En Alsace
CHAPITRE VI
“L'ALSACE À TABLE”
L'Alsace à table : c'est le titre d'un volume délicieux où avec une érudition minutieuse, souriante et de bonne compagnie, M. Charles Gérard, Alsacien d'adoption, a évoqué les splendeurs gastronomiques de sa petite patrie. C'est celui d'un chapitre nécessaire dans toute esquisse de l'Alsace.
Il est, le croirait-on, des grinchus qui ont contesté au pays de Kobus le mérite de la bonne chère.
Un funeste médecin de la fin du XVIIe siècle nommé Maugue osait s'exprimer comme il suit sur la cuisine alsacienne :
“Outre que les aliments participent du climat où ils croissent, ils sont par eux-mêmes grossiers et visqueux ; ces aliments consistent en épinards, en raves, en navets tant crus que cuits, en fèves, en pois, en chneits (Schnitzen), en riz, en orge mondée et en choux de toute espèce… Les Alsaciens ne sont pas friands de bonne chère ; leurs viandes sont mal apprêtées ; leurs ragoûts sans délicatesse, leur rôti sec ; ils mangent peu de viande ; ils font une soupe d'une ou deux livres de bœuf qui se promène quelque temps dans un baquet d'eau bouillante ; les herbes n'y cuisent pas ; on se contente de les mettre sur le pain coupé lorsqu'on y verse le bouillon ; s'ils mangent peu de bonne viande, ils en mangent beaucoup de mauvaise… Ils aiment le rôti fort sec, et il est ordinairement à demi froid quand on le sert parce que l'usage est de le porter dans le vestibule pendant qu'on mange les salades qui sont les premières servies et seules… Que peut produire un genre de vie tel que celui des Alsaciens, qu'un sang grossier, épaissi, froid et mal travaillé?”
On ne saurait trop protester contre de telles assertions. Sans doute — et cela est tout à son honneur — l'Alsacien sait être frugal. Il n'y a pas longtemps encore que dans telle région montagneuse, la population ne vivait que de petit lait, de fromage, de pommes de terre cuites à l'eau, de pain dur, avec à peine de temps en temps un morceau de lard.
Dans le Kochersberg, la simplicité des mœurs nous était ainsi décrite il y a peu d'années :
“A onze heures la cloche du village annonce le dîner. A moins que les travaux de la moisson ou de quelque autre récolte importante ne retiennent les gens dehors, tout le monde, grands et petits, se rassemble autour de la table qui est de chêne ou d'érable et y prend place selon son rang et son âge. Le haut de la table est occupé par le fermier, le père de famille. A sa droite est placé le grand'père, à sa gauche le fils aîné ; après l'aïeul viennent la grand'mère, la femme, les filles, la première servante, la seconde et la gardeuse d'enfants ; après le fils aîné se placent le premier valet, le second, les journaliers et les petits garçons. Les mets, presque toujours des légumes couronnés de lard savoureux, sont apportés dans des plats formidables. Ils passent à la ronde et chacun se sert lui-même. Il n'y a qu'un verre pour toute l'assistance. Le père de famille le remplit de vin de son cru, le passe à l'aïeul, boit après lui et le passe à gauche du côté des hommes. Il revient au père après qu'il a desservi toutes les bouches masculines.”
Mais de tels tableaux ne sauraient sans injustice, faire méconnaître ni la richesse traditionnelle de l'Alsace en denrées gastronomiques, ni combien elle se montra capable d'y faire honneur.
Des deux côtés du Rhin, les meilleurs observateurs ont célébré de tout temps l'excellence de ses produits naturels : blé, vergers, vignes, plantes potagères, poisson, gibier, bétail, lait et beurre. Point de pays où il y ait “tant de commodités pour la vie de l'homme.” L'histoire nous a transmis des récits de chasses et de pêches à faire rêver. En 1627, dans une seule battue, l'archiduc Léopold tuait jusqu'à 600 sangliers. On pêchait dans le Rhin des carpes atteignant 40 et même 49 livres et des brochets de même poids. En 1759, on en servit un qui pesait 80. L'anguille dépasse aisément huit livres ; le saumon, “le plus noble de tous les poissons,” y est abondant. L'écrevisse y atteint une perfection rare : “cancer laudatissimus.” Le marché de Strasbourg était au XVIIe siècle un vrai musée culinaire : “Là le riche peut satisfaire sa sensualité gourmande et le peuple pourvoir à sa faim.”
A travers les siècles, l'appétit de l'Alsace fut à la hauteur des bienfaits de la Providence. Qu'on en juge d'après le menu d'un repas de chanoines au XIIe siècle. Il comprit les plats suivants :
1o Jambons ; pieds et tête de porc en saumure ou dans une gelée de jeunes porcs.
2o Parties internes de la bête accommodées de neuf manières différentes ; trois sortes de boudins, andouilles ; gigot, langue, filet, le tout bien poivré.
3o Bœuf fumé reposant sur un lit de choux.
4o Gros lard d'un porc gras et lard d'un jeune porc dûment pourvus de poivre.
5o Grillades et rôtis de porc.
6o Verrat garni de viandes de venaison.
7o Lard gras avec forte moutarde.
8o Un plat de millet accommodé aux œufs, au lait et au sang de porc.
9o Enfin, et pour la clôture, épaule de porc rôtie et piquée au lard.
Quelqu'estime qu'on fasse du cochon, peut-être jugera-t-on qu'il occupe ici une place trop prépondérante. Un peu plus tard on sut mieux varier la chère. Voici le repas que l'on offrait à l'évêque de Strasbourg en 1449.
Premier Service.
- 1. Un plat de choux.
- 2. Bœuf bouilli.
- 3. Ragoût d'amandes blanches garni de poules.
- 4. Poissons dans une gelée noire.
- 5. Pâté de flans.
Second Service.
- 1. Civet de sanglier.
- 2. Pâté de cerf.
- 3. Bouilli de gruau au caramel.
- 4. Une pâtisserie enluminée.
- 5. Blanc-manger.
Troisième Service.
- 1. Riz saupoudré de sucre.
- 2. Chapons, poules et cochons de lait rôtis.
- 3. Gelée de volaille et de veau avec une sauce sur le tout.
- 4. Pâtisserie ayant l'aspect de poires (beignets).
- 5. Compote de pruneaux.
Il ne semble pas que de nos jours l'appétit des gens d'Église ait beaucoup dégénéré. Mme Gévin-Cassal nous a conservé le menu du dîner qu'un brave curé de campagne offrait à ses collègues réunis chez lui pour discuter des intérêts de canton le 15 juillet 1877. Je le reproduis sans commentaire :
Potage Tapioca.
Bœuf, radis, raiforts cuits, concombres.
Brochet en sauce blanche et nouilles.
Choux garnis d'andouillettes et de lard.
Filet de porc rôti et purée de pommes de terre.
Civet de lapin aux petits oignons doux.
Fricassée de poulet.
Pigeons rôtis.
Salade garnie d'œufs et de jambons.
Dessert : Tourtes aux fraises et aux cerises.
Madeleines, petits fours, “strüble,” meringues, beignets secs saupoudrés de sucre et de cannelle, confitures diverses, corbeilles chargées de fruits.
Café avec “gloria” et tous les sacrements d'usage — sans oublier le verre à bordeaux de double cumin (doppelt Kümmel) digestif.
Ne vous imaginez pas d'ailleurs que le monopole des festins plantureux ait été réservé aux ecclésiastiques. M. Laugel nous parle d'un repas de noce qui eut lieu à Mietisheim il y a quelques années : on y consomma 1200 livres de bœuf, 700 de veau, 100 de saucisses, sans parler des légumes, de la soupe, des volailles et des desserts. Pour fabriquer le pain, il avait été utilisé 27 sacs de farine.
* *
On ne saurait bien manger sans boire. Dès le temps de l'Empire romain, Probus rendait hommage au vignoble alsacien. Et ce fut en grande partie à cause de ses vignes que Louis le Germanique revendiqua l'Alsace dans son domaine. Au moyen âge elle exportait ses vins de tous côtés. Il faut regretter pour la gloire d'Erasme qu'il les ait méconnus. Les mérites comparés du riquewihr, du hunawihr, du turckheim, du rangen, du finkenwein (vin des pinsons) et du joyeux “kitterlé,” dit brise-mollets à cause de la facilité avec laquelle il vous met son homme par terre, trouvèrent de nombreux et joyeux arbitres. Tel devait être bu dans un gobelet de terre ou de verre, tel dans du bois, tel dans une coupe d'or. Tel était déconseillé aux dames, “de peur que ces dames ne devinssent trop maîtresses de leurs maris.” Pour les hommes il n'y avait pas le même scrupule : “Qui n'a jamais eu une pointe n'est pas un honnête homme.” Avec quelle ardeur on rivalisait à être honnêtes gens! Bien boire, n'est-ce pas le remède à la plupart de nos maux : “Un coup de vin sur la salade enlève un ducat au médecin ; un coup sur un œuf lui en enlève deux.” Bassompierre, le célèbre Bassompierre, succomba en Alsace aux assauts des chanoines de Saverne. Traité par eux, il demeura cinq jours ivre mort et fut deux ans avant de pouvoir avaler une gorgée de vin.
Il n'y a pas trop à s'étonner que le législateur maussade se soit efforcé de mettre un frein à tant de bombances et un peu d'eau dans tant de vin. Il ne paraît pas au surplus qu'il se soit montré très rigoureux. Par an, cinquante-trois occasions légitimes de ripailles sont reconnues au moyen âge, sans compter les extraordinaires, telles qu'un enterrement ou une pendaison : en ce dernier cas, le patient est admis à faire bombance avant la cérémonie, les magistrats après.
Souhaitons que les prescriptions édictées par les manuels de savoir-vivre aient été plus strictement observées.
Un petit livre de 1624 contient à l'usage de MM. les jeunes officiers invités en Haute-Alsace à dîner chez l'archiduc d'Autriche les recommandations suivantes :
“Présenter ses civilités à Son Altesse en tenue propre, habits et bottes, et ne point arriver à moitié ivre ; 2o à table ne point se balancer sur sa chaise ou étendre ses jambes tout du long ; 3o ne pas boire après chaque morceau, sans cela on se soûle trop vite ; ne vider après chaque plat le hanap qu'à moitié, et avant de boire s'essuyer proprement les moustaches et la bouche ; 4o ne pas mettre la main dans le plat, ne point jeter les os derrière soi ou sous la table ; 5o ne point se lécher les doigts, ne point cracher sur l'assiette, ni moucher dans la nappe ; 6o ne point hanaper trop bestialement au point de tomber de sa chaise et de ne pouvoir marcher droit devant soi.”
En plein XVIIIe siècle, dans ses Éléments de politesse, édités à Strasbourg en 1766, M. Provost se montre encore plus exigeant :
“Ne poussez point du coude ceux qui sont proches ; ne vous grattez point ; ne mettez point la main aux plats avant que celui qui est le plus considérable ait commencé ; ne témoignez par aucun geste que vous avez faim et ne regardez pas les viandes avec une espèce d'avidité comme si vous deviez tout dévorer ; qui que ce soit qui distribue les viandes coupées, ne tendez pas précipitamment votre assiette pour être servi des premiers ; quelque faim que vous ayez, ne mangez pas goulument de peur de vous engouer ; ne mettez pas un morceau à la bouche avant que d'avoir avalé l'autre et n'en prenez point de si gros qu'il la remplisse avec indécence ; ne faites point de bruit en vous servant ; n'en faites point non plus en mâchant les viandes et ne cassez point les os ni les noyaux avec les dents ; ne mangez pas le potage au plat, mais mettez en proprement sur votre assiette ; ne mordez pas dans votre pain ; ne sucez point les os pour en tirer la moelle ; il est très indécent de toucher quelque chose de gras, à quelque sauce, à un sirop, etc., avec les doigts, outre que cela vous oblige à deux ou trois autres indécences, l'une d'essuyer fréquemment vos mains à votre serviette et de la salir comme un torchon de cuisine, l'autre de les essuyer à votre pain ce qui est encore plus malpropre, et la troisième de vous lécher les doigts, ce qui est le comble de l'impropreté ; gardez vous bien de tremper votre pain ou votre viande dans le plat, ou de tremper vos morceaux dans la salière ; ne présentez pas aux autres ce que vous avez goûté ; tenez pour règle générale que tout ce qui aura été une fois sur l'assiette ne doit point être remis au plat, et qu'il n'y a rien de plus vilain que de nettoyer et essuyer avec ses doigts son assiette et le fond de quelque plat ; pendant le repas, ne critiquez pas sur les viandes et les sauces, ne demandez point à boire le premier, car c'est une grande incivilité ; évitez soigneusement de parler ayant la bouche pleine ; il est incivil de se nettoyer les dents durant le repas avec un couteau ou une fourchette…
… En vous plaçant à table, ayez la tête nue ; essuyez toujours votre cuillère quand, après vous en être servi, vous voulez prendre quelque chose dans un autre plat, y ayant des gens si délicats qu'ils ne voudraient pas manger du potage où vous l'auriez mise après l'avoir portée à la bouche ; joignez les lèvres en mangeant pour ne pas lapper comme les bêtes ; que si par malheur vous vous brûlez, souffrez le patiemment si vous pouvez ; mais si vous ne pouvez pas le supporter, tenez proprement votre assiette d'une main et, la portant contre la bouche, couvrez-vous de l'autre main et remettez sur l'assiette ce que vous avez dans la bouche, que vous donnerez par derrière à un laquais ; car la civilité veut bien qu'on ait de la politesse, mais elle ne prétend pas qu'on soit homicide de soi-même ; la bienséance demande que l'on porte la viande à la bouche d'une seule main et pour l'ordinaire de la droite avec la fourchette ; quand on a les doigts gras, il faut les essuyer à la serviette et jamais à la nappe ni à son pain ; observez de ne jamais rien jeter à terre, à moins que ce ne soit quelque chose de liquide ; encore est-ce mieux fait de le remettre sur l'assiette ; ne goûtez point le vin et ne buvez point votre verre à deux ou trois reprises, car cela tient trop du familier, mais buvez-le d'une haleine et posément, regardant dedans pendant que vous buvez ; je dis posément, de peur de s'engouer, ce qui serait un accident fort malséant et fort importun, outre que de boire tout d'un coup, comme si on entonnait, c'est une action de goinfre, laquelle n'est pas de l'honnêteté ; il faut aussi prendre garde en buvant de ne pas faire du bruit avec le gosier, pour marquer toutes les gorgées qu'on avale, en sorte qu'un autre pourrait les compter.”
* *
Nous voulons croire que nombre de ces avis étaient superflus et espérer que tels autres n'étaient pas suivis à la lettre. Ce qui, pas plus que la richesse ou le bel appétit de l'Alsace ne saurait se contester, c'est sa science culinaire à laquelle aujourd'hui encore il convient de rendre hommage.
Sans doute certaines recettes sont périmées. Avec les castors a disparu le salmis de castor, plat maigre fameux au moyen âge. Comme légume on ne cuit plus guère “la feuille de la violette de mars mêlée avec la jeune ortie et avec les premières pousses du houblon sauvage.” Où sont ces pâtés de langues de carpes, de foies de lotte et de queues d'écrevisses qui coûtaient 400 livres au cardinal de Rohan? Et y a-t-il encore des gourmets capables de préparer comme il faut l'écrevisse : “D'abord un bain de lait froid pour la faire dégorger, puis un bain tiède au vin blanc, et enfin une cuisson à grand feu pendant quelques minutes dans un madère généreux avec de vives épices.”
N'empêche que la charcuterie de Strasbourg et la pâtisserie alsacienne gardent leur vieille renommée. Et l'on doit à l'Alsace au moins deux mets célèbres ; la choucroute et le foie gras.
La choucroute fut-elle ou non entrevue par Columelle? Grave question. Toujours est-il qu'au XVIe siècle elle fait partie de la nourriture ordinaire de l'Alsace. Au XVIIe, on nous décrit sa préparation : “On fait aigrir de ces gros choux pommés après les avoir fait hacher ; ces choux font les délices de la table et la principale nourriture des naturels du pays.” La “Surgrout” est par excellence le mets du dimanche, spécialement bien accueilli “lorsqu'il apparaissait avec l'ornement d'un puissant chapelet de saucisses, ou bien lorsque, suivant l'expression pittoresque d'un écrivain du XVIe siècle, le cochon l'avait traversé.” Aujourd'hui encore l'un des métiers caractéristiques de l'Alsace est celui du “hacheur de choucroute” qui fait sa tournée annuelle à travers les villages. De sa voix chantante il annonce son passage dans les rues. A travers les fenêtres les ménagères le hèlent. Selon les formules anciennes, d'une main experte, avec la collaboration de la maisonnée, il procède aux rites…
Mais que dire du foie gras!
Qu'il nous soit permis de faire un reproche, un seul, à notre excellent guide Charles Gérard. Il ne rend pas justice à l'oie rôtie! Au moins célèbre-t-il comme il convient “l'admirable machine qui élabore et produit la succulente substance connue sous le nom de foie gras. Ne reportez pas votre reconnaissance à la nature… c'est l'homme, c'est la civilisation qui a su en faire des pâtés dont la puissance a tant influé sur le destin des empires.”
Il paraîtrait que, connu par les Romains, l'art de produire le foie gras fut retrouvé et gardé longtemps secret au moyen âge par les juifs de Metz et de Strasbourg. Il se vulgarisa pour la joie des temps modernes. En voici la recette traditionnelle, telle qu'elle nous est révélée par Olivier de Serres et se pratique encore aujourd'hui.
“En Alsace le particulier achète une oie maigre qu'il renferme dans une petite loge de sapin assez étroite pour qu'elle ne puisse s'y retourner ; cette loge est garnie dans le bas fond de petits bâtons écartés… et en avant, d'une petite ouverture pour passer la tête ; au bas, une petite auge est toujours remplie d'eau dans laquelle trempent quelques morceaux de charbon de bois. On fait tremper dans l'eau dès la veille un trentième du grain qu'on insinue dans le gosier le matin puis le soir ; le reste du temps l'oie boit et barbote. Vers le vingt-deuxième jour, on mêle au maïs quelques cuillerées d'huile de pavot ou d'œillette. A la fin du mois, on est averti par la présence d'une pelote de graisse sous chaque aile ou par la difficulté de respirer qu'il est temps de la tuer ; si l'on différait, elle périrait. Son foie alors pèse depuis une livre jusqu'à deux. L'animal se trouve excellent à manger, fournissant pendant la cuisson depuis trois jusqu'à cinq livres de graisse. Sur six oies, il n'y en a ordinairement que quatre qui secondent l'attente de l'engraisseur et ce sont les plus jeunes. On les tient dans la cave ou dans un lieu peu éclairé.”
Le truffage donne “son âme” au pâté de foie gras. Il fut inventé au XVIIIe siècle par le cuisinier du maréchal de Contades qui ensuite s'établit pour son compte à Strasbourg et démocratisa la trouvaille de son génie.
Nous croyons terminer convenablement ce chapitre en reproduisant l'hommage que rend Brillat-Savarin à l'apparition, en un repas de choix, d'un “gibraltar de foie gras” accompagné d'un coq vierge de Barbézieux, truffé à tout rompre. Quand surgit cette pièce incomparable, dit le célèbre gourmet : “Toutes les conversations cessèrent par la plénitude des cœurs ; toutes les attentions se fixèrent sur l'art des prosecteurs, et quand les assiettes de distribution eurent passé, on vit se succéder, tour à tour, sur toutes les physionomies le feu du désir, l'extase de la jouissance, le repos parfait de la béatitude.”
Ainsi en va-t-il encore de nos jours. Dans les deux hémisphères, le pâté de foie gras impose à l'estime des peuples la cuisine strasbourgeoise.