupes républicaines.
Mais je vous recommande surtout de faire une prompte justice de quiconque, par un ressentiment contraire à la loi, se serait porté à assassiner son ennemi; enfin, citoyen général, faites ce qui dépend de vous pour rétablir la tranquillité dans l'île, étouffer toutes les haines, et réunir à la république ce pays si longtemps agité.
Le payeur de l'armée aura soin de fournir aux dépenses de la solde des différens corps de troupes françaises, qui partiront de Toulon au moment où la liberté des passages sera constatée, et qui se rendront en Corse pour occuper les forteresses.
Vous donnerez l'ordre au général Lavoni et à l'adjudant-général Galliazzini de se rendre à Modène, ainsi qu'à tous les officiers supérieurs qui seraient en activité dans les demi-brigades de cette armée, hormis ceux qui auraient été désignés comme devant remplir des commandemens temporaires, et qui dès-lors seront remplacés à leurs corps.
L'ordre est donné pour qu'il ne soit payé aucun traitement à un officier hors de sa demi-brigade; engagez tous ceux qui sont avec vous à rejoindre leurs corps, où leur présence est nécessaire, tandis qu'elle devient inutile en Corse. Cependant, si vous croyez qu'il y en ait quelques-uns que vous dussiez garder, vous m'en enverrez la note, afin qu'il leur soit accordé de deux à trois décades, pour ensuite rejoindre leurs corps; vous aurez soin aussi de n'oublier aucun moyen pour faire passer à Livourne et de là à l'armée le plus de Corses qu'il sera possible. À cet effet, il sera nécessaire d'établir à Livourne un dépôt pour les habiller, les armer et leur donner leur route, à mesure qu'ils arriveront. Le seul moyen de faire sortir de Corse tous les hommes inquiets, ceux mêmes qui ont combattu pour les Anglais, c'est de les envoyer à l'armée. Si vous pouvez vous emparer de l'île d'Elbe avec le général Serrurier, auquel je donne l'ordre de vous aider dans le cas où cette expédition serait possible, je vous autorise à en prendre possession.
Tenez-moi souvent instruit de tout ce que vous ferez. Donnez l'ordre à deux des députés les plus intelligens de se rendre au quartier-général, qui sera à Bologne ou à Ferrare.
BONAPARTE.
Modène, le 26 vendémiaire an 5 (17 octobre 1796).
Au citoyen Cacault, agent de la république à Rome.
Je reçois à l'instant la nouvelle que les Anglais évacuent la Méditerranée: ils ont déjà évacué la Corse, qui a arboré l'étendard tricolor, et m'a envoyé des députés pour prêter serment d'obéissance.
Un courrier arrivé de Toulon m'apporte la nouvelle que notre escadre, composée de dix-huit vaisseaux de guerre et de dix frégates, est sur le point de mettre à la voile; qu'elle est déjà dans la grande rade, et qu'elle a à sa suite un convoi de soixante voiles chargé de troupes de débarquement.
Le délire étrange du pays où vous êtes ne sera pas long, il y sera bientôt porté un prompt remède. Cette folie passera comme un rêve; ce qui restera, ce sera la liberté de Rome et le bonheur de l'Italie.
Cent députés de Bologne, Modène, Reggio et Ferrare ont été réunis ici: il règne dans tous ces pays un enthousiasme auquel on n'avait pas le droit de s'attendre. La première légion de la Lombardie est déjà organisée, la première légion italienne s'organise: c'est le général Rusca qui commande cette légion. Vous sentez bien que j'ai mis un bon nombre de vieux officiers accoutumés à vaincre et à commander.
Restez, toutefois, encore à Rome. L'intention du gouvernement est qu'on mette ces gens dans leur tort.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bologne, le 28 vendémiaire an 5 (19 octobre 1796).
Au peuple de Modène.
J'ai vu avec plaisir en entrant dans votre ville l'enthousiasme qui anime les citoyens, et la ferme résolution où ils sont de conserver leur liberté. La constitution et votre garde nationale seront promptement organisées; mais j'ai été affligé de voir les excès auxquels se sont portés quelques mauvais sujets indignes d'être Bolonais.
Un peuple qui se livre à des excès est indigne de la liberté; un peuple libre est celui qui respecte les personnes et les propriétés. L'anarchie produit la guerre intestine et les calamités publiques. Je suis l'ennemi des tyrans; mais avant tout je suis l'ennemi des scélérats, des brigands qui les commandent lorsqu'ils pillent; je ferai fusiller ceux qui, renversant l'ordre social, sont nés pour l'opprobre et le malheur du monde.
Peuple de Bologne, voulez-vous que la république française vous protège? voulez-vous que l'armée française vous estime et s'honore de faire votre bonheur? voulez-vous que je me vante quelquefois de l'amitié que vous me témoignez? Réprimez ce petit nombre de scélérats, faites que personne ne soit opprimé: quelles que soient ses opinions, nul ne peut être opprimé qu'en vertu de la loi...; faites surtout que les propriétés soient respectées.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Ferrare, le 50 vendémiaire an 5 (21 octobre 1796).
À Monsieur le cardinal Mattei.
La cour de Rome a refusé d'adopter les conditions de paix que lui a offertes le directoire; elle a rompu l'armistice; et en suspendant l'exécution des conditions, elle arme: elle veut la guerre, elle l'aura; mais, avant de pouvoir de sang-froid prévoir la ruine et la mort des insensés qui voudront faire obstacle aux phalanges républicaines, je dois à ma nation, à l'humanité, à moi-même, de tenter un dernier effort pour ramener le pape à des sentimens plus modérés, conformes à ses vrais intérêts, à son caractère et à la raison. Vous connaissez, monsieur le cardinal, les forces et la puissance de l'armée que je commande: pour détruire la puissance temporelle du pape, il ne me faudrait que le vouloir. Allez à Rome; voyez le Saint-Père, éclairez-le sur ses vrais intérêts; arrachez-le aux intrigans qui l'environnent, qui veulent sa perte et celle de la cour de Rome. Le gouvernement français permet encore que j'écoute des négociations de paix; tout pourrait s'arranger. La guerre, si cruelle pour les peuples, a des résultats terribles pour les vaincus; évitez de grands malheurs au pape: vous savez combien je désire finir par la paix une lutte que la guerre terminerait pour moi sans gloire comme sans périls.
Je vous souhaite, monsieur le cardinal, dans votre mission, le succès que la pureté de vos intentions mérite.
BONAPARTE.
Vérone, le 3 brumaire an 5 (24 octobre 1796).
Au citoyen Cacault.
Je vous ferai passer une lettre du ministre Delacroix. Le directoire me prévient que vous êtes chargé de continuer les négociations avec Rome. Vous me tiendrez exactement instruit de ce que vous ferez, afin que je saisisse le moment favorable pour exécuter les intentions du directoire exécutif. Vous sentez bien qu'après la paix avec Naples et avec Gênes, la bonne harmonie qui règne avec le roi de Sardaigne, la reprise de la Corse et notre supériorité décidée dans la Méditerranée, je n'attendrai que le moment pour m'élancer sur Rome et y venger l'honneur national: la grande affaire actuellement est de gagner du temps. Mon intention est, lorsque j'entrerai sur les terres du pape, ce qui encore est éloigné, de le faire, en conséquence de l'armistice, pour prendre possession d'Ancône; de là, je serai plus à même d'aller plus loin, après avoir mis en ordre mes derrières.
Enfin, le grand art actuellement est de jeter réciproquement la balle pour tromper le vieux renard. Si vous pouviez obtenir un commencement d'exécution de l'armistice, je crois que cela serait bon, mais difficile, à ce que je crois.
Nos affaires reprennent aujourd'hui, et la victoire paraît revenir sous nos drapeaux.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 5 brumaire an 5 (24 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Je suis fâché, citoyens directeurs, que votre lettre du 20 vendémiaire me soit arrivée trop tard. Je vous prie de vous reporter aux circonstances où je me trouvais: Rome imprimant des manifestes fanatiques; Naples faisant marcher des forces; la régence de Modène manifestant ses mauvaises intentions et rompant l'armistice en faisant passer des convois à Mantoue. La république française se trouvait avilie, menacée: ce coup de vigueur, de rompre l'armistice de Modène, a rétabli l'opinion et a réuni Bologne, Ferrare, Modène et Reggio sous un même bonnet. Le fanatisme s'est trouvé déjoué, et les peuples, accoutumés à trembler, ont senti que nous étions encore là: la république avait le droit de casser un armistice qui n'était pas exécuté. La régence même ne désavoue pas d'avoir envoyé des secours dans Mantoue.
Modène, Reggio, Ferrare et Bologne, réunis en congrès, ont arrêté une levée de deux mille huit cents hommes, sous le titre de Première légion italienne: l'enthousiasme est très-grand; les paysans qui portaient des vivres dans Mantoue sont venus eux-mêmes nous apprendre les routes cachées qu'ils tenaient. La plus parfaite harmonie règne entre nous et les peuples.
A Bologne, ville de soixante-quinze mille âmes, l'enthousiasme est extrême: déjà même la dernière classe du peuple s'est portée à des excès; ils ne voulaient pas reconnaître le sénat: il a fallu les laisser organiser leur constitution et me prononcer fortement pour le sénat, afin de rétablir l'ordre.
A Ferrare, un évêque cardinal, prince romain qui jouit de 150,000 liv., donne tout au peuple et est toujours dans l'église. Je l'ai envoyé à Rome sous le prétexte de négocier, mais dans la réalité pour m'en débarrasser: il a été content de sa mission.
La folie du pape est sans égale; mais la nouvelle de Naples et de la Méditerranée le fera changer. Mon projet, lorsque je le pourrai, est de me rendre à Ancône au moyen de l'armistice, et de n'être ennemi que là.
Je vous ferai passer une proclamation que j'ai faite à Bologne, et la lettre que j'ai écrite au cardinal archevêque de Ferrare.
Je vous fais mon compliment du traité souscrit avec Gênes: il est utile sous tous les rapports.
La vente de Livourne se fait actuellement. J'occupe, avec une petite garnison, Ferrare. Les barbets sont battus, défaits et fusillés. Vos ordres pour mettre les licenciés à la solde du congrès de la Lombardie sont exécutés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5 (25 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Nous sommes en mouvement: l'ennemi paraît vouloir passer la Piave pour s'établir sur la Brenta; je le laisse s'engager: les pluies, les mauvais chemins, les torrens m'en rendront bon compte.
Nous verrons comme cela s'engagera. Je vous prie de me dire la conduite que je dois tenir à Trieste, si jamais, après la saison des pluies et une bonne victoire, j'étais obligé de porter la guerre dans le Frioul. Si vous pouviez envoyer trois frégates dans l'Adriatique, elles seraient utiles dans toutes les hypothèses.
La paix avec Naples et Gênes, notre situation avec les peuples, et les troupes que vous annoncez, vous assurent l'Italie, si elles arrivent. La vingt-neuvième demi-brigade, partie de Paris, forte de 4,000 hommes, est arrivée ici à 1100. Si Willot ne retient que 2,000 hommes, la quatre-vingt-troisième devrait déjà être en marche. Cette très-bonne demi-brigade est forte de 2,500 hommes: elle se repose depuis un an; elle devrait, selon mes ordres, être déjà à Nice. Si je l'ai avant les grands coups, comme il paraît que j'aurai la quarantième, j'espère non-seulement battre les Autrichiens, prendre Mantoue, mais encore prendre Trieste, obliger Venise à faire ce que l'on voudra, et planter nos drapeaux au Capitole.
Il sera nécessaire d'envoyer en Corse au moins 1200 hommes; il serait bon que quelques frégates se rendissent à Ajaccio et à Saint-Florent, pour se faire voir.
Si vous envoyez quelques frégates dans l'Adriatique, il serait bon qu'un officier de l'équipage vînt se concerter avec moi pour choisir un point pour les protéger et de correspondance. Il serait bon qu'une grosse gabarre vînt à l'embouchure du Pô, je la chargerais de chanvre et de bois de construction: elle pourrait en place nous apporter trois mille fusils, dix mille baïonnettes, deux mille sabres de chasseurs et de hussards, quatre mille obus de six pouces, mille boulets de 12, et six mille boulets de 18: ce sont des choses dont nous avons toujours besoin. Je ne vois que ce moyen pour que la marine ait bientôt des approvisionnemens, qui sont abondans dans le Ferrarais et la Romagne. Si l'on craint de manquer de blé au printemps, l'on peut envoyer des bateaux à l'embouchure du Pô, je ferai filer tout le blé que l'on voudra.
Les neiges tombent, cela n'empêche pas de se battre dans le Tyrol. Il ne sera pas impossible que j'évacue Trente: j'en serais fâché, les habitans nous sont très-affectionnés; je ne le ferai qu'au moment où cela sera utile: je n'y pense pas encore.
Wurmser est à la dernière extrémité; il manque de vin, de viande et de fourrage; il mange ses chevaux et a quinze mille malades. Il a trouvé le moyen de faire passer à Vienne la proposition que je lui ai faite. Je crois que nous serons bientôt aux mains ici: dans cinq décades, Mantoue sera pris ou délivré. S'il m'arrive seulement la quatre-vingt-troisième et la quarantième, c'est-à-dire, cinq mille hommes, je réponds de tout; mais, une heure trop tard, ces forces ne seront plus à temps. Si j'étais forcé de me replier, Mantoue serait secouru.
Je fais travailler à force à fortifier Pizzighitone et le château de Tresso, sur l'Adda, ainsi que nos deux ponts sur le Pô.
Six cents matelots ou soldats faits prisonniers par les Anglais sont arrivés de Bastia à Livourne. Lorsque vous enverrez des troupes en Corse, je crois que vous ferez bien de ne choisir, pour y commander, aucun général ni commandant de place, de ce pays.
On a le projet, à ce que j'apprends, de donner une amnistie générale en Corse: il faut, à ce que je crois, en excepter: 1°. les quatre députés qui ont porté la couronne à Londres; 2°. les membres du conseil d'état du vice-roi, composé de six personnes; enfin les émigrés, qui étaient portés comme tels sur les registres du département. Je crois que c'est la seule mesure de rendre l'amnistie sûre, cela n'en exceptera que douze ou quinze; sur tant de coupables, c'est être indulgent.
J'ai fait arrêter à Livourne le citoyen Panalieri, secrétaire de Paoli, arrivant de Londres, et venant de nouveau intriguer.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5 (25 octobre 1796).
Au directoire exécutif.
Il paraît, citoyens directeurs, par votre lettre de vendémiaire, que les savans et artistes se sont plaints d'avoir manqué de quelque chose: il serait très-ingrat de notre part de ne pas leur donner tout ce qui leur est nécessaire, car ils servent la république avec autant de zèle que de succès, et je vous prie de croire que, de mon côté, j'apprécie plus que personne les secours réels que rendent à l'état les arts et les sciences, et que je serai toujours empressé de seconder de tout mon zèle vos intentions sur cet objet.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5 (25 octobre 1796).
Au citoyen Poussielgue.
J'ai reçu votre lettre du 30. Les propositions ne sont pas acceptables. Donner toute la Lombardie pour un secours de huit mille hommes, c'est-à-dire pour 5,000, car il n'y en aura jamais davantage, c'est trop demander aujourd'hui, que la paix avec Naples et Gênes est faite. Le Piémont gagne beaucoup à faire une alliance avec nous; il est sûr par là d'effacer de l'esprit de ses sujets le mépris que leur donne le dernier traité. Ajoutez à cela: 1°. des espérances vagues d'être favorisé dans le traité de paix; 2°. les fiefs impériaux, ou un équivalent de masse du côté de la rivière de Gênes: cela devrait être bien suffisant.
L'article II est inadmissible; jamais la France ne garantirait rien qu'autant que le succès permettrait de l'obtenir. Continuez toujours vos négociations.
Tout ici va bien.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 4 brumaire an 5 (25 octobre 1796).
Aux membres du congrès d'état.
Je vous autorise, messieurs, à prendre toutes les mesures que vous croyez utiles, en les communiquant au général commandant la Lombardie, et obtenant son approbation.
Vous pouvez, en conséquence, accorder aux étrangers la faculté d'acheter des biens stables dans la Lombardie, rappeler tous les absens et surtout ceux demeurant en pays ennemi, sous peine de séquestrer leurs biens; saisir les rentes de ceux qui servent chez des puissances ennemies; chasser tous les prêtres et les moines qui ne sont pas natifs de la Lombardie; accroître l'imposition directe au point de pouvoir suffire à la solde journalière de la légion lombarde; changer les municipalités, les préteurs et les professeurs des écoles; et pour chacune de ces mesures il vous faudra, à chaque acte, le conseil du général commandant la Lombardie.
Quant à la saisie de toute l'argenterie des églises, je la crois nécessaire; mais je pense que la moitié vous suffit pour la légion lombarde; l'autre moitié sera versée dans la caisse de l'armée, qui éprouve des besoins réels.
J'ai renvoyé l'exécution de cette mesure essentielle aux commissaires du gouvernement, qui nommeront un agent pour se concerter avec vous.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 7 brumaire an 5 (28 octobre 1796).
Au citoyen Cacault.
Je vous fais passer un paragraphe que je reçois en ce moment du directoire. Je vous prie, en conséquence, de commencer des ouvertures avec le cardinal secrétaire d'état, ou de vous servir du cardinal Mattei, qui pourra parler directement au pape. Dès l'instant que la cour de Rome sera décidée à ouvrir une nouvelle négociation avec nous, vous m'en ferez part, et vous pourriez venir avec le ministre qu'elle aura nommé, dans une ville que je vous indiquerai, comme par exemple, Crémone.
Vous pouvez donc signifier au pape que la réponse de Paris m'est arrivée, que, par une suite des sentimens de modération qu'a adoptés le gouvernement français, il m'a chargé de terminer avec Rome toute espèce de différent, soit par les armes, soit par une nouvelle négociation. Désirant donner au pape une marque du désir que j'ai de voir cette guerre si longue se terminer, et les malheurs qui affligent la nature humaine avoir un terme, je lui offre une manière honorable de sauver encore son honneur et le chef de la religion. Vous pouvez l'assurer de vive voix que j'ai toujours été contraire au traité qu'on lui a proposé, et surtout à la manière de négocier; que c'est en conséquence de mes instances particulières et réitérées, que le directoire m'a chargé d'ouvrir la route d'une nouvelle négociation. J'ambitionne bien plus d'être le sauveur du Saint-Siège, que d'en être le destructeur. Vous savez vous-même que nous avons toujours eu des principes conformes, et moyennant la faculté illimitée que m'a donnée le directoire, si l'on veut être sage à Rome, nous en profiterons pour donner la paix à cette belle partie du monde, et tranquilliser les consciences timorées de beaucoup de peuples.
J'attends votre réponse par le retour du courrier.
Rien de nouveau des armées. L'armée de Sambre-et-Meuse s'avance sur le Mein, et l'armée du Rhin a délivré Kelh et est absolument hors de tout danger.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5 (1er novembre 1796).
A son altesse royale le duc de Parme et de Plaisance.
J'ai reçu la lettre de votre altesse royale, le 24 octobre; je me suis empressé de satisfaire à ce qu'elle désire. L'intention du gouvernement français est de faire tout ce qui pourra être agréable à votre altesse royale: elle me trouvera, dans toutes les circonstances, prêt à lui donner les secours et les forces dont elle pourrait avoir besoin.
Si des employés de l'armée se conduisaient mal, j'invite votre altesse royale à les faire arrêter: lorsqu'ils sont dans ses états, ils doivent s'y comporter avec la décence et le respect qui est dû à l'autorité du prince. Lorsque votre altesse royale voudra m'en tenir instruit, je les ferai sévèrement punir.
La bonne intelligence qui règne entre les deux états, la bonne conduite que votre altesse royale a tenue dans toutes les circonstances, doivent l'assurer de l'amitié et de la protection de la république française contre ceux qui voudraient méconnaître son autorité et transgresser les lois établies dans ses états. Je serai toujours charmé de trouver les occasions de témoigner à votre altesse royale les sentimens d'estime et de considération, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5 (1er novembre 1796).
Au commandant de Plaisance.
L'intention du gouvernement français, citoyen, est que non-seulement la neutralité qui existe entre la république française et les états de Parme soit respectée, mais encore que le prince soit protégé par l'armée française toutes les fois qu'il en aurait besoin.
Vous voudrez bien vous conduire en conséquence, et punir sévèrement tout Français qui s'écarterait de cette conduite.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5 (1er novembre 1796).
Au général Serrurier.
Je ne reconnais pas au commissaire du gouvernement le droit de faire des arrêtés pour requérir des généraux de division. Je vous renvoie, en conséquence, l'arrêté des commissaires.
Quand le général Gentili, chargé de l'expédition, vous demandera quelque chose, vous serez maître de le lui accorder lorsque vous penserez qu'il ne pourra en résulter aucun inconvénient; mais ne m'alléguez jamais un arrêté des commissaires, qui pour moi est absolument insignifiant: et cette méthode est sujette à trop d'abus pour que vous ne sentiez pas vous-même la conséquence de ne pas y donner lieu. Quand les commissaires vous envoient un arrêté, renvoyez-le, en disant que vous ne connaissez d'ordres que ceux de l'état-major.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5 (1er novembre 1796).
Au général Gentili.
J'ai reçu, citoyen général, la lettre que vous m'avez écrite. J'ai vu avec plaisir que vous ne perdiez pas de vue l'occasion de vous emparer de l'île d'Elbe. Je n'ai pas encore sur la Corse des nouvelles assez précises; mais du moment que nous serons maîtres de la mer, des frégates françaises se rendront à Ajaccio, et ce ne sera qu'à leur retour que je ferai passer des troupes en Corse. Vous devez vivre en bonne intelligence avec le commissaire du gouvernement, sans vous croire obligé pourtant d'obéir à tous les arrêtés qu'il pourrait prendre pour le service militaire, qui vous regarde seul. Vous devez surtout ne permettre aucun acte législatif, ni qu'on s'éloigne en rien des lois constitutionnelles de la république. Il faut que la Corse soit une bonne fois française, et il ne faut plus y entretenir ce petit tripotage de connivences particulières, qui tendent à éloigner les amis de la France. Je ne crois pas que l'intention du gouvernement soit d'accorder une amnistie aux quatre citoyens qui ont eu assez de bassesse pour porter la couronne au roi d'Angleterre, et à ceux qui étaient membres du conseil d'état.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 11 brumaire an 5 (1er novembre 1796).
Au commissaire ordonnateur en chef.
Le sénat de Bologne a fourni au citoyen Arena plus de soixante mille aunes de toiles, estimées trois à quatre cent mille liv. Comme cet entrepreneur n'avait point d'ordre pour fournir des chemises, que le peu qu'il en a présenté au magasin était défectueux, impropre au service, et de toile grossière, vous voudrez bien ordonner à cet entrepreneur de ne faire aucune fourniture, mais le prévenir que la valeur de ladite toile sera portée en compte de la valeur de ses fournitures de souliers: on m'assure qu'il lui est dû à peu près le montant de ladite toile, surtout en faisant prendre les quarante mille paires de souliers qu'il a dans ce moment à Milan.
Je vous prie de ne pas perdre un instant pour vous rendre à Vérone avec le payeur, parce qu'il est instant que nous prenions des mesures pour le service de l'armée et des opérations qui doivent avoir lieu. Quoique vous puissiez être incommodé, votre seule présence à Vérone vous mettra à même de diriger le commissaire qui vous remplace, et de donner de l'unité au service. Je vous prie, avant de partir, de voir le citoyen Flachat, pour savoir si toutes les soies et marchandises qui existaient à Milan sont vendues, et quels sont les fonds qu'il peut fournir à l'armée.
Voyez aussi le congrès d'état et la municipalité de Milan, pour savoir où en sont les contributions; voyez également sur cet objet les bureaux des commissaires du gouvernement, et qu'ils vous disent enfin clairement les ressources qu'ils ont pour l'armée: tous ces gens-là ne pensent qu'à voler. S'il arrivait que vous ne pussiez pas absolument venir, voyez à charger quelqu'un de votre opération; envoyez-lui, à cet effet, les instructions dont il aura besoin.
J'apprends avec indignation que le citoyen Auzon se retire avec les quinze ou seize cent mille liv. qu'il a à l'armée; cette conduite est celle d'un escroc.
Le service des charrois de l'artillerie, celui des fourrages, celui de la viande, enfin tous les services exigent que l'on prenne un parti.
Rendez-vous donc sur-le-champ ici.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 13 brumaire an 5 (3 novembre 1796).
Au commissaire du gouvernement.
Nous manquons entièrement d'argent; toutes nos caisses sont vides et tous nos services entravés: le service même du prêt du soldat n'est pas assuré. Vos bureaux, citoyen commissaire, font de très-beaux états qui ne sont jamais d'accord avec le payeur, et, depuis trois mois que l'on cherche à concilier vos comptes, il n'y a jamais moyen de trouver l'emploi de trois ou quatre millions qui existent de différence.
L'ordonnateur, depuis deux mois, n'a reçu que deux millions: tout souffre, et nous sommes en présence de l'ennemi. Vous m'aviez dit que vous faisiez passer les vingt-mille livres de Modène à Milan, et on n'en a fait passer que la moitié. Des trois cent mille livres qui devaient être soldées à Ferrare, il n'a été soldé que la moitié. Quant à Livourne, bien loin de nous présenter de l'argent, on nous offre de cinq à six cent mille liv., portées sans aucune forme légale. La compagnie Flachat, qui a toutes les ressources de l'armée, qui a tous les fonds, qui fait tous ses services en promesses, est la seule qui ait les moyens de pourvoir aux besoins urgens du moment. Faites qu'elle verse dans la caisse du payeur général de l'armée quinze cent mille liv. Vous devez fournir à nos besoins, et depuis deux mois, l'ordonnateur crie que tous les services manquent.
Je vous prie donc, citoyen commissaire, de songer que toute l'armée est en mouvement, que nous sommes en présence de l'ennemi, que le moindre retard peut nous être funeste; occupez-vous donc à faire fournir à l'ordonnateur l'argent qui est nécessaire: nous sommes ici à la veille des plus grands événemens. Si la quatre-vingt-troisième demi-brigade, aujourd'hui soixante-quinzième, était partie de Marseille, conformément à l'ordre que j'ai donné, nous n'aurions rien à craindre, mais trois mille hommes de bonne troupe de moins, dans des circonstances comme celles-ci, sont pour nous un terrible malheur. La quarantième même arrive bien tard: il paraît que tout au plus le premier bataillon arrivera à temps; cependant, comme nous avons quelques bataillons en route, je vous prie d'expédier un courrier au général Kellermann, pour le requérir et le prier de faire filer ce qu'il y a de disponible. Toutes les troupes de l'Empire sont arrivées en poste avec une célérité surprenante; ils paraissent vraiment décidés à faire de grands sacrifices, et nous, on nous a livrés à nous-mêmes: de belles promesses et quelques petits corps de troupe sont tout ce qu'on nous a donné.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vérone, le 15 brumaire an 5 (5 novembre 1796).
Au général Baraguay d'Hilliers.
Nous sommes en présence de l'ennemi, qui a passé la Piave. Vous sentez combien nous avons besoin de troupes; activez donc la marche de tous les dépôts et de tous les bataillons qui nous arrivent, bien entendu que vous prendrez des mesures pour que les fusils qui sont à Crémone soient répartis aux dépôts de Lodi et de Cassano, et que tous les soldats qui nous viendront soient armés. Vous dirigerez les dépôts des divisions d'Augereau et de Masséna sur Verone, où ils prendront de nouveaux ordres à l'état-major; les dépôts de Mantoue à l'ordinaire, et les dépôts de la division du général Vaubois, à Peschiera, où ils recevront de nouveaux ordres. Envoyez-nous promptement les quatre-vingts hommes du cinquième régiment de dragons que vous avez gardés à Milan; faites partir le premier bataillon de la légion lombarde pour Verone. Vous ne nous écrivez plus assez. Nous ne savons plus exactement ce qui arrive à Milan: il faut que vous ayez une correspondance suivie avec le général qui commande à Tortone, pour être instruit du jour où partent les différens bataillons de Tortone, des jours où ils arrivent à Milan, et l'annoncer aussitôt.
L'ennemi paraît en force: il est nécessaire d'avoir à la fois de l'activité, de la vigilance, et de seconder de votre mieux les opérations de l'armée, spécialement les approvisionnemens de l'artillerie. Ayez l'oeil sur ce qui pourrait se passer du côté de Bergame et dans les vallées de Trompir et Dider: quoique ce soit loin de vous, cela vous intéresse trop, pour que vous ne soyez pas prévenu avant tous les autres de ce qui pourrait arriver de ce côté-là, qui méritât votre attention.
L'armée manque totalement de fonds, le service même du prêt est exposé. Je vous prie de remettre la lettre que je vous fais passer au commissaire du gouvernement, s'il y est, ou au citoyen Flachat. Voyez également le congrès d'état et la municipalité de Milan, pour que tout ce qui est dû soit promptement payé.
Si nous faisons des prisonniers, peut-être les ferai-je passer de l'autre côté du Pô, pour les dépayser. J'espère que la deuxième cohorte de la légion lombarde sera promptement organisée, ce qui vous fournira les moyens d'escorte.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 14 brumaire an 5 (4 novembre 1796).
Au chef de l'état-major.
Le général Masséna a évacué aujourd'hui Bassano, à cinq heures du matin, l'ennemi se trouvant en force à Castel Franco. La soixante-quinzième doit être arrivée, à cette heure, à Vicence. Le général Augereau est déjà à Montebello: indépendamment des hussards du premier régiment, ce général aura encore le vingtième de dragons, fort de trois cent cinquante hommes. J'ai donné au général Meynier le commandement de Verone, au général Kilmaine le commandement depuis le fort de la Chiuza jusqu'à Rovigo, ainsi que celui de Mantoue; il se tiendra à Verone. Picot, qui est parti à minuit de Padoue, et qui a été jusque dans les postes ennemis, m'assure qu'ils ne sont pas plus de 8 à 9,000 hommes. Aucune de leurs patrouilles n'a encore paru à Padoue. Arrangez-vous bien avec le général Vaubois pour qu'il exécute comme il faut les dispositions du plan. J'espère que cette fois nous pourrons, d'un seul coup, donner du fil à retordre. Si cette lettre vous rencontre en chemin, faites-en part au général Vaubois, et par Dieu recommandez-lui de ne pas ménager les courriers. Cet adjoint peut continuer jusque chez le général Vaubois et me renvoyer Louis. Je ne serai pas fâché que le citoyen Junot reste jusqu'à l'attaque de demain. S'il est convenu qu'on doive attaquer demain, qu'il fasse en sorte que j'aie des nouvelles trois fois dans la journée.
En passant la Chiuza, donnez un petit coup d'oeil, et assurez-vous qu'il n'y manque pas de munitions de bouche; assurez-vous aussi de la situation du pont et de l'espèce de garde qu'on y fait, cela toutefois autant que la nuit vous le permettra.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Vicence, le 15 brumaire an 5 (5 novembre 1796).
Au chef de l'état-major.
Nous sommes arrivés avec la division Augereau à Vicence: celle de Masséna était à huit milles d'ici, où elle s'est arrêtée lorsqu'elle a su notre arrivée. L'ennemi est entré hier au soir à Bassano, où l'on dit qu'il n'a que deux ou trois mille hommes. Le reste de ses troupes, que l'on porte à sept ou huit mille hommes, est à Citadella, un corps léger a même passé la Brenta à Ospidaletta da Brenta. Masséna va aller les chasser.
Pressez par tous les moyens possibles l'arrivée des cinq pontons; il faudrait les faire venir en poste, vous avez dû les rencontrer entre Villa-Nova et Montebello. Si ces pontons m'arrivent, je passerai la Brenta cette nuit; j'ai fait préparer ici trente-six chevaux pour les conduire où j'en aurai besoin. J'avais ordonné qu'on en préparât un égal nombre à Montebello; jusqu'à cette heure, tout se dispose très-bien ici: si nous avons nos pontons ce soir, la journée de demain sera décisive. Masséna n'a perdu autre chose qu'un seul homme qui avait eu la cuisse cassée, qu'il a déposé à l'hôpital de Bassano. J'imagine que le bataillon des grenadiers arrivera aujourd'hui à Vicence. Je vous attends avec impatience. Je n'ai pas de nouvelles du général Lespinasse, du général Dommartin, ni d'aucun officier du génie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 18 brumaire an 5 (8 novembre 1796).
Au général Rusca.
J'apprends par la lettre qui m'est apportée par le citoyen....., que les affaires de la Grafagniana sont un peu arrangées.
Trois compagnies de grenadiers et cent cinquante hommes de piquet de la dix-neuvième sont partis pour se rendre à Modène. Le citoyen Lahoz, chef de brigade, est parti avec deux cohortes de sa légion et deux pièces de canon pour se rendre également à Modène. J'ai envoyé l'ordre que vous avez dû faire passer au général commandant à Livourne, pour qu'il envoie trois cents hommes par Massa et Carrara. Je désire qu'avec ces forces, et les deux cohortes de Modène et de Reggio, vous vous rendiez à Castel-Novo, que vous fassiez arrêter et fusiller six chefs, que vous fassiez brûler la maison d'une famille de ce pays, très-connue pour être à la tête de la rébellion, et que vous fassiez arrêter douze otages et désarmer tous ceux qui auront pris part à cette rébellion, après quoi vous publierez un pardon général pour le passé. Vous mettrez dans le château de Monte-Alfonso une garnison de cinquante hommes de la cohorte de Modène; après quoi, vous donnerez l'ordre au citoyen Lahoz de se rendre, avec ses deux cohortes et celles de Modène et de Reggio, six pièces de canon et quatre-vingts hommes de cavalerie, à Livourne, pour y tenir garnison sous les ordres du général commandant.
Vous donnerez l'ordre sur-le-champ à la cohorte de Bologne et à celle de Ferrare de se rendre à Crémone. Je donne ordre au général Ménard, qui y commande, de compléter leur armement.
Quant aux grenadiers et au piquet de la dix-neuvième, si vous croyez ne pas en avoir besoin pour la Grafagniana, vous les retiendrez à Modène jusqu'à ce que vos opérations soient finies, et immédiatement après vous les renverrez à Milan.
J'oubliais de vous dire qu'il faudra faire prêter au gouvernement de Modène, à la petite ville de Castel-Novo, et à tous les villages qui ont pris part à la révolte, un nouveau serment d'obéissance à la république française.
Mettez de l'éclat, dépêchez-vous, et punissez sévèrement les coupables, afin que l'envie ne leur prenne pas de se révolter lorsque nous pourrions être occupés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 24 brumaire an 5 (14 novembre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous dois compte des opérations qui se sont passées depuis le 21 de ce mois: s'il n'est pas satisfaisant, vous n'en attribuerez pas la faute à l'armée: son infériorité, et l'épuisement où elle est des hommes les plus braves me font tout craindre pour elle. Peut-être sommes-nous à la veille de perdre l'Italie. Aucun des secours attendus n'est arrivé; la quatre-vingt-troisième demi-brigade ne part pas; tous les secours venant des départemens sont arrêtés à Lyon et surtout à Marseille. On croit qu'il est indifférent de les arrêter huit ou dix jours, on ne songe pas que les destinées de l'Italie et de l'Europe se décident ici pendant ce temps-là. Tout l'empire a été en mouvement et y est encore. L'activité de notre gouvernement, au commencement de la guerre, peut seule donner une idée de la manière dont on se conduit à Vienne. Il n'est pas de jour où il n'arrive cinq mille hommes; et, depuis deux mois qu'il est évident qu'il faut des secours ici, il n'est encore arrivé qu'un bataillon de la quarantième, mauvaise troupe et non accoutumée au feu, tandis que toutes nos vieilles milices de l'armée d'Italie languissent en repos dans la huitième division. Je fais mon devoir, l'armée fait le sien: mon âme est déchirée, mais ma conscience est en repos. Des secours, envoyez-moi des secours; mais il ne faut plus s'en faire un jeu: il faut, non de l'effectif, mais du présent sous les armes. Annoncez-vous six mille hommes, le ministre de la guerre annonce six mille hommes effectifs et trois mille hommes présens sous les armes; arrivés à Milan, ils sont réduits à quinze cents hommes: ce n'est donc que quinze cents hommes que reçoit l'armée.
Je fus informé, le 10, qu'un corps de deux mille cinq cents Autrichiens s'avançait de la Goricie, et déjà était campé sur la Piave; j'envoyai aussitôt le général Masséna, avec un corps d'observation, à Bassano sur la Brenta, avec ordre de se retirer à Vicence du moment que l'ennemi aurait passé la Piave. J'ordonnai au général Vaubois d'attaquer les postes ennemis dans le Trentin, et surtout de le chasser de ses positions entre le Lawis et la Brenta. L'attaque eut lieu le 12, la résistance fut vive. Le général Guieux emporta Saint-Michel et brûla les ponts des ennemis; mais ceux-ci rendirent notre attaque nulle sur Segonzano, et la quatre-vingt-cinquième demi-brigade y fut maltraitée malgré sa valeur. Nous avons eu trois cents blessés, cent hommes tués et deux cent cinquante prisonniers; nous avons fait cinq cents prisonniers, et tué beaucoup de monde à l'ennemi.
Le 13, j'ordonnai que l'on recommençât l'attaque sur Segonzano, qu'il fallait avoir; et en même temps instruit que l'ennemi a passé la Piave, je pars avec la division du général Augereau. Nous nous joignons à Vicence avec la division Masséna, et nous marchons, le 15, au-devant de l'ennemi, qui avait passé la Brenta. Il fallait étonner comme la foudre, et balayer, dès son premier pas, l'ennemi. La journée fut vive, chaude et sanglante: l'avantage fut à nous, l'ennemi repassa la Brenta, et le champ de bataille nous resta. Nous fîmes cinq cent dix-huit prisonniers, et tuâmes considérablement de monde; nous enlevâmes une pièce de canon. Le général Lanusse a été blessé d'un coup de sabre. Toutes les troupes se sont couvertes de gloire.
Cependant le 13, l'ennemi avait attaqué le général Vaubois sur plusieurs points et menaçait de le tourner, ce qui obligea ce général à faire sa retraite sur la Pietra, sa droite adossée à des montagnes, sa gauche à Mori. Le 16, l'ennemi ne se présenta point; mais, le 17, le combat fut des plus opiniâtres. Déjà nous avions enlevé deux pièces de canon et fait treize cents prisonniers, lorsque, à l'entrée de la nuit, une terreur panique s'empara de nos troupes; la déroute devint complète: nous abandonnâmes six pièces de canon.
La division prit, le 18, sa position à Rivoli et à la Corona par un pont que j'avais fait jeter exprès. Nous avons perdu, dans cette retraite, outre six pièces de canon, trois mille hommes tués, blessés ou prisonniers. La perte de l'ennemi doit avoir été considérable.
Ayant appris une partie de ce qui se passait dans le Tyrol, je m'empressai de partir le 17, à la pointe du jour, et nous arrivâmes le 18, à la pointe du jour, à Verone.
Le 21, à trois heures après midi, ayant appris que l'ennemi était parti de Montebello et avait campé à Villa-Nova, nous partîmes de Verone. Nous rencontrâmes son avant-garde à Saint-Martin. Augereau l'attaqua, la mit en déroute, et la poursuivit trois milles: la nuit la sauva.
Le 22, à la pointe du jour, nous nous trouvâmes en présence. Il fallait battre l'ennemi de suite; nous l'attaquâmes avec intelligence et bravoure. La division Masséna attaqua la gauche, le général Augereau la droite. Le succès était complet; le général Augereau s'était emparé du village de Caldero, et avait fait deux cents prisonniers; Masséna s'était emparé de la hauteur qui tournait l'ennemi, et avait pris cinq pièces de canon; mais la pluie, qui tombait à seaux, se change brusquement en une petite grelasse froide, qu'un vent violent portait au visage de nos soldats, et favorise l'ennemi; ce qui, joint à un corps de réserve qui ne s'était pas encore battu, lui fait reprendre la hauteur. J'envoie la soixante-quinzième demi-brigade, qui était restée en réserve, et tout se maintint jusqu'à la nuit; mais l'ennemi reste maître de la position. Nous avons eu six cents blessés, deux cents morts et cent cinquante prisonniers, parmi lesquels le général de brigade Launai, le chef de brigade Dupuis, qui a été blessé pour la seconde fois. L'ennemi doit avoir perdu davantage.
Le temps continue à être mauvais. Toute l'armée est excédée de fatigue et sans souliers: je l'ai reconduite à Verone, où elle vient d'arriver.
Une colonne ennemie, commandée par Laudon, s'avance sur Brescia, une autre sur Chiuza, pour faire sa jonction avec le corps d'armée. Pour résister à tout cela, je n'ai que dix-huit mille hommes.
L'ennemi a au moins cinquante mille hommes, composés: 1°. d'un corps autrichien venant du Rhin; 2°. de toutes les garnisons de la Pologne et des frontières de la Turquie; 3°. du reste de son armée d'Italie, recrutée de dix mille hommes.
Aujourd'hui, 24 brumaire, repos aux troupes; demain, selon les mouvemens de l'ennemi, nous agirons. Je désespère d'empêcher la levée du blocus de Mantoue, qui dans huit jours était à nous. Si ce malheur arrive, nous serons bientôt derrière l'Adda, et plus loin s'il n'arrive pas de troupes.
Les blessés sont l'élite de l'armée: tous nos officiers sapeurs, tous nos généraux d'élite sont hors de combat; tout ce qui m'arrive est si inepte! et ils n'ont pas la confiance du soldat. L'armée d'Italie, réduite à une poignée de monde, est épuisée. Les héros de Lodi, de Millesimo, de Castiglione et de Bassano sont morts pour leur patrie ou sont à l'hôpital; il ne reste plus aux corps que leur réputation et leur orgueil. Joubert, Lannes, Lanusse, Victor, Murat, Charlot, Dupuis, Rampon, Pigeon, Menard, Chabran, sont blessés; nous sommes abandonnés au fond de l'Italie. La présomption de mes forces nous était utile; on publie à Paris, dans des discours officiels, que nous ne sommes que trente mille hommes.
J'ai perdu dans cette guerre peu de monde, mais tous des hommes d'élite qu'il est impossible de remplacer. Ce qui me reste de braves voit la mort infaillible, au milieu de chances si continuelles et avec des forces si inférieures. Peut-être l'heure du brave Augereau, de l'intrépide Masséna, de Berthier, de..... est près de sonner: alors! alors! que deviendront ces braves gens? Cette idée me rend réservé; je n'ose plus affronter la mort, qui serait un sujet de découragement et de malheur pour qui est l'objet de mes sollicitudes.
Sous peu de jours, nous essaierons un dernier effort: si la fortune nous sourit, Mantoue sera pris, et avec lui l'Italie. Renforcé par mon armée de siège, il n'est rien que je ne puisse tenter. Si j'avais reçu la quatre-vingt-troisième, forte de trois mille cinq cents hommes connus à l'armée, j'eusse répondu de tout! Peut-être, sous peu de jours, ne sera-ce pas assez de quarante mille hommes.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Modène, le 25 brumaire an 5 (15 novembre 1796).
Au commissaire du gouvernement.
La compagnie Flachat n'a fait encore aucune vente; cependant elle a des soies et autres marchandises assez importantes dans la Lombardie et à Tortone. Les rentes qu'elle fait à Livourne se font par devant elle, il est indispensable d'y faire intervenir le consul de la république. Cette compagnie, qui a reçu quatorze à quinze millions, ne paye pas les mandats, sous le prétexte qu'elle n'a pas d'argent, mais effectivement pour les faire négocier par main tierce, à quinze ou vingt pour cent de perte. Faites-vous remettre l'état des mandats qu'elle a aujourd'hui acquittés; ordonnez-lui: 1°. d'afficher, sous vingt-quatre heures, la vente de toutes les marchandises qu'elle a, pour être faite ensuite conformément à votre arrêté; 2°. que tout l'argent provenant des marchandises soit, vingt-quatre heures après, versé dans la caisse centrale, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, cette compagnie puisse retenir cet argent; 3°. qu'elle vous remette l'état des versemens en grains qu'elle a faits à l'armée depuis le commencement de la campagne; car elle est fortement prévenue d'avoir fait des versemens factices pour quatre-vingt mille quintaux.
Je vous engage à porter sur cette compagnie un oeil sévère. De tous côtés, on réclame contre elle; tous ses agens sont d'un incivisme si marqué, que je suis fondé à croire qu'une grande partie sert d'espions à l'ennemi. Je vous prie de prévenir cette compagnie que, si M. Paragallo, Français assez indigne pour avoir désavoué le caractère national, vient en Lombardie, je le ferai mettre en prison. J'ai de fortes raisons pour croire que cet homme a des liaisons avec le ministre de Russie à Gênes, et je suis instruit d'ailleurs que je suis environné d'espions; les employés qu'elle a à Livourne sont en grande partie des émigrés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).
Au commissaire du gouvernement.
L'armée est sans souliers, sans prêt, sans habits; les hôpitaux manquent de tout; nos blessés sont sur le carreau et dans le dénûment le plus horrible; tout cela provient du défaut d'argent, et c'est au moment où nous venons d'acquérir 4,000,000 à Livourne, et où les marchandises que nous avons à Tortone et à Milan nous offrent encore une ressource réelle. Modène devait aussi nous donner 1,800,000 fr., et Ferrare des contributions assez fortes; mais il n'y a ni ordre ni ensemble dans la partie des contributions dont vous êtes spécialement chargé. Le mal est si grand, qu'il faut un remède. Je vous prie de me répondre dans la journée si vous pouvez pourvoir aux besoins de l'armée; dans le cas contraire, je vous prie d'ordonner au citoyen Haller, fripon qui n'est venu dans ce pays-ci que pour voler, et qui s'est érigé intendant des finances des pays conquis, qu'il rende ses comptes à l'ordonnateur en chef qui est à Milan, et en même temps de leur laisser prendre les mesures pour procurer à l'armée ce qui lui manque. L'intention du gouvernement est que ses commissaires s'occupent spécialement des besoins de l'armée, et je vois avec peine que vous ne vous en occupez pas, et que vous laissez ce soin à un étranger dont le caractère et les intentions sont très-suspectes.
Le citoyen Salicetti fait des arrêtés d'un côté, vous de l'autre; et le résultat de tout cela est que l'on ne s'entend pas et que l'on n'a pas d'argent. Les quinze cents hommes que nous tenons à Livourne nous coûtent plus qu'une armée; enfin nous sommes, grâce à tous ces inconvéniens-là, sur le point de manquer des choses indispensables. Nos soldats manquent déjà de ce qu'ils ne devraient pas manquer dans un pays aussi riche, et après les succès qu'ils obtiennent.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).
Au directoire exécutif.
Je suis si harassé de fatigue, citoyens directeurs, qu'il ne m'est pas possible de vous faire connaître tous les mouvemens militaires qui ont précédé la bataille d'Arcole, qui vient de décider du sort de l'Italie.
Informé que le feld-maréchal Alvinzi, commandant l'armée de l'empereur, s'approchait de Verone, afin d'opérer sa jonction avec les divisions de son armée qui sont dans le Tyrol, je filai le long de l'Adige avec les divisions Augereau et Masséna; je fis jeter, dans la nuit du 24 au 25, un pont de bateaux à Ronco, où nous passâmes cette rivière: j'espérais arriver dans la matinée à Villa-Nova, et par là enlever les parcs d'artillerie de l'ennemi, ses bagages, et attaquer l'armée ennemie par le flanc et ses derrières. Le quartier-général du général Alvinzi était à Caldero; cependant, l'ennemi, qui avait eu avis de quelques mouvemens, avait envoyé un régiment de Croates et quelques régimens hongrois dans le village d'Arcole, extrêmement fort par sa position, au milieu de marais et de canaux.
Ce village arrêta l'avant-garde de l'armée pendant toute la journée. Ce fut en vain que les généraux, sentant toute l'importance du temps, se jetèrent à la tête pour obliger nos colonnes de passer le petit pont d'Arcole: trop de courage nuisit; ils furent presque tous blessés: les généraux Verdier, Bon, Verne, Lannes furent mis hors de combat, Augereau, saisissant un drapeau, le porta au-delà du pont; il resta là plusieurs minutes sans produire aucun effet. Cependant, il fallait passer ce pont, ou faire un détour de plusieurs lieues, qui nous aurait fait manquer toute notre opération: je m'y portai moi-même, je demandai aux soldats s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi; ma présence produisit sur les troupes un mouvement qui me décida encore à tenter le passage. Le général Lannes, blessé déjà de deux coups de feu, retourna et reçut une troisième blessure plus dangereuse; le général Vignolle fut également blessé. Il fallut renoncer à forcer de front ce village, et attendre qu'une colonne commandée par le général Guieux, que j'avais envoyée par Albaretto, fût arrivée. Elle n'arriva qu'à la nuit, s'empara du village, prit quatre pièces de canon et fit quelques centaines de prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Masséna attaquait une division que l'ennemi faisait filer sur notre gauche; il la culbuta et la mit dans une déroute complète.
On avait jugé à propos d'évacuer le village d'Arcole, et nous nous attendions, à la pointe du jour, à être attaqués par toute l'armée ennemie, qui se trouvait avoir eu le temps de faire filer ses bagages et ses parcs d'artillerie, et de se porter en arrière pour nous recevoir.
À la petite pointe du jour, le combat s'engagea partout avec la plus grande vivacité. Masséna, qui était sur la gauche, mit en déroute l'ennemi et le poursuivit jusqu'aux postes de Caldero. Le général Robert, qui était sur la chaussée du centre, avec la soixante-cinquième, culbuta l'ennemi à la baïonnette et couvrit le champ de bataille de cadavres. J'ordonnai à l'adjudant Vial de longer l'Adige avec une demi-brigade, pour tourner toute la gauche de l'ennemi; mais ce pays offre des obstacles invincibles; c'est en vain que ce brave adjudant-général se précipite dans l'eau jusqu'au cou, il ne peut pas faire une diversion suffisante. Je fis, pendant la nuit du 26 au 27, jeter des ponts sur les canaux et les marais, le général Augereau y passa avec sa division. À dix heures du matin, nous fûmes en présence: le général Masséna à la gauche, le général Robert au centre, le général Augereau à la droite. L'ennemi attaqua vigoureusement le centre, qu'il fit plier. Je retirai alors la trente-deuxième de la gauche, je la plaçai en embuscade dans les bois, et au moment où l'ennemi, poussant vigoureusement le centre, était sur le point de tourner notre droite, le général Gardanne sortit de son embuscade, prit l'ennemi en flanc et en fit un carnage horrible. La gauche de l'ennemi, étant appuyée à des marais et par la supériorité du nombre, imposait à notre droite: j'ordonnai au citoyen Hercule, officier de mes guides, de choisir 25 hommes dans sa compagnie, de longer l'Adige d'une demi-lieue, de tourner tous les marais qui appuyaient la gauche des ennemis, et de tomber ensuite au grand galop sur le dos de l'ennemi en faisant sonner plusieurs trompettes. Cette manoeuvre réussit parfaitement; l'infanterie ennemie se trouva ébranlée, le général Augereau sut profiter du moment. Cependant, elle résiste encore quoiqu'en battant en retraite, lorsqu'une petite colonne de huit à neuf cents hommes, avec quatre pièces de canon que j'avais fait filer par Porto-Legnago pour prendre une position en arrière de l'ennemi et lui tomber sur le dos, acheva de la mettre en déroute. Le général Masséna, qui s'est reporté au centre, marcha droit au village d'Arcole, dont il s'empara, et poursuivit l'ennemi jusqu'au village de San-Bonifacio; mais la nuit nous empêcha d'aller plus avant.
Le fruit de la bataille d'Arcole est: quatre à cinq mille prisonniers, quatre drapeaux, dix-huit pièces de canon. L'ennemi a perdu au moins quatre mille morts et autant de blessés.
Outre les généraux que j'ai nommés, les généraux Robert et Gardanne ont été blessés. L'adjudant-général Vaudelin a été tué. J'ai eu deux de mes aides-de-camp tués, les citoyens Elliot et Muiron, officiers de la plus grande distinction; jeunes encore, ils promettaient d'arriver un jour avec gloire aux premiers postes militaires. Notre perte, quoique très peu considérable, a été très-sensible, en ce que ce sont presque tous nos officiers de distinction.
Cependant le général Vaubois a été attaqué et forcé à Rivoli, position importante gui mettait à découvert le blocus de Mantoue. Nous partîmes, à la pointe du jour, d'Arcole. J'envoyai la cavalerie sur Vicence à la poursuite des ennemis, et je me rendis à Verone, où j'avais laissé le général Kilmaine avec trois mille hommes.
Dans ce moment-ci, j'ai rallié la division Vaubois, je l'ai renforcée, et elle est à Castel-Novo. Augereau est à Verone, Masséna sur Villa-Nova.
Demain, j'attaque la division qui a battu Vaubois, je la poursuis jusque dans le Tyrol, et j'attendrai alors la reddition de Mantoue, qui ne doit pas tarder quinze jours. L'artillerie s'est comblée de gloire.
Les généraux et officiers de l'état-major ont montré une activité et une bravoure sans exemple, douze ou quinze ont été tués; c'était véritablement un combat à mort: pas un d'eux qui n'ait ses habits criblés de balles.
Je vous enverrai les drapeaux pris sur l'ennemi.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).
Au citoyen Carnot, membre du directoire.
Les destinées de l'Italie commencent à s'éclaircir; encore une victoire demain, qui ne me semble pas douteuse, et j'espère, avant dix jours, vous écrire du quartier-général de Mantoue. Jamais champ de bataille n'a été aussi disputé que celui d'Arcole; je n'ai presque plus de généraux, leur dévouement et leur courage sont sans exemple. Le général de brigade Lannes est venu au champ de bataille, n'étant pas encore guéri de la blessure qu'il a reçue à Governolo. Il fut blessé deux fois pendant la première journée de la bataille; il était, à trois heures après-midi, étendu sur son lit, souffrant, lorsqu'il apprend que je me porte moi-même à la tête de la colonne; il se jette à bas de son lit, monte à cheval et revient me trouver. Comme il ne pouvait pas être à pied, il fut obligé de rester; il reçut; à la tête du pont d'Arcole, un coup qui l'étendit sans connaissance. Je vous assure qu'il fallait tout cela pour vaincre; les ennemis étaient nombreux et acharnés, les généraux à leur tête: nous en avons tué plusieurs.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 29 brumaire an 5 (19 novembre 1796).
Au général Clarke.
Votre neveu Elliot a été tué sur le champ de bataille d'Arcole. Ce jeune homme s'était familiarisé avec les armes, il a plusieurs fois marché à la tête des colonnes; il aurait été un officier estimable; il est mort avec gloire et en face de l'ennemi, il n'a pas souffert un instant. Quel est l'homme raisonnable qui n'envierait pas une telle mort? Quel est celui qui, dans les vicissitudes de la vie, ne s'estimerait point heureux de sortir de cette manière d'un monde si souvent méprisable? Quel est celui d'entre nous qui n'a pas regretté cent fois de ne pas être ainsi soustrait aux effets puissans de la calomnie, de l'envie, et de toutes les passions haineuses qui semblent presque exclusivement diriger la conduite des hommes?
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 5 frimaire an 5 (23 novembre 1796).
Au citoyen Miot.
Je reçois, citoyen ministre, la lettre que vous m'avez écrite avant de partir pour la Corse. La mission que vous avez à remplir est extrêmement difficile; ce ne sera que lorsque toutes les affaires seront arrangées, qu'il sera permis de faire passer des troupes en Corse. Vous y trouverez le général Gentili, qui commande cette division. C'est un honnête homme, généralement estimé dans ce pays.
Le Corse est un peuple extrêmement difficile à connaître; ayant l'imagination très-vive, il a les passions extrêmement actives.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 3 brumaire an 5 (24 novembre 1796).
A monsieur Paul Greppi.
J'ai reçu, monsieur, la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire de Milan, en date du 6 brumaire dernier.
J'y ai vu avec indignation le détail de la scène anarchique et licencieuse dont vous avez failli être la victime. Tant que les armées françaises seront à Milan, je ne souffrirai jamais que les propriétés soient insultées, non plus que les personnes. Je désire qu'après avoir fait votre tournée en Toscane, vous retourniez dans votre patrie à Milan; et soyez sûr qu'on réprimera cette poignée de brigands, presque tous étrangers à Milan, qui croient que la liberté est le droit d'assassiner, qui ne pensent pas à imiter le peuple français dans ses momens de courage et dans les élans de vertus qui ont étonné l'Europe, mais qui chercheraient à renouveler ces scènes horribles produites par le crime, et dont les auteurs seront l'objet éternel de la haine et du mépris du peuple français, même de l'Europe et de la postérité. Soyez donc sans inquiétude; et persuadez-vous que le peuple français et l'armée que je commande, ne laisseront jamais asseoir sur les ruines de la liberté la hideuse et dégoûtante anarchie: nous avons des baïonnettes pour exterminer les tyrans, mais avant tout le crime.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Verone, le 4 frimaire an 5 (24 novembre 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai instruit, citoyens directeurs, par ma dernière lettre, que le général Vaubois avait été obligé d'abandonner la position de Rivoli, et que l'ennemi était déjà arrivé à Castel-Novo: je profitai de la déroute de l'ennemi à Arcole pour faire repasser sur-le-champ l'Adige à la division du général Masséna, qui opéra sa jonction à Villa-Franca avec celle du général Vaubois, et, réunies, elles marchèrent à Castel-Novo, le 1er frimaire, tandis que la division du général Augereau se portait sur les hauteurs de Sainte-Anne, afin de couper la vallée de l'Adige à Dolce, et par ce moyen couper la retraite de l'ennemi.
Le général Joubert, commandant l'avant-garde des divisions Masséna et Vaubois réunies, atteignit l'ennemi sur les hauteurs de Campora; après un combat assez léger, nous parvînmes à entourer un corps de l'arrière-garde ennemie, lui faire douze cents prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Berberek. Un corps de trois à quatre cents hommes ennemi, voulant se sauver, se noya dans l'Adige.
Nous ne nous contentâmes pas d'avoir repris la position de Rivoli et de la Corona, nous poursuivîmes l'ennemi à Preabano. Augereau, pendant ce temps-là, avait rencontré un corps ennemi sur les hauteurs de Sainte-Anne, et l'avait dispersé, lui avait fait trois cents prisonniers, était arrivé à Dolce, avait brûlé deux équipages de pontons, leurs haquets, et enlevé quelques bagages.
Le général Wurmser a fait une sortie sur Mantoue hier, 3, à sept heures du matin; la canonnade a duré toute la journée. Le général Kilmaine l'a fait rentrer comme à l'ordinaire, plus vite qu'il n'était sorti, et lui a fait deux cents prisonniers, pris un obusier et deux pièces de canon. Wurmser était en personne à cette sortie. Voilà la troisième fois, m'écrit le général Kilmaine, que Wurmser tente de faire des sorties, toutes les fois avec aussi peu de succès. Wurmser n'est heureux que dans les journaux que les ennemis de la république soldent à Paris.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 14 frimaire an 5 (4 décembre 1796).
Au général Rusca.
Il est essentiel, citoyen général, d'occuper le fort de Grafagniana et de faire terminer les troubles qui altèrent la tranquillité de ce pays-là; je n'ai pas de renseignemens assez positifs pour déterminer le parti qu'il convient de prendre, je vous prie de me faire un détail de ce que je dois penser à ce sujet.
Je vous autorise à ordonner aux otages qui ont été la cause du trouble, de se rendre à Milan, si vous le jugez nécessaire.
Faites arrêter et conduire à Milan le général du pape, qui est à Modène.
Ayez la plus grande surveillance, et instruisez-moi de ce qui se trame; faites courir le bruit que je fais passer six mille hommes à Modène, cela imposera.
Ordonnez sur-le-champ qu'il y ait deux députés de la Grafagniana au congrès de Modène, je vous autorise à les nommer.
J'attends, par le retour de l'ordonnance, des renseignemens précis, qui me mettent à même de prendre un parti.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 14 frimaire an 5 (4 décembre 1796).
Au citoyen Faypoult.
La compagnie Flachat était à la fois receveur de l'argent provenant des contributions et fournisseur de l'armée. La compagnie Flachat devait naturellement entrer dans les dépenses de l'armée, et dès lors soldées par le payeur; cependant la maison Flachat à Gênes, dans les comptes qu'elle vous a présentés, porte cinq millions en compensation. Il est indispensable d'exiger, par tous les moyens possibles, la prompte rentrée des cinq millions, dont une partie pourra servir à solder le reste des mandats, spécialement celui de la marine et de l'armée des Alpes. Les besoins de l'armée sont si urgens, que nous avons besoin de compter sur la ressource de l'autre partie, pour pouvoir fournir au service. Je vous engage donc à prendre les moyens que vous croirez les plus expéditifs pour faire rentrer promptement lesdits cinq millions dans la caisse de la république.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5 (6 décembre 1796).
Au directoire exécutif.
Le citoyen Denniée est un brave homme, bon comme ordonnateur ordinaire, mais n'ayant point assez de caractère ni de talens pour être en chef. Je désirerais que vous m'envoyassiez le commissaire ordonnateur Wilmanzi, dont tout le monde dit beaucoup de bien.
J'ai fait arrêter le citoyen Auzou, agent en chef des fourrages de l'armée; il a reçu 1,700,000 fr. depuis la campagne, et il laisse manquer son service partout: je vais le faire juger par un conseil militaire. Il faudrait quelque grand exemple; malheureusement il y a beaucoup de tripotage dans ces conseils, qui ne sont pas assez sévères.
Un nommé Lemosse, que l'opinion publique dénonce et qui me l'a été plus spécialement par les moines d'un couvent, où il a proposé de recevoir deux cents sequins pour ne pas y établir un hôpital, a été élargi par le conseil militaire pendant mon absence: je viens d'ordonner qu'il serait destitué et chassé de l'armée, mais cette punition est bien faible.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5 (6 décembre 1796).
Au directoire exécutif.
Le général Clarke est arrivé depuis quelques jours; j'ai écrit le même soir à M. le maréchal Alvinzi. Le général Clarke a pensé, avec raison, devoir écrire une lettre à l'empereur même, laquelle est partie avec une lettre pour M. Alvinzi.
Le général Clarke m'a communiqué l'objet de sa mission.
Si l'on n'eût considéré que la situation de cette armée, il eût été à désirer que l'on eût attendu la prise de Mantoue, car je crains qu'un armistice sans Mantoue ne soit pas un acheminement à la paix, et soit tout à l'avantage de Vienne et de Rome.
Je vous ferai passer trois notes relatives à l'objet important dont est chargé le général Clarke. J'espère qu'avant peu de jours nous recevrons la réponse de Vienne, et que ce général se rendra à sa destination pour y remplir vos intentions.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 16 frimaire an 5 (6 décembre 1796).
Au directoire exécutif.
Le gouvernement de Venise a très-bien traité l'armée autrichienne; il y avait auprès de M. d'Alvinzi des provéditeurs et des approvisionnemens.
Les Allemands, en s'en allant, ont commis toutes espèces d'horreurs, coupé les arbres fruitiers, brûlé les maisons et pillé les villages. Dans ce moment-ci, les ennemis sont à Trente et sur la Brenta. Nous sommes sur l'Adige, et nous occupons la ligne de Montebaldo; il paraît qu'ils se renforcent considérablement dans le Tyrol, où est dans ce moment-ci M. Alvinzi.
Il ne nous est encore rien arrivé, et il ne nous est rien annoncé des dix mille hommes du Rhin, ni des dix mille hommes de l'Océan: ces deux renforts nous sont bien nécessaires.
Si la campagne prochaine a lieu, il faut tourner tous nos efforts du côté du Frioul, et pour cela avoir deux armées en Italie: une dans le Tyrol, qui occupera Trente et qui attaquerait les ennemis; l'autre, dans le Frioul, se porterait à Trieste, et s'emparerait de tous les établissemens des ennemis dans cette mer-là.
Si vous pouviez faire passer trente mille hommes ici, l'on pourrait les nourrir et les payer, et envahir tout le Frioul; l'empereur serait obligé: 1°. de retirer trente mille hommes du côté du Rhin; 2°, de retenir au moins vingt mille hommes pour seconde ligne, puisque, sans cela, une bataille heureuse compromettrait Vienne: alors on ne ferait presque pas de guerre sur le Rhin, et le théâtre se trouverait très éloigné de chez nous.
Il n'y a à ce projet qu'une objection, ce sont les maladies que nos troupes gagnent en été en Italie; mais cette assertion est fausse: nous avons eu à cette armée vingt mille malades, sur lesquels quatre mille blessés; des seize mille autres, quatorze mille sont de Mantoue, et deux mille sont du reste de l'armée: ce n'est pas la proportion ordinaire.
Envoyez-nous donc dix mille hommes du Rhin et dix mille de l'Océan, joignez-y quinze cents hommes de cavalerie, quelques compagnies d'artillerie, et je vous promets, avant le mois de mai, de dégager le Rhin, de forcer l'empereur à une guerre d'autant plus désastreuse, qu'elle sera à ses dépens sur son territoire.
Mon armée actuelle, renforcée par les dix mille hommes du Rhin et les dix mille de l'Océan que vous m'avez annoncés, est suffisante pour le Tyrol et l'Italie.
Les dix mille hommes qui assiègent Mantoue, qui seront bientôt douze mille, avec les vingt mille hommes que je vous demande, formeront l'armée du Frioul: avec ces deux armées j'irai à Vienne, ou du moins je me maintiendrai toute la campagne prochaine dans les états de l'empereur, vivant à ses dépens, ruinant ses sujets, en portant la guerre de l'insurrection en Hongrie.
Enfin, citoyens directeurs, je crois que du prompt départ des dix mille hommes du Rhin peut dépendre le sort de l'Italie; mais que si vous en tirez dix mille autres, et que vous y joigniez dix à quinze mille hommes de l'Océan, vous aurez le droit d'attendre des millions, des succès et une bonne paix. De Trieste à Vienne il y a cent lieues sans places fortes, sans plan de défense arrêté: ce pays-là n'a jamais été le théâtre de la guerre.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5 (8 décembre 1796).
Au citoyen Auzou.
J'ai reçu, citoyen, les deux lettres que vous m'avez écrites. Si je ne vous ai pas encore fait dire la raison pour laquelle je vous ai fait arrêter, c'est que j'attendais les installations des nouveaux conseils militaires, qui, étant composés d'officiers, vous donneront des juges plus éclairés et plus dans le cas de vous entendre.
Je me plains de vous, parce que votre service n'a jamais été organisé dans l'armée et ne s'y est jamais fait; parce que Peschiera n'a jamais été approvisionné; parce que vous n'avez jamais fourni les moyens nécessaires à vos sous-traitans; parce qu'enfin vous avez laissé tomber le service à plat dans un moment critique pour l'armée; enfin parce que vous ne vous êtes jamais trouvé au quartier-général, toutes les fois que votre présence y était nécessaire, c'est-à-dire lorsque l'ennemi était sur le point de nous attaquer.
C'est par votre coupable négligence que nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux, que le service de l'artillerie a considérablement souffert, et que la cavalerie, obligée de courir les champs et de fouiller les fermes pour assurer sa subsistance, s'est souvent portée à des excès propres à nous aliéner l'esprit des habitans; tout cela cependant lorsque votre service a reçu depuis le commencement de la campagne dix-sept à dix-huit cent mille liv., dont vous n'avez certainement pas dépensé le tiers.
Je vous prie de m'envoyer: 1°. un état des consommations journalières des fourrages dans l'armée, ou un relevé des bons pour un des mois passés; 2°. un état de l'emploi que vous avez fait de l'argent qui vous a été remis; 3°. un état exact de ce que vous avez remis à chacun de vos sous-traitans; 4°. enfin s'il arrivait qu'il y en eût parmi eux qui, par leur conduite ou leur incapacité, et quoique ayant reçu des fonds, eussent fait manquer le service, de me les dénoncer.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5 (8 décembre 1796).
Au provéditeur-général de la république de Venise.
Je n'ai pas reconnu, monsieur, dans la note que vous m'ayez fait passer, la conduite des troupes françaises sur le territoire de la république de Venise, mais bien celle des troupes de sa majesté l'empereur, qui partout où elles ont passé, se sont portées à des horreurs qui font frémir.
Le style de cinq pages, sur les six que contient la note qu'on vous a envoyée de Verone, est d'un mauvais écolier de rhétorique, auquel on a donné pour thèse de faire une amplification. Eh! bon Dieu, monsieur le provéditeur, les maux inséparables d'un pays qui est le théâtre de la guerre, produits par le choc des passions et des intérêts, sont déjà si grands et si affligeans pour l'humanité, que ce n'est pas, je vous assure, la peine de les augmenter au centuple, et d'y broder des contes de fées, sinon rédigés avec motifs, au moins extrêmement ridicules.
Je donne un démenti formel à celui qui oserait dire qu'il y a eu dans les états de Venise une seule femme violée par les troupes françaises. Ne dirait-on pas, à la lecture de la note ridicule qui m'a été envoyée, que toutes les propriétés sont perdues, qu'il n'existe plus une église et une femme respectées dans le Véronais et le Brescian? La ville de Verone, celle de Brescia, celle de Vicence, de Bassano, en un mot toute la terre ferme de l'état de Venise, souffrent beaucoup de cette longue lutte; mais à qui la faute? C'est celle d'un gouvernement égoïste, qui concentre dans les îles de Venise toute sa sollicitude et ses soins, sacrifie ses intérêts à ses préjugés et à sa passion, et le bien de la nation vénitienne entière à quelques caquetages de coteries. Certes, si le sénat eût été mu par l'intérêt du bien public, il eût senti que le moment était venu de fermer à jamais son territoire aux armées indisciplinées de l'Autriche, et par là de protéger ses sujets et de les garantir à jamais du théâtre de la guerre.
On me menace de faire naître des troubles et de faire soulever les villes contre l'armée française: les peuples de Vicenzia et de Bassano savent à qui ils doivent s'en prendre des malheurs de la guerre, et savent distinguer notre conduite de celle des armées autrichiennes.
Il me paraît qu'on nous jette le gant. Êtes-vous, dans cette démarche, autorisé par votre gouvernement? La république de Venise veut-elle aussi se déclarer contre nous? Déjà je sais que la plus tendre sollicitude l'a animée pour l'armée du général Alvinzi: vivres, secours, argent, tout lui a été prodigué; mais, grâce au courage de mes soldats et à la prévoyance du gouvernement français, je suis en mesure, et contre la perfidie, et contre les ennemis déclarés de la république française.
L'armée française respectera les propriétés, les moeurs et la religion; mais malheur aux hommes perfides qui voudraient lui susciter de nouveaux ennemis! C'est sans doute par leur influence qu'on assassine tous les jours sur le territoire de Bergame et de Brescia. Mais puisqu'il est des hommes que les malheurs que leur inconduite pourrait attirer sur la terre-ferme ne touchent pas, qu'ils apprennent que nous avons des escadres: certes, ce ne sera pas au moment où le gouvernement français a généreusement accordé la paix au roi de Naples, où il vient de resserrer les liens qui l'unissaient à la république de Gênes et au roi sarde, qu'on pourra l'accuser de chercher de nouveaux ennemis; mais ceux qui voudraient méconnaître sa puissance, assassiner ses citoyens et menacer ses armées, seront dupes de leurs perfidies et confondus par la même armée qui, jusqu'à cette heure, et non encore renforcée, a triomphé de ses plus grands ennemis.
Je vous prie du reste, monsieur le provéditeur, de croire, pour ce qui vous concerne personnellement, aux sentimens d'estime, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 18 frimaire an 5 (8 décembre 1796).
Au citoyen Lallemant, à Venise.
Des mouvemens insurrectionnels qui sont entièrement apaisés ont eu lieu dans la partie du ci-devant duché de Modène appelé la Grafagniana; ils sont attribués en grande partie au nommé Frater-Zoccolente Magesi, cordelier du couvent de Castel-Nuovo, à la Grafagniana. On m'assure que ce scélérat s'est retiré à Venise: il pourrait se trouver, soit auprès du duc, soit dans le couvent des cordeliers de cette ville.
Je vous prie d'adresser au gouvernement de Venise une note pour demander son arrestation, et de me faire part du fruit de vos démarches.
BONAPARTE.