Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle
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ÉTUDES
SUR
L’INDUSTRIE
BOULOGNE (SEINE).—IMPRIMERIE JULES BOYER
ÉTUDES
SUR
L’INDUSTRIE
ET LA
CLASSE INDUSTRIELLE
A PARIS
AU XIIIe ET AU XIVe SIÈCLE
PAR
GUSTAVE FAGNIEZ
PARIS
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
67, RUE RICHELIEU, 67
1877
A LA MÉMOIRE DE MA MÈRE
AVANT-PROPOS
Il nous paraît superflu de faire ressortir l’intérêt du sujet traité dans ce livre; mais, plus ce sujet excite la curiosité, plus il rend le lecteur exigeant, plus il oblige l’auteur à aller au-devant de certains mécomptes et à se dégager de la responsabilité de certains défauts qu’il n’était pas en son pouvoir d’éviter.
C’est surtout à cause de leurs lacunes que ces études paraîtront manquer aux promesses de leur titre. Si elles tombent entre les mains d’un économiste habitué aux renseignements précis et complets de la statistique, ou dans celles d’un industriel désireux de se rendre compte des progrès de son industrie, ni l’un ni l’autre n’y trouveront des notions aussi sûres, aussi détaillées que dans les enquêtes et les traités techniques contemporains. S’ils s’en étonnaient, nous leur ferions observer que le moyen âge ne nous a laissé ni statistiques officielles ni manuels d’arts et métiers comparables à ceux de notre temps. Nous ajouterons, à l’adresse de tous les lecteurs et spécialement des érudits, que les archives anciennes qui contenaient le plus de matériaux pour un travail comme le nôtre, ont été partiellement ou entièrement détruites. Celles dont la perte est la plus regrettable, ce sont les archives des corporations elles-mêmes. Là se conservaient, avec les actes émanés de l’autorité publique, les titres de propriété, les procès-verbaux de réunions, les pièces de comptabilité, les brevets d’apprentissage, bref tous les documents auxquels donnait lieu le fonctionnement des corporations et qui nous auraient fait assister à leur vie intime. Que ces documents aient été conservés intacts jusqu’à la suppression définitive des corporations ou que celles-ci se fussent déjà débarrassées de ceux qui avaient perdu toute utilité pratique[1], leur perte nous a réduit à ne donner de leur administration intérieure qu’une idée générale et insuffisante. Combien on doit déplorer aussi l’incurie des greffiers du Châtelet qui n’ont pas su préserver de la destruction les plus anciens registres civils de cette juridiction! C’était elle qui jugeait en première instance ou en appel les affaires commerciales et industrielles, qui statuait sur les débats entre les patrons et leurs ouvriers ou apprentis, qui condamnait pour contraventions aux règlements.
Par suite de la disparition presque totale des documents les plus propres à nous montrer le jeu de l’organisation industrielle, les statuts et les règlements qui nous la présentent, pour ainsi dire, au repos, ont pris la première place parmi les sources de notre travail. Mais que de sous-entendus, que de lacunes dans ces règlements, fragments d’une législation qui consistait surtout dans les traditions professionnelles, dans la jurisprudence des gardes jurés!... Ces règlements, secs et inanimés comme des textes de lois, ne nous auraient pas mis à même de pénétrer jusqu’à la réalité des choses, si des documents tout différents, de nature et de provenance diverses, ne nous avaient transporté au cœur même de la vie industrielle et ne nous avaient permis de donner à notre tableau quelque couleur et quelque vérité. On verra que nous avons emprunté quelques traits de ce tableau à des documents étrangers à notre cadre par leur date ou leur origine, lorsque l’analogie nous y autorisait et que l’harmonie ne devait pas en souffrir.
Dans quel ordre devions-nous classer et présenter les résultats de nos recherches? L’ordre chronologique, le plus simple de tous, n’était pas possible, car il ne saurait s’appliquer qu’à un sujet qui offre des périodes bien tranchées. Or, si l’industrie parisienne a subi, depuis l’époque à laquelle remontent les premiers documents jusqu’à la fin du XIVe siècle, d’inévitables modifications, ces modifications n’ont pas été assez importantes pour donner lieu à des divisions suffisamment justifiées. Restait l’ordre méthodique, avec ses difficultés et l’arbitraire qu’il implique toujours. A force d’y réfléchir cependant, nous avons reconnu que notre sujet offrait deux parties principales, distinctes à la fois par leur objet et par la méthode qu’elles exigent. Nous étudions dans ce volume l’industrie et la classe industrielle; ces deux choses, qui se confondent dans la réalité, peuvent, par une abstraction très-légitime, être envisagées séparément. Et non-seulement cette distinction est commode, mais elle est nécessaire. La même méthode ne peut servir à exposer la condition de la classe ouvrière, dans ses différents éléments, et le fonctionnement des diverses industries. A côté de nombreuses variétés de détail, l’organisation des corporations offre des traits généraux qui, si on réussit à les distinguer de ce qui est particulier et accidentel, doivent former un tableau d’ensemble aussi vrai que peut l’être une généralisation. L’exposé des procédés industriels est incompatible avec une pareille méthode; ici la variété domine, et on se heurterait à une difficulté invincible en essayant d’éliminer des différences qui sont essentielles pour amener à l’unité un sujet qui y répugne complétement. C’est cette considération qui explique la division de l’ouvrage en deux livres: l’un où la classe industrielle est étudiée à tous les points de vue et principalement au point de vue économique, sans distinction de métiers; l’autre qui repose, au contraire, sur les distinctions professionnelles et qui fait connaître les habitudes et les procédés propres à un certain nombre d’industries.
Nous avons dit pourquoi ce livre restera, à certains égards, au-dessous de l’attente du lecteur, nous avons essayé d’en justifier le plan. Le meilleur succès, à notre gré, qu’il puisse obtenir, c’est d’en susciter de meilleurs sur l’industrie des principales villes de la France et d’ouvrir ainsi la voie à des travaux du même genre, qui permettront un jour d’écrire l’histoire générale de l’industrie et de la classe industrielle dans notre pays.
G. F.
Décembre 1877.
LIVRE PREMIER
ORGANISATION CIVILE, RELIGIEUSE ET ÉCONOMIQUE
DE LA CLASSE INDUSTRIELLE
CHAPITRE Ier
ÉTAT DE L’INDUSTRIE
Origine des corps de métiers.—Population industrielle.—Industries parisiennes les plus florissantes.—Quartiers occupés par les diverses industries.
Une curiosité naturelle et légitime porte l’esprit humain à s’enquérir de l’origine des institutions qui ont fourni une longue carrière et joué un grand rôle. Malheureusement l’historien éprouve souvent de grandes difficultés à satisfaire cette curiosité. Il en est ainsi pour les corporations de métiers. L’histoire ne nous fait pas assister à leur formation; quand elles nous apparaissent dans les documents, elles comptent déjà de longues années d’existence et nous offrent une organisation complète. Pourtant il n’est peut-être pas impossible, en rapprochant certains traits de cette organisation de quelques textes mérovingiens et carolingiens, de se représenter ce qu’était l’industrie avant les corps de métiers, ainsi que la façon dont ceux-ci prirent naissance.
Lorsque les Francs s’établirent en Gaule et s’approprièrent les domaines du fisc impérial et ceux qui avaient été abandonnés par leurs propriétaires[2], les artisans fixés sur ces domaines durent travailler pour leurs nouveaux maîtres. Les uns restèrent isolés et conservèrent leur fonds colonaire à la charge de fournir des produits de leur industrie[3]. La plupart furent distribués, suivant leurs métiers, dans des ateliers dont chacun était dirigé par une sorte de contre-maître (ministerialis)[4]. La nombreuse domesticité du conquérant germain comprenait donc tous les artisans dont l’industrie lui était nécessaire[5]. Dans les gynécées, des femmes se livraient au cardage de la laine, au tissage, au lainage, au foulage et à la teinture des étoffes à l’aide des matières livrées par l’intendant du domaine[6]. Le maître tirait un profit pécuniaire des talents de ses esclaves en vendant les produits de leur industrie ou en louant leurs bras à prix d’argent[7]. Les plus habiles avaient pour lui une grande valeur à cause des bénéfices qu’ils lui rapportaient. Aussi celui qui tuait un esclave initié à un art mécanique payait au maître un wergeld plus élevé lorsque cet esclave avait donné des preuves publiques d’habileté (publice probati)[8]. C’est à ces ouvriers travaillant à la fois au profit de leur maître et à leur profit personnel, que s’adressaient les hommes libres qui n’étaient pas assez riches pour entretenir des esclaves aussi nombreux, aussi experts que l’exigeaient leurs besoins. Les villages possédaient aussi des moulins et des forges, où des agents, ayant un caractère public, travaillaient pour les membres de la communauté[9]. Enfin il y avait dans les villes quelques artisans libres[10]. Mais on n’en a pas moins le droit de dire que, pendant la période mérovingienne et la période carolingienne, le travail industriel eut en général un caractère domestique et servile.
C’est de ces groupes d’artisans créés dans les domaines des grands propriétaires que sortirent les corps de métiers du moyen âge. Une organisation, imaginée dans l’intérêt du maître pour discipliner et rendre plus productif le travail servile, devint la garantie des priviléges de la classe industrielle, la source de sa prospérité. Cette transformation s’accomplit par degrés; l’artisan réussit d’abord à s’assurer une partie des bénéfices de son travail, et nous venons de voir que, dès le VIe siècle[11], il avait parfois franchi ce premier pas, puis le maître les lui abandonna entièrement en stipulant seulement des droits pécuniaires, enfin les associations ouvrières s’attribuèrent des priviléges exclusifs qui firent disparaître les travailleurs isolés. Parvenues à une indépendance complète, elles conservaient encore, nous le verrons, des traces de leur origine. Le mouvement communal ne fut pour rien dans cette émancipation de la classe ouvrière, elle était terminée quand il commença, et ce fut, au contraire, l’existence des corporations qui favorisa la formation des communes.
Si la plupart des corporations de métiers ont l’origine que nous venons d’indiquer, il en est cependant quelques-unes qui descendent directement des colléges romains. Parmi les corporations parisiennes, celles des marchands de l’eau et des bouchers de la Grande-Boucherie doivent remonter à l’époque romaine. Les nautes parisiens, qu’une inscription nous montre dès l’époque de Tibère consacrant un autel à Jupiter, survécurent à l’invasion franque et ne perdirent rien de leur importance, puisqu’ils formèrent la municipalité parisienne[12]. La corporation des bouchers de la Grande-Boucherie se recrutait héréditairement, et cette particularité, qu’on ne rencontre dans aucune autre corporation de la capitale, fait inévitablement penser aux colléges romains chargés de l’alimentation publique, dont les membres étaient également héréditaires. A ces deux exceptions près, on ne peut retrouver les collegia opificum dans les corps de métiers du moyen âge. Aucun texte n’indique la persistance de ces colléges, tandis que nous en avons cité plusieurs qui témoignent de l’existence d’un régime industriel tout différent. Si, faisant abstraction des textes qui sont loin, il faut bien en convenir, d’être tout à fait topiques et concluants, on cherche à se représenter ce qui s’est passé lorsque les Francs ont occupé Paris, on est porté à penser qu’ils firent subir aux membres des colléges le sort de leurs esclaves germains, qu’ils les réduisirent à un état voisin de la servitude pour s’assurer leurs services. Des associations, dont les membres étaient enchaînés à leur profession dans un intérêt public, n’étaient pas faites pour être respectées ni même comprises par un peuple qui ne s’était pas encore élevé jusqu’à la notion de l’État.
Faut-il admettre qu’une partie des gens de métiers échappa à la servitude et, pour protéger son indépendance, forma des ghildes que le temps transforma en corps de métiers? Nous ne le pensons pas, et le petit nombre d’artisans qui avaient conservé leur liberté, comme le tailleur dont parle Grégoire de Tours, ne tarda pas, selon nous, à disparaître.
Mais nous avons hâte de renoncer aux conjectures pour aborder une époque où le secours des textes ne nous fera plus défaut. Il faut arriver à la seconde moitié du XIIe siècle pour trouver les premières traces de l’existence des corporations. Cette existence se révèle pour la première fois dans une charte de 1160 par laquelle Louis VII concède à Thèce Lacohe les revenus des métiers de tanneurs, baudroyeurs, sueurs, mégissiers et boursiers. Il résulte implicitement de cette charte que ces cinq métiers étaient exercés par autant de corporations. La corporation des bouchers de la Grande-Boucherie remontait, nous l’avons dit, à l’époque romaine; on ne s’étonnera donc pas de voir leurs usages qualifiés d’antiques en 1162, lorsque Louis VII les remit en vigueur. Les drapiers qui, en 1183, prirent à cens des maisons de Philippe-Auguste faisaient par là même acte de corporation. Enfin c’est au même prince que plusieurs corps de métiers font remonter certains priviléges consignés dans les statuts du Livre des métiers.
Du reste le fond de ces statuts pris dans leur ensemble a une origine bien antérieure à l’époque où ils furent rédigés. C’est ce qui fait leur importance. Nous n’avons pas besoin de dire qu’Étienne Boileau n’a pas donné aux corporations leurs règlements; cela est trop évident. Il n’a pas même, comme les auteurs de nos codes, fait un choix parmi les coutumes de ces corporations dans des vues d’harmonie, d’équité et de progrès. Il s’est contenté de les recueillir par écrit telles que les gens de métiers les lui firent connaître, sans faire disparaître leurs contradictions, sans résoudre les questions soulevées par les requêtes de plusieurs corporations. Dans ces statuts une seule chose lui appartient: le plan. S’ils gardent en effet le silence sur une foule de points, ils s’occupent toujours, et cela dans un ordre uniforme, de la franchise ou de la vénalité du métier, du nombre des apprentis et des gardes-jurés, des impôts et du guet. Leurs nombreuses lacunes ne doivent pas plus nous étonner que l’époque relativement tardive à laquelle ils ont été rédigés; la tradition qui avait permis de se passer pendant si longtemps de règlements écrits, suppléait à leur silence. En dépit de leur laconisme, les statuts d’Ét. Boileau ont une haute valeur et parce qu’ils reflètent un état de choses bien plus ancien et parce qu’ils conservèrent longtemps leur autorité et servirent de base à la législation postérieure. On reconnaîtra l’usage fréquent que nous en avons fait dans le cours de notre travail.
Avant d’exposer l’organisation de l’industrie parisienne, il faut dire quelques mots du développement auquel elle était parvenue. Les chroniques et les autres compositions historiques ne contribuent presque pour rien à l’idée que nous pouvons nous en faire. L’Éloge de Paris, composé en 1323 par Jean de Jandun[13], est presque le seul document de ce genre qui nous fournisse à cet égard quelques renseignements; encore n’ont-ils pas toute la précision désirable. A défaut de précision, on découvre du moins, sous l’obscurité et le pédantisme de son style, la vive impression produite sur l’auteur par l’industrie et le commerce de la capitale. Renonçant à décrire tout ce qu’il a vu aux Halles, dans ces Halles que Guillebert de Metz nous dépeindra au siècle suivant comme aussi vastes qu’une ville[14], Jean de Jandun se borne à signaler les provisions considérables de draps, les fourrures, les soieries, les fines étoffes étrangères exposées au rez-de-chaussée, et, dans la partie supérieure qui présente l’aspect d’une immense galerie, les objets de toilette, couronnes, tresses, bonnets, épingles à cheveux en ivoire, besicles, ceintures, aumônières, gants, colliers. Les divers ornements destinés aux fêtes, nous dit-il dans un style que nous sommes obligé de simplifier pour le rendre intelligible, fournissent à la curiosité un aliment inépuisable. Jean de Jandun exprime d’une façon vive et frappante le développement de l’industrie parisienne, en déclarant qu’on ne trouvait presque pas deux maisons de suite qui ne fussent occupées par des artisans. Ce trait est ce qu’il y a de plus intéressant dans le court chapitre consacré par lui aux professions manuelles et où il se contente d’énumérer un certain nombre de métiers, sans donner de particularités sur aucun d’eux. Cette énumération comprend l’art de la peinture, de la sculpture et du relief, l’armurerie et la sellerie, la boulangerie, dont les produits sont d’une exquise délicatesse, la poterie de métal, enfin les industries des parcheminiers, des copistes, des enlumineurs et des relieurs.
Heureusement nous ne sommes pas réduits à cette vague description pour nous représenter l’état de l’industrie parisienne au XIIIe et au XIVe siècles. Les rôles des tailles levées à Paris de 1292 à 1300, puis en 1313 nous offrent des informations plus précises. On y trouve rue par rue la liste de tous les artisans soumis à la taille, avec l’indication de leur cote. Ces documents officiels pourraient donc servir de base à une statistique de l’industrie parisienne, s’ils contenaient le recensement de toute la population ouvrière. Mais les simples ouvriers n’y figurent qu’en petit nombre; et les patrons eux-mêmes n’y sont pas tous compris, comme on en verra les preuves plus loin. Toutefois, si ces rôles ne nous font pas connaître l’ensemble de la population industrielle, ils permettent du moins de s’en faire une idée approximative, ainsi que du nombre des artisans de chaque métier; ils nous indiquent en même temps la répartition des diverses corporations dans Paris et par la cote de leurs membres, leur prospérité relative.
Géraud a fait le relevé des gens de métiers mentionnés dans le rôle de 1292; leur nombre, si on exclut de cette liste tous ceux qui n’exerçaient pas l’industrie proprement dite, s’élève à 4,159. Nous avons fait le même travail pour le rôle de 1300 et nous y avons compté 5,844 contribuables voués aux professions mécaniques. Nous avons constaté qu’un assez grand nombre de contribuables, dont la profession est indiquée dans le rôle de 1300, sont inscrits sans cette indication dans celui de 1292, et par conséquent ne sont pas entrés dans le recensement de Géraud; on peut aussi supposer que celui-ci a vu maintes fois un surnom là où nous avons cru reconnaître une qualification professionnelle. Toutefois ces raisons ne suffisent pas à expliquer une différence de 1,685 contribuables et il faut en chercher la cause soit dans l’augmentation de la population ouvrière de 1292 à 1300, soit dans l’assiette de la taille à ces deux époques, assiette qui nous est malheureusement inconnue.
Nous allons donner le recensement des artisans de chaque métier. Aux chiffres qui nous sont fournis par les rôles de 1292 et de 1300 nous ajouterons ceux que nous avons trouvés dans les statuts et dans quelques autres documents. Le tableau suivant présentera aussi les explications nécessaires sur les industries qui y figurent.
RECENSEMENT DES ARTISANS INSCRITS DANS LES RÔLES DE 1292 ET DE 1300.
| 1292 | 1300 | |
| Afeteeurs de toiles, apprêteurs de toiles. | 1 | » |
| Affineurs. | 3 | 8 |
| Affineurs d’argent. | 1 | » |
| Aguilliers, aguillières, fabricants d’aiguilles. | 16 | 6 |
| Aiguillettes (fabricants d’)[15]. | » | 2 |
| Ameçonneeurs, fabricants d’hameçons. | 3 | 1 |
| Ampolieeurs, ampoulieurs, empoleeurs. D’après Géraud, ce sont des polisseurs. Cette explication n’est pas admissible. Les ampoulieurs ou poulieurs étaient des ouvriers qui tendaient le drap sur la rame ou poulie. | 5 | 3 |
| Aneliers, fabricants d’anneaux. | 3 | 6 |
| Appareilleurs, maîtres ouvriers qui tracent la coupe des pierres. | 2 | 3 |
| Arbalestiers, arbalestriers, arbaletiers, fabricants d’arbalètes. | 3 | 4 |
| Archal (batteurs d’). | 2 | 10 |
| Archalières, fabricants de fil d’archal. | » | 1 |
| Archiers, fabricants d’arcs. | 8 | 5 |
| Arçonneeurs. Ils ne faisaient pas des arçons de selles, comme l’a cru Géraud, mais arçonnaient la laine. Les arçons de selles étaient fabriqués par les chapuiseurs. | 6 | 4 |
| Argent (batteurs d’), ouvriers qui réduisaient l’argent en plaques. | » | 1 |
| Argenteeurs, argenteurs. Géraud traduit ce mot par: argentiers, orfèvres, changeurs. De ces trois interprétations aucune n’est exacte et il s’agit ici d’argenteurs, doreurs. Voy. le Livre des mét. p. 210. | 3 | 2 |
| Armuriers, fabricants d’armures. | 22 | 35 |
| Armuriers (Vallets). | 2 | 1 |
| Atacheeurs, atachiers, atachières, «faiseurs de claus pour atachier boucles, mordans et membres seur corroie.» Livre des mét. p. 64. | 7 | 6 |
| Aumônières (faiseuses d’)[16]. | » | 3 |
| Aumuciers, aumucières, fabricants d’aumusses. | 9 | 8 |
| Auquetonniers, faiseurs de hoquetons. | 4 | » |
| Azur (qui font), fabricants de bleu azur. | 1 | » |
| Baatiers, bastiers, fabricants de bâts. Cf. chapuiseurs. | 3 | 1 |
| Bahuiers, Bahuriers, fabricants de bahuts. | 2 | 4 |
| Balanciers, fabricants de balances[17]. | 2 | 3 |
| Barilliers, fabricants de barils en cœur de chêne, poirier, alisier, érable, tamaris, brésil pour les vins fins, les eaux de senteur, etc. Voy. leur statut dans le Livre des mét. et dans Laborde, Gloss. et répert. des émaux. Vo Barris. | 6 | 6 |
| Baudraières. | » | 1 |
| Baudraiers, corroyeurs de cuir pour ceintures, et semelles de souliers. Voy. Livre des mét. p. 224. | 15 | 35 |
| Baudraiers (Vallets). | 1 | » |
| Bazaniers, cordonniers en basane. Livre des mét. p. 231. Cf. çavetiers. | 20 | 16 |
| Bazaniers (Vallets). | » | 1 |
| Blazenniers, blazoniers, ouvriers qui recouvraient de cuir les selles et les blasons, c’est-à-dire les écus. Voy. leur statut, Livre des mét. p. 219. | 2 | 2 |
| Bocetiers. | » | 1 |
| Boisseliers, boisseliers. | 1 | 1 |
| Boitiers, serruriers pour boîtes et meubles. Voy. Livre des mét. p. 53. | » | 2 |
| Boschet (qui font ou vendent). Le boschet était une boisson. | » | 2 |
| Bouchers, bouchiers, bouchers. | 42 | 70 |
| Bouchers (Vallets). | 1 | » |
| Bouchières, bouchères. | » | 2 |
| Bouclières, femmes de boucliers. | » | 2 |
| Boucliers (qui font), fabricants d’écus. | » | 1 |
| Boucliers, fabricants de boucles. | 36 | 73 |
| Boucliers d’archal. | » | 1 |
| Boudinières. | » | 4 |
| Boudiniers, marchands de boudin. Les statuts des cuisiniers leur interdisent la vente du boudin. Livre des mét. p. 177. | 12 | 2 |
| Boulangers. Cf. talemeliers. | » | 1 |
| Bourreliers[18]. | 24 | 23 |
| Bourreliers (Vallets). | 1 | » |
| Boursières[19]. Les boursiers-brayers faisaient des bourses et des braies en cuir. | » | 3 |
| Boursiers, fabricants de bourses. | 45 | 32 |
| Boursiers (Vallets). | 3 | » |
| Boursiers de soie. | » | 2 |
| Boutonnières. | » | 3 |
| Boutonniers, fabricants de boutons et de dés à coudre. | 16 | 13 |
| Braaliers, braoliers, faiseurs de braies en fil. | 6 | 2 |
| Brasseurs. Cf. cervoisiers.[20] | 1 | » |
| Brésil (qui battent le). On sait que le brésil est un bois de teinture. | » | 1 |
| Brodeeurs, broderesses, brodeurs, brodeuses[21]. | 14 | 23 |
| Brunisseurs, ouvriers qui polissent les métaux. | » | 1 |
| Cages (qui font). | » | 1 |
| Calendreeurs, calandreurs d’étoffes. | 2 | 6 |
| Carreaux de fer (fabricants de). | » | 1 |
| Carriers, ouvriers qui extraient la pierre des carrières. | 18 | 9 |
| Çavetières. | » | 1 |
| Çavetiers. Géraud dit que les çavetiers se distinguaient des cordouaniers en ce qu’ils travaillaient la basane, tandis que les derniers employaient le cordouan. C’était les çavetonniers qui faisaient les «petiz solers de bazane.» Les çavetiers étaient ce que sont aujourd’hui les savetiers. | 140 | 171 |
| Çavetiers (Vallets). | 1 | » |
| Cerceaux (plieurs de). Ils cerclaient les tonneaux. | » | 4 |
| Cerceliers. N’étaient probablement pas différents des plieurs de cerceaux. | 1 | » |
| Cerenceresses, ouvrières qui peignaient le lin et le chanvre avec le seran. | 3 | » |
| Cervoisières. | » | 7 |
| Cervoisiers. Cf. brasseurs. | 37 | 33 |
| Cervoisiers (Vallets). | 2 | 1 |
| Chandèles de bougie (qui font). | » | 1 |
| Chandelières. | » | 11 |
| Chandelières de cire[22]. | » | 1 |
| Chandeliers, faiseurs de chandèles. | 71 | 58 |
| Chandeliers (Vallets). | 1 | 1 |
| Chandeliers de cire. Cf. ciriers. | 1 | » |
| Chandeliers de suif. | » | 1 |
| Chapelières. | » | 4 |
| Chapelières de perles. | » | 2 |
| Chapelières de soie. Elles tissaient des voiles appelés couvre-chefs. Nous considérons comme chapelières de soie trois femmes indiquées dans le rôle de 1300 comme faisant des couvre-chefs[23]. | 4 | 3 |
| Chapeliers. | 47 | 35 |
| Chapeliers de feutre. | 7 | 10 |
| Chapeliers de feutre (Vallets). | 2 | » |
| Chapeliers de perles. | » | 1 |
| Chaperonniers. Ils faisaient des chaperons. | 6 | 6 |
| Chapuiseresses de selles. | » | 1 |
| Chapuiseurs. | 11 | 9 |
| Chapuiseurs (Vallets). | 1 | » |
| Chapuiseurs de bâts. Cf. baatiers. | 1 | » |
| Charpentières, femmes de charpentiers. | » | 4 |
| Charpentiers. | 95 | 108 |
| Charpentiers de maisons. | 1 | » |
| Charpentiers de nés, charpentiers de bateaux. | 2 | » |
| Charrons. | 19 | 11 |
| Charrons (Vallets). | 1 | » |
| Chasubliers. | 5 | 4 |
| Chauciers, chaussetiers[24]. | 61 | 48 |
| Chauciers (Vallets). | 2 | 2 |
| Chaudronnières[25]. | » | 3 |
| Chaudronniers. Cf. maignens. | 6 | 12 |
| Chaumeeurs, chaumiers, couvreurs en chaume? | 3 | 2 |
| Chaumeresses. | » | 1 |
| Ciriers, cirières. Cf. chandèles de bougie, (qui font) chandelières de cire. | 19 | 8 |
| Ciriers (Vallets). | 1 | » |
| Cloutiers. | 19 | 20 |
| Coffrières. | » | 2 |
| Coffriers, coffretiers. | 17 | 8 |
| Coffriers-bahuiers. | » | 1 |
| Coiffes de laine (faiseurs de). | » | 1 |
| Coiffiers, coiffières. | 29 | 12 |
| Conréeurs, corroyeurs. | 22 | 27 |
| Conréeurs de basanne. | 1 | » |
| Conréeurs de connins, corroyeurs de peaux de lapin. | » | 2 |
| Conréeurs de cordouan, corroyeurs de cuir façon de Cordoue. | 2 | 1 |
| Conréeurs de cuirs. | 3 | 4 |
| Conréeurs de peaux ou de pelleterie. | 2 | 1 |
| Contresangliers, fabricants de contresangles. | 2 | 1 |
| Coquilliers. Géraud croit qu’ils faisaient les coiffures de femmes appelées coquilles. | 3 | » |
| Corbeilliers, corbeliniers, vanniers. | 1 | 1 |
| Cordières. | » | 2 |
| Cordiers. | 26 | 11 |
| Cordiers (Vallets). | 1 | » |
| Cordouanières. | » | 8 |
| Cordouaniers, cordonniers de cordouan[26]. | 226 | 267 |
| Cordouaniers (Vallets), Nous comptons parmi les vallets cordonniers inscrits dans le registre de 1292 deux compagnons cordouaniers que Géraud a eu le tort de ne pas considérer comme tels. | 9 | 2 |
| Corroiers, courraiers, courroiers, faiseurs de courroies. | 81 | 135 |
| Courraières, courroières. | » | 13 |
| Coutelières. | » | 1 |
| Couteliers. Cf. emmancheurs[27]. | 22 | 38 |
| Couteliers-fèvres. | 2 | » |
| Coutepointiers, faiseurs de courtepointes. Cf. couverturiers. | 8 | 18 |
| Coutières. | » | 1 |
| Coutiers, faiseurs de coutes, c’est-à-dire de couvertures[28]. | 9 | 5 |
| Couturières. | 46 | 31 |
| Couturiers. Ils appartenaient à la même corporation que les tailleurs. | 57 | 121 |
| Couturiers (Vallets). | » | 1 |
| Couturiers de gants. | 1 | » |
| Couturiers de robes. | » | 1 |
| Couverturiers. Ils faisaient des couvertures. Cf. coutepointiers. | » | 4 |
| Crépinières. | » | 16 |
| Crépiniers. [Les crépiniers et crépinières faisaient en fil et en soie des coiffes de femmes (voy. Quicherat, Hist. du costume, 189), des taies d’oreiller et des pavillons pour couvrir les autels (Liv. des mét. p. 85).] | 32 | 13 |
| Cristalières. | » | 2 |
| Cristaliers, lapidaires. Ils ne formaient avec les pierriers de pierres naturelles qu’une corporation, qui taillait le cristal et les pierres fines. | 18 | 13 |
| Cuisinières. | » | 2 |
| Cuisiniers. | 21 | 15 |
| Cuisiniers (Vallets). | 2 | » |
| Cuviers (fabricants de). | » | 1 |
| Déciers, déiciers, fabricants de dés à jouer. | 7 | 4 |
| Déeliers, fabricants de dés à coudre. Cf. boutonniers. | 1 | » |
| Doreeurs, doreurs. | 4 | 3 |
| Doreeurs (Vallets). | 1 | » |
| Dorelotières. | » | 2 |
| Dorelotiers, rubaniers[29]. | 14 | 12 |
| Drapiers, marchands de draps. | 19 | 56 |
| Drapiers (Vallets). | 1 | 16 |
| Draps d’or (fabricants de). | » | 3 |
| Emmancheurs, faiseurs de manches de couteaux. Dans les 27 emmancheurs imposés en 1300 je compte un contribuable qualifié: qui fait manche. | 10 | 27 |
| Encrières. | 1 | » |
| Encriers, fabricants d’encre. | » | 1 |
| Enlumineurs. | 13 | 15 |
| Entailleurs d’images, sculpteurs. | 1 | » |
| Entailleurs de manches. | » | 1 |
| Eschafaudeeurs, constructeurs d’échafaudages. | 2 | 4 |
| Eschaudeeurs. Géraud croit que ce mot vient d’échaudés et désigne une espèce de pâtissiers. | 2 | » |
| Eschequetiers. Nous ignorons le sens de ce mot. | » | 2 |
| Escorcheeurs. | 13 | 20 |
| Escorcheeurs de moutons. | » | 1 |
| Escreveiciers. Géraud pense que ce mot désignait les fabricants d’une cuirasse dont les lames s’emboîtaient les unes dans les autres comme les écailles de l’écrevisse. Mais d’après Quicherat (Hist. du costume, p. 305), l’usage et le nom de cette cuirasse ne paraît pas remonter au-delà de la fin du XVe siècle. | 2 | » |
| Escriniers, faiseurs d’écrins, de boîtes[30]. | 2 | 5 |
| Escuciers, faiseurs de boucliers, d’après Géraud. | 1 | » |
| Escueles d’étain (batteurs d’). | » | 1 |
| Escueles d’étain (fabricants d’). | » | 1 |
| Escueliers, fabricants d’écuelles, d’auges, d’outils en bois. | 9 | 3 |
| Escueliers (Compagnons). | » | 1 |
| Escueliers (Vallets.) | 3 | » |
| Esmailleurs[31]. | 5 | 6 |
| Esmouleeurs, rémouleurs. | 6 | 2 |
| Esmouleurs de couteaux. | » | 1 |
| Esperonniers. | 3 | 5 |
| Espicières. | » | 4 |
| Espiciers[32]. | 28 | 65 |
| Espiciers (Vallets). | 6 | 2 |
| Espingliers, fabricants d’épingles. | » | 12 |
| Espinguières. | » | 2 |
| Espinguiers. | 10 | 11 |
| Estachéeurs. Géraud attribue à ce mot le même sens qu’au mot attachéeurs. | 2 | 2 |
| Estain (batteresses d’). | » | 1 |
| Fariniers, meuniers? | 5 | 2 |
| Favresses. Cf. fèvres. | » | 2 |
| Fermaillers, fabricants d’anneaux, de fermaux, de fermoirs de livres. Voy. le statut des fremaillers de laiton, dans le Livre des mét. | 5 | 10 |
| Fermaillières. | » | 1 |
| Ferpiers, fripiers. | 121 | 163 |
| Ferpiers (Vallets). | 2 | » |
| Ferrons. | 11 | 18 |
| Feutrières. | » | 2 |
| Feutriers, ouvriers qui apprêtent le feutre. | 10 | 6 |
| Feutriers (Vallets). | 1 | » |
| Fèvres, forgerons. Ce terme générique désignait les ouvriers qui travaillaient le fer sans avoir une spécialité. Cf. Forgerons. | 74 | 40 |
| Fil d’argent (qui tret le). | 1 | » |
| Filandriers, filandrières, fileurs, fileuses. | 5 | 6 |
| File laine (qui). | 2 | 1 |
| File sa quenouille (qui). | » | 1 |
| Fileresses de soie. | 8 | 36 |
| Fileresses d’or. | » | 1 |
| Fileurs d’or. | 2 | 1 |
| Floreresses de coiffes, fleuristes. | 1 | » |
| Fondeeurs. | 2 | 3 |
| Fondeurs de cuivre. | » | 1 |
| Fondeurs de la monnaie. | » | 1 |
| Fonteniers, fabricants de fontaines. | 1 | 1 |
| Forcetiers, fabricants d’outils en fer et notamment de forces pour tondre les draps[33]. | 11 | 10 |
| Forgerons. Cf. fèvres. | » | 1 |
| Formagiers, fourmagiers, faiseurs et marchands de fromages. Cf. fromagères. | 18 | 23 |
| Fouacières. | » | 1 |
| Fouaciers, fouacières, faiseurs et faiseuses de fouaces. | 3 | » |
| Foulons[34]. | 24 | 83 |
| Foulons (Vallets). | » | 1 |
| Four (aides à). | » | 3 |
| Fourbisseurs[35]. | 35 | 43 |
| Fourbisseurs (Vallets). | » | 1 |
| Fournier de Saint-Magloire. Celui qui exploitait le four banal de l’abbaye. | » | 1 |
| Fournier de Saint-Martin-des-Champs. Celui qui exploitait le four banal du prieuré. | » | 1 |
| Fournières. | » | 3 |
| Fourniers. Sous cette désignation étaient compris non-seulement ceux qui tenaient un four banal, mais aussi des garçons boulangers et même des boulangers établis. | 94 | 66 |
| Fourniers (Vallets). | 1 | 6 |
| Fourreliers, fabricants de fourreaux. | 6 | 3 |
| Fourreurs de chapeaux. | » | 3 |
| Fours (faiseurs de). | » | 1 |
| Frasarresses. | » | 1 |
| Fraseeurs, faisaient les garnitures bouillonnées appelées frezeaux et frezelles. Voy. Quicherat, Hist. du costume. | 1 | » |
| Fromagères. Cf. formagiers. | » | 3 |
| Fueil (qui font le). Le fueil était une teinture comme le prouve le texte suivant: «L’en ne pourra faire draps tains en moulée, en fuel ne en fostet...» | » | 1 |
| Gaisnières. | » | 2 |
| Gaisniers. | 52 | 40 |
| Gaisniers (Compagnons). | » | 1 |
| Galochiers, fabricants de galoches. | 2 | 2 |
| Gantières. | » | 1 |
| Gantiers. | 21 | 40 |
| Gantiers (Vallets). | 2 | » |
| Gantiers de laine. | » | 1 |
| Garnisseurs. Ils garnissaient de viroles et de coipeaux les couteaux, les épées, les gaînes. | 4 | 11 |
| Garnisseurs de couteaux. | » | 1 |
| Gascheeurs, gâcheurs de plâtre. | 2 | 1 |
| Gasteliers, pâtissiers. | 7 | » |
| Gravelières. | » | 1 |
| Graveliers, ouvriers qui se livraient à l’extraction du gravier. | 5 | 3 |
| Greffiers. Fabriquaient des agrafes plutôt que des greves, comme le dit Géraud. Ils appartenaient à la corporation des fèvres. | 7 | 6 |
| Haubergières. | » | 2 |
| Haubergiers, fabricants de hauberts. | 4 | 7 |
| Heaumier le roi. | » | 1 |
| Heaumiers, fabricants de heaumes. | 7 | 7 |
| Heaumiers (Vallets). | 1 | 1 |
| Huches (faiseurs de). | » | 2 |
| Huchières. | » | 2 |
| Huchiers. | 29 | 52 |
| Huilières. | » | 2 |
| Huiliers, fabricants d’huile[36]. | 43 | 29 |
| Huissières. | » | 1 |
| Huissiers, fabricants d’huis. | » | 2 |
| Imagières. | » | 2 |
| Imagiers, ymagiers, sculpteurs. | 24 | 23 |
| Imagiers emmancheurs, ouvriers qui sculptaient les manches de couteaux. | » | 1 |
| Laceeurs, passementiers-rubaniers. Cf. dorelotiers. | » | 1 |
| Lacets de soie (faiseuses de). | » | 1 |
| Lacières. | 6 | 1 |
| Lacs (qui font). | » | 2 |
| Lacs à chapeaux (hommes qui font). | » | 1 |
| Lacs de soie (femmes qui font). | » | 1 |
| Laine (femmes qui euvrent de). Cf. file laine (qui). | » | 2 |
| Lampiers, fabricants de lampes et de chandeliers. | 5 | 6 |
| Laneeurs, ouvriers qui chardonnaient le drap pour le rendre pelu. | 2 | 5 |
| Lanières. | » | 18 |
| Laniers, marchands de laine? | » | 16 |
| Lanterniers, fabricants de lanternes. | 3 | 8 |
| Lanterniers d’archal. | » | 1 |
| Laveeurs de robes, dégraisseurs. | » | 1 |
| Lieeurs, relieurs de livres. | 17 | 4 |
| Lingiers, lingières. Les lingers et lingères recensés par Géraud sont au nombre de 5; mais il a compté à tort parmi les lingers un marchand de fil de lin (qui vent file linge) et un linier (lingnier), c’est-à-dire un marchand de lin. | 3 | 8 |
| Loiriers, probablement, comme le pense Géraud, fabricants de courroies, corroiers, courraiers. | » | 1 |
| Lorimières. | » | 1 |
| Lorimiers, lormiers[37]. | 39 | 49 |
| Maçonnes, femmes de maçons. | » | 1 |
| Maçons. | 104 | 122 |
| Maçons (Aides à). | » | 7 |
| Madelinières. Cf. mazelinniers. | » | 2 |
| Maignans. Cf. chaudronniers. | 12 | 4 |
| Males (qui font). | » | 1 |
| Maliers, maletiers. | » | 1 |
| Manches (feseeurs de, qui font). | 2 | 1 |
| Mareschales. | » | |
| Mareschaux. | 34 | |
| Mareschaux (Vallets). | 3 | » |
| Mazelinniers. Cf. madelinières. Fabricants de vases en madre. | 5 | » |
| Mercières. | » | 23 |
| Merciers. | 70 | 129 |
| Merciers (Vallets). | 1 | 1 |
| Mereaux de plomb (fabricants de). | » | 1 |
| Mesgissiers[38]. | 23 | 38 |
| Meunières. | » | 4 |
| Meuniers. | 56 | 17 |
| Miel (qui fait, qui vend). | 1 | 1 |
| Miroeriers, fabricants de miroirs. | 4 | 5 |
| Miteniers. | » | 1 |
| Monnaies (qui fait les coins de la). | » | 1 |
| Monnoiers. | 19 | » |
| Monnoiers (Vallets). | 1 | » |
| Morteliers. | 8 | 6 |
| Mouleeurs. Ouvriers qui fondaient dans des moules des boucles, des sceaux et autres petits objets en cuivre et en archal. Voy. leur statut dans le Livre des mét. | 2 | » |
| Mouleeurs (Vallets). | 1 | » |
| Moustardières. | » | 1 |
| Moustardiers. | 10 | 7 |
| Nates (qui font). | » | 1 |
| Natiers. | 1 | » |
| Navetiers, fabricants de navettes de tisserands. Ce mot a conservé cette signification. | 4 | 1 |
| Nes (qui euvrent es). | » | 1 |
| Oiers, rôtisseurs. | 3 | » |
| Orbateurs, batteurs d’or. | 6 | 14 |
| Orfaveresses. | » | 2 |
| Orfévres. | 116 | 251 |
| Orfévres (Vallets). | 2 | 7 |
| Orfrosiers, faiseurs d’orfroi, c’est-à-dire de galon. | 1 | » |
| Oublaières. | » | 2 |
| Oubloiers, faiseurs d’oublies[39]. | 29 | 24 |
| Paneliers. D’après Géraud, ils faisaient des panneaux pour prendre les lapins. | 3 | 2 |
| Panonceaux (qui font). | » | 1 |
| Paonnières, chapelières de paon. | » | 1 |
| Paonniers, chapeliers de paon. | 5 | 2 |
| Pareeurs. C’était, sous un autre nom, les mêmes ouvriers que les laneeurs. | 5 | 4 |
| Pataières. | » | 6 |
| Pataiers, pâtissiers. | 68 | 55 |
| Pataiers (Vallets). | 4 | » |
| Patenôtrières. | » | 3 |
| Patenôtriers[40]. | 14 | 14 |
| Pauciers, peaussiers. | 1 | » |
| Paveurs. | » | 1 |
| Peautre (batteurs de). Cf. peautriers, piautriers. | » | 1 |
| Peautriers[41]. | » | 2 |
| Peintres. | 33 | 38 |
| Peintres (Vallets). | » | 2 |
| Peletières. | » | 6 |
| Peletiers. | 214 | 338 |
| Peletiers (Vallets). | 5 | 8 |
| Pelliers. Géraud interprète ce mot par fabricants ou marchands de perles. | 6 | 6 |
| Perrières. | » | 1 |
| Perriers, joailliers[42]. | 13 | 8 |
| Piautriers. Cf. Peautre, peautriers. | » | 3 |
| Pigneresses, ouvrières qui peignaient les matières textiles. | 3 | 2 |
| Pigneresses de laine. | » | 1 |
| Pigneresses de soie. | » | 1 |
| Pigniers. | 9 | 3 |
| Piqueeurs, faiseurs de piques. | 3 | 2 |
| Plastriers. | 36 | 22 |
| Plastriers (Compagnons). | » | 1 |
| Plommiers, ploumiers. C’était des fabricants de plommées, ou fléaux terminés par une boule de plomb, bien plutôt que des brodeurs (plumarii). | 1 | 1 |
| Potières. | » | 8 |
| Potières d’étain. | » | 2 |
| Potiers. | 54 | 36 |
| Potiers d’étain[43]. | » | 3 |
| Potiers de terre. | » | 1 |
| Poulaillères, marchandes de volailles et de gibier. | » | 5 |
| Poulaillers. | 49 | 43 |
| Pouletières, pouletiers. Faisaient le même commerce[44]. | 3 | » |
| Queus. Cf. cuisiniers. | 23 | » |
| Rafreschisseeurs. Ils remettaient à neuf les vêtements. Voy. Ord. relat. aux mét., p. 425. | » | 3 |
| Recouvreeurs, couvreurs. | 21 | 31 |
| Recouvreeurs (Vallets). | 1 | » |
| Relieurs, Voy. lieurs. | » | » |
| Retondeeurs, ouvriers qui tondaient les draps qui avaient subi déjà une première tonte. | 9 | 2 |
| Retordent fil (qui). | » | 1 |
| Saintiers, fondeurs de cloches. Voy. Compte de la refonte d’une cloche de Notre-Dame de Paris en 1396, tirage à part, p. 9. | » | 1 |
| Sarges (qui fet les). | 1 | » |
| Sargiers. | » | 2 |
| Sarrasinoises (qui fait œuvres). | » | 1 |
| Savonniers, fabricants de savons. | 8 | 5 |
| Scieurs d’es, scieurs de long. Cf. siéeurs. | » | 2 |
| Séelleeurs, graveurs de sceaux. | 8 | 7 |
| Séelleeurs (Vallets). | 2 | » |
| Selières. | » | 2 |
| Seliers. | 51 | 63 |
| Seliers (Vallets). | 7 | 1 |
| Serruriers[45]. | 27 | 36 |
| Siéeurs, Cf. scieurs. | 7 | » |
| Soie (femmes qui carient). | » | 2 |
| Soie (qui dévident). | » | 1 |
| Soie (femmes qui font tissus de). | » | 1 |
| Soie (ouvrières de). | » | 38 |
| Soie (ouvriers de). | » | 4 |
| Sonnettes (hommes qui font). | » | 1 |
| Soufletiers, fabricants de soufflets. | 2 | 3 |
| Sueurs, cordonniers. | 25 | 27 |
| Tabletières. | » | 1 |
| Tabletiers. Ils faisaient des tables, des étuis, etc., en bois, en ivoire, en corne. Voy. leur statut dans le Livre des mét. | 21 | 19 |
| Taçonneeurs, savetiers. | 1 | » |
| Taières, toières. | 7 | » |
| Taiers. Ils faisaient probablement les taies d’oreillers. | » | 3 |
| Tailleresses. | 1 | » |
| Tailleurs. | 124 | 160 |
| Tailleurs (Vallets). | 7 | » |
| Tailleurs de dras. | 1 | » |
| Tailleurs d’or. | 1 | » |
| Tailleurs de pierre. | 12 | 31 |
| Tailleurs de robes. | 15 | 27 |
| Talemelières. | » | 5 |
| Talemeliers. | 62 | 131 |
| Talemeliers (Vallets). | 5 | 2 |
| Taneeurs. | 2 | 30 |
| Taneeurs (Vallets). | » | 2 |
| Tapicières. | » | 1 |
| Tapiciers[46]. | 24 | 29 |
| Teinturières. | » | 2 |
| Teinturiers. | 15 | 33 |
| Teinturiers (Vallets). | » | 2 |
| Teinturiers de robes. | 2 | » |
| Teinturiers de soie. | » | 3 |
| Telières. | » | 6 |
| Teliers, tisserands de toiles. Voy. Du Cange, vo telarius. | 11 | 1 |
| Tiretainiers. | 4 | » |
| Tisserandes de toiles. | » | 2 |
| Tisserands, tisserandes[47]. | 82 | 360 |
| Tisserands (Vallets). | » | 2 |
| Tisserands de lange, tisserands drapiers. | » | 1 |
| Tisserands de linge, tisserands de toile. | 4 | 7 |
| Tisserands de soie. | » | 1 |
| Tissus (qui fait, feseresse de). | 2 | » |
| Toiles (qui bat les). | 1 | » |
| Toilliers. Ce mot doit être compris comme teliers. | 3 | » |
| Tondeurs. | 20 | 36 |
| Tonnelières. | » | 2 |
| Tonneliers. | 70 | 89 |
| Tonneliers (Vallets). | 2 | » |
| Tourneurs. | 12 | 15 |
| Treffiliers. | 8 | 9 |
| Treffiliers d’argent. | » | 1 |
| Tripières. | » | 3 |
| Tripiers. | 3 | 3 |
| Trompeeurs, faiseurs de trompes et non pas joueurs de trompes, comme le dit Géraud. Voy. Ord. relat. aux mét., p. 360-361. | 3 | 4 |
| Trumeliers, fabricants de l’armure qui couvrait les jambes et qu’on appelait trumelières. | 1 | » |
| Tuiliers, fabricants de tuiles. | 22 | 9 |
| Vanetiers. | 1 | » |
| Vaniers. Ces deux mots sont synonymes. | 4 | » |
| Veilliers, fabricants de vrilles. Ils appartenaient à la corporation des févres. | 3 | 2 |
| Veluet (qui fait le), ouvrier en velours. | 1 | » |
| Verriers, voirriers, verriers. | 17 | 14 |
| Viroliers, faiseurs de viroles. Cf. garnisseeurs. | 3 | 5 |
| Voirrières. | » | 1 |
Disons maintenant dans quelles branches d’industrie Paris se distinguait et s’était fait une réputation. La draperie parisienne, sans atteindre le même développement que celle de Flandre, avait pris une assez grande extension. La capitale était une des villes «drapantes» qui composaient la hanse de Londres[48]. L’étoffe de laine qu’on y fabriquait sous le nom de biffe jouissait d’une grande renommée[49]. Le Dit du Lendit rimé parle des draps parisiens[50] qui sont également mentionnés dans les tarifs des marchandises vendues aux foires de Champagne[51]. De tous les gens de métiers inscrits dans le rôle de 1313, les drapiers sont certainement les plus imposés, et par conséquent les plus riches. Il en est dont la cote s’élève à 24 livres, à 30 liv., à 127 liv., à 135 liv., et c’est un drapier qui supporte la plus forte contribution du rôle, qui est de 150 livres[52].
La mercerie était aussi très-florissante à Paris et y attirait un grand concours de marchands de tous les pays[53]. Le commerce des merciers comprenait des objets très-divers, dont la fabrication exigeait déjà ce goût et ce savoir-faire qui recommandent aujourd’hui les produits parisiens à l’étranger[54].
Enfin la bijouterie parisienne était très-estimée, à en juger par des vers du roman d’Hervis qui la mettent sur le même rang que les draps de Flandre[55].
L’activité industrielle et commerciale se déployait surtout sur la rive droite de la Seine qu’on appelait le quartier d’outre Grand-Pont. Les artisans de même profession étaient fréquemment groupés dans le même quartier; mais il ne faut pas considérer cet usage comme étant d’une constance absolue, car les artisans et les consommateurs avaient un intérêt commun à ce que chaque industrie n’eût pas un centre unique, les premiers pour ne pas se faire une concurrence préjudiciable, les seconds pour trouver à leur portée les produits dont ils avaient besoin. Aussi, quand on parcourt les registres des tailles de 1292, de 1300 et de 1313, ne s’étonne-t-on pas de la diversité des métiers qui s’exerçaient, pour ainsi dire, côte à côte. Cependant le nom seul de certaines rues, qui s’est conservé jusqu’à nos jours, prouverait qu’elles étaient, à l’origine du moins, le siége d’une industrie spéciale. Le nom de la Mortellerie est expliqué par le passage suivant: «... en la rue de la Mortèlerie, devers Saine, où l’on fait les mortiers[56]...» La population de la Tannerie se composait en majorité de tanneurs[57]. Les selliers, les lormiers et les peintres étaient domiciliés en grand nombre dans la partie de la Grant Rue ou rue Saint-Denis, qui s’étendait depuis l’hôpital Sainte-Catherine jusqu’à la porte de Paris, et qui était appelée la Sellerie[58]. La rue Erembourg de Brie portait aussi le nom de rue des Enlumineurs, qu’elle devait à la profession de ses habitants composés presque exclusivement d’enlumineurs, de parcheminiers et de libraires[59]. C’était dans les rues Trousse-Vache et Quincampoix que les marchands de tous les pays venaient s’approvisionner de mercerie[60]. Les tisserands étaient établis dans le quartier du Temple, rue des Rosiers, des Ecouffes, des Blancs-Manteaux, du Bourg-Thibout, des Singes ou Perriau d’Etampes, de la Courtille-Barbette et Vieille-du-Temple[61]. Jean de Garlande nous apprend que les archers, c’est-à-dire les fabricants d’arcs, d’arbalètes, de traits et de flèches, avaient élu domicile à la Porte Saint-Ladre[62]. On comptait un grand nombre de fripiers dans la paroisse des Saints-Innocents[63]. Les attachiers demeuraient sur la paroisse Saint-Merry, car, durant le carême, ils cessaient de travailler quand complies sonnaient à cette église[64].
Ces agglomérations, dont nous pourrions donner d’autres exemples, s’expliquent par plusieurs causes. D’abord, les membres d’une association, unis par des occupations et des intérêts communs, ont une tendance naturelle à se grouper. Indépendamment de cette cause générale, plusieurs corps de métiers étaient attirés dans certains quartiers par les exigences de leurs industries, d’autres ne pouvaient s’en écarter pour des raisons d’hygiène ou de police. Certaines industries, telles que la teinturerie, ne pouvaient s’exercer que dans le voisinage d’un cours d’eau[65]. Au mois de février 1305 (n. s.), Philippe le Bel rétablit les changeurs sur le Grand-Pont, qu’ils occupaient déjà avant sa destruction, et défendit de faire le change ailleurs[66]. Il est aisé de découvrir le motif de cette interdiction: le commerce de l’argent, se prêtant à des fraudes nombreuses, nécessitait une surveillance active que la réunion des changeurs dans un lieu aussi fréquenté que le Grand-Pont, rendait beaucoup plus facile[67]. C’est sans doute pour la même raison que le prévôt de Paris assigna aux billonneurs une place nouvellement créée vis-à-vis de l’Écorcherie, au bout de la Grande-Boucherie. Plusieurs obtinrent de rester dans la rue au Feurre, en représentant qu’elle était située au centre de Paris, près de la rue Saint-Denis, la plus commerçante de la ville, et dans le voisinage des Halles. Les billonneurs domiciliés sur le Grand et le Petit-Pont furent compris dans cette exception, les autres durent se conformer à la mesure prise par le prévôt[68]. En 1395, le procureur du roi au Châtelet voulait obliger les mégissiers qui corroyaient leurs cuirs dans la Seine depuis le Grand-Pont jusqu’à l’hôtel du duc de Bourbon, à transporter plus en aval leur industrie, parce qu’elle corrompait l’eau nécessaire aux riverains et aux habitants du Louvre et dudit hôtel[69].
L’intérêt de la salubrité publique avait fait placer les boucheries hors de la ville[70], parce qu’à cette époque on avait l’habitude d’y abattre et d’y équarrir les bestiaux. La Grande-Boucherie ne fit partie de Paris que depuis l’agrandissement de la capitale par Philippe-Auguste. Elle était située au nord du Grand-Châtelet[71], et désignée aussi sous les noms de boucherie Saint-Jacques, du Grand-Châtelet et de la porte de Paris. Elle se composait de trente et un étaux et d’une maison commune nommée le four du métier, parce que le maître et les jurés y tenaient leurs audiences[72].
Les étaux des bouchers de Sainte-Geneviève se trouvaient dans la rue du même nom. Ils y jetaient le sang et les ordures de leurs animaux et avaient fait pratiquer à cette fin un conduit qui allait jusqu’au milieu de la voie. Un arrêt du Parlement, du 7 septembre 1366, les obligea à abattre, vider et apprêter les bestiaux hors Paris, au bord d’une eau courante[73].
Dom Bouillart attribue à Gérard de Moret, abbé de Saint-Germain des Prés, la création de la boucherie du bourg de ce nom[74]. Cependant, Jaillot assure que des actes du XIIe siècle font mention des bouchers de Saint-Germain[75]. Quoi qu’il en soit, par une charte du mois d’avril 1274-75, l’abbé Gérard loua à perpétuité aux bouchers y dénommés et à leurs héritiers seize étaux, situés dans la rue conduisant à la poterne des Frères mineurs, et appelée depuis rue de la Boucherie[76]. Le loyer de ces seize étaux s’élevait à 20 livres tournois, payables aux quatre termes d’usage à Paris, et était dû solidairement par chaque boucher. Le nombre ne pouvait en être augmenté ni diminué sans l’autorisation de l’abbé. Ceux qui devenaient vacants par la mort ou l’absence du locataire, ne pouvaient être loués qu’à des personnes originaires du bourg, et pour une somme qui ne devait pas dépasser 20 sous parisis. La vacance ou même la destruction de l’un d’eux n’opérait pas de réduction dans le loyer dont le taux restait fixé à 20 livres. Le défaut de payement amenait la saisie des biens meubles de tous les bouchers ou de l’un d’eux (communiter vel divisim), jusqu’à l’acquittement intégral de la dette. L’abbaye avait aussi la faculté de confisquer leurs viandes en cas de non-payement ou de violation d’une clause du bail. Dans la suite, les bouchers qui occupaient alors les étaux, convertirent spontanément les livres tournois en livres parisis et augmentèrent par là le loyer d’un quart. La charte rédigée à cette occasion, le mercredi 29 mars 1374 (n. s.), constate deux autres modifications apportées au bail. Le boucher sur lequel la saisie avait été opérée pour le tout eut désormais, contre ses codébiteurs solidaires, un recours dont la première charte ne parle pas, et l’étranger qui épousait une femme native du bourg, fut admis à s’y établir boucher pendant la durée du mariage. Indépendamment de ces seize étaux, la même rue en contenait trois autres qui ne sont pas compris dans le bail. L’abbé Richard, de qui émane la charte, prévoyant le cas où ce nombre augmenterait, se réserva, ainsi qu’à ses successeurs, le droit de les louer à des bouchers connaissant bien leur état et nés à Saint-Germain[77].
La fondation d’une nouvelle boucherie rencontrait l’opposition des bouchers du Châtelet, qui y voyaient une atteinte à leur monopole. Ils eurent un procès devant le Parlement avec les Templiers, au sujet d’une boucherie que ceux-ci faisaient construire dans une terre, sise aux faubourgs de Paris. Les adversaires des Templiers prétendaient être en possession d’instituer leurs fils bouchers avec la faculté d’exercer cette industrie pour toute la ville, sous la condition de l’autorisation royale[78]. Personne, disaient-ils, fût-ce un seigneur justicier, ne pouvait créer des bouchers, ni construire une boucherie à Paris ou dans les faubourgs, à l’exception de ceux qui en avaient depuis un temps immémorial. Philippe III, avec leur assentiment, accorda aux Templiers la permission d’avoir hors des murs deux étaux, dont la longueur ne devait pas dépasser douze pieds, et d’y établir deux bouchers, qu’ils ne seraient pas obligés de prendre parmi les fils de maîtres[79]. Il était permis à ces bouchers de faire écorcher et préparer les bestiaux par leurs garçons, mais ils étaient tenus de les dépecer et de les vendre en personne. Le roi les affranchit de tous les droits auxquels la corporation était sujette, en déclarant qu’il n’entendait pas porter atteinte par cette concession aux usages et priviléges de ladite corporation[80]. Cette transaction, datée du mois de juillet 1282, nous fait connaître l’origine de la boucherie du Temple.
Le 2 novembre 1358, le dauphin Charles autorisa le prieuré de Saint-Éloi à établir six étaux à bouchers dans sa terre située près de la porte Baudoyer et au delà de la porte Saint-Antoine. Le prieur obtint cette faveur en faisant valoir la commodité qu’elle procurerait aux habitants du quartier Saint-Paul, dont toutes les boucheries se trouvaient fort éloignées, et l’exemple de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, qui avaient des boucheries dans les faubourgs[81].
L’évêque de Paris possédait un étal situé entre la grande et la petite porte de l’Hôtel-Dieu. Cette position causant beaucoup d’incommodité aux malades et aux personnes de la maison, l’évêque et l’hospice s’accordèrent pour qu’il fût transporté plus loin, dans la rue Neuve-Notre-Dame, à condition qu’il resterait sous la juridiction du prélat, et que le boucher qui l’occuperait conserverait ses priviléges. Philippe de Valois consentit à l’un et à l’autre, au mois de décembre 1345[82].
Mentionnons enfin la boucherie du bourg de Saint-Marcel et celle du Petit-Pont, qui était sous la juridiction de Saint-Germain-des-Prés[83].
CHAPITRE II
VIE CIVILE ET RELIGIEUSE DU CORPS DE MÉTIER
Le corps de métier était une personne morale.—Ses revenus et ses dépenses.—Il n’avait pas en principe le droit de sceau.—La confrérie.
Les corporations d’artisans étaient indépendantes jusqu’à un certain point de l’État, et constituaient des personnes morales. En effet, d’une part elles nommaient assez fréquemment leurs magistrats, investis quelquefois d’une juridiction professionnelle, et réglaient leur discipline intérieure avec une liberté presque complète, l’autorité publique se contentant généralement d’homologuer leurs statuts; de l’autre, elles étaient capables d’acquérir, d’aliéner, de faire en un mot tous les actes de la vie civile. Ainsi, en 1183, Philippe-Auguste accensa aux drapiers de Paris, pour 100 liv. parisis, vingt-quatre maisons confisquées sur les Juifs[84]. Au mois d’août 1219, un certain Raoul Duplessis leur donna, moyennant un cens de 12 den., une maison avec son pourpris, située derrière le mur du Petit-Pont, ainsi que 30 s. 2 den. de cens à percevoir sur les maisons voisines de celle où leur corporation tenait ses séances[85]. Au mois de novembre 1229, cette même corporation reçut de Nicolas Brunel, bourgeois de Paris, et d’Emeline, sa femme, 11 liv. et 19 den. parisis de croît de cens, dont un cinquième à titre gratuit et le surplus moyennant 200 liv. parisis. La terre sur laquelle était assis ce surcens relevant de l’évêque de Paris, les drapiers s’engagèrent à servir à celui-ci, ainsi qu’à ses successeurs, comme droit de lods et ventes, une rente de 20 s. parisis, payable moitié à l’octave de la Nativité de saint Jean-Baptiste (24 juin) et moitié à l’octave de Noël[86]. En janvier 1234 (n. s.), en présence d’un clerc commis par l’official de Paris, Philippe d’Étampes et sa femme Émeline donnèrent aux bouchers de la Grande-Boucherie, pour 9 liv. parisis de croît de cens payables moitié quinze jours après Noël (ad quindenam Nativitatis Domini), et moitié quinze jours après la Saint-Jean-Baptiste, une place située dans la rue Pierre-à-Poissons (in platea piscium)[87], près des étaux desdits bouchers. Philippe d’Étampes et sa femme garantirent aux bouchers la possession paisible de ladite place, sur laquelle Émeline renonça à tous les droits qu’elle avait ou pouvait avoir à titre de douaire ou autrement. Eudes, maître des bouchers, au nom de la communauté, affecta en garantie du payement du surcens aux termes fixés 60 s. parisis de croît de cens que ladite communauté percevait sur une maison de la rue de l’Écorcherie. A défaut de payement à échéance, Philippe et Émeline stipulèrent une indemnité de 12 den. par chaque jour de retard. En outre, ils avaient la faculté d’opérer la saisie de la place et des 60 s. de surcens qui garantissaient leur créance[88].
On vient de voir le maître des bouchers contracter pour ses confrères, dont il était le représentant naturel; les corps de métiers étaient également habiles à se faire représenter en justice par des procureurs[89], tandis que les associations qui n’avaient pas le caractère de personnes morales, ne pouvaient pas plus plaider qu’acquérir sans y être autorisées par le roi[90].
Outre leurs revenus ordinaires, tels que loyers, cens, rentes, etc., les corporations avaient des revenus casuels qui se composaient du droit payé à l’occasion de l’entrée en apprentissage, des droits de réception et d’une partie des amendes encourues pour infractions aux règlements. Lorsque ces revenus étaient insuffisants, elles obtenaient l’autorisation de s’imposer. Ainsi les tisserands, étant endettés de 660 livres, mirent sur chaque pièce de drap fabriquée à Paris une taxe de 12 den. parisis, qui devait être perçue jusqu’à leur entière libération, et dont ils affermèrent le produit pour une somme égale au montant de leurs dettes et payable par quotités de 110 s. parisis chaque semaine. Ce n’était pas la première fois que les tisserands recouraient à ce moyen pour se créer des ressources extraordinaires[91]. Lorsqu’elles devaient avoir un procès, les corporations se réunissaient, avec l’autorisation du prévôt, pour s’imposer une contribution destinée à couvrir les frais de justice. C’est ce que firent les barbiers en 1398, les boulangers et les chandeliers de suif en 1399, les mégissiers en 1407[92].
Indépendamment des revenus dont jouissaient les autres corporations, le budget des bouchers de la Grande-Boucherie comprenait les produits de la juridiction exercée par le maître et les jurés. Le droit de deux deniers auquel donnait lieu l’apposition du signet de la communauté sur une obligation, et celui d’un denier acquitté par la partie ou le témoin qui prêtait serment, faisaient partie des revenus judiciaires, sur lesquels le maître prenait un tiers, et dont le reste était employé aux dépenses sociales. Les exploits de justice et même les revenus dans leur ensemble étaient quelquefois affermés. Le vendredi après la Saint-Jacques et la Saint-Christophe (25 juillet), chaque boucher payait le loyer de son étal et passait un nouveau bail. Lorsque l’un d’eux ne se présentait pas ce jour-là pour faire un bail et qu’il n’avait pas payé le loyer échu au fermier, celui-ci était mis en possession de l’étal et s’en appropriait les revenus pendant l’année courante, à la charge d’en payer le loyer au nouveau fermier[93]. Le boucher, bien que son créancier fût désintéressé, n’était admis à continuer son métier qu’après s’être libéré de sa dette au profit de la corporation, et il était en outre condamné à l’amende, s’il ne justifiait pas son absence auprès du maître et des jurés. Quand un boucher mourait avant d’avoir payé son loyer, le fermier était également mis en possession de l’étal, à moins que les jurés ne consentissent à le louer à un confrère, qui devait payer le loyer échu et celui de l’année suivante. Il en était de même lorsque le locataire mourait avant le jour de l’échéance; cependant, si le défunt laissait un fils exerçant la même profession, celui-ci pouvait occuper l’étal de son père jusqu’à l’expiration du bail, à la condition de payer le loyer[94].
L’entretien de la maison commune, la rétribution d’un conseil chargé des intérêts de la société[95], les frais de représentation, des repas de corps et des services religieux, les aumônes, telles étaient les principales dépenses auxquelles les corps de métier avaient à faire face.
Les corporations industrielles avaient-elles un sceau? On serait tenté de le croire, quand on considère qu’elles formaient des personnes morales: en effet, la faculté de passer des contrats semble impliquer celle de les valider par l’apposition d’un sceau[96]. Cependant il n’en était pas ainsi, et le droit de sceau, loin d’être inhérent aux corporations, ne leur appartenait que lorsqu’il leur avait été octroyé par une concession spéciale[97]. Or, l’autorité publique devait, on le comprend, se montrer assez avare de ces concessions, qui avaient pour résultat de la priver d’une source de revenus. Parmi les corporations parisiennes, bien peu possédaient un sceau. Leroy nous a transmis la copie de celui des orfévres, qu’il regarde comme ayant été gravé au XIIIe siècle. Il a pour type saint Éloi, et pour légende les mots: Sigillum confratrie sancti Eligii aurifabrorum[98]. Les bouchers de la Grande-Boucherie, comme on l’a vu, jouissaient également du droit de sceau. Enfin, un accord passé entre les prévôts, ouvriers et monnayers du serment de France et l’évêque de Paris, fut scellé du «séel commun de la monnoie de Paris[99].»
Nous avons envisagé le corps de métier dans l’ordre civil; étudions-en maintenant le caractère moral et religieux. La pratique de la dévotion et de la charité venait, en effet, resserrer entre les artisans de même profession les liens formés par la communauté d’intérêts. Le Livre des métiers contient déjà des dispositions pieuses et charitables. Ainsi les statuts des tréfiliers d’archal condamnent le contrevenant à payer 4 den. pour l’entretien du luminaire de l’église des frères Sachets[100]. Le boulanger, qui cuisait un jour de fête chômée, encourait, par fournée, une amende de 2 s. de pain qui était convertie en aumône, et le pain trop petit (les règlements ne permettaient pas d’en faire de plus petit que celui d’une obole), était confisqué au profit des pauvres[101]. Chez les tapissiers de tapis sarrazinois[102], la moitié des amendes était, par les soins des gardes du métier, distribuée aux pauvres de la paroisse des Saints-Innocents[103]. Les tailleurs de robes, les cordonniers et les gantiers en consacraient une partie au soutien de leurs confrères indigents[104]. La volaille et le gibier, saisis dans certain cas sur les poulaillers, revenaient à l’Hôtel-Dieu et aux prisonniers du Châtelet[105]. Le droit payé par l’apprenti à son entrée en apprentissage recevait parfois un emploi charitable[106]. Chez les fabricants de courroies, il servait, ainsi que le droit de réception à la maîtrise, à mettre en apprentissage les fils de maîtres devenus orphelins et privés de ressources[107]. Chez les boucliers de fer (fabricants de boucles), il subvenait également aux frais d’apprentissage des fils de maîtres tombés dans la misère[108]. Nous croyons, avec Jaillot[109], qu’il faut attribuer aux monnayeurs de la monnaie de Paris, ou au moins à l’un d’eux, la fondation de la léproserie du Roule dont on trouve la première mention dans des lettres de Pierre de Nemours, évêque de Paris, du mois d’Avril 1217-18[110]. C’est sans doute à titre de fondateurs qu’ils avaient, sur l’administration de cet hospice, des prétentions qui furent, jusqu’à un certain point, reconnues par une transaction faite entre eux et l’évêque de Paris, Fouques de Chanac, le 12 mars 1343 (n. s.). D’après cet accord, le gouverneur de l’hospice était nommé et révoqué par l’évêque qui pouvait y faire entrer quatre personnes, en comptant le chapelain, et davantage si les revenus de la maison le permettaient. De leur côté, les monnayeurs avaient le droit d’y placer quatre de leurs confrères et de commettre quelques-uns d’entre eux pour recevoir, avec des délégués de l’évêque, les comptes de l’administrateur. En revanche, ils s’engagèrent à contribuer aux dépenses pour une somme de 220 livres parisis jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste et, à partir de cette époque, à y consacrer le montant des boîtes des monnaies de Paris, Rouen, Troyes et Montdidier, où chaque ouvrier versait 1 denier tournois par 20 marcs convertis en espèces, et chaque monnayer un denier tournois par semaine[111].
Si les faits que nous venons de citer ne prouvent pas nécessairement que les corporations formassent, dès le XIIIe siècle, des confréries religieuses, ils témoignent du moins des sentiments de piété et de charité qui devaient amener la création de ces confréries. Les statuts du Livre des métiers ne sont pas assez explicites à cet égard pour nous permettre le juger exactement du développement que ces associations pouvaient avoir atteint dès cette époque. Ils nous font cependant connaître la confrérie de Saint-Léonard, fondée à Saint-Merry par les boucliers d’archal et de cuivre[112], et celle de Saint-Blaise, érigée par les maçons dans une chapelle de ce vocable, voisine de Saint-Julien-le-Pauvre[113]. Un article du statut des orfévres nous autorise à faire remonter au même temps la confrérie de Saint-Éloi. D’après cet article, l’argent versé dans la caisse de la confrérie des orfévres était destiné à un dîner offert, le jour de Pâques, aux pauvres de l’Hôtel-Dieu. Il est évident qu’il s’agit ici, non du corps de métier, dont tous les revenus ne pouvaient être applicables à ce dîner, mais de la caisse particulière de la confrérie de Saint-Éloi; cela ressort d’ailleurs de la comparaison de cet article avec un article des statuts de 1355, qui, malgré certaines différences, a été fait sur le premier, et nous en révèle le véritable sens[114]. En dehors de ces cas, le mot confrérie, qui se présente souvent dans le recueil d’É. Boileau, nous paraît y désigner le corps de métier, plutôt que l’association toute morale que ce nom désigne plus spécialement. Quoi qu’il en soit, ces sociétés pieuses et bienfaisantes étaient déjà nombreuses quand Philippe le Bel les abolit, c’est-à-dire, probablement au commencement du XIVe siècle[115]. C’est en partie à l’aide des lettres patentes par lesquelles ses successeurs autorisèrent le rétablissement de plusieurs d’entre elles, que nous essaierons de donner une idée de leur organisation; mais, pour suppléer à l’insuffisance de ces documents, et en général de ceux qui rentrent strictement dans les limites de notre sujet, nous avons dû quelquefois les franchir, soit en descendant jusqu’au XVe siècle, soit en consultant les statuts des confréries de province, ou de celles qui n’avaient pas un caractère professionnel.
La composition de la confrérie n’était pas toujours la même que celle de la corporation. Tantôt elle ne comprenait qu’une partie des gens du métier, tantôt, au contraire, elle admettait des personnes qui y étaient étrangères. Ainsi les pourpointiers de la rue des Lombards formaient une confrérie à part qui se tenait dans l’église voisine de Sainte-Catherine[116]. Les valets merciers avaient aussi leur confrérie particulière en l’honneur de saint Louis[117]. Il en était de même des ouvriers cordonniers, qui naturellement avaient pris pour patrons saint Crépin et saint Crépinien[118]. Un certain nombre de boursiers, originaires pour la plupart de Bretagne, avaient établi une confrérie sous l’invocation de saint Brieuc, patron de leur pays[119]. Plusieurs cardeurs de laine, fixés à Paris où ils avaient cherché un refuge contre les guerres qui désolaient le pays au XIVe siècle, s’étaient unis en confrérie sous la protection de la Trinité, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste[120]. Les orfévres se partageaient entre plusieurs confréries, parmi lesquelles nous avons déjà signalé celle de Saint-Éloi[121] et celle de Saint-Denis et de ses compagnons. Il faut y joindre la confrérie de Notre-Dame-du-Blanc-Mesnil, instituée, pendant le XIVe siècle, au village de ce nom, pour ne pas parler de celle de Saint-Anne et de Saint-Marcel, dont la création ne date que de 1447[122].
D’un autre côté, la confrérie de Sainte-Véronique, à Saint-Eustache, composée en majorité de marchands et de marchandes de toile des Halles, comptait, parmi ses membres, des personnes qui n’appartenaient pas à cette profession[123]. La confrérie des drapiers recevait également des personnes n’exerçant pas le commerce des draps[124]. Les bouchers de la Grande-Boucherie, qui, le jour de leur confrérie, célébraient la Nativité de Notre-Seigneur, y admettaient tous ceux qui désiraient en faire partie[125]. Tout le monde enfin pouvait entrer dans la confrérie fondée à Saint-Germain-l’Auxerrois par des paroissiens de cette église, dont la plupart étaient ouvriers pelletiers[126].
Mais, en général, la confrérie, par la façon dont elle était composée, se confondait avec le corps de métier et ne s’en distinguait que par son but et son organisation.
La célébration d’offices religieux, l’assistance mutuelle, les bonnes œuvres, les repas de corps, tel était l’objet multiple des confréries. La dévotion, la charité, le plaisir s’y unissaient si intimement qu’il est impossible de nous en occuper successivement à ces divers points de vue, comme l’exigerait un ordre rigoureux. Chacune d’elles, on le sait, se plaçait sous l’invocation d’un saint qui était considéré comme le patron du métier, et dont elle prenait le nom. La Grande-Boucherie et la maison commune des orfévres renfermaient une chapelle[127]; mais, le plus souvent, les confrères se réunissaient à l’église pour assister aux cérémonies religieuses. Chaque semaine, la confrérie de Saint-Brieuc faisait célébrer une messe en l’honneur du patron[128]. Tous les lundis, le service divin était célébré à Notre-Dame devant les images des saints Crépin et Crépinien pour les compagnons cordonniers[129]. Le même jour, la confrérie des cardeurs faisait dire une messe dans l’hôpital du Saint-Esprit[130]. Au mois d’août 1336, Philippe de Valois amortit une rente de 20 livres parisis, destinée par les orfévres de la confrérie Saint-Éloi à la fondation d’une chapellenie, à charge de chanter chaque jour l’office des morts[131]. Les drapiers achetèrent aussi une rente amortie avec l’intention de fonder une chapelle ou un hôpital[132].
Les confréries rendaient à leurs membres les derniers devoirs. Celui qui n’assistait pas aux obsèques d’un confrère était mis à l’amende. Le tabletier, qui n’accompagnait pas le corps en personne, devait du moins envoyer quelqu’un de sa maison, sous peine de payer une demi-livre de cire à la confrérie[133]. Dans la confrérie des boulangers et pâtissiers d’Amiens, le maître ou la maîtresse qui, n’étant pas absent de la ville et ayant reçu une convocation, n’allait pas à l’enterrement ou même au mariage d’un confrère, encourait une amende de 4 deniers parisis[134]; mais, si l’un des époux s’y rendait, l’autre pouvait s’en dispenser. La confrérie fournissait quatre torches pour ces cérémonies, ainsi que pour le baptême des enfants des confrères[135]. A Soissons, lorsqu’un tailleur mourait, les quatre compagnons les plus voisins du défunt veillaient le corps toute la nuit, et, le lendemain, tous les confrères assistaient au service et à l’enterrement; ceux qui manquaient à ces devoirs de confraternité étaient punis d’une amende. Si le défunt ne laissait pas de quoi se faire enterrer, la confrérie faisait les frais du linceul et des cierges[136]. La confrérie de Saint-Paul donnait, pour l’enterrement de ses membres, quatre torches, quatre cierges, la croix et le poêle, et, le lundi qui suivait le décès, elle faisait chanter, pour l’âme du défunt, une messe de Requiem avec diacre et sous-diacre[137]. Les boursiers de la confrérie de Saint-Brieuc faisaient également chanter une messe de Requiem le jour des obsèques d’un confrère[138].
La confrérie se tenait généralement le jour de la fête du patron; par exception, celle des bouchers de la Grande-Boucherie, en l’honneur de la Nativité de Jésus-Christ, était fixée au dimanche après Noël[139]. Un crieur parcourait les rues, une clochette à la main, en annonçant le lieu et l’heure de la réunion[140]. Les confrères, parés de leurs plus beaux habits, se réunissaient à l’église pour entendre une grand’messe en l’honneur du patron, accompagnée quelquefois d’un sermon et d’une procession, et suivie des vêpres[141]. C’était après ou même pendant les vêpres que le bâtonnier en exercice était remplacé. Dans ce dernier cas, au moment où l’on chantait le verset du Magnificat: Deposuit potentes de sede, le bâtonnier sortait de charge et, aux mots suivants: et exaltavit humiles, on installait son successeur. C’est ce qu’on appelait faire le deposuit, soit que l’installation eût lieu par les soins du clergé, soit que le nouveau bâtonnier reçût le bâton des mains de son prédécesseur. Cette cérémonie, qui mettait en action les paroles du psaume, était suivie d’un Te Deum, après lequel on terminait les vêpres[142]. Le nouveau dignitaire faisait un don à la confrérie[143].
Les cérémonies religieuses, plus ou moins nombreuses suivant les confréries, duraient parfois plusieurs jours; d’un autre côté, elles ne remplissaient pas exclusivement le jour de la fête patronale, qui était souvent consacré aussi à un repas de corps[144]. Lorsque cette fête tombait un jour maigre, le banquet était remis[145]. Dans ce banquet, où chaque convive payait son écot et n’était admis que sur la présentation du méreau qui lui avait été délivré en échange de sa cotisation[146], les pauvres avaient leur part. La confrérie de Saint-Paul leur réservait quinze places et les y traitait avec de touchants égards, les faisant asseoir et servir les premiers, à côté des plus riches confrères, exigeant seulement qu’ils se présentassent avec une tenue convenable[147]. Le repas de la confrérie des drapiers était l’occasion d’abondantes aumônes en nature. Il avait lieu le dimanche après les Étrennes, à moins que la confrérie de Notre-Dame ne tombât ce jour-là. Les pauvres de l’Hôtel-Dieu recevaient chacun un pain, un morceau de bœuf ou de porc et une pinte de vin, et les femmes de l’hospice, nouvellement accouchées, un plat (mez) entier. La même quantité de pain et de viande, avec le double de vin (une quarte au lieu d’une pinte), était distribuée aux prisonniers du Châtelet; les gentilshommes, qui se trouvaient parmi eux, avaient deux plats. Tous les Jacobins et les Cordeliers étaient gratifiés d’un pain d’un denier fort. On donnait à tous les pauvres qui se présentaient un pain, et, lorsque le pain était épuisé, une bonne maille. Le pain et le vin de reste revenaient aux maladreries et aux hôtels-Dieu de la banlieue qui le demandaient. Les sains et les oings appartenaient aux religieuses de l’abbaye de Valprofond[148].
On voit que la charité avait sa place dans des réunions dont le plaisir semblait être le seul but; elle s’exerçait encore en temps ordinaire, soit au sein même de la confrérie, soit en dehors. Les ouvriers pourpointiers avaient l’habitude, en entrant chez un patron, de payer à leurs camarades d’atelier une bienvenue de 2 ou 3 sous parisis, qu’ils allaient dépenser ensemble au cabaret; ils la remplacèrent par une cotisation de 8 deniers, payable au cas seulement où l’ouvrier, à la fin de la première semaine, restait au service du patron, et dont le produit devait être consacré aux dépenses de la confrérie, notamment à secourir les pauvres du métier et à fonder en leur faveur deux lits garnis à l’hôpital Sainte-Catherine[149]. Chez les tailleurs de Soissons, le confrère pauvre qui tombait malade recevait des secours sur la caisse de la confrérie[150]. La maison commune des orfévres comprenait un hospice pour les vieillards et les pauvres de la communauté, et c’est même sous le titre d’hôpital qu’on la trouve le plus souvent désignée[151]. Nous avons déjà parlé du dîner que la confrérie de Saint-Éloi donnait, le jour de Pâques, aux pauvres de l’Hôtel-Dieu. Au XIVe siècle, cette bonne œuvre s’étendit à tous les prisonniers de Paris[152]. Les drapiers, on l’a vu, avaient acheté une rente amortie avec la pensée de fonder, soit une chapellenie, soit un hôpital[153]. Les aumônes reçues par la confrérie de Saint-Louis aux valets merciers profitaient exclusivement à l’hospice des Quinze-Vingts, où elle se tenait[154].
A côté de ces confréries, qui ne se distinguaient pas moins par leur caractère religieux que par leur caractère charitable, signalons une véritable société de secours mutuels, fondée par les corroyeurs de robes de vair, en dehors de toute préoccupation religieuse, afin de venir en aide à ceux d’entre eux que la maladie réduisait au chômage. Les ouvriers qui voulaient participer aux avantages de cette société, payaient un droit d’entrée de 10 s., avec 6 d. pour le clerc, et versaient une cotisation d’un denier par semaine ou de deux deniers par quinzaine. Les membres qui se trouvaient débiteurs de plus de 6 d., ne pouvaient obtenir l’assistance de la société qu’après s’être libérés. Le droit d’entrée et les cotisations étaient reçus par six personnes du métier, élues annuellement, ainsi que le clerc, par la corporation, à laquelle elles rendaient compte. Ces fonds étaient exclusivement employés à secourir les ouvriers malades; pendant la maladie, on leur donnait 3 s. par semaine, 3 s. pour la semaine où ils entraient en convalescence (pour la semaine qu’il relevera), 3 s. enfin, pour «soy efforcer,» c’est-à-dire pour leur permettre de se rétablir entièrement; mais aucun secours n’était accordé à ceux qui s’étaient attiré des blessures par leur humeur querelleuse (par leur diversité)[155].
La caisse de la confrérie était alimentée par les droits d’entrée, les cotisations, les amendes, les donations et les legs. Dans la confrérie de Saint-Brieuc, le droit d’entrée était fixé à 12 d.; en outre, chaque membre acquittait, à la fête du patron, une cotisation de même valeur, et laissait à l’association, lorsqu’il cessait d’en faire partie, soit par la mort, soit volontairement, une livre de cire ou sa valeur en argent[156]. La confrérie de Saint-Paul laissait ses membres libres de léguer ce qu’ils voulaient; mais, en revanche, le droit d’entrée s’élevait à 5 sous, sans compter 1 sou pour les pauvres et 2 deniers pour le clerc; il faut y joindre une cotisation annuelle d’un sou[157]. Après sa réception à la maîtrise, le tailleur faisait à la confrérie un don en rapport avec sa fortune, et ne pouvait exercer sa profession que lorsque les jurés du métier s’étaient déclarés satisfaits de sa générosité[158]. L’ouvrier foulon, qui s’établissait, payait 60 sous à la confrérie érigée par les foulons en l’église Saint-Paul[159]. Nous avons vu que l’ouvrier pourpointier, qui passait au service d’un nouveau patron, versait 8 deniers dans la caisse de la confrérie[160]. Les savetiers acquittaient, au profit de leur confrérie établie à Saint-Pierre-des-Arcis, une cotisation annuelle dont le taux était généralement de 12 deniers, mais n’avait cependant rien d’obligatoire; la dépopulation de Paris et des environs ayant fait perdre à la corporation beaucoup de ses membres, et les survivants étant ruinés par les charges qui pesaient sur eux, plusieurs ouvriers se dispensèrent d’entrer dans la confrérie qui ne se trouva plus, dès lors, en état d’entretenir le mobilier sacré de sa chapelle et d’y continuer la célébration du service divin. Pour prévenir sa ruine, les savetiers prirent les mesures suivantes qui obtinrent l’approbation royale. Désormais, personne ne put être admis à la maîtrise qu’à la condition de faire partie de la confrérie et de lui payer une livre de cire. Chaque apprenti, à son entrée en apprentissage, dut payer 4 sous parisis. Enfin les patrons et ouvriers furent soumis à une cotisation d’un denier par semaine[161]. Le drapier payait, sur chaque pièce de drap qu’il achetait, un droit d’un denier parisis, dont le produit servait à l’acquisition de blé pour les pauvres. Pour le confrère non-commerçant, ce droit était remplacé par une cotisation de 8 sous, payable à Noël et destinée au même usage[162]. Les arrhes que le drapier recevait de l’acheteur étaient exclusivement consacrées aux aumônes en nature faites à l’occasion du repas de corps, et celui qui en disposait autrement était obligé de les remplacer de sa bourse. Le vendeur devait rappeler à l’acheteur le payement des arrhes[163]. Chez les orfévres, elles étaient également versées dans la caisse de la confrérie, ainsi que les bénéfices réalisés par celui qui, son tour venu, avait ouvert boutique un jour chômé[164].
A la tête de la confrérie se trouvaient des administrateurs particuliers, appartenant au métier, élus pour un an par les confrères auxquels ils rendaient leurs comptes en sortant de charge. L’élection avait lieu quelquefois à l’église même, en présence de deux clercs notaires du Châtelet, délégués par le prévôt de Paris[165]. Des actes relatifs à une maison de la rue aux Deux-Portes, dite l’Hôtel des trois pas de Degré, sur l’emplacement de laquelle les orfèvres construisirent leur maison commune, montrent bien que l’administration de la confrérie était distincte de celle du corps de métier. En effet, dans l’acte de vente, en date du 17 décembre 1399, la confrérie de Saint-Éloi est représentée par ses maîtres ou gouverneurs, comme le corps de métier par ses gardes. Les maîtres ou gouverneurs figurent également à côté des gardes du métier dans l’acte d’ensaisinement, et dans les lettres d’amortissement accordées par l’évêque de Paris en qualité de seigneur censier[166].
CHAPITRE III
VIE PUBLIQUE DU CORPS DE MÉTIER
Services rendus par le corps de métier en matière d’impôts et de police.—Sa participation aux fêtes et aux cérémonies publiques.—Son rôle politique.
Jusqu’ici, nous avons considéré le corps de métier en lui-même, abstraction faite de la place qu’il occupait dans l’organisation sociale; nous allons étudier maintenant la part qu’il prenait à la vie publique.
Dans un assez grand nombre de villes, les corporations d’arts et métiers concouraient au gouvernement municipal ou contribuaient à l’élection des officiers municipaux[167]. A Paris, l’administration et la police étaient concentrées dans les mains du prévôt royal et les corporations industrielles n’avaient aucun lien avec l’échevinage, dont la principale attribution consistait à surveiller le commerce fluvial. Elles n’eurent donc d’autre rôle politique que celui qu’elles usurpèrent à la faveur des circonstances, et l’autorité n’utilisait leur organisation que pour asseoir les impôts, assurer le bon ordre et rendre les fêtes et les cérémonies publiques plus brillantes.
Les corporations nommaient un ou plusieurs de leurs membres pour répartir le montant de la taille et vérifier la recette[168]. Lorsque la taille ne s’étendait pas au delà du quartier dans l’intérêt duquel elle était imposée, elle était levée non pas, comme les tailles générales, par paroisses et par quêtes, mais par corporations, et alors chaque corporation répartissait entre ses membres la somme à laquelle elle avait été imposée[169].
C’est au sein des corporations de métiers, que se recrutait la milice bourgeoise à laquelle était en partie confiée la police de la ville. Les artisans de certains métiers s’étaient spontanément chargés de faire le guet à leurs frais et à tour de rôle de trois semaines en trois semaines. On voit, par l’ordonnance du mois de décembre 1254, qu’il existait déjà un guet soldé par le roi et composé de vingt sergents à cheval et de quarante sergents à pied, sous le commandement d’un officier nommé le chevalier du guet[170]. A la différence de celui-ci, qui parcourait les rues en patrouille, le guet bourgeois était à poste fixe[171]. Les métiers soumis au service étaient un peu plus de vingt et un. On en compterait vingt et un juste si l’on s’en tenait à ce fait que le tour de chacun d’eux venait une fois en trois semaines, mais on voit que plusieurs se réunissaient quelquefois pour former le contingent qu’un seul d’entre eux n’aurait pu fournir. Ainsi, on ne comptait parmi les batteurs d’or que six maîtres tenus au guet, et ils invoquaient ce petit nombre comme motif de dispense[172]. Un arrêt du Parlement, de la Pentecôte 1271, nous montre qu’il faut ajouter à ces vingt et un métiers les changeurs, les orfévres, les drapiers, les taverniers[173]. Une ordonnance du roi Jean, du 6 mars 1364 (n. s.) parle de la convocation des gens du métier ou des métiers dont le tour est arrivé. Cette convocation devait être faite en temps opportun par deux officiers portant le titre de clercs du guet, et chargés d’enregistrer les noms de ceux qui se présentaient au Châtelet avant le couvre-feu, de remplacer les défaillants à leurs frais et de distribuer le guet par escouades de six hommes entre les différents postes. Il y en avait deux près du Châtelet; les autres étaient établis dans la cour du Palais, près de l’église de Sainte-Marie-Madeleine de la Cité, à la place aux Chats, devant la fontaine des Innocents, sous les piliers de la place de Grève et à la porte Baudoyer. L’effectif était donc de quarante-huit hommes. Quelquefois il y en avait davantage, et alors l’excédant était envoyé aux carrefours où les clercs jugeaient qu’il serait le plus utilement placé. Le service durait depuis le couvre-feu jusqu’au jour. Les bourgeois s’armaient eux-mêmes et servaient généralement en personne. Cependant les cordonniers pouvaient, dès le temps de la reine Blanche, se faire remplacer par leurs ouvriers[174], et les couteliers jouissaient depuis Philippe-Auguste du même privilége[175]. Plusieurs métiers avaient affermé du roi le revenu du guet auquel ils étaient soumis et dont ils se déchargeaient sur des remplaçants. De ce nombre étaient les tisserands. Chaque fois que leur tour était arrivé, ils fournissaient soixante hommes et payaient 20 s. parisis au roi, plus 10 s. qui se répartissaient entre leurs remplaçants, les clercs du guet et les veilleurs (gaites) du Grand et du Petit-Pont. Le maître du métier était chargé de convoquer le guet et, à ce titre, sergent juré du roi[176]. Il forçait même les fabricants de tapis de luxe à guetter en violation de leur privilége, et ceux-ci l’accusaient de s’approprier les revenus du guet au détriment du trésor royal[177]. Au XIVe siècle, les tisserands, appauvris et décimés par les guerres et les épidémies, n’avaient plus les moyens de se racheter du guet. La plupart quittèrent la terre du roi pour aller s’établir dans les seigneuries ecclésiastiques, dont les habitants jouissaient de l’immunité. Il ne resta environ que seize familles de tisserands dans le domaine royal. A la requête du maître et des jurés du métier qui avaient déterminé le retour d’un certain nombre de familles et faisaient espérer que les autres suivraient cet exemple, Charles V, au mois d’avril 1372-73, affranchit les tisserands qui viendraient s’établir sous sa juridiction immédiate de l’obligation de se racheter et leur remit même les arrérages échus, à la charge de faire le guet comme les autres corporations[178]. Ainsi, ils obtinrent comme une faveur de quitter une situation privilégiée, que les circonstances avaient rendue onéreuse, pour rentrer dans la condition commune.
Plusieurs corporations cependant se rachetaient du service par une redevance en nature ou en argent. Tel était le cas des tonneliers et des esculliers (fabricants d’écuelles, de hanaps, d’auges, etc.). Chaque escullier fournissait annuellement au cellier royal sept auges de deux pieds de long[179], et chaque tonnelier obtenait son exemption depuis la Madeleine (22 juillet) jusqu’à la Saint-Martin d’hiver (11 novembre), en payant au roi la valeur d’une journée de travail[180]. L’expression payer, que les statuts de certains métiers appliquent au guet, prouve que, pour ces métiers, le service avait été converti en une prestation pécuniaire[181]. L’usage de s’en affranchir à prix d’argent se généralisa même abusivement par la prévarication des clercs du guet, dont les bourgeois achetaient la tolérance, si bien que la ville fut privée pendant quelque temps de la garde de nuit qui veillait à sa sûreté. Le 6 mars 1364 (n. s.), le roi Jean, voulant remettre en vigueur une institution aussi utile, destitua les coupables et décida qu’à l’avenir leur office serait rempli par deux notaires du Châtelet, qui l’exerceraient concurremment avec leurs premières fonctions. Comme plusieurs s’esquivaient après avoir fait inscrire leurs noms, il ordonna que le guet des sergents visiterait les postes et prendrait les noms des absents afin de les faire connaître au prévôt de Paris, enfin il défendit aux clercs de profiter de leur position pour faire des gains illégitimes[182].
Le guet bourgeois était commandé par le prévôt ou par son lieutenant. Les changeurs, les orfévres, les drapiers, les taverniers, revendiquaient le privilége de ne guetter que sous le commandement personnel du prévôt, mais la jurisprudence constante du Parlement se montra contraire à cette prétention. Dans sa session de l’octave de la Toussaint 1264, il jugea à l’unanimité que les drapiers étaient tenus de guetter en l’absence comme en la présence de cet officier, et ce n’était pas la première fois qu’il se prononçait en ce sens[183]. Un arrêt du lundi après la Saint-Barnabé (11 juin) 1265, apprend que la même chose avait été décidée à plusieurs reprises à l’égard des bourgeois de Paris en général[184], et la question posée de nouveau à l’occasion des changeurs, des orfévres, des drapiers, des taverniers, etc., fut résolue de même en 1271, conformément à un arrêt du Parlement, de la Saint-Martin d’hiver 1258, dont l’existence fut établie par un record de cour[185].
Le privilége des corporations exemptes du guet se fondait généralement sur ce qu’elles exerçaient une industrie de luxe; travaillant surtout pour la noblesse et le clergé, elles participaient en quelque sorte à la faveur dont ces classes élevées étaient l’objet. C’est à ce titre que les haubergiers[186], les barilliers[187], les imagiers[188], les chapeliers de paon[189], les archiers[190], jouissaient de l’immunité, et que les lapidaires[191], les tapissiers de tapis imités de ceux de l’Orient[192], les tailleurs de robes[193], y prétendaient. Une tradition, transmise de père en fils chez les mortelliers et tailleurs de pierre, faisait remonter leur privilége à cet égard au temps de Charles-Martel[194]. Les maîtres et clercs du guet obligeaient les barbiers à guetter, bien que le registre des métiers ne leur imposât pas cette charge. Les barbiers s’en plaignirent à Charles V; ils représentèrent que quatorze d’entre eux sur quarante étaient exempts, soit à cause de leur âge, soit parce qu’ils demeuraient sur des terres franches ou seigneuriales; ils ajoutèrent qu’ils étaient souvent appelés la nuit par les malades à défaut des médecins et chirurgiens. Le roi manda au prévôt de Paris de consulter les registres des métiers conservés au Châtelet et à la Chambre des comptes et de faire droit, s’il y avait lieu, à la requête des barbiers. C’est ce que fit le prévôt après avoir vérifié que les registres ne contenaient rien qui s’y opposât[195]. Un document qui paraît avoir été rédigé à la suite d’une enquête ordonnée par le Parlement[196] nous offre la liste complète des corporations et des personnes exemptes du guet. Elle comprend, outre celles que nous avons déjà citées, les chasubliers, les graveurs de sceaux (seelleurs), les libraires, les parcheminiers, les enlumineurs, les écrivains, les tondeurs de draps, les bateliers, les buffetiers, les fabricants de gants de laine, de chapeaux en bonnet[197], de nattes, de haubergeons, de braies, de bijoux en verre (voirriers), les déchargeurs de vin, les sauniers, les corroyeurs de robes de vair, les corroyeurs de cordouan, les monnayeurs, les brodeurs de soie, les courtepointiers, les vanniers, les tapissiers qui se servaient de la navette, les marchands de fil (fillandriers), les calendreurs, les marchands d’oublies, les écorcheurs, les orfévres, les étuveurs, les apothicaires, les habitants de l’enceinte des églises et des monastères, les mesureurs, ceux qui remettaient les vêtements à neuf, les petits marchands qui étalaient leurs denrées aux fenêtres (touz fenestriers), les courtiers de commerce, les marchands de vin étaliers, les artisans attachés au service du roi, des princes du sang et des seigneurs, les boiteux, les estropiés, les fous, les maîtres et jurés des métiers[198]. Les sexagénaires, les absents qui n’avaient pas quitté la ville après avoir eu connaissance de la convocation, les malades, ceux dont la femme était en couches, ceux qui avaient été saignés le jour même, pourvu que la convocation n’eût pas précédé la saignée, ceux enfin qui montaient la garde sur les murs de la ville, étaient dispensés, à la condition de faire, sous serment, leur déclaration aux clercs du guet[199]. Ceux-ci, paraît-il, n’acceptaient les excuses des fripiers que lorsqu’elles étaient présentées par leurs femmes. Les fripiers représentèrent l’inconvénient qu’il y avait pour elles à attendre au Châtelet l’heure du couvre-feu et à en revenir le soir par des rues écartées et désertes, et ils sollicitèrent du roi la permission de se faire excuser par leur ouvrier, leur servante ou leur voisin[200].
Les descriptions que les chroniqueurs nous ont laissées des fêtes et des cérémonies publiques prouvent que les corps de métiers ne s’y confondaient pas avec le reste de la bourgeoisie et qu’ils y occupaient une place distincte.
Chacun d’eux était rangé à part et portait un uniforme neuf, en étoffe de prix, tel que le prévôt de Paris le lui avait assigné[201]. L’intervention du prévôt en pareille matière montre bien que leur assistance aux cérémonies publiques faisait partie du programme officiel de ces cérémonies. Mais ils ne se bornaient pas à y assister, ils contribuaient aux divertissements offerts à la foule. Jean de Saint-Victor, décrivant les fêtes célébrées à Paris, en 1313, à l’occasion de la chevalerie des trois fils de Philippe le Bel, parle du défilé de toutes les corporations avec leurs insignes particuliers; les unes, ajoute-t-il, représentèrent l’enfer, les autres le paradis, d’autres firent passer sous les yeux du public tous les personnages du Roman du Renard, se livrant à l’exercice des diverses professions[202]. Nous savons par un autre chroniqueur, que les fabricants de courroies représentèrent la vie de ce personnage alors si populaire, tandis que les tisserands jouèrent des scènes empruntées surtout au Nouveau Testament[203]. A l’époque qui nous occupe, les gens de métiers assistaient en corps aux cérémonies et aux fêtes publiques et n’y étaient pas représentés, comme ils le furent plus tard, par cette espèce d’aristocratie commerciale, composée de six corporations, qui n’apparaît pas dans l’histoire avant l’entrée de Henri VI à Paris, en 1431[204].
Si les corps de métiers n’exercèrent pas à Paris une action politique régulière, ils se jetèrent avec ardeur, et ajoutons avec discipline, dans les troubles qui agitèrent la capitale au XIVe siécle. L’émeute qui éclata en 1306, par suite du rétablissement de la forte monnaie, fut l’œuvre de la population ouvrière et marchande. Les propriétaires voulurent être payés de leurs loyers en bonne monnaie; cette prétention légitime n’en irrita pas moins les petits locataires qui voyaient tripler brusquement les loyers qu’ils payaient depuis onze ans[205]. Des gens du peuple, foulons, tisserands, taverniers et autres, envahirent la maison de campagne d’Étienne Barbète, voyer de Paris et maître de la monnaie[206], la brûlèrent, saccagèrent le jardin, enfoncèrent les portes de son hôtel de la rue Saint-Martin, mirent le mobilier en pièces, enfin poussèrent l’audace jusqu’à bloquer le roi dans le Temple. C’est le jeudi avant l’Épiphanie que se commettaient ces excès. La veille de cette fête, vingt-huit des séditieux furent pendus aux quatre portes de la ville[207]. Un autre chroniqueur porte à quatre-vingts personnes le nombre des gens de métier qui subirent ce supplice[208]. D’après un troisième, le ressentiment de Philippe le Bel ne fut satisfait que par la mort d’un maître de chaque métier[209]. Quoi qu’il en soit, le caractère de la répression ne laisse pas de doute sur la classe à laquelle appartenaient les coupables. Est-ce, comme le pense M. Leroux de Lincy[210], à la suite de cette sédition que Philippe le Bel abolit les confréries religieuses, ou ne faut-il pas plutôt faire remonter leur suppression à un mandement royal du mercredi après la Quasimodo 1305, adressé au prévôt de Paris et interdisant dans cette ville aux personnes de toute classe et de toute profession les réunions de plus de cinq personnes, publiques ou clandestines, pendant le jour ou la nuit, sous n’importe quelle forme et quel prétexte[211]? Il semble impossible que les confréries religieuses aient échappé à une mesure d’un caractère aussi général. Du reste, elle paraît n’avoir été que transitoire; dès le 12 octobre 1307, Philippe le Bel lui-même autorisait les marchands de l’eau à célébrer annuellement leur confrérie comme ils le faisaient avant sa défense[212], et le 21 avril 1309, il rétablit celle des drapiers, après s’être assuré par une enquête qu’elle ne présentait aucun danger[213]. Ses successeurs recoururent quelquefois à cette précaution avant de permettre le rétablissement d’une confrérie, et ils ne le permirent généralement qu’à la condition que les réunions auraient lieu en présence d’un délégué du prévôt de Paris[214].
Cinquante ans environ après l’émeute que nous venons de mentionner, on voit les corps de métiers engagés dans le parti d’Étienne Marcel, et formant une véritable armée à ses ordres. Le jeudi 22 février 1358 (n. s.), au matin, le prévôt des marchands les réunit tous en armes à l’abbaye de Saint-Éloi, près du Palais. Ils formaient une réunion d’environ 3,000 personnes. C’est cette foule qui massacra Regnaut d’Acy, avocat du roi au Parlement, au moment où il se rendait du Palais chez lui; c’est elle qui fournit des instruments dévoués à Marcel pour l’exécution de ses sanglants projets contre les maréchaux de Champagne et de Normandie[215]. La population laborieuse, qui obéit, en 1306, à un mouvement tout spontané, agit ici au contraire avec une discipline et un ensemble qui s’expliquent certainement par le système d’associations où elle était comme enrégimentée. Le 10 août 1358, le régent accorda une amnistie presque générale aux Parisiens compromis dans l’insurrection. Au nombre des délits et des crimes énumérés par les lettres d’abolition figure le fait de s’être affilié par serment et sans la permission du dauphin à une association illicite qui n’est autre que la confrérie Notre-Dame[216]. Cet exemple montre bien le danger que pouvaient offrir, à un moment donné, les associations les plus étrangères à la politique; on sait, en effet, que la grande confrérie aux prêtres et aux bourgeois de Notre-Dame, objet de la clémence royale, n’avait d’autre but avoué que la pratique de la dévotion et de la charité, et qu’elle avait compté la reine Blanche parmi ses membres[217].
La sédition des maillotins, qui eut lieu le 1er mars 1382 (n. s.), et les troubles dont elle fut suivie jusqu’à la rentrée de Charles VI à Paris, le 11 janvier 1383 (n. s.), se joignant au souvenir de la conduite factieuse des Parisiens sous le règne précédent[218], déterminèrent ce prince à priver la ville de son échevinage, dont il transporta les attributions au prévôt de Paris[219], et à dissoudre les corporations d’arts et métiers; il remplaça les maîtres électifs des métiers par des visiteurs à la nomination du prévôt, supprima la juridiction professionnelle exercée par plusieurs de ces corporations[220], et défendit d’une façon générale, et notamment aux confréries, de se réunir ailleurs qu’à l’église sans son autorisation ou celle du prévôt, et en l’absence de cet officier ou de son délégué. Cette défense était sanctionnée par la confiscation et la peine capitale[221]. Les biens des corporations passèrent entre les mains du roi; telle dut être au moins la conséquence de leur dissolution, et nous avons la preuve qu’en exécution de son ordonnance, Charles VI confisqua la Grande-Boucherie. Du reste, elle lui rapporta si peu, et le défaut d’entretien y nécessita des réparations si urgentes et si considérables qu’il s’en dessaisit en 1388 (n. s.), pour la restituer aux bouchers[222]. On ne saurait fixer l’époque précise à laquelle les autres communautés se reformèrent, mais cela ne tarda pas.