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Chroniques de J. Froissart, tome 11/13 : $b 1382-1385 (depuis la bataille de Roosebeke jusqu'à la paix de Tournai)

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CHAPITRE XXII.

1385, 8 juillet. CHEVAUCHÉE EN NORTHUMBERLAND DES ARMÉES FRANÇAISE ET ÉCOSSAISE.14 juillet. CONVOCATION DE L’ARMÉE ANGLAISE A NEWCASTLE.6 août. LE ROI RICHARD ENTRE EN ÉCOSSE.4-14 août. JEAN DE VIENNE ÉVITE LE COMBAT; SA CHEVAUCHÉE EN ANGLETERRE.10-20 août. CHEVAUCHÉE DE L’ARMÉE ANGLAISE EN ÉCOSSE; SON RETOUR EN ANGLETERRE.Septembre-novembre. DISSENTIMENTS ENTRE FRANÇAIS ET ÉCOSSAIS.5 décembre. DE RETOUR EN FRANCE, JEAN DE VIENNE DISSOUT L’ARMÉE D’ÉCOSSE (§§ 467 à 488).

Le roi d’Écosse est enfin venu à Édimbourg et, poussé par ses fils, consent à chevaucher en pays anglais en compagnie de l’amiral Jean de Vienne et des chevaliers français. Il fait son mandement, auquel répondent plus de 3,000 hommes, tous à cheval[320]. P. 253, 254, 431.

On équipe le mieux possible les chevaliers écossais avec des armures envoyées de Paris, et Jean de Vienne donne le signal du départ. L’armée entre en Northumberland, passe par Melros et par Roxburgh, qu’elle renonce à prendre; puis, descendant la Tweed, s’empare de deux châteaux. P. 254 à 256, 431, 432.

Elle arrive devant un autre château, nommé Werk, qui appartient à Jean de Montagu[321]. Malgré la vigoureuse résistance du capitaine Guillaume de Leyburn[322], Werk est pris par les Français, qui le démantèlent[323]. P. 256, 257, 432.

Cela fait, Jean de Vienne et ses compagnons s’acheminent vers Alnwick et brûlent et pillent un certain nombre de villages des alentours[324]; ils parviennent jusqu’à Bothal[325], qu’ils n’assiègent pas, et jusqu’à Morpeth, à mi-chemin entre Berwick et Newcastle. Là, ils apprennent que le duc de Lancastre, les comtes de Northumberland et de Nottingham, Jean de Nevill, accompagnés de nombreux barons et de l’archevêque d’York, Alexandre de Nevill, ainsi que de l’évêque de Durham, Jean de Fordham, marchent à leur rencontre.

Pour mieux soutenir le choc[326], l’armée française rentre dans le pays de Berwick et prend le chemin de Dunbar[327]. P. 257, 258, 432, 433.

Le roi d’Angleterre, connaissant la venue des Français en Écosse, a fait depuis longtemps ses préparatifs[328] et rassemblé son armée[329]. Il s’avance le long des côtes anglaises, en compagnie de ses deux oncles, les comtes de Cambridge[330] et de Buckingham[331], et de ses deux frères, Thomas Holand, comte de Kent, et Jean Holand[332]. Avec eux sont les comtes de Salisbury, d’Arondel[333], d’Oxford, de Pembroke, de Stafford[334], de Devonshire, Thomas Le Despenser et autres barons et chevaliers[335], en tout 4,000 lances et 50,000 archers, sans compter les 2,000 lances et les 20,000 archers qui opèrent à la frontière d’Écosse sous les ordres du duc de Lancastre[336], du comte de Northumberland[337], du comte de Nottingham[338] et autres. P. 258, 259, 433, 434.

L’armée royale, pressentant qu’une action décisive va avoir lieu, arrive à marches forcées à Saint-Jean-de-Beverley, où elle loge. P. 259, 434.

Querelle entre Jean Holand et Raoul[339] de Stafford. Ce dernier est tué. P. 260 à 263, 434, 435.

Plainte du comte de Stafford auprès du roi, qui lui promet justice[340]. P. 263 à 265, 435, 436.

Poursuivant son chemin vers l’Écosse, le roi d’Angleterre, à la tête d’une armée de 7,000 hommes d’armes et de 60,000 archers, passe par Durham[341] et Newcastle[342], et s’arrête quelque temps à Berwick[343], où il est bien reçu par le capitaine Mathieu Redman. De là il traverse la Tweed[344], arrive à Roxburgh et à Melros, dont il brûle et détruit l’abbaye. Jean de Vienne fait tous ses efforts pour décider les Écossais à combattre. P. 265, 266, 436.

Devant les mauvaises dispositions de ses alliés, l’amiral renonce à mettre en face de la nombreuse armée ennemie ses 2,000 lances et ses 30,000 autres combattants mal armés. Il laissera donc les Anglais faire leur chevauchée, et ce durant il ira ailleurs tenter même aventure[345]. P. 266, 267, 436, 437.

Les Écossais se dirigent vers le sud, détruisant tout sur leur passage et cachant dans les forêts leurs objets précieux; ils parcourent ainsi la terre de Mowbray[346], appartenant au comte de Nottingham, le comté de Stafford[347], les terres des seigneurs de Graystock et de Musgrave, et prennent le chemin de Carlisle[348]. P. 267, 268, 437, 438.

Pendant ce temps, le roi d’Angleterre occupe Édimbourg, où il reste cinq jours, et livre tout aux flammes[349]. Il prend ensuite et brûle la ville et l’abbaye de Dunfermlin. De là, l’armée royale vient mettre le siège devant Stirling, dont elle ne peut s’emparer, et ravage les domaines de Robert Erskine. P. 268, 269, 438, 439.

Après avoir passé la Tay, elle brûle les villes de Saint-Johnston[350] et de Dundee; ses éclaireurs s’avancent même jusqu’à Aberdeen, sans rien tenter contre la ville. P. 269, 270, 439.

L’expédition de Jean de Vienne, portant la misère et la ruine dans des pays qui jamais, jusque-là, n’ont souffert de la guerre, est enfin arrivée devant Carlisle, défendu par Louis de Clifford[351], Guillaume[352] de Nevill, Thomas Musgrave et son fils, David Holegrave[353], Dagorisset[354] et autres chevaliers. Le siège commence. P. 270, 271, 439, 440.

Le roi Richard, après avoir ravitaillé son armée, se propose de passer les montagnes du Northumberland et d’aller au-devant de Jean de Vienne. Il est dissuadé de ce projet par le comte d’Oxford, qui lui fait entrevoir les dangers de l’entreprise[355] et le met en garde contre les desseins ambitieux du duc de Lancastre, son oncle. P. 271 à 273, 440, 441.

Explications orageuses entre le roi et le duc de Lancastre, qui proteste de son dévouement[356]. Le retour en Angleterre est décidé[357]. P. 273, 274, 441, 442.

Apprenant cette nouvelle, l’amiral Jean de Vienne et ses compagnons renoncent, eux aussi, à continuer leur chevauchée. Ils rentrent donc en Écosse[358], où ils trouvent tout le pays détruit. De nouveaux dissentiments s’élèvent entre les Écossais et les Français, auxquels on reproche d’avoir ruiné la terre autant que l’ont fait les Anglais. P. 274 à 276, 442, 443.

C’est à peine si les chevaliers français peuvent trouver à se nourrir, même en payant fort cher; en butte aux tracasseries multiples de leurs alliés[359], ils refusent de passer l’hiver en Écosse et demandent à partir.

L’amiral, qui aurait voulu hiverner[360], dans l’espoir de recevoir des renforts au commencement de l’été[361], consent à donner congé à ceux qui veulent le quitter. Nouvelles contestations avec les Écossais, qui laissent partir les chevaliers de peu d’importance et les écuyers, mais retiennent les autres, prétendant avant ce départ être indemnisés des préjudices qu’ils ont soufferts du fait des Français. P. 276, 277, 443, 444.

Malgré l’intervention des comtes de Douglas et de Moray, il faut satisfaire les Écossais. L’amiral, s’étant fait présenter un état des réclamations, s’engage à ne pas quitter le pays avant paiement intégral.

Cette promesse permet à un certain nombre de chevaliers et d’écuyers de retourner à l’Écluse[362]. P. 277, 278, 444 à 446.

L’amiral fait alors connaître au roi de France et au duc de Bourgogne les exigences des Écossais, qui demandent non seulement à recevoir leurs gages comme ayant servi le roi de France, mais encore à être indemnisés de la perte de leurs récoltes.

Les paiements ont lieu à Bruges, et l’amiral peut partir[363]. De nombreux chevaliers l’accompagnent à l’Écluse[364], mais d’autres se dirigent sur le Danemark[365], la Suède, la Norvège, l’Irlande et même la Prusse. P. 278 à 280, 446, 447.

De retour en France, Jean de Vienne démontre au roi le peu de fond qu’il faut faire sur l’alliance écossaise; il lui donne aussi des renseignements sur les forces de l’armée anglaise, contre laquelle le duc de Bourgogne voudrait organiser une grande expédition[366]. P. 280 à 282, 447 à 449.

CHAPITRE XXIII.

1385, 12-29 octobre. PRÉLIMINAIRES DE PAIX.18 décembre. TRAITÉ DE TOURNAI.1386, 4 janvier. ENTRÉE DU DUC ET DE LA DUCHESSE DE BOURGOGNE A GAND (§§ 489 à 502).

Pour tenter sûrement une expédition contre l’Angleterre, que désirent le roi et le duc de Bourgogne et qu’approuvent le Connétable et l’amiral Jean de Vienne, il est de toute nécessité que la paix soit conclue avec les Gantois. Aussi le duc de Bourgogne se montre-t-il plus accueillant pour leurs propositions[367]. P. 282, 283, 449 à 451.

Depuis sept ans que durent les hostilités, le commerce des Flandres est presque ruiné et les villes souffrent de l’arrêt des affaires[368]. P. 283, 284, 451 à 453.

Les gens sages de la ville déplorent cet état de guerre, qu’ils redoutent de voir se renouveler et s’aggraver bientôt; mais ils n’osent en parler tout haut, par peur de Jean Bourchier, le gouverneur anglais, et de Pierre du Bois, soutenu par le parti des agitateurs. P. 284 à 286, 453 à 455.

Deux d’entre les notables cependant, Roger Everwyn[369], un batelier, et Jacques d’Eertbuer[370], un boucher, se décident à agir, après s’être assurés secrètement du concours de leurs métiers. P. 286, 287, 455 à 457.

Ils envoient un chevalier de Gand, Jean de Heyle, auprès du duc de Bourgogne pour implorer son pardon et lui dire combien la majorité des Gantois désire la paix, ne demandant que le maintien de leurs franchises.

Le duc consent à le recevoir, mais encore veut-il être certain de pouvoir compter sur François Ackerman, qu’il suppose favorable à la paix. Jean de Heyle obtient l’adhésion d’Ackerman, alors capitaine de Gavre, et retourne à Gand, muni des lettres du duc confirmant les franchises et accordant le pardon[371]. Il fait part de la réussite de ses négociations à Roger Everwyn et à Jacques d’Eertbuer. P. 288, 289, 457 à 460.

Rendez-vous est pris entre eux pour le jeudi suivant[372], neuf heures du matin. Jean de Heyle apportera les lettres du duc de Bourgogne; Roger Everwyn et Jacques d’Eertbuer, entourés de leurs amis et des doyens des métiers, qui, presque tous, sont de leur opinion, sauront bien décider le conseil communal à signer la paix.

Pierre du Bois et Jean Bourchier, informés de ce dessein, sont résolus à s’y opposer par la force et à ne pas laisser répudier ainsi par la ville de Gand l’alliance anglaise. P. 290, 291, 460, 461.

A leur tour, Roger Everwyn et Jacques d’Eertbuer ont connaissance des projets de Pierre du Bois, et, le jeudi arrivé, ils devancent l’heure du rendez-vous et se rassemblent avec tout leur monde sur la place du marché. Pierre du Bois et Jean Bourchier s’y présentent bientôt avec leurs partisans et la garnison anglaise; mais, en présence du nombre toujours grossissant de leurs adversaires, ils renoncent à la lutte[373]. P. 291 à 293, 461 à 463.

Pierre du Bois s’esquive, craignant d’être mis à mort. Jean Bourchier obtient la vie sauve; il est autorisé à sortir de la ville, lui et les siens. P. 293 à 295, 463, 464.

Jean de Heyle paraît alors sur le marché porteur des lettres du duc de Bourgogne, qui sont bien accueillies des Gantois[374]. François Ackerman, consulté, est d’avis de conclure la paix. Jean de Heyle retourne donc à Arras[375] pour rendre compte de ces événements au duc, qui signe tout d’abord une trêve valable jusqu’au 1er janvier 1386[376].

Grâce à Ackerman, Pierre du Bois n’est pas inquiété et attend tranquillement la fin des négociations. P. 295 à 297, 464, 465.

Durant la trêve, on choisit les plénipotentiaires chargés d’aller à Tournai signer l’accord entre les Gantois et le duc de Bourgogne. Le choix se porte en premier lieu sur François Ackerman, puis sur Roger Everwyn et Jacques d’Eertbuer[377]. Ils arrivent à Tournai à l’octave de la Saint-André[378] et se logent à l’hôtel du Saumon, rue Saint-Brice, avec 50 chevaux[379].

Le 5 décembre[380], le duc et la duchesse de Bourgogne, accompagnés de madame de Nevers, entrent à Tournai. Le traité négocié par Jean de Heyle[381] est bientôt signé et promulgué. P. 297, 298, 465.

Par ce traité, signé le 18 décembre[382], le duc de Bourgogne pardonne aux Gantois, qui se reconnaissent ses loyaux sujets; il confirme les privilèges de Gand et des villes alliées, et restitue leurs biens aux bannis[383]. A l’accord interviennent la duchesse de Brabant, le duc Aubert, un certain nombre de barons et de nobles de Flandre[384], ainsi que les communes de Bruges, d’Ypres, du Franc, de Malines et d’Anvers. P. 298 à 309, 465 à 472.

Ces clauses fixées et arrêtées, on échange les ratifications de la paix, malgré l’opposition des gens de Bruges, qui s’en trouvent lésés[385]. Cela fait, Ackerman, Everwyn, Jacques d’Eertbuer et les bourgeois de Gand remercient la duchesse de Brabant de sa gracieuse intervention, et, prenant congé du duc de Bourgogne, s’en retournent à Gand, tandis que le duc se rend, en passant par Lille, à Arras, où il est au moment de Noël[386].

Pierre du Bois hésite à séjourner à Gand, où il craint les représailles de la famille du seigneur d’Herzeele, mis à mort par lui, et d’autres encore. Il s’en ouvre à François Ackerman, qui l’engage à rester et à se fier à la parole du duc de Bourgogne. Malgré cet avis, Pierre du Bois préfère accompagner en Angleterre Jean Bourchier et la garnison anglaise. P. 309 à 311, 472 à 474 (autre rédaction, p. 476 à 478) [387].

Peu de temps après, ils quittent, en effet, la ville de Gand, et Pierre du Bois emmène avec lui sa femme et ses enfants, ainsi que tous ses meubles. P. 311 à 313, 474, 475 (autre rédaction, p. 478, 479).

Ils s’embarquent à Calais et se rendent à Windsor, où Jean Bourchier présente Pierre du Bois au roi, qui l’accueille avec bienveillance et le gratifie d’une pension de 100 livres sterling par an.

Ackerman reste à Gand; il eût mieux fait d’imiter Pierre du Bois[388]. P. 313, 475, 476 (autre rédaction, p. 479).

CHRONIQUES
DE J. FROISSART.


LIVRE DEUXIÈME.

[1] § 313. Nous nos soufferons un petit à parler de

Phelippe d’Artevelle, et parlerons dou jone roi Charle

de France, qui sejournoit à Arras, liquels avoit très

grant volenté, et bien le monstroit, d’entrer en

5Flandres pour abatre l’orgoel des Flamens. Tous les

jours li venoient gens d’armes de tous costés. Quant

li rois ot sejourné en Arras vuit jours, il s’en parti et

s’en vint à Lens en Artois, et là fut deus jours. Au

tierch jour de novembre, il s’en parti et s’en vint à

10Seclin et là s’aresta; et furent li signeur, li connestables

de France et li mareschal de France, de Bourgongne

et de Flandres, ensamble en conseil pour savoir comment

on s’ordonneroit, car on dissoit communement

en l’ost que ce estoit cose imposible d’entrer en

15Flandres, ou cas que li passage de la rivière estoient

si fort gardé. Encores de rechief tous les jours il

[2] plouvoit tant que il faisoit si fresc que on ne pooit aler

avant, et disoient li aucun sage dou roiaulme de France

que che estoit grans outrages par tel tamps de avoir

amenet le roi si avant en tel païs, et que on deuist

5bien avoir atendu jusques à l’esté pour guerriier en

Flandres. [Si] dist li sires de Cliçon, connestables de

France, en conseil: «Je ne congnois che païs de

Flandres, car onques n’i fui en me vie. Ceste rivière

dou Lis est telle et si malle à passer que on n’i puet

10trouver passage fors que par les certains pas?»—On

li respondi: «Sire, oïl: ne il n’i a nul gué, et siet

tout son courant sus marescages, où on ne poroit

chevauchier.» Dont demanda li connestables: «Et dont

vient elle d’amont?» On li respondi qu’elle venoit de

15devers Aire et Saint Omer. «Puisque elle a commenchement,

dist li connestables, nous le paserons bien.

Ordonnons nos gens et leur faissons prendre le chemin

de Saint Omer, et là passerons nous la rivière à nostre

aise, et enterons en Flandres et [irons ces Flamens

20combatre] au lonc dou païs où qu’il soient, ou devant

Ippre ou ailleurs; il sont bien si orgilleux et si

outrequidiet que il venront contre nous.» A ce pourpos

dou connestable s’acordoient tout li mareschal. Et

demorèrent en cel estat celle nuit jusques à l’endemain

25que li sires de Labreth, li sires de Couchi, messires

Ammenions de Poumiers, messires Jehans de Viane,

amiraux de France, messires Guillaumes de Poitiers,

bastars de Lengres, li Bèghes de Velaines, messires

Raouls de Couchi, li contes de Conversant, li viscontes

30d’Aci, messires Raoulx de Rainneval, li sires de Sempi,

messires Guillaumes des Bordes, li sires de Sulli,

messires [Oliviers] de Claiequin, messires Meurisses

[3] [de Treseguidi], messires Guis li Baveux, messires

Nicolles Penniel, li doi mareschal de France, messires

Loeïs de Sansoire, et le signeur de Blainville, et li

mareschal de Bourgongne et de Flandres, et messires

5Enguerans d’Oedins, vinrent en la cambre dou connestable

de France, pour avoir certain arest et avis

comment on s’ordonneroit: se on passeroit parmi Lille

pour aler à Commines et à Warneston, où li pas

estoient gardé, ou se on iroit amont, vers le Gorge,

10le Ventie et Saint Venant et Estelles, passer là la

rivière dou Lis.

Là ot entre ces signeurs pluiseurs parolles retournées,

et dissoient chil qui cognissoient le païx: «Certes,

ou tamps de maintenant, il ne fait [nul aler] en che

15païx de Claremban, ne en la tere de Bailloel, ne en la

castelerie de Cassel, de Furgnes ne de Berghes.»—«Et

quel chemin tenrons nous dont?» dist li connestables.

Là dist li sires de Couchi une mout haute parolle:

20«De men avis je conseilleroie que nous alissons à

Tournai là passer l’Escaut et cheminer devant Audenarde,

che chemin là ferons nous bien aise, et là combatre

nos ennemis; nous n’arons nul empechement.

L’Escaut passet à Tournai, si venrons devant Audenarde

25et cerons droit ou logeïs Phelippe d’Artevelle,

et si serons tous les jours rafresqui de toutes pourveances

qui nous [venront] dou costé de Hainnau et

qui nous sieuront de Tournai par la rivière.» Ceste

parolle dou signeur de Couchi fu bien entendue et

30volentiers oïe, et des aucuns longhement soustenue.

Mais li connestables et li mareschal s’enclinoient trop

plus à aler toudis de[vant] lui et querir et faire brief

[4] passage à son loial pooir que de aler à destre ne à

senestre querre plus lontain chemin; et i metoient

raisons raisonnables, car il dissoient: «Se nous querons

autres chemins que le droit, nous ne monsterons pas

5que nous soions droites gens d’armes, à tout le mains

se nous n’en faissons nostre devoir de aler taster se

aucunement à ce pas à Commines qui est gardés, se

desous ou desus ne poons passer la rivière. Encores

oultre, se nous eslongons nos ennemis, nous les resjoïrons

10et rafresquirons de nouviaulx consaulx, et

diront que nous les fuions. Et [si] i a encores un point

qui fait grandement à doubter: nous ne savons sus

quel estat cil qui sont alé en Engletère sont, car, se

par aucune incidense confors leur venoit de ce costé,

15il nous donroit grant empechement. Si vault trop mieux

que nous nos delivrons de entrer au plus brief que

nous poons en Flandres, que longhement determiner,

et enprendons de fait et de bon corage le chemin de

Commines; Dieux nous aidera. Nous avons par tant de

20fois passé et rappassé grosses rivières que ceste rivière

dou Lis ne nous devera pas tenir trop longhement.

Comment que soit, quant nous serons sus les rives,

arons nous avis, et cil qui seront en nostre compaignie

en l’avant garde, qui ont veut puis vint ans ou

25trente tamaint passage plus perilleus que cils chi ne

soit, que nous passerons la rivière; et quant nous

serons oultre, nostre ennemi et li païs de Flandres

seront plus esbahi cent fois que dont que à nostre aise

nous aillons querir à senestre ou à destre hors de nostre

30droit chemin passage, et nous porons adont nommer

et compter signeur de Flandres.» Tout s’acordèrent

à che darrain pourpos, ne onques depuis il ne

[5] fu brisiés, ne nuls autres remis sus, et pour che que

chil vaillant signeur se trouvoient là tout ensamble, il

disent: «C’est bon que nous avisons et regardons as

ordonnances des batailles, et liquel iront en l’avant

5garde avoec le connestable, et liquel ordonneront des

chemins pour passer et chevauchier tout à l’ouni,

et liquel menront les gens de piet, et liquel seront

ordonné pour courir et descouvrir les ennemis, et

liquel seront en la bataille dou roi, et comment et de

10quoi il le serviront, et liquels portera l’oriflambe de

France et liquel l’aideront à garder, et liquel seront

sus ele et liquel seront en l’arière garde.» De toutes

ces coses eurent il là avis et ordenance.

§ 314. Il est ordonné, aresté et determiné par les

15vaillans hommes dessus nommés et par l’office des

maistres des arbalestriers conjoins avoec le connestable

et les mareschaulx et tout d’un acord, que

messires Josses de Haluin et li sires de Rambures

seront cargiet et ordonnet de mener et conduire les

20gens de piet, liquel iront devant pour apparillier les

chemins, copper les haies, bos, buissons, abatre

frettes, raemplir vallées et faire ce que il appartient

et qu’il est de necessité; et sont cil ouvrier dis et set

cens et soissante. Après en l’avant garde sont li

25mareschal de France, de Flandres, de Bourgongne,

et ont en leur gouvrenance douse cens hommes d’armes

et set cens arbalestrers, sans quatre mille hommes

de piet que li contes de Flandre leur a delivret as

pavais et as autres armeures. Item, est ordonné que

30li contes de Flandres et sa bataille, où il puet avoir

tant de gens d’armes, chevaliers et escuiers et gens

[6] de piet, environ sèse mille, chemineront sus le elle

de l’avant garde, pour reconforter, se il besongne.

Item, est ordonné, entre l’avant garde et le bataille

dou conte de Flandres, la bataille dou roi de France,

5et là doient estre si troi oncle, Berri, Bourgongne et

Bourbon, li contes de la Marce, messires Jaquemes de

Bourbon, ses frères, li contes de Clermont et daufins

d’Auvergne, li contes de Danmartin, li contes de Sansoire,

messires Jehans de Boulongne et jusques à le

10somme de sis mille hommes d’armes et deus mille

arbalestriers, genevois et autres. Item, sont ordonné

pour l’arière garde deus mille hommes d’armes et

deus cens arbalestriers. Si en doient estre chief et

gouvreneur messires Jehans d’Artois, contes d’Eu,

15messires Guis, contes de Blois, messires Wallerans,

contes de Saint Pol, messires Guillaumes, contes de

Harcourt, li sires de Castillon et li sires de Fère.

Item, doit porter l’oliflambe messires Pières de Vilers,

et doit estre acompaigniés de quatre chevaliers, liquel

20sont enssi nommet: messires Robers li Baveux, messires

Guis de Saucourt, messires Meurisses de [Treseguidi]

et dou Baudrain de la Huesse; et pour garder

les deus banières, le Borgne de Ruet et le Borgne

de [Mondoucet]. Et est assavoir que cil signeur qui

25ordonnoient tels besongnes, entendoient et arestoient

que jamais en France ne retourneroient si aroient

combatu che Phelippe d’Artevelle et sa poissance; et

pour ce se ordonnoient il par telle manière enssi que

pour tantos combatre ou à l’endemain. Item, sont

30ordonné li sires de Labreth, li sires de Couchi et

messires Hughes de Chalon, pour mettre en aroi, en

pas et en ordonnance les batailles. Item, sont ordonnet

[7] mareschal, pour logier le roi et sa bataille, messires

Guillaumes de Maumines et li sires de Campremi.

Item, est ordonné que, au jour que on se combatera,

que li rois sera à cheval et nuls autres fors lui, et

5sont nommet vuit vaillant homme à estre d’encoste

lui, tels que le signeur de Rainneval, le Bèghe de

Velainnes, messires Ammenions de Poumiers, messires

Engherans d’Oedin, li viscontes d’Aci, messires

Guis li Baveux, messires Nicolas Penniel et messires

10Guillaumes des Bordes, dont li sires de Rainneval et

messires Engherans d’Oedins sont au frain devant lui;

le Bèghe de Velainnes et li viscontes d’Aci, qui se

nomme messires Jehans le Personne et est nommés

chi dessus en ceste istoire en pluiseurs lieux viscontes

15d’Aunai, chil doi chevalier sont dalés eux; et au

derière sont ordonné messires Ammenions de Poumiers,

messires Nicolles Penniel, messires Guis li

Baveux et messires Guillaumes des Bordes. Item, sont

ordonné pour chevauchier devant et avisser le convenant

20des ennemis au jour de la bataille, messires

Oliviers de Clichon, connestables de France, messires

Jehans de Viane, amiraux de France, et messires

Guillaumes de Poitiers, bastars de Lengres.

Quant toutes ces coses dessus dites furent devisées

25et ordonnées bien et à point, et que on n’i sceut mais

nulle riens aviser qui necessaire i fust, li consaulx se

ouvri. On se parti, et s’en ala cascuns à son logis; et

furent li signeur et li baron, qui point n’avoient esté

present à ces coses deviser, segnefiiet quel cose il

30devoient faire, ne en avant comment il se maintenroient.

Et fu che jour ordonné que li rois à l’endemain

se deslogeroit de Seclin et passeroit tout parmi

[8] la ville de Lille sans arester, et venroit logier à Marquette

l’abeïe, et li avant garde iroit oultre vers Commines

et Warneston; et exploitièrent au mieux qu’il

peurent.

5§ 315. Tout enssi comme il fu ordonné il fu fait, et

se deslogièrent à l’endemain cil de l’avant garde, et

passèrent oultre par ordenance vers Commines; et

trouvoient les chemins tous fais, car li sires de [Rambures]

et messires Josses de Haluin en avoient grandement

10songniet: che fu le lundi. Quant li connestables

de France et li mareschal et chil de l’avant garde

furent venu au pont à Commines, là les convint arester,

car il trouvèrent le pont si deffait que il n’estoit

mies en poissance d’omme dou refaire ou cas que on

15les deffenderoit et que on i meteroit empechement

au voloir refaire; et li Flamenc estoient bien poissant

par oultre la rivière dou deffendre et garder le pas

et tenir contre tout homme qui escarmuchier et asallir

les volroient par devant, car il estoient plus de

20nuef mille, que au pas dou pont, que en la ville de

Commines. Et là estoit Piètres dou Bos, leur cappitaine,

qui monstroit bien volenté et deffence, et estoit

au piet dou pont sus le cauchie et tenoit une hache en

se main, et là estoient li Flamenc tout rengiet de une

25part et d’autre. Li connestables de France et li signeur

qui là estoient, regardèrent la manière de che pas et

imaginèrent bien que ce estoit cose imposible de passer

par là, se li pons n’estoit refais. Adont fissent il

chevauchier de leurs vallès pour aviser la rivière

30desoulx et desus, et se on n’i trouveroit nuls gués.

Quant cil varllet orent chevauchiet au lonc de la

[9] rivière desoulx et desus priès de une lieue, il retournèrent

à leurs signeurs qui les atendoient au pas, et

leur dissent que il n’avoient trouvé nul lieu où cheval

peuissent prendre tière. Dont fu li connestables mout

5courouchiés, et dist: «Nous avons estet mal consilliet

de prendre che chemin: mieux nous vausist estre

alé par Saint Omer que chi sejourner en che dangier,

ou avoir passet l’Escaut à Tournai, enssi que li sires

de Couchi dissoit, et alé tout droit devant Audenarde

10combatre nos ennemis, puisque combatre les devons

et volons. Il sont bien si orgilleux que il nous eussent

atendu à leur siège.» Adont dist messires Loeïs de

Sansoire: «Connestables, je conseille que nous nos

logons chi pour che jour et fachons logier nos gens

15au mieux qu’il pueent, à fait que il viennent. Et

envoions à Lille par la rivière querre des nefs et des

cloies: si ferons demain un pont sus ces biaux prés,

et passerons oultre, puisque nous ne poons autrement

faire.» Dont dist messires Josses de Haluin: «Sire,

20nous avons bien estet aviset, passet a deus jours, li

sires de [Rambures] et jou, de tout cela faire; mais

il i a un grant empechement. Entre chi et Lille

siet li ville de Menin sus celle rivière, par où il convient

passer la navie, se elle voelt venir jusques à chi,

25et li Flamenc qui là sont, ont deffait leur pont et tellement

croisiet de grans mairiens et d’estaques parmi

les gistes dou pont, que imposible seroit de passer ne nef

ne nacelle.»—«Je ne sai dont, dist li connestables,

que nous puissons faire. Bon seroit de prendre le

30chemin de Aire et de Saint Omer, et de là passer le

Lis, puisque nous ne poons avoir chi le passage aparilliet.»

[10] Entrues que li connestables et li mareschal de France

et de Bourgongne estoient au pas de Commines en

celle abusion, ne il ne savoient lequel faire pour le

milleur, soustilloient autre chevalier et escuier par

5biau fait d’armes et haute emprise à eux aventurer

vaillaument et à passer celle rivière dou Lis, comment

qu’il fust, et aler sus leur fort combatre les Flamens,

pour conquerir la ville et le passage, sicom je vous

recorderai, et presentement.

10§ 316. En venant l’avant garde de Lille à Commignes,

li sires de Saint Pi, qui congnissoit le païs,

et aucun autre chevalier de Hainnau, de Flandres et

d’Artois et ossi de France, sans le connestable et les

mareschaux, avoient eu parlement ensamble et avoient

15dit: «Se nous aviens deus ou trois bacquès, se les

fesissiens lanchier en celle rivière dou Lis au desous

de Commines à le couverte, et eussons de une part de

l’aighe et de l’autre estacques et mis cordes as estacques,

selonc ce que la rivière n’est pas trop large, nous

20seriens tantos une grant quantité de gens mis oultre,

et puis par derière nous venriens asaillir nos ennemis;

nous conquerièmes sus eux le pas, et [si] ne fesissons

passer fors que droites gens d’armes.» De quoi chilx

consaulx avoit esté tenus, et avoit tant fait li sires de

25Sampi que sus un car il faisoit acariier de la ville de

Lille [un] bacquet, les cordes et toute l’ordonnance

avoecques li.

D’autre part, messires Herbaus de Belle Perce et

messires Jehans de Roie, qui estoient compaignon en

30che voiage ensamble, en faissoient ossi un venir et

acariier. Messires Henris de Mauni et messires Jehans

[11] de Malatrait et messires Jehans Cauderons, bretons,

qui avoient estet à ces devises, en querquoient ossi

un, et tant fissent que il [l’]eurent: il le fissent cargier

sus un car et sieuir le route des autres. Li sires

5de Saimpi fu tous li premiers qui vint, atout son bacquet

et l’ordenance des cordes et des estaques, sur

la rivière: si desquerquèrent et estequèrent au lés

devers eux un grant et gros planchon, et puis i

aloiièrent la corde. Si passèrent troi varllet oultre,

10et misent le bacquet et la corde outre, et estequèrent

encores de rechief un grant gros planchon oultre, et i

atacquèrent l’autre coron de la corde, et puis ramenèrent

li vallet le bacquet à leurs maistres.

Or estoit avenu que li connestables de France et li

15doi mareschal qui se tenoient au dehors dou pont à

Commines, furent enfourmé de ceste besongne, enssi

que il busioient comment il trouveroient passage. Si

avoit dit li connestables à messire Loïs de Sansoire:

«Mareschaux, alés veoir que c’est et quel cose il font,

20et se paine puet estre emploïe à passer, par celle

manière que vous avés oï deviser, la rivière; et, se

vous veés que che soit cose qui se taille à faire, si en

mettés aucuns oultre.»

Dont entrues que cil chevalier qui là estoient,

25s’ordonnoient pour passer et que leurs bacquès estoit

tous aprestés, vint là li mareschaux de France et

grant route de chevaliers et escuiers en sa compaignie.

On li fist voie, che fu raisons. Il s’aresta sus le

rivage et regarda volentiers le convenant et le chavance

30de che bacquet. Adont dist li sires de Saimpi:

«Sire, il vous plaist que nous passons?»—«Il me

plaist bien, dist li mareschaux, mais vous vos mettés

[12] en grant aventure, car, se li anemit qui sont à Commignes

savoient [vo] convenant, il vous porteroient

trop grant damage.»—«Sire, dist li sires de Sempi,

qui ne s’aventure il n’a riens. Ou nom Dieu et de

5saint Jorge, nous passerons et nous ferons, anchois

que il soit demain jours, sur nos ennemis bon

exploit.»

Adont mist li sires de Sempi son pennon ou bacquet,

et entra ens tous premiers; et i entrèrent ce

10que li bacquès pooit porter, c’estoient eux nuef, et tantos

furent lanchiet par la corde que il rivoient à rive.

Si isirent tout hors et missent leurs armeures hors

et entrèrent à le couverte, afin que il ne fuissent

apercheu, en un petit bosquetel d’un aunoi, et là se

15quatirent; et chil qui estoient au rivage par une corde

que il tenoient, retraïssent le bacquet à eux. Secondement

li contes de Conversant, sires d’Enghien,

entra ens, et sa banière, et avoecq lui li sires de Vertain,

messires Ustasses et son pennon, et Ferabras de

20Vertain, ses frères; eux nuef passèrent, et non plus; et

puis à le tierche fois en passèrent encores. Evous les

deus autres bacquès venus que on acarioit, de messire

Herbaut de Belle Perche et de messire Jehan de

Roie et ossi des Bretons, furent tantos par la manière

25dessus dite lanchiet en la rivière et ordonné enssi que

li autre. Si passèrent cil chevalier et escuier; ne nuls

ne passoit fors que droites gens d’armes, et passoient

de si grant vollenté que mervelles estoit dou veoir,

et i ot, tels fois fu, au passer si très grant presse de

30voloir passer l’un devant l’autre que, se li mareschaux

de France n’i euist esté, qui i metoit ordonnance et

atemprance de passer à trait, il en i eust eu des

[13] [peris], car il eussent plus que de leur fais cargiés

les bacquès.

§ 317. Nouvelles venoient tout à fait au connestable

et aux signeurs qui à Commines estoient sus le

5pas à l’entrée dou pont, comment leurs gens passoient.

Adont dist li connestables au signeur de Reus:

«Allés veoir, je vous pri, à che passage que che

voelt estre et se nos gens passent si ouniement que

on nous dist.» Li sires de Reus ne fu onques si

10liés, quant il eut celle commission, et feri chevaux

des esperons et s’en vint celle part, et toute sa route,

où bien avoit soissante hommes d’armes. Quant il fu

venus au passage où li compaignon estoient, et ja en

i avoit passet plus de cent et cinquante, si mist tantos

15piet à tere et dist que il passeroit: li mareschaux

de France ne li euist jamais veé.

Nouvelles vinrent au connestable que li sires de

Reus, ses cousins, estoit passés. Si commencha li

connestables un petit à busiier, et dist: «Faites arbalestriers

20traire avant et escarmuchier à ces Flamens qui

sont oultre ce pont, pour eux ensongniier, par quoi il

entendent à [nous] et non à nos gens, car, se il s’en

donnoient garde, il leur couroient sus et romperoient

le passage et ochiroient ceulx qui sont delà, et je

25aroie plus chier à estre mors que il en avenist enssi.»

Adont vinrent arbalestrier et gens de piet avant, et

si en i avoit aucuns qui jettoient des bonbardes portatives

et qui traioient grans quariaux empenés de

fier et les faissoient voller oultre le pont jusques à la

30ville de Commines. Là se commencha li escarmuche

forte et rade, et monstroient chil de l’avant garde

[14] que il passeroient, se il pooient; Flamenc, qui

estoient pavesciet au lés devers eux, monstroient ossi

visage et faissoient grant deffence. Enssi se continua

celle journée qui fu par un lundi, lanchant, traiant et

5escarmuchant, et fu tantos tart, car li jour estoient

mout court. Et toudis à ces bacquès passoient gens

d’armes à pooir, et se metoient, à fait que il estoient

oultre, en un aunoi, et là se quatissoient à le couverte

et atendoient l’un l’autre.

10Or regardés, tout consideret, en quel peril il se

metoient et en quelle aventure; car, se cil qui estoient

à Commines, s’en fuissent aperceu tempre, il en eussent

eu à leur volenté la grignour partie et euissent conquis

cordes et bacquès et tout mis à leur avantage;

15mais Dieus i fu pour eux, qui voloit consentir que li

orgieus de Flandres fust abatus.

§ 318. Je tieng, et ossi doivent tenir toutes gens

d’entendement, celle emprise de ces bacquès et le

passage de ces gens d’armes à haute [vaillance] et

20honnerable emprisse, car chevalier et escuier, sus le

tart che lundi, pour passer oultre avoecques leurs

compaignons, s’embloient de l’avant garde; et passèrent

li viscontes de Roem, li sires de Laval, li sires de le

Berlière, li sires de [Conbor], messires Oliviers de

25Claiekin, li Barois des Bares, li sires de Collet, messires

Renaulx de Touwars, sires de Poussauces, messires

Guillaumes de Lignach, messires Gautiers de Pasac, li

sires de Tors, messires Loeïs de Gousant, messires

Tristrans de la Gaille, li viscontes de Miaulx, li sires

30de Mailli; et tant que Bretons que Poitevins, Berruiers,

François, Bourgignons, Flamens, Artisiens, Tiois et

[15] Hainuiers, il se trouvèrent oultre, sus le lundi au tart,

environ quatre cens hommes d’armes, toute fleur de

gentillèce, ne onques vallès n’i passa.

Quant messires Loeïs de Sansoire veï que tant de

5bonnes gens estoient passet que sèse banières et

trente pennons, si dist que il li tourneroit à grant

blasme, se il ne passoit ossi. Si se mist en un

bacquet, si chevalier et si escuier avoecques lui, et

adont passèrent li sires de Hangiès, messires Percevaulx

10d’Ainneval et pluiseur aultre. Quant il se veïrent

tout ensamble, si disent: «Il est heure que nous

alons vers Commines veoir nos ennemis et savoir se

nous porons anuit logier en la ville.» Adont restraindirent

il leurs armeures, et missent leurs bachinès

15sus leurs testes et les lachièrent et bouclèrent

enssi comme il appertenoit, et se missent sour les

marès joindant la rivière ou pas, en l’ordonnance,

banières et pennons ventelans devant eux, enssi que

pour tantos combatre. Et estoit li sires de Sempi ou

20premier chief et li uns des principaux gouvrenères et

conduissères, pour tant que il congnissoit le païs mieux

que nuls des autres.

Enssi comme il venoient tout le pas et ossi seré

que nulles gens par bonne ordonnance poroient

25faire, tout contreval ces prés, en aprochant la ville,

Piètres dou Bos et sa bataille et ses Flamens, qui

estoient tout rengiet amont, haut sour la cauchie,

jettèrent leurs yeux aval ens es priés, et voient ces

gens d’armes aprochier. Si furent mout esmervilliet,

30et demanda Piètres dou Bos: «Par quel diable de

lieu sont venu ces gens et ont passet la rivière?» Là

li respondirent cil qui dalés lui estoient: «Il faut

[16] que il soient passet par bacquès hui toute jour; et si

n’en avons riens sceu, car il n’i a pont ne passage

aparilliet sus le Lis de chi à Courtrai.»—«Que

ferons nous? dissent li aucun à Piètre; les irons nous

5combatre?»—«Nenil, dist Piètres, lessons les venir;

demorons en no force et en no garde, il sont bas et

nous sommes hault sus la cauchie: se il nous vienent

asalir, nous avons grant avantage sus eux; et, se nous

descendons ores sus eux pour combatre, nous nos

10fourferons trop grandement. Atendons tant que la

nuit soit venue toute noire et toute obscure, et puis

arons conseil comment nous nos chavirons: il ne sont

pas tant de gens que il nous doient plenté durer à la

bataille, et si savons toutes les refuites, et il n’en

15sèvent nulles.»

§ 319. Li consaulx Piètre dou Bos fu creus: onques

chil Flamenc ne se bougièrent de leur pas, et se

tinrent tout quoi au piet dou pont et tout contreval

la cauchie, rengiet et ordonnet en bataille, et ne sonnoient

20mot et monstroient par samblant que il n’en

faisoient compte; et cil qui estoient passet, venoient

tout le pas parmi ces marès costiant la rivière et

aprochant Commines. Li connestables de France, qui

estoit d’autre part l’aige, jète ses ieux et voit ces

25gens d’armes, banières et pennons, en une belle petite

bataille et voit comment il aprochoient Commines.

Adont li commencha li sans tous à frémir de grant

hideur que il ot, car il sentoit grant fuisson de Flamens

par delà l’aige tous esragiés. Si dist par grant

30aïr: «Ha! Saint Ive! ha! Saint Jorge! ha! Nostre

Dame! que voi je là? Je voi en partie toute la fleur

[17] de nostre armée qui se sont mis en dur parti. Certes

je voroie estre mors, quant je voi que il ont fait un si

grant outrage! Ha! mesire Loeïs de Sansoire, je vous

quidoie plus atempré et mieux amesuré que vous ne

5soiés! Comment avés vous ossé mettre oultre tant de

nobles chevaliers et escuiers et si vaillans hommes

d’armes comme il sont là, en tière [d’anemis], et

espoir entre dis ou douse mille hommes qui sont

orgilleux et tout aviset de leur fait et qui nullui ne

10prenderont à merchi, ne nous ne les poons, se il leur

besongne, conforter? Ha! Roem! ha! Laval! ha! Reus!

ha! Biaumanoir! Longeville! Hatefort! ha! Mauni! ha!

Malatrait! ha! Touwars! ha! tels et tels! je vous plains,

quant sans mon conseil vous vos estes mis en tel

15parti! Pourquoi sui je connestables de France? Car,

se vous perdés, je en serai dou tout encoupés et

demandés, et dira on que je vous arai envoiiet en

telle follie!»

Li connestables de France, avant che que il euist

20veu que tant de vaillans gens d’armes fuissent passet,

avoit deffendu au lés devers lui que nuls ne passat;

mais quant il veï le convenant de ceulx qui estoient

oultre, il dist tout hault: «Je abandonne le passage à

tout homme qui passer voelt et poeut.» A ces mos

25s’avanchièrent chevalier et escuier pour trouver voie,

art et engien de passer oultre au pont. Mais il fu

tantos tous nuis: si leur convint par pure necessité

laissier oevre de ouvrer au pont et de jetter huis et

plances sus les gistes. Et li aucun i metoient leurs

30targes et leurs pavais, pour passer oultre et tant que

li Flamenc qui estoient dedens Commines, s’en

tenoient bien à cargiet et à ensongniiet, et ne

[18] savoient au voir dire au quel entendre, car il veoient

là desouls le pont ens es marès grant fuisson de

bonnes gens d’armes qui se tenoient tout quoi,

leurs lances toutes droites devant eux, et [si] veoient

5d’autre part que cil qui estoient oultre le pont en

l’avant garde, escarmuchoient à eux et se metoient

en paine pour le pont refaire.

§ 320. Ens ou parti que je vous di furent li François

qui passèrent oultre as bacquès, che soir, et se

10tinrent tout quoi ens es marès et en le bourbe et

ordure jusques as kievilles. Or regardés et considérés

le paine qu’il eurent et le grant vaillance d’eux, quant

à ces longues nuis d’ivier, un mois devant calandes

ou environ, toute nuit anuitie en leurs armeures estans

15sous leur piés, les bachinès en leurs testes, il furent

là sans boire et sans mengier. Certes je di que il leur

doit estre tourné à grant vaillance, car, au voir dire,

il ne se veoient que une puignie de gens ens ou

regart des Flamens qui en Commines et au pas

20estoient. Si ne les osoient aler envaïr ne asaillir, et

dissoient et avoient dit entre eux, et sur ce il s’estoient

aresté par ordenance: «Tenons nous chi tout

ensamble et atendons tant que il soit jours et que

nous veons devant nous, et que chil Flamenc qui

25sont en leur fort, avalent pour nous asaillir, car voirement

venront il sur nous, ne nullement il ne le

lairoient. Et quant il venront, nous crierons tout de

une vois cascun son cri ou le cri dou signeur à qui

cascuns est, ja soi[t] ce cose que li signeur ne soient

30pas tout chi. Par celle voie et ce cri nous les esbahirons,

et puis fer[r]ons en iaulx de grant volenté. Il

[19] est bien en Dieu et en nous dou desconfire, car il

sont mal armé, et nous avons nos glaves as fers lons

et acerés de Bourdiaux et nos espées ossi. Ja haubregons,

ne armeures que il portent, ne les poront

5tensser que nous ne passons tout oultre.»

Sus cel estat se tinrent enssi et sus ce confort cil

qui estoient passet oultre, et se tenoient tout quoi

sans dire mot. Et li connestables de France, qui [estoit]

de autre part l’aigue au lés devers Lille, avoit en coer

10grant angoisse de eux, et se souhaidoit et toute sa

poissance en la ville de Commines avoec eux. Là li

dissoient li mareschal de Flandres, de Bourgongne et

li chevalier qui dallés lui estoient, pour lui conforter:

«Monsigneur, ne vous esbahissiés point d’eux;

15che sont à droite election toute vaillant gent d’armes,

sage et avisé[e], et ne feront riens fors que par sens

et par ordonnance. Il ne se combateront mès hui, et

vous avés abandonné le passage. Demain, sitos que

nous porons veoir l’aube dou jour, nous nos meterons

20en paine de passer au pont. Nous avons ja pourveu

de ais et de bos plus que il ne nous besongne; si

serons tantos oultre et les reconforterons, [se] leur

besongne, ne ces mesceans gens n’aront point de

durée contre nous.» Enssi estoit reconfortés li connestables

25de France des vaillans hommes qui estoient

en sa compaignie.

§ 321. Piètres dou Bos, qui sentoit ces gens d’armes

ens es marès joindant Commines, n’estoit point trop

aseurés, car il ne savoit quelle la fin en seroit. Toutesfois,

30il sentoit dallés lui et en sa compaignie bien sis

ou set mille hommes. Si leur avoit dit enssi et remonstré

[20] la nuit: «Ces gens d’armes, qui sont passé pour

nous combatre, ne sont pas de fier ne d’achier; il ont

hui tout le jour travilliet et estampet en ces marès:

ne puet estre que sus le jour somme ne les abate. En

5cel estat nous venrons tout quoiement sus eulx et les

asaurons; nous sommes gens assés pour eux enclore.

Quant nous les arons desconfis, sachiés que nuls ne

s’i osera jamais depuis enbatre. Or vous tenés tout

quoi et [si] ne faites nulle noise; je vous segnefierai

10bien quant il sera heure de faire nostre emprisse.»

Au pourpos de Piètre, il s’estoient tout tenu et aresté.

D’autre part, cil baron, chevalier et escuier qui se

trouvoient en ces marès et asés priès de leurs ennemis,

n’estoient pas à leur aise en tant que il estampoient

15en le bourbe et en l’ordure, li pluiseur jusques

en mi le gambe; mais li grant desir et plaissance que

il avoient dou conquerir le passage et honneur, car

sans grant fait d’armes n’i pooient il venir, leur faissoit

assés entr’oubliier leur travail et paine. Se che

20fust ossi bien en tamps d’esté comme c’estoit en tamps

d’ivier, le vint et setime jour de novembre, il euissent

tout tenu à revel; mais la tere estoit froide et orde et

bruequeuse, et la nuis longue, et plouvoit à le fois

sus leurs testes, mais li aigue couroit tout aval, car il

25avoient leurs bachinès mis et leurs carnes [avallés], et

estoient tout en l’estat enssi que pour tantos combatre,

ne il n’atendoient autre cose [fors] que on les

venist asallir. Li grans soings que il avoient à cela,

les rescaufoit assés et les faissoit entr’oubliier leurs

30paines. Là estoit li sires de Sempi qui trop loiaument

s’aquita de estre gaite et escoutète des Flamens, car

il [estoit] ou premier chief et aloit songneusement

[21] tout en tapissant veoir et imaginer leur convenant, et

puis retournoit à ses compaignons, et leur dissoit tout

bas: «Or chi, chi; nostre ennemi se tiennent tout

quoi. Espoir venront il sus le jour; cescuns soit tous

5pourveux et avisés de ce que il doit faire.» Et puis

de rechief encores il s’en raloit pour aprendre de leur

convenant, et retournoit et dissoit tout ce que il en

ooit, sentoit et veoit. En celle paine, alant et venant,

il fu jusques à l’eure que li Flamenc avoient entre eux

10dit et ordonné de venir, et [estoit] droit sus l’aube

dou jour, et venoient tout seré et en un tas tout le

petit pas sans sonner mot. Adont li sires de Sempi,

qui estoit en agait, quant il en veï l’ordonnance, il

perchut bien que c’estoit acertes. Si vint à ses

15compaignons, et leur dist: «Or avant, signeur, il n’i a

que dou bien faire. Véles chi, il vienent, vous les

arés tantos. Li laron viennent le petit pas, il nous

quident sousprendre. Or monstrons que nous soions

droites gens d’armes, car nous arons la bataille.»

20A ces mos que li sires de Sempi [dist], veés vous

chevaliers et escuiers de grant corage abaissier leurs

glaves à lons fers de Bourdiaux et apoingnier de grant

volenté, et eux mettre en si très bonne ordonnance

que on ne poroit de gens d’armes mieux demander

25ne deviser.

§ 322. Ordonné avoient cil signeur et compaignon,

qui le rivière par bacquès ce soir avoient passet, quant

il se trouvèrent en ces marès, sicom je vous ai dit,

et il veïrent que li Flamenc atendoient la nuit pour

30eux combatre, car au voir dire il ne se trouvoient

pas tant que il les osaissent envaïr, et avoient dit:

[22] «Quant il venront sur nous (il ne pueent savoir quel

nombre de gens nous somes), cascuns escrie, quant

il venra à l’asambler, l’ensengne de sen signeur

desouls qui il est, ja soi[t] ce cose que li sires ne soit

5mies chi. Et li cris que nous ferons et la vois que

nous entre eux esparderons, les esbahira tellement

que il s’en deveront desconfire, avoec che que nous les

requellerons aigrement as lanches et as espées.»

Dont il en avint enssi; car, quant il aprochièrent

10pour combatre, les François, chevaliers et escuiers,

commenchièrent à escriier haut pluiseurs cris et de

pluiseurs vois, et tant que li connestables de France

et cil de l’avant garde qui estoient encores à passer,

l’entendirent bien, et disent: «Nos gens sont en

15armes, Dieux leur vaille! nous ne leur poons aidier

hastéement.» Evous Piètre dou Bos tout devant et ces

Flamens venus, qui furent requelliet de ces longhes

glaves as fers trenchans et afillés de Bourdiaux, et

les mailles de leurs cotes ne leur duroient non plus

20que toille doublée en trois doubles, mais les passoient

tout oultre et les enfilloient parmi ventres, parmi

poitrines et parmi testes. Et quant cil Flamenc sentirent

ces fiers de Bourdiaux, dont il se veoient enpalés,

il reculloient, et li François pas à pas avant passoient

25et conqueroient terre sus eulx, car il n’en i

avoit nul si hardi qui ne resongnast les cops. Là fu

Piètres dou Bos auques des premiers navrés et enpallés

d’un fier de glave tout oultre l’espaulle et blechiés

ou chief, et euist esté mors sans remède, se [ne fust]

30ses gens à force, ceux que il avoit ordonné pour son

corps, jusques à trente fors gros varlès, qui le prissent

entre leurs bras et le portèrent hors de la presse.

[23] Li bourbe jus de la cauchie aval Commignes estoit

si grande que toutes gens i entroient jusques en mi la

jambe. Ces gens d’armes de France qui estoient uset

et fait d’armes, vous commencent à reculer ces Flamens

5et à batre sans deport et à ochire. Là crioit on:

«Sempi! Laval! Sansoire! Enghien! Antoing! [Vertaing!]

Sconnevort! Saumes! Haluin!» et tous cris

dont il i avoit là gens d’armes. Flamenc se commenchièrent

à esbahir et à desconfire, quant il veïrent que

10ces gens d’armes les asalloient et requeroient si

vaillaument et les poussoient de leurs glaves à ces

lons fiers de Bourdiaux, qui les empaloient tout oultre.

Si commenchièrent à reculer et à cheoir l’un sus l’autre,

et gens d’armes passoient oultre ou parmi eux ou

15autour, et se boutoient toudis ens es plus drus et ne

les espargnoient à ochire et à abatre non plus que

chiens, et à bonne cause, car, se li Flamenc fuissent

venu au dessus de eux, il euissent fait parellement.

§ 323. Quant cil Flamenc à Commines se veïrent

20enssi reculle[r] et asaillir vaillaument, et que ces gens

d’armes avoient conquis la cauchie et le pont, si eurent

avis que il bouteroient le feu en leur ville pour deus

raisons: li une si estoit pour faire reculer les François,

et li autre pour requellier leurs gens. Si fissent

25enssi comme il ordonnèrent, et boutèrent tantos le

feu en pluiseurs maisons qui furent en l’eure esprisses;

mais tout ce tant que d’esbahir leurs ennemis ne

leur vali noient, car François ossi aréement et vaillaument

comme en devant les poursieuoient et combatoient

30et ochioient à mont en le bourbe et ens es

maisons où il se retraioient. Adont se missent chil

[24] Flamenc as camps et se avisèrent de euls requellier

enssi qu’il fissent et mettre ensamble, et envoiièrent

des leurs pour esmouvoir le païs à [Wervi], à Popringhe,

à Berghes, à Roulers, à Miessines, à Warneston, à

5Menin et à toutes les villes là environ, pour rasambler

les gens et venir au pas à Commines. Chil qui fuioient

et cil qui ens es villages de environ Commines estoient,

sonnoient les clocques à herle et monstroient bien que

li païs avoit à faire. Si se esbahissoient li aucun, et li

10pluiseur entendoient à sauver le leur et à porter à

Ippre et à Courtrai. Là se retraioient femmes et

enfans, et laissoient leurs hostels et leurs maisons

toutes plaines de meuble[s], de bestes et de grains;

et li autre s’en venoient à effort tout le cours à

15Commines, pour aidier à recouvrer le pas où leurs

gens se combatoient. Entrues que ces ordenances se

portoient et que ces vaillans gens [se combatoient],

qui par bacquès le rivière dou Lis passé avoient, li

grosse route de l’avant garde dou connestable de

20Franche entendoient à passer oultre au pont, car li

connestables avoit abandonné à passer qui passer pooit.

Si i avoit grant presse, je vous di, pour passer devant,

car nuls n’ensongniioit ne empecoit le passage. Si

passèrent le pont de Commines à cel[e] ajournée li

25signeur en grant peril, car il metoient et couchoient

targes ou pavais sus les gistes dou pont et aloient

oultre, et cil, qui estoient oultre, se avisèrent de redefiier

le pont, car il trouvèrent toutes les ais devers eux.

Si les remissent et ragistèrent sus les gistes dou pont

30et sus les estacques; et avant tout ce, le nuit, on avoit

fait acariier deus carées de cloies, qui grandement

aidèrent à la besogne.

[25] Tant fu fait, ouvré et carpenté briefment que li

pons à Commines fu refais bons et fors; et passèrent

oultre à ce matin le mardi tout cil de l’avant garde,

et à fait que il venoient, il se logoient en la ville.

5Li contes de Flandres avoit entendu que cil de

l’avant garde se combatoient au pas à Commines. Si

envoia celle part sis mille hommes de piet pour aidier

leurs gens, mais, quant il vinrent, tout estoit achievet,

et li pons refais. Si les envoia li connestables au pas

10à Warneston, pour le pont refaire et pour passer che

mardi le charroi plus aissiement.

§ 324. Nouvelles vinrent che mardi au matin au roi

de France, qui estoit en l’abbeïe à Marquete, et à ses

oncles, que li pas de Commines estoit conquis et li

15avant garde oultre. De ces nouvelles furent li rois et

li signeur tout resjoï. Adont fu ordonné et dit que li

rois passeroit. Si oï messe et li signeur, et burent un

cop, et puis montèrent as chevaux, et prissent le

chemin de Commines. Chil de l’avant garde qui estoient

20à Commignes, delivrèrent la ville de ces Flamens, et

en i ot ochis, sus les rues que sus les camps, environ

quatre mille, sans ceulx qui furent mort en cache et

ens es moulins à vent et ens es moustiers où il se

requelloient, car sitos que chil Breton furent oultre,

25il montèrent as chevaulx et se missent en cace, pour

trouver ces Flamens et pour courir le païs qui estoit

lors cras et riches. Li sires de Reus, li sires de Laval,

li sires de Malatrait, li viscontes de le Berlière et li

sires de Combor et leurs gens chevauchièrent tout

30devant et s’en vinrent à Wervi qui est une grosse

ville. Si fu prise et arse, et ceulx qui dedens estoient,

[26] mort; là eurent li Breton grant pillage et grant pourfit.

Ossi eurent li autre qui s’espardirent sus le païs, car

il trouvoient les hostels tous plains de draps, de pennes,

d’or et d’argent, ne nuls sus le fiance des fors pas sus

5la rivière dou Lis n’avoient point vuidiet le leur, ne

menet ens es bonnes villes. Li pillart, Breton et Normant

et Bourgegnon, qui premierement entrèrent en

Flandres, le pas de Commines conquis, ne faisoient

compte de draps entiers, de pennes ne de tels jeuiaulx,

10fors que de l’or et de l’argent que il trouvoient, mais

cil qui vinrent depuis, ramonnèrent tout au net le

païs, ne riens n’i laissièrent, car tout leur venoit bien

à point.

§ 325. Vous savés que nouvelles sont tantos mout

15lonch seues. Che mardi au matin vinrent les nouvelles

devant Audenarde à Phelipp[e] d’Artevelle, qui là estoit

à siège, comment li François avoient passet à Commines

la rivière dou Lis, le lundi, par bacquès, et comment

il avoient conquis le pas, et avoient li Flamenc

20qui là estoient tant à Commines que sus le païs, perdu

sis mille hommes ou plus, et tenoit on que Piètres

dou Bos estoit mors. De ces nouvelles fu Philippes

d’Artevelle tous esbahis, et se consilla au signeur de

Harselles qui là estoit, quel cose il feroit. Li sire de

25Harselles li dist: «Phelippes, vous en irés à Gand et

asamblerés che que de gens porés avoir parmi raison,

la ville gardée, et les meterés hors, et retournerés chi,

et à toute [vo] poissance vous en irés vers Courtrai.

Quant li rois de France entendera que vous verrés

30efforciement contre lui, il s’avisera de venir trop avant sus

le pa[ï]s. Avoec tout ce nous deveriens temprement

[27] oïr nouvelles de nos gens qui sont en Engletière, et

poroit estre que li rois d’Engletière ou si oncle passeront

à tout poissance ou passent, et che nous venroit

grandement à point.»—«Je m’esmervelle, dist

5Phelippes, de ce que il sejournent tant, quant li Englès

sèvent bien que il aront entrée en che païs et il ne

viennent, et à quoi il pensent et nos gens ossi.

Nonobstant tout ce pour ce ne demor[r]a il mies que je

ne voise à Gand querre l’arière ban, et venrai combatre

10le roi de France et les François, comment que il se

prengne. Je sui enfourmés de piecha que li rois de

France a bien vint mille hommes d’armes: che sont

soissante mille testes armées. Je l’en meterai otant

ensamble en bataille devant lui. Se Dieux donne

15par sa grace que je le puise desconfire avoec le bon

droit que nous avons, je serai li plus honnerés sires

dou monde; et, se je sui desconfis, ossi grant fortune

avient bien à plus grant signeur que je ne soie.»

Enssi que Phelippes et li sires de Harselles se devissoient,

20evous autres gens qui venoient et qui avoient

esté à le bataille de Commignes, liquel poursieuirent

les parolles premières. Adont demanda Phelippes:

«Et Piètres dou Bos, quel cose est il devenus? Est il

ne mors ne pris?» Chil respondirent que nenil, mais

25il avoit esté mout fort navrés à la bataille, et estoit

retrais vers Bruges.

A cel cop monta Phelippes à cheval et fist monter

environ trente hommes des siens, et prist le chemin de

Gand, et encores issi il hors dou chemin, pour veoir

30aucuns hommes mors de la garnisson d’Audenarde,

qui estoient issu celle nuit pour escarmuchier l’ost:

si en i ot des ratains jusque à douse que chil de l’ost

[28] ochirent. Enssi que il arestoit là en eux regardant, il

jette ses ieux et voit un hiraut qui venoit le chemin de

Gand, liquels estoit au roi d’Engletière, et l’appelloit

on le roi d’Irlande et Camdos en son nom.

5De la venue le hiraut fu Phelippes tous resjoïs,

pour ce que il venoit d’Engletière, et li demanda en

dissant: «De nos gens savés vous nulles nouvelles?»—«Sire,

[oïl], dist li hiraus: il retournent cinc de vos

bourgois de Gand et uns chevaliers d’Engletière qui

10s’appelle messires Guillaume de Fierenton, liquel, par

l’acord dou roi, de ses oncles et de tous leurs consaulx

et dou generail païs d’Engletière, aportent unes lettres,

selonc che que je sui enfourmés et que li chevaliers et

eux me dissent à Douvres; et ces letres viennent à

15vous qui estes regars de Flandres et de tout le païs.

Et quant vous arés seellé ce que les lettres contiennent,

grans alliances qui i sont, et les bonnes villes de

Flandres ossi, et li chevaliers et vos gens seront

retourné en Engletière, vous serés grandement confortés

20dou roi et des Englois.»—«Et! dist Phelippes,

vous me contés trop de devises: che sera trop tart.

Alés, alés à nostres logeïs.» Adont le fist il mener as

logeïs devers le signeur de Harselles, pour lui recorder

des nouvelles; et il prist le chemin de Gand si fort

25pensieux, que on ne pooit de lui extraire riens ne nulle

parolle.

§ 326. Nous parlerons dou roi de France et recorderons

comment il persevera. Quant les nouvelles li

furent venues que li pas à Commignes estoit delivrés

30des Flamens et li pons refais, il se departi de l’abeïe

de Marquete où il estoit logiés, et chevaucha viers

[29] Commignes à grant route, et toutes gens en ordenance,

enssi comme il devoient aler. Si vint li rois che

mardi à Commines, et se loga en la ville et si oncle,

comme li bataille et li avant garde s’estoient deslogiet

5et allé oultre sus le mont d’Ippre et là logiet. Le

merquedi au matin, li rois vint logier sus le mont

d’Ippre, et là s’aresta, et toutes gens passoient et

charroi tant à Commines comme à Warneston, car il

i avoit grant peuple et grant frais de chevaulx. Che

10merquedi passa li arière garde dou roi le pont à Commines,

où il avoit deus mille hommes d’armes et

deus chens arbalestriers, desquels li contes d’Eu,

li contes de Blois, li contes de Saint Pol, li contes

de Harcourt, li sires de Castillon et li sires de Fère

15estoient gouvreneur et meneur. Et se logièrent chil

signeur et leurs gens ce merquedi à Commines et là

environ. Quant che vint de nuit que li signeur quidièrent

reposer, qui estoient travilliet, on cria à l’arme,

et quidièrent pour certain li signeur et leurs gens

20avoir la bataille et que Flamenc de le castellerie d’Ippre,

de Casel et de Berghes fussent requeillet et les venissent

la combatre. Adont s’armèrent li signeur et missent

leurs bachinès et boutèrent leurs banières et leurs

pennons hors de leurs hostels, et alumèrent falos et se

25traïssent tout sus les quarières, cascuns sires desoulx

sa banière; et, ensi comme il venoient, il s’ordonnoient,

et se metoient leurs gens desoulx leurs

banières, enssi que il devoient estre et aler. Là furent

en celle paine et en l’ordure et ou bruec priesque

30toute la nuit jusque en mi la jambe. Or regardés se li

signeur l’avoient d’avantage, li contes de Blois et li

autre, qui n’avoient pas apris à souffrir celle froidure

[30] et celle malaise à telles nuis comme ou mois devant le

Noël, qui sont si longes; mais souffrir pour leur honneur

leur convenoit, car il quidoient estre combatu. Et

tout ne fu riens, car chils haros estoit montés par

5varlès qui s’estoient entreprins ensamble. Toutesfois

li signeur en eurent celle paine et le portèrent au plus

bel qu’il peurent.

§ 327. Quant che vint le joeudi au matin, li arière

garde se desloga de Commines, et chevauchièrent

10ordonnéement et en bon arroi devers leurs gens,

liquel estoient tout logiet et aresté sus le mont d’Ippre,

li avant garde, li bataille dou roi et tout; et là eurent

li signeur conseil quel cose asavoir est que il feroient,

ou se il iroient devant Ippre, ou devant Courtrai, ou

15devant Bruges. Et, entrues que il se tenoient là, li

fourageur françois couroient le païs où il trouvoient

tant de biens, de bestes et de toutes autres pourveances

pour vivre que mervelles est à considerer,

ne depuis que il furent oultre le pas à Commines, il

20n’eurent fautes de nuls vivres. Chil de la ville d’Ippre,

qui sentoient le roi dallés eux et toute sa poissance,

et les pas conquis, n’estoient mies bien asseur, et

regardèrent entre eulx comment il se maintenroient.

Si missent ensamble le consel de la ville. Li homme

25notable et riche, qui tousjours avoient esté de la plus

saine partie, se il eussent osset monstrer, voloient que

on envoiast devers le roi pour criier merchi et que on

li envoiast les clefs de la ville. Li cappitaine, qui

estoit de Gand et là establis de par Phelippe d’Artevelle,

30ne voloit nullement que on se rendesist, et dissoit:

«Nostre ville est forte assés, et, si sommes

[31] bien pourveu: nous atenderons le siège, se asegier on

nous voelt. Entrues fera Phelippes, nos regars, son

amas, et venra combatre le roi à grant poissance de

gens, ne creés ja le contraire, et levera le siège.»

5Li autre respondoient, qui point n’estoient aseuret

de ceste aventure, et dissoient que il n’estoit pas en

le poissance de Phelippe ne de tout le païs, de desconfire

le roi de France, se il n’avoit les Englès avoec

lui, dont il n’estoit nuls apparans, et que briefment

10pour le milleur bon estoit que on se rendesist au roi

de France, et non à autrui. Tant montèrent parolles

que rihote s’esmut, et furent li signeur maistre et li

cappitaine ochis, qui s’appelloit Piètres Wanselare.

Quant li Ippriien eurent fait che fait, il prissent deus

15Frères Preeceurs, et les envoiièrent devers le roi et ses

oncles sus le mont d’Ippre, et remonstrèrent que

li rois vosist entendre as tretiés amiables à ceux

d’Ippre. Li rois fu consilliés que il leur donnoit

jusques à douse et un abbet qui se boutoit en ces

20tretiés, qui estoit d’Ippre, sauf alant et sauf venant,

pour savoir quel cose il voloient dire. Les Frères

Meneurs retournés à Ippre, li douse bourgois, qui

furent esleu par conseil de toute la ville et li abbes en

leur compaignie, vinrent sus le mont d’Ippre et

25s’engenoullèrent devant le roi et representèrent la ville

d’Ippre au roi à estre en son obeïssance à tousjours,

mais sans nul moien ne reservacion. Li rois de France,

parmi le bon conseil qu’il ot, comme cils qui contendoit

[à] aquerir tout le païs par douceur ou par austereté,

30ne volt mies là commenchier à monstrer son

mautalent, mais les rechut doucement parmi un moiien

que il i eut, que cil de Ippre paieroient au roi quarante

[32] mille frans, pour aidier à paiier une partie des

menus frais que il avoit fait à venir jusques à là.

A ce tretié ne furent onques chil de Ippre rebelle,

mais furent tout joiant, quant il i peurent venir, et

5l’acordèrent liement.

Enssi furent pris à merchi chil de Ippre, et prièrent

au roi et à ses oncles que il leur pleust à venir rafresquir

en le ville d’Ippre, et que les bonnes gens en

aroient grant joie. On leur acorda que voirement li

10rois iroit et prenderoit son chemin par là, pour aler et

entrer en Flandres, auquel lés que il li plairoit. Sus cel

estat retournèrent li Ippriien en leur ville et furent

tout cil dou corps de la ville mout resjoï, quant il

seurent que il estoient receu à paix et à merchi au

15roi de France. Si furent tantos par taille li quarante

mille frans quelliet et paiiet au roi ou à ses commis,

ainchois que il entrast en Ippre.

§ 328. Encores se tenoit li rois de France sus le

mont d’Ippre, quant nouvelles li vinrent des Parisiiens

20que il s’estoient revelé en Paris et avoient eu conseil

entre eux, sicom on disoit, là et lors, que pour aler

abatre le biau castiel de Biauté, qui sciet au bos de

Vincennes, et ossi le castiel dou Louvre et toutes les

fortes maisons de environ Paris, afin que jamais il

25n’en peussent estre grevé, quant uns de leur route,

qui quidoit trop bien dire, mais il parla trop mal

sicom il apparut pour lui depuis, [dist]: «Biau signeur,

astenés vous de ce faire tant que nous verons comment

li afaires dou roi, nostre signeur, se portera en

30Flandres. Se chil de Gand viennent à leur entente,

enssi que on espoire bien que il i venront, adont sera

[33] il heure dou faire et tamps assés; ne comme[n]çons pas

cose dont nous nos puissons repentir.» Che fu Nicolas

li Flamens qui dist ceste parolle, et par lequelle li

afaires se cessa des Parisiiens à faire cel outrage; mais

5il se tenoient en Paris pourveu de toutes armeures

ossi bonnes et ossi rices comme che fuissent bien

grant signeur, et se trouvoient armet de piet en cappe,

comme droites gens d’armes, plus de vint mille et

bien trente mille maillès, et faissoient ouvrer li Parisiien

10nuit et jour les hiaumiers, et acatoient les harnas

de toutes pièces tout ce que on leur voloit vendre.

Or regardés la grant deablie que ce euist esté, se

li rois de France euist esté desconfis en Flandres et

la noble chevalerie qui estoit avoecques lui en che

15voiage. On puet bien croire et imaginer que toute

gentillèce et noblèce euist esté morte et perdue en

France et tant bien ens es autres païs; ne li Jaquerie

ne fu onques si grande ne si orible que elle euist esté,

car parellement à Rains, à Caalons en Campaigne et

20sus la rivière de Marne, li villain se reveloient et manechoient

ja les gentils [hommes] et dames et leurs enfans

qui estoient demoret derière; otretant bien à Orliiens,

em Blois, à Roem, en Normendie et en Biauvesis. Et

leur estoit li diables entrés en la teste pour tout

25ochire, se Dieux proprement n’i euist pourveu de

remède, enssi que vous orés recorder ensieuant en

l’istoire.

§ 329. Quant chil de la castelerie de Cassel, de

Berghes, de Bourbourc, de Gravelines, de Furnes, de

30Dunquerque, de Popringhe, de Tourout, de Bailluel et

de Miesines eurent entendu que cil de la ville d’Ippre

[34] estoient tourné françois et avoient rendu leur ville et

mis en l’obeïssanche dou roi de France, qui bellement

les avoit pris à merchi, si furent tout effraé et reconforté

ossi, quant il eurent bien imaginet leurs besongnes,

5car toutes ces villes, casteleriies, baillieutés

et mairiies prisent leurs cappitaines, et les loiièrent

bien et fort que il ne leur escapassent, lesquels Phelippes

d’Artevelle avoit mis et semés ou païs, et les

amenèrent, pour complaire au roi et lui apaisier

10envers eux, sur le mont d’Ippre, et li dissent, criant

merchi et en genoulx: «Nobles rois, nous nous

metons nos corps, nos biens et les villes où nous

demorons, en vostre obeïssance; et, pour monstrer

plus à plain le service et reconnoistre que vous

15estes nostres sires droituriers, veschi les cappitaines

lesquels Phelippes d’Artevelle nous a bailliés,

depuis que par force, et non autrement, il nous fist

obeïr à lui; si en poés faire vostre plaisir, car il nous

ont menet et gouvrenet à leur entente.» Li rois de

20France fu consilliés de prendre toutes ces gens des

signouries dessus dites à merchi parmi un moiien que

il i ot, c’est assavoir que ces casteleries et les tères et

villes dessus nommées paieroient au roi pour ses

menus frais soissante mille frans; et encore estoient

25reservé toute vivre, bestaille et autres coses que on

trouveroit sus les camps, mais on les aseuroit de non

estre ars ne pris. Tout ce leur souffi grandement, et

remerchiièrent le roi et sen conseil, et furent mout

liet, quant il veïrent que il pooient enssi escapper.

30Mais tout li cappitaine de Phelippe, qui furent là amenet,

passèrent parmi estre decollé sus le mont d’Ippre.

De toutes ces coses, ces traitiés et ces apaisemens

[35] on ne parloit en riens au conte de Flandres, ne il

n’estoit noient appellés au conseil dou roi, ne nul

homme de sa court. Se il en anoioit, je n’en puis

mais, car tout le voiage il n’en ot autre cose; ne proprement

5ses gens, ne chil de sa route ne de sa bataille

ne s’osoient desrengier ne desrouter de la bataille sus

elle où il estoient mis par l’ordenance des maistres

des arbalestriers, pour tant que il estoient flamenc,

car il estoit ordonné et commandé de par le roi, et

10sur le vie, que nuls en l’ost ne parlast flamenc ne portast

baston à virolle.

§ 330. Quant li rois de France et toute li hoos, avant

garde et arrière garde, eurent logiet à leur plaisir sus

le mont d’Ippre, et que on i ot tenu pluiseurs marchiés

15et vendu grant plenté de butin à ceulx de Lille,

de Douai, d’Artois, de Tournai et à tous ceulx qui

acater les voloient, et donnoient un dr[a]p de Wervi,

de Miessines, de Popringhe et de Commignes pour

un franc (on estoit là revesti à trop boin marquiet, et

20li aucun Breton et autres pillars, qui voloient plus

gaagnier, s’acompaignoient ensamble et cargoient sur

cars et sur chevaulx leurs dras bien enballés, nappes,

toilles, quieutis, or, argent en plate et en vaisselle, se

il le trouvoient, et puis l’envoioient en sauf lieu oultre

25le Lis ou par leurs varlès en France), adont vint li

rois à Ippre et tout li signeur, et se logièrent en la

ville, chil qui logier s’i peurent. Si se rafresquirent

quatre ou cinc jours.

Chil de Bruges estoient bien enfourmet dou convenant

30dou roi, comment il estoit à sejour à Ippre, et que

tous li païs en derière lui jusques à Gravelines se rendoit

[36] et estoit rendus à lui. Si ne savoient que faire,

d’envoiier traitier devers le roi ou du laiier; toutesfois,

tant que pour ce terme, il le laiièrent, et la cose

princhipaux qui plus les enclina à ce faire de eulx

5nom rendre, che fu que il i avoit grant fuisson de

gens d’armes de leur ville, bien set mille, avoec Phelippe

au siège d’Audenarde; et ossi en la ville de

Gand estoient en ostage des plus notables de Bruges

plus de cinc chens, lesquels Phelippes d’Artevelle i

10avoit envoiés, quant il prist Bruges, à celle fin que il

en fust mieux sires et maistres.

Oultre, Piètres dou Bos et Piètre le Witre estoient

là, qui les reconfortoient et leur remonstroient en dissant:

«Biau signeur, ne vous esbahissiés noient, se

15li rois de France [est] venus jusques à Ippre. Vous

savés comment anchienement toute la poissance de

France, envoiie dou biau roi Phelippe, vint jusques à

Courtrai, et de nos ancisseurs il furent là tout mort et

desconfi. Parellement sachiés ossi que il seront desconfit,

20car Phelippes d’Artevelle atout grant poissance

ne laira nullement que il ne voist combatre le roi et sa

poissance; et il puet trop bien estre, sus le bon droit

que nous avons et la fortune qui est bonne pour ceux

de Gand, que Phelippes desconfira le roi et ja piés

25n’en repassera la rivière, et sera sus heure tous chils

païs conquis raquis, et ensi vous demor[r]és comme

bon et loial gent en vostre tenure et en la grace de

Phelippe et de nos gens de Gand.

§ 331. Ches parolles et autres samblables, que

30Piètres dou Bos et Pètres le Witre remonstrèrent

pour ces jours à ceulx de Bruges, rafrenèrent grandement

[37] les Brugiiens de non traitier devers le roi de

France. Entrues que ces coses se demenoient ensi,

arivèrent à Calais li bourgois de Gand et messires

Guillaumes de Fierinton, englois, liquel estoient

5envoiiet de par le roi d’Engletière et tout le païs

dechà le mer, pour remonstrer au païs de Flandres

et seeller les aliances et convenences que li rois

d’Engletière et li Englois voloient avoir as Flamens.

Si leur vint ces nouvelles de messire Jehan d’Ewrues,

10cappitaine de Callais, qui leur dist: «Tant que pour

le present, vous ne poés passer, car li rois de France

est à Ippre, et tout li païs de chi [jusques] à là est

tournés à lui. Temprement nous arons autres nouvelles,

car on dist que Phelippes met ensamble son pooir, pour

15venir combatre le roi, et là vera on qui en ara le milleur.

Se li Flamenc sont desconfit, vous n’avés que faire en

Flandres; se li rois de France piert, tout est nostre.»—«C’est

verités,» che respondi li chevaliers englès.

Enssi se demorèrent à Calais li bourgois de Gand

20et messires Guillaume de Fierinton. Or parlerons de

Phelippe d’Artevelle, comment il persevera.

Voirement estoit il en grant volenté de combatre

le roi de France, et bien le monstra, car il s’en vint

à Gand, et ordonna que tout homme portant armes,

25dont il se pooit aidier, la ville gardée, le sieuissent.

Tout obeïrent, car il leur donnoit à entendre que,

par la grace de Dieu, il desconfiroient les François, et

seroient signeur chil de Gand et souverain de toutes

autres nacions. Environ dis mille hommes pour l’arière

30ban e[n]mena Phelippes avoecques lui, et s’en vint

devant Courtrai; et ja avoit il envoiet à Bruges, au

Dam, à Ardembourc et à l’Escluse, et tout sus la

[38] marine et ens es Quatre Mestiers et en la castelerie de

Granmont, de Tenremonde et d’Alos; et leva bien de

ces gens là environ trente mille. Et se loga une nuit

devant Audenarde, et à l’endemain il s’en parti et

5s’en vint vers Courtrai, et avoit en sa compaignie

environ cinquante mille hommes.

§ 332. Nouvelles vinrent au roi de France et as

signeurs de France, que Phelippes d’Artevelle aprochoit

durement, et dissoit on que il amenoit en sa

10compaignie bien soissante mille hommes. Adont se

departi li avant garde d’Ippre, li connestables de

France et li mareschal, et s’en vinrent logier à lieue

et demie grande hors de Ippre, entre Roulers et

Rosebecque; et puis à l’endemain, li rois et tout li

15signeur s’en vinrent là logier, avant garde et arrière

garde et tout. Si vous di que sus les camps li signeur

pour ce tamps i eurent mout de paine, car il estoit

au cuer d’ivier à l’entrée de decembre, et plouvoit

toudis; et se dormoient li signeur toutes les nuis et

20tous armés sus les camps, car tous les jours et toutes

les heures il atendoient la bataille. Et disoit on

communement en l’ost: «Il venront demain;» et che

savoit on par les fourageurs, qui couroient as fourages

sus le païs, qui raportoient ces nouvelles. Si

25estoit li rois logiés tout en milieu de ses gens, et de

ce que Phelippes d’Artevelle et li Flamenc detrioient

tant, estoient li signeur de France tout courouchiet,

car, pour le dur tamps que il faissoit, il vosissent bien

estre plus tos delivré et combatu. Vous devés savoir

30que avoec le roi de France estoit toute fleur de vaillance

et de chevalerie. Si estoient Phelippes et li Flamenc

[39] mout outrequidiet, quant il s’ahatissoient dou

combatre, car, se il se fuissent tenu en leur siège

devant Audenarde et aucunement fortefiiet, avoec ce

que il faissoit plouvieux et fresc et bruecqueus en

5Flandres, on ne les fust là jamais alé querre; et, se

on les i euist quis, on ne les peuist avoir eus pour

combatre, fors à trop grant meschief et peril. Mais

Phelippes se glorefioit si en la belle fortune et victore

que il ot devant Bruges, que il li sambloit bien

10que nuls ne li poroit fourfaire, et esperoit bien à

estre sires de tout le monde. Autre imaginacion

n’avoit il, ne riens il ne doubtoit le roi de France ne

sa poissance, car, se il l’euist doubté, il n’euist pas

fait ce qu’il fist, sicom vous orés recorder ensieuant.

15§ 333. Che merquedi au soir, dont la bataille fu à

l’endemain, s’en vint Phelippes d’Artevelle et sa poissance

logier en une place asés forte, entre un fosset

et un bosquetel et fortes haies, que on ne pooit venir

aisse tant c’à eulx, et fu entre le Mont d’Or et la

20ville de Rosebecque, où li rois estoit logiés. Che soir,

Phelippes donna à soupper en son logeïs toutes les

cappitaines, grandement et larghement, car il avoit

bien de quoi: fuisson de pourveances les sieuoient.

Quant che vint après soupper, il les mist en parolle

25et leur dist: «Biau signeur, vous estes en che parti

et en ceste ordonnance d’armes mi compaignon. J’espoire

bien que demain nous arons besongne, car li

rois de France, qui a grant desir de nous trouver et

combatre, est logiés à Rosebecque. Si vous pri que

30vous tenés tout vostre loiauté, et ne vous esbahissiés

de cose que vous veés, c’est sour nostre bon droit

[40] que nous nos combaterons, pour garder les juridicions

de Flandres et nous tenir en droit. Amonnestés vos

gens de bien faire, et les ordonnés sagement et tellement

que on die que, par nostre bon arroi et ordonnance,

5nous arons eu la victoire; et la journée pour

nous eue demain, à la grace de Dieu, nous ne trouverons

jamais signeur qui nous combate ne qui se

osse mettre contre nous as camps; et nous sera li

honneurs cent fois plus grande que ce que nous euissons

10le confort des Englès, car, se il estoient en

nostre compaignie, il en aroient la renommée, et non

nous. Avoec le roi de France est toute la fleur de son

roiaulme, ne il n’a nullui laissiet derière; et dites à

vos gens que on tue tout, sans nullui prendre à merchi.

15Par enssi demor[r]ons nous en paix, car je voel et

commande sus la teste, que nuls ne prende prisonnier,

se ce n’est le roi. Mais le roi voel je deporter, car

c’est uns enffes; on li doit pardonner, il ne scet que

il fait, il va ainsi que on le maine: nous l’enmenrons

20à Gand aprendre flamenc; mais dus, contes et tous

autres hommes d’armes, ochiiés tout. Les communautés

de France ne nous en saront ja pieur gret, car il

voroient, de che sui je tous fils, que jamais piés

n’en retournast en France, et ossi ne fera il.»

25Ces cappitaines, qui estoient là à colacion, après

soupper, avoecques Philippe en son logeïs, de pluiseurs

villes de Flandres et dou Franc de Bruges,

s’acordoient tout à ceste oppinion et le tinrent à

bonne, et respondirent à Phelippe, et li dissent:

30«Sire, vous dites bien, et enssi sera fait.» Lors

prissent il congiet à Phelippe, et retournèrent cascuns

en son logeïs entre leurs gens, et leur recordèrent

[41] et les endittèrent de tout che que vous avés oï.

Enssi se passa la nuis en l’ost Phelippe d’Artevelle;

mais, environ mienuit, sicom je fui adont enfourmés,

il avint en leur ost une mervilleuse cose, ne je n’ai

5point oï recorder la parelle.

§ 334. Quant chil Flamenc furent aserissiet, et que

cascuns se tenoit en son logeïs (et toutesfois il faissoient

bon gait, car il sentoient leurs ennemis à mains

d’une lieue d’eux), il me fu dit que Phelippes d’Artevelle

10avoit à amie une damoiselle de Gand, laquelle

en che voiage estoit venue avoecques lui. Et entrues

que Phelippes dormoit sus une queute pointe, dalés le

feu de carbon, en son pavillon, ceste femme, environ

heure de mienuit, issi hors dou pavillon, pour veoir le

15chiel et le tamps et quelle heure il estoit, car elle ne

pooit dormir. Si regarda au lés devers Rosebecque,

et voit en pluiseurs lieux en l’air dou chiel fumières

et estincelles de feu voller; et che estoit des feux que

li François faissoient desouls haies et desoulx buissons,

20ensi comme il estoient logiet. Celle femme

escoute et entent, che li fu vis, grant friente et grant

noisse entre leur ost et l’ost des François, et criier

Monjoie et plusieurs autres cris; et li sambloit que ce

estoit sus le Mont d’Or entre eux et Rosebecque. De

25celle cose elle fu toute eshidée, et se retraïst ens ou

pavillon Phelippe, et l’esvilla soudainement et li dist:

«Sire, levés vous tos et vous armés, car je ai oï trop

grant noise sus le Mont d’Or, et croi que che sont li

François qui vous viègnent asallir.» Phelippes, à ces

30parolles, se leva mout tos et afubla une gonne, et

prist une hache, et issi hors de son pavillon, pour

[42] veoir et mettre en voir che que la damoiselle dissoit.

En telle manière, comme elle l’avoit oï, Phelippes

l’oï, et lui sambloit que il i euist un grant tournoiement.

Tantos il se retraïst en son pavillon, et fist faire

5friente et sonner sa trompète de resvellement. Sitos

que li sons de le trompète Phelippe s’espandi ens es

logeïs, on le recongneut; tout se levèrent et armèrent.

Chil dou gait, qui estoient au devant de l’ost, envoiioient

de leurs compaignons devers Phelippe, pour savoir quel

10cose il leur falloit, quant il s’armoient; il trouvèrent,

chil qui envoiiet i furent, et raportèrent que Phelippes

les avoit mout blastengiet de ce que il avoient oï

noisse et friente devers les ennemis et si s’estoient

tenu tout quoi: «Ha! ce dissent cil, alés; [si] dites à

15Phelippe que voirement avons nous bien oï noise sus

le Mont d’Or, et avons envoiiet à savoir que ce pooit

estre, mais chil qui i sont alé ont raporté que ce n’est

riens et que nulle cose il n’ont veu; et pour che que

nous ne veïsmes de certain nul apparant d’esmouvement,

20ne voliens pas resvillier l’ost, que nous n’en

fuissiens blasmés.» Ces parolles de par ceulx dou

gait furent raportées à Phelippe. Il se apaisa sur ce,

mais en corage il s’esmervilla grandement que che

pooit estre. Or dient li aucun que che estoient li diable

25d’infier, qui là jeuoient et tournioient où la bataille

devoit estre, pour la grant proie que il atendoient.

§ 335. Onques depuis che resvellement de l’ost,

Phelippes ne li Flamenc ne furent aseuret, et se doubtèrent

toudis que il ne fuissent trahi et souspris. Si

30s’armèrent bien et bel de tout che que il avoient, par

grant loisir, et fissent grans feux en leurs logis et se

[43] desjunèrent tout à leur aise, car il avoient vins et

viandes assés. Environ une heure devant le jour, dist

Phelippes: «Che seroit bon que nous nos traïssisons

tout sus les camps et que nous ordenissièmes nos

5gens, par quoi sus le jour, se li François viennent pour

nous assaillir, nous ne soions pas desgarni, mais pourveu

d’ordonnance et avissé que nous deverons faire.»

Tout s’acordèrent à sa parolle, et se departirent de

leurs logis, et s’en vinrent en une bruière au dehors

10d’un bosquetel, et avoient au devant d’eux un fosset

largue assés et nouvellement relevet, et par derrière

eux grant fuisson de ronsis, de genestres et de menut

bois. Et là en che fort lieu s’ordonnèrent et se missent

tout en une grosse bataille, drue et espesse; et se trouvoient

15par rappors de connestables environ cinquante

mille tout à elecion, li plus fort, li plus appert et li

plus outrageux et qui le mains acontoient à leurs vies, de

Flandres, et avoient environ soissante archiers englès,

qui s’estoient emblé de leurs gages de Calais, pour

20venir prendre grigneur pourfit à Phelippe, et avoient

laissiet en leur logis che de harnas que il avoient,

malles, lis et toutes autres ordonnances, hors mis

leurs armeures, chevaux, charroi et sommiers, femmes

et varlès. Mais Phelippes d’Artevelle avoit son page

25monté sus un biau coursier dalés lui, qui valoit encores

pour un signeur cinc chens florins, et ne le faissoit pas

venir avoecques lui pour cose que il se vosist embler

ne defuir des autres, fors que pour estat et par grandeur

et pour monter sus, se cache sus les François se

30faissoit, pour commander et dire à ses gens: «Tués

tout! tués tout!» En celle instance le faissoit Phelippes

aler dallés lui.

[44] De la ville de Gand avoit Phelippes en sa compaignie

environ noef mille hommes tous armés, lesquels

il tenoit d’encoste lui, car il i avoit grigneur fiance

que il n’euist ens es autres; et se tenoient chil de Gand

5et Phelippes et leurs banières tout devant, et cil de

le castelerie d’Alos et de Grammont; après, chil de la

castelerie de Courtrai, et puis, cil de Bruges, dou

Dam et de l’Escluse, et cil dou Franc de Bruges. Et

estoient armés la grignour partie de maillès, de

10huvettes, de capiaux de fier, d’auquetons et de gans

de balaine, et portoit cascuns un planchon à picot de

fier et à virolle, et avoient par villes et par casteleries

parures senlables pour recongnoistre l’un l’autre; une

compaignie, cotes faissies de gaune et de bleu; li autres,

15à une bende de noir sus une cote rouge; li autres,

cheveronnet de blanc sus une cote bleue; li autres,

paletet de vert et de bleu; li autres, ondet de blanc

et de rouge; li autres, nuet de vert et de gaune; li

autres, losengiet de bleu et de rouge; li autres, une

20faisse esquiequetée de blanc et de noir; li autres,

esquartelet de blanc et de rouge; li autres, tout b[l]eu

à un quartier rouge; li autres, coppet de rouge desus

et de blanc desous. Et avoient cascune banières de

leurs mestiers et grandes coutilles à leurs costés parmi

25leurs chaintures, et se taissoient en cel estat tout

quoi, atendant le jour qui vint tantos.

Or vous dirai de l’ordenanche des François, otant

bien comme jou ai recordé des Flamens.

§ 336. Bien savoient li rois de France et li signeur

30qui dalés lui estoient et qui sus les camps se tenoient,

que li Flamenc aprochoient et que che ne se pooit

[45] passer que bataille n’i eust, car nuls ne traitoit de la

paix, et toutes les parties en avoient grant devocion.

Si fu nonchié et criié le merquedi au matin parmi la

ville d’Ippre que toutes manières de gens d’armes se

5traïssissent sour les camps dalés le roi et se mesissent

en l’ordenance, enssi comme il savoient que il

devoient aller et estre. Tout obeïrent à che ban fait

de par le roi, le connestable et les mareschaus, che

fu raisons, et ne demora nuls hommes d’armes ne

10gros vallès en Ippre, que tout ne venissent sus les

camps, fors varlès qui gardoient les chevaux et

que il avoient ramenés en Ippre, quant leur maistre

estoient descendu. Mais toutesfois chil de l’avant garde

en avoient grant fuisson avoec eux, pour les aventures

15de cachier et pour descouvrir les batailles: à ceux là

besongnoit il plus que as autres. Enssi se tinrent li

François che merquedi sus les camps, assés priès de

Rosebecque, et entendoient li signeur à leurs besongnes

et à leurs ordonnances.

20Quant che vint au soir, li rois donna à souper ses

trois oncles, le connestable de France, le signeur de

Couchi et aucuns autres grans signeurs estraingniers

de Braibant, de Hainnau, de Hollandes [et de Zellandes],

d’Alemaigne et de Savoie, qui l’estoient venu servir; et

25les remerch[i]a grandement (ossi fissent si oncle) dou

bon service que il li faissoient et monstroient à faire. Et

fist che soir le gait pour le bataille dou roi li contes de

Flandres, et avoit en sa route bien sis cens lanches et

douse cens hommes d’autres gens. Che merquedi au

30soir, apriès ce soupper que je vous di et que tout li

signeur que li rois avoit donné à soupper, furent

retrait, li connestables de France demora, et darrainement

[46] au prendre congiet, pour parler au roi et à ses

oncles de leurs besongnes. Ordonné estoit dou conseil

dou roi che que je vous dirai: que li connestables,

messires Oliviers de Cliçon, se desmeteroit pour l’endemain,

5le joedi, car on esperoit bien que on aroit

bataille, de l’office de la connestablie, et le seroit pour

che jour seullement li sires de Couchi en son lieu, et ils

demor[r]oit dalés le roi. Et avint que, quant li connestables

prist congiet au roi, li rois li dist moult doucement,

10sicom il estoit endités dou dire: «Connestables,

nous volons que vous nous rendés vostre office

pour le jour de demain, car nous i avons autrui

ordonné, et volons que vous demorés dalés nous.»

De ces parolles qui furent toutes nouvelles au connestable,

15fu il grandement esmervilliés; si respondi et

dist: «Très chiers sires, je sai bien que je ne puis

avoir plus haute honneur que de aidier à garder vostre

personne, mès, chiers sires, il venroit à grant contraire

et desplaissance mes compaignons et ceulx de

20l’avant garde, se il ne m’avoient en leur compaignie,

et plus i poriiés perdre que gaagnier. Je ne di mies

que je soie si vaillans que par moi se puist achiever

ceste besongne, mais je di, chiers sires, salve le corection

de vostre noble conseil, que, depuis quinse jours

25en chà, je n’ai à autre cose entendu fors à parfurnir, à

l’onneur de vous et de vos gens, mon office, et ai

enditté les uns et les autres comment il se deveront

maintenir; et, se demain que nous nos combaterons

par la grace de Dieu, il ne me voient et je les defaloie

30d’ordenance et de conseil, qui sui usés et fais en

tels coses, il en seroient esbahi, et en recheveroie

blasme, et poroient dire li aucun que je me seroie

[47] disimulés et que couvertement je aroie tout ce fait et

avisset, pour fuir les premiers horions. Si vous pri,

très chiers sires, que vous ne voelliés noient brisier

ce qui est fait et aresté pour le milleur, et je vous di

5que vous i arés pourfit.»

Li rois ne sceut que dire sus ceste parolle: ossi ne

fissent chil qui dalés li estoient et qui entendu l’avoient,

fors tant que li rois dist mout sagement: «Connestables,

je ne di pas que on vous ait en riens desveu

10que en tous cas vous ne vous soiiés grandement

acquités, et ferés encores, c’est nostre entente; mais

monsigneur mon père vous amoit sur tous autres et

se confioit en vous, et, pour l’amour que il i avoit et

la grant confidensse, je vous voloie avoir dalés moi à

15ce besoing et en ma compaignie.»—«Très chiers

sires, dist li connestables, vous estes si bien acompaigniés

et de si vaillans gens, et tout a estet fait par si

grant deliberacion de conseil, que on n’i poroit riens

amender, et che vous doit bien et à vostre noble conseil

20souffire. Si vous prie pour Dieu, laissiés moi

convenir en mon office, et vous arés demain, par la

grace de Dieu, en vo jovene avenement, si belle journée

et aventure que tout vostre ami en seront resjoï et

vostre ennemi courouchiet.»

25A ces parolles ne respondi riens li rois, fors tant que

il dist: «Connestables, et je le voel; et faites, ou nom

de Dieu et de saint Denis, vostre office, je ne vous en

quier plus à parler, car vous i veés plus cler que je ne

face, ne tout cil qui ont mis avant ces parolles; soiés

30demain à ma messe.»—«Sire, dist li connestables,

volentiers.» Atant prist il congiet dou roi, qui li donna

liement. Si s’en retourna en son logis, avoecq ses gens.

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