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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome I.

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Au quartier-général à Milan, le 20 frimaire an 5 (10 décembre 1796).

À monsieur le provéditeur-général de la république de Venise, à Brescia.

Si j'ai été surpris, monsieur, du ton de la dernière note que l'on m'a envoyée à Verone, c'est que, comme son extrême exagération est évidente à tous les yeux, j'ai pensé qu'elle pouvait être le fait d'un commencement de système: la conduite tenue envers l'armée de M. Alvinzi m'en fournissait une preuve assez naturelle. Quoi qu'il en soit, monsieur, l'armée française suivra la ligne qu'elle a tenue depuis le principe de la campagne, et l'on n'oubliera jamais de punir exemplairement les soldats qui pourraient s'éloigner des règles d'une sévère discipline.

Je vous demande seulement, monsieur, que vous vouliez bien engager les gouverneurs qui sont sous vos ordres, lorsqu'ils auront des plaintes à me faire, à m'indiquer simplement ce qu'ils voudraient que l'on fît, sans les noyer dans un tas de fables. Vous me trouverez au reste toujours disposé à vous donner des preuves des sentimens, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 20 frimaire an 5 (10 décembre 1796).

Au congrès d'état.

Je ne vois aucun inconvénient, citoyens, à ce que vous envoyiez des députés à la fédération de Reggio: l'union des patriotes fait leur force. Je suis bien aise de saisir ces circonstances pour détruire des bruits répandus par la malveillance. Si l'Italie veut être libre, qui pourrait désormais l'en empêcher? Ce n'est pas assez que les différens états se réunissent, il faut, avant tout, resserrer les liens de fraternité entre les différentes classes de l'état; réprimer surtout le petit nombre d'hommes qui n'aiment la liberté que pour arriver à une révolution: ils sont ses plus grands ennemis, et ils prennent toute espèce de figures pour remplir leurs desseins perfides.

L'armée française ne souffrira jamais que la liberté en Italie soit couverte de crimes. Vous pouvez, vous devez être libres sans révolution, sans courir les chances et sans éprouver les malheurs qu'a éprouvés le peuple français. Protégez les propriétés et les personnes, et inspirez à vos compatriotes l'amour et le respect des lois et des vertus guerrières, qui défendent et protégent les républiques et la liberté. La scène que plusieurs mauvais sujets se sont permise envers le citoyen Greppi, a jeté des craintes et inspiré une terreur que vous devez vous efforcer de dissiper. Comprimez les malveillans, mais n'accoutumez pas un petit nombre de personnes à s'intituler le peuple et à commettre des crimes en son nom.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au citoyen Lavalette, aide-de-camp du général en chef.

Vous vous rendrez à Plaisance, vous y passerez toute la journée de demain; vous me rendrez compte de la situation des deux têtes de pont, de celle de l'artillerie qui les défend, et vous m'en enverrez l'inventaire, ainsi que l'état de situation de la garnison de Plaisance. Vous m'enverrez l'état nominatif de tous les Français qui sont à Plaisance, avec des notes sur ce qu'ils font, et depuis quel temps ils y sont; vous visiterez les hôpitaux, vous m'en enverrez l'état de situation avec des observations sur la tenue, et un résumé de quelles demi brigades sont les malades, avec l'état nominatif des officiers qui y seraient; vous visiterez tous les magasins et vous m'enverrez les inventaires; vous partirez demain, dans la nuit, de Plaisance, vous arriverez le 3 au matin à Parme; vous vous rendrez chez son Altesse Royale, vous la complimenterez de ma part sur le traité de paix qui vient d'unir les deux états.

Vous vous ferez remettre l'état de tous les Français qui sont à Parme, vous ferez arrêter ceux qui y sont sans raison, surtout, si vous pouvez le rencontrer, un aventurier qui s'est dit long-temps mon aide-de-camp, s'appelant Lemarais, et de me l'envoyer sous bonne escorte à Milan, ainsi qu'un commissaire nommé Fleuri.

Je vous ferai passer une lettre pour le premier ministre du duc. Je le prie de faire confectionner deux mille paires de bottes, dont il faudra que vous emportiez un échantillon, que vous demanderez au général Beaurevoir, et, au défaut d'échantillon, un modèle, et vingt-cinq mille paires de souliers.

Vous m'écrirez de Parme sur tous ces objets; vous partirez dans la nuit du 3 au 4, pour vous rendre à Reggio et a Modène. Vous m'enverrez de chacune de ces deux villes la liste des Français qui s'y trouvent, soit officiers, ou soldats, ou employés; vous me ferez connaître tout ce qui pourrait vous frapper, qui pourrait caractériser l'esprit des habitans de ces deux villes, surtout pour ce qui regarde leur légion.

De Modène vous irez joindre le général Rusca; vous m'écrirez sur la situation actuelle de la Grafagniana, sur la manière dont se sont comportées les légions italiennes, sur les exemples que l'on a faits, ainsi qu'à Carrara; de là vous vous rendrez à Livourne.

Vous m'enverrez l'état nominatif de tous les Français qui sont dans cette place, ne faisant pas partie de la garnison.

Vous m'écrirez le plus souvent possible pour m'instruire de l'état des choses, et vous ne reviendrez que lorsque je vous en aurai donné l'ordre, à moins qu'il n'y ait quelque chose de fort intéressant qui nécessitât votre retour.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au général Rusca.

Le général Vaubois me rend compte, citoyen général, que, le 16 de ce mois, il y a eu une révolte dans la ville de Carrara: mon intention est qu'après avoir exécuté mes ordres à la lettre à Castel-Novo, vous vous transportiez à Carrara, et que vous fassiez fusiller trois des chefs, brûler la maison du plus apparent de ceux qui ont pris part à la rébellion, et que vous preniez six otages, que vous enverrez au château de Milan; ils ont fait couper le bois de Levinzo: mon intention est que mon ordre, tant pour Castel-Novo que pour Carrara, soit promptement exécuté. Il faut ôter au peuple l'envie de se révolter et de se laisser égarer par les malveillans.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au général Vaubois.

Vous voudrez bien, citoyen général, me faire rendre compte de l'ordre qui portait de couper le bois de Levinzo. C'est toujours par des exactions faites par le commissaire du gouvernement, qu'on excite le peuple à se révolter; il faut que la punition des chefs principaux de la révolte soit éclatante. Je donne l'ordre au général Rusca de s'y transporter de Castel-Novo, d'en faire fusiller trois et d'en arrêter six en otage, et de brûler dans la ville de Carrara la maison la plus apparente d'un de ceux qui ont pris part à la rébellion. Vous voudrez bien organiser les trois demi-brigades que vous avez à Livourne, et en former deux bataillons de la soixante-neuvième, et le troisième bataillon sera formé par les troupes qui arrivent de l'Océan. Les quatre-vingts hommes de cavalerie, les sept cents hommes de la légion italienne et les neuf cents de la légion lombarde, avec six pièces de canon qui doivent vous arriver, vous mettront à même de chasser les Anglais de la côte et d'imposer aux malveillans.

Rendez-moi compte de la conduite qu'ont tenue les agens militaires du côté de Massa et de Carrara.

Sous quelque prétexte que ce soit et sur quelque ordre que ce puisse être, ne laissez rien sortir de Livourne. Toutes les ressources qui peuvent y être, sont absolument nécessaires pour l'armée, qui manque de tout, et dont les finances sont dans le plus mauvais état. Le commissaire ordonnateur a dû donner les ordres pour la vente de tous les objets que vous demandez. Quant aux habillemens pour les demi-brigades que vous avez sous vos ordres à Livourne, l'essai qu'on en a fait sur la soixante-quinzième a si mal réussi, qu'il est impossible de penser à leur en faire fournir dans cette ville; mais on en fera faire à Milan.

BONAPARTE.



Au quartier-général 4 Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au sénat de Bologne.

L'imposition appelée imposta pèse sur le peuple des campagnes de Bologne.

L'impôt appelé casuel, que retirent les curés des paroisses a un but d'utilité réelle, puisqu'il doit suppléer à l'entretien des ministres du culte; mais il n'est pas moins onéreux pour le peuple, qui est obligé de payer pour recevoir les sacremens: vous avez bien des moyens pour abolir ces deux impositions et améliorer le sort de vos concitoyens.

Moyennant l'ordre que vous avez donné pour expulser les moines qui ne sont pas Bolonais, vous avez économisé l'entretien de trois ou quatre cents personnes; il faut que ce soit le peuple qui jouisse de l'avantage que la sagesse de vos mesures a procuré à votre république.

Ordonnez qu'il n'y ait dans l'état de Bologne qu'un seul couvent du même ordre, supprimez tous ceux qui auraient moins de quinze religieux; resserrez les couvens de religieux, et servez-vous des ressources considérables que cela vous donnera, pour remplacer dans votre trésor public le déficit qu'y produirait la suppression de la taxe dite imposta, et indemniser les curés et vicaires du déficit que leur procurera la suppression du casuel.

Je vous prie de faire exécuter l'ordre que je vous envoie sur les commandeurs de Malte. Je n'ai pas voulu l'étendre aux moines, parce que j'ai pensé que vous en profiteriez pour soulager le peuple.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au sénat de Bologne et au gouvernement provisoire de Modène et de Ferrare.

Vous voudrez bien commander à tous les commandeurs et autres bénéficiers ou fermiers de l'ordre de Malte de verser dans la caisse du sénat, dans le courant de nivose, une année de leurs revenus, sous peine d'être déchus de leurs bénéfices ou fermes. Les receveurs du sénat et des gouvernemens de Ferrare et de Modène en tiendront compte à la caisse du payeur de l'armée, et, pour cet effet, correspondront avec l'ordonnateur en chef.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au citoyen Fréville, secrétaire d'ambassade à Florence.

J'avais déjà reçu, citoyen, par le général commandant à Livourne le procès-verbal fait par l'officier commandant le détachement français qui a passé à Sienne. J'y ai vu avec la plus vive satisfaction que la conduite du gouverneur, commandant pour son altesse royale le grand-duc de Toscane, avait été conforme aux principes de neutralité de ce prince avec la république française. De mauvais sujets de la ville de Sienne se sont portés à quelques excès injurieux pour l'armée française, le temps n'est pas éloigné où nous verrons si les habitans de Sienne soutiendront ce caractère de mépris qu'ils paraissent manifester chez eux contre l'armée française; ils ont insulté un détachement de deux cents hommes; ils sont les seuls du brave peuple toscan qui se soient éloignés des sentimens d'estime qu'on professe assez généralement pour la république française.

N'entretenez pas la cour de Toscane de ces vétilles, dès l'instant qu'il est prouvé que le gouverneur a fait ce qui dépendait de lui pour réprimer ces malintentionnés.

Lorsque le moment sera venu, j'ordonnerai à un général français d'apprendre aux habitans de Sienne qu'on n'insulte pas en vain l'armée française, et que tôt ou tard on la trouve dans son sein, en bon nombre et lorsque l'on s'y attend le moins. Il ne sera plus temps alors de se repentir.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au citoyen Rusca.

Je vous prie, général, de témoigner ma satisfaction aux municipalités de la Mirandole et de Saint-Felsa sur la conduite qu'elles ont tenue. Vous voudrez bien sur-le-champ faire constater que les cinq rebelles arrêtés à Concordia ont continué à frapper ceux qui avaient la cocarde nationale et à détruire l'arbre de la liberté: après quoi, vous les ferez fusiller tous les cinq, au milieu de la place publique de Modène, par la légion modénaise. Vous ferez partir les deux otages pour le château de Milan, où ils seront sévèrement gardés. J'approuve fort la conduite que vous avez tenue dans cette affaire délicate: c'est à votre promptitude qu'est due la bonne issue de votre opération.

J'attends avec quelque intérêt les nouvelles que vous allez me donner de votre expédition sur Castel-Novo et Carrara; j'espère que vous aurez ponctuellement exécuté les ordres que je vous ai donnés.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 21 frimaire an 5 (11 décembre 1796).

Au général Rusca.

Je vous ferai tenir, citoyen général, le procès-verbal de ce qui s'est passé à Carrara. Mon intention est que vous fassiez arrêter tous ceux qui sont dénoncés comme ayant participé à la révolte; s'ils étaient sauvés, vous feriez brûler leurs maisons, sans cependant qu'il y en ait plus d'une de brûlée par village qui s'est mal comporté: tous les otages que vous croirez pouvoir assurer la tranquillité seront arrêtés et envoyés à Milan. Ce n'est pas qu'il y ait quelque chose à craindre tant que nous serons vainqueurs; mais, à la moindre vicissitude, ils pourraient remuer, ce qui serait un mauvais exemple pour les fiefs impériaux et pour les habitans des montagnes de l'Apennin.

Faites transporter à Livourne les pièces de canon qui se trouvent du côté de Carrara, lorsque la tranquillité y sera parfaitement rétablie; lorsque vous aurez mis les patriotes en place, faites tout ce qui pourrait être nécessaire pour effrayer les malveillans et contenter les peuples; jetez un coup d'oeil sur les fiefs impériaux, et faites-moi connaître ce que l'on pourrait faire pour nous attacher les habitans.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 23 frimaire an 5 (13 décembre 1796).

Aux citoyens Peregallo, Flachat et compagnie.

Vous avez, messieurs, reçu l'argent destiné à l'entretien de l'armée, et elle éprouve les besoins les plus pressans: le prêt manque depuis deux décades; ce service doit être fait sous la responsabilité de la trésorerie, avec laquelle vous avez un marché qui y affecte spécialement le produit de toutes les contributions et des marchandises provenant des conquêtes de l'armée d'Italie. Il est notoire que vous avez reçu 5,000,000 dont vous n'avez rendu aucun compte. J'aime à croire que vous solderez sur-le-champ 600,000 liv. nécessaires au payeur de l'armée, et je vous préviens qu'il a en conséquence tiré sur vous des lettres de change pour 600,000 fr.

Si, par une mauvaise foi inconcevable, vous aviez l'imprudence d'éluder l'escompte de ladite lettre de change, vous seriez responsable des événemens qui pourraient survenir, du tort que cela ferait à l'armée, et je requiers le citoyen Faypoult de vous considérer comme des banqueroutiers et de vous traiter comme tels.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 24 frimaire an 5 (14 décembre 1796).

Au citoyen Faypoult.

Le citoyen Regnier vous communiquera un arrêté des commissaires du gouvernement, qui tire 600,000 liv. sur la maison Flachat et Peregallo, sur les 5,000,000 qu'ils ont, provenant des contributions de l'armée, et qu'ils auraient dû verser dans la caisse du payeur. Cette somme est destinée à solder le prêt, qui manque à l'armée depuis deux décades. S'ils n'acceptent pas les lettres de change, je vous requiers de faire mettre le scellé sur la maison Flachat, Castelli, Peregallo et compagnie, et de chercher à procurer cet argent au payeur de l'armée. Des opérations de la plus grande conséquence peuvent tenir à l'exécution de cette mesure.

J'ai ordonné au général Baraguay d'Hilliers de faire mettre les scellés sur les papiers du correspondant de cette maison à Milan.

L'armée manque de tout, le prêt est arriéré de deux décades; nous n'avons plus de ressources que dans les 5,000,000 et les 2,000,000 qui doivent nous rentrer d'après la convention, les ratifications ayant été échangées à Paris. Le payeur va tirer pour 2,000,000 pour ce dernier objet.

Vous devez avoir, outre les sept caisses venant de Bologne, quatre ou cinq caisses venant de Milan, qui ont été estimées, je crois, 8 à 9,000,000 fr. Gardez-les bien précieusement, car il viendra un temps où nous pourrons avoir besoin de nous en servir pour nourrir l'armée, en empruntant dessus.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 24 frimaire an 5 (14 décembre 1796).

Au général Baraguay d'Hilliers.

Vous voudrez bien, citoyen général, faire venir chez vous le citoyen Rouillet, agent en chef de la compagnie Flachat, le sommer de verser dans la caisse du payeur les 4 ou 5,000,000 qu'il a, provenant des contributions, et, sur son refus, le faire mettre en état d'arrestation et les scellés sur ses papiers.

BONAPARTE.



Au quartier général à Verone, le 1er nivose an 5 (20 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

Je vous envoie onze drapeaux pris sur l'ennemi aux batailles de Rivoli et de la Favorite. Le citoyen Bessières, commandant des guides, qui les porte, est un officier distingué par sa valeur et sa bravoure, et par l'honneur mérité qu'il a de commander une compagnie de braves gens qui ont toujours vu fuir l'ennemi devant eux, et qui, par leur intrépidité, nous ont rendu, dans la campagne, des services très essentiels.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 6 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

Il y a dans ce moment-ci en Lombardie trois partis: 1°. celui qui se laisse conduire par les Français; 2°. celui qui voudrait la liberté, et montre même son désir avec quelque impatience; 3°. le parti ami des Autrichiens, et ennemi des Français. Je soutiens et j'encourage le premier, je contiens le second, et je réprime le troisième.

Il est faux que j'aie augmenté la contribution de la Lombardie de huit millions, et le parti qui vous a remis un mémoire basé sur ce fait, ferait beaucoup mieux de payer les cinq millions que lui et ses associés doivent à la république, et ont volé à l'armée, que de parler d'un pays où sa compagnie s'est fait universellement mépriser par les coquineries de toutes espèces qu'elle a commises.

Les républiques cispadanes sont divisées en trois partis: 1°. les amis de leur ancien gouvernement; 2°. les partisans d'une constitution indépendante, mais un peu aristocratique; 3°. les partisans de la constitution française ou de la pure démocratie. Je comprime le premier, je soutiens le second et je modère le troisième.

Je soutiens le second et je modère le troisième, parce que le parti des seconds est celui des riches propriétaires et des prêtres, qui en dernière analyse finiraient par gagner la masse du peuple, qu'il est essentiel de rallier autour du parti français.

Le dernier parti est composé de jeunes gens, d'écrivains, et d'hommes qui, comme en France et dans tous les pays, ne changent de gouvernement, n'aiment la liberté que pour faire une révolution.

Les Allemands et le pape réunissent leur crédit pour insurger les Apennins; leurs efforts sont inutiles: une partie de la Grafagniana s'était cependant révoltée, ainsi que la petite ville de Carrara. J'ai envoyé une petite colonne mobile pour mettre ces gens-là à la raison, et faire des exemples terribles, qui apprennent à ces montagnards à ne pas jouer avec nous. La révolte des Apennins, si elle se faisait au moment où nous aurions affaire à l'ennemi, nous donnerait beaucoup d'embarras. Ces montagnes arrivant jusqu'à Tortone, leurs habitans pourraient gêner les communications: aussi j'y ai perpétuellement les yeux.

Dans ce moment-ci, les républiques cispadanes sont réunies dans un congrès qu'elles tiennent à Reggio.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

Je vous enverrai la lettre écrite par le général Alvinzi et la réponse du général Berthier: en conséquence le baron Vincent et le général Clarke se réunissent à Vicence, le 13 de ce mois. Mon opinion est que, quelque chose que l'on puisse stipuler pour le statu quo de Mantoue, l'exécution en sera toujours impossible. Si l'empereur consent à conclure l'armistice sans le pape, l'avantage de pouvoir retirer trente millions, cet hiver, d'Italie, et de pouvoir en donner quinze aux armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin, est une considération telle, qu'elle nous permet d'ouvrir la campagne prochaine avec avantage.

Mais si l'empereur veut y comprendre le pape, l'armistice nous fera perdre Mantoue, l'argent de Rome, et donnera le le temps au pape d'organiser une force militaire avec des officiers autrichiens: cela mettrait toutes les chances contre nous pour la campagne prochaine.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

Les Vénitiens ayant accablé de soins l'armée du général Alvinzi, j'ai cru devoir prendre une nouvelle précaution, en m'emparant du château de Bergame, qui domine la ville de ce nom et empêcherait les partisans ennemis de venir gêner notre communication entre l'Adda et l'Adige.

De toutes les provinces de l'État de Venise, celle de Bergame est la plus mal intentionnée à notre égard. Il y avait dans la ville de ce nom un comité chargé de répandre les nouvelles les plus ridicules sur le compte de l'armée; c'est sur le territoire de cette province que l'on a le plus assassiné de nos soldats, et c'est de là que l'on favorisait la désertion des prisonniers autrichiens. Quoique la prise de la citadelle de Bergame ne soit pas une opération militaire, il n'en a pas moins fallu de la dextérité et de la fermeté: le général Baraguay d'Hilliers, que j'en avais chargé, s'est dans cette occasion parfaitement conduit; je vais lui donner le commandement d'une brigade, et j'espère qu'aux premières affaires il méritera sur le champ de bataille le grade de général de division.

Je vous ferai passer plusieurs pièces de ma correspondance avec le duc de Parme, bonnes à communiquer à notre ambassadeur en Espagne, pour s'en faire un mérite près la cour de Madrid.

J'ai eu une entrevue avec M. Manfredini, qui, comme vous le savez, a été gouverneur de l'empereur, du prince Charles et du grand duc de Toscane; je suis convenu avec lui, après deux heures de pourparlers et de finesses diplomatiques, que, moyennant deux millions, j'évacuerais Livourne: il a beaucoup pleuré misère. J'attends la réponse du grand duc sous quelques jours.

Les Napolitains m'ont fait signifier la paix et m'ont demandé la permission de s'en retourner à Naples, je leur ai répondu que le gouvernement ne m'avait pas encore signifié la paix, que j'allais vous expédier un courrier, que j'attendrais des ordres. Je vous prie de me faire connaître vos intentions à ce sujet. Je désirerais cependant, auparavant de les laisser s'en aller, avoir terminé quelque chose avec Rome: car cette cavalerie m'est un gage que le roi de Naples s'en tiendra à la paix et se conduira comme il faut.

Quant à Rome, le pape a dans ce moment réuni toutes ses forces à Faïenza et dans les autres villes de la Romagne, où il a près de six mille hommes. Comme cela fait très peur aux Bolonais et pourrait servir à favoriser l'évasion de Wurmser de la place de Mantoue, conformément à un article de l'armistice, je ferai arrêter des otages dans les différens pays, conformément à l'usage de toutes les nations, et ces otages seront les citoyens les plus attachés au pape et les plus grands ennemis du parti français: par ce moyen, le pays s'organisera de lui-même comme Bologne. Je séquestrerai tous les revenus de la Romagne et de la Marche, pour me tenir lieu de paiement des quinze millions, conformément à l'armistice. Je mettrai à Ancône les quinze cents hommes que je tiens à Livourne, et par ce moyen j'éloignerai ce corps d'ennemis qui paraît se combiner avec la position d'Alvinzi à Padoue et l'ordre que l'empereur vient de donner à Wurmser; et je trouverai de l'argent pour l'année.

Si je tarde quelques jours dans l'exécution de ce projet, c'est 1°. qu'il faut laisser passer quelques jours pour que l'impression faite sur les Vénitiens par l'occupation de Bergame soit entièrement détruite; 2°. qu'il faut que je m'assure que les secours que vous m'annoncez sont en route et arrivent véritablement. Vous sentez bien qu'il me faut au moins trois mille hommes pour aller jusqu'à Ancône, qui est à quarante lieues de Bologne. Si les dix mille hommes de secours de l'Océan et les dix mille du Rhin que vous m'annoncez depuis longtemps arrivent enfin, je prendrai six mille hommes pour aller à Rome. Vous sentez combien, dans toutes ces hypothèses, il est essentiel d'avoir toujours en otages les trois mille Napolitains, qui tiendront en respect la cour de Naples, qui d'ailleurs, à ce qu'on m'assure, commence déjà à désarmer. Cela aussi est une raison pour laquelle je retarde de quelques jours mon opération.

Le citoyen Poussielgue vous a rendu compte en détail de l'issue de la négociation avec Turin. Il paraît que ces gens-là ne peuvent pas s'accoutumer au nouvel état de choses. Le nouveau roi met de l'ordre dans ses finances, se captive ses sujets, et je ne doute pas qu'il n'espère, par la continuation de la guerre, pouvoir jouer de nouveau un rôle. Je crois que notre politique à l'égard de ce prince doit consister à maintenir toujours chez lui un ferment de mécontentement, et surtout à bien s'assurer de la destruction des places du côté des Alpes.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

Le citoyen Muiron a servi, depuis les premiers jours de la révolution, dans le corps de l'artillerie; il s'est spécialement distingué au siège de Toulon, où il fut blessé en entrant par une embrasure dans la célèbre redoute anglaise.

Son père était alors arrêté comme fermier-général: le jeune Muiron se présente à la convention nationale, au comité révolutionnaire de sa section, couvert du sang qu'il venait de répandre pour la patrie; il obtint la libération de son père.

Au 13 vendémiaire, il commandait une des divisions d'artillerie qui défendaient la convention; il fut sourd aux séductions d'un grand nombre de ses connaissances et des personnes de sa société. Je lui demandai si le gouvernement pouvait compter sur lui: «Oui, me dit il, j'ai fait serment de soutenir la république, je fais partie de la force armée, j'obéirai en obéissant à mes chefs; je suis d'ailleurs, par ma manière de voir, ennemi de tous les révolutionnaires, et tout autant de ceux qui n'en adoptent les maximes et la marche que pour rétablir un trône, que de ceux qui voudraient rétablir ce régime cruel où mon père et mes parens ont si longtemps souffert.» Il s'y comporta effectivement en brave homme, et fut très utile dans cette journée, qui a sauvé la liberté.

Depuis le commencement de la campagne d'Italie, j'avais pris le citoyen Muiron pour mon aide de-camp: il a rendu dans presque toutes les affaires des services essentiels; enfin il est mort glorieusement sur le champ de bataille d'Arcole, laissant une jeune veuve enceinte de huit mois.

Je vous demande, en considération des services rendus dans les différentes campagnes de cette guerre par le citoyen Muiron, que la citoyenne veuve Berault Courville, sa belle-mère, soit rayée de la liste des émigrés, sur laquelle elle a été inscrite, quoiqu'elle n'ait jamais émigré, ainsi que le citoyen Charles Marie Berault Courville, son beau frère. Ce jeune homme avait quatorze ans lorsqu'il a été mis sur la liste des émigrés, étant en pays étranger pour son éducation.

BONAPARTE.



Au quartier général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au directoire exécutif.

L'armée du général Alvinzi est sur la Brenta et dans le Tyrol; l'armée de la république est le long de l'Adige, et occupe la ligne de Montebaldo, Corona, Rivoli. Nous avons une avant-garde en avant de Porto-Legnago.

Mantoue est cerné avec le plus grand soin, Le 2 de ce mois, le général Dumas surprit un espion qui entrait dans la ville; c'est un cadet autrichien qui avait été expédié de Trente par Alvinzi. Après de grandes façons, il avoua qu'il était porteur de dépêches, et, effectivement, il rendit, vingt-quatre heures après (allant à la garde-robe), un petit cylindre où était renfermée la lettre de l'empereur que je vous ferai passer. Si cette méthode de faire avaler les dépêches n'était pas parfaitement connue, je vous enverrais les détails, afin que cela soit envoyé à nos généraux, parce que les Autrichiens se servent souvent de cette méthode. Ordinairement les espions gardent cela dans le corps pendant plusieurs jours; s'ils ont l'estomac dérangé, ils ont soin de reprendre le petit cylindre, de le tremper dans de l'élixir et de le réavaler. Ce cylindre est trempé dans de la cire d'Espagne, déliée dans du vinaigre.

Vous verrez, par la lettre de l'empereur, que Wurmser doit effectivement être à toute extrémité; la garnison ne se nourrit que de poulenta et de viande de cheval; cependant il est possible que sa réduction tarde encore: les Autrichiens mettent tant d'espérance dans cette place, qu'il n'est pas étonnant qu'ils souffrent toutes les extrémités avant de la rendre.

Le parti qu'ordonne l'empereur n'est pas bien dangereux.

Le corps franc des volontaires de Vienne, fort de quatre mille hommes, est arrivé à Trente; il y a un caporal qui est chambellan: c'est une garde nationale. Trois mille hommes sont déjà arrivés à Trente, venant du Rhin, et quatre mille recrues de Hongrie. Les chemins sont chargés de troupes. Nous, au contraire, nous en sommes toujours au premier des renforts annoncés au commencement de la campagne, qui n'arrivent pas encore.

L'état de situation que vous m'avez envoyé est plein de doubles emplois et de fautes. Je suis entré en campagne avec un corps d'armée de vingt-quatre mille hommes d'infanterie, une division du col de Tende et de Fenestre, et les garnisons des Alpes-Maritimes de huit mille hommes, dont six mille m'ont rejoint après la bataille de Mondovi, en descendant le col de Tende. J'ai donc eu trente mille hommes de la ci-devant armée d'Italie dans les plaines du Piémont.

L'armée des Alpes m'a fourni huit mille cinq cents hommes, qui ne doivent pas être considérés comme renfort, puisque l'armée des Alpes défendait les frontières d'Italie.

On peut donc considérer l'armée d'Italie proprement dite comme ayant été primitivement de trente-huit mille cinq cents hommes d'infanterie.

Le gouvernement l'a renforcée de deux mille six cents hommes venant du général Châteauneuf-Randon, et des trente-troisième, sixième, quarantième et cinquante-huitième demi-brigades, venant de la Vendée, et de la quatorzième, venant de Paris, faisant en tout dix mille hommes.

Si donc l'armée n'avait perdu personne, elle aurait cinquante-un mille cent hommes d'infanterie, mais sur lesquels quatre mille hommes ont été tués sur le champ de bataille, comme vous le verrez par l'état que je vous ferai passer; mille blessés hors de service; deux mille morts aux hôpitaux: en tout sept mille.

On a donc perdu sept mille hommes, dont mille cavaliers, pionniers ou artilleurs: reste ainsi quarante-cinq mille cent hommes d'infanterie, dont elle est composée.

Vous voyez donc, citoyens directeurs, que votre armée a reçu, non pas cinquante-sept mille hommes de renfort, mais seulement douze mille six cents hommes, dans une campagne où il y a eu tant de batailles, et où les mêmes hommes ont détruit l'armée sarde et l'armée de Beaulieu, fortes de soixante-treize mille hommes: l'armée de Beaulieu, renforcée de vingt mille hommes du Rhin, commandés par Wurmser; l'armée de Wurmser, renforcée de dix-huit mille hommes tirés de la Pologne, six mille du Rhin et douze mille recrues, commandés par Alvinzi; et nous sommes à la veille d'avoir affaire aux débris de toutes ces armées, renforcés par quatre mille volontaires de Vienne, trois mille hommes du Rhin, trois mille recrues déjà arrivées, quinze cents que l'on m'assure que les ennemis attendent dans le courant de janvier, plus, les recrues qui arrivent de tous les côtés.

Il a fallu du bonheur et du bien joué pour vaincre Alvinzi. Comment espérer vaincre, avec les mêmes troupes, Alvinzi, renforcé de trente à trente-cinq mille hommes, tandis que nous n'avons encore reçu que trois mille hommes?

La guérison de nos malades est sûrement un avantage; mais les malades de Wurmser se guérissent aussi dans Mantoue.

Vous m'annoncez dix mille hommes de l'Océan et dix mille du Rhin, mais rien de cela n'arrive; il y a cependant six décades de votre annonce. On dit même que la tête de cette colonne de l'Océan a rétrogradé.

Il paraît, d'après la lettre de l'empereur, qu'une lutte se prépare pour janvier; faites au moins que les secours qui devaient arriver contre Alvinzi, et dont la victoire d'Arcole nous a mis à même de nous passer, arrivent actuellement: sans quoi, vous sacrifiez l'armée la plus attachée à la constitution, et qui, quels que soient les mouvemens que se donnent les ennemis de la patrie, sera attachée au gouvernement et à la liberté avec le même zèle et la même intrépidité qu'elle a mis à conserver l'Italie à la république.

Je le dis avec une vraie satisfaction, il n'est point d'armée qui désire davantage la conservation de la constitution sacrée, seul refuge de la liberté et du peuple français. L'on hait ici et l'on est prêt à combattre les nouveaux révolutionnaires, quel que soit leur but. Plus de révolution, c'est l'espoir le plus cher du soldat: il ne demande pas la paix, qu'il désire intérieurement, parce qu'il sait que c'est le seul moyen de ne la pas obtenir, et que ceux qui ne la désirent pas l'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive pas. Le soldat se prépare à de nouvelles batailles, et s'il jette quelquefois un coup d'oeil sur l'esprit qui anime plusieurs villes dans l'intérieur, son regret est de voir les déserteurs accueillis, protégés, et les lois sans force dans un moment où il s'agit de décider du sort du peuple français.

Enfin, citoyens directeurs, l'ennemi retire ses troupes du Rhin pour les envoyer en Italie; faites de même, secourez-nous: il n'y aura jamais que la disproportion trop marquée des ennemis, qui pourra nous vaincre. Nous ne vous demandons que des hommes, nous nous procurerons le reste avec d'autant plus de facilité, que nous serons plus nombreux.

Je vous envoie une pétition des officiers de la cinquante-septième, qui réclament le citoyen Maçon, leur chef de brigade, arrêté par ordre du général Willot.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 8 nivose an 5 (28 décembre 1796).

Au commissaire ordonnateur en chef.

Il se fait un très-grand abus, citoyen ordonnateur: il n'y a aucune espèce d'ordre dans la dépense du payeur, il n'y en a pas non plus dans la livraison de vos ordonnances. Mes intentions sont que vous donniez les instructions nécessaires au payeur, pour qu'il y ait un mode de comptabilité qui nous mette à même de connaître, chaque jour, la situation où nous nous trouvons.

Le payeur de l'armée ne paiera, sur les fonds qui sont mis dans sa caisse pour la solde des troupes, que le prêt des demi-brigades, de l'artillerie, des sapeurs, des mineurs et de la cavalerie, ainsi que les appointemens des officiers de l'armée et des commissaires des guerres.

Il y aura chaque mois 150,000 fr. à votre disposition, sur lesquels, conformément à l'ordre du ministre, du 11 nivose an 4, vous sera remboursé ce qui est nécessaire au pansement, aux médicamens et ferrage des chevaux, c'est-à-dire, trois francs par mois par cheval: il faudra donc que vous envoyiez une ordonnance à chaque conseil d'administration en prévenant le payeur que vous y affecterez une somme sur les 150,000 liv.

Vous ferez également solder, sur cette somme, la gratification d'entrée en campagne, les indemnités de pertes d'équipages; les frais de bureaux pour toute l'armée seront compris dans un état général que vous présentera le chef de l'état-major.

Les frais de poste pour toute l'armée et les dépenses extraordinaires seront soldés par le chef de l'état-major. Vous lui remettrez, à cet effet, au commencement de chaque mois, 50,000 liv. sur les 160,000 qui sont à votre disposition, et il devra, à la fin de chaque mois, vous présenter l'état des frais de bureaux de toute l'armée et des frais de poste.

Sous quelque prétexte que ce soit, vous ne pourrez jamais dépenser plus de 100,000 fr. par mois pour les objets dont il est ci-dessus question, et 50,000 pour les deux articles dont est chargé le chef de l'état-major.

Lorsque des circonstances extraordinaires nécessiteront une augmentation de fonds, il faudra, auparavant, que vous donniez une ordonnance au payeur, afin que les fonds mis à votre disposition soient approuvés.

Les appointemens des médecins et autres administrateurs des hôpitaux seront payés sur les fonds mis à votre disposition, et vous vous arrangerez avec le payeur; mais il faut que, sous quelque prétexte que ce soit, l'on ne détourne point pour une autre destination les fonds destinés à la solde des troupes.

Pour le mois de nivose, l'on a fait des fonds pour le prêt, et l'on a mis 100,000 liv. à votre disposition; je vais ordonner qu'on en remette 50,000 en exécution du présent ordre. Je vous prie de me faire connaître les sommes qui vous sont nécessaires pour la solde des officiers de santé.

Je vous prie d'envoyer copie de la présente lettre au payeur de l'armée.

BONAPARTE.



Note donnée par le général Bonaparte au général divisionnaire Clarke12.

Footnote 12: (return) Cette note, sans date, nous a paru appartenir à la même époque que la lettre précédente.

Mantoue est bloqué depuis plusieurs mois: il y a au moins dix mille malades qui sont sans viande et sans médicamens; il y a six à sept mille hommes de garnison qui sont à la demi-ration de pain, à la viande de cheval et sans vin; le bois même est rare. Il y avait dans Mantoue six mille chevaux de cavalerie et trois mille d'artillerie: ils en tuent cinquante par jour, ils en ont salé six cents; beaucoup sont morts faute de fourrage; il en reste encore dix-huit cents de cavalerie, qui se détruisent tous les jours: il est probable que dans un mois Mantoue sera à nous. Pour accélérer cette reddition, je fais préparer de quoi servir trois batteries incendiaires, qui commenceront à jouer le 25 de ce mois.

L'armée, qui était venue avec tant de forces au secours de Mantoue, est battue: elle pourra être renforcée dans quinze jours, mais il nous arrive des secours; d'ailleurs le général Clarke ne peut pas entamer ses négociations avant douze jours, et à cette époque, si la cour de Vienne conclut l'armistice, c'est que l'on ne serait pas dans le cas de se présenter avec quelque espoir de succès. Dans le cas contraire, la cour de Vienne attendrait l'issue de ses derniers efforts avant de rien conclure.

Maîtres de Mantoue, l'on sera trop heureux de nous accorder les limites du Rhin.

Rome n'est point en armistice avec la république française, elle est en guerre; elle ne veut payer aucune contribution, la prise de Mantoue seule peut lui faire changer de conduite.

Nous perdrions donc par l'armistice:

1°. Mantoue jusqu'en mai, et, à cette époque, nous le trouverions parfaitement approvisionné, quelque arrangement que l'on fasse; et les chaleurs le rendraient imprenable à la fin de l'armistice.

2°. Nous perdrions l'argent de Rome, que nous ne pouvons avoir sans Mantoue: l'État de l'église est inabordable en été.

3°. L'empereur, étant plus près, ayant plus de moyens de recruter, aura en mai une armée plus nombreuse que la nôtre; car, quelque chose que l'on fasse, dès que l'on ne se battra plus, tout le monde s'en ira. Dix à quinze jours de repos feront du bien à l'armée d'Italie, trois mois la perdront.

4°. La Lombardie est épuisée: nous ne pouvons nourrir l'armée d'Italie qu'avec l'argent du pape ou de Trieste. Nous nous trouverions très-embarrassés à l'ouverture de la campagne qui suivrait l'armistice.

5°. Maîtres de Mantoue, l'on sera dans le cas de ne pas comprendre le pape dans l'armistice; l'armée d'Italie aura une telle prépondérance, que l'on se trouvera heureux à Vienne de pouvoir la paralyser pendant quelques mois.

6°. Si, après l'armistice, on doit recommencer une nouvelle campagne, l'armistice nous sera très-préjudiciable; si l'armistice doit être le préliminaire de la paix, il ne faut le faire qu'après la prise de Mantoue: il y aura le double de chances pour qu'il soit bon et profitable.

7°. Conclure l'armistice actuellement, c'est s'ôter les moyens et les probabilités de faire une bonne paix dans un mois.

Tout se résume à attendre la prise de Mantoue, à renforcer cette armée de tous les moyens possibles, afin d'avoir de l'argent pour la campagne prochaine, non-seulement pour l'Italie, mais même pour le Rhin, et afin de pouvoir prendre une offensive si déterminée et si alarmante pour l'empereur, que la paix se conclue sans difficulté et avec gloire, honneur et profit.

Si l'on veut renforcer l'armée d'Italie de vingt mille hommes, y compris les dix mille que l'on nous annonce du Rhin, et de quinze cents hommes de cavalerie, l'on peut promettre, avant le mois d'avril, 30,000,000 fr. aux armées du Rhin et de Sambre et Meuse, et obliger l'empereur à tourner tous ses efforts du côté du Frioul.

BONAPARTE.



Note remise au général Clarke par le général Bonaparte13.

Footnote 13: (return) Cette deuxième note, aussi sans date, appartient encore à l'époque précitée.

Après y avoir songé long-temps, je ne vois pas de condition raisonnable que l'on puisse établir pour le statu quo de Mantoue.

Il y a trois choses:

1°. Les fourrages pour la cavalerie;

2°. Les vivres pour la garnison et les habitans;

3°. Les remèdes pour les malades.

Quelque chose que l'on fasse et que l'on établisse, nous verrons nous échapper Mantoue, si l'on conclut l'armistice avant la prise de cette place, et, sans cette place, nous n'obtiendrons pas de paix raisonnable.

Je le répète, l'armistice, soit qu'on le considère comme les préliminaires de la paix, soit comme devant nous servir pour les préparatifs de la campagne prochaine, sera utile et conforme aux intérêts de la république lorsque nous aurons Mantoue. Je crois qu'il n'y a qu'un moyen de retarder la paix de l'Europe, c'est de conclure un armistice sans avoir Mantoue; c'est un sûr moyen de faire une nouvelle campagne, pour le succès de laquelle on aura rendu nuls tous les succès obtenus dans celle-ci. Que l'on n'oublie pas qu'une démarche prématurée en ce genre peut tout perdre.

Les limites que l'on devrait désigner sont:

Les troupes impériales ne pourraient pas passer la Brenta;

Les troupes françaises, l'Adige.

Du côté du nord, les troupes impériales ne pourront passer Alla, Mori, Torbole, Thion jusqu'à Lodrone, sans pouvoir de ce côté entrer dans les états vénitiens;

Les troupes françaises, la Chiuza, Rivoli, Torri, Salo, Brescia, Bergame.

Le reste de l'Italie, soit qu'il ait appartenu à l'empereur, soit au duc de Modène ou à l'archiduchesse de Milan, demeurerait in statu quo.

Bologne, Ferrare, Ancône in statu quo, conformément à l'exécution de l'armistice avec le pape; mais comme l'armistice doit être exécuté en thermidor et en brumaire, et que cette époque est passée, on pourra lui accorder un mois, au plus, à compter du jour où se signera le traité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797)

Au chef de l'état-major.

Vous voudrez bien faire traduire devant le conseil militaire de la Lombardie les citoyens Bockty, Chevilly et Descriveur, employés à différentes administrations de l'armée, pour avoir volé et compromis l'armée et les opérations les plus importantes de la guerre. C'est par cette dilapidation infâme, le rachat des bons et les versemens factices, qu'ils ont compromis mon opération et ont été la cause de la perte d'un grand nombre de nos camarades; enfin ce sont de pareilles friponneries qu'il faut réprimer par des exemples sévères, pour empêcher qu'au milieu de l'Italie, c'est-à-dire la contrée la plus fertile de l'Europe, le soldat ne manque du nécessaire, comme cela est arrivé plusieurs fois.

J'accuse M. Bockty d'avoir porté la corruption parmi nos agens, et de n'être venu à l'armée que pour faire manquer mon opération en faisant des versemens factices.

J'accuse le citoyen Chevilly d'être un des points d'appui de tout ce manège, et d'avoir gagné des sommes considérables au détriment du soldat.

Le citoyen Descriveur, garde-magasin à Crémone, a offert à M. Bockty dix mille pintes de vin de versement factice: il est connu depuis longtemps pour faire cet infâme commerce.

Je demande en conséquence que ces trois employés soient condamnés à la peine de mort, ne devant pas être considérés comme de simples voleurs, mais comme des hommes qui tous les jours atténuent les moyens de l'armée et font manquer les opérations les mieux concertées, ou du moins n'en permettent la réussite qu'après une expansion de sang français, qui est trop précieux pour qu'on ne prenne pas toutes les mesures capables d'épouvanter leurs complices, trop nombreux dans l'armée d'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797)

Au citoyen président du congrès cispadan.

J'ai appris avec le plus vif intérêt, par votre lettre du 30 décembre, que les républiques cispadanes s'étaient réunies en une seule, et que, prenant pour symbole un carquois, elles étaient convaincues que leur force est dans l'unité et l'indivisibilité. La misérable Italie est depuis longtemps effacée du tableau des puissances de l'Europe. Si les Italiens d'aujourd'hui sont dignes de recouvrer leurs droits et de se donner un gouvernement libre, l'on verra un jour leur patrie figurer glorieusement parmi les puissances du globe; mais n'oubliez pas que les lois ne sont rien sans la force. Votre premier regard doit se porter sur votre organisation militaire. La nature vous a tout donné, et, après l'unité et la sagesse que l'on remarque dans vos différentes délibérations, il ne vous manque plus, pour atteindre au but, que d'avoir des bataillons aguerris et animés du feu sacré de la patrie.

Vous êtes dans une position plus heureuse que le peuple français, vous pouvez arriver à la liberté sans la révolution et ses crimes. Les malheurs qui ont affligé la France avant l'établissement de la constitution ne se verront jamais au milieu de vous. L'unité qui lie les diverses parties de la république cispadane, sera le modèle constamment suivi de l'union qui régnera entre toutes les classes de ses citoyens; et le fruit de la correspondance de vos principes et de vos sentimens soutenus par le courage, sera la liberté, la république et la prospérité.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 12 nivose an 5 (1er janvier 1797).

À M. Bataglia, provéditeur de la république de Venise à Brescia.

Je reçois à l'instant, monsieur, la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire. Les troupes françaises ont occupé Bergame pour prévenir l'ennemi, qui avait l'intention d'occuper ce poste essentiel. Je vous avouerai franchement que j'ai été bien aise de saisir cette circonstance pour chasser de cette ville la grande quantité d'émigrés qui s'y étaient réfugiés, et châtier un peu les libellistes, qui y sont en grand nombre, et qui, depuis le commencement de la campagne, ne cessent de prêcher l'assassinat contre les troupes françaises, et qui ont, jusqu'à un certain point, produit cet effet, puisqu'il est constant que les Bergamasques ont plus assassiné de Français, que le reste de l'Italie ensemble.

La conduite de M. le provéditeur de Bergame a toujours été très partiale en faveur des Autrichiens, et il ne s'est jamais donné la peine de dissimuler, tant par sa correspondance que par ses propos et par ses actions, la haine qui l'anime contre l'armée française. Je ne suis point son juge, ni celui d'aucun sujet de la sérénissime république de Venise; cependant, lorsque, contre les intentions bien connues de leur gouvernement, il est des personnes qui transgressent les principes de la neutralité et se conduisent en ennemis, le droit naturel m'autoriserait aussi à me servir de représailles.

Engagez, je vous prie, M. le provéditeur de Bergame, qui est votre subordonné, à être un peu plus modeste, plus réservé et un peu moins fanfaron lorsque les troupes françaises sont éloignées de lui. Engagez-le à être un peu moins pusillanime, à se laisser moins dominer par la peur à la vue des premiers pelotons français. Si ce sentiment, qui est celui peut-être d'un châtiment qu'il savait avoir mérité par sa conduite passée à l'égard des Français, ne l'avait prédominé, le château de Bergame n'aurait point été évacué par les troupes vénitiennes, mais on s'y serait conduit comme à Brescia et à Verone.

Immédiatement après le reçu de votre lettre, j'ai pris en considération la position de la ville de Bergame, que j'ai fait évacuer par une partie des troupes qui y étaient. J'ai donné l'ordre au général Baraguay d'Hilliers de restituer le château à la garnison vénitienne et de faire le service ensemble. Quant à la tranquillité de Bergame, vos intentions, celle du gouvernement de Venise et la bonté de ce peuple m'en sont un sûr garant. Je connais le petit nombre d'hommes mal intentionnés, qui, depuis six mois, ne cessent de prêcher la croisade contre les Français. Malheur à eux, s'ils s'écartent des sentimens de modération et d'amitié qui unissent les deux gouvernemens!

C'est avec plaisir que je saisis cette occasion, monsieur, pour rendre justice au désir de la tranquillité publique que montrent M. l'évêque de Bergame et son respectable clergé. Je me convaincs tous les jours d'une vérité bien démontrée à mes yeux, c'est que si le clergé de France eût été aussi sage, aussi modéré, aussi attaché aux principes de l'Évangile, la religion romaine n'aurait subi aucun changement en France; mais la corruption de la monarchie avait infecté jusqu'à la classe des ministres de la religion: l'on n'y voyait plus des hommes d'une vie exemplaire et d'une morale pure, tels que le cardinal Mattei, le cardinal archevêque de Bologne, l'évêque de Modène, l'évêque de Pavie, l'archevêque de Pise; il m'a paru quelquefois, discourant avec ces personnages respectables, me retrouver aux premiers siècles de l'Église.

Je vous prie de croire, monsieur, aux sentimens d'estime, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Milan, le 17 nivose an 5 (6 janvier 1797).

Au directoire exécutif.

Plus j'approfondis, dans mes momens de loisir, les plaies incurables des administrations de l'armée d'Italie, plus je me convaincs de la nécessité d'y porter un remède prompt et infaillible.

La comptabilité de l'armée est, chez le payeur, dans un désordre frappant; on ne peut avoir compte de rien, et à la réputation de friponner bien constatée du contrôleur se joint l'ineptie des autres employés. Tout se vend. L'armée consomme cinq fois ce qui lui est nécessaire, parce que les gardes-magasins font de faux bons, et sont de moitié avec les commissaires des guerres.

Les principales actrices de l'Italie sont entretenues par les employés de l'armée française; le luxe, la dépravation et la malversation sont à leur comble. Les lois sont insuffisantes: il n'y a qu'un seul remède; il est à la fois analogue à l'expérience, à l'histoire et à la nature du gouvernement républicain: c'est une syndicature, magistrature qui serait composée d'une ou de trois personnes, dont l'autorité durerait seulement trois ou cinq jours, et qui, pendant ce court espace, aurait le droit de faire fusiller un administrateur quelconque de l'armée. Cette magistrature, envoyée tous les ans aux armées, ferait que tout le monde ménagerait l'opinion publique, et garderait une certaine décence, non-seulement dans les moeurs et dans la dépense, mais encore dans le service journalier.

Le maréchal de Herwick fit pendre l'intendant de l'armée, parce qu'il manqua de vivres; et nous, au milieu de l'Italie, ayant tout en abondance, dépensant dans un mois cinq fois ce qu'il nous faudrait, nous manquons souvent. Ne croyez pas cependant que je sois mou, et que je trahisse la patrie dans cette portion essentielle de mes fonctions. Je fais arrêter tous les jours des employés, je fais examiner leurs papiers, visiter les caisses; mais je ne suis secondé par personne, et les lois n'accordent pas une assez grande autorité au général pour pouvoir imprimer une terreur salutaire à cette nuée de fripons. Cependant le mal diminue, et, à force de gronder, de punir et de me fâcher, les choses, je l'espère, se feront avec un peu plus de décence; mais songez, je vous le répète, à l'idée que je vous donne d'une syndicature.

Je vous ferai passer incessamment le procès-verbal qu'on m'apporte de l'interrogatoire d'un fournisseur arrêté par mes ordres: par ce procès-verbal, vous verrez combien le mal est porté à son comble et a besoin d'un remède puissant.

La compagnie Flachat a donné à l'Italie l'exemple des rachats. Le commissaire ordonnateur Sucy, qui avait connaissance de tous ces tripotages, m'en a parlé avec quelques détails lors de son dernier voyage à Milan.

Ces gens-là ont peut-être gagné trois millions par des versemens factices. Cette compagnie doit cinq millions à l'armée, provenant des contributions; le payeur de l'armée a tiré, sur sa maison à Gênes, pour six cent mille livres de traites pour le prêt, elle a eu l'impudeur de les laisser protester. J'ai regardé la compagnie comme banqueroutière, et j'ai fait mettre les scellés sur ses maisons de Livourne et de Gênes. Je vous prie de donner des ordres pour faire arrêter à Paris les agens de cette compagnie: ce sont les plus grands escrocs de l'Europe; ils nous ont mis ici dans une situation bien embarrassante. J'ai voulu faire arrêter Flachat et son beau-frère, agent de la compagnie à Milan, jusqu'à ce qu'ils eussent payé; mais ces fripons s'étaient sauvés.

En vous parlant des friponneries qui se commettent, je ne dois pas manquer de rendre justice aux employés qui se conduisent bien et avec décence.

Je suis très-content du citoyen Pesillicot, agent de la compagnie Cerfbeer. Si cette compagnie nous avait envoyé un homme comme celui-là au commencement de la campagne, elle eût gagné plusieurs millions, et l'armée encore davantage.

Je suis également content de l'agent des vivres-viandes, Collot: c'est un administrateur, il soutient son service.

Parmi les commissaires des guerres, la probité du citoyen Boinot est particulièrement distinguée et reconnue par toute l'armée. S'il y avait à l'armée une quinzaine de commissaires des guerres comme celui-là, vous pourriez leur faire présent de cent mille écus à chaque, et nous aurions encore gagné une quinzaine de millions. Je vous prie de donner à ces différens administrateurs des marques de votre satisfaction.

Je vous enverrai une dénonciation du commissaire des guerres Boinot contre l'ancien agent de la compagnie Cerfbeer, Thévenin.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 24 nivose an 5 (12 février 1797)

À M. le prince Belmonte Pignatelli, ministre de S-M. le roi des Deux-Siciles.

Le directoire exécutif m'a envoyé dans le temps, monsieur, les notes que vous lui avez remises, exprimant le désir que le roi votre maître avait que l'armistice conclu entre la république française et le pape continuât à avoir lieu et pût servir à un accommodement définitif.

J'ai en conséquence réitéré dès-lors auprès de la cour de Rome mes instances pour l'exécution des conditions de l'armistice, et pour y ouvrir des négociations de paix, comme vous le verrez par les pièces que je vous ferai passer. Mais la cour de Rome, livrée à l'esprit de vertige, a préféré le hasard des armes: la guerre est devenue dès-lors inévitable; mais, fidèle au système de modération qui dirige exclusivement les opérations du directoire exécutif, et envieux de donner à sa majesté le roi des Deux-Siciles une preuve de la considération qu'a pour lui la république française, après la première conférence que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous, j'ai écrit la lettre que je vous ai communiquée à M. le cardinal Mattei. Je ne doute point que le directoire exécutif de la république française ne soit charmé, dans toutes les circonstances, de saisir les occasions d'affermir la paix qui l'unit à sa majesté le roi des Deux-Siciles, et de montrer sa modération au milieu des succès éclatans que vient d'obtenir l'armée d'Italie, par les défaites de l'armée autrichienne et la prise de Mantoue, comme elle a montré à l'Europe sa fermeté dans tout ce qui tendait à soutenir la dignité de la république et la gloire des armes françaises.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 24 nivose an 5 (13 janvier 1797)

Au général Joubert.

Je vous prie de me faire connaître le plus tôt possible si vous croyez que l'ennemi a devant vous plus de neuf mille hommes. Il est très-nécessaire que je sache si l'attaque que l'on vous fait est une attaque réelle, égale ou supérieure à vos forces, ou si c'est une attaque secondaire et pour donner le change.

L'ennemi nous présente sur Verone à peu près six mille hommes, que je donne ordre d'attaquer dans le moment. Si vous avez neuf ou dix mille hommes devant vous, ce qui doit réellement être pour oser faire une attaque véritable, il s'ensuivrait qu'il n'aurait pas du côté de Legnago plus de neuf à dix mille hommes; si cela était, et que votre attaque et celle que je fais faire ici réussissent ce soir comme il faut, je serai bien loin d'avoir à craindre qu'ils ne passent l'Adige.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Villa-Franca, le 26 nivose an 5 (15 janvier 1797).

Au général Joubert.

Je vous apprends avec plaisir, mon cher général, que le général Augereau a attaqué hier l'ennemi, lui a pris quelques hommes, douze pièces de canon, lui a brûlé ses ponts, etc.

Vous avez bien fait de garder la soixante-quinzième; la victoire ne sera pas douteuse, et le succès de ce matin est d'un bon augure. Mantoue fait dans ce moment-ci une sortie qui ne paraît pas lui réussir.

J'envoie la dix-huitième demi-brigade, qui arrive à son secours.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 26 nivose an 5 (15 janvier 1797).

Au général Joubert.

La dix-huitième et la cinquante-septième sont ici. L'ennemi, après avoir passé l'Adige, s'est divisé en deux corps: le premier s'est mis en marche vers Mantoue, le second est resté à Anghuiara pour défendre le pont de l'Adige. Les généraux de division Guieux et Augereau ont attaqué ce corps, auquel ils ont fait deux mille prisonniers, pris plusieurs pièces de canon, et brûlé tous ses ponts sur l'Adige.

Le premier corps s'est présenté à midi à Saint-George: le général Miollis, qu'il a sommé de se rendre, lui a répondu à coups de canon. Après une fusillade très-opiniâtre, l'ennemi n'a point pu forcer ce poste essentiel; il est dans ce moment-ci entre Saint-George et le Mincio, au village de Valdagno, où il cherche à communiquer par le lac avec la garnison de Mantoue. Je fais reconnaître dans ce moment sa position; j'attends quelques rapports sur les reconnaissances que j'ai fait faire de la Molinella, après quoi je chercherai à le battre. Si le général Augereau, comme je pense, se porte sur Castellara à la suite de cette colonne qui lui a échappé, vous sentez que nous vaincrons facilement. La trente-deuxième vient d'arriver à Franca, cela nous mettra à même de finir bientôt cette lutte sanglante et vive, qui est, je crois, une des plus actives de la campagne. J'attends avant minuit un petit billet de votre part, de la Corona.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 28 nivose an 5 (17 janvier 1797).

Au général Joubert.

Nous voilà donc aux mêmes positions où nous étions, M. Alvinzi ne peut pas en dire autant: il s'agit actuellement de savoir en profiter. Je vous prie de me faire passer votre état de situation, et de veiller à ce qu'il soit exact. Je viens d'ordonner qu'on vous envoie le vingt-quatrième régiment de chasseurs en place du vingt-deuxième: si cet arrangement ne vous convenait pas, il faut que vous m'en préveniez sur-le-champ.

Je viens d'ordonner au général d'artillerie de fournir à votre division douze pièces d'artillerie prêtes à marcher, et trois pièces d'artillerie de montagne. Il ne peut vous manquer pour marcher que des souliers et des vivres. Faites vérifier dans vos magasins, et faites transporter à Rivoli trente mille rations de biscuit, et assurez-vous qu'il existe dans vos magasins tout ce qui est nécessaire pour avoir, le 30 au soir, trente mille rations de pain: cela fait des vivres pour votre division pendant quatre jours.

Il paraît encore vous manquer de souliers: faites-moi connaître dans la nuit, au juste et sans exagération, combien il vous en faut. Renvoyez-moi la carte que j'ai laissée chez vous, de la ligne entre Rivoli et l'Adige.

Je vous préviens que vous vous mettrez en mouvement dans la nuit du 30 nivose au 1er pluviose.

Faites-moi passer le plus tôt possible une relation des deux journées de la Corona, du combat de Rivoli, le nom des hommes qui se sont distingués et l'avancement qu'on pourrait leur donner.

Vous voilà avec deux seuls généraux de brigade, Baraguay d'Hilliers et Vial; je viens de donner les ordres pour que le général Dugoulot se rende sous vos ordres; je ferai demain donner des ordres à un quatrième.

Je n'ai point vu le chef de brigade de la quatorzième de ligne à la bataille de Rivoli: mon intention est que les chefs de brigade commandant restent toujours à leurs corps, et que les membres du conseil militaire, quel que soit leur grade, se trouvent à leurs drapeaux à toutes les affaires générales.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Roverbello, le 28 nivose an 5 (17 janvier 1797).

Au directoire exécutif.

Il s'est passé depuis le 23 des opérations d'une importance telle, et qui ont si fort multiplié les actions militaires, qu'il m'est impossible, avant demain, de vous en faire un détail circonstancié. Je me contente aujourd'hui de vous les annoncer.

Le 23 nivose, l'ennemi est venu attaquer la division du général Masséna devant Verone, ce qui a donné lieu au combat de Saint-Michel, où nous l'avons battu complètement. Nous lui avons fait six cents prisonniers et pris trois pièces de canon. Le même jour, il attaqua la tête de notre ligne de Montebello, et donna lieu au combat de la Corona, où il a été repoussé. Nous lui avons fait cent dix prisonniers.

Le 24, à minuit, la division de l'armée ennemie, qui depuis le 19 était établie à Bevilaqua, où elle avait fait replier l'avant-garde du général Augereau, jeta rapidement un pont sur l'Adige, à une lieue de Porto-Legnago, vis-à-vis Anghiari.

Le 24, au matin, l'ennemi fit filer une colonne très-forte par Montagna et Caprino, et par là obligea la division du général Joubert à évacuer la Corona et à se concentrer à Rivoli. J'avais prévu le mouvement, je m'y portai dans la nuit, et cela donna lieu à la bataille de Rivoli, que nous avons gagnée le 25 et le 26, après une résistance opiniâtre, et où nous avons fait à l'ennemi treize mille prisonniers, pris plusieurs drapeaux et plusieurs pièces de canon. Le général Alvinzi, presque seul, a eu beaucoup de peine à se sauver.

Le 25, le général Guieux attaqua l'ennemi à Anghiari, pour chercher à le culbuter avant qu'il eût entièrement effectué son passage. Il ne réussit pas dans son objet, mais il fit trois cents prisonniers.

Le 26, le général Augereau attaqua l'ennemi à Anghiari, ce qui donna lieu au second combat d'Anghiari. Il lui fit deux mille prisonniers, s'empara de seize pièces de canon, et brûla tous les ponts sur l'Adige; mais l'ennemi, profitant de la nuit, défila sur Mantoue. Il était déjà arrivé à une portée de canon de cette place; il attaqua Saint-George, faubourg que nous avions retranché avec soin, et ne put l'emporter. J'arrivai dans la nuit avec des renforts, ce qui donna lieu à la bataille de la Favorite, sur le champ de bataille de laquelle je vous écris. Le fruit de cette bataille est sept mille prisonniers, des drapeaux, des canons, tous les bagages de l'armée, un régiment de hussards, et un convoi considérable de grains et de boeufs que l'ennemi prétendait faire entrer dans Mantoue. Wurmser a voulu faire une sortie pour attaquer l'aile gauche de notre armée; mais il a été reçu comme d'ordinaire et obligé de rentrer. Voilà donc, en trois ou quatre jours, la cinquième armée de l'empereur entièrement détruite.

Nous avons fait vingt-trois mille prisonniers, parmi lesquels un lieutenant-général, deux généraux, six mille hommes tués ou blessés, soixante pièces de canon, et environ vingt-quatre drapeaux. Tous les bataillons de volontaires de Vienne ont été faits prisonniers: leurs drapeaux sont brodés des mains de l'impératrice.

L'armée du général Alvinzi était de près de cinquante mille hommes, dont une partie était arrivée en poste de l'intérieur de l'Autriche.

Du moment que je serai de retour au quartier-général, je vous ferai passer une relation détaillée, pour vous faire connaître les mouvemens militaires qui ont eu lieu, ainsi que les corps et les individus qui se sont distingués. Nous n'avons eu dans toutes ces affaires que sept cents hommes tués et environ douze cents blessés. L'armée est animée du meilleur esprit et dans les meilleures dispositions.

Vous m'avez annoncé, depuis plus de trois mois, dix mille hommes venant de l'Océan; il n'est encore arrivé que la soixante-quatrième demi-brigade, forte de dix-huit cents hommes.

L'empereur aura réorganisé une nouvelle armée en Italie, avant que je n'aie reçu ces dix mille hommes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 29 nivose an 5 (18 janvier 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je m'étais rendu à Bologne avec deux mille hommes, afin de chercher, par ma proximité, à en imposer à la cour de Rome, et lui faire adopter un système pacifique, dont cette cour parait s'éloigner de plus en plus depuis quelque temps.

J'avais aussi une négociation entamée avec le grand-duc de Toscane, relativement à la garnison de Livourne, que ma présence à Bologne terminerait infailliblement.

Mais, le 18 nivose, la division ennemie qui était à Padoue se mit en mouvement; le 19, elle attaqua l'avant-garde du général Augereau qui était à Bevilaqua, en avant de Porto-Legnago; après une escarmouche assez vive, l'adjudant-général Dufour qui commandait cette avant-garde, se retira à San-Zeno, et le lendemain à Porto-Legnago, après avoir eu le temps, par sa résistance, de prévenir toute la ligne de la marche de l'ennemi.

Je fis passer aussitôt sur l'Adige les deux mille hommes que j'avais avec moi à Bologne, et je partis immédiatement après pour Verone.

Le 23, à six heures du matin, les ennemis se présentèrent devant Verone, et attaquèrent l'avant-garde du général Masséna, placée au village de Saint-Michel: ce général sortit de Verone, rangea sa division en bataille, et marcha droit à l'ennemi, qu'il mit en déroute, lui enleva trois pièces de canon, et lui fit six cents prisonniers. Les grenadiers de la soixante-quinzième enlevèrent les pièces à la baïonnette; ils avaient à leur tête le général Brune, qui a eu ses habits percés de sept balles.

Le même jour et à la même heure, l'ennemi attaquait la tête de notre ligne de Montebaldo, défendue par l'infanterie légère du général Joubert: le combat fut vif et opiniâtre, l'ennemi s'était emparé de la première redoute; mais Joubert se précipita à la tête de ses carabiniers, chassa l'ennemi, qu'il mit en déroute complète, et lui fit cent dix prisonniers.

Le 24, l'ennemi jeta brusquement un pont à Anghiari, et y fit passer son avant-garde, à une lieue de Porto-Legnago; en même temps le général Joubert m'instruisit qu'une colonne assez considérable filait par Montagna, et menaçait de tourner son avant-garde à la Corona. Différens indices me firent connaître le véritable projet de l'ennemi, et je ne doutai plus qu'il n'eût envie d'attaquer, avec ses principales forces, ma ligne de Rivoli, et par là arriver à Mantoue: je fis partir dans la nuit la plus grande partie de la division du général Masséna, et je me rendis moi-même à Rivoli, où j'arrivai à deux heures après minuit.

Je fis aussitôt reprendre au général Joubert la position intéressante de San-Marco; je fis garnir le plateau de Rivoli d'artillerie, et je disposai le tout, afin de prendre, à la pointe du jour, une offensive redoutable, et de marcher moi-même à l'ennemi.

À la pointe du jour, notre aile droite et l'aile gauche de l'ennemi se rencontrèrent sur les hauteurs de San-Marco: le combat fut terrible et opiniâtre.

Le général Joubert, à la tête de la trente-troisième, soutenait son infanterie légère que commandait le général Vial.

Cependant, M. Alvinzi, qui avait fait ses dispositions, le 24, pour enfermer toute la division du général Joubert, continuait d'exécuter son même projet; il ne se doutait pas que pendant la nuit j'y étais arrivé avec des renforts assez considérables pour rendre son opération non-seulement impossible, mais encore désastreuse pour lui. Notre gauche fut vivement attaquée; elle plia, et l'ennemi se porta sur le centre.

La quatorzième demi-brigade soutint le choc avec la plus grande bravoure. Le général Berthier, chef de l'état-major, que j'y avais laissé, déploya dans cette occasion la bravoure dont il a fait si souvent preuve dans cette campagne.

Les Autrichiens, encouragés par leur nombre, redoublaient d'efforts pour enlever les canons placés devant cette demi-brigade: un capitaine s'élance au devant de l'ennemi, en criant: quatorzième, laisserez-vous prendre vos pièces? En même temps la trente-unième, que j'avais envoyée pour rallier la gauche, paraît, reprend toutes les positions perdues, et, conduite par son général de division Masséna, rétablit entièrement les affaires.

Cependant, il y avait déjà trois heures que l'on se battait, et l'ennemi ne nous avait pas encore présenté toutes ses forces; une colonne ennemie qui avait longé l'Adige, sous la protection d'un grand nombre de pièces, marche droit au plateau de Rivoli pour l'enlever, et par là menace de tourner la droite et le centre. J'ordonnai au général de cavalerie Leclerc de se porter pour charger l'ennemi, s'il parvenait à s'emparer du plateau de Rivoli, et j'envoyai le chef d'escadron Lasalle, avec cinquante dragons, prendre en flanc l'infanterie ennemie qui attaquait le centre, et la charger vigoureusement. Au même instant, le général Joubert avait fait descendre des hauteurs de San-Marco quelques bataillons qui plongeaient le plateau de Rivoli. L'ennemi, qui avait déjà pénétré sur le plateau, attaqué vivement et de tous côtés, laisse un grand nombre de morts, une partie de son artillerie, et rentre dans la vallée de l'Adige. À peu près au même moment, la colonne ennemie qui était déjà depuis long-temps en marche pour nous tourner et nous couper toute retraite, se rangea en bataille sur des pitons derrière nous. J'avais laissé la soixante-quinzième en réserve, qui non-seulement tint cette colonne en respect, mais encore en attaqua la gauche qui, s'était avancée, et la mit sur-le-champ en déroute. La dix-huitième demi-brigade arriva sur ces entrefaites, dans le temps que le général Rey avait pris position derrière la colonne qui nous tournait; je fis aussitôt canonner l'ennemi avec quelques pièces de 12; j'ordonnai l'attaque, et, en moins d'un quart d'heure, toute cette colonne, composée de plus de quatre mille hommes, fut faite prisonnière.

L'ennemi, partout en déroute, fut partout poursuivi, et pendant toute la nuit on nous amena des prisonniers. Quinze cents hommes qui se sauvaient par Guarda furent arrêtés par cinquante hommes de la dix-huitième, qui, du moment qu'ils les eurent reconnus, marchèrent sur eux avec confiance et leur ordonnèrent de poser les armes.

L'ennemi était encore maître de la Corona, mais ne pouvait plus être dangereux. Il fallait s'empresser de marcher contre la division de M. le général Provera, qui avait passé l'Adige, le 24, à Anghiari; je fis filer le général Victor avec la brave cinquante-septième, et rétrograder le général Masséna, qui, avec une partie de sa division, arriva à Roverbello, le 25.

Je laissai l'ordre, en partant, au général Joubert d'attaquer, à la pointe du jour, l'ennemi s'il était assez téméraire pour rester encore à la Corona.

Le général Murat avait marché toute la nuit avec une demi-brigade d'infanterie légère et devait paraître, dans la matinée, sur les hauteurs de Montebaldo, qui dominent la Corona: effectivement, après une résistance assez vive, l'ennemi fut mis en déroute, et ce qui était échappé à la journée de la veille fut fait prisonnier: la cavalerie ne put se sauver qu'en traversant l'Adige à la nage et il s'en noya beaucoup.

Nous avons fait, dans les deux journées de Rivoli, treize mille prisonniers, et pris neuf pièces de canon: les généraux Sandos et Meyer ont été blessés en combattant vaillamment à la tête des troupes.

Combat de Saint-George.

M. le général Provera, à la tête de six mille hommes, arriva le 26, à midi, au faubourg de Saint-George; il l'attaqua pendant toute la journée, mais inutilement: le général de brigade Miollis défendait ce faubourg; le chef de bataillon du génie Samson, l'avait fait retrancher avec soin; le général Miollis, aussi actif qu'intrépide, loin d'être intimidé des menaces de l'ennemi, lui répondit avec du canon, et gagna ainsi la nuit du 26 au 27, pendant laquelle j'ordonnai au général Serrurier d'occuper la Favorite avec la cinquante-septième et la dix-huitième demi-brigade de ligne et toutes les forces disponibles que l'on put tirer des divisions du blocus; mais, avant de vous rendre compte de la bataille de la Favorite, qui a eu lieu le 27, je dois vous parler des deux combats d'Anghiari.

Premier combat d'Anghiari.

La division du général Provera, forte de dix mille hommes, avait forcé le passage d'Anghiari; le général de division Guieux avait aussitôt réuni toutes les forces qu'il avait trouvées, et avait marché à l'ennemi: n'ayant que quinze cents hommes, il ne put parvenir à faire repasser la rivière à l'ennemi; mais il l'arrêta une partie de la journée et lui fit trois cents prisonniers.

Deuxième combat d'Anghiari.

Le général Provera ne perdit pas un instant et fila sur-le-champ sur Castellara. Le général Augereau tomba sur l'arrière-garde de sa division, et après un combat assez vif, enleva toute l'arrière-garde de l'ennemi, lui prit seize pièces de canon, et lui fit deux mille prisonniers. L'adjudant-général Duphot s'y est particulièrement distingué par son courage. Les neuvième et dix-huitième régimens de dragons et le vingt-cinquième régiment de chasseurs s'y sont parfaitement conduits. Le commandant des hulans se présente devant un escadron du neuvième régiment de dragons, et, par une de ces fanfaronnades communes aux Autrichiens: Rendez-vous! crie-t-il au régiment. Le citoyen Duvivier fait arrêter son escadron: Si tu es brave, viens me prendre, crie-t-il au commandant ennemi. Les deux corps s'arrêtent, et les deux chefs donnèrent un exemple de ces combats que nous décrit avec tant d'agrément Le Tasse. Le commandant des hulans fut blessé de deux coups de sabre: ces troupes alors se chargèrent, et les hulans furent faits prisonniers.

Le général Provera fila toute la nuit, arriva, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, à Saint-George, et l'attaqua le 26; n'ayant pas pu y entrer, il projeta de forcer la Favorite, de percer les lignes du blocus, et, secondé par une sortie que devait faire Wurmser, de se jeter dans Mantoue.

Bataille de la Favorite.

Le 27, à une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent la Favorite, dans le temps que Wurmser fit une sortie, et attaqua les lignes du blocus par Saint-Antoine; le général Victor, à la tête de la cinquante-septième demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu'il en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de prisonniers de guerre. Serrurier fit avancer alors le général Victor avec la cinquante-septième demi-brigade, afin d'acculer Provera au faubourg de Saint-George, et par là le tenir bloqué. Effectivement la confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis; cavalerie, infanterie, artillerie, tout était pêle-mêle; la terrible cinquante-septième demi-brigade n'était arrêtée par rien; d'un côté elle prenait trois pièces de canon, d'un autre elle mettait à pied le régiment des hussards de Herdendy. Dans ce moment le respectable général Provera demanda à capituler; il compta sur notre générosité, et ne se trompa pas. Nous lui accordâmes le capitulation dont je vous enverrai les articles: six mille prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires de Vienne, vingt pièces de canon, furent le fruit de cette journée mémorable.

L'armée de la république a donc, en quatre jours, gagné deux batailles rangées et six combats, fait près de vingt-cinq mille prisonniers, parmi lesquels un lieutenant-général et deux généraux, douze à quinze colonels, etc.; pris vingt drapeaux, soixante pièces de canon, et tué ou blessé au moins six mille hommes.

Je vous demande le grade de général de division pour le général Victor, celui de général de brigade pour l'adjudant-général Vaux; toutes les demi-brigades se sont couvertes de gloire, et spécialement les trente-deuxième, cinquante-septième et dix-huitième de ligne, que commandait le général Masséna, et qui, en trois jours, ont battu l'ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbello. Les légions romaines faisaient, dit-on, vingt-quatre milles par jour; nos brigades en font trente, et se battent dans l'intervalle.

Les citoyens Desaix, chef de la quatrième demi-brigade d'infanterie légère; Marquis, chef de la dix-neuvième; Fournesy, chef de la dix-septième, ont été blessés. Les généraux de brigade Vial, Brune, Bon, et l'adjudant-général Argod se sont particulièrement distingués.

Les traits particuliers de bravoure sont trop nombreux pour être tous cités ici.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous envoie onze drapeaux pris sur l'ennemi aux batailles de Rivoli et de la Favorite. Le citoyen Bessières, commandant des guides, qui les porte, est un officier distingué par sa valeur et sa bravoure, et par l'honneur qu'il a de commander une compagnie de braves gens qui ont toujours vu fuir la cavalerie ennemie devant eux, et qui, par leur intrépidité, nous ont rendu, dans la campagne, des services très-essentiels.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 1er pluviose an 5 (20 janvier 1797)

Au directoire exécutif.

Je vous ferai passer, citoyens directeurs, des lettres interceptées, qui sont extrêmement intéressantes, en ce que vous y verrez l'opiniâtre mauvaise foi de la cour de Rome, et le refus que paraît faire le cabinet de Vienne d'accepter l'alliance de Rome; ce qui ne peut provenir que du désir qu'il peut avoir de ne pas mettre d'entraves à la paix générale.

J'ai fait imprimer ces lettres dans les gazettes de Bologne et de Milan, afin de convaincre toute l'Italie de l'imbécile radotage de ces vieux cardinaux.

Je fais demain passer le Pô, près de Ferrare, à cinq mille hommes, qui marcheront droit sur Rome.

On entend beaucoup de bruit dans Mantoue, ce qui fait penser que les assiégés, conformément aux instructions de l'empereur, brisent les affûts et les trains d'artillerie: cela n'est qu'une conjecture; mais ce qui n'en est pas une, c'est qu'ils sont depuis long-temps à la demi-ration de pain, à la viande de cheval, sans vin ni eau-de-vie.

Nous sommes aujourd'hui en mouvement pour occuper Vicence et Padoue, où nous aurons de meilleurs cantonnemens. Si les renforts que vous m'annoncez de l'armée du Rhin arrivent, nous ne tarderons pas à avoir ici de grands événemens; mais j'ai vu un état que l'on m'a envoyé, où l'on calcule les demi-brigades à deux mille quatre cents hommes. Je tiens pour impossible que les demi-brigades, après une campagne comme l'a faite l'armée du Rhin, puissent être de ce nombre. Je crois que c'est beaucoup que de les évaluer à deux mille; il y en aura encore tant qui s'échapperont en route!

Le neuvième régiment de dragons n'a ici qu'un escadron, ainsi que le cinquième de cavalerie et le dix-huitième de dragons; je vous prie de vouloir bien ordonner que ces régimens soient en entier réunis à l'armée d'Italie, sans quoi vous perdrez de très-bons corps; ce sera d'ailleurs un bon renfort de cavalerie que vous nous donnerez; spécifiez dans votre ordre que les hommes qui composent ces régimens doivent rejoindre leurs corps à Milan, soit à pied, soit à cheval. Le dépôt du premier régiment de cavalerie est à Lille, je vous prie d'ordonner qu'il se mette en marche pour se rendre à Milan.

Nous avons besoin ici d'un renfort de cavalerie, le quinzième régiment de chasseurs ne suffit pas. On dit qu'aux autres armées l'on ne se sert pas de la grosse cavalerie, moi je l'estime et m'en sers beaucoup; je désirerais que vous pussiez m'en envoyer un millier d'hommes, ce qui, joint à un autre régiment de dragons, ferait à peu près deux à trois mille hommes de cavalerie de renfort, qui nous suffiraient.

Nous n'avons que deux bataillons de pionniers réduits à rien, je vous prie de nous en envoyer deux autres.

Je vous prie surtout d'ordonner que tous les régimens de cavalerie que l'on m'enverra aient leurs armes, sabres et mousquetons, et les dragons leurs fusils.

Il nous faudrait encore trois ou quatre compagnies d'artillerie légère, et cinq à six cents hommes d'artillerie à pied, et quelques bons officiers de cette arme; car, excepté les citoyens Chasseloup et Samson, les autres ne sont pas en état de tracer une flèche, et ne font que des bêtises. Tous ceux que vous annoncez ne viennent pas: il ne manque cependant pas d'officiers de génie et d'artillerie; mais ce sont des officiers de paix et de bureau, qui ne voient jamais le feu, de sorte qu'excepté les deux que je vous ai nommés, le reste est sans expérience: aussi se plaint-on généralement dans l'armée des ouvrages que fait le génie.

Le commissaire ordonnateur Denniée a peu de santé; Villemansy ne vient pas, ni Naudin, ni Eyssautier: tous ces messieurs font ce qui leur convient; cependant, il est de plus en plus urgent que la partie administrative soit organisée.

Je vous enverrai la liste des officiers-généraux qui, par leur peu de talens, sont incapables de commander, et que je vous prie de retirer de l'armée.

Si vous m'envoyez des généraux, ou des adjudans-généraux, je vous prie de ne pas m'envoyer de ceux qui ont servi dans la Vendée, parce qu'ils n'entendent rien à la guerre. Si Chasset n'était plus utile à Paris, ainsi que les adjudans-généraux Sherlock, Doulcet et Beauvais, je vous prie de me les envoyer. Je désirerais aussi avoir l'adjudant-général Espagne et Camin: je crois que ce dernier n'est plus employé; mais c'est un officier de la plus grande distinction.

Quant à des généraux de division, à moins que ce ne soient des officiers distingués, je vous prie de ne m'en pas envoyer; car notre manière de faire la guerre ici est si différente des autres, que je ne peux pas confier une division sans avoir éprouvé, par deux ou trois affaires, le général qui doit la commander.

Je vous prie d'envoyer ici l'adjudant-général Saint-Martin, le chef de brigade d'artillerie Gueriau, actuellement directeur du parc de l'armée des Alpes, le chef de bataillon d'artillerie Allix, le chef de bataillon du génie Laroche. Il est très-essentiel pour l'armée et pour la république de m'envoyer ici des jeunes gens qui apprennent à faire la guerre de mouvement et de manoeuvres; c'est celle qui nous a fait obtenir de grands succès dans cette armée.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 3 pluviose an 5 (22 janvier 1797).

Au citoyen Cacault.

Vous aurez la complaisance, citoyen ministre, de partir de Rome six heures après la réception de cette lettre, et vous viendrez à Bologne. On vous a abreuvé d'humiliations à Rome, et on a mis tout en usage pour vous en faire sortir; aujourd'hui, résistez à toutes les instances, partez.

Je serai charmé de vous voir et de vous assurer des sentimens d'estime et de considération avec lesquels je suis.

BONAPARTE.



Lettre au cardinal Mathei incluse dans la précédente.

Les étrangers qui influencent la cour de Rome ont voulu et veulent encore perdre ce beau pays; les paroles de paix que je vous avais chargé de porter au Saint-Père, ont été étouffées par ces hommes pour qui la gloire de Rome n'est rien, mais qui sont entièrement vendus aux cours qui les emploient; nous touchons au dénouement de cette ridicule comédie. Vous êtes témoin du prix que j'attachais à la paix, et du désir que j'avais de vous épargner les horreurs de la guerre. Les lettres que je vous fais passer, et dont j'ai les originaux entre les mains, vous convaincront de la perfidie, de l'aveuglement et de l'étourderie de ceux qui dirigent actuellement la cour de Rome. Quelque chose qui puisse arriver, je vous prie, monsieur le cardinal, d'assurer Sa Sainteté qu'elle peut rester à Rome sans aucune espèce d'inquiétude. Premier ministre de la religion, il trouvera, à ce titre, protection pour lui et pour l'église. Assurez également tous les habitans de Rome qu'ils trouveront dans l'armée française des amis qui ne se féliciteront de la victoire, qu'autant qu'elle pourra améliorer le sort du peuple, et affranchir l'Italie de la domination des étrangers; mon soin particulier sera de ne point souffrir qu'on apporte aucun changement à la religion de nos pères.

Je vous prie, monsieur le cardinal, d'être assuré que, dans mon particulier, je me ferai un devoir de vous donner, dans toutes les circonstances, la marque de l'estime et de l'attachement avec lesquels je suis.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 9 pluviose an 5 (28 janvier 1797).

Au directoire exécutif.

La division du général Augereau s'est rendue à Padoue, de là elle a passé la Brenta, et s'est rendue à Citadella, où elle a rencontré l'ennemi, qui a fui à son approche.

Le général Masséna s'est rendu a Vicence, de là à Bassano, et a poursuivi l'ennemi qui s'est retiré au-delà de la Piave et dans les gorges de la Brenta: il a envoyé le brave général Mesnard à sa poursuite, celui-ci l'a atteint à Carpenedolo, et lui a fait huit cents prisonniers après un combat assez vif. Les grenadiers de la vingt-cinquième demi-brigade ont passé le pont de la Brenta à la baïonnette, et ont fait une boucherie horrible de ce qui s'est opposé à leur passage.

La division du général Joubert est en marche pour suivre l'ennemi dans les gorges du Tyrol, que la mauvaise saison rend difficiles; il a rencontré hier à Avio l'arrière-garde de l'ennemi, et lui a fait trois cents prisonniers après un léger combat.

La division Rey a accompagné les prisonniers. Rien de nouveau au blocus de Mantoue.

J'ai écrit au citoyen Cacault de sortir de Rome trois heures après la réception du courrier que je lui ai expédié à cet effet.

Le temps est horrible, il pleut à seaux depuis quarante-huit heures.

Je donne ordre au citoyen Leroux de prendre les fonctions d'ordonnateur en chef; j'engage le citoyen Denniée à rester à l'armée comme ordonnateur de division, nous n'en avons pas trop. Le commissaire Naudin est arrivé.

Si le citoyen Villemansy doit venir en Italie, qu'il se dépêche, parce qu'une fois la campagne commencée, il ne pourra plus reprendre le fil de nos opérations.

Il n'est encore arrivé aucune des troupes des dix mille hommes de l'Océan, que les dix-huit cents hommes de la soixante-quatrième demi-brigade.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Verone, le 9 pluviose an 5 (28 janvier 1797).

Au citoyen Carnot, membre du directoire exécutif.

J'ai reçu votre lettre, mon cher directeur, sur le champ de bataille de Rivoli. J'ai vu dans le temps avec pitié tout ce que l'on débite sur mon compte. L'on me fait parler chacun suivant sa passion. Je crois que vous me connaissez trop pour imaginer que je puisse être influencé par qui que ce soit. J'ai toujours eu à me louer des marques d'amitié que vous m'avez données à moi et aux miens, et je vous en conserverai toujours une vraie reconnaissance; il est des hommes pour qui la haine est un besoin, et qui, ne pouvant pas bouleverser la république, s'en consolent en semant la dissension et la discorde partout où ils peuvent arriver. Quant à moi, quelque chose qu'ils disent, ils ne m'atteignent plus: l'estime d'un petit nombre de personnes comme vous, celle de mes camarades et du soldat, quelquefois aussi l'opinion de la postérité, et par-dessus tout le sentiment de ma conscience et la prospérité de ma patrie, m'intéressent uniquement.

Deux divisions de l'armée sont aujourd'hui à Bassano; l'ennemi, à ce qu'on m'assure, évacue Trente; Mantoue est toujours strictement bloqué. Le baron de Saint-Vincent est parti le 4 de Trente pour Vienne. Le 15, nous bombardons Mantoue. Colli, celui qui commandait l'armée autrichienne en Piémont, est débarqué à Ancône avec quelques officiers et sous-officiers autrichiens; il a déjà passé en revue l'armée papale. Quand vous aurez reçu cette lettre, une de nos divisions aura déjà attaqué cette armée. J'ai écrit au citoyen Cacault pour qu'il eût sur-le-champ à évacuer Rome: on n'a pas d'idée des mauvais traitemens que cette prêtraille lui a fait essuyer.

J'attends toujours avec impatience Villemansi; Denniée ne va plus, Leroux va exercer ses fonctions en attendant.

Tous les officiers autrichiens, généraux et autres, auxquels j'ai fait part de la bêtise de la cour de Vienne, qui, dans les entrevues avec le général Clarke, a paru ne pas reconnaître la république, ont beaucoup crié. L'opinion publique, à Vienne, est très-contraire à Thugut. J'ai dit à Manfredini, la dernière fois que je l'ai vu, que si l'empereur voulait avoir la preuve que Thugut s'était vendu à la France dans le temps de son ambassade à Constantinople, il serait facile de la lui procurer. Je vous prie de presser Truguet pour l'envoi de quelques frégates dans l'Adriatique.

La tête des troupes que vous annoncez venant du Rhin, n'est pas encore arrivée à Lyon; de Lyon à Verone il y a vingt-huit jours de marche; nous sommes aujourd'hui au 9 pluviose: ainsi il n'y a pas d'espoir qu'avant le 9 ventose nous puissions avoir ici un seul bataillon des colonnes venant du Rhin. Des dix mille hommes de l'Océan annoncés depuis tant de temps, il n'y a encore que dix-huit cents hommes, formant la soixante-quatrième demi-brigade, qui soient arrivés. De Vienne à Trente, il n'y a que trente jours de marche; de Vienne à la Piave, c'est-à-dire, près de Bassano, il y a encore moins. J'ai écrit à la trésorerie relativement à son indécente conduite avec la compagnie Flachat. Ces gens-là nous ont infiniment nui en emportant cinq millions, et par là nous ont mis dans la situation la plus critique. Quant à moi, s'ils viennent dans l'arrondissement de l'armée, je les ferai mettre en prison, jusqu'à ce qu'ils aient rendu à l'armée les cinq millions qu'ils lui ont enlevés. Non-seulement la trésorerie ne pense pas à faire payer le prêt à l'armée et à lui fournir ce dont elle a besoin, mais encore elle protège les fripons qui viennent à l'armée pour s'engraisser. Je crains bien que ces gens-là ne soient plus ennemis de la république que les cours de Vienne et de Londres.

Vous verrez, par la lettre que j'ai écrite au directoire, que nous venons encore de faire onze cents prisonniers aux deux combats de Carpenedolo et d'Avio. Nous serons sous peu à Trente. Je compte garder cette partie du Tyrol et la Piave jusqu'à l'arrivée des forces que vous m'annoncez. Dès l'instant qu'elles seront arrivées, je serai bientôt à Trieste, à Clagenfurth et à Brixen; mais il faut pour ces opérations que les trente mille hommes que vous m'annoncez arrivent.

Je vous serai obligé, par le premier courrier, de me donner des nouvelles de l'expédition d'Irlande, surtout s'il y en a de mauvaises: car, pour peu que nous ayons quelque désavantage, on ne manquera pas d'exagérer au centuple.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 13 pluviose an 5 (1er février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, la lettre que m'a écrite M. le maréchal Wurmser: je lui ai répondu que je ne pouvais accorder la capitulation qu'il me demandait, et que par égard pour lui, je lui permettrais de sortir avec cinq cents hommes à son choix, à condition qu'ils ne serviraient pas pendant trois mois contre la république, mais que tout le reste devait être prisonnier. J'ai laissé mes instructions au général Serrurier, et je suis parti pour Bologne.

Le général Serrurier vient de m'instruire qu'il vient de recevoir un nouveau parlementaire, par lequel il lui offre sa place, à condition qu'il sortira avec sa garnison, et qu'il s'engagera à ne pas servir pendant un an contre la république française. Je vais répondre au général Serrurier que je m'en tiens à ma première proposition, et que si le général Wurmser n'y a pas accédé avant le 15, je me rétracte, et ne lui accorde pas d'autre capitulation que d'être prisonnier de guerre avec sa garnison.

J'ai fait partir ce matin la division du général Victor, qui s'est portée à Imola, première ville des États du pape. Je vous enverrai ma proclamation et d'autres pièces imprimées à cette occasion.

Ne pourrait-on pas, si nous allions jusqu'à Rome, réunir le Modénois, le Ferrarois et la Romagne, et en faire une république, qui serait assez puissante? Ne pourrait-on pas donner Rome à l'Espagne, à condition qu'elle garantirait l'indépendance de la nouvelle république? Alors nous pourrions restituer à l'empereur le Milanez, le Mantouan, et lui donner le duché de Parme, en cas que nous fussions obligés de passer par là, afin d'accélérer la paix, dont nous avons besoin. L'empereur n'y perdrait rien, l'Espagne y gagnerait beaucoup, et nous y gagnerions plus encore; nous aurions un allié naturel en Italie, qui deviendrait puissant, et avec lequel nous correspondrions par Massa-Carrara et l'Adriatique.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 13 pluviose an 5 (1er février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte, par mon dernier courrier, des combats d'Avio et de Carpenedolo. Les ennemis se retirent sur Morri et Torbole, appuyant leur droite au lac, et la gauche à l'Adige; le général Murat s'embarqua avec deux cents hommes, et vint débarquer à Torbole.

Le général de brigade Vial, à la tête de l'infanterie légère, après avoir fait une marche très-longue dans les neiges et dans les montagnes les plus escarpées, tourna la position des ennemis, et obligea un corps de quatre cent cinquante hommes et douze officiers à se rendre prisonniers. On ne saurait donner trop d'éloges aux quatrième et dix-septième demi-brigades d'infanterie légère que conduisait ce brave général: rien ne les arrêtait; la nature semblait être d'accord avec nos ennemis; le temps était horrible, mais l'infanterie légère de l'armée d'Italie n'a pas encore rencontré d'obstacle qu'elle n'ait vaincu.

Le général Joubert entra à Roveredo; l'ennemi, qui avait retranché avec le plus grand soin la gorge de Calliane, célèbre par la victoire que nous y avons remportée lors de notre première entrée dans le Tyrol, parut vouloir lui disputer l'entrée de Trente.

Le général Belliard chercha à tourner l'ennemi par la droite, dans le temps que le général de brigade Vial, continuant à marcher sur la rive droite de l'Adige, le culbuta, lui fit trois cents prisonniers, et arriva à Trente, où il trouva dans les hôpitaux de l'ennemi deux mille malades ou blessés, qu'il a recommandés à notre humanité en fuyant: nous y avons pris quelques magasins.

Dans le même temps, le général Masséna avait fait marcher deux demi-brigades pour attaquer l'ennemi qui occupait le château de Scala, entre Feltro et Primolazo. L'ennemi a fui à son approche, et s'est retiré au-delà de la Prado, en laissant une partie de ses bagages.

Le général Augereau s'est approché de Treviso; le chef d'escadron Duvivier a culbuté la cavalerie ennemie, après lui avoir enlevé plusieurs postes.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Mantoue, le 14 pluviose an 5 (2 février 1797).

Au ministre de la guerre.

Je réponds, citoyen ministre, à votre lettre relative à la demande que vous me faites sur la situation militaire actuelle de l'île de Corse.

Le général de brigade Casalta, que j'envoyai en Corse, débarqua à la tête de la gendarmerie de ce département et de plusieurs autres réfugiés, et acheva de chasser les Anglais de cette île.

Le général Gentili ne tarda pas à y passer avec tous les réfugiés corses qui se trouvaient à l'armée d'Italie, et qui, par leurs liaisons dans le pays, achèveront de consolider notre établissement. Je fis passer également cent canonniers avec plusieurs officiers d'artillerie et du génie, pour armer les différens forts. Le général Gentili a, par mon ordre, créé, dans les départemens du Golo et du Liamone, un bon corps de gendarmerie, et cinq colonnes mobiles composées de trois cents hommes, tant pour veiller à la défense de la côte, que pour comprimer nos ennemis intérieurs.

La garde des forts d'Ajaccio, Bonifaccio et Bastia est confiée à des corps de gardes nationales d'une fidélité et d'un patriotisme reconnus.

Le commissaire ordonnateur de l'armée a passé des marchés et fait approvisionner les différentes places de l'île de tout ce qui leur était nécessaire, en même temps qu'il a pourvu à la solde de tous ces différens corps.

Depuis que les deux départemens qui composent l'île de Corse sont rentrés sous la domination de la république, il n'y a eu aucun assassinat ni attentat aux propriétés; jamais pays n'a été plus tranquille, et jamais révolution ne s'est faite avec aussi peu de commotion.

Je n'ai pas fait passer de troupes en Corse: nous avons l'habitude d'y tenir cinq mille hommes de garnison, et mes troupes m'étaient trop nécessaires en Italie pour pouvoir en distraire la moindre partie pour la Corse, dont la tranquillité d'ailleurs a été mieux assurée par les mesures de police intérieure que j'ai prises, et par l'argent que j'ai fait passer, que par un corps de quatre mille hommes. Cependant, lorsque les affaires de Rome seront terminées, et que les Anglais auront évacué Porto-Ferrajo, je ferai passer six cents hommes dans le fort de Bastia, et quatre cents dans celui d'Ajaccio.

Vous pouvez être, citoyen ministre, sans aucune inquiétude sur la tranquillité intérieure et extérieure de l'île de Corse. Il n'y a, je crois, qu'un ennemi de la patrie qui puisse exiger que l'on ait affaibli les corps de l'armée d'Italie pour envoyer en Corse des troupes à peu près inutiles. Si le directoire continue à me laisser le maître de faire ce qu'il conviendra, j'enverrai des troupes en Corse dès que la situation de l'armée me le permettra, ou que les circonstances l'exigeront.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Faenza, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ai rendu compte hier de l'arrivée de nos troupes à Trente: le général Joubert, arrivé dans cette ville, envoya aussitôt à la poursuite de l'ennemi.

Le général Vial, à la tête de l'infanterie légère, occupa la ligne du Lawis; les débris de l'armée autrichienne étaient de l'autre côté. Le général Vial passa le Lawis à pied, à la tête de la vingt-neuvième demi-brigade, poussa l'ennemi jusqu'à Saint-Michel, lui fit huit cents prisonniers, et joncha la terre de morts. La jonction des généraux Masséna et Joubert est faite, et ce dernier général occupe la ligne du Lawis qui couvre Trente.

L'aide-de-camp Lambert, l'adjudant Cansillon se sont particulièrement distingués.

Je me suis attaché à montrer la générosité française vis-à-vis de Wurmser, général âgé de soixante-dix ans, envers qui la fortune a été, cette campagne-ci, très-cruelle, mais qui n'a pas cessé de montrer une connaissance et un courage que l'histoire remarquera. Enveloppé de tous côtés après la bataille de Bassano, perdant d'un seul coup une partie du Tyrol et son armée, il ose espérer de pouvoir se réfugier dans Mantoue, dont il est éloigné de quatre à cinq journées, passe l'Adige, culbute une de nos avant-gardes à Cerca, traverse la Molinella et arrive dans Mantoue. Enfermé dans cette ville, il a fait deux ou trois sorties, toutes lui ont été malheureuses, et à toutes il était à la tête. Mais, outre les obstacles très-considérables que lui présentaient nos lignes de circonvallation, hérissées de pièces de campagne, qu'il était obligé de surmonter, il ne pouvait agir qu'avec des soldats découragés par tant de défaites, et affaiblis par les maladies pestilentielles de Mantoue. Ce grand nombre d'hommes qui s'attachent toujours à calomnier le malheur, ne manqueront pas de chercher à persécuter Wurmser.

Le général Serrurier et le général Wurmser ont dû avoir hier une conférence pour fixer le jour de l'exécution de la capitulation, et s'accorder sur les différens qu'il y a entre l'accordé et le proposé.

La division du général Victor a couché le 13 à Imola, première ville de l'état papal. L'armée de Sa Sainteté avait coupé les ponts, et s'était retranchée avec le plus grand soin sur la rivière de Senio, qu'elle avait bordée de canons. Le général Lannes, commandant l'avant-garde, aperçut les ennemis qui commençaient à le canonner: il ordonna aussitôt aux éclaireurs de la légion lombarde d'attaquer les tirailleurs papistes; le chef de brigade Lahoz, commandant cette légion, réunit ses grenadiers, qu'il fit former en colonne serrée, pour enlever, la baïonnette au bout du fusil, les batteries ennemies. Cette légion, qui voit le feu pour la première fois, s'est couverte de gloire; elle a enlevé quatorze pièces de canon sous le feu de trois à quatre mille hommes retranchés. Pendant que le feu durait, plusieurs prêtres, un crucifix à la main, prêchaient ces malheureuses troupes. Nous avons pris à l'ennemi quatorze pièces de canon, huit drapeaux, quatre mille prisonniers, et tué quatre ou cinq cents hommes. Le chef de brigade Lahoz a été légèrement blessé. Nous avons eu quarante hommes tués ou blessés.

Nos troupes se portèrent aussitôt sur Faenza, elles en trouvèrent les portes fermées; toutes les cloches sonnaient le tocsin, et une populace égarée prétendait en défendre l'issue. Tous les chefs, notamment l'évêque, s'étaient sauvés: deux ou trois coups de canon enfoncèrent les portes, et nos gens entrèrent au pas de charge. Les lois de la guerre m'autorisaient à mettre cette ville infortunée au pillage; mais comment se résoudre à punir aussi sévèrement toute une ville pour le crime de quelques prêtres? J'ai envoyé chez eux cinquante officiers que j'avais faits prisonniers, pour qu'ils allassent éclairer leurs compatriotes, et leur faire sentir les dangers qu'une extravagance pareille à celle-ci leur ferait courir. J'ai fait, ce matin, venir tous les moines, tous les prêtres; je les ai rappelés aux principes de l'Évangile, et j'ai employé toute l'influence que peuvent avoir la raison et la nécessité, pour les engager à se bien conduire: ils m'ont paru animés de bons principes; j'ai envoyé à Ravennes le général des camaldules, pour éclairer cette ville, et éviter les malheurs qu'un plus long aveuglement pourrait produire; j'ai envoyé à Cézène, patrie du pape actuel, le P. don Ignacio, prieur des bénédictins.

Le général Victor continua hier sa route, et se rendit maître de Forti; je lui ai donné l'ordre de se porter aujourd'hui à Cézène. Je vous ai envoyé différentes pièces qui convaincront l'Europe entière de la folie de ceux qui conduisent la cour de Rome. Je vous enverrai aussi deux autres affiches, qui vous convaincront de la démence de ces gens-ci; il est déplorable de penser que cet aveuglement coûte le sang des pauvres peuples, innocens instrumens et de tout temps victimes des théologiens. Plusieurs prêtres, et entre autres un capucin, qui prêchaient l'armée des catholiques, ont été tués sur le champ de bataille.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Forti, le 15 pluviose an 5 (3 février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, le mémoire que m'envoie le citoyen Faypoult; vous frémirez d'indignation, lorsque vous y verrez avec quelle impudence on vole la république. Je donne les ordres pour que l'on arrête le citoyen Legros, contrôleur de la trésorerie, et le commissaire des guerres Lequeue; j'engage le citoyen Faypoult à faire arrêter à Gênes les citoyens Paillaud et Peregaldo. Vous ne souffrirez pas, sans doute, que les voleurs de l'armée d'Italie trouvent leur refuge à Paris. Pendant que je me battais et que j'étais éloigné de Milan, le citoyen Flachat s'en est allé, emportant cinq à six millions à l'armée, et nous a laissés dans le plus grand embarras. Si l'on ne trouve pas de moyens d'atteindre la friponnerie manifestement reconnue de ces gens-là, il faut renoncer au règne de l'ordre, à l'amélioration de nos finances et à maintenir une armée aussi considérable en Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Bologne, le 18 pluviose an 5 (6 février 1797).

Proclamation.

L'armée française va entrer sur le territoire du pape; elle protégera la religion et le peuple.

Le soldat français porte d'une main la baïonnette, sûr garant de la victoire, et offre, de l'autre, aux différentes villes et villages paix, protection et sûreté... Malheur à ceux qui la dédaigneraient, et qui, de gaîté de coeur, séduits par des hommes profondément hypocrites et scélérats, attireraient dans leurs maisons la guerre et ses horreurs, et la vengeance d'une armée qui a, dans six mois, fait cent mille prisonniers des meilleures troupes de l'empereur, pris quatre cents pièces de canon, cent dix drapeaux, et détruit cinq armées.

ART. 1er. Tout village ou ville, où, à l'approche de l'armée française, on sonnera le tocsin, sera sur-le-champ brûlé, et les municipaux seront fusillés.

II. La commune sur le territoire de laquelle sera assassiné un Français sera sur-le-champ déclarée en état de guerre; une colonne mobile y sera envoyée; il y sera pris des otages, et il y sera levé une contribution extraordinaire.

III. Tous les prêtres, religieux et ministres de la religion, sous quelques noms que ce soit, seront protégés et maintenus dans leur état actuel, s'ils se conduisent selon les principes de l'Évangile, et, s'ils sont les premiers à le transgresser, ils seront traités militairement, et plus sévèrement que les autres citoyens.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Pezaro, le 19 pluviose an 5 (7 février 1797).

Au directoire exécutif.

Le général Bernadotte m'écrit de Metz pour m'annoncer que les six demi-brigades venant de l'armée de Sambre-et-Meuse, qui, au compte du général Moreau, devaient être de deux mille quatre cents hommes chacune, ce qui devrait faire quatorze mille quatre cents hommes, n'en font que douze mille huit cents. En supposant que les six demi-brigades envoyées par le général Moreau soient d'égale force, cela ferait vingt-cinq mille hommes: pour avoir trente mille hommes, il faudrait donc encore ordonner le départ de deux demi-brigades; vous pourriez nous en envoyer deux de l'armée de l'Océan.

Ces corps perdront nécessairement en route du monde; le moins qu'ils puissent perdre, c'est cinq cents hommes chacun, ce qui réduirait le secours de trente mille hommes annoncés pour l'armée à dix-neuf mille hommes; je crois donc qu'il serait nécessaire que vous nous envoyassiez encore trois demi-brigades, en les tirant, soit de l'armée des départemens de l'intérieur, soit des deux armées du Rhin. Avec ces cinq demi-brigades de renfort, le secours extraordinaire envoyé serait de dix-sept demi-brigades: c'est beaucoup les calculer, si on les porte, arrivées à Milan, à quinze cents hommes, surtout les demi-brigades d'infanterie légère, qui ne sont guère, dans toutes les armées, que la moitié des autres; ces demi-brigades feraient donc vingt-cinq mille cinq cents hommes. Le secours serait donc encore inférieur de cinq mille hommes aux trente mille que votre intention est d'envoyer à l'armée d'Italie.

Le général Kellermann vous fait un double emploi quand il compte la quarantième, qui nous a été envoyée il y a deux mois, et qui a été portée sur un autre envoi. Nous n'avons donc véritablement reçu, des dix mille hommes annoncés, que la soixante-quatrième et la treizième, formant en tout moins de quatre mille hommes.

Il m'est annoncé quatre régimens de troupes à cheval des deux armées, et le quinzième de chasseurs venant de Bourges. Je vous ai demandé deux escadrons, restés à Bordeaux et à Marseille, du dix-huitième de dragons; deux escadrons du cinquième de cavalerie et du neuvième de dragons restés à Lyon, et les différens petits détachemens de la cavalerie de l'armée qui sont restés dans la huitième division, et qu'il est instant de rallier à leurs corps. Si vous pouvez m'envoyer six cents hommes de grosse cavalerie, six cents dragons et sept à huit cents hommes des différentes armes de la cavalerie, à pied et armés, et que nous chercherons à monter avec les chevaux que nous pourrons trouver, je me trouverai suffisamment fort en cavalerie.

De l'annonce faite, au commencement de la campagne, par le ministre, de l'artillerie légère, il nous manque quatre compagnies, qui ne sont jamais venues; nous en avons le plus grand besoin.

Je compte mettre en ligne contre les Allemands la légion lombarde, qui se bat assez bien; mais elle n'est pas à quinze cents hommes. La légion polonaise qu'on lève fournira à peu près quinze cents hommes, qui, avec la légion cispadane, serviront à garder l'Italie inférieure.

Je vous prie d'envoyer à l'armée le citoyen Champeaux, ci-devant chef de brigade du dixième de chasseurs, et que j'ai nommé chef de brigade du septième de hussards, qui est très-pillard, mais que Champeaux remettra à l'ordre.

Je vous recommande de nous envoyer deux mille charretiers pour l'artillerie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

Au directoire exécutif.

Nous avons beaucoup à nous plaindre, citoyens directeurs, de la conduite des baillis suisses. Je n'ai fait mettre les barques canonnières sur le lac de Lugano que pour empêcher la contrebande qui se faisait, et arrêter la désertion des prisonniers autrichiens, protégés par les Suisses. Nous avions droit de mettre ces barques sur le lac, puisqu'une bonne partie du rivage nous appartient; d'ailleurs, si les baillis suisses continuent à se mal conduire, je ne leur accorderai plus de blé, et s'ils se permettent des voies de fait, je ferai brûler les villages qui se seront mal comportés. Les Suisses d'aujourd'hui ne sont plus les hommes du quatorzième siècle: ils ne sont fiers que lorsqu'on les cajole trop; ils sont humbles et bas lorsqu'on leur fait sentir qu'on n'a pas besoin d'eux: si nous ne les secourions pas du côté du Milanez, ils mourraient de faim; nous avons donc le droit d'exiger qu'ils se conduisent avec égard.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 22 pluviose an 5 (10 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Nous avons conquis en peu de jours la Romagne, le duché d'Urbin et la marche d'Ancône. Nous avons fait à Ancône douze cents prisonniers de l'armée du pape; ils s'étaient postés habilement sur des hauteurs en avant d'Ancône. Le général Victor les a enveloppés, et les a tous pris sans tirer un coup de fusil. L'empereur venait d'envoyer au pape trois mille beaux fusils, que nous avons trouvés dans la forteresse d'Ancône avec près de cent vingt pièces de canon de gros calibre; une cinquantaine d'officiers que nous avons faits prisonniers ont été renvoyés, avec le serment de ne plus servir le pape. La ville d'Ancône est le seul port qui existe, depuis Venise, sur l'Adriatique; il est, sous tous les points de vue, très-essentiel pour notre correspondance de Constantinople: en vingt-quatre heures on va d'ici en Macédoine. Aucun gouvernement n'était aussi méprisé par les peuples mêmes qui lui obéissent, que celui-ci. Au premier sentiment de frayeur que cause l'entrée d'une armée ennemie, a succédé la joie d'être délivré du plus ridicule des gouvernemens.

Le 22, à six heures du soir.

P.S. Nous sommes maîtres de Notre-Dame-de-Lorette.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 23 pluviose an 5 (11 février 1797).

Au directoire exécutif.

Citoyens directeurs,

Je vous ferai passer la capitulation de Mantoue; nos troupes ont occupé la citadelle le 15 et, aujourd'hui, la ville est entièrement évacuée par les Autrichiens. Je vous enverrai les inventaires de l'artillerie et du génie et la revue de la garnison, dès l'instant qu'ils me seront parvenus. C'est le général Serrurier qui a assiégé la première fois Mantoue; le général Kilmaine, qui a établi le deuxième blocus, a rendu de grands services; c'est lui qui a ordonné que l'on fortifiât Saint-George, qui nous a si bien servis depuis. La garnison de Mantoue a mangé cinq mille chevaux, ce qui fait que nous en avons fort peu trouvé. Je vous demande le grade de général de brigade pour le citoyen Chasseloup, commandant du génie de l'armée. Il a assiégé le château de Milan, la ville de Mantoue, et on en était déjà aux batteries de brèche, lorsque j'ordonnai qu'on levât le siège; il a, dans cette campagne, fait fortifier Peschiera, Legnago et Pizzighitone. Je vous demande le grade de chef de brigade pour les citoyens Samson et Maubert; ils l'ont mérité, en rendant des services dans plus de quarante combats, et en faisant des reconnaissances dangereuses et utiles. Je vous ai demandé le grade de général de division d'artillerie pour le général Lespinasse. Je vous prie aussi d'employer le général Dommartin dans l'armée d'Italie.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Ancône, le 25 pluviose an 5 (13 février 1797).

À Monsieur le cardinal Mattei.

J'ai reconnu, dans la lettre que vous vous êtes donné la peine de m'écrire, monsieur le cardinal, cette simplicité de moeurs qui vous caractérise. Vous verrez, par l'imprimé que je vous envoie, les raisons qui m'ont engagé à rompre l'armistice conclu entre la république française et Sa Sainteté.

Personne n'est plus convaincu du désir que la république française avait de faire la paix, que le cardinal Busca, comme il l'avoue dans sa lettre à M. Albani, qui a été imprimée et dont j'ai l'original dans les mains.

On s'est rallié aux ennemis de la France lorsque les premières puissances de l'Europe s'empressaient de reconnaître la république et de désirer la paix avec elle; on s'est longtemps bercé de vaines chimères et on n'a rien oublié pour consommer la destruction de ce beau pays. Je n'entendrai jamais à aucune proposition qui tendrait à terminer les hostilités entre la république française et Sa Sainteté, qu'au préalable on n'ait ordonné le licenciement des régimens créés après l'armistice; secondement, que l'on n'ait ôté par notification publique le commandant de l'armée de Sa Sainteté aux officiers-généraux envoyés par l'empereur. Ces clauses remplies, il reste encore à Sa Sainteté un espoir de sauver ses états en prenant plus de confiance dans la générosité de la république française, et en se livrant toute entière et promptement à des négociations pacifiques.

Je sais que Sa Sainteté a été trompée: je veux bien encore prouver à l'Europe entière la modération du directoire exécutif de la république française, en lui accordant cinq jours pour envoyer un négociateur muni de pleins pouvoirs, qui se rendra à Foligno, où je me trouverai et où je désire de pouvoir contribuer en mon particulier à donner une preuve éclatante de la considération que j'ai pour le Saint-Siège.

Quelque chose qu'il arrive, monsieur le cardinal, je vous prie d'être persuadé de l'estime distinguée avec laquelle je suis, etc.

BONAPARTE.



Au quartier-général à Macereta, le 27 pluviose an 5 (15 février 1797).

Au directoire exécutif.

Je vous fais passer, citoyens directeurs, 1°. la copie d'une lettre que m'a écrite le cardinal Mattei.

2°. La copie d'une note qui m'a été remise par le prince de Belmonte Pignatelli, envoyé près de moi par sa cour.

Il m'a dit confidentiellement et m'a montré des articles de son instruction, aussi très-confidentiellement et non officiellement, où le roi son maître prenait un tel intérêt aux affaires de Rome, qu'il faisait marcher un corps de troupes pour appuyer ses représentations sur Rome.

Je lui ai répondu très-confidentiellement que, si je n'avais point abattu l'orgueil du pape, il y a trois mois, c'est que je ne doutais pas que le roi de Naples voulait se mêler, contre le droit des gens et la teneur du traité, de cette affaire-là, et que véritablement alors je n'avais pas le moyen de lui répondre; mais qu'aujourd'hui j'avais de disponibles les trente mille hommes qui étaient devant Mantoue, et les quarante mille hommes qui me venaient de l'intérieur; que si le roi son maître me jetait le gant, je le ramasserais; que la république donnerait au roi de Naples toutes les satisfactions compatibles avec sa dignité et son intérêt: il a, en reprenant le ton officiel, désavoué ce qui avait été dit en confidence.

J'ai répondu au cardinal Mattei la lettre que je vous envoie, au prince Belmonte Pignatelli la note que je vous envoie également.

Je vous fais tenir la mesure que j'ai adoptée à Ancône pour l'organisation de l'administration, le parti que j'ai pris ici relativement à l'organisation de la province, ainsi qu'un ordre que j'ai donné en faveur des prêtres réfractaires. Cet ordre n'est pas contraire à la loi; il est conforme à nos intérêts et à la bonne politique: car ces prêtres nous sont fort attachés et beaucoup moins fanatiques que les Romains. Ils sont accoutumés à ce que les prêtres ne gouvernent pas, et c'est déjà beaucoup: ils sont très-misérables; les trois quarts pleurent quand ils voient un Français: d'ailleurs, à force d'en faire des battues, ou les oblige à se réfugier en France. Comme ici nous ne touchons en aucune manière à la religion, il vaut beaucoup mieux qu'ils y restent; si vous approuvez cette mesure et qu'elle ne contrarie pas les principes généraux, je tirerai de ces gens-là un grand parti en Italie.

Ancône est un très-bon port, on va delà en vingt-quatre heures en Macédoine, et en dix jours à Constantinople. Mon projet est d'y ramasser tous les juifs possible; je fais mettre dans le meilleur état de défense la forteresse; il faut que nous conservions le port d'Ancône à la paix générale, et qu'il reste toujours français: cela nous donnera une grande influence sur la Porte Ottomane et nous rendra maîtres de la mer Adriatique, comme nous le sommes, par Marseille, l'île de Corse et Saint-Pierre, de la Méditerranée. Quinze cents hommes de garnison, et 2 à 300,000 liv. pour fortifier un monticule voisin, et cette ville sera susceptible de soutenir un très-long siège.

Loretto contenait un trésor à peu près de 3,000,000 liv. tournois, ils nous ont laissé à peu près pour un million sur les sept; je vous envoie de plus la madone avec toutes les reliques. Cette caisse vous sera directement adressée, et vous en ferez l'usage que vous jugerez convenable; la madone est de bois.

La province de Macereta, connue plus communément sous le nom de Marche d'Ancône, est une des plus belles et sans contredit la plus riche des états du pape. Nos troupes seront, j'espère, ce soir à Foligno, et passeront la journée de demain à se réunir au deuxième bataillon de la soixante-troisième qui était à Livourne, et que j'ai fait venir. Voici ce que je compte faire:

J'accorderai la paix au pape, moyennant qu'il cédera en toute propriété à la république la légation de Bologne, la légation de Ferrare, la légation de Romagne, le duché d'Urbin et la Marche d'Ancône, et qu'il nous paiera, 1°. les 3,000,000 valeur du trésor de Loretto; 2°. les 15,000,000 valeur de ce qui reste dû pour l'armistice; il donnera tous les chevaux de cavalerie, tous les chevaux de son artillerie; qu'il chassera Colli et tous les Autrichiens, et nous donnera les armes de tous les nouveaux régimens créés depuis l'armistice. Si cela n'est pas accepté, j'irai à Rome.

Je préfère l'accommodement à aller à Rome, 1°. parce que cela m'évitera une discussion qui peut être très-sérieuse avec le roi de Naples; 2°. parce que le pape et tous les princes se sauvant de Rome, je ne pourrai jamais en tirer ce que je demande; 3°. parce que Rome ne peut pas exister long-temps dépouillée de ses belles provinces: une révolution s'y fera toute seule. 4°. Enfin la cour de Rome nous cédant tous ses droits sur ce pays, on ne pourra pas, à la paix générale, regarder cela comme un succès momentané, puisque ce sera une chose très-finie; et enfin cela nous donnera la division qui est ici, disponible tout de suite pour les opérations du Frioul, et me donnera le temps, avant d'être entré en lutte avec les Autrichiens, de conclure quelque article secret avec le sénat de Venise.

Je vous enverrai incessamment la seconde lettre que vient de m'écrire le cardinal Mattei.

Rien de nouveau, de bien intéressant dans le Tyrol, ni sur la Piave, si ce n'est des escarmouches, dont l'état-major vous fait passer le bulletin.

Je vous enverrai l'inventaire de l'artillerie trouvée à Mantoue, Ancône et autres places.

J'attends toujours Villemansy avec la plus grande impatience. Nous avons besoin d'un homme qui ait le sens commun dans cette place: tous ceux que j'ai vus depuis le commencement de la campagne, sont à peine bons pour être commissaires dans une place.

Verninac est arrivé à Naples, je lui répondrai du moment que le chemin sera libre, pour lui indiquer la route qu'il doit tenir.

BONAPARTE.

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