Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.
Au quartier-général à Tolentino, le 29 pluviose an 5 (17 février 1797).
Au général Joubert.
Vous avez dû recevoir, citoyen général, la onzième demi-brigade et la cinquième: la vingt-sixième d'infanterie légère doit être, à l'heure qu'il est, à Verone; elle a ordre de suivre la cinquième, devant être de la même division avec ces dernières brigades. J'avais pensé que le quartier-général de cette division devait être à Borgo de Val-Sugano; cependant, si vous croyez qu'il serait mieux placé à Levico ou à Pergine, je vous autorise à donner des ordres en conséquence.
J'ai reçu votre lettre du 21 pluviose, je vous engage à réfléchir et à observer davantage les localités; car je ne conçois pas que, votre ligne du Lawis forcée, et votre mouvement de retraite exécuté pendant la nuit, vous n'ayez pas une position intermédiaire la plus rapprochée possible de cette première, où vous puissiez vous tenir toute la journée, remettre ensemble vos troupes, et recevoir les hommes éparpillés ou les corps qui n'auraient pas pu rejoindre dans la nuit; la nuit suivante, vous remettre en marche, s'il le faut, et reprendre la ligne de Mori et de Torbole, et là tenir en échec l'ennemi plusieurs jours; enfin, arriver à la Corona, au camp retranché de Castel-Novo, et enfin sous les murs de Mantoue ou de Verone: agir autrement, ce ne serait pas faire la guerre, dont l'art ne consiste qu'à gagner du temps lorsqu'on a des forces inférieures. Pour empêcher l'ennemi d'attaquer d'abord Torbole et Mori, le moyen qui m'a paru le plus clair était de faire construire un pont sur l'Adige et d'en retrancher la tête: ce pont devrait être situé entre Roveredo et Trente. Par ce moyen, l'ennemi ne peut rien tenter sur Mori et Torbole, même après avoir forcé le général Rey, qui doit toujours exécuter sa retraite sur Torbole.
Je vous prie de me répondre positivement à cette question: Y a-t-il, de Torbole à Mori, une bonne ligne? Elle servirait par le lac et par l'Adige, et j'avais ordonné: 1°. que l'on ferait à cette ligne tous les travaux nécessaires; 2°. qu'on y construirait dans l'endroit le plus favorable une redoute avec des coupures de chemins, de manière que cela fît la même position que la Chiusa et Rivoli, à l'exception que l'ennemi n'étant pas sur la rive du côté de Mori, on n'a pas besoin d'autant de forces pour défendre ce point, que pour le plateau de Rivoli.
Je vous prie de relire l'instruction que je vous ai fait passer au moment de votre entrée à Trente, et d'en faire strictement les préparatifs, cela tenant à un système général de guerre pour la campagne dans laquelle nous allons entrer, me reposant entièrement sur vous et sur le commandant du génie, auquel j'ai donné ordre de se rendre à Trente; sur les positions à tenir et sur l'application des idées générales contenues dans mon instruction.
Mon principe pour la défense du Tyrol est, dès l'instant que vous êtes obligé d'évacuer Trente, de vous rallier en avant de Roveredo, occupant, avec toute la division Rey, les hauteurs de Mori: rallié là pendant toute une journée, passer l'Adige et placer les trois divisions entre l'Adige, Mori et Torbole, plaçant seulement quelques pièces de canon et quelques détachemens dans les endroits les plus étroits entre Mori et Rivoli, pour empêcher l'ennemi de pouvoir se porter sur Ala, et même y construire, dans l'endroit le plus favorable, une bonne redoute, ayant soin de pratiquer des coupures de tous les côtés, et vis-à-vis de laquelle on doit avoir un pont avec une tête très-bien retranchée. Qui est maître d'une rive de l'Adige et a un pont, est maître des deux rives. Lorsqu'ensuite l'occupation de la ligne de Torbole et Mori par suite des événemens qui peuvent arriver aux autres divisions de l'armée, deviendrait inutile, alors Mantoue, Peschiera, ou une place quelconque, offrent une protection à la division.
La ligne de Rivoli ne peut donc plus me servir de rien, à moins que ce ne soit comme ligne de passage pour gagner quelques jours de temps: cette ligue est trop éloignée des gorges de la Brenta, pour que le corps d'armée puisse jamais être secouru par un mouvement de flanc sur Trente: au lieu que celle de Mori, avec un pont qui permet de passer de l'autre côté, aide aux divisions, qui, par un mouvement rétrograde, enfileraient les gorges de la Brenta, pour se porter sur les flancs de l'ennemi à Trente. En voilà assez, je crois, pour vous faire sentir l'importance de la position de Mori; il faut que l'art y seconde la nature. S'il arrivait une circonstance où vous puissiez être forcé dans la ligne de Torbole, plus tôt que dix jours après l'avoir été au Lawis, la campagne serait manquée.
Sous peu de jours, je serai de retour à l'armée, où je sens que ma présence devient nécessaire. L'armée est à trois jours de Rome, je suis en traité avec cette prêtraille, et, pour cette fois-ci, le Saint-Père sauvera encore sa capitale, en nous cédant ses plus beaux états et de l'argent, et, par ce moyen, nous sommes en mesure pour exécuter la grande tâche de la campagne prochaine.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Tolentino, le 30 pluviose an 5 (18 février 1797).
Au directoire exécutif.
Nos troupes se sont emparées de l'Ombrie et du pays de Perrugia; nous sommes maîtres aussi de la petite province de Camerino.
Je rencontre ici le cardinal Mattei, le neveu du pape, le marquis Massimo, et monsieur Galeppi, qui viennent avec des pleins pouvoirs du pape pour traiter.
On m'a écrit de Venise que le prince Charles est arrivé à Trieste, et que, de tous côtés, les troupes autrichiennes sont en marche pour renforcer l'armée ennemie.
Je vous ai instruit, par ma dernière dépêche, que les douze demi-brigades que vous m'envoyez, ne faisaient pas dix-neuf mille hommes. Le ministre de la guerre vient d'écrire au général Kellermann de garder deux mille hommes et de faire retourner un régiment de cavalerie à l'armée du Rhin. Voilà donc les trente mille hommes que vous m'annonciez rendus à dix-sept mille hommes: c'est un très-beau renfort pour l'armée d'Italie! mais cela me rend trop faible pour pouvoir me diviser en deux corps d'armée, et exécuter le plan de campagne que je m'étais proposé.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventose an 5 (19 février 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous fais passer, citoyens directeurs, le rapport du citoyen Monge, que j'ai envoyé à Saint-Marin, avec le discours qu'il a prononcé lorsque les douze drapeaux pris sur le pape et cinq drapeaux autrichiens, reste de ceux pris aux dernières affaires, ont été apportés.
Le général Bernadotte est arrivé, et sa division se réunit à Padoue; le calcul que j'avais fait, de porter les demi-brigades à quinze cents hommes, l'une portant l'autre, se vérifie.
Je vous demande le grade de général de brigade pour l'adjudant-général Duphot, qui a eu, dans ces différentes affaires, cinq chevaux tués sous lui: c'est un de nos plus braves officiers.
Le pape a ratifié le traité de paix conclu à Tolentino; dès que j'en aurai l'original, je vous l'expédierai.
Le roi de Sardaigne a approuvé le traité d'alliance offensive et défensive conclu par le général Clarke, qui, dans des lettres très-détaillées, vous expose les différentes démarches qu'il a faites pour arriver à des négociations de paix. Il nous a paru que l'on ne pouvait pas à la fois entamer une négociation de paix séparée avec Vienne, et prêter l'oreille à la proposition qui serait faite à l'ouverture d'un congrès: tant que la cour de Vienne aura l'espoir d'obtenir de nous l'ouverture d'un congrès, elle n'entendra jamais des propositions de paix séparée.
Nous ne porterons jamais la cour de Vienne à entrer en négociation avec nous, qu'en nous prononçant décidément contre l'ouverture d'un congrès, qui, par la lenteur des formes, ne pourrait pas éviter la campagne qui va s'ouvrir, et qu'un esprit d'humanité et de philosophie, qui, malheureusement, n'est pas partagé par l'empereur, vous fait désirer d'éviter.
Je fais travailler à l'armement et aux approvisionnemens de Mantoue, dans le même temps que je fais travailler aux mines pour la détruire. Notre position en Italie me paraît fort satisfaisante.
Je n'ai pas été à Milan depuis la prise de Mantoue, parce que les habitans de la Lombardie attendent mon arrivée, et espèrent que je vais leur permettre la réunion de leurs assemblées primaires.
Le moment d'exécuter vos ordres pour Venise n'est pas encore arrivé; il faut, avant, ôter toute incertitude sur le sort des combats que les deux armées vont avoir à se livrer; je désirerais même que la flottille que le ministre de la marine me promet, fût arrivée dans l'Adriatique.
J'ai nommé le citoyen Meuron, qui nous a rendu des services sur le lac de Garda, consul de la république à Ancône: je vous prie de le confirmer.
J'espère, avant quinze jours, indépendamment de la corvette la Brune, qui est arrivée dans l'Adriatique, avoir une vingtaine de corsaires à Ancône; ce qui nous rendra maîtres du commerce de l'Adriatique.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Tolentino, le 1er ventôse an 5 (19 février 1797).
À Sa Sainteté le Pape Pie VI.
Je dois remercier Votre Sainteté des choses obligeantes contenues dans la lettre qu'elle s'est donné la peine de m'écrire.
La paix entre la république française et Votre Sainteté vient d'être signée, je me félicite d'avoir pu contribuer à son repos particulier.
J'engage Votre Sainteté à se méfier des personnes qui sont à Rome, vendues aux cours ennemies de la France, ou qui se laissent exclusivement guider par les passions haineuses, qui entraînent toujours la perte des états.
Toute l'Europe connaît les inclinations pacifiques et les vertus conciliatrices de Votre Sainteté. La république française sera, j'espère, une des amies les plus vraies de Rome.
J'envoie mon aide-de-camp, chef de brigade, pour exprimer à Votre Sainteté l'estime et la vénération parfaites que j'ai pour sa personne, et je la prie de croire au désir que j'ai de lui donner, dans toutes les occasions, les preuves de respect et de vénération avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).
Aux soldats de l'armée d'Italie.
La prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la patrie.
Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre, quatre équipages de pont.
Les contributions mises sur les pays que vous avez conquis ont nourri, entretenu, soldé l'armée pendant toute la campagne; vous avez en outre envoyé trente millions au ministre des finances pour le soulagement du trésor public.
Vous avez enrichi le Muséum de Paris de plus de trois cents objets, chefs-d'oeuvre de l'ancienne et nouvelle Italie, et qu'il a fallu trente siècles pour produire.
Vous avez conquis à la république les plus belles contrées de l'Europe; les républiques Lombarde et Cispadane vous doivent leur liberté; les couleurs françaises flottent pour la première fois sur les bords de l'Adriatique, en face et à vingt-quatre heures de navigation de l'ancienne Macédoine; les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme se sont détachés de la coalition de nos ennemis, et ont brigué notre amitié; vous avez chassé les Anglais de Livourne, de Gênes, de la Corse...; mais vous n'avez pas encore tout achevé, une grande destinée vous est réservée: c'est en vous que la patrie met ses plus chères espérances, vous continuerez à en être dignes.
De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer la république, à sa naissance, l'empereur seul reste devant nous. Se dégradant lui-même du rang d'une grande puissance, ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres; il n'a plus de politique, de volonté que celle de ces insulaires perfides, qui, étrangers aux malheurs de la guerre, sourient avec plaisir aux maux du continent.
Le directoire exécutif n'a rien épargné pour donner la paix à l'Europe; la modération de ses propositions ne se ressentait pas de la force de ses armées: il n'avait pas consulté votre courage, mais l'humanité et l'envie de vous faire rentrer dans vos familles; il n'a pas été écouté à Vienne; il n'est donc plus d'espérances pour la paix, qu'en allant la chercher dans le coeur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Vous y trouverez un brave peuple accablé par la guerre qu'il a eue contre les Turcs, et par la guerre actuelle. Les habitans de Vienne et des États de l'Autriche gémissent sur l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement; il n'en est pas un qui ne soit convaincu que l'or de l'Angleterre a corrompu les ministres de l'empereur. Vous respecterez leur religion et leurs moeurs, vous protégerez leurs propriétés; c'est la liberté que vous apporterez à la brave nation hongroise.
La maison d'Autriche, qui, depuis trois siècles, va perdant à chaque guerre une partie de sa puissance, qui mécontente ses peuples, en les dépouillant de leurs privilèges, se trouvera réduite, à la fin de cette sixième campagne (puisqu'elle nous contraint à la faire) à accepter la paix que nous lui accorderons, et à descendre, dans la réalité, au rang des puissances secondaires, où elle s'est déjà placée en se mettant aux gages et à la disposition de l'Angleterre.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Bassano, le 20 ventose an 5 (10 mars 1797).
À M. Bataglia, provéditeur-général de la république de Venise à Verone.
J'ai été douloureusement affecté en apprenant que la tranquillité publique est troublée à Brescia. J'espère que, moyennant la sagesse des mesures que vous prendrez, il n'y aura pas de sang de répandu. Vous savez que, dans la position actuelle des esprits en Europe, les persécutions ne feraient qu'autoriser les mécontens contre le gouvernement.
Dans la plupart des villes de l'état vénitien, il y a des personnes qui montrent à chaque instant leur partialité pour les Autrichiens, qui ne cessent de maudire et de se montrer très-indisposées contre les Français. Quelques-unes, mais en petit nombre, paraissent préférer les moeurs et l'affabilité des Français à la rudesse des Allemands. Il serait injuste de punir ces derniers et de leur faire un crime de la partialité que l'on ne trouve pas mauvaise en faveur des Allemands.
Le sénat de Venise ne peut avoir aucune espèce d'inquiétude, devant être bien persuadé de la loyauté du gouvernement français, et du désir que nous avons de vivre en bonne amitié avec votre république; mais je ne voudrais pas que, sous prétexte de conspiration, l'on jetât sous les plombs du palais de Saint-Marc tous ceux qui ne sont pas ennemis déclarés de l'armée française, et qui nous auront, dans le cours de cette campagne, rendu quelques services.
Désirant pouvoir contribuer à rétablir la tranquillité et ôter toute espèce de méfiance entre les deux républiques, je vous prie, monsieur, de me faire connaître le lieu où je pourrai avoir l'honneur de vous voir, ainsi que de croire aux sentimens d'estime et de considération, etc.
BONAPARTE.
Sacile, le 25 ventose an 5 (15 mars 1797).
Instruction pour la conduite à tenir dans le Tyrol.
ART. 1er. Confirmer par une proclamation toutes les lois et tous les magistrats existans.
2. Ordonner, par une proclamation, que l'on continue, comme à l'ordinaire, l'exercice public du culte de la religion.
3. Beaucoup cajoler les prêtres, et chercher à se faire un parti parmi les moines, en ayant soin de bien distinguer les théologiens et les autres savans qui peuvent exister parmi eux.
4. Parler en bien de l'empereur, dire beaucoup de mal de ses ministres et de ceux qui le conseillent.
5. Donner un ordre pour que tous les Tyroliens qui ont été au service de l'empereur rentrent chez eux, et leur assurer la protection et la sauve-garde de la république.
6. Dès l'instant qu'on serait maître de Brixen et de tous les pays en deçà des hautes montagnes, y établir une commission de gouvernement, à laquelle vous donnerez le nom et l'organisation consacrés dans le pays, que vous chargerez de percevoir toutes les impositions qui se percevaient pour le compte de l'empereur, et qu'elle versera, sous sa responsabilité, dans la caisse de l'armée.
7. Ne prendre ni les monts-de-piété, ni les caisses qui appartiendront aux villes, mais seulement les caisses et magasins appartenant à l'empereur; enfin, avoir beaucoup d'aménité et chercher à se concilier les habitans.
8. À ces mesures on joindra celle d'exécuter avec rigueur le désarmement, de prendre des otages dans les endroits où on le croirait nécessaire, et de mettre des impositions en forme de contributions sur les villages qui se conduiraient mal, et où il y aurait eu de nos soldats assassinés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Valdasone, le 27 ventose an 5 (17 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Depuis la bataille de Rivoli, l'armée d'Italie occupait les bords de la Piave et du Lawis; l'armée de l'empereur, commandée par le prince Charles, occupait l'autre rive de la Piave, avait son centre placé derrière le Cordevole, et appuyait sa droite à l'Adige du côté de Bellune.
Le 20, au matin, la division du général Masséna se rend à Feltre: l'ennemi, à son approche, évacue la ligne de Cordevole et se porte sur Bellune.
La division du général Serrurier se porte à Asolo, elle est assaillie par un temps horrible; mais le vent et la pluie, à la veille d'une bataille, ont toujours été pour l'armée d'Italie un présage de bonheur.
Le 23, à la pointe du jour, la division passe la Piave vis-à-vis le village de Vidor: malgré la rapidité et la profondeur de l'eau, nous ne perdons qu'un jeune tambour. Le chef d'escadron Lasalle, à la tête d'un détachement de cavalerie, et l'adjudant général Leclerc, à la tête de la vingt-unième demi-brigade d'infanterie légère, culbutent le corps ennemi, qui voulait s'opposer à notre passage, et se portent rapidement à San-Salvador. Mais l'ennemi, au premier avis du passage, a craint d'être cerné, et a évacué son camp de Capanna.
Le général Guieux, à deux heures après midi, passe la Piave à Ospedalleto, et arrive le soir à Conegliano: un soldat entraîné par le courant est sur le point de se noyer; une femme attachée à la cinquante-unième se jette à la nage et le sauve; je lui ai fait présent d'un collier d'or, auquel sera suspendue une couronne civique avec le nom du soldat qu'elle a sauvé.
Notre cavalerie, dans cette journée, rencontre plusieurs fois celle de l'ennemi, et a toujours l'avantage; nous prenons quatre-vingts hussards.
Le 23, le général Guieux, avec sa division, arrive à Sacile, tombe sur l'arrière-garde ennemie, et, malgré l'obscurité de la nuit, lui fait cent prisonniers. Un corps de hulans demande à capituler; le citoyen Sciebeck, chef d'escadron, s'avance et reste mort; le général Dugua, commandant la réserve, est légèrement blessé.
Cependant, la division du général Masséna arrive à Bellune, poursuit l'ennemi qui s'est retiré du côté de Cadore, enveloppe son arrière-garde, fait sept cents prisonniers, parmi lesquels cent hussards, un colonel, et le général Lusignan, qui commandait tout le centre. Le dixième de chasseurs se distingue comme à son ordinaire. M. de Lusignan s'est couvert d'opprobre par la conduite qu'il tint à Brescia envers nos malades; j'ordonne qu'il soit conduit en France sans pouvoir être échangé.
Le 26, la division du général Guieux part de Pardenone, à cinq heures du matin; celle du général Bernadotte part de Sacile, à trois heures du matin; celle du général Serrurier part de Sassiano, à quatre heures du matin: tous se dirigent sur Valvasone.
La division du général Guieux dépasse Valvasone et arrive sur le bord du Tagliamento, à onze heures du matin. L'armée ennemie est retranchée de l'autre côté de la rivière, dont elle prétend nous disputer le passage. Mon aide-de-camp, chef d'escadron Croisier, va, à la tête de vingt-cinq guides, à la reconnaissance jusqu'aux retranchemens; il est accueilli par la mitraille.
La division du général Bernadotte arrive à midi: j'ordonne sur-le-champ au général Guieux de se porter sur la gauche pour passer la rivière à la droite des retranchemens ennemis, sous la protection de douze pièces d'artillerie. Le général Bernadotte doit la passer sur la droite; l'une et l'autre de ces divisions forment leurs bataillons de grenadiers, se rangent en bataille, ayant chacune une demi-brigade d'infanterie légère en avant, soutenue par deux bataillons de grenadiers, et flanquée par la cavalerie. L'infanterie légère se met en tirailleurs; le général Dommartin, à la gauche, et le général Lespinasse à la droite, font avancer leur artillerie, et la canonnade s'engage avec la plus grande vivacité; j'ordonne que chaque demi-brigade ploie, en colonne serrée sur les ailes de son second bataillon, ses premier et troisième bataillons.
Le général Duphot, à la tête de la vingt-septième d'infanterie légère, se jette dans la rivière; il est bientôt de l'autre côté. Le général Bon le soutient avec les grenadiers de la division du général Guieux. Le général Murat fait le même mouvement sur la droite, et est également soutenu par les grenadiers de la division Bernadotte. Toute la ligne se met en mouvement, chaque demi-brigade par échelon, des escadrons de cavalerie en arrière des intervalles. La cavalerie ennemie veut, plusieurs fois, charger notre infanterie, mais sans succès; la rivière est passée et l'ennemi est partout en déroute. Il cherche à déborder notre droite avec sa cavalerie, et notre gauche avec son infanterie, j'envoie le général Dugua et l'adjudant-général Kellermann à la tête de la cavalerie de réserve: aidés par notre infanterie, commandée par l'adjudant-général Mireur, ils culbutent la cavalerie ennemie, et font prisonnier le général qui la commande.
Le général Guieux fait attaquer le village de Gradisca, et malgré les ombres de la nuit, s'en empare, et met l'ennemi dans une déroute complète; le prince Charles n'a que le temps de se sauver.
La division du général Serrurier, à mesure qu'elle arrive, passe la rivière, et se met en bataille pour servir de réserve.
Nous avons pris à l'ennemi, dans cette journée, six pièces de canon, un général, plusieurs officiers supérieurs, et fait quatre ou cinq cents prisonniers.
La promptitude de notre déploiement et de notre manoeuvre, la supériorité de notre artillerie épouvantèrent tellement l'armée ennemie, qu'elle ne tint pas et profita de la auit pour fuir.
L'adjudant-général Kellermann a reçu plusieurs coups de sabre en chargeant, à la tête de la cavalerie, avec son courage ordinaire.
Je vais m'occuper de récompenser les officiers qui se sont distingués dans ces différentes affaires.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Gradisca, le 30 ventose an 5 (20 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous ai rendu compte du passage de la Piave, des combats de Longara, de Sacile, et de la journée du Tagliamento.
Le 28, la division du général Bernadotte part à trois heures du matin, dépasse Palma-Nova, et prend position sur le torrent de la Torre, où les hussards se rencontrent.
La division du général Serrurier prend position sur la droite, celle du général Guieux sur la gauche; j'envoie le citoyen Lasalle, avec le vingt-quatrième de chasseurs, à Voine.
L'ennemi, à notre approche, évacue Palma-Nova, où nous trouvons trente mille rations de pain et mille quintaux de farine en magasin: il y avait dix jours que le prince Charles s'était emparé de cette place, appartenant aux Vénitiens; il voulait l'occuper, mais il n'avait pas eu le temps de s'y établir.
Le général Masséna arrive à Saint-Daniel, à Osopo, à Gemona, et pousse son avant-garde dans les gorges.
Le 29, le général Bernadotte s'avance et bloque Gradisca; le général Serrurier se porte vis-à-vis San-Pietro pour passer l'Isonzo; l'ennemi a plusieurs pièces de canon et quelques bataillons de l'autre côté pour en défendre le passage.
J'ordonne différentes manoeuvres, qui épouvantent l'ennemi, et le passage s'exécute sans opposition. Je ne dois pas oublier le trait de courage du citoyen Andréossy, chef de brigade d'artillerie, que je charge de reconnaître si la rivière est guéable; il se précipite lui-même dans l'eau, et la passe et la repasse à pied. Cet officier est d'ailleurs distingué par ses talens et ses connaissances étendues.
Passage de l'Isonzo et prise de Gradisca.
Le général Serrurier se porte sur Gradisca en suivant les crêtes supérieures qui dominent cette ville.
Pour amuser pendant ce temps-là l'ennemi et l'empêcher de s'apercevoir de sa manoeuvre, le général Bernadotte fait attaquer, par des tirailleurs, les retranchemens ennemis; mais nos soldats, emportés par leur ardeur naturelle, s'avancent, la baïonnette en avant, jusque sous les murs de Gradisca. Ils sont reçus par une forte fusillade et de la mitraille. Le général Bernadotte, obligé de les soutenir, fait avancer quatre pièces de canon pour enfoncer les portes; mais elles sont couvertes par une flèche bien retranchée.
Cependant le général Serrurier arrive sur les hauteurs qui maîtrisent Gradisca, rend toute retraite impossible à la garnison; l'ennemi n'a donc plus ni probabilité de se défendre, ni espoir de s'échapper; le général Bernadotte lui fait la sommation que je vous envoie, et il capitule.
Trois mille prisonniers, l'élite de l'armée du prince Charles, dix pièces de canon, huit drapeaux sont le fruit de cette manoeuvre. Nous avons en même temps passé l'Isonzo et pris Gradisca.
La division du général Bernadotte s'est conduite avec un courage qui nous est un garant de nos succès à venir. Le général Bernadotte, ses aides-de-camp, ses généraux ont bravé tous les dangers. Je vous demande le grade de général de brigade pour l'adjudant-général Mireur.
Le général Bernadotte se loue beaucoup du général Murat, commandant son avant-garde, du général Friand, de l'adjudant-général Mireur, du citoyen Campredon, commandant du génie; du citoyen Zaillot, commandant l'artillerie; du citoyen Lahure, chef de la quinzième demi-brigade d'infanterie légère; du citoyen Marin, et des deux frères Conroux. Le citoyen Duroc, mon aide-de-camp, capitaine, s'est conduit avec la bravoure qui caractérise l'état major de l'armée d'Italie.
Le citoyen Miquet, chef de la quatre-vingt-huitième demi-brigade, a été blessé.
Combat de Casasola.
La division du général Masséna s'empare du fort de la Chiusa, rencontre l'ennemi, qui veut lui disputer le passage du pont de Casasola. Ses tirailleurs font replier ceux de l'ennemi, et un instant après les grenadiers des trente-deuxième et cinquante-septième demi-brigades, en colonne serrée, forcent ce pont, culbutent l'ennemi malgré ses retranchemens et ses chevaux de frise, le poursuivent jusqu'à la Ponteba, et lui font six cents prisonniers, tous des régimens nouvellement venus du Rhin; tous les magasins que l'ennemi avait de ce côté tombent en notre pouvoir.
Les chasseurs du dixième régiment, le sabre à la main, foncent dans les retranchemens ennemis, et acquièrent un nouveau titre à l'estime de l'armée.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Goritz, le 2 germinal an 5 (22 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Nous sommes entrés hier dans Goritz: l'armée ennemie a effectué sa retraite avec tant de précipitation, qu'elle a laissé dans nos mains quatre hôpitaux contenant quinze cents malades, et tous les magasins de vivres et de munitions de guerre, dont je vous ferai passer l'état par le premier courrier.
La division du général Bernadotte s'est rendue hier à Camiza, son avant-garde et l'arrière-garde ennemie se sont rencontrées à Caminia; le dix-neuvième régiment de chasseurs à cheval a chargé l'ennemi avec une telle impétuosité, qu'il lui a fait cinquante hussards prisonniers, avec leurs chevaux. Le général Masséna a poursuivi l'ennemi jusqu'à la Ponteba.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous fais passer l'état des objets que nous avons trouvés à Goritz. Je vous enverrai par le prochain courrier l'état de ce que nous avons trouvé à Trieste.
Nous sommes maîtres des célèbres mines d'Idria; nous y avons trouvé des matières préparées pour deux millions, on va s'occuper à les charroyer. Si cette opération se fait sans accident, elle sera fort utile à nos finances.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Le général Guieux, avec sa division, se rendit, le 2, de Cividal à Caporeto; il rencontra l'ennemi retranché à Pufero, l'attaqua, lui prit deux pièces de canon, et lui fit une centaine de prisonniers, et le poursuivit dans les gorges de Caporeto à la Chiusa autrichienne, en laissant le champ de bataille couvert d'Autrichiens.
Cependant le général Masséna, avec sa division, est à Tarwis; j'ai donc lieu d'espérer que les deux mille hommes que le général Guieux a poussés devant lui tomberont dans les mains de la division Masséna.
Le général de division Dugua est entré hier soir dans Trieste.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Goritz, le 4 germinal an 5 (24 mars 1797).
Au directoire exécutif.
M. Pezar, sage grand de la république de Venise, a été envoyé ici, accompagné d'un sage de terre-ferme; il est revenu relativement aux événemens de Brescia et de Bergame. Les peuples de ces deux villes ont désarmé la garnison vénitienne, et chassé les provéditeurs de la république de Venise. Un germe d'insurrection gagne toutes les têtes de cette république. Je vous envoie une lettre que m'avait écrite précédemment M. Battaglia, provéditeur de la république de Venise, et la réponse que je lui ai faite. Ma conduite avec M. Pezaro était assez délicate: ce n'est pas dans un moment où Palma-Nova n'est pas encore approvisionné et armé, où nous avons besoin de tous les secours du Frioul, et de toute la bonne volonté des gouvernemens vénitiens pour nous approvisionner dans les défilés de l'Allemagne, qu'il fallait nous brouiller. Il ne fallait pas non plus qu'ils pussent envoyer quatre ou cinq mille hommes, et écraser les personnes qui, à Brescia et à Bergame, nous sont attachées, quoique je n'approuve pas leur conduite, et que je croie que leur insurrection nous est, dans le moment, très-nuisible; mais le parti ennemi de la France est, dans ces différentes villes, si acharné contre nous, que, s'il prenait le dessus, il faudrait être en guerre ouverte avec toute la population. J'ai dit à M. Pezaro que le directoire exécutif n'oubliait pas que la république de Venise était l'ancienne alliée de la France; que nous avions un désir bien formé de la protéger de tout notre pouvoir. J'ai demandé seulement d'épargner l'effusion du sang, et de ne pas faire un crime aux citoyens vénitiens qui avaient plus d'inclination pour l'armée française que pour l'armée impériale; que nous ne soutenions pas les insurgés, qu'au contraire je favoriserais les démarches que ferait le gouvernement; mais que je croyais que, comme ils avaient envoyé un courrier au directoire exécutif, il serait bon peut-être d'en attendre le retour, parce que je croyais que la seule intervention de la France dans ces affaires pourrait ramener les esprits sans avoir besoin de recourir aux armes. Nous nous sommes quittés bons amis, il m'a paru fort content. Le grand point, dans tout ceci, est de gagner du temps. Je vous prie, pour ma règle, de me donner une instruction détaillée.
Les villes d'Ancone, du duché d'Urbin, de la province de Macerata, m'accablent de députations pour me demander à ne pas retourner sous l'autorité papale. La révolution gagne véritablement toutes les têtes en Italie; mais il faudrait encore bien du temps pour que les peuples de ces pays pussent devenir guerriers et offrir un spectacle sérieux.
Je vous envoie un exemplaire de la constitution de la république cispadane.
Les Lombards sont très-impatiens; ils voudraient qu'on déclarât leur liberté, et qu'on leur permît également de se faire une constitution; ils soudoient, dans ce moment, quinze cents Polonais et deux mille hommes de la légion lombarde. L'un et l'autre de ces corps commencent à s'organiser assez Bien.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Goritz, le 5 germinal an 5 (25 mars 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, qu'une colonne de l'armée du prince Charles était cernée entre la division du général Masséna, qui était à Tarwis, et celle du général Guieux, qui, arrivé à Caporeto, le poussait devant lui dans les gorges.
Combat de Tarwis.
Le général Masséna, arrivé à Tarwis, fut attaqué par une division ennemie, partie de Clagenfurth, et qui venait au secours de la division qui était cernée. Après un combat extrêmement opiniâtre, il la mit en déroute, lui fit une grande quantité de prisonniers, parmi lesquels trois généraux. Les cuirassiers de l'empereur, arrivant du Rhin, ont extrêmement souffert.
Affaire de la Chiusa.—Prise de ce poste.
Cependant le général Guieux poussa la colonne qu'il avait battue à Pufero, jusqu'à la Chiusa autrichienne, poste extrêmement retranché, mais qui fut enlevé de vive force, après un combat très-opiniâtre, où se sont particulièrement distingués les généraux Bon, Verdier, et la quatrième demi-brigade, ainsi que la quarante-troisième. Le général Kablès défendait lui-même la Chiusa avec cinq cents grenadiers: par le droit de la guerre, les cinq cents hommes devaient être passés au fil de l'épée; mais ce droit barbare a toujours été méconnu et jamais pratiqué par l'armée française.
La colonne ennemie, voyant la Chiusa prise, activa sa marche, et tomba au milieu de la division du général Masséna, qui, après un léger combat, la fit toute prisonnière: trente pièces de canon, quatre cents chariots portant les bagages de l'armée, cinq mille hommes, quatre généraux, sont tombés en notre pouvoir.
Je m'empresse de vous faire part de cet événement, parce que, dans les circonstances actuelles, il est indispensable que vous soyez prévenu de tout sans retard. Je me réserve de vous rendre un compte plus détaillé de tous ces événemens dès l'instant que j'aurai recueilli tous les rapports, et que les momens seront moins pressans.
La chaîne des Alpes qui sépare la France et la Suisse de l'Italie, sépare le Tyrol italien du Tyrol allemand, les états de Venise des états de l'empereur, et la Carinthie du comté de Goritz et de Gradisca. La division Masséna a traversé les Alpes italiques, et est venue occuper le débouché des Alpes nordiques. Nos ennemis ont eu la maladresse d'engager tous leurs bagages et une partie de leur armée par les Alpes nordiques, qui dès lors se sont trouvés pris.
Le combat de Tarwis s'est donné au-dessus des nuages, sur une sommité qui domine l'Allemagne et la Dalmatie; dans plusieurs endroits où notre ligne s'étendait, il y avait trois pieds de neige, et la cavalerie, chargeant sur la glace, a essuyé des accidens dont les résultats ont été extrêmement funestes à la cavalerie ennemie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous ai rendu compte, dans ma dernière dépêche, des combats de Trévise et de la Chiusa. Le 8, trois divisions de l'armée se trouvaient avoir traversé les gorges qui, de l'état vénitien, conduisent en Allemagne, et campaient à Villach, sur les Lords de la Drave.
Le 9, le général Masséna se mit en marche avec sa division; il rencontra, à une lieue de Clagenfurth, l'armée ennemie, et il s'engagea un combat, où l'ennemi perdit deux pièces de canon et deux cents prisonniers. Nous entrâmes le même soir à Clagenfurth, qui est la capitale de la Haute et Basse-Carinthie. Le prince Charles, avec les débris de son armée extrêmement découragée, fuit devant nous.
Notre avant-garde est aujourd'hui entre Saint-Veit et Freisach. La division du général Bernadotte est à Laubach, capitale de la Carniole. J'ai envoyé le général polonais Zajonseck, à la tête d'un corps de cavalerie, pour suivre la vallée de la Drave, arriver à Lintz et opérer ma jonction avec le général Joubert, qui est à Brixen; elle doit être faite à l'heure qu'il est.
Depuis le commencement de cette campagne, le prince Charles a perdu près de vingt mille hommes de ses troupes, qui sont nos prisonniers. Les habitans de la Carniole et de la Carinthie ont pour le ministère de Vienne et d'Angleterre un mépris qui ne se conçoit pas; la nation anglaise accapare tellement la haine et l'exécration du continent, que je crois que, si la guerre dure encore quelque temps, les Anglais seront réellement exécrés, qu'ils ne seront plus reçus nulle part.
Voilà donc les ennemis entièrement chassés des états de Venise; la Haute et Basse-Carniole, la Carinthie, le district de Trieste, et tout le Tyrol, soumis aux armes de la république.
Nous avons trouvé, près de Villach, un magasin de fer coulé, de cartouches et de poudre, de mine de plomb, d'acier, de fer et de cuivre. Nous avons trouvé, près de Clagenfurth, des manufactures d'armes et de drap.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).
Au directoire exécutif.
Combat du Lavis.
Les divisions des généraux Joubert, Baraguey d'Hilliers et Delmas se sont mises en mouvement le 30 ventose; elles ont enveloppé les corps ennemis qui se trouvaient sur le Lavis. Après un combat extrêmement opiniâtre, nous avons fait quatre mille prisonniers, pris trois pièces de canon, deux drapeaux, et tué près de deux mille hommes, dont une grande partie de chasseurs tyroliens.
Combat de Tramin.
Cependant l'ennemi s'était retiré sur la rive droite de l'Adige, et paraissait vouloir tenir encore. Le 2 germinal, le général Joubert, commandant les trois divisions, se porta à Salurn; le général Vial s'empara du pont de Neumark, et passa la rivière pour empêcher l'ennemi de se retirer sur Botzen. La fusillade s'engagea avec la plus grande force. Le combat paraissait incertain, lorsque le général de division Dumas, commandant la cavalerie, se précipita dans le village de Tramin, fit six cents prisonniers, et prit deux pièces de canon: par ce moyen, les débris de la colonne ennemie, commandée par le général Laudon, n'ont pas pu arriver à Botzen, et errent dans les montagnes.
Combat de Clausen.
Nous sommes entrés dans la ville de Botzen: le général Joubert ne s'y arrêta pas; il y laissa une force suffisante pour suivre le général Laudon, et marcha droit à Clausen. L'ennemi, profitant de la défense qu'offrait le pays, avait fait les meilleures dispositions. L'attaque fut vive et bien concertée, et le succès long-temps incertain. L'infanterie légère grimpa des rochers inaccessibles; les onzième et trente-troisième demi-brigades d'infanterie de bataille, en colonne serrée, et commandées par le général Joubert, en personne, surmontèrent tous les obstacles; l'ennemi, percé par le centre, a été obligé de céder, et la déroute est devenue générale. Nous avons fait à l'ennemi quinze cents prisonniers.
Le général Joubert arriva à Brixen, toujours poursuivant l'ennemi; le général Dumas, à la tête de la cavalerie, a tué, de sa propre main plusieurs cavaliers ennemis; il à été blessé légèrement de deux coups de sabre; son aide-de-camp Dermoncourt a été blessé dangereusement; ce général a, pendant plusieurs minutes, arrêté seul, sur un pont, un escadron de cavalerie ennemie qui voulait passer, et a donné le temps aux siens de le rejoindre.
Nous avons trouvé à Brixen, Botzen et dans divers autres endroits, des magasins de toutes espèces, entr'autres trente mille quintaux de farine.
Partout l'ennemi, tant dans le Tyrol que dans la Carinthie et la Carniole, nous a laissé des hôpitaux; je laisse au chef de l'état-major et au commissaire ordonnateur eu chef le soin d'envoyer au ministre de la guerre les états des effets qu'on y a trouvés.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Clagenfurth, le 12 germinal an 5 (1er avril 1797).
Au peuple de la Carinthie.
L'armée française ne vient pas dans votre pays pour le conquérir, ni pour porter aucun changement à votre religion, à vos moeurs, à vos coutumes; elle est l'amie de toutes les nations, et particulièrement des braves peuples de Germanie.
Le directoire exécutif de la république française n'a rien épargné pour terminer les calamités qui désolent le continent. Il s'était décidé à faire le premier pas et à envoyer le général Clarke à Vienne, comme plénipotentiaire, pour entamer des négociations de paix; mais la cour de Vienne a refusé de l'entendre; elle a même déclaré à Vicence, par l'organe de M. de Saint Vincent, qu'elle ne reconnaissait pas de république française. Le général Clarke a demandé un passeport pour aller lui-même parler à l'empereur; mais les ministres de la cour de Vienne ont craint, avec raison, que la modération des propositions qu'il était chargé de faire, ne décidât l'empereur à la paix. Ces ministres, corrompus par l'or de l'Angleterre, trahissent l'Allemagne et leur prince, et n'ont plus de volonté que celle de ces insulaires perfides, l'horreur de l'Europe entière.
Habitans de la Carinthie, je le sais, vous détestez autant que nous, et les Anglais, qui seuls gagnent à la guerre actuelle, et votre ministère, qui lui est vendu. Si nous sommes en guerre depuis six ans, c'est contre le voeu des braves Hongrois et des citoyens éclairés de Vienne, et des simples et bons habitans de la Carinthie.
Eh bien! malgré l'Angleterre et les ministres de la cour de Vienne, soyons amis; la république française a sur vous les droits de conquête, qu'ils disparaissent devant un contrat qui nous lie réciproquement, Vous ne vous mêlerez pas d'une guerre qui n'a pas votre aveu. Vous fournirez les vivres dont nous pouvons avoir besoin. De mon côté, je protégerai votre religion, vos moeurs et vos propriétés; je ne tirerai de vous aucune contribution. La guerre n'est-elle pas par elle-même assez horrible? Ne souffrez vous pas, déjà trop, vous, innocentes victimes des sottises des autres? Toutes les impositions que vous avez coutume de payer à l'empereur serviront à indemniser des dégâts inséparables de la marche d'une armée, et à payer les vivres que vous nous aurez fournis.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Clagenfurth, le 12 germinal an 6 (1er avril 1797).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
Je vous fais tenir la copie de la lettre que j'ai envoyée, par mon aide-de-camp, au prince Charles.
BONAPARTE.
Copie de la lettre écrite par le général en chef de l'armée d'Italie, à son altesse royale M le prince Charles.
Du 11 germinal an 5 (31 mars 1797).
M. le général en chef,
Les braves militaires font la guerre et désirent la paix! celle-ci ne dure-t-elle pas depuis six ans? Avons-nous assez tué de monde et commis assez de maux à la triste humanité? Elle réclame de tous côtés. L'Europe, qui avait pris les armes contre la république française, les a posées; votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore plus que jamais. Cette sixième campagne s'annonce par des présages sinistres; quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre quelques milliers d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.
Le directoire exécutif de la république française avait fait connaître à sa majesté l'empereur le dessein de mettre fin à la guerre qui désole les deux peuples, l'intervention de la cour de Londres s'y est opposée: n'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre? Et faut-il, pour les intérêts ou les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous continuions à nous entr'égorger? Vous, M. le général en chef, qui, par votre naissance, approchez si près du trône et êtes au-dessus de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les gouvernemens, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de l'humanité entière, et de vrai sauveur de l'Allemagne? Ne croyez pas, M. le général en chef, que j'entende par là qu'il ne soit pas possible de la sauver par la force des armes; mais, dans la supposition que les chances de la guerre nous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera pas moins ravagée. Quant à moi, M. le général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverai avoir méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.
Je vous prie de croire, M. le général en chef, aux sentimens d'estime et de considération distingués avec lesquels je suis, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Combat de Burk.
Citoyens directeurs,
Le général Joubert a attaqué, le 8, la gorge d'Inspruck: les bataillons fraîchement arrivés du Rhin voulaient la défendre; après une canonnade de quelques instans, le général Joubert a décidé l'affaire en marchant droit à la tête de la quatre-vingt-cinquième demi-brigade, en colonne serrée par bataillon: l'ennemi a été culbuté en laissant cent morts, six cents prisonniers, deux pièces de canon, tous les équipages et vingt dragons.
Le général Dumas, qui a chargé, à la tête de la cavalerie, dès l'instant que l'infanterie eut percé, a eu son cheval tué sous lui. Le général de brigade Belliard, qui commandait la quatre-vingt-cinquième; le brave Gaspard Lavisé, chef de cette demi-brigade, et l'aide-de-camp Lambert, se sont particulièrement distingués. Je vous demande, pour le général Dumas, qui, avec son cheval, a perdu une paire de pistolets, une paire de pistolets de la manufacture de Versailles.
BONAPARTE.
Au quartier général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Combat des gorges de Neumarck.
Citoyens directeurs,
L'armée s'est mise en marche le 12. La division du général Masséna, formant l'avant-garde, a rencontré l'ennemi dans les gorges qui se trouvent entre Freisach et Neumarck. L'arrière-garde ennemie a été culbutée dans toutes les positions qu'elle a voulu disputer, et nos troupes s'acharnèrent à la poursuivre avec une telle vitesse, que le prince Charles fut obligé de faire revenir, de son corps de bataille, les huit bataillons de grenadiers, les mêmes qui ont pris Kelh et qui sont en ce moment l'espoir de l'armée autrichienne; mais la deuxième d'infanterie légère, qui s'est distinguée depuis son arrivée par son courage, ne ralentit pas son courage un seul instant, se jeta sur les flancs de droite et de gauche, dans le temps que le général Masséna, pour fouler la gorge, faisait mettre en colonne les grenadiers de la dix-huitième et de la trente-deuxième. Le combat s'engagea avec fureur: c'était l'élite de l'armée autrichienne qui venait lutter contre nos vieux soldats d'Italie. L'ennemi avait une position superbe, qu'il avait hérissée de canons; mais elle ne fit que retarder de peu de temps la défaite de l'arrière-garde ennemie. Les grenadiers ennemis furent mis dans une complète déroute, laissèrent le champ de bataille couvert de morts, et cinq à six cents prisonniers.
L'ennemi profita de toute la nuit pour filer. À la pointe du jour, nous entrâmes dans Neumark. Le quartier-général fut, ce jour-là, à Freisack.
Nous avons trouvé à Freisack quatre mille quintaux de farine, une grande quantité d'eau-de-vie et d'avoine. Ce n'était qu'une faible partie des magasins qui y existaient, l'ennemi avait brûlé le reste: nous en avons trouvé autant à Neumarck.
Combat de Hundelmarck.
Le 14, le quartier-général se porta à Scheifling. L'avant-garde, sur le point d'arriver à Hundelmarck, rencontra l'arrière-garde de l'ennemi, qui voulait lui disputer sa couchée.
La deuxième d'infanterie légère était encore d'avant-garde. Après une heure de combat, l'arrière-garde ennemie, qui, ce jour-là, était composée de quatre régimens venant du Rhin, fut encore mise en déroute, et nous laissa six cents prisonniers, et au moins trois cents morts sur le champ de bataille. Notre avant-garde mangea encore, ce jour-là, le pain et but l'eau-de-vie préparés pour l'armée autrichienne.
Notre perte, dans ces deux combats, a été de fort peu de chose: le chef de brigade Carere, officier du plus grand courage, et qui nous a rendu, dans la campagne les plus grands services, a été tué d'un boulet. C'est le seul officier que nous ayons perdu: il est vivement regretté.
Aujourd'hui nous occupons Kintenfeld, Murau et Jundenburg. L'ennemi paraît s'être décidé à une retraite plus précipitée, et à ne plus engager de combat partiel.
J'ai fait poursuivre, par la division du général Guieux, la division du général autrichien Spork, qui voulait faire sa jonction par la vallée de la Marche, et dont l'avant-garde était déjà arrivée à Murau. Notre arrivée prompte à Scheifling a rendu cette jonction impossible: désormais elle ne peut plus se faire qu'au de-là des montagnes qui avoisinent Vienne.
Je vous envoie la réponse que m'a faite le prince Charles à ma lettre du 10, avant le combat du 13; deux heures après avoir envoyé cette réponse, comme nous marchions sur Freisack, il a fait demander, par un de ses aides-de-camp, une suspension de quatre heures, proposition entièrement inadmissible. Il voulait, en gagnant quatre heures, gagner la journée, et par là avoir le temps de faire sa jonction avec le général Spork: c'était précisément la raison qui me faisait marcher jour et nuit.
Depuis le commencement de la campagne, le citoyen Ordonner, chef de brigade du dixième régiment de chasseurs, montre un courage qui lui captive l'estime de l'armée.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).
À M. Pesaro, sage grand de la république de Venise.
Les affaires militaires, monsieur, qui se sont succédé avec la plus grande rapidité, m'ont empêché de répondre à la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire.
De tous les points du territoire de la république de Venise, il me vient des plaintes sur la conduite des agens de cette république à l'égard de l'armée française. À Verone, on affiche tous les jours des placards pour exciter la haine du peuple contre nous, et effectivement les assassinats commencent et deviennent fréquens sur la route de Verone à la Piave.
Un vaisseau de guerre vénitien a tiré des coups de canon sur la frégate la Brune, et l'a empêchée de mouiller dans le golfe, tandis qu'un convoi autrichien y mouillait.
La maison du consul de Zante a été pillée et brûlée, et votre gouvernement l'a laissé faire.
Toutes les personnes qui sont soupçonnées d'avoir prêté secours à l'armée française sont ouvertement persécutées, dans le temps qu'on encourage de nombreux agens que la maison d'Autriche a dans Verone et autres lieux des états de Venise.
La république française, ne se mêle pas, monsieur, des affaires intérieures de la république de Venise; mais la nécessité de veiller à la sûreté de l'armée me fait un devoir de prévenir les entreprises que l'on pourrait faire contre elle.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).
À la municipalité de Brescia et à celle de Bergame.
J'ai reçu, citoyens, la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire: il ne m'appartient pas d'être juge entre le peuple de votre province et le sénat de Venise; mon intention cependant est qu'il n'y ait aucune espèce de trouble ni de mouvement de guerre, et je prendrai toutes les mesures pour maintenir la tranquillité sur les derrières de l'armée.
Les troupes françaises continueront de vivre avec le peuple de Brescia dans le même esprit de neutralité et de bonne intelligence, et je désire, dans toutes les occasions, pouvoir vous donner des preuves de l'estime que j'ai pour vous.
BONAPARTE.
Ay quartier général à Scheifling, le 16 germinal an 5 (5 avril 1797).
À M. Pesaro, sage grand de la république de Venise.
Le duc de Modène, monsieur, doit plus de 30,000,000 à l'état de Modène: en conséquence, je vous requiers de faire mettre en séquestre, soit l'argent qu'il a dans la banque de Venise, soit le trésor qui se trouve dans le palais où il demeure, et dès aujourd'hui je regarde le gouvernement vénitien comme répondant de ladite somme.
Je vous prie de croire aux sentimens d'estime, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 19 germinal an 5 (8 avril 1797).
Au directoire exécutif.
J'ai eu l'honneur de vous envoyer la lettre que j'avais écrite au prince Charles, et sa réponse.
Je vous fais passer:
1°. Copie de la lettre qu'il m'a écrite de nouveau, en date du 6 avril;
2°. La note qui m'a été remise par MM. les généraux Bellegarde et Meerveldt;
3°. La réponse que je leur ai faite;
4°. Une seconde lettre du prince Charles, et enfin les conditions de la suspension d'armes de cinq jours, que nous avons conclue. Vous y remarquerez, par la ligne de démarcation, que nous nous trouvons avoir occupé Gratz, Bruck, et Rotenmann, que nous n'occupions pas encore.
D'ailleurs, mon intention était de faire reposer deux ou trois jours l'armée; cette suspension dérange donc fort peu les opérations militaires.
Ces généraux sont sur-le-champ repartis pour Vienne, et le plénipotentiaire de S. M. l'empereur doit être arrivé au quartier-général avec des pleins pouvoirs pour une paix séparée, avant l'expiration de la suspension d'armes, que j'ai fait grande difficulté de leur accorder, mais qu'ils ont jugée indispensable.
Je leur ai dit que toute clause préliminaire à la négociation de paix devait être la cession jusqu'au Rhin; ils m'ont demandé une explication sur l'Italie, à laquelle je me suis refusé: ils m'ont, de leur côté, déclaré que, si S. M. l'empereur devait tout perdre, elle sortirait de Vienne, et s'exposerait à toutes les chances; je leur ai observé que, lorsque je m'expliquais d'une manière définitive sur les limites du Rhin, et que je me taisais sur l'Italie, c'était faire entendre qu'on admettait la discussion sur cette clause essentielle.
On m'a paru ne pas approuver les principes de Thugut, et que même l'empereur commençait à s'en apercevoir.
Nos armées n'ont pas encore passé le Rhin, et nous sommes déjà à vingt lieues de Vienne. L'armée d'Italie est donc seule exposée aux efforts d'une des premières puissances de l'Europe.
Les Vénitiens arment tous leurs paysans, mettent en campagne tous leurs prêtres, et secouent avec fureur tons les ressorts de leur vieux gouvernement, pour écraser Bergame et Brescia. Le gouvernement vénitien a en ce moment vingt mille hommes armés sur mes derrières.
Dans les états du pape même, des rassemblemens considérables de paysans descendent des montagnes, et menacent d'envahir toute la Romagne.
Les différens peuples d'Italie, réunis par l'esprit de liberté, et agités en différens sens par les passions les plus actives, ont besoin d'être contenus et surveillés.
Je vous enverrai la situation des troupes que j'ai avec moi, et de celles que j'ai en Italie.
Tout me porte à penser que le moment de la paix est arrivé, et que nous devons la faire dans un moment où nous pouvons dicter les conditions, pourvu qu'elles soient raisonnables.
Si l'empereur nous cède ce qui lui appartient du côté de la rive gauche du Rhin, comme prince de la maison d'Autriche, et si, comme chef de l'empire, il reconnaît les limites de la république au Rhin; s'il cède à la république cispadane le duché de Modène et Carrare; s'il nous donne Mayence, dans l'état où elle se trouve, en échange contre Mantoue, je crois que nous aurons fait une paix beaucoup plus avantageuse que ne le portent les instructions du général Clarke. Nous restituerons, il est vrai, toute la Lombardie et tous les pays que nous occupons dans ce moment-ci; mais n'aurons-nous pas tiré de nos succès tout le parti possible, lorsque nous aurons le Rhin pour limite, et que nous aurons institué dans le coeur de l'Italie une république de deux millions d'habitans, qui, par Carrare, se trouvera près de nous, nous donnera le commerce du Pô, de l'Adriatique, et s'agrandira à mesure que le pape se détruira.
Je viens d'expédier un courrier au général Clarke pour que, de Turin, il se rende en toute diligence ici: il est porteur de vos instructions, et a des pleins pouvoirs pour finir cette négociation; j'espère qu'il arrivera à temps, pour ne pas faire perdre le moment, qui est tout dans les négociations de cette nature.
Si, contre mon attente, la négociation ne réussissait pas, je me trouverais embarrassé sur le parti que j'aurais à prendre; je chercherais néanmoins à attirer l'ennemi dans une affaire, à le battre, à obliger l'empereur à abandonner Vienne: après quoi je serais obligé de rentrer en Italie, si les armées du Rhin restaient dans l'inaction où elles se trouvent encore.
J'espère, quelque parti que je me trouve obligé de prendre, mériter votre approbation. Je me suis trouvé, depuis le commencement de la campagne, passer, à chaque pas, dans une position neuve, et j'ai toujours eu le bonheur de voir la conduite que j'ai tenue répondre à vos intentions.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au général Kilmaine.
Dès l'instant que votre aide-de-camp est arrivé, j'ai pris en grande considération la dépêche dont il était porteur. Je vous envoie:
1'o. Une lettre au doge de Venise, et une à Lallemant, qu'il doit présenter en forme de note. Vous verrez, par ces deux lettres, que Junot porte à Venise et dont il doit avoir réponse sous vingt-quatre heures, quel est le remède qu'il faut porter à tout ce tripotage.
Si Junot reçoit une réponse satisfaisante, il vous en préviendra à son départ de Venise; s'il ne reçoit pas de réponse satisfaisante, il se rendra près de vous à Mantoue.
La division du général Victor doit être arrivée a Padoue: vous ferez sur-le-champ désarmer la division de Padoue, prendre les officiers et le gouverneur, que vous enverrez prisonniers à Milan; vous en ferez autant à Treviso, Bassano et Verone, et si le sénat avait remis garnison à Brescia et à Bergame, vous en feriez autant. Vous ferez imprimer et répandre la proclamation que je vous envoie, et vous en feriez d'autres, conformes aux circonstances. Vous ferez marcher la colonne mobile, que vous avez réunie avec votre prudence ordinaire, à Crema, pour punir les montagnards qui ont assassiné nos gens et pour les désarmer.
Pour faire la guerre aux différentes vallées, il faut dissoudre le rassemblement en menaçant leurs villages, et tomber inopinément sur un village où ils ne sont pas en force et le brûler.
À Bergame, à Brescia, à Verone, à Padoue, à Treviso, à Bassano, vous organiserez une municipalité choisie parmi les principaux citoyens, avec une garde qu'ils seront autorisés à se composer parmi les meilleurs patriotes, pour leur police: après quoi, vous me renverrez le plus tôt possible la division du général Victor. Je crois qu'il est essentiel que vous veilliez à ce que votre communication du Frioul ne soit pas interrompue.
Je vous envoie des ordres de l'état-major qui vous donnent le commandement de tout le Mantouan, de la division Victor et de tous les états vénitiens.
J'imagine que vous avez une carte du Frioul.
Vous aurez soin de faire arrêter tous les nobles vénitiens et tous les hommes les plus attachés au sénat, pour que leur tête réponde de ce qui sera fait à Venise aux personnes qui nous étaient attachées et qu'on a arrêtées.
Vous aurez bien soin de ne vous laisser arrêter par aucune espèce de considération. Si dans vingt-quatre heures la réponse n'est pas faite, que tout se mette en marche à la fois, et que sous vingt-quatre heures il n'existe pas un soldat vénitien sur le continent. Vous préviendrez sur-le-champ le commandant d'Ancône et celui de Trieste de faire courir nos corsaires sur les bannières vénitiennes.
Vous sentez combien il serait dangereux de laisser aux troupes vénitiennes le temps de se réunir. Quant aux soldats vénitiens que vous ferez prisonniers, vous les ferez escorter par les soldats lombards, et vous les enverrez à Bologne et à Milan pour être gardés par les gardes nationales de ces deux villes. Ayez soin de vous emparer de la cavalerie vénitienne pour monter vos dépôts.
Tout va ici fort bien, et si l'affaire de Venise est bien menée, comme tout ce que vous faites, ces gaillards-là se repentiront, mais trop tard, de leur perfidie. Le gouvernement de Venise, concentré dans sa petite île, ne serait pas, comme vous pensez bien, de longue durée.
Je pense donc qu'il faut que vous partiez sur-le-champ pour Mantoue, et même pour Porto-Legnago et Peschiera. Entrer dans toutes les places, désarmer toutes leurs garnisons, faire prisonniers tous les nobles de terre-ferme: cela ne doit être qu'une seule opération et qui, au plus tard, doit être faite vingt-quatre heures après que Junot sera parti de Venise.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal au 5 (9 avril 1797).
Au peuple de la terre-ferme de la république de Venise.
Le sénat de Venise a, depuis le commencement de cette guerre, concentré toutes ses sollicitudes dans les lagunes; indifférent aux maux de la terre-ferme, il l'a livrée aux armées ennemies qui guerroyaient dans vos contrées. Le gouvernement du sénat de Venise n'offre protection ni pour vos personnes ni pour vos propriétés; il vient, par suite de ce système qui le rend indifférent à votre sort, de s'attirer l'indignation de la république française.
Je sais que, n'ayant aucune part à son gouvernement, je dois vous distinguer dans les différens châtimens que je dois infliger aux coupables. L'armée française protégera votre religion, vos personnes et vos propriétés; vous avez été vexés par ce petit nombre d'hommes qui se sont, depuis les temps de barbarie, emparés du gouvernement. Si le sénat de Venise a sur vous le droit de conquête, je vous en affranchirai; s'il a sur vous le droit d'usurpation, je vous restituerai vos droits. Quant aux insensés qui, conseillés par des hommes perfides, voudraient prendre part, et attirer sur leurs villes les maux de la guerre, je les plaindrai, et les punirai de manière a servir d'exemple aux autres, et à les faire repentir de leur folie.
BONAPARTE.
Au quartier général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au sérénissime Doge de la république de Venise.
Toute la terre ferme de la sérénissime république de Venise est en armes. De tous les côtés, le cri de ralliement des paysans que vous avez armés est: Mort aux Français! Plusieurs centaines de soldats de l'armée d'Italie en ont déjà été les victimes. Vous désavouez vainement des rassemblemens que vous avez organisés: croiriez-vous que dans un moment où je suis au coeur de l'Allemagne, je sois impuissant pour faire respecter le premier peuple de l'univers? Croyez-vous que les légions d'Italie souffriront le massacre que vous excitez? Le sang de mes frères d'armes sera vengé, et il n'est aucun des bataillons français qui, chargé d'un si noble ministère, ne sente redoubler son courage et tripler ses moyens. Le sénat de Venise a répondu par la perfidie la plus noire aux procédés généreux que nous avons toujours eus avec lui. Je vous envoie mon premier aide-de-camp, pour être porteur de la présente lettre. La guerre ou la paix. Si vous ne prenez pas sur-le-champ les moyens de dissiper les rassemblemens; si vous ne faites pas arrêter et livrer en mes mains les auteurs des assassinats qui viennent de se commettre, la guerre est déclarée. Le Turc n'est pas sur vos frontières, aucun ennemi ne vous menace; vous avez fait à dessein naître des prétextes, pour avoir l'air de justifier un rassemblement dirigé contre l'armée: il sera dissous dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes plus au temps de Charles VIII. Si, contre le voeu bien manifesté du gouvernement français, vous me réduisez au parti de faire la guerre, ne pensez pas cependant, qu'à l'exemple des soldats que vous avez armés, les soldats français ravagent les campagnes du peuple innocent et infortuné de la terre-ferme; je le protégerai, et il bénira un jour jusqu'aux crimes qui auront obligé l'armée française à le soustraire à votre gouvernement tyrannique.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au citoyen Lallemant, ministre de la république française à Venise.
Enfin, nous n'en pouvons plus douter, citoyen ministre, le but de l'armement des Vénitiens est de couper les derrières de l'armée française. Certes, il m'était difficile de concevoir comment Bergame, qui, de toutes les villes de l'état de Venise, est celle qui était le plus aveuglément dévouée au sénat, ait été la première à s'ameuter contre lui; il est encore plus difficile de concevoir comment, pour apaiser cette légère émeute, on a besoin de vingt-cinq mille hommes, et pourquoi M. Pesaro, lors de notre conférence à Goritzia, a refusé l'offre que je lui faisais de la médiation de la république pour faire rentrer ces places dans l'ordre.
Tous les procès-verbaux qui ont été faits par les différens provéditeurs de Brescia, de Bergame et de Crema, où ils attribuent l'insurrection de ces pays aux Français, sont une série d'impostures dont le but serait inexplicable, si ce n'était de justifier aux yeux de l'Europe la perfidie du sénat de Venise.
On a habilement profité du temps où l'on pensait que j'étais embarrassé dans les gorges de la Carinthie, ayant en tête l'armée du prince Charles, pour faire cette perfidie sans exemple, si l'histoire ne nous avait transmis celle contre Charles VIII et les Vêpres siciliennes. On a été plus habile que Rome, en saisissant un moment où l'armée était plus occupée; mais sera-t-on plus heureux? Le génie de la république française, qui a lutté contre l'Europe entière, serait-il venu échouer dans les lagunes de Venise?
1°. Un vaisseau de guerre vénitien a attaqué et maltraité la frégate la Brune, en prenant sous sa protection un convoi autrichien.
2°. La maison du consul de Zante a été brûlée; le gouvernement a vu avec plaisir insulter l'agent de la république française.
3°. Dix mille paysans armés et soudoyés par le sénat ont assassiné plus de cinquante Français sur la route de Milan à Bergame.
4°. La ville de Verone, celles de Venise et de Padoue sont pleines de troupes; on s'arme de tous côtés, contre ce que m'avait promis M. Pesaro, sage grand de la république de Venise.
5°. Tout homme qui a prêté assistance à la France est arrêté et emprisonné. Les agens de l'empereur sont fêtés et sont à la tête des assassinats.
6°. Le cri de ralliement de tous côtés est: mort aux Français; de tous côtés, les prédicateurs, qui ne prêchent que ce que le sénat veut, font retentir des cris de fureur contre la république française.
7°. Nous sommes donc dans le fait en état de guerre avec la république de Venise, qui le sait si bien, qu'elle n'a trouvé d'autre moyen pour masquer son mouvement, que de désavouer en apparence des paysans qu'elle arme et solde réellement.
En conséquence, vous demanderez au sénat de Venise:
1°. Une explication catégorique, sous douze heures; savoir, si nous sommes en paix ou en guerre; et dans le dernier cas, vous quitterez sur-le-champ Venise; dans le second, vous exigerez:
1°. Que tous les hommes arrêtés pour opinions, et qui ne sont nullement coupables que d'avoir montré de l'attachement pour la France, soient sur-le-champ mis en liberté;
2°. Que toutes les troupes, hormis les garnisons ordinaires qui existaient il y a cinq mois dans les places de la terre-ferme, évacuent la terre-ferme;
3°. Que tous les paysans soient désarmés comme ils l'étaient il y a un mois.
4°. Que le sénat prenne des mesures pour maintenir la tranquillité dans la terre-ferme, et ne pas concentrer toute sa sollicitude dans les lagunes;
5°. Quant aux troubles de Bergame et de Brescia, j'offre, comme je l'ai déjà fait à M. Pesaro, la médiation de la république française, pour tout faire rentrer dans l'état habituel;
6°. Que les auteurs de l'incendie de la maison du consul de Zante soient punis, et sa maison rétablie aux frais de la république;
7°. Que le capitaine de vaisseau qui a tiré sur la frégate la Brune soit puni, et que la valeur du convoi que, contre la neutralité, il a protégé, soit remboursée.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Mon courrier partait lorsqu'un aide-de-camp du général Kilmaine m'apporte la nouvelle de l'insurrection presque générale des paysans vénitiens contre nous.
J'ai sur-le-champ expédié mon aide-de-camp Junot, avec ordre de porter lui-même: 1°. au doge de Venise une lettre dont je vous envoie la copie;
2°. Au citoyen Lallemant, notre ministre à Venise, deux lettres dont je vous envoie également les copies.
3°. Au général Kilmaine un ordre dont je vous envoie aussi copie.
Enfin, j'ai donné à ce général le commandement de tous les états vénitiens et d'une partie de la division du général Victor, qui était de retour de Rome.
Quand vous lirez cette lettre, nous serons maîtres de tous les états de terre-ferme, ou bien tout sera rentré dans l'ordre, et vos instructions exécutées. Si je n'avais pas pris une mesure aussi prompte, et que j'eusse donné à tout cela le temps de se consolider, cela aurait pu être de la plus grande conséquence.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Léoben, le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).
Au directoire exécutif.
En conséquence de la suspension d'armes que je vous ai envoyée par mon dernier courrier, la division du général Serrurier a occupé Gratz, ville contenant quarante mille habitans, et estimée une des plus considérables de l'état de l'empereur.
Les généraux Joubert, Delmas et Baraguay d'Hilliers ont eu, à Balzano et à Milback, différens combats, desquels ils sont toujours sortis vainqueurs. Ils sont parvenus à traverser le Tyrol, à faire, dans les différens combats, huit mille prisonniers, et à se joindre avec la grande armée par la vallée de la Drave. Par ce moyen, toute l'armée est réunie. Notre ligne s'étend depuis la vallée de la Drave, du côté de Spital à Rotenmann, le long de la Muhr, Brutz, Gratz, et jusqu'auprès de Fiume.
Je vous envoie une note des officiers qui se sont particulièrement distingués dans les affaires du Tyrol, et auxquels j'ai accordé de l'avancement.
Vous trouverez aussi l'organisation que j'ai donnée à la Styrie et à la Carniole.
Vous trouverez également une proclamation du général Bernadotte, ainsi qu'un mandement de l'évêque de Liebach.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Léoben le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous envoie, par l'adjudant-général Leclerc, des dépêches très-intéressantes sur la situation de l'armée et sur les négociations entamées; il vous donnera de vive voix tous les détails que je pourrais avoir oubliés. En traversant l'Allemagne, il sera à même de voir les différens mouvemens des troupes ennemies, et d'en instruire les généraux Hoche et Moreau, à son arrivée sur le Rhin. Je vous prie de me le renvoyer de suite. Tous les officiers que j'envoie à Paris y restent trop long-temps: ils dépensent leur argent et se perdent dans les plaisirs.
Je vous envoie, par un capitaine de hussards, qui a quatre-vingts ans de service, plusieurs drapeaux pris sur l'ennemi.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Léoben, le 27 germinal an 5 (16 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Le général Meerveldt est venu me trouver à Léoben, le 24, à neuf heures du matin: après avoir pris connaissance de son plein pouvoir pour traiter de la paix, nous sommes convenus d'une prolongation de suspension d'armes jusqu'au 20 avril soir (8 floréal prochain). Ces pleins pouvoirs étaient pour lui et pour M. le marquis de Gallo, ministre de Naples à Vienne; j'ai refusé d'abord de l'admettre comme plénipotentiaire de l'empereur, étant, à mes yeux, revêtu de la qualité d'ambassadeur d'une puissance amie, qui se trouve incompatible avec l'autre. M. Gallo est arrivé lui-même le 25. Je n'ai pas cru devoir insister dans cette opposition, parce que cela aurait apporté beaucoup de lenteurs, et parce qu'il paraît revêtu d'une grande confiance de l'empereur; enfin, parce que les Autrichiens et les Hongrois sont très-irrités de voir les étrangers jouer le principal rôle dans une affaire aussi importante, et que, si nous rompons, ce sera un moyen très-considérable d'exciter le mécontentement contre le gouvernement de Vienne. La première opération dont il a été question, a été une promesse réciproque de ne rien divulguer de ce qui serait dit: on l'avait rédigée, mais ces messieurs tiennent beaucoup à l'étiquette, ils voulaient toujours mettre l'empereur avant la république, et j'ai refusé net.
Nous sommes à l'article de la reconnaissance. Je leur ai dit que la république française ne voulait point être reconnue; elle est en Europe ce qu'est le soleil sur l'horizon: tant pis pour qui ne veut pas la voir et ne veut pas en profiter.
Ils m'ont dit que, quand même les négociations se rompraient, l'empereur, dès aujourd'hui, reconnaissait la république française, à condition que celle-ci conserverait avec S.M. l'empereur la même étiquette que ci-devant le roi de France. Je leur ai répondu que, comme nous étions fort indifférens sur tout ce qui est étiquette, nous ne serions pas éloignés d'adopter cet article. Nous avons, après cela, beaucoup parlé dans tous les sens et de toutes les manières.
Le 26, M. Gallo est venu chez moi à huit heures du matin; il m'a dit qu'il désirait neutraliser un endroit où nous pussions continuer nos conférences en règle. On a choisi un jardin, au milieu duquel est un pavillon; nous l'avons déclaré neutre, farce à laquelle j'ai bien voulu me prêter pour ménager la puérile vanité de ces gens-ci. Ce prétendu point neutre est environné de tous côtés par l'armée française; et au milieu des bivouacs de nos divisions: cela eût été fort juste et fort bon s'il se fût trouvé au milieu des deux armées. Arrivés dans la campagne neutre, l'on a entamé les négociations. Voici ce qui en est résulté:
1°. La cession de la Belgique, et la reconnaissance des limites de la république française conformément au décret de la convention; mais ils demandent des compensations qu'ils veulent nécessairement en Italie.
2°. Ils demandent la restitution du Milanez; de sorte qu'ils auraient voulu, en conséquence de ce premier article, le Milanez et une portion quelconque des états de Venise ou des légations: si j'eusse voulu consentir à cette proposition, ils avaient le pouvoir de signer sur-le-champ. Cet arrangement ne m'a pas paru possible.
S.M. l'empereur a déclaré ne vouloir aucune compensation en Allemagne. Je leur ai offert, pour le premier article, la restitution du Milanez et de la Lombardie, ils n'ont pas voulu: de sorte que nous avons fini par trois projets qu'ils ont expédiés, par un courrier extraordinaire, à Vienne, et dont ils auront la réponse dans deux ou trois jours.
PREMIER PROJET.
Art 1er. La cession de la Belgique, les limites constitutionnelles de la France.
2. À la paix avec l'empire, l'on fixera tout ce qui est relatif an pays qu'occupe la France jusqu'au Rhin.
3. Les deux puissances s'arrangeront ensemble pour donner à l'empereur tous les pays du territoire vénitien, compris entre le Mincio, le Pô et les états d'Autriche.
4. On donnera au duc de Modène les pays de Brescia compris entre l'Oglio et le Mincio.
5. Le Bergamasque et tous les pays des états de Venise compris entre l'Oglio et le Milanez, ainsi que le Milanez, formeraient une république; Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne formeraient une république.
6. La ville de Venise continuerait à rester indépendante, ainsi que l'Archipel.
DEUXIÈME PROJET.
Les articles 1 et 2 sont les mêmes que les précédens.
3. L'évacuation du Milanez et de la Lombardie.
TROISIÈME PROJET.
Les deux premiers articles comme dans les précédens.
3. La renonciation par S. M. l'empereur de tous ses droits an Milanez et à la Lombardie.
4. La France s'engagerait à donner à S. M. l'empereur des compensations proportionnées au Milanez et au duché de Modène, qui seront l'objet d'une négociation, et dont il devrait être en possession au plus tard dans trois mois.
Si l'un de ces trois projets est accepté à Vienne, les préliminaires de la paix se trouveraient signés le 20 avril (8 floréal), sans quoi, vu que les armées du Rhin n'ont fait encore aucun mouvement, je leur proposerais un armistice pur et simple pour les trois armées, et pour trois mois, pendant lesquels on ouvrira des négociations de paix. Pendant ce temps, on fortifierait Clagenfurth et Gratz, on ferait venir toutes les munitions de guerre de ce côté-ci, l'armée s'organiserait parfaitement, et vous auriez le temps d'y faire passer quarante mille hommes de l'armée du Rhin: moyennant quoi vous auriez une armée extrêmement considérable, dont la seule vue obligerait l'empereur à faire de plus grands sacrifices.
Si rien de tout cela n'est accepté, nous nous battrons, et si l'armée de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les premiers jours du mois prochain, avoir frappé de grands coups et se trouver sur la Reidnitz. Les meilleurs généraux et les meilleures troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne, il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retraça des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le Rhin, il le passera; et s'il l'avait déjà passé, nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix d'une manière impérieuse et sans courir aucune chance; mais qui craint de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes juliennes et les Alpes nordiques sur trois pieds de glace; j'ai fait passer mon artillerie par des chemins où jamais chariots n'avaient passé, et tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté au-delà de l'Isonzo. Je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive. Je suis aux portes de Vienne, et cette cour insolente et orgueilleuse a ses plénipotentiaires à mon quartier-général. Il faut que les armées du Rhin n'aient point de sang dans les veines: si elles me laissent seul, alors je m'en retournerai en Italie. L'Europe entière jugera la différence de conduite des deux armées: elles auront ensuite sur le corps toutes les forces de l'empereur, elles en seront accablées, et ce sera leur faute.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Léoben, le 30 germinal an 5 (19 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous ai envoyé, par l'adjudant-général Leclerc, plusieurs projets d'arrangement qui avaient été envoyés à Vienne, et sur lesquels les plénipotentiaires attendaient des instructions. M. de Vincent, aide-de-camp de S. M. l'empereur, est arrivé sur ces entrefaites, les plénipotentiaires sont revenus chez moi pour reprendre le cours de la négociation; après deux jours, nous sommes convenus et nous avons signé les préliminaires de la paix, dont je vous envoie les articles.
Tout ce qui a été déclaré département par la loi de la convention restera à la république.
La république lombarde se trouve non-seulement confirmée, mais encore accrue de tout le Bergamasque et de tout le Crémasque, qui lui sont déjà réunis dans ce moment par l'insurrection de ces deux pays. La partie du Mantouan qui est sur la rive droite de l'Oglio et du Pô s'y trouve également incorporée; le duché de Modène et de Reggio, qui, par la principauté de Massa et de Carrara, touche à la Méditerranée, et par la partie du Mantouan touche au Pô et au Milanez, s'y trouve également compris. Nous aurons donc dans le coeur de l'Italie une république avec laquelle nous communiquerons par les états de Gênes et par la mer; ce qui nous donnera, dans toutes les guerres futures en Italie, une correspondance assurée. Le roi de Sardaigne se trouve désormais être entièrement à notre disposition.
La place de Pizzighitone, qui est aujourd'hui véritablement plus forte que Mantoue; la place de Bergame et celle de Crema, que l'on rétablira, garantiront la nouvelle république contre les incursions de l'empereur, et nous donneront toujours le temps d'y arriver. Du côté de Modène, il y a également plusieurs positions faciles à fortifier, et pour lesquelles on emploiera une partie de l'immense artillerie que nous avons dans ce moment en Italie. Quant à la renonciation de nos droits sur les provinces de Bologne, Ferrare et sur la Romagne, en échange des états de Venise, elles restent toujours en notre pouvoir. Lorsque l'empereur et nous, de concert, nous aurons réussi à faire consentir le sénat à cet échange, il est évident que la république de Venise se trouvera influencée par la république lombarde et à notre disposition. Si cet échange ne s'effectue pas, et que l'empereur entre en possession d'une partie des états de Venise sans que le sénat veuille reprendre une compensation qui est inconvenante et insuffisante, les trois légations restent toujours en notre pouvoir, et nous réunirons Bologne et Ferrare à la république lombarde. Le gouvernement de Venise est le plus absurde et le plus tyrannique des gouvernemens; il est d'ailleurs hors de doute qu'il voulait profiter du moment où nous étions dans le coeur de l'Allemagne pour nous assassiner. Notre république n'a pas d'ennemi plus acharné; Son influence se trouve considérablement diminuée, et cela est tout à notre avantage: cela d'ailleurs lie l'empereur et la France et obligera ce prince, pendant les premiers temps de notre paix, à faire tout ce qui pourra nous être agréable. Cet intérêt commun que nous avons avec l'empereur nous remet la balance dans la main; nous nous trouvons par là placés entre la Prusse et la maison d'Autriche, ayant des intérêts majeurs à arranger avec l'une et l'autre. D'ailleurs, nous ne devons pas nous dissimuler que, quoique notre position militaire soit brillante, nous n'avons point dicté les conditions. La cour avait évacué Vienne; le prince Charles et son armée se repliaient sur celle du Rhin; le peuple de la Hongrie et de toutes les parties des états héréditaires se levait en masse, et même, dans ce moment-ci, leur tête est déjà sur nos flancs. Le Rhin n'était pas passé, l'empereur n'attendait que ce moment pour quitter Vienne et se porter à la tête de son armée. S'ils eussent fait la bêtise de m'attendre, je les aurais battus; mais ils se seraient toujours repliés devant nous, se seraient réunis à une partie de leurs forces du Rhin et m'auraient accablé. Alors la retraite devenait difficile, et la perte de l'armée d'Italie pouvait entraîner celle de la république; aussi étais-je bien résolu à essayer de lever une contribution dans les faubourgs de Vienne et à ne plus faire un pas. Je me trouve ne pas avoir quatre mille hommes de cavalerie, et, au lieu de quarante mille hommes que je vous avais demandés, il n'en est pas arrivé vingt mille.
Si je me fusse, au commencement de la campagne, obstiné à aller à Turin, je n'aurais jamais passé le Pô; si je m'étais obstiné à aller à Rome, j'aurais perdu Milan; si je m'étais obstiné à aller à Vienne, peut-être aurais je perdu la république. Le vrai plan de campagne pour détruire l'empereur était celui que j'ai fait, mais avec six mille hommes de cavalerie et vingt mille hommes de plus d'infanterie; ou bien si, avec les forces que j'avais, on eût passé le Rhin dans le temps que je passais le Tagliamento, comme je l'avais pensé, puisque deux courriers de suite m'ont ordonné d'ouvrir la campagne. Dès l'instant que j'ai prévu que les négociations s'ouvraient sérieusement, j'ai expédié un courrier au général Clarke qui, chargé plus spécialement de vos instructions dans un objet aussi essentiel, s'en serait mieux acquitté que moi; mais lorsque, après dix jours, j'ai vu qu'il n'était pas arrivé, et que le moment commençait à presser, j'ai dû laisser tout scrupule et j'ai signé. Vous m'avez donné plein pouvoir sur toutes les opérations diplomatiques; et, dans la position des choses, les préliminaires de la paix même avec l'empereur, sont devenus une opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la république française, et un présage infaillible, qu'elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l'Europe, si elle organise ses armées avec force, et surtout l'arme de la cavalerie.
Je n'ai pas, en Allemagne, levé une seule contribution; il n'y a pas eu une seule plainte contre nous. J'agirai de même en évacuant, et, sans être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de cette sage conduite; elle germera dans toute la Hongrie, et sera plus fatale au trône de Vienne que les victoires qui ont illustré la guerre de la liberté.
D'ici à trois jours, je vous enverrai la ratification de l'empereur; je placerai alors mon armée dans tout le pays vénitien, où je la nourrirai et entretiendrai jusqu'à ce que vous m'ayez fait passer vos ordres. Quant à moi, je vous demande du repos. J'ai justifié la confiance dont vous m'avez investi; je ne me suis jamais considéré pour rien dans toutes mes opérations, et je me suis lancé aujourd'hui sur Vienne, ayant acquis plus de gloire qu'il n'en faut pour être heureux, et ayant derrière moi les superbes plaines de l'Italie, comme j'avais fait au commencement de la campagne dernière, en cherchant du pain pour l'armée que la république ne pouvait plus nourrir.
La calomnie s'efforcera en vain de me prêter des intentions perfides: ma carrière civile sera comme ma carrière militaire, une et simple. Cependant vous devez sentir que je dois sortir de l'Italie, et je vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux affaires d'Italie, et un congé pour me rendre en France.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je suis parti, il y a deux jours, de Gratz, après avoir conféré avec M. de Gallo, qui, étant de retour de Vienne, m'a montré les préliminaires de paix que nous avons faits, ratifiés par l'empereur dans la forme ordinaire.
Il m'a dit: 1°. que l'empereur éloignerait les émigrés et le corps de Condé, qui ne seraient plus à sa solde.
2°. Que l'empereur désirait traiter sa paix particulière, le plus tôt possible, et en Italie. Nous avons choisi Brescia pour le lieu des conférences.
3°. Que la paix de l'empire pouvait se traiter à Constance ou dans quelque autre ville de ce genre.
4°. Qu'à la seule paix de l'empire on appellerait les alliés, qui ne seront point appelés à la paix particulière.
5°. Que l'empereur avait déjà donné des pouvoirs pour traiter de la paix définitive, et M. Gallo m'a sur ce interpellé pour savoir si le général Clarke avait des pouvoirs. J'ai dit qu'il fallait, avant tout, attendre vos ordres.
6°. Enfin que la cour de Vienne est de bonne foi et désire serrer de toutes les manières son système politique avec celui de la France, et que le directoire exécutif trouverait avec l'empereur un cabinet de bonne foi et qui marche droit. Le ministre d'Angleterre à Vienne s'est fortement fâché avec M. Thugut, il paraît que les Anglais le prennent fort haut, et taxent l'empereur de mauvaise foi.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
Au citoyen Lallemant, ministre de la république française à Venise.
Le sang français a coulé dans Venise, et vous y êtes encore! attendez-vous donc qu'on vous en chasse? Les Français ne peuvent plus se promener dans les rues, ils sont accablés d'injures et de mauvais traitemens; et vous restez simple spectateur! Depuis que l'armée est en Allemagne, on a, en terre-ferme, assassiné plus de quatre cents Français; on a assiégé la forteresse de Verone, qui n'a été dégagée qu'après un combat sanglant, et, malgré tout cela, vous restez à Venise! Quant à moi, j'ai refusé d'entendre les députés du sénat, parce qu'ils sont tout dégoûtans du sang de Laugier, et je ne les verrai jamais qu'au préalable ils n'aient fait arrêter l'amiral et les inquisiteurs qui ont ordonné ce massacre, et ne les aient remis entre mes mains. Je sais bien qu'ils chercheront à faire tomber la vengeance de la république sur quelques misérables exécuteurs de leurs atrocités; mais nous ne prendrons pas le change.
Faites une note concise et digne de la grandeur de la nation que vous représentez, et des outrages qu'elle a reçus: après quoi, partez de Venise, et venez me joindre à Mantoue.
Ils n'ont rien exécuté de ce que je leur ai demandé: ce sont tous les prisonniers qu'ils ont faits depuis que l'armée française est en Italie, qu'ils devaient relâcher, et non pas un seulement, ainsi qu'ils l'ont fait.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
À messieurs les envoyés du sénat de Venise.
Je n'ai lu qu'avec indignation, messieurs, la lettre que vous m'avez écrite relativement à l'assassinat de Laugier. Vous avez aggravé l'atrocité de cet événement sans exemple dans les annales des nations modernes, par le tissu de mensonges que votre gouvernement a fabriqués pour chercher à se justifier.
Je ne puis point, messieurs, vous recevoir. Vous et votre sénat êtes dégoûtans du sang français. Lorsque vous aurez fait remettre entre mes mains l'amiral qui a donné l'ordre de faire feu, le commandant de la tour, et les inquisiteurs qui dirigent la police de Venise, j'écouterai vos justifications. Vous voudrez bien évacuer dans le plus court délai le continent de l'Italie.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trieste, 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Les Vénitiens se conduisent tous les jours de plus mal en plus mal; la guerre est ici déclarée de fait: le massacre qu'ils viennent de faire du citoyen Laugier, commandant l'aviso le Libérateur de l'Italie, est la chose la plus atroce du siècle.
Le citoyen Laugier sortait de Trieste; il fut rencontré par la flottille de l'empereur, composée de huit à dix chaloupes canonnières: il se battit une partie de la journée avec elles, après quoi il chercha à se réfugier sous le canon de Venise; il y fut reçu par la mitraille du fort. Il ordonna à son équipage de se mettre à fond de cale, et lui, avec sa troupe, demanda pourquoi on le traitait en ennemi; mais au même instant il reçoit une balle qui le jette sur le tillac, roide mort. Un matelot qui se sauvait à la nage fut poursuivi par les Esclavons, et tué à coups de rames. Cet événement n'est qu'un échantillon de tout ce qui se passe tous les jours dans la terre-ferme. Lorsque vous lirez cette lettre, la terre-ferme sera à nous, et j'y ferai des exemples dont on se souviendra. Quant à Venise, j'ai ordonné que tous les bâtimens de Venise qui se trouvent à Trieste et à Ancône soient sur-le-champ séquestrés: il y en a ici plusieurs frétés, pour l'Amérique, qu'on évalue fort haut, indépendamment d'une cinquantaine d'ordinaires. Je ne crois pas que Lallemant trouve de sa dignité de rester à Venise, tout comme M. Quirini a Paris.
Si le sang français doit être respecté en Europe; si vous voulez qu'on ne s'en joue pas, il faut que l'exemple sur Venise soit terrible; il nous faut du sang; il faut que le noble amiral vénitien qui a présidé à cet assassinat soit publiquement justicié.
M. Quirini cherchera à intriguer à Paris; mais les faits et la trahison infâme des Vénitiens, qui voulaient assassiner les derrières de l'armée pendant que nous étions en Allemagne, sont trop notoires.
Je compte qu'ils ont en ce moment-ci assassiné plus de quatre cents de nos soldats; et cependant il n'y a jamais eu en terre-ferme plus de troupes vénitiennes, et cependant ils l'ont inondée de leurs Esclavons. Ils ont essayé de s'emparer de la citadelle de Verone, qui encore dans ce moment-ci se canonne avec la ville.
Le sénat m'a envoyé à Gratz une députation, je l'ai traitée comme elle le méritait. Ils m'ont demandé ce que je voulais, je leur ai dit de mettre en liberté tous ceux qu'ils avaient arrêtés: ce sont les plus riches de la terre-ferme, qu'ils suspectent être nos amis, parce qu'ils nous ont bien accueillis; de désarmer tous les paysans, de congédier une partie de leurs Esclavons, puisqu'un armement extraordinaire est inutile; de chasser le ministre de l'Angleterre, qui a fomenté tous les troubles, et qui est le premier à se promener, le lion de Saint-Marc sur sa gondole, et la cocarde vénitienne qu'il porte depuis qu'ils nous assassinent; de remettre dans nos mains la succession de Thiéry, qui est évaluée à vingt millions; de nous remettre toutes les marchandises appartenant aux Anglais: leur port en est plein; de faire arrêter ceux qui ont assassiné les Français ou du moins les plus marquans des nobles vénitiens.
Tout à l'heure je pars pour Palma-Nova, de là pour Trévise, et de là pour Padoue. J'aurai tous les renseignemens de tout ce qui a été commis pendant que nous étions en Allemagne; je recevrai également les rapports de Lallemant sur l'assassinat de Laugier.
Je prendrai des mesures générales pour toute la terre-ferme, et je ferai punir d'une manière si éclatante, qu'on s'en souviendra une autre fois.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Il m'aurait fallu trois mois pour dégrader les moles du port de Trieste, encore ne l'aurais-je pas détruit, car ce port n'est simplement qu'une rade.
Mantoue n'est pas fort par l'art, mais seulement par sa position; il n'y a rien ou peu de chose à détruire, et que les ennemis auraient rétabli en peu de temps et avec très-peu de travail.
Ayant un équipage de siège en Italie, nous prendrons Mantoue, tant que nous voudrons, dans vingt jours de tranchée. Lorsque Wurmser m'obligea à en lever le siège, nous étions aux batteries de brèche et sur le point d'y entrer. Pendant le blocus, nous avons, avec sept mille hommes, bloqué vingt mille hommes: vous voyez donc que cette place n'est pas aussi essentielle qu'on se l'imagine; mais j'avais un seul avantage, c'est que l'équipage de siège de l'ennemi était fort loin, et que je comptais mettre dedans la ville deux ou trois mille Français, et le reste des Italiens: ce qui, avec les nouveaux ouvrages que j'avais fait faire, me faisait espérer de tenir en échec une armée autrichienne.
D'après le nouvel ordre de choses, nous aurions donc pour frontières l'Oglio et un rang de places fortes, telles que Pizzighitone, Crema et Bergame.
Pizzighitone vaut mieux que Mantoue.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trieste, le 11 floréal an 5 (30 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je ne suis pas étonné que l'on ait fait courir le bruit que nous avons été battus dans le Tyrol: il n'a jamais entré dans mon projet de percer par deux endroits à la fois, ce qui m'aurait obligé de garder deux communications au lieu d'une.
J'ai dû percer par le Tyrol et par la Carinthie, parce qu'il fallait que, jusqu'à ce que l'offensive fût décidément à notre avantage, être en état de la soutenir; parce qu'il fallait empêcher l'ennemi de nous couper: mais lorsque j'ai été à Clagenfurth et à Freysach, que l'offensive a été déterminée, j'ai voulu sur-le-champ porter toutes mes forces à ma droite et refuser constamment ma gauche, qui était suffisamment assurée par le camp retranché de Castel-Novo, de Peschiera et de Mantoue. Pendant ce temps-là, toutes mes forces étant concentrées sur ma droite, j'aurais marché à Salzbourg; l'ennemi eût été obligé d'évacuer Inspruck; de là j'aurais traversé les gorges de l'Inn et marché dans la Bavière. J'aurais auparavant levé des contributions sur le faubourg de Vienne.
Ce plan a totalement manqué par l'inaction de l'armée du Rhin. Si Moreau avait voulu marcher, nous eussions fait la campagne la plus étonnante, et bouleversé la situation de l'Europe. Au lieu de cela, il s'est rendu à Paris, n'a voulu rien faire; et quand j'ai vu par vos lettres mêmes que vous n'aviez d'autre espérance qu'en faisant mouvoir Hoche seul, j'ai cru la campagne perdue, et je n'ai pas douté que nous ne fussions battus les uns après les autres.
Quant à moi, je me suis jeté sans aucune espèce de considération au milieu de l'Allemagne; j'ai fait plus de vingt-quatre mille prisonniers, obligé l'empereur d'évacuer Vienne, et j'ai fait conclure la paix à mon quartier-général. Les conditions de cette paix sans doute sont avantageuses à la France et a l'empereur: c'est ce qui fait sa bonté. Elle nous ôte l'influence de la Prusse, et nous met à même de tenir la balance dans l'Europe.
Il est vrai que cette paix n'a pas été comme celle du Pape et du roi de Sardaigne; mais c'est que l'empereur est aussi puissant que nous, qu'on se levait de tous côtés en masse, et que partout, en Hongrie et dans le Tyrol, on était sous les armes, qu'il ne restait rien à faire, puisque Vienne était évacuée par la maison impériale, et qu'en portant la guerre dans la Bavière, j'aurais été tout seul. C'était améliorer la situation de l'empereur, que de rester sans rien faire dans les positions que j'occupais, puisque cela mettait ses états dans une tension énergique, qui lui aurait donné, dans vingt jours, une foule de combattans. Nous nous sommes bien conduits en Allemagne, mais l'armée du Rhin s'était mal conduite l'année dernière; l'impression qu'elle avait faite durait encore, de sorte que la manière dont nous nous conduisions n'avait pas le temps d'arriver jusqu'aux différens peuples prévenus.
La paix, au contraire, a remis tout en Allemagne dans l'état naturel. En évacuant ce pays, je garde véritablement tout ce que j'avais pris, en conservant la Ponteba et les hauteurs de la Carinthie, qui, dans une marche, me mettent en Allemagne, et j'ôte aux peuples de la Hongrie, de l'Autriche et de Venise les raisons de s'armer et de se croire en danger. Si les hostilités doivent recommencer, il faut, avant tout, prendre un parti pour Venise: sans quoi, il me faudrait une armée pour les contenir. Je sais que le seul parti qu'on puisse prendre, c'est de détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire: par ce moyen nous tirerons des secours de toute espèce d'un pays que, sans cela, il faudra garder plus que le pays ennemi.
Il est impossible de prendre plus de précautions que je n'en ai pris contre les Vénitiens, dont je connais la profonde duplicité. Je suis maître de toutes leurs forteresses, et à l'heure où vous lirez cette lettre, je le serai tellement de toute la terre-ferme, qu'il n'y aura d'autre chose à faire que de prendre un parti.
Pendant l'armistice, il y a eu une escarmouche fort vive entre le chef de brigade Dagobert et la levée en masse de la Croatie.
Les ennemis étaient parvenus à Trente, que je n'ai jamais gardé sérieusement, parce que, par sa position, il est hors du système de la guerre; mais tout a été rétabli dans l'état ordinaire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 12 floréal an 5 (1er mai 1797).
Au directoire exécutif.
Je reçois à l'instant des nouvelles de la république cispadane. Les choix ont été fort mauvais. Les prêtres ont influencé toutes les élections, des cardinaux et des évêques sont venus exprès de Rome pour diriger les choix du peuple; ils voient bien que leur salut ne dépend plus que de leur influence dans le corps législatif.
La république cispadane, comme la Lombardie, a besoin d'un gouvernement provisoire pendant trois ou quatre ans, pendant lesquels on cherchera à diminuer l'influence des prêtres: sans quoi, vous n'auriez rien fait en leur donnant la liberté. Dans les villages, ils dictent des listes et influencent toutes les élections; mais, conformément à vos ordres et aux traités, je vais commencer par réunir sous un même gouvernement provisoire la Lombardie et la Cispadane: après quoi, je prendrai les mesures qui se concilient avec leurs moeurs, pour y diminuer l'influence des prêtres et éclairer l'opinion.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 13 floréal an 5 (2 mai 1797).
Au chef de l'état-major.
Je vous fais passer, citoyen général, un manifeste relatif aux Vénitiens; vous voudrez bien faire en sorte qu'il y en ait mille exemplaires imprimés dans la nuit: vous en enverrez une copie à la congrégation de Milan, pour qu'elle le fasse traduire en italien et qu'elle le fasse imprimer et répandre partout.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 15 floréal an 5 (2 mai 1797).
Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie.
MANIFESTE.
Pendant que l'armée française est engagée dans les gorges de la Styrie et laisse loin derrière elle l'Italie et les principaux établissemens de l'armée, où il ne reste qu'un petit nombre de bataillons, voici la conduite que tient le gouvernement de Venise:
1°. Il profite de la semaine sainte pour armer quarante mille paysans, y joint dix régimens d'Esclavons, les organise en différens corps d'armée et les poste aux différens points, pour intercepter toute communication entre l'armée et ses derrières.
2°. Des commissaires extraordinaires, des fusils, des munitions de toute espèce, une grande quantité de canons sortent de Venise même pour achever l'organisation des différens corps d'armée.
3°. On fait arrêter en terre-ferme ceux qui nous ont accueillis; on comble de bienfaits et de toute la confiance du gouvernement tous ceux en qui on connaît une haine furibonde contre le nom français, et spécialement les quatorze conspirateurs de Verone que le provéditeur Prioli avait fait arrêter il y a trois mois, comme ayant médité l'égorgement des Français.
4°. Sur les places, dans les cafés et autres lieux publics de Venise, on insulte et on accable de mauvais traitemens tous les Français, les dénommant du nom injurieux de jacobins, de régicides, d'athées: les Français doivent sortir de Venise, et peu après il leur est même défendu d'y entrer.
5°. On ordonne au peuple de Padoue, de Vicence, de Verone, de courir aux armes, de seconder les différens corps d'armée et de commencer enfin ces nouvelles Vêpres siciliennes. Il appartient au Lion de Saint-Marc, disent les officiers vénitiens, de vérifier le proverbe, que l'Italie est le tombeau des Français.
6°. Les prêtres en chaire prêchent la croisade, et les prêtres, dans l'état de Venise, ne disent jamais que ce que veut le gouvernement. Des pamphlets, des proclamations perfides, des lettres anonymes sont imprimés dans les différentes villes et commencent à faire fermenter toutes les têtes; et dans un état où la liberté de la presse n'est pas permise, dans un gouvernement aussi craint que secrètement abhorré, les imprimeurs n'impriment, les auteurs ne composent que ce que veut le sénat.
7°. Tout sourit d'abord aux projets perfides du gouvernement; le sang français coule de toutes parts; sur toutes les routes on intercepte nos convois, nos courriers et tout ce qui tient à l'armée.
8°. À Padoue, un chef de bataillon et deux autres Français sont assassinés. À Castiglione de Mori, nos soldats sont désarmés et assassinés. Sur toutes les grandes routes de Mantoue à Legnago, de Cassano à Verone, nous avons plus de deux cents hommes assassinés.
9°. Deux bataillons français, voulant rejoindre l'armée, rencontrent à Chiari une division de l'armée vénitienne, qui veut s'opposer à leur passage; un combat s'engage et nos braves soldats se font passage en mettant en déroute ces perfides ennemis.
10°. À Valeggio il y a un autre combat; à Dezenzano, il faut encore se battre: les Français sont partout peu nombreux; mais ils savent bien qu'on ne compte pas le nombre des bataillons ennemis lorsqu'ils ne sont composés que d'assassins.
11°. La seconde fête de Pâques, au son de la cloche, tous les Français sont assassinés dans Verone. On ne respecte ni les malades dans les hôpitaux, ni ceux qui, en convalescence, se promènent dans les rues, et qui sont jetés dans l'Adige, ou meurent percés de mille coups de stylet: plus de quatre cents Français sont assassinés.
12°. Pendant huit jours, l'armée vénitienne assiège les trois châteaux de Verone: les canons qu'ils mettent en batterie leur sont enlevés à la baïonnette; le feu est mis dans la ville, et la colonne mobile qui arrive sur ces entrefaites, met ces lâches dans une déroute complète, en faisant trois mille hommes de troupe de ligne prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux vénitiens.
13°. La maison du consul français de Zante est brûlée dans la Dalmatie.
14°. Un vaisseau de guerre vénitien prend sous sa protection un convoi autrichien, et tire plusieurs boulets contre la corvette la Brune.
15° Le Libérateur de l'Italie, bâtiment de la république, ne portant que trois à quatre petites pièces de canon, et n'ayant que quarante hommes d'équipage, est coulé à fond dans le port même de Venise et par les ordres du sénat. Le jeune et intéressant Laugier, lieutenant de vaisseau, commandant ce bâtiment, dès qu'il se voit attaqué par le feu du fort et de la galère amirale, n'étant éloigné de l'un et de l'autre que d'une portée de pistolet, ordonne à son équipage de se mettre à fond de cale: lui seul, il monte sur le tillac au milieu d'une grêle de mitraille, et cherche, par ses discours, à désarmer la fureur de ces assassins, mais il tombe roide mort; son équipage se jette à la nage et est poursuivi par six chaloupes montées par des troupes soldées par la république de Venise, qui tuent à coups de hache plusieurs de ceux qui cherchaient leur salut dans la haute-mer. Un contre-maître, blessé de plusieurs coups, affaibli, faisant sang de tous côtés, a le bonheur de prendre terre à un morceau de bois touchant au château du port; mais le commandant lui-même lui coupe le poignet d'un coup de hache.
Vu les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre 12, art. 328 de la constitution de la république, et vu l'urgence des circonstances:
Le général en chef requiert le ministre de France près la république de Venise de sortir de ladite ville; ordonne aux différens agens de la république de Venise dans la Lombardie et dans la terre-ferme vénitienne de l'évacuer sous vingt-quatre heures.
Ordonne aux différens généraux de division de traiter en ennemi les troupes de la république de Venise, de faire abattre dans toutes les villes de la terre-ferme le Lion de Saint-Marc. Chacun recevra, à l'ordre du jour de demain, une instruction particulière pour les opérations militaires ultérieures.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 14 floréal an 5 (3 mai 1797).
Au directoire exécutif.
Je reçois dans l'instant des nouvelles de Verone. Je vous envoie les rapports du général de division Balland, du général Kilmaine et du chef de brigade Beaupoil. Dès l'instant que j'eus passé les gorges de la Carinthie, les Vénitiens crurent que j'étais enfourné en Allemagne, et ce lâche gouvernement médita des Vêpres siciliennes. Dans la ville de Venise et dans toute la terre-ferme on courut aux armes. Le sénat exhorta les prédicateurs, déjà assez portés par eux-mêmes à prêcher la croisade contre nous. Une nuée d'Esclavons, une grande quantité de canons, et plus de cent cinquante mille fusils furent envoyés dans la terre-ferme; des commissaires extraordinaires, avec de l'argent, furent envoyés de tous côtés pour enrégimenter les paysans. Cependant M. Pezaro, sage grand, me fut envoyé à Goritzia, afin de chercher à me donner le change sur tous ces armemens. J'avais des raisons de me méfier de leur atroce politique, que j'avais assez appris à connaître; je déclarai que si cet armement n'avait pour but que de faire rentrer des villes dans l'ordre, il pouvait cesser, parce que je me chargeais de faire rentrer les villes dans l'ordre, moyennant qu'ils me demanderaient la médiation de la république: il me promit tout, et ne tint rien. Il resta à Goritzia et à Udine assez de temps pour être persuadé par lui-même que j'étais passé en Allemagne, et que les marches rapides que je faisais tous les jours donneraient le temps d'exécuter les projets qu'on avait en vue.
Le 30 germinal, des corps de troupes vénitiennes considérables, augmentés par une grande quantité de paysans, interceptèrent les communications de Verone à Porto-Legnago. Plusieurs de mes courriers furent sur-le-champ égorgés et les dépêches portées à Venise. Plus de deux mille hommes furent arrêtés dans différentes villes de la terre-ferme et précipités sous les plombs de Saint-Marc: c'étaient tous ceux que la farouche jalousie des inquisiteurs soupçonnait de nous être favorables. Ils défendirent à Venise que le canal où ils ont coutume de noyer les criminels fût nettoyé. Eh! qui peut calculer le nombre des Vénitiens que ces monstres ont sacrifiés?
Cependant, au premier vent que j'eus de ce qui se tramait, j'en sentis la conséquence; je donnai au général Kilmaine le commandement de toute l'Italie. J'ordonnai au général Victor de se porter avec sa division, à marches forcées, dans le pays vénitien. Les divisions du Tyrol s'étant portées sur l'armée active, cette partie devenait plus découverte; j'y envoyai sur-le-champ le général Baraguey d'Hilliers. Cependant le général Kilmaine réunit des colonnes mobiles de Polonais, de Lombards et de Français qu'il avait à ses ordres, et qu'il avait remis sous ceux des généraux Chabran et Lahoz. À Padoue, à Vicence et sur toute la route, les Français étaient impitoyablement assassinés. J'ai plus de cent procès-verbaux, qui tous démontrent la scélératesse du gouvernement vénitien.
J'ai envoyé à Venise mon aide-de-camp Junot, et j'ai écrit au sénat la lettre dont je vous ai envoyé copie.
Pendant ce temps, ils étaient parvenus à rassembler à Verone quarante mille Esclavons, paysans, ou compagnies de citadins, qu'ils avaient armés, et au signal de plusieurs coups de la grosse cloche de Verone et de sifflets, on court sur tous les Français, qu'on assassine: les uns furent jetés dans l'Adige; les autres, blessés et tout sanglans, se sauvèrent dans les forteresses, que j'avais depuis long-temps eu soin de réparer et de munir d'une nombreuse artillerie.
Je vous envoie le rapport du général Balland; vous y verrez que les soldats de l'armée d'Italie, toujours dignes d'eux, se sont, dans cette circonstance comme dans toutes les autres, couverts de gloire. Enfin, après six jours de siège, ils furent dégagés par les mesures que prit le général Kilmaine après les combats de Dezenzano, de Valeggio et de Verone. Nous avons fait trois mille cinq cents prisonniers et avons enlevé tous leurs canons. À Venise, pendant ce temps, on assassinait Laugier, on maltraitait tous les Français, et on les obligeait à quitter la ville. Tant d'outrages, tant d'assassinats ne resteront pas impunis: mais c'est à vous surtout et au corps législatif qu'il appartient de venger le nom français d'une manière éclatante. Après une trahison aussi horrible, je ne vois plus d'autre parti que celui d'effacer le nom vénitien de dessus la surface du globe. Il faut le sang de tous les nobles vénitiens pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait égorger.
J'ai écrit à des députés que m'a envoyés le sénat la lettre que je vous fais passer; j'ai écrit au citoyen Lallemant la lettre que je vous envoie également. Dès l'instant où je serai arrivé à Trévise, j'empêcherai qu'aucun Vénitien ne vienne en terre-ferme, et je ferai travailler à des radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes, et chasser de Venise même ces nobles, nos ennemis irréconciliables et les plus vils de tous les hommes. Je vous écris à la hâte; mais dès l'instant que j'aurai recueilli tous les matériaux, je ne manquerai pas de vous faire passer dans le plus grand détail l'histoire de ces conspirations aussi perfides que les Vêpres siciliennes.
L'évêque de Verone a prêché, la Semaine Sainte et le jour de Pâques, que c'était une chose méritoire et agréable à Dieu, que de tuer les Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au directoire exécutif.
Il y a eu des troubles dans la division de la Corse, occasionnés par l'insurrection de la gendarmerie, qui n'était pas payée.
Ce défaut de fonds est produit par la dilapidation qui a été faite des fonds envoyés. Depuis que la Corse est restituée à la France, nous y avons fait passer 700,000 fr., outre une grande quantité de blé et d'autres approvisionnemens.
Je vous envoie les lettres que j'ai écrites au général Gentili et à l'ordonnateur en chef. Je crois que l'on doit tenir à faire un exemple sur le commissaire des guerres et le commissaire faisant les fonctions de payeur, qui devaient, avant tout, solder la troupe.
Le général Vaubois et le général Lafont, qui y vont commander, mettront, j'espère, plus d'économie, et j'engage l'ordonnateur en chef à y faire passer promptement un autre commissaire. La dix-neuvième demi-brigade, forte de douze cents hommes, et qui était à Livourne, va s'embarquer pour se rendre en Corse.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au général Gentili.
Je ne puis vous dissimuler mon mécontentement sur le mauvais emploi des sommes qui ont été envoyées en Corse pour le service de la division. Plus de la moitié a été dilapidée ou dépensée à des choses inutiles, tandis que tout devait être uniquement consacré au service de la force armée.
1°. Il est inutile que vous envoyiez des adjoints à Paris.
2°. Les commissaires du gouvernement ne devaient pas être payés sur les fonds des soldats.
3°. Vous n'aviez pas le droit de faire donner 1000 francs à l'adjudant-général Franceschi.
4°. Vous ne deviez rien faire donner aux officiers isolés, à qui, il y a trois mois, j'avais ordonné de rejoindre.
De plus grands abus ont eu lieu encore dans la distribution de 4 à 500,000 fr. que vous avez précédemment reçus: aucun article ne sera porté au compte à l'ordonnateur et au payeur, ils s'arrangeront ensemble pour les faire rembourser à la république.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au commissaire ordonnateur en chef.
Des troubles sont nés en Corse par le défaut d'argent, cela pourrait même devenir extrêmement sérieux; il est donc indispensable que vous fassiez passer le plus promptement possible 100,000 fr. à Ajaccio, uniquement destinés pour payer la gendarmerie de ces deux départemens. Il est aussi nécessaire que vous vous fassiez rendre un compte exact de l'emploi des sommes que vous y avez envoyées; que vous rappeliez sur-le-champ l'ordonnateur, et que vous y envoyiez un homme probe et intelligent, que vous rendrez responsable de l'emploi des fonds.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
À M. l'évêque de Côme.
J'ai reçu, monsieur l'évêque, la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire, avec les deux imprimés; j'ai vu avec déplaisir la devise qu'un zèle malentendu de patriotisme a fait mettre au-dessus d'un de vos imprimés. Les ministres de la religion ne doivent, comme vous l'observez fort bien, jamais s'émanciper dans les affaires civiles; ils doivent porter la teinte de leur caractère, qui, selon l'esprit de l'Évangile, doit être pacifique, tolérant et conciliant. Vous pouvez être persuadé qu'en continuant à professer ces principes, la république française ne souffrira pas qu'il soit porté aucun trouble au culte de la religion et à la paix de ses ministres.
Jetez de l'eau et jamais de l'huile sur les passions des hommes; dissipez les préjugés et combattez avec ardeur les faux prêtres, qui ont dégradé la religion en en faisant l'instrument de l'ambition des puissans et des rois. La morale de l'Évangile est celle de l'égalité, et dès-lors elle est la plus favorable au gouvernement républicain, que va désormais avoir votre patrie.
Je vous prie, monsieur l'évêque, de croire aux sentimens, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au chef de l'état-major.
Vous donnerez ordre, citoyen général, que tous les soldats vénitiens qui ont été faits prisonniers soient transférés en France, et que tous les officiers soient mis; savoir, les généraux, colonels, lieutenans-colonels et capitaines au château de Milan, et les lieutenans et sous-lieutenans, cadets, etc., au château de Pavie.
Vous chargerez un officier supérieur de les interroger; ils doivent être considérés comme assassins, et non comme avoués par leur prince. Vous me rendrez compte de leur interrogatoire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal en 5 (6 mai 1797).
Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, arrête:
ART. 1er. La ville de Verone paiera une imposition de cent vingt mille sequins, qui sera affectée aux dépenses de l'armée.
2. Elle paiera, en outre, une contribution de cinquante mille sequins, qui sera distribuée entre tous les soldats et officiers qui se sont trouvés assiégés dans les châteaux, et ceux qui formaient la colonne mobile qui s'est emparée de la ville.
3. Tous les effets qui sont au mont-de-piété et qui ont une valeur moindre de 50 fr. seront rendus au peuple. Tous les effets d'une valeur supérieure seront séquestrés au profit de la république.
4. Verone n'étant point la route de l'armée, ni le séjour d'aucun dépôt, il est expressément défendu de rien payer sous prétexte d'effets perdus, soit aux administrateurs, soit aux militaires; il ne sera admis, soit dans la comptabilité en argent, soit dans celle en matières, aucun déficit justifié par des pertes faites à Verone.
5. Le commissaire ordonnateur en chef fera dresser un état des pertes qui auront été faites par les personnes formant la garnison des forts qui se trouvaient aux hôpitaux, et il sera frappé une troisième contribution sur la seule ville et territoire de Verone, du montant de ladite indemnité.
6. Tous les chevaux de voiture et de selle qui se trouveront à Verone seront affectés aux charrois d'artillerie ou à la cavalerie.
7. La ville de Verone fournira, dans le plus court délai, des cuirs pour faire quarante mille paires de souliers et deux mille paires de bottes; du drap pour faire douze mille paires de culottes, douze mille vestes et quatre mille habits; des toiles pour faire douze mille chemises et douze mille paires de guêtres; douze mille chapeaux et douze mille paires de bas; une partie desdits effets sera destinée pour l'habillement de la division du général Joubert.
8. Toute l'argenterie existante dans les églises ou autres bâtimens publics, ainsi que tout ce qui appartiendrait au gouvernement, sera confisqué au profit de la république.
9. Il sera réuni sur-le-champ une commission militaire qui, quarante-huit heures après la réception du présent ordre, déclarera ennemis de l'humanité et assassins les cinquante principaux coupables auteurs de l'assassinat qui a eu lieu le jour de la seconde fête de Pâques; lesdits coupables seront arrêtés et envoyés garottés à Toulon pour être de là transférés à la Guiane: si cependant parmi ces cinquante il s'en trouvait de nobles Vénitiens, ou de ceux qui furent arrêtés il y a plusieurs mois, envoyés à Venise comme coupables de conspiration contre la république française, et qui depuis ont été relâchés, ils seront condamnés à être fusillés; les séquestres seront mis sur-le-champ sur tous les biens, meubles et immeubles desdits condamnés, et leurs biens fonds seront confisqués et affectés à faire rebâtir les maisons du peuple qui ont été brûlées pendant le siège, et à indemniser les autres personnes de la ville qui se trouveraient avoir perdu.
10. On fera un désarmement général dans tout le Véronais, et quiconque sera trouvé avoir désobéi à l'ordre du désarmement, sera condamné à être envoyé pour six ans de fers à Toulon.
11. Tous les tableaux, collections de plantes, de coquillages, etc., qui appartiendraient, soit à la ville, soit aux particuliers, seront confisqués au profit de la république; les particuliers qui seront dans le cas d'être indemnisés, le seront sur les biens des condamnés.
12. Le général chef de l'état-major, le général divisionnaire Augereau, et le commissaire ordonnateur en chef prendront toutes les mesures pour l'exécution du présent ordre.
BONAPARTE.