Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
De nostre arrivée à Kebec, & du mécontentement des Sauvages que je les devois quitter, leur fismes festin & donnames un chat pour leur pays. Et puis je m'embarquay pour la France.
CHAPITRE X.
DElivrez de ces importuns picoureurs, nous doublâmes le pas pour arriver d'heure à Kebec, où nous primes terre avec nos sept ou huict canots, aprés avoir esté Saluez du fort à deux vollées de canon, & des sieurs de Caën & de Champlain d'une honneste réception à nostre débarquement, tous devancez par le bon P. Joseph, qui nous attendoit au port impatiens de ne nous voir assez-tost.
Nous fumes de compagnie dans l'habitation, où nous receumes la collation pendant laquelle je les entretins de mon voyage & de nostre gouvernement au païs des Hurons. Aprés quoy je fus voir cabaner mes hommes, puis nous partimes le P. Joseph & moy pour nostre petit Convent, où je trouvay tous nos confrères en bonne santé Dieu mercy, desquels, aprés l'action de graces rendue à nostre Seigneur, je receu la charité & bon accueil que ma foiblesse & lassitude pouvoit esperer d'eux, car j'estois autant debile qu'amaigry & bruslé des ardeurs du Soleil, tousjours gay & contant en mon ame par la divine providence qui me conserva dans cette humeur, pour ce que je peinois & travaillois pour luy & à cause de luy, du moins me sembloit il en avoir le desir & la volonté.
Apres avoir eu quelque jours de repos & de recollection intérieure je fis mes petits apprets pour mon retour aux Hurons, car mes Sauvages avoient achevé leur traicte, mais comme tout fut prest & que je pensay partir il me fut delivré lettres & obédience de nostre R.P. Provincial par lesquelles il me donnoit ordre de m'embarquer au plus prochain voyage pour France demeurer de communauté en nostre Convent de Paris, où il desiroit se servir de moy, dont voicy le contenu de la lettre.
MOn tres-cher Frere, salut en J. C. J'ay receu les vostres avec joye & contentement de vostre heureuse arrivée dans ces terres Canadiennes, d'où vous avez passé à celles des Hurons pour y employer vostre zele & la bonne volonté qu'avez, pour le salut des mescroyans, je prie le mesme Dieu qui vous a presté son Ange pour vous y conduire, qu'il vous en ramene au plustost en pleine santé. J'ay affaire de vostre presence par deça, c'est pourquoy je vous envoys one obedience en vertu de laquelle je vous commande de revenir au plus prochain voyage qu'il vous sera possible; non que je doute de vostre obeissance, mais afin que personne ne pense de vous empecher. Je vous attendray donc en nostre Convent de Paris où je feray prier nostre Seigneur, pour vous qui suis aprés m'estre recommandé à vos sainctes prieres.
Mon tres-cher Frere,
A Paris ce 9 Mars 1625.
Vostre affectionnez serviteur
en J.C.
Frere Polycarpe du
Fay Provincial.
Il me fallut donc changer de batterie & laisser Dieu pour Dieu par l'obeissance, puis que sa divine Majesté en avoit ainsi ordonné, car je ne pu recevoir aucune raison pour bonne de celles qu'on m'alleguoit de ne m'en retourner point, & d'envoyer mes excuses par escrit, veu la necessité & la croyance qu'on avoit de moy dans le païs; pour ce qu'une simple obeissance estoit plus conforme à mon humeur, que tout le bien que j'eusse pu esperer, par mon travail au salut & conversion de ce peuple sans icelle.
En delaissant la nouvelle France, je perdis aussi l'occasion d'un voyage de trois Lunes de chemin au delà des Hurons, tirant au Su, que j'avois promis avec mes Sauvages, si tost que nous eussions esté de retour dans le païs, pendant que le Pere Nicolas eut esté decouvrir quelque autre Nation du costé du Nord. Mais Dieu admirable en toutes choses, sans la permission duquel une seule fueille d'arbre ne peut tomber, a voulu que la chose soit autrement arrivée.
Prenant congé de mes pauvres Sauvages affligez de mon départ, je taschay de les consoler au mieux que je pû, & leur donnay esperance de les revoir l'année suivante, & que le voyage que je devois faire en France, n'estoie d'aucun mescontentement que j'eu d'eux, ny pour envie que j'eusse de les abandonner mais pour quelque autre affaire particulière qui redonneroit à leur contentement & profit.
Ils furent fort ayses lorsque je leur promis de supplier les Capitaines François de bastir une maison au dessous du saut sainct Louys, pour leur abreger le chemin de la traicte & les mettre à couvert de ce costé là de leurs ennemis, qui sont tousjours aux aguets pour les surprendre au passage, & effect ce leur est une grandissime peine de faire tous les ans tant de chemin & courir tant de risques pour si peu de marchandises qu'ils remportent de Kebec, laquelle leur peut estre ostée avec la vie par les Hiroquois, c'est pourquoy je dis derechef qu'il seroit necessaire de bastir une habitation au saut sainct Louys, pour la commodité des uns & des autres, des Sauvages & des François.
Ils me prierent de me resouvenir de mes promesses, & que puis que je ne pouvois estre diverty de ce voyage, qu'au moins je me rendisse à Kebec dans 10 ou 12 Lunes, & qu'ils ne manqueroient pas de s'y rendre, pour me reconduire en leur païs, comme ils firent à la verité l'année d'aprés, ainsi qu'il me fut mandé par nos Religieux de Kebec, mais l'obedience de nos Supérieurs qui m'employoit à autre chose à Paris, ne me permit pas d'y retourner, comme l'eusse bien desiré & tenu à faveur singuliere, principalement pour baptizer mon grand oncle Auiondaon & beaucoup d'autres Sauvages Hurons, qui m'en avoient tant de fois supplié, lesquels je remettois de jour à autre pour les mieux sonder, ne pensant pas que nostre Seigneur me deut si tost tirer de là, & ramener en France.
Avant mon depart nous les conduisimes dans nostre Convent, leur fismes festin, d'une plaine chaudière de poix assaisonnée d'un peu de lard, & les caressames à nostre possible, dequoy ils se sentoient grandement honorez, mais bien davantage lors qu'aprés le repas nous leur donnames à chacun un petit present, & au Capitaine du canot un grand chat pour porter en son païs, present qui luy agréa tellement pour estre un animal incognu en tout le Canada, qu'il ne sçavoit assez nous en remercier à son gré, voyla comme les choses rares sont estimées par tout, encores qu'en soy, elles soient de peu de valeur.
Ce bon Capitaine estimoit en ce chat un esprit raisonnable, voyoit que l'appellant, il venoit & se jouoit à qui le caressoit, il conjectura de là qu'il entendoit parfaitement bien le François & comprenoit tout ce qu'on luy disoit, aprés avoir bien admiré cet animal, il nous pria de luy dire qu'il se laissast emporter en sa Province & qu'il l'aymeroit comme son fils. O Gabriel qu'il aura bien dequoy faire bonne chère chez moy, disoit le bon homme, tu dis qu'il aime fort les souris & nous en avons en quantité, qu'il vienne donc librement à nous, ce disant, il pensa embrasser ce chat que nous tenions auprès de nous, mais ce meschant animal qui ne se cognoissoit point en ses caresses, luy jetta aussitost les ongles & luy fist lascher prise plus viste qu'il ne l'avoit approché.
Ho,ho,ho, dit le bonhomme, est ce comme il en use ongaron, otiscohat, il est rude, il est meschant, parle à luy. A la fin l'ayant mis à toute peine dans une petite caisse d'escorce, il l'emporta entre ses bras dans son canot & luy donnoit à manger par un petit trou du pain qu'on luy avoit donné à nostre Convent, mais ce fust bien la pitié lors que luy pensant donner un peu de sagamité, il s'eschappa & prit l'essort sur un arbre d'où ils ne le purent jamais ravoir, & de le rappeler il n'y avoit personne à la maison, il n'entendoit point le Huron, ny les Hurons la maniere de le rappeller en François, & par ainsi ils furent contraints de luy tourner le dos & le laisser sur l'arbre bien marry d'avoir fait une telle perte & le chat bien en peine qui le nourriroit.
La naifveté de ce bon homme estoit encore considérable en ce qu'il croyoit le mesme entendement & la mesme raison estre au reste des animaux de l'habitation, comme au flux & reflus de la mer, qu'il croyoit par cet effect estre animée, entendre & avoir une ame capable du vouloir ou non vouloir, comme une personne raisonnable, & là dessus je brise par cest à Dieu que je fais à nostre pauvre Canada, lequel je ne quitte qu'avec un extreme regret & desplaisir de n'y avoir achevé le bien encommencé, & veu le Christianisme que j'avois esperé.
O mon Dieu! je vous recommande & remets entre les mains ce pauvre peuple que nous aviez commis. Vous ne m'avez pas jugé capable de vous y servir plus long-temps Seigneur, puis que si-tost m'en avez retiré, & avez commandé à l'Ange tutelaire du païs, de ne point debatre de mon retour avec celuy de la France, où il faut que l'accomplisse vos divines volontés. Ce n'est point à moy de penetrer dans vos secrets divins, mais d'admirer & adorer vostre divine providence & vos jugemens souverains. Au moins ô mon Dieu, ayez pour aggreable ma bonne volonté & l'affection que m'aviez donnée de vous servir en la conversion des Hurons & d'y endurer la mort mesme pour l'amour de vous si telle eut esté vostre divine volonté, puis que tout ce que je puis est d'advouer mon impuissance & mes demerites. Et me prosternant aux pieds de vostre divine Majesté, Vous supplier me donner vostre benediction avant que je m'embarque, avec celle de vostre Pere celeste & du S. Esprit, qui vit & regne au siecle des siecles Amen.
Nous primes congé de nos pauvres Freres & leur dimes à Dieu, non sans un extreme regret de nous separer, car la moisson qui se voyoit preste à cueillir avoit plustost besoin de nouveaux ouvriers, que d'en diminuer d'utils comme le P. Irenée, car pour moy je ne servois que de nombre.
Nous entrames dans nostre Chapelle pour offrir nos larmes & nos voeux à nostre Seigneur, puis d'un mesme pas ayans pris congé des François, & de mes pauvres Sauvages ausquels nous consignasmes ce peu de commoditez que nous envoyons au bon P Nicolas, nous nous embarquames le dit Père & moy pour Tadoussac, d'où nous partimes dans le grand Navire pour Gaspay, où nous sejournames quelque jours; pendant lesquels nous apprimes de quelque pescheurs de molues, que les Anglois nous attendoient à la manche, avec deux grands vaisseaux de guerre pour nous prendre au destroit.
C'estoit là une nouvelle mauvaise à gens mal armez, & encore moins hardis contre des Navires armez, nous qui n'estions que marchands. On tint conseil de guerre pour adviser à ce qu'on avoit à faire, & fut jugé expédient d'attendre l'escorte des trois autres Navires de la flotte qui se chargeoient de molues, avec lesquels nous fismes voile, & donnâmes en vain la chasse à un Pirate Rochelois, qui nous estoit venu recognoistre, passant au travers de nostre armée.
A la verité la faute que fit nostre avant-garde, le corps d'armée, & l'arriere-garde à la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pas gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de là s'aller saisir des Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu sçait quelle prouesse nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui nous estoit venu braver jusques chez nous.
Approchans de la Manche, l'on jetta la sonde & ayant trouvé fond à 90 brasses, le Pilote Cananée eut ordre d'aller à Bordeaux avec une patache de 50 tonneaux, laquelle fut prise des Turcs le long de la coste de Bretagne, & les hommes fais esclaves comme j'ay dit au Chapitre 4 du premier livre.
Deux ou trois jours aprés il s'esleva une brume si obscure & favorable pour nous, qu'ayans à cause d'icelle, perdu nostre route, donné jusques dans la terre d'Angleterre vers le cap appelle Tourbery, nous esquivames par ce moyen la rencontre de ces Pirates Anglois, naturellement ennemis des François.
Nous voyla donc asseurez de ce costé là, tous en rendent graces à Dieu, & prient pour le bon succés du voyage, car jusques à ce que l'on soit à terre il ne se faut vanter de rien, je loue en cela ce qu'on m'a dit des Espagnols, qu'ils ne mettent jamais aucun Navire en mer pour des voyages de long cours, qu'il n'y ait tousjours quelque bons Peres, ou Religieux dedans, car quand ils ny serviroient d'autre chose que d'empescher les mauvais discours, ce seroit tousjours beaucoup. Je diray ce mot à la louange des Mariniers qui nous ont conduits qu'à la reserve de quelque parpaillots, tout le reste nous a fort edifié jusques aux Chefs, desquels si les discours n'ont pas tousjours esté serieux & necessaires, ils ont esté indifferents, & non impertinents, comme vous pourrez remarquer au Chapitre suivant, aprés que je vous auray asseuré que le sceau de R. P. Commissaire de cette mission du Canada (que j'ay oublié de mettre en son lieu) porte un sainct Louys Roy de France, & un fainct François, le champ tout parsemé de lys, autour il y a escrit, Sigillum R. P. Comissary Fratrum Minorum Recollectorum Canadinsium.
De divers entretiens de nos Mariniers pendant nostre traverse.
CHAPITRE XI.
CE me seroit chose impossible de pouvoir rapporter icy en detail tous les discours, & les diverses demandes de nos Mariniers, car comme l'oisiveté règne puissamment sur les Navires, aussi y agissent ils ardamment pour charmer leurs ennuys: J'avois tout sujet de me contenter du sieur du Pont nostre Vice-admiral, & des officiers de son bord, quoy qu'en partie de contraire Religion, pour ce que ne faisoit aucun mal à personne, aucun ne nous vouloit de desplaisir, & s'abstenoient mesme à nostre considération, de beaucoup de vains discours ordinaires à gens de marine.
A l'issue des repas si autre chose ne les occupoit, ses questions roulloient sur le tapis, ou plustost sur le tillac, car les tapis n'ont point là de lieu, & falloit excuser le tout, car la paix n'en a jamais esté interrompue, ny nos discours alterez, & pour ce qu'en matière d'entretien il se faut rendre capable de tout, ou fausser compagnie, & de demeurer muet il ne seroit pas tousjours possible, pour ce que l'homme est d'une telle nature, que s'il n'a sa consolation en Dieu, il la cherche aux créatures.
Le sieur du Pont comme Chef, fut le premier qui nous interrogea, car comme il estoit d'un naturel complaisant & jovial, il avoit tousjours le petit mot en bouche pour rire. D'où vient le proverbe qui dit: l'Affrique n'apporte elle rien de nouveau
Je ne luy respondit autre chose sinon avoir leu que cela procedoit de ce que pour le grand deffaut d'eau qu'il y a, à cause des chaleurs excessives, les animaux y meurent de soif, de maniere que toutes sortes de bestes courans pour boire se meslent ensemble, & de là nouveaux animaux s'engendrent.
Qui a esté le premier inventeur des couriers, dit un autre. Resp. Pirrhe Roy des Epirotes, car comme il eut trois armées en diverses parties du monde, & qu'il demeurast assiduement en la cité de Tarente, sçavoit les nouvelles de Rome en un jour, celles de France en deux, celles d'Allemagne en trois, & celles d'Asie en cinq.
D'où est venue la coustume de donner les estrenes, à sçavoir le don qu'on presente au commencement de l'année. Resp. Elle est venue des anciens Romains: car les Chevaliers souloient par chacun an au premier jour de Janvier offrir au Capitole les estrennes à Cesar Auguste, qu'oy qu'il fut absent, laquelle façon de faire est depuis venue jusques à nous.
Mais dit le Cuisinier qui a esté l'inventeur des masques, & momeries, lesquels mesmes sont en usage chez les Hurons ainsi que m'aviez appris. Resp. Je ne vous en puis dire autre chose, sinon avoir leu que les Corybantes prestres de la Deesse Cybele en avoient esté les inventeurs, & s'embarbouilloient le visage avec du noir, d'où est venu ce mot maschurée, qu'on dit en Italien mascarati.
Un parpaillot d'un humeur assez discourtoise, & qui voulut donner son mot, nous demanda d'où venoit la coustume que nous autres Catholiques faisions le signe de la Croix en baillant, & donnions le salut de paix à ceux qui esternuoient.
Resp. L'an de nostre salut 619, en Italie, courut une sorte de maladie qu'en esternuant on mouroit soudain quelquefois. Ce qui donna des lors entrée à la coustume que quand on voyoit quelqu'un commencer à esternuer, on luy disoit, Dieu vous ayde. Le bailler estoit semblablement occasion de mort soudaine, pour remedier à quoy en baillant on commença en l'Eglise Romaine à faire le signe de la Croix sur la bouche; & delors, comme on dit, tel inconvenient cessa.
Monsieur Goua. Qui est celuy qu'on doit estimer sage. Resp. Celuy qui mesprise les biens & honneurs de ce monde, pour servir à Jesus-Christ.
Un bon Charpentier bien devot: comment peut-on parvenir à cette union de l'ame avec Dieu. Responce. En pratiquant ces quatre mots: Moy, Toy, Esclave, Roy. En l'Oraison s'imaginer estre seul au monde avec Dieu. Se faire esclave & valet de tout le monde pour l'amour de Dieu, Estre Roy & dompteur de ses passions & propres affections pour l'amour du mesme Dieu.
Combien de coeurs faut-il avoir pour acquerir la perfection. Resp. Trois. Un coeur de fils envers Dieu, un coeur de mere envers son prochain & un coeur de juge envers soy-mesme.
Quelle est la pensée la plus profitable à salut. Resp. Croire que tous les autres sont dignes du Paradis, & nous seuls dignes de l'Enfer, c'est à dire juger bien d'un chacun, & ne juger mal que de soy mesme.
Un certain. Quel est l'estat le plus noble, le plus parfait, & le plus asseuré à salut qui soit au monde.
Responce. Le Religieux & solitaire.
Monsieur Joubert: par quel raison.
Resp. Par la mesme que Jesus-Christ a dit, si tu veux estre parfait; va & vend tous tes biens, & les donne aux pauvres, & me fuit. Saint Laurent Justinian disoit que Dieu avoit caché la grace de la Religion aux hommes, par ce que si tous la cognoissoient, tous voudroient estre Religieux. J'aymerois mieux une grace en la Religion, que douze au monde, disoit le B. Frère Gille, car ma grace peut estre facilement conservée, & augmentée en la Religion par le bon exemple de mes Freres, & mes douze au monde facilement perdues par les divers objets, & mauvais exemples qui s'y donnent. Nous donnons l'arbre & le fruict à Dieu, & les mondains que le seul fruict.
Un jeune homme un peu libertin nous demanda par quel reigle quelqu'uns tenoient qu'il y va plus de femmes en Paradis que d'hommes, veu la fragilité de leur sexe, & un si grand nombre qui s'adonnent au mal; Mon sentiment fut que la femme estoit plus portée à la pieté que l'homme, & moins fragile, puis qu'elle s'adonnoit moins au mal, & que s'il y en a un grand nombre de mauvaises, il y a un bien plus grand nombre d'hommes vicieux.
Le sieur de la Vigne. Pourquoy dit l'escriture, que mieux vaut l'iniquité de l'homme, que la femme bien faisante. Resp. Pour ce qu'il y a plus de danger de tomber en peché en communiquant trop familieremnt avec une belle femme qu'en frequentant un homme vicieux.
Le Pilotte. Pourquoy les Turcs gens Infidelles croyent ils les femmes bannies du Paradis Resp. Pour ce qu'elles ne sont point circoncises. Disans que personne n'entre dans le Paradis qui ne soit circoncis. Or les femmes ne sont point circoncises entr'eux, & par consequent il n'y a point de Paradis pour elles. Il n'en est pas de mesme des femmes des Perses, lesquels ont trouvé l'invention de les circoncire, & leur faire esperer un Paradis Mahometique.
Un petit parpaillot changeant de discours dit, que c'estoit grand pitié de voir le Ecclesiastiques seculiers estre si peu portez à la pieté & à faire du bien aux pauvres, et que parmy les personnes mariées, on y voyoit plus de charité.
Responce. Vous avez raison Monsieur, mais encores s'en trouve il un grand nombre fort gens de bien, & qui abhorrent l'avarice, & s'adonnent à la vertu, avec une humilité qui me fait honte à moy mesme, je ne dis pas seulement des simples Prestres, mais des Cardinaux, Evesques, Curez, Docteurs, & Chanoines, que je n'oze icy nommer, dont je prie Dieu me faire la grâce d'egaler un jour leur vertu.
J'ay veu, dit un Catholique, beaucoup de Temples des Huguenots, tant en France, qu'aux pays estrangers, mais ils sont tous bastis de neuf. Resp. Une Religion nouvelle ne peut avoir de Temples vieux, & ce fut la raison pour laquelle le villageois ne voulut point escouter le Ministre Huguenot disant qu'il n'y avoit pas encor de lierre aux murailles de son Eglise, & que les nostres estoient toutes chenues de vieillesse.
Ah dit un parpaillot, nous sommes venus de nouveau pour vous reformer vous avez raison dit un Mattelot, car vous mariez les Prestres, vous avez retranché les Caresmes, abbatez les Autels, & faites les Demons converties pauvres Catholiques, quels miracles avez vous jamais faits.
Or dit un autre laissons là les disputes de Religion, qui bien fera bien touverra, car nous sommes asseurez que le Paradis n'est que pour les gens de bien Mais qu'ont fait ces deux jeunes Genrilhommes qui sont là à la chaisne. R. Ils s'estoient voulu battre, dit le Contre-Maistre, & pour les mettre d'accord on les a tous deux mis à la quesne, dit il en son Normand.
D'où vient dit un certain, que nous autres François changeons si souvent de mode en nos habits; & que les Nations estrangeres sont si constantes en leur façon de s'habiller qu'on n'y voit jamais de changement. Resp. C'est qu'ils ont l'esprit plus solide que nous, ou qu'ils ont moins de curiosité. Nous le voyons mesme aux personnes sages d'entre nous lesquels se tiennent tousjours à la modestie, & n'outrepassent jamais la bienseance deue à leur condition.
Le Chirurgien qui jusques alors avoit gardé le silence, dit qu'il s'estonnoit fort que nous razions nos barbes, estant l'ornement de l'homme.
Resp. Nostre vie doit estre conforme à celle de nostre Pere, & si un si grand Sainct s'est conformé aux anciens, & observé l'ordonnance de l'Eglise qui enjoint à tous les Ecclesiastiques de razer leur barbe, il ne faut point d'autre raison pour nous faire mespriser cette superfluité.
Ouy dit un gros Mattelot, & s'est il conformé aux anciens avec son bonnet pointu, comme nous voyons porter à quelques Religieux de vostre ordre. Resp. La consequence n'en est pas bonne, car s'il y en a qui ayent trouvé bon de le porter de la sorte, n'est pas à dire que S. François l'ait porté pointu, s'est une liberté qu'ils se font donnée, aussi n'estoit il point rond, ains de forme quarrée à peu prés comme celuy que nous portons.
Garçon, dit Monsieur du Pont au Mattelot, il n'importe pas qu'un capuse soit rond, quarré, ou pointu, mais que le Religieux observe bien sa regle & pour moy j'ay quelquefois leu les Chroniques de S. François, & ay tousjours aymé les Religieux de son Ordre, mais à dire vray, l'obeissance qu'on dit autrement les Cordeliers, a donné un grand nombre de Saincts à l'Eglise, & y a encores parmy eux de grands serviteurs de Dieu, que le monde ne cognoist point, lesquels s'y perfectionnent en bien faisant, & non point en regardant à la vie de quelques libertins, desquels le Collège de Jesus Christ n'a pas esté exempt, ny l'Ordre pendant le vivant mesme de S. François.
Mais à quel propos tant de sortes de Religieux répliqua le Mattelot.
Resp. Le lustre d'un Roy, & la grandeur d'un Prince gist en la bonne conduite, & se fait voir en la multitude, & diversité de ses serviteurs, comme la beauté de l'Eglise en ses ceremonies, & au grand nombre, & union de ses Religieux & Ecclesiastiques.
Vostre raison est très bonne, dit lors un passager, mais vous estes beaucoup qui vous dites de sainct François, & si on ne sçait à qui attribuer la Regle. Il y a des Tertiaires qui se veulent dire de l'Ordre, & passent mesme souvent pour Recollects, & Capucins, ainsi que j'ay veu en quelques lieux, & cependant je cognois plusieurs de leurs Convents qui possedent de bonnes rentes, ont des colombiers, & glapiers, & reçoivent argent & pecune, & vous dites que cela ne vous est pas permis, ils sont donc transgresseurs de vostre Règle, & manquent à cette union.
Response. Ils ne sont point transgresseurs de nostre Règle, car ils ne l'ont jamais professée ny observée, ains une troisiesme, qui avoit esté faicte pour les personnes seliers seulement, laquelle n'a rien de commun avec la nostre, qui est celle mesme que sainct François a observée durant sa vie.
Ils auroient donc grand tort s'ils se disoient Capucins, ou Recollects, par cela seroit vous scandalizer, & faire passer pour Religieux qui faites profession d'une Reigle & ne l'observez point.
Response. Cela est bien véritable Monsieur, mais pour couper broche à tous ces discours, & vous faire une fois sçavant pour toutes. Je vay vous distinguer les Ordres de sainct François, & puis nous parlerons d'autres choses, ou bien nous prierons Dieu, car desja la chandelle est à l'habitacle.
Je seray fort ayse d'apprendre ces distinctions, dit Monsieur du Pont, & est mesme necessaire que chacun les sçache pour beaucoup de raisons, poursuivez donc vostre discours.
Il faut que vous sçachiez, Messieurs, que sainct François nostre Chef & Patriarche, establit trois Ordres, le premier qu'il nomme des Frères Mineurs, est aujourd'huy divisé en trois corps d'Observantins dits Cordeliers, Recollects & Capucins, qui sont tous trois les vrays Freres Mineurs & Observateurs d'une mesme Règle & Profession.
Le second de pauvres Dames, ou filles de saincte Claire. Le troisiesme qui estoit quasi à la mode des Confrairies d'aujourd'huy est des penitens de l'un, & l'autre sexe, d'hommes, & de femmes vivans en leur propres maisons.
Les seuls Freres Mineurs sont obligez par leur Regle de vivre des seuls aumosnes offertes, ou mandées, & ne doivent recevoir argent, rentes n'y revenus, sans licence expresse du sainct siege, auquel ont eu recours les Frères Mineurs conventuels, qui par ce moyen vivent en conscience possedans du revenu.
Les filles de saincte Claire doivent estre pauvres & mendiantes, sinon celles qui sont privilegiées, non qu'elles mesmes puissent sortit de leur Monastere pour mandier leur vie, car ce n'est pas le propre de filles, mais on leur ordonne des Tertiaires ou Frères au chappeau, qui ont soin d'elles en cest office.
Pour les Penitens du troisiesme Ordre de l'un & l'autre sexe, mariez, & non mariez vivans en leurs propres maisons, ils n'ont autre loix que celle des Chrestiens, & d'observer une Reigle fort facile, que sainct François leur a laissée pour contenter leur devotion, & non pour en faire aucun corps de Religion, comme il est très probable en ce que plus de deux cens cinquante ans après la mort de ce sainct Pere, il n'y en a point eu d'estably, & n'estoit pas necessaire de faire outre l'intention au Sainct, & apporter trouble en son Ordre, par cette multiplication de Religion, desja trop grande aujourd'huy en l'Eglise.
L'Ordre des Peres Tertiaires que l'on appelle à Paris Picpuces, ou Capucins de Picpuces est le mesme que S. François établit pour les seculiers de l'un & l'autre sexe, que le R. P. Vincent premier fondateur de cette Congregation a accommodé à son usage, & à celuy de ses Freres, avec le pied nud, & un habit non bleu, ou perse, avec une couroye de cuir pour ceinture, comme j'ay veu en quelques Tertiaires, mais tel qu'il ne differe presque en rien du nostre, qu'à leur long manteau, à leur grande barbe, & à deux grandes moizettes ou pièces de drap attachées à leur capuce qui leur descedent jusque à la ceinture & à la couleur du drap, lequel ils portent de laine obscure, comme les Minimes, & non ourdy de blanc, & tissu de noir, comme les Freres Mineurs, ce qui n'empeche pas qu'ils ne passent souvent pour Recollects ou capucins, quoy qu'ils ne le soient point, & nous soient bien differents en Règle & maniere de vie, comme ayans argent, rentes & revenus, & nous chose qui soit que pauvreté, à laquelle nostre S. Patriarche nous a reduit par sa Règle, ce que je dis, non pour les blasmer, car je ne touche pas à leur vertu, mais pour ce qu'il est necessaire que soyez esclaircy, & destromper ceux qui s'estoient laissé persuader qu'ils estoient Freres Mineurs, Recollects, ou Capucins, & ne le sont point ains Tertiaires ou Tiercelins, c'est à dire du troisiesme Ordre estably par S. François, pour les seculiers, mariez ou non mariez, vivans dans leur propres maisons.
Or dit le Maistre du Navire, fort honneste homme, à sa pretendue Religion prés, car luy mesme s'offrit de me monstrer la Sphère: vous vous dites d'un mesme Ordre & profession, les Cordeliers, les Capucins, & vous, qui sont les premiers, & plus anciens de vous trois, car pour les Tertiaires ou Picpuces, leur fondateur est encor vivant.
Estant ainsi pressé & honnestement obligé, je fus contraint de rappeller ma memoire, songer à ce que j'avois autrefois leu, & puis je leur parlay de la sorte.
Messieurs, Les Pères Recollects ont eu leur commencement des l'an 1486, deux cens septante sept ans après l'institution de la Règle qui commença en l'an mille deux cens neuf, & septante & un an après la reformation des Pères de l'Observance, dits Cordeliers, qui ne prennent leur origine de plus haut que du Concile de Constance, tenu l'an mille quatre cens quinze, duquel ils receurent leur confirmation par les peres assemblez (le Siège Apostolique vaquant) bien qu'il ayt eu son commencement l'an mille trois cens octante, par le vénérable. Frere Paul de Trinci Lay qui en est le fondateur, Dieu ayant voulu establir cette saincte Reforme sur le baze, & fondement de l'humilité, de laquelle ce serviteur de Dieu estoit particulierement doué, bien qu'il eut esté tres-noble au monde.
Les Pères Capucins qui sont venus du depuis ont commencé leur Reformation l'an mille cinq cens vingt cinq, laquelle ne prend neantmoins son origine que l'an mille cinq cens vingt huict, le treiziesme de Juillet, que le Pape approuva cette Religion trente neuf ans après les Peres Recollects.
Le fondateur ou celuy qui a donné commencement à la Reformation des Peres Recollects, a esté le vénérable Frere Jean de la Puella Ferrara, personnage tres-insigne en saincteté & merite. Il prit naissance dans l'Espagne des Ducs de Beiar, il estoit propre nepveu du Roy Catholique Dom Ferdinand V. & possedoit la Comté de Benalcazar, & ensemble de grands biens.
Estant touché d'une inspiration divine il quitta les grandeurs de la terre, & rompit tout à faict avec le monde, pour se consacrer entierement au service de nostre Dieu, sous les enseignes du Seraphique sainct François, & depuis il obtint du Pape Innocent VII, par l'entremise d'Elizabeth Reyne d'Espagne, licence de bastir quelques Monasteres de Recollection, pour y garder estroittement la Règle de sainct François, avec ceux seroient portez de la mesme volonté que luy. Ce qui arriva l'an de grâce mille quatre cens octante neuf.
Il fut le premier qui porta le tiltre de Custode, & exerça cette charge depuis l'an mille quatre cens nonante, jusques à l'an 1495 qu'il deceda.
Le fondateur ou celuy qui a donné commencement à la Reformation des PP. Capucins a esté le Vénérable Frère Mathieu Basci, personnage très insigne en saincteté & merite natif du Chasteau de Basci, situé aux confins de Monfestre en Italie, lequel prit habit de Religion en un Monastere appellé sainct Sixte des Peres de l'observance, puis les quitta & donna commencement à la Reformation des Pères Capucins l'an 1525.
Et ayant attiré quelque compagnons comme le Venerable Frere Louys & quelque autres, ils obtindrent du Pape Clément VII par l'entremise de la Duchesse d'Urbin la confirmation de leur Ordre par une Bulle dattée du 1 Juillet l'an 1528 les soumettant neantmoins tousjours aux Freres Mineurs Conventins en la confirmation de leur Prelat, comme nous le sommes au General de tout l'Ordre S. François.
Or les Annales de leur Ordre nous asseurent que ce P. Louys qui avoit souvent infinis travaux, pour establir & amplifier cette sainte Reformation par un secret jugement de Dieu il quitta tout, & s'alla faire Hermite. Et le Pere Mathieu ne mourut point dans l'Ordre, ains s'en retourna quelque années devant son trespas à Venize, entre les Pères de l'Observance où il mourut dans la maison du Curé de S. Moyse le 5 Aoust, aprés avoir receu ses derniers Sacremens des Pères de l'Observance & fut enterré dans le Convent des Observantins de Venize, appellé la Vigne.
Voyla en general le commencement de ces saincts Ordres, desquels Dieu a pris un soin très-particulier, & ne faut point s'estonner si le Pere Louys aprés avoir bien peiné pour restablissement des PP. Capucins, s'est faict Hermite, il faut croire que ça esté par inspiration divine, & pour avoir un peu de repos aprés le travail, cela s'est veu en plusieurs autres bons Religieux, ausquels la solitude favorise la perfection & la vertu de ceux qui ont vieilly en la Religion comme il est dit en la vie des Peres.
Le bon Frere Mathieu qui a esté le premier commençant, a esté auffi le premier qui retournant vivre au sein de la mere, d'où il avoit tiré les enfans qui ont suivy la première pointe, on ne peut en cela qu'admirer les jugemens de Dieu. Le Bon Frere Nicolas, tres-sainct personnage, qui mourut il y a quelque années en Espagne avoit esté premierement Cordelier, puis Recollect, se fit aprés Capucin, & retourna mourir Recollect, & luy ayant esté demandé la raison de tous ces changemens il respondit. Je ne puis faire autre chose que la volonté de Dieu, les Cordeliers & Observantins sont Saincts, les Recollects sont Saincts, les Capucins sont Saincts, & pour moy, je croy avec luy, & vous donne advis que j'apperçois la terre que l'on appelle de la Heve & que bien tost nous arriverons à Dieppe moyennant la grace de nostre Seigneur, comme nous fismes fort heureusement le mesme jour, & de là de nostre pied à nostre Convent de Paris, où nous rendimes nos actions de graces au tout puissant & receumes la charité de nos Freres, autant consolez de nostre retour que marris de ne nous pouvoir allez tesmoigner les effects de leur bienveillance, laquelle je prie Dieu recompenser dans le Ciel, Amen.
Fin du troisiesme Livre.
HISTOIRE
DU CANADA,
ET
VOYAGES DES PERES
Recollects en la
nouvelle France.
en Canada.
LIVRE QUATRIESME.
Advis de l'Autheur donné à Monseigneur le Duc de Montmorency Viceroy, touchant la preeminence que les Huguenots pretendoient leur estre deuë, & du choix que les PP. Recollects firent des PP. Jesuites pour estre secondés à la mission du Canada.
CHAPITRE I.
E silence est une vertu telle que
hors son temps n'est plus vertu.
Les desordres que j'avois veus en
la nouvelle France, m'obligerent
puissamment d'en advertir Monseigneur le
Duc de Montmorency Viceroy du païs pour
y apporter les remedes necessaires, car les Huguenots
tenoient par tout le dessus dans leurs
vaisseaux faisans leurs prières, & nous contraincts
de tenir la proue en chantans les louanges
de nostre Dieu, qu'estoit proprement
mettre le trompeur Baal au dessus du vray
Dieu.
Et la cause de ce desordre procedoit de ce que les principaux de la flotte avec la pluspart des officiers estoient de la religion prétendue & reformée, lesquels avoient esté ozés jusques là, que de chanter de nouveau leurs marottes, pendant qu'un de nos Frères disoit la saincte Messe à la Traicte, pour l'interrompre ou le contrarier ce sembloit tellement que ce n'estoit pas le moyen de planter la foy, où les chefs & principaux estoient contraires à la mesme foy, mais plustost une confusion de croyance aux Sauvages, qui s'appercevoient des-ja de nos differentes manières de servir Dieu, disans que les uns faisoient le signe de la Croix, & les autres non.
Je dressay donc des memoires lesquels je presentay à ce Seigneur Duc, qui en desira la lecture & estre luy mesme le gardien de mes cayers pour les presenter à son conseil, auquel il me pria d'assister, mais qui eut tant de remise, qu'à la fin je ne m'y pû trouver pour quelque affaire particulière qui me survint, & à mon deffaut le Pere Irenée y accompagna nostre R. P. Provincial qui y receut contentement.
Neantmoins à peine l'ordre necessaire est il estably par ce Seigneur Duc en son conseil, qu'il est mandé pour le service du Roy dans les gouvernemens, c'est ce qui l'obligea, outre ses autres grandes & serieuses charges, de se deffaire de la Vice-royanté du Canada, entre les mains de Monseigneur le Duc de Vantadour son nepveu, lequel suivant l'intention dudit Seigneur son oncle, nous fist l'honneur de nous communiquer ses pieux desseins & la volonté qu'il avoit d'establir de grandes colonies dans le païs, si le mal-heur par l'impuissance ne luy eue empeché d'esclore ses divins projets.
Nous voyla donc dans de grandes esperances, & selon la grandeur des choses qu'on nous despeignoit, nous jugeons avec le mesme Seigneur, que pour entretenir tant de peuplades, continuer la conversion des Sauvages, & establir des Séminaires par tout pour l'instruction de la jeunesse, il nous estoit necessaire d'avoir le secours de quelques Religieux rentez, qui puissent par leurs propre commoditez & moyens, fournir aux frais & à la nourriture desdits enfans & nouveaux convertis, puis que la compagnie des marchands s'excusoit sur son impuissance, & nous sur nostre Regle qui nous deffend les revenus.
Entre tous les Religieux nous proposames les RR. PP. Jesuites, lesquels comme personnes puissantes pouvoient beaucoup à ces peuples indigens, où il faut necessairement avoir de quoy donner si on y veut advancer, car plus on leur donne plus on les attire, & n'ayez pas dequoy les nourrir, c'est à dire qu'ils vous admireront & peu vous pourront suivre. Ce n'est pas comme dans les Indes où les habitans n'avoient à faire que du secours spirituel simplement, là où ceux cy ont affaire de tous les deux, spirituel & temporel & par ainsi je peux dire asseurement que la pauvreté de S. François a fait un très grand fruict aux Indes, & que nous avons eu raison d'appeller le secours des RR. PP. Jesuites au Canada.
Je sçay bien que nos Pères establirent des Collèges & Séminaires par toutes les deux Indes avant la venue, des RR. PP. Jesuites, ausquels ils les cédèrent volontairement à leur arrivée, comme ayans d'ailleurs assez d'autres occupations à prescher, convertir & confesser par tout où ils estoient appellez. Mais le Roy d'Espagne y pourvoyoit tellement par la main de ses officiers, avec d'autres personnes devotes, qu'ils n'y avoient autre plus grand soin que de catechiser les enfans, les instruire aux bonnes lettres, & les convertir à Jesus Christ, sans se mesler des rentes que des personnes honnestes & vertueuses avoient en maniement, mais icy, comme j'ay dit, il en va tout autrement, car personne n'a pris soin de nous seconder que de parolle seulement, à la reserve de quelqu'uns de nos amis.
Ce choix que nous fismes desdits Pere Jesuites pour le Canada, fut fort contrarié par beaucoup de nos amis, qui taschoient de nous en dissuader, nous asseurant qu'à la fin du compte ils nous mettroient hors de nostre maison & du païs, mais il n'y avoit point d'apparence de croire ceste mescognoissance de ces bons Peres; ils sont trop sages & vertueux pour le vouloir faire, & quand bien un ou deux particuliers d'entr'eux en auroient eu la volonté, une hyrondelle ne fait pas un Printemps, ny un ou deux Religieux la communauté, & par ainsi c'eut esté crime de se mesfier d'eux, non pas mesme en la pensée, car il paroist que par tout ailleurs nous avons vescu en paix avec eux.
Pour revenir au sujet de cette proposition, le P. Irenée estant en l'hostel dudit Seigneur Duc, y arriva fort à propos le R.P. Noirot Jesuite, auquel ledit P. Irenée ayant fait ouverture de l'affaire, pria ledit Seigneur de l'agreer comme il fist, aprés que ledit P. Noirot eut accepté l'offre d'une affection nompareille, (car il estoit fort zelé) protestant au nom de la compagnie, qu'ils nous en auroient une éternelle obligation. Quelqu'uns d'eux ensuitte nous vindrent prier de leur faire part de quelque mémoires de la langue Huronne que j'avois dressez pour leur servir, lesquels je ne pû leur donner pour lors, n'estans pas encores en estat.
Les choses estant en telle disposition, il fut question de faire passer au conseil dudit Seigneur & de la compagnie des Marchands tout ce qui estoit de cet accommodement, & devions nous y trouver ensemble avec eux, mais n'ayans pas esté adverty du jour, lesdit Peres y assisterent sans nous, & à mesme temps partirent pour Dieppe, où des-ja estoit arrivé pour le mesme voyage le Pere Joseph de la Roche Daillon Recollect, avec un jeune Sauvage Canadien, qui depuis cinq ans avoit esté envoyé en France par nos Religieux de Kebec, lequel après avoir esté bien instruict & endoctriné aux çhoses de la foy, fut baptizé & nommé par deffunct Monsieur le Prince de Guimenée son parrain. Pierre Anthoine, qu'il entretint aux estudes jusques après sa mort, que l'enfant fut congru en la langue Latine, & si bon François, qu'estant de retour à Kebec nos Religieux furent contraints le renvoyer pour quelque temps entre ses païens, afin de reprendre les idées de la langue maternelle qu'il avoit presque oubliée, dequoy il fit quelque difficulté au commencement, car comme le P. Joseph le Caron Supérieur de Kebec, luy eut proposé cette obedience, il le pria les larmes aux yeux de l'en vouloir dispenser, disant: comment mon Pere vostre Reverence voudroit elle bien me renvoyer entre les bestes qui ne cognoissent point Dieu, mais le Pere luy repartit que c'estoit pour leur faire cognoistre, & pour raprendre la langue maternelle qu'il l'y envoyoit, afin d'ayder à sauver ses parens & tous ceux de sa Nation, après quoy il obéit & se disposa pour partir, duëment instruit de la manière comme il se devoit gouverner parmy ses gens, sans courir risque de son salut.
Dés le lendemain matin estant en ville, je rencontray fort à propos une personne de qualité interessée dans le party, avec lequel m'abouchant il m'advertit de tout le resultat du conseil, & comme les RR. PP. Jesuites avoient obtenu la nourriture de deux de nos Religieux, de six que la compagnie nous entretenoit de tout temps, & par ainsi réduit nostre nombre de six à quatre, qui ne fut pas pris à bonne augure.
Cet advertissement donné, je fus trouver Monseigneur le Duc de Vantadour, auquel je fis mes plaintes, & le priay d'y remedier, comme il fist promptement, commandant au sieur Girard son Secrétaire d'en escrire de sa part à Messieurs les Directeurs & Chefs de l'embarquement à Dieppe, afin qu'ils advertissent les RR. PP. Jesuites, que l'intention de compagnie n'estoit pas qu'ils prissent part à la nourriture de six Recollects, que depuis plusieurs années en ça, les compagnies anciennes & nouvelles, avoient entretenus dans le Canada, autrement qu'il leur revoquoit son consentement, à quoy les Pères obéirent promptement, & se submirent aux volontez dudit Seigneur Duc.
Cette petite action n'a neantmoins en rien altéré l'amour & le respect que nous avons à ces grands hommes, je dis grands pour ce qu'ils le sont en effect de prudence & de science, prudens & respectueux dans un point, qui les maintiendra tousjours dans la vertu, & le bon odeur de ceux qui sçavent qu'aux Religions, où la civilité & le respect réciproque manque, la vertu manque aussi, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ne se puisse glisser de petits manquemens dans les compagnies les mieux reglées & les maisons les mieux policées. Les plus grands Saincts ont eu quelquefois des débats, mais qui ont trouvé leur mort aussitost que leur naissance.
Toutes choses estant en bon ordre & l'equipage dans les vaisseaux, on se mist sous voille aprés les prières accoustumées, mais si favorablement qu'ils traverserent ce grand Ocean sans aucun peril, & si heureusement qu'en un temps tres-court en comparaison de l'ordinaire, ils arriverent avec contentement dans ce desiré port de Kebec, où ils furent receus des hyvernans, (c'est ainsi qu'on appelle les habitans de Kebec) avec la joye & la courtoisie qu'ils pouvoient esperer de ceux, qui esperoient encore plus d'eux à cause de leur necessité.
Or comme c'est l'ordinaire que les choses sainctes sont tousjours contrariées en leur commencement, & que de tant plus le diable en prevoit de pertes, plus il se roidit contre icelles par toutes sortes de voyes pour les empecher s'il pouvoit. Les RR. PP. Jesuites n'estoient pas encores sorty des barques, qu'ils furent advertis qu'il n'y avoit point d'ordre de les loger à Kebec ny au fort, & tellement esconduis qu'on parloit des-ja de les repasser en France, ce fut un mauvais salut pour eux, & une facheuse attaque, capable d'estonner des personnes moins constantes. Mais nos Freres prenans part dans les interests de ces bons Peres sçachans cette disgrace, leur offrirent charitablement, & les mirent en possession cordiallement, de la juste moitié de nostre maison (à leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue esteudue fermé de bonnes pallissades & pièces de bois, qu'ils ont occupez par l'espace de deux ans & demy.
De plus ils leur presterent une charpente toute disposée & preste à mettre en oeuvre, pour un nouveau corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an 1627 ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient derechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont employées à leur bastiment commencé au delà de la petite riviere sept ou 800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle communement le fort de Jacques Cartier.
Et pour vous monstrer comme en effet nos Religieux seuls sont cause aprés Dieu que les dits RR. PP. Jesuites sont establis dans le Canada (ce que nous avons fait pour estre assistés en la conversion des Sauvages,) voicy ce que le R.P. Lallemant superieur de leurs Peres en Canada, en escrivit au sieur de Champlain, par une lettre dattée du 23 Juillet 1625 & une autre du mesme jour & an, à nostre R.P. Provincial.
MONSIEUR,
Nous voicy graces à Dieu dans le resort de vostre Lieutenance où nous sommes heureusement arrivez, aprés avoir eu une des belles traverses qu'on aye encor experimenté, Monsieur le General aprés nous avoir déclaré qu'il lui estoit impossible de nous loger ou dans l'habitation ou dans le fort, & qu'il faudrait ou, repasser en France, ou nous retirer chez, les Peres Recollects, nous a contraint d'accepter ce dernier offre. Les Peres nous ont receus avec tant de charité qu'il nous ont obligez, pour un jamais. Nostre Seigneur sera leur recompence. Un de nos Pères estoit allé à la traicte en intention de passer aux Hurons ou aux Hiroquois, avec le Père Recollect qui est venu de France selon qu'ils adviseroient avec le Père Nicolas, qui se devoit treuver à la traicte & conferer avec eux, mais il est arrivé que le pauvre Pere Nicolas au dernier saut s'est noyé, ce qui a esté cause qu'ils sont retournez, n'ayans ny cognoissance, ny langue, ny information: nous attendons donc vostre venue pour resoudre ce qui sera à propos de faire. Vous sçaurez, tout ce que vous pourrez desirer de ce pays du P. Joseph, c'est pourquoy je me contente de vous asseurer que je suis, Monsieur, Vostre très-affectionné serviteur, Charles Lalemant. De Kebec ce 28 Juillet 1625.
Mon Reverend Pere,
Pax Christi.
CE seroit estre par trop mescognoissant de ne point escrire à vostre Reverence, pour la remercier tant des lettres qui furent dernièrement escrites en nostre faveur aux Pères qui sont ici en la nouvelle France, comme de la charité que nous avons receues desdits Peres, qui nous ont obligez pour un jamais, je supplie nostre bon Dieu qu'il soit la grande recompence & des uns & des autres, pour mon particulier j'escris à nos Superieurs, que j'en ay un tel ressentiment que l'occasion ne se presentera point que je ne le fasse paroistre, & les supplie quoy que d'ailleurs bien affectionné de tesmoigner à tout vostre sainct Ordre le mesme ressentiment. Le P. Joseph dira à vostre Reverence le sujet de son voyage pour le bon succez duquel, nous ne cesserons d'offrir & prieres & sacrifices à Dieu, il faut ceste fois advancer à bon escient les affaires de nostre Maistre, & ne rien obmettre de ce qu'on pourra s'adviser estre necessaire, j'en ay escrit à tous ceux que j'ay creu y pouvoir contribuer que je m'asseure s'y emploieront si les affaires de France le permettent, je ne doute point que vostre Reverence ne s'y porte avec affection & ainsi, virtus unita fera beaucoup d'effet, en attendant le succez je me recommande aux saincts Sacrifices de vostre Reverence, de laquelle je suis.
De Kebec ce 28 Juillet
Tres-humble serviteur,
Charles Lalemant.
A mon Reverend Pere le P. Provincial
des RR. Peres Recollects.
Le bon Pere Joseph le Caron & tous les Religieux resjouys de la venue de si bons hostes, creut qu'en faisant un voyage en France, il amelioreroit sort le Canada, & adjousteroit un autre bien aux RR PP. Jesuites, qu'estoit quelque bénéfice qu'il esperoit du Roy pour la nourriture des enfans & nouveaux convertis, & ce qui luy en donnoit davantage d'esperance, estoit l'honneur qu'il avoit eu estant au monde d'enseigner à la Majesté, les premiers rudimens de la foy, il ny pu rien faire neantmoins, car encor bien que le Roy eut bonne volonté comme je vis en effet, il fallut passer par tant de mains, que lors que nous pensames estre le plus advancé, ce fut lors que tout estoit desesperé & qu'il fallut penser du retour aprés avoir receu un petit bien-fait de sa Majesté, qu'elle fist delivrer elle mesme ne s'en fiant pas à ses officiers, qui ne nous servoient que de remises.
Le Pere s'embarqua donc pour France à la fin du mois d'Aoust 1625, qui estoit la mesme année que les RR. PP. Jesuites estoient arrivez à Kebec, & y fit les négociations que je viens de dire, marry de n'y avoir pu faire davantage, & s'embarqua pour son retour l'année suivante dans la Catherine vaisseau de 150 tonneaux, avec le F. Gervais Mohier son compagnon, & arriverent heureusement à Tadoussac le 28 Juin 1626, où ayans mis pied à terre, le bon Frère (encor nouveau) se trouva comme dans un abisme d'estonnement & de merveille à l'aspect de ces pauvres Sauvages desquels il eut quelque apprehension au commencement, car comme il m'a dit luy mesme, il luy sembloit voir en eux quelque demons, ou des caresmes prenans, tant il les trouvoit estrangement accommodez. Il en prend de mesme presque à tous ceux qui les voyent pour la première fois, & puis on s'y accoustume, comme de voir d'autres personnes de deçà mieux couvertes.
Il se preparoit pour lors un grand festin dans une cabane à plus de 100. Sauvages, hommes, femmes & enfans, auquel il fut invité par le maistre, qui pensoit en cela le gratifier de beaucoup, mais il se trompoit bien fort, car il n'avoit pas l'appétit aiguisé jusques là, que de pouvoir manger d'une telle viande, qui n'estoit point à son goust. De le refuser il n'y avoit point d'apparence pour ce qu'ils ne sçavent que c'est d'estre esconduis, & l'accepter, c'estoit se mettre à l'impossible, que fit donc ce bon Religieux il s'assit à platte terre comme les autres, tint bonne mine & ne mangea point du tout. Ce que voyans quelqu'un de la trouppe, luy presenterent un gros morceau de graisse d'ours à manger, qu'ils estiment delicieuse, comme nous faisons icy la perdrix, mais c'estoit le faire tomber de fiebvre en chaud mal, comme l'on dit, & demeura les bras croisez, ô mon Dieu, pendant que les autres se donnoient au coeur joye de 4 grande chaudieres de poix, prunes, figues, raisins, biscuit, poisson & chair d'ours, le tout bouilly, cuit & meslé ensemble avec un aviron.
Il me vient de resouvenir de ma première entrée dans leurs cabanes mais il est vray que je trouvay leur menestre fort dégouttante, car la regardant seulement de l'oeil, elle me faisoit souslever le coeur, & cependant avec la grace du bon Dieu, je m'y suis bien accoustumé du depuis, & à des mortifications bien plus grandes que l'on ne faict par icy.
Le festin finy, il prist congé de ses hostes avec un ho, ho, ho, pour remerciement de leur bonne chère, & s'en retourna au Navire plus affamé qu'il n'en estoit party, & peu aprés se mirent sous voile pour Kebec, où ils arriverent le quatriesme de Juillet, en tres-bonne santé Dieu mercy, & ayans rendu les graces ordinaires à nostre Seigneur, ils receurent la charité & bon accueil qu'on a accoustumé de faire aux voyageurs & pelerins François, des commoditez du pays.
Comme le Père Joseph de la Roche Recollect, & le Père Brebeuf Jesuite, monterent aux Hurons, & d'un petit Huron qui vous fut amené, lequel fut conduit en France, puis baptisé.
CHAPITRE II.
IL est tres-necessaire d'avoir des Religieux en Canada, & par toutes les Nations errantes, pour les pouvoir instruire en la loy de Dieu, mais le principal fruict se doit esperer des peuples stables & sedentaires. Le Pere Joseph de la Roche, se resouvenant de ce que je luy en avois dit, se resolut d'y aller, & avec luy le R. P Brebeuf Jesuite, lesquels à ce dessein partirent de nostre Convent de nostre Dame des Anges, environ le mois de Juillet de l'an 1625, pour les trois rivieres, & de là au Cap de Victoire, où se tenoit la traite avec les Sauvages de diverses contrées là assemblez.
Estant arrivez aux barques, ils en communiquerent avec les Chefs, lesquels en louans leur zele, leur firent offre de tout ce qni leur faisoit besoin pour leur voyage, & leur donnerent des rassades, cousteaux, chaudières, & autres ustencilles de mesnage qu'ils accepterent pour leur servir dans le pays, & pour en accommoder leurs Sauvages, & ceux qui les nourriroient, ou leur rendroient quelque service.
Pendant qu'on disposoit leur petit faict, ils s'informèrent du Pere Nicolas par le moyen du Truchement Huron, mais ayans appris qu'ils l'avoient noyé au dernier saut, avec nostre petit disciple Auhaitsique, ils en furent fort affligez, & contraincts de s'en retourner à Kebec sans rien faire, n'ayans pas eu assez de courage pour passer ce coup là aux Hurons, comme ils firent l'année d'après, auquel temps le pere Joseph convint avec quelques Hurons de nostre cognoissance qui le receurent courtoisement en leur societé, mais pour le pauvre Père Brebeuf, il y eut un peu plus de difficulté, car outre qu'il leur estoit nouveau, & aussi mal armé que nous, ils prenoient pour excuses qu'il estoit un peu lourd pour leur canot, qui estoit un honneste refus fondé sur la raison, car si une personne pesante panche tant soit peu plus d'un costé que d'autre, ou qu'en entrant dedans il ne met le pied doucement & droitement au milieu du canot, c'est à dire qu'il tournera, & que tout renversera dans la riviere, & puis voyez si vous sçavez nager avec vos gros habits, ce sera avec peine, car cela peut arriver à de certains endroits, d'où les Sauvages mesme ne se sçauroient retirer qu'en se noyans.
Mais comme le Père Brebeuf accompagné pour lors du Père de Noue, eut faict quelque present honneste aux Hurons, il trouva en fin place dans un canot, qui le consola fort, & puis partit aprés les autres, sous la garde de nostre Seigneur, & de son bon Ange, où nous les lairons aller pour parler d'un petit Huron qui nous fut amené, & puis au Chapitre suivant, je vous donneray une bresve relation d'un voyage que le Pere Joseph fist passant des Hurons aux Neutres.
La mort du pauvre Père Nicolas fut une perte tres-notable pour le pays, aussi fut-il egallement regretté des Sauvages, & des François qui trouvoient en luy une grande science, accompagnée d'humilité, & d'une honneste & douce conversation, qui me fait dire qu'il eut rendu de grands services à nostre Seigneur en cette mission s'il luy eut donné une plus longue vie, car les Huguenots mesmes advouoient ses mérites & les graces, mais le principal est qu'il estoit fort bon Religieux.
Entre les Hurons qui luy estoient les plus affectionnez, il y eut un bon homme qui nous amena son fils pour estre instruit en nostre Convent, auquel le Pere Joseph le Caron fit toute la meilleure reception qui luy fut possible, comme à une petite ame qui venoit pour estre enrollée sous l'estendart de Dieu, par le moyen du S. Baptesme, ainsi qu'il fut du depuis.
Or il arriva neantmoins un petit zele pour ce petit garçon, entre les Reverends Peres Jesuites, le sieur Emery de Caën, & nous, car chacun desiroit s'en prevaloir, & nous l'oster pour l'amener en France. Tous offroient ces presents à l'envie, & cependant le Pere de l'enfant desiroit à toute force qu'il nous restat, disant: comme il estoit vray semblable qu'il nous l'avoit promis, & le vouloir consigner entre les mains de nostre Pere Paul qui estoit lors prest de s'embarquer pour France. Le Pere Noirot avec les autres Peres Jesuites, prièrent le Pere Joseph de faire envers le Pere du garçon qu'il trouvat bon qu'ils eusssent eux mesmes son fils, moyennant quelque gratification, & qu'infailliblement le menant en France, ils le rameneroient l'année prochaine, accommodé à son contentement.
Le sieur Emery de Caën en promettoit encore davantage pour l'avoir, de manière que nos Religieux, ny le pere de l'enfant, par tant de poursuittes, & solicitez de tant de prieres, ne sçavoient comment conserver le garçon, ny comment s'en deffaire. Bon Dieu est il bien possible que l'on cherchat en cela plus l'honneur propre, que vostre interest Seigneur, car le vray zele ne se soucie pas par qui le bien se fait, pourveu qu'il se fasse, ainsi que fit voir nostre Pere Joseph, lequel se desinteressant, renonça au petit qui nous appartenoit, & pria en faveur des Reverends Pères Jesuites, qui le receurent en France de la main du sieur de Caën, par le moyen du Seigneur Duc de Vantadour qui s'employa pour eux.
Mais voicy en quoy parut la souplesse d'esprit du Huron, pour avoir les presens des Pères Jesuites, du sieur de Caën: & nous laisser son fils, car le Père Joseph l'ayant prié pour les dits Pères, il ne vouloit pas le desebliger, ny le sieur de Caën, à cause de la traite; Que faut-il donc, il leur promet à tous deux son fils, & reçoit de mesme leurs presens, qui consistoient en couvertures de lits, chaudieres, haches, rassade, & coustaux, puis la veille du jour qu'il deut partir pour son retour aux Hurons, il dit aux Peres Jesuites qui demeuraient encores à nostre Convent: j'ay laissé mon fils entre les mains des Peres Recollects que vous le garderont, & audit sieur de Caën la mesme chose, adjoustant pour l'instruire en attendant que tu l'emmeine en ton pays, puis partit pour sa Province après avoir pris congé du Pere Joseph, & recommandé son fils, auquel seul il le voulut confier pour demeurer avec nous, ou pour estre conduit en France par de nos Frères.
Le Navire estant fretté & le sieur de Caën disposé pour son retour en France, demanda le Sauvage, & les Peres Jesuites aussi, il y eut derechef un peu de difficulté à qui l'auroit, car le père du garçon l'avoit accordé à tous, pour avoir de tous, & neantmoins l'avoit laissé chez nous fuivant sa première intention, car moy demeurant ee son pays avec le Père Nicolas, on nous en avoit promis six de ceux qui estoient de nos petits escholiers, & mesmes il y avoit des filles qui demandoient de venir en France avec nous, mais c'est une marchandise trop dangereuse à conduire.
Enfin ce petit est embarqué, conduit & mené par le sieur de Caën, qui le laissa pour quelque temps chez son pere à Rouen, puis le fit conduire à Paris, où estant les Reverends Peres Jesuites l'eurent en leur possession, à la faveur de Monsieur le Duc de Vantadour qui le demanda pour eux, lesquels l'ayans fait instruire avec assez de peine, pour n'y avoir personne qui sceut la langue, qu'un seculier qui le voyoit parfois, ils le firent baptiser avec grande solemnité dans l'Eglise Cathédrale de Rouen, & fut nommé Louys de saincte Foy, par Monsieur le Duc de Longueuille son parain, & Madame de Villars, sa maraine, en la presence d'une infinité de peuple qui y estoit accouru, d'autant plus curieusement que quelques Mattelots avoient donné à entendre qu'il estoit le fils du Roy de Canada.
Coppie ou abbregé d'une lettre du V. Père Joseph de la Roche Daillon Mineur Recollect, escrite du pays des Hurons à un sien amy, touchant son voyage fait en la contrée des Neutres, où il est fait mention du pays, des disgraces qu'il y encourut.
CHAPITRE III.
CE seroit vouloir cacher la lumière sous le boisseau, que de vouloir nier au publiq les choses qui le preuvent édifier, ou luy apporter un saint & innocent divertissement d'esprit, car l'homme infirme est de telle nature en ce monde, qu'il est necessaire que son ame jouisse, sinon tousjours du moins par intervalle, de quelque chose qui la contente, & par ainsi c'est le servir & faire beaucoup pour luy, que de luy donner matiere d'un divertissement pour l'empescher du mal, s'il n'a de l'amour assez pour attirer en luy les divines consolations d'un Dieu, après lesquelles il ny a plus de contentement, qui vaille, ny dequoy on doive faire estat que pour parvenir à ce mesme amour.
Je vous ay dit comme nostre Pere Joseph de la Roche Daillon s'estoit embarqué au cap de Victoire, pour le pays des Hurons, en intention de travailler à leur conversion & de penetrer jusques aux dernières Nations pour y porter son zele, & voir si elles estoient capables de recognoistre leur Dieu, & se faire Chrestiens, mais pour ce que je n'ay pas esté bien informé du succés de ce voyage, & que je me pourrois tromper en ma relation, je me contenteray de vous tracer icy en abrégé une lettre que ce bon Pere escrivit à un sien amy d'Angers, où il luy mande principalement, l'excellence des contrées Neutres, ce qui luy pensa arriver, & la manière de leur gouvernement en ces termes.
MONSIEUR, humble salut en la misericorde de Jesus. Encore est-il permis quoy qu'esloigné, de visiter les amis par missives, qui rendent les personnes absentes presentes. Nos Sauvages s'en sont estonnez voyans que souvent nous escrivions à nos Peres esloignez de nous, & que par nos lettres ils apprenoient nos conceptions, & ce que les mesmes Sauvages avoient geré au lieu de nostre residence. Apres avoir fait quelque sejour en nostre Convent de Canada, & communiqué avec nos Peres, & les Reverends Pères Jesuites, je fus porté d'une affection religieuse de visiter les peuples Sédentaires, que nous appellons Hurons, & avec moy les Reverends Peres Brebeuf, & de Noue Jesuites, y estans arrivez avec les peines que chacun peut penser, à raison des mauvais chemins, je receu lettre (quelque temps après) de nostre Reverend Pere Joseph le Caron, par laquelle il m'encourageoit de passer outre à une Nation que nous appellons Neutre, de laquelle le Truchement Bruslé disoit des merveilles, encouragé par un si bon Pere, & le grand recit qu'on me faisoit de ces peuples, je m'y acheminé, & partis des Hurons à ce dessein, le 18 Octobre 1626 avec un nommé Grenolle, & la Vallée, François de Nation.
Passans par la Nation du Petun, je fis cognoissance & amitié avec un Capitaine qui y est en grand crédit, lequel me promit de nous conduire à cette Nation Neutre, & fournir de Sauvages pour porter nos pacquets, & le peu de vivres que nous avions de provision, car de penser vivre en ces contrées de mendicité s'est se tromper, ces peuples n'entendans à donner qu'en les obligeans, & faut faire souvent de longues traictes, & passer mesme plusieurs nuicts sans trouver autre abry que celuy des Estoiles. Il executa ce qu'il nous avoit promis à nostre contentement, & ne couchasmes que cinq nuicts dans les bois, & le sixiesme jour nous arrivasmes au premier village, où nous fusmes fort bien receus graces à nostre Seigneur, & à quatre autres villages en suitte, qui à l'envie les uns des autres nous apportoient à manger, les uns du cerf, les autres des citrouilles, de la neintahouy, & de ce qu'ils avoient de meilleur, & estoient estonnez de me voir vestu de la sorte, & que je ne souhaitois rien du leur sinon que je les conviois par signes à lever les yeux au Ciel, & faire le signe de la saincte Croix, & ce qui les ravissoit en admiration estoit de me voir retirer certaines heures du jour pour prier Dieu, & vaquer à mon interieur, car ils n'avoient jamais veu de Religieux, sinon vers les Petuneux & les Hurons leurs voisins.
En fin nous arrivasmes au sixiesme village, où l'on m'avoit conseillé de demeurer; j'y fis tenir un conseil, ou vous remarquerez en passant, qu'ils appellent conseils toutes leurs assemblées, lesquelles ils tiennent assis contre terre, toutes les fois qu'il plaist aux Capitaines, non dans une salle, mais en une cabane, ou en pleine campagne, avec un silence fort estroit, pendant que le Chef harangue, & sont inviolables observateurs de ce qu'ils ont une fois conclu & arresté.
Là je leur fis dire par le Truchement que j'estois venu de la part des François, pour faire alliance & amitié avec eux, & pour les inviter de venir à la traicte, que je les suppliois aussi de me permettre de demeurer en leur pays, pour les pouvoir instruire en la loy de nostre Dieu, qui est le seul moyen d'aller en Paradis. Ils accepterent toutes mes offres, & me tesmoignerent qu'elles leur estoient fort agréables, dequoy consolé, je leur fis un present du peu que j'avois, comme de petits cousteaux, & autres bagatelles qu'ils estimerent de grand prix, car en ces pays là on ne traicte point avec les Sauvages, sans leur faire des presens de quoy que ce soit, & en contreschange, ils m'enfanterent (comme ils disent) c'est qu'ils me declarerent citoyen, & enfant du pays, & me donnerent en garde (marque de grande affection) à Souharissen qui fut mon pere, & mon hoste, car selon l'aage ils ont accoustumé de nous appeller cousin, frere, fils, oncle, ou nepveu &c. Celuy là est le Capitaine du plus grand credit & authorité qui aye oncques elle en toutes les Nations, car il n'est pas seulement Capitaine de son village, mais de tous ceux de sa Nation en nombre de vingt huict, tant bourgs, villes, que villages, faicts comme ceux du pays des Hurons, puis plusieurs petits hameaux de sept à huict cabanes, bastis en divers endroits commodes pour la pesche, pour la chasse, ou pour la culture de la terre.
Cela est sans exemple aux autres Nations d'avoir un Capitaine si absolu, il s'est acquis cest honneur & pouvoir par son courage, & pour avoir esté plusieurs fois à la guerre contre les dix sept Nations qui leur sont ennemies, & en avoit apporté des testes de toutes, ou amené des prisonniers.
Ceux qui sont vaillants de la sorte sont fort estimez parmy eux. Et quoy qu'ils n'ayent que la massue, & l'arc, si est ce qu'ils sont très-belliqueux, & adextres à ses armes. Apres tout ce bon accueil, nos François s'en estans retournez, je resté le plus content du monde, esperant d'y advancer quelque chose pour la gloire de Dieu, ou au moins d'en descouvrir les moyens, ce qui ne seroit peu, & de tascher d'apprendre l'embouchure de la riviere des Hiroquois, pour les mener à la traicte.
J'ay fait aussi mon possible pour apprendre leurs moeurs, & façons de vivres, & durant mon sejour je les visitois dans leurs cabanes, pour les sçavoir, & pour instruire, & les trouvois assez traictables & souvent aux petits enfans qui sont fort esveillez, tous nuds, & eschevelez, je leur faisois faire le signe de la saincte Croix, & ay remarqué qu'en tous ces pays, je n'en ay point treuvé de bossus, borgnes, ou contrefaicts.
Je les ay tousjours veu constans en leur volonté d'aller au moins quatre canots à la traicte, si je les voulois conduire, toute la difficulté estoit que nous n'en sçavois point le chemin, jamais Yroquet Sauvage cogneu en ces contrées, qui estoit venu là avec vingt de ses gens, à la chasse au castor, & qui en print bien cinq cens, ne nous voulut donner aucune marque pour cognoistre l'emboucheure de la riviere, luy & plusieurs Hurons nous asseuroient bien qu'il ny avoit que pour dix jours de chemin jusques au lieu de la traicte, mais nous craignions de prendre une riviere pour une autre, & nous perdre, ou mourir de faim dans les terres.
Trois mois durant j'eus toutes les occasios du monde de me contenter de mes gens. Mais les Hurons ayans descouvert que je parlois de les mener à la traicte firent courir par tous les villages, où ils passoient de fort mauvais bruits de moy, que j'estois un grand Magicien, que j'avois empesté l'air en leur pays, & empoisonné plusieurs, que s'ils ne m'assommoient bien tost, je mettrois le feu dans leurs villages, ferois mourir tous les enfans, enfin j'estois à leur dire un grand Atatanite, c'est leur mot, pour signifier celuy qui faict les sortileges qu'ils ont le plus en horreur, & en passant sçachez qu'il y a icy force sorciers, & qui se meslent de guarir les maladies par marmoteries, & autres fantaisies, en fin ces Hurons leur ont tousjours dit tant de mal des François qu'ils se sont pû adviser pour les divertir de traicter avec eux, que les François estoient inacostables, rudes, tristes & melancholiques, gens qui ne vivent que de serpens, & venins, que nous mangions le tonnerre, qu'ils s'imaginent estre une chimere nompareille, faisans des comptes estranges là dessus, que nous avions tous une queue comme les animaux, & les femmes n'ont qu'une mammelle, située au milieu du sein, qu'elles portent cinq où six enfans à la fois, & y adjoustent mille autres sottises pour nous faire hayr d'eux.
Et en effet ces bonnes gens qui sont fort faciles à persuauder, me prindrent en grand soupçon, sitost qu'il y avoit un malade, ils me venoient demander s'il estoit pas vray que je l'eusse empoisonné, qu'on me tueroit asseurement, si je ne le guarissois, j'avois bien de la peine à m'excuser & deffendre, en fin dix hommes du dernier village appelle Ouaroronon, à une journée des Hiroquois, leur parens, & amis, venans traicter à nostre village me vindrent visiter, & me convierent de leur rendre le reciproque en leur village, je leur promis de n'y pas manquer lors que les neiges seroient fondues, & de leur donner à tous quelques bagatelles, dequoy ils se monstrerent contents, là dessus ils sortirent de la cabane où je logeois, couvant tousjours leur mauvais dessein sur moy, & voyant qu'il se faisoit tard me revindrent trouver, & brusquement me firent une querelle d'Allemand, l'un me renverse d'un coup de poing, & l'autre prist une hache, & m'en pensant fendre la teste, Dieu qui luy destourna la main, porta le coup sur une barre qui estoit là auprès de moy, je receus encores plusieurs autres mauvais traictemens, mais c'est ce que nous venons chercher en ces pays. S'appaisans un peu, ils deschargerent leur cholere sur le peu de hardes qui nous restoient, ils prindrent nostre escritoire, couverture, breviaire, & nostre sac, où il y avoit quelques jambettes, esguilles, alaines, & autres petites choses de pareille estoffe, & m'ayant ainsi devalisé, ils s'en allerennt toute la nuict fort joyeux de leur emploite, & arrivez en leur village faisans reveuë sur leurs despouilles, touchez peut-estre d'un repentir venu du très-haut, ils me renvoyerent nostre breviaire, cadran, escritoire, couverture, & le sac, mais tout vuide.
Lors de leur arrivée en mon village, appellé Ounontisaston, il n'y avoit que des femmes, les hommes estans allez à la chasse du cerf, à leur retour ils me tesmoignerent estre marris du desastre qui m'estoit arrivé, & puis n'en fut plus parlé.
Le bruit courut incontinent aux Hurons que j'avois esté tué, dont les bons Peres Brebeuf, & de Noue qui y estoient restez m'envoyerent promptement Grenolle pour en sçavoir la vérité, avec ordre que si j'estois encore en vie de me ramener, à quoy me convioit aussi la lettre qu'ils m'avoient escrite avec la plume de leur bonne volonté, & ne voulu leur contredire, puis que tel estoit leur advis, & celuy de tous les François, qui apprehendoient plus de disgraces en ma mort que de profit, & m'en revins ainsi au pays de nos Hurons, où je suis à present tout admirant les divins effects du Ciel.
Le pays de cette Nation neutre est incomparablement plus grand, plus beau & meilleur qu'aucun autre de tous ces pays, il y a un nombre incroyable de cerfs, lesquels ils ne prennent un à un comme on fait par deçà, mais faisans trois hayes en une place spatieuse, ils les courent tout de front, tant, qu'ils les reduisent en ce lieu, où ils les prennent, & ont cette maxime pour toutes sortes d'animaux, soit qu'ils en ayent besoin ou non, qu'ils tuent tout ce qu'ils en rencontrent, de crainte, à ce qu'ils disent, que s'ils ne les prenoient, que les bestes iroient raconter aux autres comme elles auroient esté courues, & qu'en suitte ils n'en trouveroient plus en leur necessité. Il s'y trouve aussi grande abondance d'orignas ou eslans, castors, chats Sauvages & des escurieus noirs plus grands que ceux de France, grande quantité d'outardes, coqs d'Inde, gruës & autres animaux, qui y sont tout l'Hyver qui n'est pas long, ny rigoureux comme au Canada, & n'y avoit encores tombé aucunes neiges le vingt-deuxiesme Novembre, lesquelles ne furent tout au plus que de deux pieds de haut, & commencerent à se fondre des le 26 Janvier, le huictiesme Mars, il n'y en avoit plus du tout aux lieux descouvers, mais bien en restoit il un peu dans les bois. Le sejour y est assez recreatif & commode, les rivieres fournissent quantité de poissons & très-bons, la terre donne de bons bleds, plus que pour leur necessité. Il y a des citrouilles, faisoles & autres legumes à foison, & de tres-bonne huile, qu'ils appellent Touronton, tellement que je ne doute point qu'on devroit plustost s'y habituer qu'ailleurs & sans doute avec un plus long sejour y auroit esperance d'y advancer la gloire de Dieu, ce qu'on doit plus rechercher qu'autre chose, & leur conversion est plus à esperer pour la foy que non pas des Hurons, & me suis estonné comme la compagnie des marchands, depuis le temps qu'ils viennent en ces contrées n'ont faict hyverner audit païs quelque François; je dis asseurement qu'il seroit fort facile de les mener à le traicte, qui seroit un grand bien pour aller & venir par un chemin si court & si facile comme je vous ay ja dit, car d'aller de la traicte aux Hurons parmy tous les sauts si difficiles & tousjours en danger de se noyer, il n'y a guere d'apparence, & puis des Hurons s'acheminer en ce païs six journées, traversant les terres par des chemins effroyables & espouventables comme j'ay veu, ce sont des travaux insupportables, & seul le sçait qui s'y est rencontré.
Donc je dis que Messieurs les associez devroient (à mon advis) envoyer hyverner des François, dans le païs des Neutres moins esloignez que celuy des Hurons, car ils se peuvent rendre par le lac des Hiroquois au lieu où l'on traicte tout au plus en dix journées, ce lac est le leur aussi, les uns sont sur un bord & les autres sur l'autre, mais j'y vois un empechement qui est, qu'ils n'entendent gueres à mener les canots, principalement dans les sauts bien qu'il n'y en aye que deux, mais ils sont longs & dangereux, leur vray mestier est la chasse & la guerre, hors de là sont de grands paresseux, que vous voyez comme les gueux de France, quand ils sont saouls couchez le ventre au Soleil, leur vie comme celle des Hurons fort impudique, & leurs coustumes & moeurs tout de mesme, le langage est differant neantmoins, mais ils s'entendent comme font les Algoumequins & Montagnais, d'habis ne leur en cherchez pas, car memes ils n'ont pas de brayers, ce qui est fort estrange & qui ne se treuve guere dans les Nations les plus Sauvagines. Et pour vous dire au vray, il seroit expedient qu'il ne passat icy toutes sortes de personnes, car la mauvaise vie de quelques François leur est un pernicieux exemple, & en tout ces païs les peuples quoy que Sauvages, nous en font des reproches, disans que nous leur enseignons des choses contraires à celles que nos François pratiquent, pensez Monsieur de quel poix peuvent estre aprés nos parolles, il est à esperer pourtant de mieux, car ce qui me consola à mon retour fut de voir que nos compatriots avoient fait leur paix avec nostre Seigneur, s'estoient confessez & communiez à Pasques & avoient chassé leurs femmes, & depuis ont esté plus retenus.
Il faut que je vous die qu'on a traicté nos Pères si rudement que mesmes deux hommes desquels les Peres Jesuites s'estoient privez pour les accommoder, ont esté retirez par force, & ne leur ont voulu donner vivres quelconques, pour nourrir & entretenir quelques petits Sauvages qui souhaittoient de demeurer avec nous, bien qu'ils leur promirent de leur faire satisfaire par quelqu'uns de nos bienfaiteurs, il est cruel d'estre traicté de la sorte par ceux mesme de sa Nation, mais puis que nous sommes Frères Mineurs, nostre condition est de souffrir & prier Dieu qu'il nous donne la patience.
On dit qu'il nous vient deux Peres nouveaux de France, nommez le Pere Daniel Boursier & le Pere François de Binville, qu'on nous avoit ja promis dés l'an passé, si cela est, je vous prie pour surcroist de toutes vos peines que prenez pour moy, de me faire seulement tenir un habit qu'on m'envoye, c'est tout ce que je demande, car il ne se fait point icy de drap, & le nostre estant tout usé, je ne m'en peux passer, les pauvres Religieux de sainct François ayans le vivre & le vestir c'est tout leur partage en terre, le Ciel nous l'esperons sous la faveur du bon Dieu, pour lequel servir très volontiers, pour le salut de ces peuples aveugles nous engageons nostre vie, afin, qu'il luy plaise si il l'agrée de nostre soing faire germer le Christianisme en ces contrées, Dieu permet le martyre à ceux qui le méritent, je fuis marry de n'estre pas en cet estat, & n'ignore pas neantmoins, que pour estre recogneu vray enfant de Dieu, il faut s'exposee pour ses freres. Viennent donc hardiment les peines & les travaux, toutes les difficultez & la mort mesme me seront aggreable, la grace de Dieu estant avec moy, laquelle je mandie par le moyen des prières de tous nos bons amys de par delà, desquels je suis & à vous Monsieur, très humble serviteur en nostre Seigneur. Fait à Toanchain village des Hurons ce 18 Juillet 1627.
Voyla tout ce qui est arrivé de plus remarquable au voyage de ce bon Pere, duquel on peut remarquer ce que l'avois autrefois appris, l'envie & malice de Hurons de ne vouloir pas permettre qu'allassions hyverner parmy les Neutres, peur de les conduire à la traicte par un chemin racourcy, ce qui leur seroit d'un grand prejudice à la vérité, entant qu'ils ne pourroienr plus traicter avec eux & en tirer les castors que les autres porteroient aux François. Le copiste de la lettre du Pere s'est mespris à mon advis au mot Huron otoronton, qui veut faire signifier de l'huyle, car c'est proprement à dire, beaucoup, ou ô qu'il y en a beaucoup. Il y en a qui avoient voulu soustenir qu'il y avoit plus de distance de Kebec aux Neutres, que non pas aux Hurons, mais ils se trompoient par la confession mesme du P. Joseph qui advoue qu'en dix journées on pourroit descendre à la traicte si on avoit trouve l'emboucheure de la riviere des Hiroquois, ou nos Hurons ne peuvent venir en moins de trois sepmaines. Je conjesture aussi facilement cest approche des Neutres de Kebec, en ce que les Hiroquois sont plus proches des François que les Hurons & les Neutres ne sont qu'à une journée des Hiroquois qui sont tous tirant au Su.
Ces Neutres jouissent (selon l'advis d'aucuns) de quatre-vingts lieuës du païs, où il se fait grande quantité de tres-bon petun, qu'ils traictent à leurs voisins. Ils assistent les cheveux relevez contre la Nation de Feu, desquels ils sont ennemis mortels: mais entre les Hiroquois & nos Hurons, avant cette esmeute de laquelle j'ay fait mention au 26e chapitre du second livre, ils avoient paix & demeuroient Neutres entre les deux Nations, chacune desquelles y estoit la bien venue, & où ils n'osoient s'entredire ny faire aucun desplaisir, & mesme y mangeoient souvent ensemble, comme s'ils eussent esté amis, mais hors de là s'ils se rencontroient, il n'y avoit plus d'amitié ny de caresse, ains guerres & poursuittes qu'ils continuent à outrance, sans qu'on aye encore pu trouver moyen de les reconcilier & mettre en paix, leur inimitié estant de trop longue main enracinée & fomentée par les jeunes hommes de l'une & l'autre Nation, qui ne demandent qu'à se faire valoir dans l'exercice des armes & de la guerre pour la patrie, & non pour les duels, qui sont detestez par tout ailleurs, fors de mauvais Chrestiens & de ceux qui ne font point estat de leur salut, qu'ils prodigalisent à la moindre pointille d'honneur qui leur arrive.
Je m'estois autrefois voulu entremettre d'une paix entre les Hurons & les Hiroquois, pour pouvoir planter le S. Evangile par tout & faciliter les chemins de la traicte à plusieurs Nations qui n'y ont point d'accez, mais quelques Messieurs de la societé me dirent qu'il n'estoie pas expedient & pour cause, d'autant que si les Hurons avoient paix avec les Hiroquois, les mesmes Hiroquois meneroient les Hurons à la traicte des Flamands, & les divertiroient de Kebec qui est plus esloigné.
De deux François tuez par un Montagnais qui fut emprisonné aprés ses ostages rendus. Du lac appellé sainct Joseph où les Sauvages allerent hyverner & comme ils levent le camp.
CHAPITRE IV.
EN la mesme année 1627 sur la fin du mois d'Aoust, arriva à Kebec le sieur de la Rade Vice Admiral de la flotte envoyé par le sieur Guillaume de Caën, pour la traicte des pelleteries. Le P. Joseph le Caron Superieur de nostre maison luy alla rendre ses devoirs & offrir les prieres de ses Religieux desquelles il fist assez peu d'estat pour avoir deslors pris resolution en son ame de faire banqueroute à l'Eglise pour espouser une fille à ce qu'on croit.
La discourtoisie de ce personnage augmentée par ce dessein, se fist encor voir au refus qu'il fist de passer en France un petit Sauvage nommé Louys, baptizé par nos Peres le jour de la Pentecoste dernier. Le Pere Joseph n'ayant pu flechir ce coeur endurcy y employa le pere de l'enfant, qui luy fist offre d'une quantité de pelleteries, vallant quatre fois plus que ne montoit la taxe ordonnée pour le pasage d'un homme en France, mais il demeura inflexible, on luy parle de s'en plaindre à Messieurs du conseil, & pour cela il ne s'esbranla point, par ainsi il fallut desister & avoir patience en retenant ce petit garçon par devers nous. On nous a asseuré du depuis que ledit sieur de la Rade estoit rentré au giron de l'Eglise, de quoy je loué Dieu & m'en resjouis.
En ce temps là les Sauvages commencerent de s'assembler pour la pesche de l'anguille desquels un nommé Mahican Atic Ouche eut quelque différent avec le boulenger de l'habitation & un autre qui avoit esté à gage de Maistre Robert le Chirurgien.
Leur dispute ne vint que pour un morceau de pain que ces François refuserent à ce Sauvage qui leur demandoit avec quelque violence & les autres en luy refusant, luy donnèrent du poing & presenterent le bout d'une arequebuze sans dessein toutesfois de l'en offencer, mais seulement pour repousser la force par la force & la violence de celuy qui estoit violenté par la faim. Ce que le Barbare prit neantmoins tellement à coeur qu'il se resolut deslors de les tuer tous deux au premier jour qu'il en trouveroit l'opportunité.
En ce temps là le sieur Champlain eut volonté de faire un voyage au Cap de tourmente, pour lequel il fist choix d'un nommé Henry domestique de la Dame Hebert & de quelques autres pour conduire sa chalouppe. Ce pauvre Henry avoit eu un songe admirable la nuict precedente, il luy estoit advis que revenant du Gap de tourmente, les Sauvages le vouloient tuer à coups de haches & despées, ce qui le fist crier si haut à son compagnon couché auprès de luy, Louys, Louys, secourez moy, les Sauvages me tuent, que s'estant esveillé au bruit il trouva que c'estoit songe & non point vérité, & se r'asseura à force de luy dire qu'il ne falloit point adjouster de foy aux songes & resveries qui nous viennent la nuict en dormant.
Sa maistresse qui ne le pouvoit dispenser de ce voyage nonobstant les excuses & les prieres, luy conseilla de prendre son chien & qu'il luy seroit de bonne guette; mais le mal-heur fut que le sieur de Champlain estant pressé de partir, le pauvre Henry n'eut pas le loisir d'embarquer son chien, qui luy eut sauvé la vie & tiré du péril.
Le lendemain à certaine heure du jour Mahican Atic Ouche fut au logis de la dame Hébert luy demander un morceau de pain, car il estoit grand amy de la maison, mais luy ayant esté respondu que celuy qui en avoit la charge estoit allé au Cap de tourmente & qu'il y en avoit pour lors fort peu à la maison, il creut entendant parler de celuy qui avoit la charge du pain que c'estoit le boulanger qui l'avoit offencé, & partant sans autrement s'informer de ce qui en pouvoit estre partit sur le soir bien tard pour l'aller trouver au cul de sac où il devoit coucher en la cabane du Chirurgien avec un pauvre manouvrier appellé du Moulin, lesquels ayans trouvé la cabane fermée, furent contraincts de coucher sous un arbre enveloppez dans leurs couvertures à cause du froid.
Estans tous deux bien endormis arriva le Sauvage Mahican Atic Ouche, avec ses armes la hache & l'espée à onde de laquelle il leur donna tant de coups au travers du corps, qu'ils resterent morts sur la place sans avoir pû se faire cognoistre, ce qui leur eu sauvé la vie, car ce n'estoit point à eux à qui on en vouloit, mais au boulenger de Kebec & au serviteur de maistre Robert & neantmoins le coup estoit donné dequoy le meurtrier mesme fut fort marry, mais trop tard, car Henry estoit l'un de ses meilleurs amys.
Ce mal-heur achevé, le mal-heureux barbare tout attristé vouloit couvrir son faict il prit les deux corps & les traisna le long de la prairie sur le bord de l'eau, afin que la marée venans elle les emportast puis se rembarqua dans son canot & se retira en sa cabane où il ne fut pas le bien venu pour n'avoir point apporté d'anguilles.
Le lendemain matin les deux François à qui le barbare en vouloit furent où les deux corps morts avoient esté meurtris, & trouvans la trace du sang jugèrent de ce qui estoit arrivé sans sçavoir encore comment, ils suivirent la piste & trouverent les deux cadavres sur le bord de l'eau d'où ils les retirèrent & les mirent en lieu de seureté hors du hazard de la marée & des flots, puis se rembarquerent dans leur canot pour l'habitation, où ils donnerent advis au sieur du Pont Gravé de ce funeste accident, qui à ceste occasion despecha une chalouppe au cul de sac pour en rapporter les deux corps ainsi miserablement tuez, puis en mesme temps envoya aux RR. PP. Jesuites & à nostre Convent advertir que l'on se donnast de garde des Sauvages & fist prier le P. Joseph particulièrement qu'il luy fist la faveur de le venir trouver pour adviser à ce qu'on auroit à faire.
La chalouppe arrivée avec les deux corps morts estonna fort tous les François, notamment la dame Hébert, laquelle se resouvenant du songe du pauvre deffunct Henry qui avoit esté son domestique s'en affligea fort, & disoit en se plaignant d'elle mesme; helas j'ay esté en cela bien miserable de n'avoir point creu à cest infortuné garçon, qui nous avoit par le ministere de son Ange, comme adverty de son desastre à venir, mais helas qui pourroit adjouster de foy aux songes & resveries, qui nous arrivent si souvent en dormant, sinon que l'on manquat de sagesse.
Les corps furent mis dans l'habitation & posez en lieu decent, tandis que tous les Capitaines Montagnais, qui estoienr là és environs de Kebec furent mandez par le sieur de Champlain de le venir trouver promptement, ce qu'ils firent avec la mesme diligence que le truchement Grec leur avoit enchargè, & du mesme pas le Sauvage Choumin avec son beau frere vindrent en nosftre Convent faisans les ignorans & les estonnez, mais bien davantage quand ils virent que l'entrée de la maison leur fust refusée par nostre F. Gervais qui en estoit le portier. Toutesfois non si rigoureusement qu'il ne mist Choumin au choix d'y entrer & non point à l'autre, s'il ne quittoit premièrement, ce qu'il avoit de caché dessous sa robbe.
Il y eut là un petit de contrastes, car les bonnes gens ne vouloent point advouer qu'ils eussent rien de caché, & le bon Frere perseveroit dans son soupçon que ce barbare avoit quelque chose sous la robbe qu'il tenoit serrée devant son estomach, à la fin il en tira une bayonnette, que quelque Rochelois luy avoient traictée, laquelle il donna audit Frère qui sur celle indice leur fist quelque reprimende de leur mauvaise volonté à l'endroit des François & de la mort des deux nouvellement tuez, ce qu'il disoit à dessein pour apprendre d'eux qui avoit esté les meurtriers & non pour aucune mauvaise oppinion, qu'il eut de ce Choumin qui nous estoit très bon amy.
Choumin neantmoins un peu picque au ieu ne se pû taire qu'il ne luy die: Frère Gervais je croy que tu n'a point d'esprit, pense tu que je sois si meschant de te vouloir du mal ny à aucun des François; je viens de l'habitation où j'ay veu les deux corps morts meurtris par les Hiroquois, & non par aucun de nostre Nation, car qu'elle apparence aprés tant de bien-faicts receus que nous soyons si miserables que de tuer de tes gens, tu sçay bien toy-mesme que je suis vostre amy & à tous tes frères, & que si j'ay deu vous rendre service je l'ay tousjours fait à mon possible & veux continuer jusques à la mort de vous aymer comme mes freres & mes enfans. Tu diras que tu a trouvé mon beau frere saisy d'un grand cousteau, mais sçache que ce n'est pas pour faire du desplaisir aux François, mais pour le deffendre des Hiroquois, dont on dit qu'il y a grand nombre dans les bois pour nous surprendre, comme ils ont fait ces deux François dequoy rendent tesmoignage nos Capitaines mandez à l'habitation par le sieur de Champlain.
Le Frere Gervais luy repliqua qu'il ne doutoit nullement de son amitié, mais qu'il ne pouvoit croire que ce fussent autres que Montagnais qui eussent faict le coup, & que s'il estoit brave homme il leur descouvriroit les meurtriers pour s'en donner de garde une autre fois, ce qu'il ne voulut faire niant tousjours, qu'il les cogneut, mais il asseura le Frere qu'il feroit son possible pour les descouvrir & ammener vif ou mort à Kebec pourveu qu'on luy rendit son grand cousteau, qui serviroit pour leur trencher la teste s'ils faisoient les retifs, le frère leur ayant rendu ils partirent pour l'habitation parler au Pere Joseph, auquel ils contèrent ce qui leur estoit arrivé depuis leur entre-veuë.
Les Capitaines Sauvages estans tous à Kebec, le sieur de Champlain les harangua & leur fist voir les corps & les playes de ces meurtres, où se recognut que l'espée dont on s'estoit servy estoit une espée ondée, qui fit croire à plusieurs particulierement à Choumin, qu'elle estoit d'un de leur Nation, ce que nioit absolument Mahican Atic Ouche, qui taschoit de se justifier & couvrir son forfaict par cette simple negative, mais il estoit des-ja tellement dans la mauvaise estime de tous les autres Capitaines de sa Nation, qui ne l'osoient neantmoins absolument condamner sans une plus grande cognoissance de cause, qu'ils deleguerent des personnes pour en faire les informations & poursuivre contre luy.
Esrouachit soustint aussi que le faict avoit esté perpetré avec l'espée d'un de leur Nation, & qu'il en falloit faire recherche, puis rehaussant sa voix vers tous les siens qui estoient là presens leur dit: ô hommes qui estes icy assemblez! est il pas vray que nous sommes bien meschans de tuer de la forte ceux qui nous font du bien & nous a assistent de leurs moiens, car sans eux que deviendrions nous au temps de l'extreme famine qui nous assaille si souvent, nous mourrions tous ou du moins nous souffririons beaucoup, parquoy je vous promet, dit-il, au sieur Champlain de faire moy mesme une exactee recherche de ces meschans pour vous les amener en vie ou en rapporter les testes, que je vous consigneray, partant fiez vous en moy, dequoy le sieur de Champlain le loua & pria de ne desister point de ses poursuittes que les criminels ne fussent descouvers, parce qu'il avoit esté dit & conclud par les Chefs François, que jusques à ce qu'ils fussent amevez, il ne seroit permis à aucun Sauvage d'approcher les François de vingt pas loing, soit allans par les bois ou approchans des maisons, sans que premier ils appellassnt pour eviter aux surprises à peine d'estre arquebusez par les François qui n'iroient plus sans armes, ce qui troubla fort la pesche de l'anguille car tout cecy arriva au mois d'Octobre l'an 1627, qu'elle commencoit à estre bonne.
L'on fit l'enterrement de ces deux corps le plus honorablement que faire se peut & le service achevé, le Pere Joseph s'en retourna au Convent avec Choumin, auquel on fist cognoistre la malice des Montagnais, qu'il advoua franchement & promit que dans deux jours il sçauroit les meurtriers, mais qu'il les prioit de ne point dire à personne qu'il les auroit decelez, ce qu'on luy promit, afin que la vengeance ne tombat point sur luy, car entre ces Nations là il ne fait pas bon estre ennemy de personne si on ne se veut mettre dans le hazard d'estre tué.
Estant party de nostre Convent il s'en alla droit trouver celuy à qui il avoit veu une espée à onde, mais un peu trop tard, car le marchand ayant sçeu qu'on le cherchoit il la jette dans la riviere, ou du moins il la cacha si bien qu'elle ne se trouva point, ce que voyant Choumin il luy presenta à tenir le tustebeson, duquel j'ay parlé au chap. des conseils livre second, mais se tournant de costé il le refusa & pleurant disoit, j'ay tousjours bien aymé Henry, ce qui estoit vray, mais ce n'estoit pas à dire qu'il ne l'eut tué.
Choumin voyant ce refus, il le presenta à plufieurs autres qui ne firent aucune difficulté de le tenir pour ce qu'ils se sentoient innocens, & puis s'en retourna chez nous, où il dit à nos Religieux qu'asseurement Mahican Atic Ouche avoit fait le coup, & qu'il le falloit prendre, il en fut dire autant au sieur de Champlain, qui fist venir le dit Mahican pour voir s'il l'advoueroit, mais arrivé qu'il fut dans la chambre il ne fist que pleurer, disant qu'il estoit un meschant, & qu'il meritoit la mort, & nya pourtant fort & ferme qu'il eut commis le meurtre.
Et d'autant que l'on avoit trouvé la piste de trois personnes de diverses grandeurs, l'on luy demanda si ces deux enfans avoient assisté au meurtre commis, il dit que non, & que n'ayant pas faict le coup il ne les y avoit pas conduits. L'on envoya querir trois de ses enfans lesquels l'on interrogea, mais sans en pouvoir rien tirer, quelqu'uns estoient d'advis qu'on les devoit constituer prisonniers, & d'autres trouverent meilleur d'en retenir l'un & laisser aller les deux autres, qui s'en retournerent saisis d'une telle espouvente que le plus grand des deux aagé d'environ 18 à 20 ans arrivant de l'autre costé du fleuve tomba mort sur la place, ce qui estonna fort les Sauvages qui disoient que se sentant coulpable, il estoit mort de frayeur, d'estre faict mourir par justice.
Les Chefs de Kebec voyans que l'on ne pouvoit lors tirer preuve suffisante pour faire mourir le meurtrier, l'on demeura d'accord avec les Capitaines Sauvages & l'accusé, qu'il donneroit son fils, & Esrouachit l'un desdits Capitaines & parent dudit accusé, un autre des siens, & que tous deux demeureroient pour ostages jusques à ce que l'on eut descouvert le meurtrier, & que au renouveau le dit Esrouachit seroit tenu de re-presenter ledit Mahican Atic Ouche, ou le meurtrier convaincu du crime.
Pendant l'Hyver l'on fit toutes les diligences possibles pour cognoistre le malheureux, mais les Sauvages interessez en la cause oppinerent tous que ce ne pouvoit estre autre que celuy duquel on se doutoit, & qu'il ne falloit s'en informer davantage, pour ce qu'autrement on en offenceroit plusieurs pour un.
Le Printemps venu l'on esperoit à Kebec que Esrouachit rameneroit son homme, mais craignant d'y recevoir quelque affront il le renvoya par un Capitaine de Tadoussac, nommé le Jeune la Fouriere, qui le conduit jusques à Kebec, où plusieurs Sauvages entre autre Choumin, donnerent advis qu'il le falloir retenir comme coulpable, & delivrer les deux garçons comme innocens, ce qui fut faict.
L'on esperoit bien faire son procés si tost que les Navires François seroient arrivez, mais la prise qu'en firent les Anglois en empescherent l'execution, & fut en fin delivré un peu avant qu'ils se rendissent maistres du pays, car il ne voulut jamais rien confesser du meurte commis, bien qu'il s'accusast comme criminel, disans tousjours qu'il estoit un meschant homme, & avoit merité la mort, mais tout cela n'estoit rien dire, car la Confession veut qu'on die en quoy on a esté meschant, & specifier les fautes.
La pesche de l'anguille fut assez bonne, bien qu'elle ne fut la bonne année, car de deux en deux ans il y en a tousjours une meilleure que l'autre, je ne sçay par quelle raison, sinon que le Créateur l'a ainsi voulu. Les Sauvages ne la firent pas si librement qu'à l'accoustumée, à cause du meurtre commis, dont ils apprehendoient la punition sans qu'on eut dessein de leur mesfaire, c'est pourquoy beaucoup souffrirent de grandes necessitez au mois de Decembre, que les neiges furent basses, & fondoient à mesure quelles tomboient, tellement que les Barbares ne pouvoient aller à la chasse, & si n'avoient que fort peu de poisson.
Au commencement du mois de Janvier Choumin avec un autre Sauvage vindrent à l'habitation, traiter quelques vivres pour leur aider à couler le temps jusques aux grandes neiges, & dirent qu'il y avoit vingt cinq, ou trente personnes, tant hommes femmes qu'enfans de leur compagnie au delà de la riviere en si grande necessité, qu'il y avoit dix à douze jours qu'ils n'avoient mangé, sinon des champignons qu'ils trouvoient à des, vieux hestres, dont ils se soustenoient.
Choumin ayant eu parole des sieurs de Champlain,& du Pont qu'ils les accommoderoient de quelques vivres à credit, il leur fit signe de passer la riviere, & se rendre vers Kebec s'ils pouvoient trouver passage entre les glaces, comme ils firent, non, sans courir de grandes risques de leur vie, mais comme de pauvres loups, la faim les faisoit sortir des bois, dont nous en eusmes huict qu'il nous fallut nourrir l'espace de huict jours, & puis se retirerent en leurs cabanes proches de l'habitation, qu'ils demeurerent jusques à la fin du mois de janvier, qu'ils s'en allerent chasser (la saison estant lors bonne) vers le lac de sainct Joseph, où ils firent bien leur profit aux despens des caribouts, eslans & autres bestes qui y sont à foison.
Ce lac de sainct Joseph de grande estendue, a esté ainsi nommé par les François, à cause que le Pere Joseph superieur de nostre maison y avoit passé partie d'un Hyver avec les Barbares, comme en un tres-bon endroit, tant pour la pesche que pour la chasse, comme j'ay dit, y ayant tout autour quantité de bestes fauves, & des castors en abondance, & d'où il n'y a de l'habitation que pour une journée de chemin en Hyver, & encore moins en esté, mais qui est de tres-difficile accés, à cause de quatorze sauts que l'on rencontre en chemin, où il faut tout porter, & le canot, & l'équipage plus de deux lieuës loin parmy les-bois.
Le jour pris que tous les Sauvages devoient partir pour leur retour parmy les bois, l'un d'entr'eux à ce député, le cria à pleine teste, par tour le quartier, disant: O hommes qui estes icy campez, on a jugé à propos que demain matin on decabanera pour un tel voyage, que tout le monde se tienne donc prest, car je m'en vay marquer le chemin, ce qu'il fit en donnant quelque coups de haches à certains arbres qui leur servirent de guide, dons j'admire l'invention, mais bien davantage quand sans ces marques il passent de droite ligne, jusques à plusieurs lieuë, trouver un nid d'oyseau, je dis un petit nid d'oyseau, un morceau d'eslan caché dessous la neige, ou un chute qui ne paroist qu'à trois pas de vous.
C'est icy ou les plus entendus Astrologues & Mathematiciens Europeans perdroient leur theorie, & leur beau discours, devant un peuple qui ne sçait les choses que par la pratique, & non des livres, j'ay veu des personnes que pour avoir leu de ces livres, se croyoient fort habiles gens, lesquels: venant à l'expérience se trouvoient fort ignorans devant des Mariniers mesmes, qui sçavoient à peine lire. La théorie de nos Doctes est bien necessaire, mais la pratique de nos Barbares vaut encor mieux, à laquelle je me fierois plustost qu'à l'autre.
Tout le camp estant levé, & les cabanes ruinées, ce qui se fait en fort peu de temps, le bagage fut disposé arrangé, & accommodé sur les traisnes, qui sont leur chariots de bagages, dont les unes sont longues de plus de dix pieds, & les autres moins, larges seulement d'un pied ou peu plus, à cause de beaucoup d'arbres, & de lieux fort estroits, où il leur convient souvent passer. Les femmes, & les filles qui en sont les chevaux, & les mulets, se mirent sous le joug passans une corde sur leur front qui tenoit au chariot, & avec cet ordre se mirent en chemin dés lendemain matin, pour passer les premières (avant le gros de l'armée) devant nostre maison, où elles esperoient recevoir une ample charité qu'on leur fit le mieux que l'on peut, car elles sstoient toutes si maigres & deffaictes, aussi bien que les hommes qui vindrent après, qu'elles faisoient horreur & pitié.
Neantmoins avec toutes ces peines, ces souffrances,& ces travaux, elles estoient toutes si gayes & contentes qu'elles ne faisoient que rire & chanter en chemin, ce qui faisoit estonner nos Frères qui leur portoient une sainte envie, de pouvoir estre patiens comme elles, parmy de si cruelles necessitez qu'elles devoroient avec un courage viril, en ce faisant violence, car elles ne sont point insensibles.
C'est une leçon louable que les Sauvages nous donnoient demeurans avec eux, de ne nous attrister point pour chose qui nous arivat. Si tu t'attriste, disoient-ils un jour au Pere le Jeune, tu seras encore plus malade, si ta maladie augmente tu mouras, considere que voicy un beau pays, ayme le, si tu l'aymes tu t'y plairas, si tu t'y plais tu t'y resjouyras, si tu t'y resjouys, tu guariras, & par ainsi tu vivras contant, & ne mourras point miserable.
Histoire plaisante d'un Sauvage qui mangea la menestre d'une chienne, qui luy eut par aprés tousjours hayne, & de trois filles Sauvages qui furent données au sieur de Champlain, pour estre instruites en la foy, & és bonnes moeurs.
CHAPITRE V.
ENtre les exemples que j'ay rapportée de la necessité, & indigence extreme en laquelle tombent quelque fois nos Montagnais, je n'en ay point remarqué une plus admirable, & digne de compassion que celle que je m'en vay vous dire, & qui vous estonnera d'autant plus que le débat estoit entre le pere, & le fils également pressez de la faim. Il vint chez nous un Barbare de la mesme Nation, surnommé Brehaut par les François, à raison qu'il crioit si haut quand il parloit qu'on l'entendoit de toutes parts, non qu'il fut sourd, mais mal habitué, il estoit tellement affamé, qu'aprés avoir mangé un plain plat de pois cuits, avec un gros morceau de pain bis, tel que nous l'avions, c'est à dire bien pauvre pour la saison. Appercevant une chaudière sur le feu, voulut sçavoir ce qui estoit dedans (car la faim rend les personnes importunes) on luy dit que c'estoient des peaux d'anguilles, avec du son d'orge, & des meschantes fueilles de choux, que l'on faisoit bouillir pour le disner de nos chiens. Ah dit-il que vos chiens sont bien traictez, & moy je meurs de faim, donnez moy de leur menestre; car je ne suis pas encore rassasié.
Or comme on sçait qu'ils ne sont pas trop délicats, & qu'il n'en pouvoit arriver aucun inconvenient. Nos Religieux ne firent aucune difficulté de descendre la chaudière, & de luy en donner un plein plat, qu'il avalla fort avidemment en tortillant, car le bouillon estoit si chaud qu'il se brusloit sans lascher prise. Son petit fils aagé de neuf à dix ans, voulut avoir part au festin, & avalloit les peaux d'anguilles routes entières, aussi bien que le pere, mais comme ils humoient alternativement l'un aprés l'autre dans un mesme plat, il arriva que le père avalla le bout d'une peau, & le fils l'autre bout, & tiraient avec les dents à qui l'emporteroit, sans prendre garde qu'ils se brusloient, & firent si bien que chacun eut son bout, ce qui fit grande compassion.
Mais pour ce que le pere reprochoit à son fils, qu'il estoit un gourmand, & que le fils de mesme luy rendoit son change, disant qu'il mangeoit tout, l'on trouva expédient pour les mettre d'accord, donner à part le manger au petit, aussi glouton que son pere affamé.
Or comme nos Religieux pensants qu'ils estoient plus que suffisamment rassasiez, voulurent serrer le reste, Brehaut leur dit que s'ils l'agreoient ils viendraient bien à bout de tout, & qu'on ne leur devoit faire un festin à demy, de maniere qu'ils rendirent la chaudière nette comme un escu, aprés en avoir mangé un bon seau de menestre. Mais ce fut icy bien la pitié, car comme ils estoient fort empeschez à vuider la chaudiere, la chienne pour qui le festin avoit esté fait estoit là sous une couche, qui regardoit avec regret ce debris, laquelle à la fin portée de cholere du mauvais service qu'on luy rendoit, sortit de son trou, & se jetta à ce Barbare qu'elle fit crier à l'ayde, ce qu'elle n'avoit jamais fait, & deslors elle ne peut plus souffrir de Sauvage en nostre Convent, ny mesme ouyr parler leur langage sans abbayer, & faire du bruit.
Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la chasse, ils voulurent recognoistre le sieur Champlain de quelques presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus agréable, car ils tenoient fort chers les plaisirs, & l'assistance de vivres qu'ils en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les François, au P. Joseph pour en avoir son advis auquel il dit, mon fils, il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de nos filles pour mener en France, & les faire instruire en la loy de Dieu, & aux bonnes moeurs, s'il vouloit à present nous luy en donnerions quelqu'unes n'en serois tu pas bien contant, à quoy luy respondit le P. Joseph que ouy, & qu'il luy en falloit parler, ce que les Sauvages firent de si bonne grâce, que le sieur de Champlain voulant estre utile à quelque ame, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une, la Foy, la seconde, Lesperance, & la troisiesme la Charité, desquelles il prit un tel soin qu'il les fit instruire avec beaucoup de peine, non seulement aux choses de la foy, niais aussi en des petits exercices de filles, & en tapisserie qu'il leur trassoit luy-mesme, & leur monstroit les fautes & pour ce qu'il avoit fort peu de laine, quand elles l'avoient employé, il leur faisoit deffaire l'ouvrage & en recommencer un autre d'une autre sorte, à quoy elles obeissoient ponctuellement pour estre d'un naturel assez patientes, & non legeres.
Plusieurs croyoient que les Sauvages n'avoient donné ces filles au sieur de Champlain que pour s'en descharger, à cause du manquement de vivres, mais ils se trompoient, car Choumin mesme à qui elles estoient parentes desiroit fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour obliger les François, & en particulier le sieur de Champlain, qui en effect s'en tenoit obligé, pour ce que tout son dessein en ce bon oeuvre estoit de gaigner ces trois ames à Dieu, & les rendre capables de quelque chose de bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement mérité, & qu'il se trouvera peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre qu'il souffre bien la disette, & n'est point delicat en son vivre, il n'a jamais esté soupçonné d'aucune deshonnesteté pendant tant d'années qu'il a demeuré parmy ces peuples Barbares, c'est ponrquoy ces bonnes filles l'honoroient comme leur pere, & luy les gouvernoit comme ses filles.
Le Samedy d'après la Purification, le Pere Joseph partit avec le Frere Charles pour le Cap de tourmente administrer les Sacremens de Confession, & Communion à sept ou huict François qui y estoient là demeurans, mais le froid fut si grand, & le vent si impetueux qu'ils furent contraints de coucher en chemin, sur un grand lit de neige enveloppez dans la couverture d'un extreme froid qui les pensa faire mourir. Ce sont là les Delices, & les caresses desquelles on est souvent visité en voyageant l'Hyver, lorsque pour le secours de quelque ame, ou le soin de chercher sa nourriture, il faut battre la campagne, & coucher emmy les bois. Je sçay bien que le froid est assez grand en France, mais incomparablement plus long en Canada, & moindre au pays des Hurons, où il fit un peu d'excez au temps que j'y demeurois, mais contre son ordinaire.
Arrivée de la flotte Angloise à Tadoussac, & la prise qu'ils firent du Cap de tourmente, avec le presage qui en avint par la cheute de deux tournelles du fort, & d'un petit Sauvage qui fut creu fils du Roy de Canada.
CHAPITRE VI.
JE ne voudrois pas m'amuser aux augures & pronostiques des anciens Payens, ny à celles de nos modernes, qui sont ordinairement fausses, & ausquelles on ne doit adjouster de foy. Mais Dieu le Créateur qui comme un bon pere de famille ne veut pas la perte de ses enfans ains qu'ils vivent, nous menace souvent par des signes extérieurs ou prodiges, qui nous apparoissent comme autant d'avuant-coureurs de son prochain chastiment.
La cheute inopinée de deux tourelles du fort de Kebec, advenue peu de jours avant l'arrivée des Anglois, estonna fort tous les François, lors qu'un Dimanche matin 9e jour de Juillet 1628, ils virent ce funestre eschet, qu'ils prirent à mauvaise augure. Car quelle apparence, disoient les plus devots, eussent elles pü tomber d'elles mesme en un calme si grand, si Dieu par cette cheute ne leur eut voulu signfier quelque chose de malheureux. Il n'y avoit que trois ans qu'elles estoient basties, ce n'estoit donc pas la vieillesse, qui avoit causé leur ruyne, mais l'indevotion des habitans, que Dieu vouloit chastier par le ravage des Anglois.
Il y en avoit neantmoins qui n'avoient pas ce sentiment là, & prenoient les choses au pis, car ils disoient que les imprecations des ouvriers, qui trop pressez en leurs ouvrages, n'avoient à peine le temps de respirer, avoit renversé ce bastiment, là, ce qui pouvoit bien estre, disoient d'autres, car il n'y avoit année qu'il ne tombat quelque chose du fort, où l'impatience des ouvriers se voyoit en ce qu'il y falloit tousjours remettre la main, & faire les choses comme par despit, à cause de cet empressement des Chefs, du moins ils s'en plaignoient.
Pendant cet accident inopiné & interpreté ainsi à la fantaisie d'un chacun quatre Navires Anglois, avec un cinquiesme de la compagnie, qu'ils avoient pris à l'Isle percée, entrerent au port de Tadoussac, où ayans trouvé une barque Françoise la firent promptement armer, & ayans corrompu quelque Sauvages par presents, comme il est aysé, ils les y firent embarquer avec environ vingt de leurs hommes, qui estoient en partie François, pour se saisir du Cap de tourmente, où estoit nourry tout le bestial des hyvernants, & de là aller surprendre Kebec s'ils pouvoient, avant que les François cussent esventé leur venue.
Mais à mesme temps que la barque eut levé l'anchre pour ce malheureux dessein, partirent du mesme lieu, nostre Napagabiscou avec un autre Sauvage de nos amis, pour en aller advertir les François, sans sçavoir neantmoins que ce fussent François, ou Anglois, ny quel estoit leur dessein; & firent telle diligence que les ayans devancé, ils arriverent au Cap de tourmente, où ils donnerent advis au sieur Foucher qui y commandoit, de tout ce qu'ils avoient veu, lequel à mesme temps despecha deux de ses hommes pour en porter les nouvelles à Kebec mais sans asseurer quels vaisseaux s pouvoient estre, car les Sauvages luy avoient dit que le Capitaine Michel y estoit avec plusieurs autres François, mais que leur Cappots & chapeaux, estoient neantmoins d'Anglais, c'est ce qui les fit douter, & donner l'espouvente qu'ils auroient bien tost sur les bras, l'ennemy des François, comme il arriva.
Le Pere Joseph se trouva lors fort à propos à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglois ont depuis bruslée, avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens servans à dire la saincte Messe. Le canot estant disposé à l'ayde de l'un de nos Freres qui l'accompagnoit, ils partirent promptement avec ses deux Messagers arrivez de nouveau, avec dessein de donner jusques à Tadoussac, pour en rapporter de certaine nouvelle, & ne tremper plus dans les doutes de ces Navires. Mais, ayans à peine advancé 4 ou 5 lieuës dans le fleuve, ils apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre à terre, sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, & ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente.
Ce fut une alarme bien chaudement donnée, & qui augmenta à la veue du sieur Foucher, couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais traictement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur malheureuse perte.
Il ne faut pas demander s'il fallut tourner visage à Kebec plus viste qu'on n'estoit venu, mais ayans le vent, & la marée contraires, les Pères furent contraincts de ceder à la necessité, cacher leur canot dans les bois & s'en aller par terre jusquea à l'habitation, par un temps fort fascheux, que le sieur de Champlain fut amplement informé du bruslement & desastre arrivé au Cap de tourmente en la maniere suivante.
La barque ayant abordé le Cap, & les Anglois pris terre une matinée que le bestial estoit desja dans la prairie, ils s'accosterent de quatre ou cinq François qui en avoient la garde, & feignans estre des leur, les sceurent si bien cajoler, que leur ayans fait croire qu'ils estoient là envoyez de la part du sieur de Rocmont, pour les advertir de sa venue, & de là porter des vivres à l'habitation, que les pauvres François de trop facile croyance, grandement resjouys de si bonnes nouvelles, leur donnerent libre entrée dans leur maison, & la collation de tout ce qu'ils avoient de meilleur; Mais ô bon Dieu quels hostes, ils ne furent pas plustost entrez dans ce logis mal gardé, qu'ils pillerent & ravagerent comme ennemis jurez, tout ce qu'il y avoit là dedans, puis ayans faict rentrer le bestial au nombre de quarante ou cinquante pieces, ils tuerent quelques vaches pour leur barque, mirent le feu par tout, & consommerent jusques aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part du debris. Ce fut là une grande desolation, & une furie de gens qui ne craignoient point Dieu, ny d'offenser leur propre patrie, car comme j'ay dit, une partie de ces voleurs estoient François naturels, dont aucuns estoient de cognoissance, qui fut la cause que le sieur Foucher Capitaine dudit Cap de tourmente, fut plus facilement trompé, & y pensa encor perdre la vie, car en se sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches à coups de mousquets, & emmenerent prisonniers un nommé Piver, sa femme, sa petite niepce, & un autre jeune homme avec eux.
Apres avoir faict ce malheureux eschet ils s'en retournerent à Tadoussac avec tout leur butin, & de là avec leurs cinq vaisseaux, & une barque, au devanr de la flotte Françoise qu'ils attaquerent, & battirent si vivement, qu'ils s'en rendirent les maistres, comme je diray plus amplement cy aprés.
La victoire obtenue, & tous les Navires rendus par composition. Entre les choses plus precieuses de leur pillage, ils firent particulièrement estat du petit Huron nommé Louys de saincte Foy, qu'ils croyoient estre le fils du Roy de Canada, & en cette qualité le trainerent & habillerent tousjours fort magnifiquement & splendidement, pensans en recevoir de grandes gratifications & recognoissances de la part du Roy son pere, mais ils furent bien estonnez qu'ayans subjugué le pays, & demandé à voir ce beau Roy pretendu, qui par un bon-heur estoit descendu à la traite cette année là, il ne leur fut monstré qu'un pauvre homme à demy nud, & tout mourant de faim, qui leur demanda à manger, & à voir son fils.
A la verité cela les fascha fort, de s'estre ainsi mespris, & que ce faux bruit de Royauté leur eut causé tant de despence, mais pourquoy simples qu'ils estoient, croyoient ils des diademes, où il n'y avoit qu'une extreme pauvreté, la faute en estoit leur, car ils ne devoient croire si de leger au rapport de quelques mattelots qui se gaussent là aussi-bien qu'icy, d'autant plus plaisamment que l'oisiveté y est plus en règne. Le Capitaine Thomas vice-Admiral, luy vouloit oster tous ses habis & rendre à son pere, habillé en Sauvage, mais quelqu'uns de ses amis luy conseillerent de le laisser honnestement couvers, afin d'encourager les autres enfans Hurons de bien esperer des Anglois, & de venir librement à eux & laisser là les François.
Il luy laissa donc un habit de crezé d'Angleterre enrichi d'un gallon d'argent dentelé, & en cest estat le rendit à son pere, luy promettant d'ailleurs, que si l'année prochaine il leur amenoit force Hurons, à la traicte ils luy rendroient les autres habis, qui estoient les uns d'escarlate & du drap du seau, chamarez de passemens d'argent, & d'autres de drap d'Angleterre minime en broderie d'argent, & les manteaux de mesmes.
Or le sieur de Champlain ayant esté ainsi amplement informé du desastre arrivé au Cap de tourmente, craignant qu'il luy en arriva de mesme à Kebec, mist ordre par tout pour la deffence de la place. Ce qu'ayant fait on vit arriver une chalouppe de prisonniers François entre lesquels estoient Piver, sa femme & sa niepce, avec quelques Basques, chargez d'un mot de lettre au sieur de Champlain de la part de Kerque Admiral de la flotte Angloise, qui le sommoit de luy rendre la place & luy envoyer ses articles pour la composition qu'il luy offroient assez honnorables, veu la necessitê où ils estoient de vivres & de munitions. Coppie de laquelle lettre j'ay icy inserée avec la responce du sieur de Champlain qu'il luy enuoya par les mesmes messagers Basques dés le lendemain matin.
MESSIEURS, je vous advise comme j'ay obtenu commission du Roy de la grande Bretagne, mon très honnoré Seigneur & Majesté, de prendre possessîon de ces païs, sçavoir Canada & l'Acadie, & pour cet effect nous sommes partis dix-huict Navires, dont chacun a pris la route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je me suis des-ja saisi de la maison de Miscou, & de toutes les places & chalouppes de ceste coste, comme aussi de celles d'icy à Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez aussi advertis comme entre les Navires que j'ay pris, il y en a un appartenant à la nouvelle compagnie qui vous venoit treuver avec vivres & rafraichissemens, & quelques marchandises pour la traicte, dans lequel commande un nommé Norot: le sieur de la Tour estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel j'ay abordé de mon Navire: je m'estois preparé pour vous aller treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une patache & deux chalouppes pour destruire & se saisir du bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand vous serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que nul Navire revienne je resous de demeurer icy jusqu'à ce que la saison soit passée, afin que nul Navire ne vienne pour vous avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que désirez faire, si me desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou tard il faut que je l'aye, je desirerois, pour vous, que ce fust plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de contentement, tant pour vos personnes, que pour vos biens, lesquels sur la foy que je pretends en Paradis, je conserveray comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la moindre partie, du monde. Ces Basques, que je vous envoye sont des hommes des Navires que j'ay pris; lesquels vous pourront dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, & mesme comme toutes les affaires se passent en France touchant la compagnie nouvelle, de ces pais, mandez moy ce que desirés faire, & si desirés traicter avec moy pour cette affaire, envoyés moy un homme pour cet effet, lequel je vous asseure de cherir comme moy-mesme avec toute sorte de contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que desirée, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant vostre responce & vous resoudant de faire ce que dessus, je demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affecttionné serviteur, David Quer, du bord de la Vicaille, ce 18 Juillet 1628, stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et dessus la missive estoit escrit, à Monsieur de Champlain, commendant à Kebec.
La lecture faicte par les sieurs de Champlain, & du Pont son Lieutenant en la presence de tous les principaux de l'habitation, il fut conclus aprés un long conseil, de luy envoyer la responce suivante toute pleine d'honnesteté, & de bon sentiment.
MONSIEUR, nous ne doutons point des commissions qu'avez obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font tousjours esleclion des braves & genereux courages, au nombre desquels il a esleu vostre personne, pour s'aquiter de la charge en laquelle il vous a commise pour executer ses commandemens, nous faisant cette faveur que de nous les particulariser entre autre celle de la prise de Norot & du sieur de la Tour qui apportait nos commoditez, la verité est que plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est maintenu. C'est pourquoy ayant encore des grands bleds d'Inde, poix, febves, sans ce que le païs fournist, dont les soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les meilleures farines du monde, & sçachant très bien que rendre un fort & habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy, que nous ne fussions reprehensibles, & meriter un chastiment rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattans nous sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne avec vos forces, que laschement nous abandonnions une chose qui nous est si chere, sans premier voir l'essay de vos canons, approches, retranchemens, & batterie, contre une place que je m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre, ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si elle nous est favorable vous aurez plus de sujet en nous vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie, que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente, bruslement de bestial, c'est une petite chaumière avec quatre à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont esté pris sans verd par le moyen des Sauvages, ce sont bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit rien à faire pour vous, que nous attendons d'heure à autre pour vous recevoir, & empescher si nous pouvons, les prétentions qu'avez eu sur ces lieux hors desquels je demeureray Monsieur, &, plus bas, vostre affectionné serviteur Champlain, & dessus, à Monsieur, Monsieur le General Quer, des vaisseaux Anglois.
La responce ayant esté donnée aux Basques, ils s'en retournèrent dés le lendemain matin comme j'ay dit, & navigerent pour Tadoussac où estans arrivez ils la presenterent au General Quer, lequel aprés s'estre informé en particulier de leur negociation, il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, & notamment les Chefs ausquels il leut la lettre que nous leur laisserons consulter à loisir pour rapporter icy quelque petite particularité necessaire au sujet, car comme dit le sieur de Champlain, ils furent trompez par la divine permision en ce qu'ils crurent l'habitation mieux garnie qu'elle n'estoit, où pour tout vivre chaque homme estoit réduit à sept onces de poix par jour.
Resolution de deux de nos Peres de vivre parmy les Barbares, les peines qu'ils y endurerent & la pieté d'un Montagnais converty.
CHAPITRE VII.
DAns les disgraces plustost que parmy les prosperitez on recognoist le vray amy du coeur, d'avec celuy qui ne l'est que par interest. Les Sauvages Montagnais desireux de nouveautez, ayans sçeu la venue des Anglois à Tadoussac & la prise du Cap de Tourmente sur les François nous venoient tous les jours donner de fausses alarmes à Kebec, dont les uns tesmoignoient assez ouvertement un desir de changement & d'en voir chasser les François sous esperance de mieux que leur promettoient les Anglois.
D'autres tout au contraire en eussent esté marris, comme de voir blesser la prunelle de leurs yeux, particulièrement nostre Napagabiscou, qui plein de ferveur comme l'Eunuque de Candax Royne d'Ethiopie, ne cherchoit que l'occasion de rendre service à ses bien-facteurs, & de faire voir que ce n'estoit pas en vain qu'on l'avoit fait Chrestien, mais par inspiration du Ciel, s'adressa au Pere Joseph & luy dit; Pere Joseph, à ce que j'ay pû apprendre les Anglois brusleront l'habitation, (ce qu'il disoit pour leur avoir veu brusler le Cap de Tourmente) & vous feront tous prisonniers, ce qui me seroit le plus sensible desplaisir qui me sçauroit jamais arriver. Parquoy je te supplie que tu aye soin de toy & de tes freres, & que tu me donne Frere Gervais, afin que je l'emmeine avec toy au païs des Algoumequins, ce sera un bien pour vous & pour moy, car outre que vous ne tomberez pas entre les mains des Anglois vous vous perfectionnerez en nostre langue, me confirmerez en la foy & enseignerez les autres qui ne sont pas encores instruicts comme moy, & si tu veux me donner encor un autre de tes freres fais le venir promptement, car j'en nouriray bien jusques à trois. Si je souffre de la faim ils en souffriront & si j'ay de quoy manger ils en auront, & par ainsi ils n'auront pas pis que moy, si mieux ils ne peuvent avoir.
Le P. Joseph demanda au F. Gervais s'il vouloit bien s'exposer à ce danger & se resoudre de vivre & mourir parmy ses pauvres gens, veu le péril eminent d'estre pris par les Anglois qu'on attendoit de jour en jour à Kebec, mais le bon Religieux qui sçavoit l'importance de l'affaire, & que ce sont choses que l'on doit meurement considerer avant de les entreprendre, demanda temps de respondre & adviser à ce qu'il auroit à faire, puis se resolut à la fin de se rendre miserable parmy les miserables pour l'amour d'un Dieu qui s'estoit fait pauvre pour l'amour de nous, avec cette esperance de profiter aux Sauvages & à luy mesme en cet employ, & que tost ou tard, le païs seroit rendu aux François, comme il est arrivé.
Cette resolution resjouit extremement le Pere Joseph & en loua Dieu, & de ce pas s'en alla trouver les sieurs de Champlain & du Pont ausquels il fist ouverture de leur bon dessein, & comme ils avoient resolu de s'en aller parmy ces pauvres Barbares, travailler à leur conversion, & pour y maintenir l'autorité des François attendant l'esloignement des Anglois qu'on esperoit en bref à cause du secours qui approchoit, mais qui ne reussit pas.
Messieurs les Chefs ayans ouy & consideré les raisons de ce bon Pere, & que sans apprehension ny de la mort, ny de la faim, il vouloit s'exposer dans des hasards autant perilleux que dangereux, louerent son zèle, approuverent sa resolution & le prierent de partir au plustost, crainte qu'estant surpris par les ennemis, ils ne vinssent à perdre une si belle occasion, & l'offre de ce Sauvage nouvellement converty.
Ils se disposerent pour ce voyage & ayans laissé Frere Charles & les autres Religieux avec les RR. PP. Jesuites & imploré le secours de leurs sainctes prieres, ils partirent le 19e jour de Juillet 1628, par un tres-mauvais temps, de maniere qu'encor bien qu'ils eussent le vent de Nordest, & leur chemin au Surouest, ils ne purent faire se jour là que huict ou neuf lieuës à raison d'une disgrace qui leur pensa arriver, car allans à pleine voille par le milieu de la riviere ayans vent & marée, lss flots donnoient si rudement contre leur canot & dedans le vaisseau mesme, qu'ils penserent submerger, & furent contraints de tirer du costé de la terre & jetter de leurs hardes dans la riviere, pour soulager ce petit batteau d'escorce.
Mais comme les furies de la riviere alloient croissans, pensans renger la terre ils furent jettez du vent & des flots sur un rocher, où ils eurent plus de peur que de peine, jusques à un autre rencontre qui blessa en deux ou trois endroits l'un de leurs canots, en rompit un autre & précipita tous les Sauvages dedans l'eau, qui se sauverent à la nage. Il y avoit encore environ vingt lieues de là jusques aux trois rivieres, que ces pauvres submergez furent contraints de faire à pied avec des peines infinies, à cause de certains petites rivieres qu'il faut traverser en chemin.
Avant d'arriver ils raccommodèrent les deux canots blessez au milieu d'une prairie vers le lieu appelle de saincte Croix où des-ja estoient arrivez deux canots du païs, qui tous quatre restèrent le reste du jour & de la nuict couchez à l'enseigne de la Lune en mesme hostellerie. L'appetit leur devoit estre fort aiguisé, car ils n'avoient mangé de tout le jour fors un peu de sagamité à cinq heures du matin, & puis adjoustez y les fatigues nompareilles de la riviere irritée par les vents, & vous trouverez qu'ils eussent bien merité quelque autre de plus excellent qu'un peu de sagamité de six ou sept morceaux de galettes qu'on leur donna avec quelque poix rostis pour tuer leur plus grand appetit. Il est vray que j'ay aucunefois experimenté une faim si furieuse sur le chemin des Hurons, que je me fusse volontiers jetté à en broutter les herbes & les racines, si je n'en eusse appréhendé le poison de quelqu'unes, c'est ce qui me faisoit courir les bois & les lieux escartez pour y chercher des petits fruits que la nature y produit, mais qui sont aussi tost enlevez par les enfans des Barbares.
Environ la mi-nuict la marée fut grande & tellement dilatée, qu'elle s'estendit par tout où ils estoient couchez & les obligea de se remettre sur les eaues, où ils furent encores tellement tourmentez & agitez des vents & des pluyes continuelles, qui leur donnoient de tous costez qu'ils ne sçavoient comment se pouvoir conduire avec les seuls flambeaux d'esorces qu'il avoient pour toute clarté & leur faisoient souvent eclipse.
Le premier canot qui faisoit l'avant garde, donna si rudement contre un rocher qu'il y pensa couler à fond sans que la diligence des Sauvages le pû empêcher d'estre blessé, ce que voyans & qu'ils ne pouvoient en façon de monde se gouverner, ils descendirent 4 filles à terre pour chercher lieu de se cabaner, (car c'est un de leur soin avec les femmes,) mais elles ne rencontrerent par tout que des eaues & des fanges, où elles enfoncerent en quelque endroit jusques à la ceinture dont l'une s'y pensa noyer, car l'obscurité de la nuict estoit si grande qu'ainsi embarassées elles ne purent retourner à leurs canots & fallut promptement battre le fuzil & allumer des flambeaux pour les aller retirer, aprés quoy on chercha place pour y passer le reste de la nuict, mais ô mon Dieu qu'elle nuict où le repos estoit un martyre.
Environ les six heures du matin arriverent à eux quatre canots, qui alloient à Kebec querir des vivres, ils advouerent avoir soufferts les mesmes disgraces de nos hommes, un canot perdu & des peines au delà de leur pensée, qui les avoient reduits jusques à l'extrémité, mais comme j'ay peu quelquefois pratiquer estre nos Hurons, aprés estre sortis de quelque malheureux passage, où à la fin de quelque tournée laborieuse, ils firent festin & chanterent par ensembles, puis se separerent & allerent chacun leur chemin, conduis d'un vent que Dieu leur donna fort favorable, lequel les rendit en peu d'heures jusques aux trois rivieres, où estoit pozé un camp de Montagnais & d'Algoumequins, qui les receurent avec une joye & applaudissement d'un peuple affectionné envers nos pauvres Religieux, ils estoient là attendans la maturité de leurs bleds & citrouilles des ja assez advancez, pour la saison.
Ces bons Peres avec leurs hostes se cabanerent là avec eux, où à peine eurent ils passé huict jours de temps, qu'il leur arriva nouvelle de l'esloignement des Anglois, avec lettres des Chefs de Kebec, par lesquelles ils les supplioient de retourner à leur Convent, puis que les plus grands dangers sembloient estre passez, neantmoins qui furent bien déplorables quelques temps aprés, & la ruyne de tout le païs.
La nouvelle n'en fut que tres-bonne, mais ce qui en augmenta la joye fut l'arrivée de 20 canots Hurons, dans l'un desquels estoit le V. P. Joseph de la Roche, haslé, maigre & deffait comme un homme à qui la necessité avoit enjoint forces jeusnes, & le Soleil du hasle, car c'est le teint & le maigre que l'on prend d'ordinaire, en si austere voyage où l'on ne jouyt d'aucun contentement que celuy de la bonne conscience.
Tous les bons Pères s'entrecaresserent à l'envie & se regalerent plustost de discours spirituels que de bonne chère, après avoir rendus leurs actions de graces à Dieu, car avant toutes choses c'est à ceste première cause qu'il faut rendre ses voeux.
Aprés le repas ils adviserent par entr'eux s'ils devroient retourner tous trois à Kebec, ou non, d'autant que les Sauvages ayans appris que l'on les mandoit de Kebec, en avoient tessmoigné du mescontemement, particulierement le nouveau Chrestien & les anciens & vieillards, qui après leur conseil s'offrirent de les nourrir tous trois, & de prendre soin d'eux comme de leurs propres enfans.
Le P. Joseph superieur, les remercia de leur bonne volonté, & les asseura de la tesmoigner par tout envers les François, qui ne s'en rendroient jamais ingrats, ny luy partculierement, mais qu'au reste il avoit à les supplier de vouloir agréer leur retour à Kebec, puisque les Capitaines le desiroient & qu'il ne pouvoit les refuser. A tout le moins laissé nous le Frere Gervais, repliquerent les Barbares, afin que ne demeurions pas sans instruction, ce que le P. Joseph leur accorda, dequoy ils furent fort contans & l'en remercièrent.
Mais comme ils estoient encores empechez à separer leurs hardes & disposer de leurs paquets pour s'en aller les deux PP. Joseph à l'habitation & le F. Gervais aux Algoumequins, ils receurent derechef un nouveau mandement de s'en retourner tous à Kebec, le plus promptement que faire se pourroit, ce fut icy où le pauvre baptizé monstra ses sentimens, car les voyans tous trois resolus de s'en aller à Kebec, puis que les Chefs le desiroient, il protesta en pleurant qu'il ne descendroit d'un an aux François, deut il mourir de faim l'Hyver, non pas mesme à la pesche de l'anguille, qui se fait tous les ans à la riviere S. Charles, depuis la my-Aoust, jusques à la my-Octobre, beaucoup en disoient de mesme & ne se pouvoient consoler pour n'avoir de consolateur, car en fin ils se sentoient trop heureux d'avoir de nos Religieux avec eux.
Je ne sçay si je dois blasmer ces Peres ou non, en cette action, car ils pouvoient avoir des sujet preiguans, mais il est vray que j'eusse bien esperé de mes excuses à Kebec, & n'eusse pû esconduire ces pauvres gens en une prière si salutaire & raisonnable, puis que toute leur intention n'estoit que pour leur propre salut & edifications; Helas! qu'eusent ils pû esperer davantage d'eux, estans pauvres & desnuez de tous les biens de la terre, & sujets à vivre des aumosne d'autruy, sinon leurs instructions & l'effect de leurs prieres, c'est ce qui le faisoit affliger & tenir bon dans la resolution que nostre Sauvage prist les pensans gagner, de ne descendre à Kebec que l'Hyver ne fut passé, comme il fist & alla huyverner avec les Algoumequins.
Neantmoins au mois de Mars ensuivant il revint en nostre Convent, non les mains vuides & privé de bons sentimens, mais chargé de deux testes d'eslans qu'il donna à nos Religieux disans, prenez pour vous monstrer que je ne vous ay point mis en oubly, & que m'ayans quitté, pour obeir aux Capitaines François, je n'ay point perdu la bonne affection que j'ay tousjours eue pour vous. Tous les jours je regrettois vostre absence & m'estimois miserable de me voir si esloigné de vous, car n'ayans pas de memoire assez, pour retenir les choses que m'aviez enseignées, je craignois de mourir en peché & d'aller point en Paradis pour ne les avoir retenues & entièrement observées.