Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
De la subtilité d'un Sauvage pour tromper les Anglois, & de la necessité qu'on souffrit à Kebec, auquel temps on nous donna deux petits Montagnais à instruire.
CHAPITRE VIII,
J'Ay dit au quatriesme livre de ce volume, chapitre premier, que Pierre Anthoine Patetchounon Canadien, fut renvoyé par nos Religieux de Kebec entre ses pareils, pout reprendre les idées de sa langue qu'il avoit comme oubliées en France. Mais s'estant par cas fortuit rencontré à Tadoussac à l'arrivée des Anglois qu'il pensoit estre François, il fut à leur bord les saluer, mais ayant esté recognu par quelqu'uns qui s'estoient donné aux Anglois, specialement le Capitaine Michel, il en donnèrent advis à leur Admiral, qui le retint pour leur servir de Truchement & faire descendre les Nations à la traicte, qu'ils vouloient là establir par le moyen de quelques presens.
L'Admiral commanda donc qu'on ne le laissat point aller, & qu'on luy fit caresse pour ne le point effaroucher, puis l'ayant fait venir à son bord & en particulier dans sa chambre luy parla François, mais le Sauvage feignit ne l'entendre point, il luy parla latin, il en fit de mesme. Mais le Capitaine Michel arrivant là dessus; le contraignit de respondre en l'une, ou l'autre des deux langues, luy disant qu'il le cognoissoit tres-bien, & sçavoit sa capacité, pour l'avoir veu en France, & sceu qu'il y avoit estudié, & esté faict Chrestien.
Le garçon s voyant descouvert, & qu'on luy refusoit la sortie du Navire, & à ses Freres, s'advisa d'un autre expédient fort favorable qui le mit en liberté, & luy donna dequoy vivre. Or ça, dit il au Capitaine Michel, que desirez vous de moy, j'ay toutes les envies du monde de vous servir, & de laisser là les François, car Monsieur l'Admiral est un tres-brave homme qui m'a obligé jusques à ce pojnt, de faire tout ce que vous voudrez pour l'amour de luy, mais j'ay pensé aussi qu'estant homme d'honneur, comme vous estes, vous me ferez aussi la faveur de ne me point manifester aux François, particulierement aux Pères Recollects, à qui j'ay l'obligation du sainct Baptesme, & de ce que je sçay, car ils ne seroient pas contents de ma revolte, & ne feroient plus estat de moy. Voyez un peu l'esprit du garçon, comment il sçait bien accommoder son fait.
Ce n'est pas tout il demande qu'on luy laisse conduire l'affaire, & monter aux trois rivieres dans une chalouppe luy cinquiesme, sçavoir ses deux frères, & deux autres Sauvages de ses amis, ce qui luy fut accordé avec un baril de galettes, un baril de biscuit, un autre de poix, un baril d'eau de vie, & un de vin, avec une couverture, & quelques autres petites hardes qu'on luy donna, à condition qu'il leur seroit fidelle, ce qu'il promit, & tout ce qu'on voulut, & n'en fit rien, car au lieu d'aller aux trois rivieres, ils tirèrent droit à l'Isle rouge qui est devant. Tadoussac, & puis passerent de l'autre coste de la riviere, où ils firent bonne chère, & se moquerent de nos Anglois.
Les Anglois estoient cependant tousjours aux escoutes, attendant de jour à autre le retour de leurs messagers, & de quantité de Sauvages qu'ils avoient promis de leur amener chargez de pelleteries, & ne voyoient rien venir, mais ils furent bien estonnez qu'aprés avoir long temps attendu on leur vint donner advis qu'ils s'estoient mocquez d'eux, & fait bonne chere à leur despens au delà de l'Isle rouge, ce qui mit les Anglois tellement en cholere qu'ils jurerent par leur Dieu de ne pardonner jamais à Pierre Anthoine, & de le pendre s'ils le pouvoient attraper, mais ils ne tenoient rien, car les Sauvages sont plus difficiles à prendre que des lievres quand ils tiennent les bois.
Et comme ils estoient encores tout eschauffez dans leurs choleres, arriva la barque qu'ils avoient despechée au Cap de tourmente laquelle leur ayant rendu compte du ravage qu'ils y avoient faicts, & donné à leur Admiral, la responce du sieur de Champlain, prindrent resolution de retourner vers Gaspé, pour combatre la flotte François qu'ils esperoient trouver en chemin, comme ils firent.
Le 18e jour de Juillet, le sieur de Rocmont Admiral des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé parla diligence des ennemis, qui le vainquirent, & rendirent prisonnier, comme je diray plus amplement au Chapitre suivant.
Mais auparavant de faire rencontre des ennemis, il despecha une chalouppe avec dix ou douze de ses hommes, pour donner advis à Kebec de son approche, avec commandement au commis Desdames de luy faire sçavoir au plustost l'estat de la maison, ce qu'il ne pû effecturer si tost, car arrivant à Tadoussac, d'où les Anglois estoient partis, il apprit des Sauvages là restez, la prise du Cap de tourmente, dequoy il fut extremement affligé, & d'ailleurs il fut acertené du combat qui se devoit donner entre les deux flottes, qui l'obligea d'en attendre l'issue, & despescher promptement un canot avec trois de ses hommes au sieur de Champlain, pour l'informer de tout ce qui se passoit, & sçavoir si au vray les Anglois l'avoient mal traité comme le bruit en couroit.
Le canot arrivé le sieur de Champlain amplement informé des choses qui le metoient en peine, le renvoya dés le lendemain matin avec ses despeches, qui ne furent pas loing, car peu de jours aprés arriva la chalouppe à Kebec avec Desdames, & dix de ses compagnons qui crioient à la faim, pour avoir (disoienr-ils) sejournez unze jours à Tadoussac & mangé tous leurs vituailles, attendans l'issue du combat qu'ils n'avoient pu apprendre, ce qui leur estoit de fort mauvais augure. Ils furent neantmoins receus selon la puissance & necessité du lieu, qui manquoit desja de pain, de vin, de sel, de beure, & de toute esperance d'en pouvoir avoir d'un an entier, la flotte ne paroissant point.
Cette misere les fit resoudre de vivre doresnavant en paix, les uns avec les autres de ce peu qu'ils avoient, sans se porter d'impatience, où elle estoit plus necessaire que jamais, une chose leur fut fort favorable, une quantité de Hurons descendirent ce mesme temps à la traite, lesquels emmenerent bon nombre de leurs hommes moins utiles, qui fut autant de soulagement pour le pays, car sans compter les unze venus de nouveau, ils estoient prés de quatre-vingts bouches à l'habitation.
Le sieur de Champlain voyant son monde diminué à la faveur de Hurons, pensa au salut du reste, ausquels il ordonna pour chacun cinq petites escuellées de poix ou febves par sepmaine, sans pain ou viande, car il ne s'en parloit plus, & de ces poix ou febves ils en faisoient une espece de menestre ou bouillie, composée en partie de certaines herbes & racines qu'ils alloient chercher par les bois.
Nos Religieux en devoient avoir leur part comme les autres, mais à raison de la grand souffrance & necessité qu'ils voyoienr en plusieurs, ils la cederent facilement, & se contenterent d'un peu de bled d'Inde qu'ils avoient amassé de leur desert, duquel ils nourrirent encor un ouvrier, & trois petits enfans, sçavoir un François, & deux Sauvages, sans les charitez & aumosnes qu'ils faisoient aux plus necessiteux, aymans mieux souffrir disette des choses, que de manquer à aucun de ce qui estoit en leur puissance, mais avec un tel excez, que s'ils n'eussent esté eux-mesmes secourus par la Dame Hébert, de deux barils de poix, ils se rendoient tout à faict miserables, & pour mourir de faim, car outre que les racines & les choux de leur jardin avoient esté également distribuez par les chambres, le grain leur avoit manqué, & n'avoient plus que fort peu de febves, de racines, & de glans, dequoy ils se nourissoient principalement, sinon qu'au mois d'Octobre suivant les Sauvages leur firent presents de quelques pacquets d'anguilles qui les remirent sus pieds, & voicy comment.
Je vous ay dit au Chapitre 4 de ce livrc comme les François avoient emprisonné le Sauvage Mahican Atic Ouche, accusé d'avoir tué deux François, dequoy les Barbares estoient fort en peine, mais encor plus de ce qu'on ne le mettoit point en liberté, & pour ce conclurent entr'eux en un conseil qu'ils tindrent exprès, qu'ils n'assisteroient en rien les François, ny d'anguilles, ny d'autres viandes, & blasmerent fort Choumin de leur avoir porté de ses vivre si particulièrement à Kebec, car pour nos Religieux ils ny repugnoient point, & n'avoicnt aucune difficulté qu'on leur fit la charité pendant une si grande famine, mais Choumin qui n'avoit pas seulement de l'amitié pour nous, mais pour tous les François continua de leur faire au bien, & les assister en ce qu'il pouvoit, ce qui faisoit que le sieur de Champlain le caressoit, & en faisoit estat par dessus tous les autres Sauvages, qui jaloux & envieux d'un tel honneur, en voulurent meriter autant par autres bienfaits, & deslors firent des presens de vivres aux François, qui leur vinrent fort à propos, comme la manne aux enfans d'Israël dans le desert.
Sur la fin du mois d'0ctobre, les Sauvages ayans mis ordre à leurs affaires pour leur hivernement dans les bois, & parmy la campagne, l'amenèrent à Mahican Atic Ouche encor prisonmer, son petit garçon aagé de 4 à 5 ans, pour en avoir le soin, d'autant que personne ne s'en vouloit charger, & mesme ses parens l'avoient voulu laisser sur le bord de l'eau, afin qu'ennuyez de cet exil, où il mourut de faim ou de regret, ou se précipitant dedans le fleuve, c'est à dire qu'ils vouloient qu'il mourut pour en estre sans pitié déchargez.
Le pauvre Mahican Aric Ouche eut bien desiré jouyr de la presence de son fils, mais y ayant si peu de vivres à l'habitation, c'estoit assez d'y nourir le pere, sans y adjouster le fils, qui fut abandonné de ses parens, & du pere qui n'estoit point en liberté, ny en puissance de luy pouvoir ayder. Ce qu'estant le Pere Jofeph luy fit offrir de le nourrir & instruire, moyennant qu'il souffrit après qu'on l'emenast en France, à quoy le pere obtemperant luy accorda facilement son fils qu'il mena à nostee Convent, aussi joyeux & content que s'il eut acquis un Empire à Jesus.
Environ la sainct Martin de la mesme année 1628 la femme de feu Mecabau, autrement Martin, qui avoit esté baptisé chez nous, amena son petit fils nommé Chappé Abenau, qui nous avoit tant de fois esté recommandé par feu son mary, le peu de vivres qu'il y avoit en nostre Convent mit lors fort en peine nos Religieux, car de le refuser c'eut esté crime envers cette femme, & perdre l'occasion de sauver cette petite ame, & de le recevoir c'estoit augmenter leur misere desja assez grande, mais le plus asseuré estoit de retrancher chacun une partie de sa petite portion pour ce petit, ce qui fut fait à l'édification de tous, & avec la mesme gayeté qu'on s'estoit desja retranché pour d'autres particuliers de l'habitation.
La mère voyant son fils placé & hors de danger de mourir de faim, s'en retourna aussi tost avec ceux de sa Nation, le Pere Joseph comme superieur prevoyant pour l'advenir, fit mesurer tout le grain qui estoit au Convent, afin de voir combien l'on en pourroit user tous les jours & trouva que pour jusques à la my May à huict personnes qu'ils estoient, il n'y avoit pour chacune personne, que trois fois plain une escuelle à potage de farine, moitié de poix, & moitié d'orge qui estoit peu, n'eust esté les racines de nostre jardin, lesquelles leur servirent de pain, car d'aller à la queste, les autres n'avoient pas trop pour eux. Il est vray que les Sauvages les assssterent d'anguilles, mais qui devindrent d'un si mauvais goust, faute d'avoir esté suffisamment sallées, que les François s'estonnoient comme nos Religieux n'en estoient empoisonnez.
Voyage des Peres Daniel Boursier, & François Girard Recollects, pour la Nouvelle France. Comme ils furent pris par les Anglois, puis renvoyez, avec un Gentilhomme, sa femme, & sa famille, & des grandes risques qu'ils coururent en chemin.
CHAPITRE IX.
LA divine & adorable providence a des ressorts incognus aux hommes, par le moyen desquels il afflige les siens quand il luy plaist, & en la manière qui luy est plus agréable, sans que nous puissions en cela faire autre chose qu'admirer ses divins Jugements, & luy dire en toute humilité. O mon Dieu vous soiez à jamais beny, qui nous afflige icy bas, pour nous rendre bien-heureux la haut en Paradis.
Au temps que les Rochelois faisoient la guerre en France, & qu'on voyoit le Canada en un peril plus eminent de changer de maistre. Messieurs les nouveaux associez firent équipper 4 vaisseaux à Dieppe pour l'aller renvitailler, & fournir des munitions necessaires, sous la conduite du sieur de Rocmont, comme j'ay dit au Chap. precedent. Dans 2 de ces Navires s'embarquerent avec 2 PP. Jesuites, deux de nos Religieux, sçavoir le P. Daniel Boursier, & le Pere François Girard, pour le secours de nos Frères qui estoient dans le pays, après s'estre au prealable humblement recommandé à Dieu.
Ils se mirent sous voile au mois d'Avril de l'an 1628, & sous la faveur de leurs quatre vaisseaux, 13 ou 14 petits Navires, qui sous cette escorte passerent la manche, & se rendirent en terre Neuve, pour la pesche de la moluë. Mais à peine la flotte se vit elle partie du port, & singlans en mer, qu'elle se vit aussitost accueillie d'une tourmente fort grande, pendant laquelle deux grands vaisseaux Rochelois, d'environ 100 tonneaux chacun, les vinrent costoyer & essayer d'en surprendre quelqu'un, mais en vain, car les quatre vaisseaux se joignans ensemble avec tous les autres pour leur deffence commune, tournerent teste à ses Pirates & leur donnerent la chasse à coups de canons.
La tourmente qui continuoit les alloit encore menaçans d'un autre plus mauvais party que des Rochelois, s'ils n'eussent promptement relaschez à la rade de honque, où ils sejournerent prés de 8 jours, pendant lesquels les RR. PP. Jesuites, & les nostres eurent tout loisir de dire leur Chapelets, & catechiser les Mattelots & passagers, qui s'estoient en assez bon nombre embarquez pour habiter le Canada, si par malheur les Anglois ne les eussent desconfis, & renvoyez en France, comme je diray cy aprés.
La tourmente passée on se remit sous voile, mais aussi tost un Navire Holandois parut & les vint recognoistre, lequel ayant esté couru, pris & amené par les nostres, fut fouillé, sous la croyance qu'il estoit Pirate, comme en effet, sa mine, sa desmarche, & ses gens revesches & mal conditionnez, en donnoient de fortes conjectures, neantmoins, aprés l'avoir gardé vingt quatre heures & plus, on le laissa aller, comme nous fismes, nostre Anglois, faisans le mesme voyage. Il y en avoit pourtant de nostre équipage qui trouvoient à redire à cette douceur, alleguans pour principale raison des exemples signalées de la barbarie des Anglois, & Holandois à l'endroit des François, lors qu'ils les trouvoient à l'escart & sans temoins, voire qu'ils usoient mesme souvent de perfidie, comme les Holandois ne tesmoignerent que trop à l'encontre du fils du sieur du Pont Gravé, estant au Moluques, chargé d'espiceries pour la France, car l'ayant invité à leur bord, pour le festiner, sous les apparences d'une amitié cordiale, à peine furent-ils en train de boire & rinsser les verres à la santé de leurs amis, qu'ils envoyerent mettre le feu dans le Navire de ce jeune Gentilhomme, pour le priver luy & la France, de ce qu'il emmenoit, ô envie insupportable. Mais qui ne se fut affligé d'une telle perfidie & desloyauté, il eut fallu estre de bronze & insensible comme une pierre, ce jeune homme eslevoit les yeux au Ciel, imploroit son secours, & reprochoit à ces meschans leurs actions infames, pendant que son pauvre Navire se consommoit & reduisoit en cendres. Helas, disoit-il, en contemplant du haut de la dunette son honneur, & ses biens consommez dans les flammes, falloit il que te crusse à la parole des ennemis de Dieu, s'en est ma coulpe, & ma faute, je ne m'en puis prendre qu'à moy mesme, ne devois-je pas sçavoir que celuy qui est infidel à Dieu, l'est ordinairement aux hommes, mes pechez m'ont causé ces disgraces, ô Seigneur qu'au moins elles servent à mon salut, les ennemis m'ont affligé de tous costez, & suis confis dans les amertumes de mon coeur. O mort ne me sois plus cruelle, & ne me fais point languir, je t'appelle à mon secour, ravy mon ame, & qu'elle soit pour le Ciel, car je ne puis plus vivre sur la terre aprés avoir veu commettre une telle perfidie en mon endroit, par ceux qui ne subsistent que par l'assistance de mon Roy, les forces me manquent, les tristesses m'accablent, & les ennuys me consomment comme le foin devant la flamme.
O mon Dieu, disoit ce pauvre Gentilhomme, je recommande mon ame entre tes mains, je vous demande pardon de tous mes pechez passez, avec un regret infiny d'avoir irrité vostre divine justice, vous estes mort pour moy mon Sauveur, & dequoy serviroit ce Sang tres-precieux qui est decoulé de vos playes, sinon pour nettoyer nos coulpes, & les taches du peché qui ont enlaidy mon ame: Vous estes mon Dieu, & je suis vostre creature, vous estes le tout Puissant, & je suis un neant, & dequoy vous serviroit que je fusse perdu, ceux qui sont aux Enfers ne vous louent point, & les bienheureux chantent vos louanges, & les misericordes qui sont eternellement en vous. J'espereray donc en vous ô mon Jesus nonobstant mes fautes, car vous ne perdez que les obstinez. La Vierge & les SS. que j'invoque à mon secours, vous prient pour moy, & offrent au Pere Eternel toutes vos souffrances, les leurs, & celles que j'ay souffertes au reste de ma vie, en satisfaction de mes pechez.
En achevant ces prieres, il entra en l'agonie de la mort, & rendis son ame entre les mains de Createur, comme pieusement nous pouvons croire. Ce fut un grand dommage de ce jeune homme, car il donnoit de grandes esperances de sa personne, tant de sa valeur que de son bel esprit, mais l'envie de l'heretique Holandois, qui ne veut avoir de compagnon à la navigation s'il n'est plus fort que luy, luy osta les biens, & la vie.
Reprenons nos brisées, & disons que la flotte ayant tins mer environ cinq ou six sepmaines, arriva favorablement sur le grand Banc, où tous les Mattelots ayans la ligne en main pescherent quantité de moluës pour leur rafraichissement, car les salines que l'on a pour tout mets en mer, lassent extremement. Apres quoy ils aborderent les Isles d'Anticosti ausquelles ayans mouillé l'ancre, les Peres avec tous le reste de l'equipage descendirent à terre, louèrent Dieu, puis ayans planté une croix au nom de Jesus, qui les avoit là conduits, se rembarquerent & tirerent droit aux Isles percées, où ils trouverent un Navire de ceux qui esloient party de Dieppe avec eux, lequel s'estant senry bon voylier pour esquiver l'ennemy, avoit pris seul le devant à l'issue de la manche, pour arriver des premiers à la pesche, comme il fit.
La flotte ayant sejourné deux jours en ces Isles, fit voile pour le petit Gaspée, où l'on fut adverty par dix ou douze Sauvages, de l'arrivée de quatre ou cinq grands vaisseaux Anglois dans Tadoussac, lesquels s'estoient desja saisis de quelques Navires François contre la coste, dequoy nos gens bien estonnez ne sçavoient par maniere de dire, à quel Sainct se vouer, car ils se voyoient en de très grands dangers d'estre tuez en combat tant, ou d'estre fais prisonniers en se rendans, & traitez; à la rigueur des ennemis, à cause principalement des Religieux qui estoient dans leurs vaisseaux, c'est ce qui les fit estre tellement pressans & importuns à leur endroit, qu'ils contraignirent nos deux Peres, avec deux autres qui s'estoient embarquez avec eux de se couvrir d'habits seculiers, ce qu'ils firent, mais avec tant de regret & de desplaisir, que jamais il n'y eussent consenty si la charité & la compassîon qu'ils avoient de ses pauvres François qu'ils voyoient comme desesperez, ne les y eut contraints, & comme obligez.
Apres quoy on tint conseil de guerre auquel il fut conclud que leur première pensée seroit suivie, qui estoit de se bien batre si les autres abordoient, puis qu'il n'y avoit point là lieu de retraite, ny moyen de s'esquiver de l'ennemy, qui estoit aux aguets. Neantmoins avant que de hasarder, comme j'ay dit cy devant au Chap. 8 ils adviserent d'envoyer une chalouppe de 10 ou 11 hommes à Kebec par des lieux destournez, sous la conduite d'un nommé Desdames, pour advertir le sieur de Champlain de leur arrivée, & qu'ils leur portoient dequoy renvitailler l'habitation de toutes choses necessaires, & de la peine où ils se trouvoient, afin qu'il se tint luy-mesme sur ses gardes. Ils ordonnerent aussi audit Commis les lsles de S. Bernard pour le rendez-vous, & où ils l'attendroient si plustost ils n'estoient pris.
La voile au vent, & la chalouppe partie, la pauvre flotte marchoit entre la crainte & esperance pour les Isles S. Bernard, lors qu'ils apperceurent l'armée Angloise venir droit à eux pour les combatre mais nos gens qui ne sentoient pas la partie egale en prirent bien tost l'espouvente, & s'enfuyrent à vauderoute, & les autres aprés, qui les poursuivirent jusques au lendemain trois heures après midy qu'ils les abordèrent & saluerent d'une volée de canon, qui leur fut respondu de mesme, & de là commença une tres-furieuse batterie de part & d'autre, les uns pour empieter, & les autres pour se defendre, mais à la fin les Anglois obtindrent la victoire sur les François qui se defendirent fort vaillamment, car ils tirèrent jusques au plomb de leurs lignes, & en 14 ou 15 heures de temps que dura le combat, il fut tiré de part & d'autre, plus de douze cens volées de canon, à ce que m'ont dit ceux qui y estoient presens, & si neantmoins de tant de coups de foudres & de tonnerres, il n'y eut jamais que deux François de tuez, & quelques autres de blessez, mais le debris de deux vollées de canons qui donneront à fleur d'eau de leur Admiral, avec le manquement de poudre & de munition, qui fut en fin la cause de leur malheur, & qu'il fallu parlementer, & demander composition, qui leur fut accordée assez honorable pour gens reduits à l'extremité.
Il y en a qui veulent dire qu'ils devoient venir à bord, & rendre combat, l'espée ou la picque à la main, mais helas les pauvres gens, eussent bien empiré leur marché, car au lieu que la vie leur fust accordée, & l'honneur aux femmes conservé, ils pouvoient dans un combat inégal, perdre & l'un & l'autre, costé des personnes qui leur estoient de beaucoup superieurs, & en force, & en nombre.
La composition fut qu'il ne seroit fait aucun desplaisir aux Peres Jesuites, ny aux PP. Recollects. Que l'honneur des femmes, & des filles leur seroit conservé. Qu'ils donneroient passages, vivres, & vaisseaux à tous ceux de l'quipage qui devroient retourner en France. Mais que tout le reste du pillage avec les hardes des pauvres François, appartiendroient aux Anglois, lesquels partagèrent entr'eux, après qu'ils eurent deschargé la pluspart des hommes à terre, ausquels ils donnerent, selon le concordat, deux vaisseaux, & les vivres necessaires pour retourner en France, à telle heure qu'ils voudroient.
Pour les Peres, & les PP. jesuites, les Capitaines, Admiral, & vice-Admiral, & quelques autres des principaux François, furent dispersez en plusieurs vaisseaux Anglois, pour estre conduits en Angleterre, voir adjuger la flotte Françoise estre de bonne prise, & eux-mesmes arrestez jusques à entier payement de la rançon qu'on estoit convenu. Le monde estant ainsi dispersé, la flotte partit des Isles de Miscou, & se rendit à celles de sainct Pierre, où ils trouverent quatre Navires Basques de sainct Jean de Lus, chargez de moines & abandonnez des Mattelots qui s'estoient cachez dans les bois, peur de tomber entre les mains des Anglois, ausquels il fut facile se saisir des vaisseaux, & de tout ce qui estoit dedans & de la pluspart du poisson sec qui estoit encore sur le galay, n'y ayant personne pour le deffendre.
Tant de marchandises & de pirateries leur emplit tellement leurs Navires, qu'il furent contraints se descharger de ce qui leur servoit le moins, & entre autres choses, ils deschargerent de nos Peres, & d'un honneste mais fort sage gentil-homme nommé le sieur le Faucheur Parisien, de sa femme & de ses cinq enfans, d'un Médecin & de quinze ou seize Mattelots Biernois, de tous lesquels ils n'eussent pû esperer une once de bonne monnoye; ayans perdu dans la flotte, tout ce peu de bien qu'ils avoient embarquez sous l'esperance de s'habituer en Canada pour y vivre eux & leur familles, le reste de leur vie, mais qui par mal-heur ne leur reussit pas bien.
Aprés que ces pauvres gens furent descendus à terre, on leur fist offre de vivres & de vaisseaux pour retouner en France, qui furent en mesme temps acceptez comme une gratification, car qu'elle consolation pouvoient ils avoir dans des vaisseaux où il ne se faisoit aucun exercice que de la Religion pretendue reformée, où on n'oyoit chanter que des marottes, faire vie que de rustres & d'epicuriens, à la verité on ne leur fist aucun desplaisir en leur personnes ny d'affront à leur honneur & reputation, mais c'estoit assez d'affliction que de se voir esclaves & prisonniers, entre les mains de personnes si esloignées du bon sentiment & de la voye qui conduit au Ciel. Le Navire qui leur fut donné fut un de ceux nouvellement pris sur les basques, duquel ils se servirent autant long-temps qu'il plut à Dieu, je dis qu'il plut à Dieu, car pensans dans ceste apparente commodité se servir d'une opportune commodité, ils se mirent dans des hazards & périls jusqu'à l'extrémité.
Mon Dieu vous estes admirable, & adorables sont vos jugemens, mais il est vray que sans vostre assistance particuliere, l'homme de bien succomberoit souvent sous le pesant faix de vos visites. Les Anglois n'estoient pas à peine partis de ces Isles, que les Basques à qui lesdits Anglois avoient pris, fouragez & emmené leurs vaisseaux, vindrent dans quatre ou cinq chalouppes, se saisir à l'improviste du Navire de nos pauvres François, pendant qu'ils, estoient à terre empechés à racommoder leur hardes & donner ordre pour leur voyage: qui fut bien affligé, ce furent ces pauvres exilez, car ils se virent tombé de deux sieges à terre comme l'on dit, & en danger de mourir miserablement dans ce desert, car ils ne sçavoient plus à qui avoir recours.
On dit qu'on peut, reprendre son bien où on le trouve. Ces Basques avoient donc raison de reprendre le leur en ce Navire qui leur avoit esté osté par les Anglois, mais nos gens avoient aussi un juste sujet de déplorer leur infortune, & d'avoir recours aux larmes & aux prieres, puis que tout secours humain leur avoit manqué, & sembloit que le Ciel & la terre eussent conjuré leur ruyne. Ils se veulent neantmoins roidir contre ces Basques & en disputer le Navire comme pris de bonne guerre, disoient-ils, par les Anglois, car la necessité a tousjours des inventions pour se liberer d'elle mesme.
Dix ou douze Mattelots des plus resolus entrerent dans une chalouppe & allerent recognoistre ces Basques, qui avoient repris leur Navire, pendant que le reste de l'équipage les suivoit dans une autre, mais au lieu d'estre les bienvenus, les Basques justement irrité les penserent tous assommer à coups de pierres, (car les Anglois ne leur avoient laissé aucunes autres armes à feu.) Il y en eut cinq on six de blessez, qui firent prendre la fuyte à tout le reste sur les montagnes voisines, tellement qu'avec le Navire les Basques eurent encores tous les paquets & les hardes de nos gens, qu'ils avoient laissé sur la terre.
Que pouvoient dire alors nos pauvres Religieux, sinon de crier au Seigneur qu'il eu pitié d'eux & de tout ce peuple, pour moy je n'ay rien ouy de plus admirable en toutes ces disgraces que la confiance de cette honneste damoiselle mere & de ses trois filles, courageuses comme des Amazones, & qui sçavoient devorer les difficultés dés leur naissance, par de bonnes & fermes resolutions, de recevoir & endurer le tout pour l'honneur & l'amour d'un Dieu. Ce sont graces qui ne sont pas communes à toutes les femmes, qui sont d'ordinaire timides & craintives aux moindres difficultez, & partant louables en celles qu'au milieu des plus grands hazards, se monstroient egalement courageuse avec le père & les fils.
Les Basques ne se contenterent pas d'avoir pris les hardes de ces pauvres gens, & le Navire destiné par les Anglois pour les reconduire en France, mais quinze ou seize de leurs hommes armez de demy piques, les coururent encor sur la montagne pour les tuer, disans qu'ils leur avoient amenez les Anglois, & l'eurent fait, sans l'intercession de nos Peres, & les larmes de ces bonnes Damoiselles, qui leur tesmoignerent du contraire, tellement qu'à toute peine ils leur sauverent la vie, & lenr obtindrent une chalouppe avec un peu de biscuit & de cidre, avec quoy ils eurent un commandement absolu de partir dans une heure sur peine de la vie, qui estoit une rudesse bien grande envers des pauvres Mattelots affligez comme estoient aussi en effet, les pauvres Basques degradez reduits de riches marchands à de pauvres devalisez.
Ils se mirent donc en mer avec leur chalouppe rodant la coste, bien en peine qu'ils deviendroient & où ils pourroient avoir du secours, mais Dieu qui n'abandonne jamais les siens au besoin, leur fist la grace d'eviter les perils de la mer, & d'arriver heureusement en deux fois vingt-quatre heures, aux Isles de plaisance, où ils trouverent fort à propos, des Navires prests à faire voille pour leur retour en France, qui les receurent & donnèrent charitablement place parmy eux.
Cependant nos pauvres Religieux, le gentil-homme, sa femme & ses enfans estoient restés à la mercy des Basques qui ne les voulurent pas repasser en France ny leur donner place dans leur Navire rescous, si Dieu très-bon ne leur eut amoly le coeur endurcy par le marteau des afflictions, qui fut la cause de les faire recevoir, autrement il eut fallu mourir de faim dans ces desert ou estre mangé des bestes.
Ils furent pres de cinq sepmaines empeches à racommoder leur vaisseau gasté par les Anglois, puis ils cinglèrent en mer avec nos gens environ la my-Septembre, & deux autres Navires qui les estoient venus trouver au bruit de leur disgrace, assez ordinaires aux Mariniers.
Le vent du commencement leur fut assez favorable, mais qui se changea soudain en une si furieuse tourmente pendant quatre ou cinq jours, que les Mattelots desesperans de leur salut, avoient tousjour la coignée au pied du grand mas pour le couper s'il eut trop panché, comme le dernier remede.
Tout ce que nos Religieux pouvoient faire dans cette extremité, estoit de prier Dieu, & d'induire tous les autres d'en faire de mesme & de se mettre en bon estat, car souvent nos disgraces ont leur source dans nos pechez, comme aux gens de bien dans leurs merites, mais la tourmente continuant de plus bel à mesure qu'ils prioient Dieu, comme si le diable eut voulu debattre contre eux, ils leur firent faire un voeu à nostre Séraphique Pere fainct François, lequel estant fait la tempeste des aussi-tost cessa, il n'y eut que les deux autres Navires separez par les vents, qui ne se retrouverent point au calme, & s'ils perirent ou non personne n'en a rien sçeu.
De l'arrivée des Peres Daniel & François en Espagne avec leur compagnie, de la charité qu'ils y receurent jusques en France. Leur Navire pillé & bruslé par les Turcs, & la mort d'une Dame devote à l'Ordre de sainct François.
CHAPITRE X
CEste grande tourmente jetta nos gens fort loin hors de leur route devers l'Espagne, où îls apperceurent un vaisseau Turc de quatre cens tonneaux, lequel leur despecha une chalouppe avec quantité de soldats pour les venir aborder, ce que voyant les pauvres Chrestiens, tousjours dans de nouveau labirintes, rompirent leur pont de deffence, tirerent dehors leur chalouppe & se jetterent tous à corps perdu dedans, puis à force de rames se sauverent promptement à terre, qu'ils avoient descouverte depuis peu. Abandonnant leur Navire avec toutes leurs petites commodités, à la mercy de ces mal-heureux Turcs, lesquels enragez de les avoir eschappez aprés avoir tout pillé & emporté ce qui estoit de meilleur, mirent le feu dans le vaisseau à la veuë de nos pauvres Canadiens, qui dans leur sensibles douleurs ne pouvoient faire autre chose, sinon, baisser la teste & plier les espaules sous la main de Dieu, car à peine estoient ils hors d'un mal-heur qu'ils en rencontroient un autre.
Cette pauvre trouppe, nue, affligée & delaissée de tous, fors de Dieu qui les conservoit, arriverent le mesme jour à Bayonne en Galice, où aprés avoir rendu grâces à nostre Seigneur, les Pères Daniel & François menèrent tout ce piteux équipage à Madame la Gouvernante de la ville, laquelle les receut fort courtoisement & les traicta fort honnorablement par l'espace de 8 jours qu'ils furent logez dans sa maison, pendant lesquels ils eurent tout loisir de se rafreschir d'un si long voyage qui les avoit retenus prés de 8 mois en mer.
En partie les maux passez firent resoudre les Pères de prendre la terre & de se separer de leur compagnie, pour s'en revenir seuls par S. Jacques & le reste de l'Espagne en France, mais comme ils eurent à ce dessein remercié & pris congé de Madame la Gouvernante, cet honneste gentil-homme duquel je vous ay parlé, sa femme & ses cinq enfans, les supplièrent au nom de Dieu de ne les point abandonner en une si pressante necessité, puis que le mal heur par l'infortune les avoit réduit jusques à ce point de ne leur estre rien resté de tout ce peu qu'ils avoient embarqué pour le Canada; tellement que ces bons Peres esmeus de compassion se chargerent de leur conduitte & prirent soin de leur nourriture tandis qu'ils furent avec eux, autrement ceste pauvre noblesse estoit pour rester miserable dans un païs où ils n'estoient point cognus. Il n'en estoit pas de mesme du reste de l'équipage qui prit party ailleurs, car ils estoient gens pour se pourvoir & non pas ces jeunes damoiselles inusitées en ce mestier de la mandicité, car elles eussent soufferts avec la honte de leur misere le reproche de gens vagabons, car qui se fust jamais imaginé que les disgraces les eussent reduictes jesques à ce point d'estre mandiantes, plustost que de paroistre en quelque estat accommodé.
Toute la famille avec ces bons Peres se mirent donc en chemin & prirent la route pour sainct Jacques, où estans arrivés furent visiter l'Eglise du Sainct, se recommanderent à ses intercessions, & y ouyrent une tres-ravissante musique, qui les consola tous intérieurement pour estre la meilleure qu'ils eussent jamais ouys, à ce qu'ils m'ont asseuré. En après ils furent visiter Monseigneur l'Archevesque du liee & Messieurs les Cardinaux, qui leur firent distribuer tout ce qui leur fist de besoin pendait 8 ou 9 jours qu'ils y sejournerent, car ces pauvres jeunes damoiselles aussi bien que les petits garçons, estoient tellement fatigués du chemin, qu'à peine se pouvoient elles soustenir & encor moins marcher qu'avec un peine indicible, ce qui se peut aysement conjecturer de leur jeune aage, du long du chemin, & de la foiblesse de leur sexe.
Aprés s'estre tous bien reposez & repris haleine, ils prirent congé des Prélats, & Seigneurs leurs bien-faceurs avec les humbles remerciemens deus à personnes si charitables & pieuses, & se mirent en chemin pour Colonne, pour de là prendre la mer & estre au plustost en France, car comme je viens de dire: ces pauvres Pelerins n'en pouvoient plus & estoient si las de la terre, particulièrement les jeunes filles, comme elles m'ont dit maintefois, qu'il falloit quasi à toute heure leur donner du temps pour se reposer, qui estoit un grand retardement, à gens qui n'aspiroient rien tant que de se voir de retour dans leur maison nonobstant le bon traictement qu'on leur faisoit par tout ce païs estranger.
Ils furent parfaictement bien receus à Colonne de Monsieur & Madame la Gouvernante, qui estimerent à une singuliere faveur du Ciel la venue de gens si necessiteux, où ils peussent exercer la charité, qui ne leur manqua point tout le temps qu'ils furent là, mais avec une telle magnificence qu'ils furent servy à plats couverts & en suitte la comedie.
Le lendemain matin de leur arrivée, ils furent visiter l'Eglise des Peres Recollects du lieu, où ils firent leur devotion devant l'image de la saincte Vierge, qui y est reverée de toute l'Espagne pour les grands & insignes miracles qui s'y font journellement envers tous ceux qui avec foy & devotion ont recours à cette bien heureuse Vierge Mere de Dieu. Et eurent le bon-heur de voir plusieurs personnes de ceux qui auparavant estoient estropiez, boiteux, bossus & affligez de diverses autres maladies & infirmitez, entierement gueris par l'intercession d'icelle.
Or pour ce que l'invention de cette saincte image a esté autant miraculeuse qu'admirable, & qui a grandement acerez la devotion du peuple envers icelle, je vous diray succinctement ce que j'en ay appris de personnes dignes de foy afin de vous inviter avec moy de louer Dieu en ses Saincts.
Avant que la ville de Colonne en Galice fut reduite en forteresse, & accommodée d'un Parlement qui la rend celebre pour le jourd'huy, il y eut une trouppe de pescheurs, qui ayans jettés leurs rets dans la mer, pensans y prendre du poisson en tirèrent cette saincte Image, mais avec tant de peine à quinze Mattelots qu'ils estoient, que comme il est dit des Apostres dans les Sainctes lettres, ils penserent rompre leur rets, chargez de cette seule Image sans poisson, ce qui les mist en telle admiration qu'ils en louerent Dieu sur le champs, se prosternerent devant icelle, & la porterent dans le Convent de nos Peres, qui la poserent reveremment dans l'une des Chappelle de l'Eglise, où elle est encore à present reverée d'un chacun comme j'ay dit.
Cette saincte Image est ordinairement couverte d'un rideau de taffetas bleu, qui se tire pour la faire voir aux pelerins qui y arrivent de toutes parts. Il y a aussi une lampe ardente qui y brusle jour & nuict que quelque personne devote y entretient. Cette figure n'est que de bois; de la hauteur environ de deux pieds, & assez noire & obscure comme sont ordinairement toutes les Images miraculeuses, pour monstrer que Dieu ne cherche point la politesse ny la beauté extérieure aux Ames esleveés; comme l'humilité & l'aneantissement, representé par cette couleur basse. Je suis noire, mais je suis belle disoit l'espouse aux Cantiques des Cantiques, qui est une pensée bien contraire à celle du monde qui ne faict estat que de l'exterieure beauté simplement, comme Dieu de l'intérieur qui se conserve sous la cendre de l'humilté & de la bassesse.
Quelques années aprés l'invention de ceste Image, les Anglois qui avoient guerre contre l'Espagne, s'estans rendus maistre de Colonne non encores fortifié comme il est à present, mirent le feu dans nostre Eglise qu'ils bruslerent pour la pluspart excepté l'image qui resta en son entier du milieu des flammes, dequoy irrité ces meschants heritiques, la jetterent jusques à sept fois dans un feu plus ardant qui ne luy fist aucun mal, ce que voyans, ils la mirent en piece, la briserent par morceaux & la jetterent derechef dans le feu, croyans qu'ayant perdu sa forme le feu consommeroit la matiere & par ainsi qu'ils resteroient victorieux, mais Dieu tout puissant qui ne peut estre vaincu de personne en conserva les pieces, les rassembla, & restablit l'image de la saincte Vierge, comme nous la voyons encores de present dans nostre Eglise dudit Colonne, sans que le feu paroisse y avoir laissé marque qu'un peu de noirceur pour tesmoignage du miracle.
Les devotions sont tres-bonnes, mais il faut encores penser de son retour au logis, car aprés avoir veu Marie il faut voir Marre, & descendre de l'eschelle de Jacob avec les Anges, pour y remonter avec eux, c'est le train de nostre vie & le soin de nos pensées qui montent à Dieu & reviennent & nous. O mon Dieu il le faut avoir un oeil pour voir vostre grandeur & un autre pour considerer nostre bassesse.
Les Peres Daniel & François s'estans suffisamment contentez en leur devotion & pris du repos aprés un long travail avec leur petite compagnie. Il fut question de trousser bagage, & voir sur le port s'il y auroit aucun Navire prest à faire voile pour la France, mais ne s'y en estant point trouvé, Monsieur le Gouverneur leur fist preparer son Brigantin, & conduire exprés jusques à la ville de Har, avec commandement de les loger & traicter honnorablement dans la maison de ville autant de temps qu'ils desireroient, ce qui fut de tout point observé pendant 15 jours qu'ils y sejournerent, car la jeunesse ne pouvoit avancer.
Ils furent non seulement regalez de tout ce qui leur faisoit besoin, mais mesme avant partir le bon gentil-homme receut encor la pièce en particulier, pour d'autres nesessitez qui pourroient survenir à sa famille, de maniere que l'on pouvoit dire que Dieu leur faisoit pleuvoir la manne au milieu des deserts, tant estoit grande la charité de ce peuple envers ces estrangers, sinon que le grand respect & la devotion qu'ils ont à nostre Ordre, leur donnat l'envie de les assister, car sans exageration, entre tous les Ordres, les Espagnols font principallement estat des Religieux de sainct François qu'ils reverent comme Anges descendus du Ciel, desquels les grands tiennent à grâce singuliere de pouvoir mourir ou du moins d'estre ensevelis dans leur habit, & sçay des Dames que peur d'estre prevenuës de la mort sans ceste faveur, en gardent sous clefs dans leur cabinet, aussi devote à l'Ordre de ce grand Sainct qu'estoit de deffunct Monsieur de Ragecourt gentil-homme Lorrain, qui receut de nostre Pere Gardien de Mets, ce sainct habit un peu avant sa mort.
La mesme grace avoit esté conferée à Madame la Comtesse de Marcoussey, Gouvernante de la Province de Vosges, laquelle mourut (quoy que fort jeune) aussi sainctement & autant desnuée des affections de la terre que j'aye jamais cognu personne de qualité, & pour ce que sa fin a esté fort edificative comme sa vie fort honneste, & que quelques bonnes ames pourront faire leur profit des graces que Dieu luy fist la disposant à la mort, j'en diray succinctement l'evenement à la gloire de nostre Seigneur, qui suivant les promesses faictes à nostre Pere sainct François, donne tousjours une heureuse fin à ceux qui sont vrayement devots en son Ordre.
Cette Dame quoy qu'en apparence mondaine (& pleust à Dieu que les autres ne le fussent qu'en apparence,) estoit tres devote aux enfans d'un si grand Patriarche, elle faisoit bien sa Cour, mais elle servoit encor mieux à Dieu, car aux bonnes festes de l'année, elle ne manquoit jamais au devoir d'une bonne Chrestienne, non plus qu'à donner largement aux pauvres des biens que Dieu luy avoit largement presté, à quoy la portoit grandement deffunct Monsieur le Comte à qui j'ay souvent ouy dire qu'il vouloit luy mesme soigner pour son ame dés son vivant comme il faisoit en effet, sans en attendre à ses héritiers, car comme il disoit, combien en voit on de trompez, ou plustost combien y en a il qui se trompent eux mesmes, attendans de faire par autruy ce qu'ils devroient faire par eux mesmes. La chandelle qui va devant vaut micux que la torche qui suit aprés, un peu patir en ce monde icy, vaut mieux qu'un longtemps en purgatoire, un escu donné de son vivant, que dix aprés sa mort, & puis qui sçait que les héritiers s'aquitteront fidellement de la volonté dernière du testateur.
Ils s'amusent à partager ses biens, on dispute de son testament, on querelle ses creanciers & souvent on maudit son mauvais ordre & les troubles qu'il leur a laissé aprés son trespas. O pauvres gens qui ne prevoyez pas à vos affaires, & encores moins à vostre salut pensez à vous. O vieux avaricieux, qui ne pouvez ouyr la voix du pauvre, vous oyrez la voix des diables qui crieront à vos oreilles, ton temps est passé, tes consolations ont pris fin, la rouille a mangé tes richesses, & les vers la charongne, il n'y a point de Paradis pour toy, que diras-tu, & toy femme mondaine, quoy penseras tu à l'heure de la mort qui t'est inevitable.
Je ne veux pas juger de personne ny condamner aucun, mais j'ay fort douté du salut de plusieurs riches avares que j'ay veu mourir, & d'autres, que je cognois qui pensent moins en Dieu qu'en leurs richesses, & s'ils donnent l'aumosne aux pauvres, c'est si peu & si mesquinement que je ne sçay s'ils y auront du merite. Il faut donner gayement si l'on donne, car Dieu ayme le joyeux donner, si on a peu, donner peu, si beaucoup, beaucoup, & tousjours de bonne volonté, comme il est dit en Tobie. Il y a mesmes de ces devotes qui ne sont charitables que du bout des levres, mais aussi sont elles bien éloignées du mérite de celle de laquelle je vay reprendre l'histoire dont voicy la suitte.
Madame la Comtesse allant faîre ses devotions à Nostre-Dame de Liesse, eut un songe la nuict, dont elle rumina fort des effects, il luy semloit mourir ayant deux Recollects à ses costez qui luy assistoient; à son resveil, elle conta son songe à Madame de saincte Marie sa tante, laquelle pour l'heure n'en fist aucun estat, disant qu'elle n'y devoit adjouster de foy. Un an aprés, le Pere Cyprian Gallicher estant faict Gardien de nostre Convent de Mets, fut visiter laditte Dame à son chasteau de Goin, si-tost qu'elle l'eut envisagé se tournant à l'une de ses Damoiselles suivante luy dit: la Rochette, voyla l'un des Peres que je vis en songe allant à Nostre-Dame de Liesse, & deslors en fit fort estat, l'excellence estoit qu'elle ne l'avoit jamais veu que ce jour là, ce qui luy fist esperer la verité de son songe.
L'année suivante estant de eommunauté en nostre Convent de Mets, ledit Pere Gardien me mena en devotion à sainct Nicolas, & au retour fusmes un Lundy matin au chasteau de Goin pour y voir laditte Dame, laquelle un petit mal de teste avoit arrestée ce jour là dans son lict, plus tard qu'à l'ordinaire, car le precedent, elle se portoit parfaitement bien, & sans apparence de maladie. Ayant sçeue nostre venue par le sieur Foursier précepteur du jeune Comte son fils unique, & à present F. Daniel Boursier, celuy duquel je fais mention dans ce voyage, elle ne dit autre chose sinon. Les Peres sont venus pour m'assister à la mort, je veux mourir fille de S. François & leur en demanderay l'habit, elle le demanda & le receu, & tous ses Sacremens, puis mourut le P. Gardien, disans les recommandations de l'ame à l'un des costez du lict, tandis que de l'autre je l'exhortois à bien mourir, comme elle fit rendant son ame entre les mains de son Createur, comme pieusement nous pouvons croire, avec cette derniere action de choisir la medaille de son Chappelet qu'elle tint entre ses doigts en expirant, & prononçant le S. nom de Jesus.
Revenons à nos Espagnols, ils tiennent faveur de pouvoir baiser la corde ou l'habit, d'un Frere Mineur, comme à grace singulier d'y pouvoir mourir, je fus un jour bien estonné qu'entrant en une maison de condition au Duché de Luxembourg, les deux filles mesme du logis, nous vindrent recevoir à la porte, & baiserent le bout de nostre habit, ce qui me fut fort extraordinaire pour n'avoir jamais veu une pareille pratique en France, où il n'y a que les seules personnes pieuses & de condition qui fassent estat des Religieux.
Je diray encor à la gloire de Dieu, & à la confusion des indevots, ce que j'ay appris d'un Pere Capucin revenant nouvellement d'Espagne, que comme il logeoit ordinairement dans quelqu'un de nos Convents qui y sont fort frequents, passant par la Province de la Conception, au mesme Royaume, où nos Religieux gardent un silence perpétuel, plus estroit qu'aucun autre Ordre qui soit dans l'Eglise, & pour cet effect ont presque tous leurs Convent bastis en des lieux champestres, & esloignez des villes.
Il interrogea quelques villageois, comment ils pouvoient nourrit des Convents de Recollets, qui ne moissonnent ny ne font aucune provision, veu qu'eux mesme estoient pauvres & necessiteux, & n'avoient dequoy pour la pluspart que de leur petit labeur. Ils luy respondirent, en vérité mon pere, nous leur donnerions encor nostre coeur s'ils en avoient affaire.
M'entretenant un jour sur mer avec un Pilotte Huguenot, homme d'esprit, & tres-honneste à sa mauvaise religion prés, des voyages qu'il avoit fait avec les Holandois, en divers endroits du monde, m'asseura du profit que faisoient les Religieux dans les Indes, & qu'il ny avoit veu aucun Navire, d'Espagne, où il ny en eut toujours quelqu'un dedans, ce qui luy servit aucune fois, car comme luy & tout son équipage se trouvèrent un certain temps, en tres-grande disette & necessité de vivres sans sçavoir ou en pouvoir recouvrer, les Holandois n'avoient point lieux de retraite en ces contrées là, & peu en d'autres, à cause de leur rudesse & cruauté à l'encontre des naturels du pays, qu'ils traitent en bestes, comme il appert en l'Isle de Java Major qu'ils ont prise sur le Mattran Empereur du pays, car, ils les tiennent presque tous enchaisnez deux à deux par les pieds, & ne leur permettent d'aller jamais en ville qu'il n'y aye un soldat Holandois, à leur queue, avec un brin d'estocq en main (ô quel valet) pour les tenir en bride & sujection, comme si aprés avoir perdu son bien, & sa liberté il falloit encore estre traitté en beste, & battu en chien.
Ils adorerent donc de donner la chasse au premier Navire marchand Espagnol qu'ils rencontreroient, sous l'esperance qui ayans des Religieux dedans, ils auraient du crédit allez pour leur en faire apporter de la plus prochaine ville, ce qui fut fait comme ils l'avoient projecté, car ayant rencontré une barque marchande, ils s'en rendirent les maistres, & l'arresterent jusques à tant que les Religieux qu'ils y trouverent leur en eussent fait apporter, puis les laisserent aller sans leur faire de desplaisir, ny aux Marchands, à ce qu'il me dit. Quoy qu'il en soit, je ne sçay, si nous aurions bien tant de crédit icy, mais tousjours faut il advouer que sainct François a grandement merite devant Dieu, puis que les Huguenots mesmes qui ne font estat d'aucun Sainct, le confessent, & s'estonnent du grand nombre de ses vrais Religieux presque par tout establis, pour le salut des ames Indiennes.
Revenons à nos pauvres voyageurs laissez à la ville de Har, & disons qu'ayans en vain cherché un Navire appareillé pour France, ils furent à la fin contraints d'aller à pied jufques à la ville de Fourolle, où ils trouverent une pinasse de Bayone en Laguedoc, dans laquelle après avoir convenu de prix avec le Maistre (car il fallut icy commencer payer) ils s'embarquèrent & firent voille le matin à la marée avec un vent assez favorable, mais qui se changea soudain, sur les trois heures aprés midy en une tourmente si grande qu'elle les pensa tous submerger & engloutir au fond des eauës, car ayans leur gouvervail brisé, ils n'attendoienr plus que l'heure d'estre jettez contre quelque rocher. Ils voyoient bien un village nommé de sainct Simphorien, & la terre qui ne leur estoit pas esloignée, mais comme le vent les dominoit, ils n'en peurent oncques approcher jusques à ce que les tres experimentez Pilotes & Nautonniers du lieu, les voyans infailliblement perdus, sans un prompt secours, monterent trois chalouppes, & surmontans les tres perilleux flots de la mer les aborderent & ayans accroché la pinasse, avec l'ayde du tout Puissant, la conduirent au port asseuré, où ils rendirent graces infinie à nostre Seigneur de les avoir delivré de tant de périls, & luy demanderent la vertu de patience pour le reste de leurs incommodité, qui n'estoient pas petites en des personnes percées jusques aux os, des pluyes & orages, qui durerent jusques à la nuict, avec des furies si grandes, qu'il sembloit que les Cataractes du Ciel fussent ouvertes pour un second deluge.
Ils sejournerent trois ou quatre jours dans ce village, pour se refaire de leur lassitude, après quoy il fur question de partir, mais d'autant que les maux de la tourmente passée leur estoient encor tout recens, & que la diversité des chemins leur sembloit adoucir aucunement leur travail, ils prirent la routte par terre, surmonterent les mauvais chemins, & la difficulté des montagnes, non sans des peines tres-grandes, & arriverent, à la ville Domide, où ils furent parfaitement bien receus de Monsieur, & de Madame la Gouvernante qui leur firent très-ample charité, & bon traictement, par l'espace de six sepmaines qu'ils furent contraicts de sejourner là, pour asssster trois de leur compagnie tombez malades de fievres & de travail.
Si tost qu'ils commencerent de se mieux porter, ils se mirent en chemin pour poursuivre leur voyage, car ils estoient encores à prés de trois cens lieuës de Paris, & arriverent de leur pied à Chichion, où ils attendirent la commodité d'un vaisseau marchand qui chargeoit des oranges pour Nantes & dans lequel s'estans embarquez & fait voile par un temps tres-beau qui leur dura, quelques jours, mais qui par sa faveur inconstante, se changea bien tost en une tourmente si furieuse quelle les pensa tous perdre, si la providence divine ne les eut garantis, & tourné les vents qui par un bon-heur les jetterent dans les sables Dolonnes, où ils prirent terre, & louerent Dieu, qu'après les avoir delivrez de tant de miseres, & assisté en tant de périls, il les avoit en fin fait surgir au port tant desiré, d'où nos pauvres Religieux ayans pris congé de leur compagnie, s'en revindrent doucement à Paris, rendre leur voeux, continuer leurs actions de graces & deduire leur penible voyage à celuy qui les avoit envoyé.
Offres & courtoisies des Savages, aux François de Kebec, & de l'excellent equipage d'une barque pris par les Anglois.
CHAPITRE XI.
APrés que nous avons eu mené nos deux Peres à Paris, eschapez de tant de dangers, il nous a esté necessaire de retourner à Kebec, voir la contenance de nos gens affligez de toutes les disgraces que peut la necessité, mais qui fut soulagée à la faveur de plusieurs Nations Sauvages qui les assisterent chacun selon son petit pouvoir.
A la my Janvier 1629, les Montagnais commencerent à tuer de l'eslan, dont ils firent bonne part à nos François, particulierernent Choumin, qui tout expres voulut cabaner avec son frere Neogabinat dans les bois autour de Kebec, pour les pouvoir assister de leur chasse, avec plus de facilité qu'ils n'eussent sçeu faire au loing. Il y eut aussi le sauvage Manitoucharche autrement nommé la Nasse, par les François à cause qu'il se servoit tousjours d'une Nasse pour la pesche de l'anguille, ce que ne font pas ordinairement les autres Sauvages, ayda fort aux Reverends Peres Jesuites, comme fit aussi Choumin, & l'Hyver estant passé il se vint habituer au desert desdits peres Jesuites, où il laboura avec leur permission, un bout de leur terre, qui avoit produit un tres-beau bled quand les Anglois le prirent.
L'Hyver ne fut pas moins long que le precedent, car les neiges n'estoient pas encores fondues à Pasques, qui estoit le 15 d'Avril cette année là, toutefois elles ne durerent plus gueres aprés, car le 28 d'Avril l'on commença d'ouvrir la terre, & le second jour de May l'on sema du bled froment, que l'on appelle en France bled marcets.
Le renouveau fut assez beau & favorable pour faire les semailles, mais ceux de l'habitation ne s'amusoient tousjours qu'après leur fort, fondans l'esperance de leur vie sur les Navires, sans s'amuser à cultiver, dont ils se repentirent après, mais avec une trop légère punition d'une négligence si grande, car les Navires pouvoient perir, ou estre pris des ennemis, comme ils furent à la fin des Anglois.
Le mois de May s'escoula sans que l'on entendit aucune nouvelle de France, ce qui mit en peine tous les hyvernans à qui les dents crossoient comme l'herbe en bonne terre, faute d'avoir dequoy les employer, car selon leur calcul il devoit estre arrivé quelques Navires dés le commencement du mois, & eut esté bien necessaire à ce coup que tous les vivres defailloient, car de sept escuelles de grain que le sieur de Champlain avoit ordonné par sepmaine dés le Noël passé pour chaque personne de l'habitation, il en fallut retrancher plus de la moitié, & courir les bois jusques à cinq & six lieues loin, pour trouver des racines de bon manger, car celles des environs de Kebec avoient esté toutes consommées.
Il y a une certaine racine entre les autres, laquelle, nous appellons Sigallum Salomonis, sceau de Salomon, qui les ayda grandement, car elle est assez bonne, excepté qu'elle est un peu forte mangée creue, j'ay appris qu'elle est un souverain remede contre les hemoroides, coupée en rouelles & portée au col sur la chair nue en chappelet, dont une Dame de Paris m'a asseurée en avoir esté guarie. Elle leur servoit le plus souvent de pain, & d'autre fois ils l'accommodoient avec du glan, & un peu de farine d'orge, avec le son & la paille, qu'ils faisoienr bouillir & réduire en menestre, mais pour ce que le glan est fort amer en ces pays là, & ne le pouvoit manger sans y apporter de l'invention, l'on faisoit un peu bouillir l'amande dans de l'eau avec de la cendre par deux diverses fois, puis le gland estant bien lavé & nettoyé de ces cendres, on le pilloit & mesloit parmy la farine d'orge, à demie cuitte pour en espessir la bouillie, dans laquelle l'on mestoit aussi du poisson deminssé, quand l'on en avoit, mais sans sel, car il n'y en avoit plus à Kebec.
Le sieur de Champlain envoya le sieur Boullé son beau frere avec quelques, autres François vers Tadoussac, pour voir si on y en pourroit faire, mais ayans experimenté les eaux par le feu ils n'en purent tirer la plaine main, disans pour excuse, mais veritablement, que l'eau n'y estoit pas propre, bien qu'ils l'eussent, fait consommer dans des placques de plomb qu'ils y avoient portées, par l'ordre du sieur de Champlain.
Une matinée à quoy on pensoit le moins tomba une des tourelles du fort, qui fit croire aux François, comme à l'année passée d'un pareil accident, que l'on auroit bien tost des nouvelles de France, ou d'Angleterre, ce qui les resjouit, car ils se soucioient assez peu pour lors d'où elles viendroient pourveu qu'ils fussent assistez, & tirez hors de leurs miseres.
Le sieur se Champlain voulant eviter aux fausses Propheties, fit promptement racommoder la tourelle, & envoya quelque Mattelots vers Gaspé, voir s'il y auroit quelques Navires François pour en tirer du secours, mais n'y ayant trouvé personne, ils pescherent quelques moluës, ramassèrent un reste de sel qu'ils trouverent sur le galay, & puis s'en retournerent au sieur de Champlain qui se repentant des negligences passées qu'il touchoit au doigt, pria le P. Joseph de luy prester un coing de nostre terre à desserter, ce qui luy fut non seulement accordé, mais d'en prendre où il voudroit, mesme celle que nos Religieux avoient desertée cette année là qu'il accepta, & y fit travailler son serviteur.
Le sieur Corneille Commis du sieur de Caën en demanda aussi, & y vint travailler luy-mesme, puis 4 atures personnes lesquelles nous accommodames d'une autre bonne estendue de terre, & deslors ces Messieurs commencerent à cognoistre en effect, qu'ils devoient avoir suivy nostre premier conseil, qui avoit tousjours esté de labourer les terres, & creurent alors combien nos Religieux avoient eu de peines à accommoder celles desquelles ils jouissoient à present du fruict par leur beneficence non toutesfois sans en ressentir la piqueure des mousquites & moucherons, qui leur défiguroient tout le visage.
Le sieur de Champlain qui avoit envoyé de ses gens vers Gaspé, pour descouvrir s'il y auroit quelques Navires, desquels l'on pû recevoir quelques secours de vivres, leur avoit aussi donné charge de sçavoir des Sauvages de ces contrées là, s'ils pouvoient nourrir quelques François jusques à l'arrivée des vaisseaux de France, à quoy les Sauvages pleins de bonne volonté leur respondirent qu'ils en pourroient nourrir jusques à 20 & qu'ils les leur envoyassent, & mesme des femmes, & des enfans s'ils vouloient, desquels ils feroient estat comme de leurs propres parens.
Cela resjouit un peu les François, mais non pas entierement, car ils croyoient que ces Sauvages en deussent demander davantage, pour ce, disoient-ils, qu'ils n'estoient point dans la pauvreté, avoient abondance de bestes, & ne manquoient point de poisson.
Les Algoumequins, & Montagnais plus pauvres de beaucoup, les voulurent neantmoins surpasser de courtoisie, & ne se laisser vaincre d'honnesteté en une si belle occasion, car ils leur firent offre de nourrir 25 personnes des leur pendant l'Hyver, & de plus Choumin & ses freres s'obligerent de demeurer autour de l'habitation, pour pouvoir plus commodement assister le reste, & leur porter de l'anguille & la chasse, s'entend quand ils en auroient.
Toutes ces belles offres, & ces liberalitez tesmoignerent assez la gentilesse, ou plustost comme ils disent la bonté de leur coeur, qui nous doit servir d'exemple. Il falloit neantmoins encore adviser pour le reste de l'Esté jusqu'aux grains nouveaux, & sonder une autre Nation pour y contribuer, car il n'est pas question de tousjours fouller son hoste. C'est pourquoy le sieur Champlain au commencement du mois de Juillet 1629 despescha un François avec quelques Barbares vers la nation des Abenaquioue peuples habitans du costé du Sud de l'habitation, lesquels cultivent les terres à la manière des Hurons, & ont quelques villages.
Ce François estant là arrivé, les fit haranguer par son Truchement de la part du Gouverneur de Kebec, & demander s'ils leur pourroient nourrir quelque François jusques au commencement de l'Esté prochain, & ce faisant ils les obligeroienr à contracter amitié avec eux, & les maintenir à l'encontre de leur ennemis. Les Albenaquioue ayans ouy la harangue de ce Truchement, tindrent conseil, & conclurent à la faveur des François, disans, que tres volontiers ils en accepteroient jusques à 20 ou 25 desquels ils feroient estat, & les nourriroient comme eux mesmes.
Nos Messagers les voyans de si bonne volonté leur firent demander s'ils pourroient encore ayder à l'habitation de quelques sacs de bled d'Inde; à quoy ils respondirent que non pour lors, mais vers le mois de Septembre, ou d'Octobre, que leur moisson seroit faite, & qu'en leur menant du bled, ils rameneroient les François qui voudroient venir demeurer avec eux.
Pendant que les uns travailloient pour asseurer la vie de ceux qui resteroient, dans le pays, les sieurs Champlain, & du Pont, firent équiper une barque du port, de 12 ou 14 tonneaux pour envoyer aux costes, chercher des Navires, pour repasser en France une partie de leurs gens, & au cas que l'on ne trouvast aucun vaisseau à la coste, il y avoit ordre aux Chefs de se mettre au hasard de passer la mer, pour aller donner advis à Messieurs de la Société, de l'estat miserable auquel on estoit reduit.
Beaucoup desiroient bien d'aller chercher des Navires à la coste, mais peu se presentoient pour passer en France dans un si petit vaisseau, mal asseuré, & si mal pourveu de toutes choses necessaires qu'il ne se pouvoit moins, car, premierement, il n'y avoit ny pain, ny vin, ny biscuit, fort peu d'eau douce, & encor moins de bois, à cause de la petitesse de la barque, pour de la viande & du poisson, ils n'en avoient de provision que par esperance de celuy qu'ils se promettoient des Sauvages de Gaspé, & des molues qu'ils poureoient pescher à la coste, & fur le grand ban. De Pilotes asseuré il ne s'en trouvoit point, & falloit se passer d'un assez peu expérimenté, qu'estoit s'exposer à un eminent danger de mort, & neantmoins encor si en trouva-il à la fin qui aymerent mieux se mettre dans le hasard de perir dans la mer, que de mourir de faim sur la terre, desquels on fit choix de 12, commandez par le sieur Boulé beau frere du sieur de Champlain, qui volontairement s'exposerent à ce danger, & mirent les voiles au vent aussi mal faites, & les cordages, que le reste de l'equipage, par un temps assez beau.
Il se remarque chose admirable, & qui confirme l'opinion de ceux qui tiennent que la goutte ne s'attache ordinairement qu'à ceux qui travaillent peu, font bonne chere, ou qui ont fait des desbauches avec exces (j'ay neantmoins veu le contraire en plusieurs car les gouttes viennent de diverses causes, & non pas tousjours des desbauches & de l'excez) Le sieur du Pont gravé vieillard aagé de plus de 70 ans, ne se porta jamais mieux que pendant cette misere, car auparavant il avoit presque tousjours les gouttes, ou du moins fort souvent. O mon Dieu nous sommes souvent cause de nos maladies, & aimons mieux souffrir des incommoditez, que de nous mortifier des choses qui nous les peuvent causer comme il arrivoit à ce bon vieillard lequel estant jovial de son naturel, s'emportoit quelquefois au gré de ses amis, de boire un bon coup sans eau & puis crioit à l'ayde contre la douleur de ses gouttes, qui furent bien appaisées par la diette que la necessité du pays luy fit prendre, de ne boire point de vin, & ne manger point de pain, ny sel, ny beure, qui sont les principales nourritures de l'homme, avec la viande, ce qui le rendit tellement foible & debile, qu'il eut faict pitié, sinon qu'il ne sentoit point de douleur comme j'ay dit.
Dans cette necessité commune comme un chacun portoit sa croix, qui plus, qui moins grosse, car au regard de quelqu'uns elle estoit assez legere, ou tout devoit estre consideré, car les forces, ny les graces ne sont pas toutes egales en un mesme sujet, j'appelle un mesme sujet toutes les creatures faites à l'Image d'un Dieu, pour ce que l'amour de ce Dieu, à diverses prises chez elles, & y opère diversement quoy que tousjours sainctement. C'est ce qui faisoit croire à quelqu'uns que nos Religieux n'estoient pas dans les souffrances, puis qu'ils restoiemt contens dans les mesmes incommoditez.
Un Sauvage de nos amis nommé Neogabinat desirant assister nos Religieux, & n'ayant pas dequoy, mena le Pere Joseph à la chasse des loups marins, aux Isles qui sont entre Kebec & l'Isle aux Coudres, où ils en prindrent deux si grands qu'ils furent leur charge entière, & puis s'estans pensé perdre d'un coup de vent qui leur donna en traversant la riviere, ils furent contraints de monter sur un rocher avec leur charge, où ils coucherent fort aurement jusques au lendemain matin qu'ils se rendirent au Convent.
Pour revenir à la barque du sieur Boulé, où estoit pour Lieutenant le Commis Desdames, ayant laissé avec les Sauvages ceux qui y choisirenr leur sejour, s'en allèrent le long des costes, chercher quelques Navires de cognoissance, avant de passer outre pour la France, mais s'estans approchez de Gaspé ils rencontrerent fort favorablement le fieur Esmery de Caën chargé de vivres pour l'habitation, & d'ordre pour repasser de leurs gens, la joye qu'ils eurent l'un l'autre de cette rencontre ne fut pas petite, car si ledit de Caën fut consolé entendans que tout se portoit bien à Kebec, à leur débilité prés, les autres furent encores plus resjouys de leur secours, & d'apprendre que le sieur de Razilly estoit en chemin, avec ordre du Roy de venir combatre l'Anglois, & sauver le pays.
Le sieur Boulé estant asseuré d'un prompt secours, se remit sous voille pour en donner advis à l'habitation aprés que ledit de Caën eut fait charger sa barque de vivres, & de munitions, afin que si l'Anglois arrivoit à Kebec avant ledit de Razilly, il y pu avoir dequoy le deffendre, & resister jusques à l'arivée dudit de Razilly.
Mais comme on estoit sur ces entrefaites, quelque Sauvages leur vindrent donner advis de l'arrivée des Anglois dans le grand fleuve où ils avoient desja traité de quantité de castors, ce qui fit diligenter Boulé, pour se rendre au plustost à l'habitation, & ayant avancé assez favorablement, le lendemain matin ils apperçeureut un grand Navire, avec une barque attachée, sans pouvoir cognoistre d'où il estoit, les uns disoient que e'estoit là ce grand vaisseau qui conduisoit la barque des Reverends Peres Jesuites, donc le sieur Emery de Caën leur avoit parlé, & d'autres au contraire soustenoient que c'estoit un Navire Anglois, & ne se trompoient pas.
Le sieur Boulé dans cette incertitude, dit qu'il vouloit sçavoir que c'estoit, & commanda qu'on approchast, mais un peu trop prés, car les Anglois les voyans approcher & se venir brusler comme papillons à la chandelle, leur firent signe avec le chappeau qu'ils approchassent, & seroient les biens venus, mais sans parlee, pour les attirer dans leurs filets, quelques François voyans ces signes se doutèrent incontinent du stratageme, & qu'ils estoient infailliblement Anglais, mais d'autres plus incredules voulurent tellement advancer que pensans aprés prendre la fuite, l'ennemi leur lascha la barque en queue pour les prendre, mais en vain, à cause du vent qui leur estoit contraire, & fallut s'en retourner à leur Navire qui despecha en leur place une double chalouppe avec 20 ou 25 hommes tous frais & gaillards, qui en moins de 3 heures les atteignirent, prirent la barque & les firent tous prisonniers.
Les Anglois furent extremement ayse de ceste prise, & d'apprendre de nos hyvernants, l'estat de Kebec qui leur donna l'esperance de s'en rendre bien-tost les Maistres, ce qu'ils n'eussent pu faire sans l'assistance des Mattelots François de ceste barque, lesquels ils contraignirent de conduire leur Navire à Kebec, autrement le sieur Emery de Caën y eut arrivé le premier, & y estant les autres n'y eussent eu que faire & s'en fussent retournez avec leur courte honte, mais le mal heur voulut que ledit de Caën fut tant contrarié des vents & du mauvais temps que n'estant pas arrivé à temps luy mesme fut pris après Kebec, comme je diray cy après.
Pendant que tout cecy se passoit à Gaspé & és contrées de Tadoussac, ceux de Kebec estoient dans les apprehensions de la venue des Hurons qu'on leur promettoit en bref, non qu'ils ne fussent bien ayse d'avoir leurs castors, mais à raison de 15 ou 20 François qu'ils avoient avec eux, lesquels leur seroient à charge & fort onéreux pour leur peu de vivres. C'est sans doute que l'on ne croyoit pas encor pour lors la venue des Anglois si prés de Kebec, puis qu'ils se soucioient si fort de la venue des François, & qu'on avoit esté dans les termes de contraindre Coliart gendre de la Dame Hebert, de charger dans des chalouppes deux pauvres femmes avec 4 ou 5 petits enfans dont le plus grand n'avoit pas de 8 à 9 ans pour les conduite à plus de six vingts lieuës de costes chercher des Navires pour les repasser en France.
A la fin nos Hurons arriverent avec nos Religieux & tous leurs François, qui furent receus le plus honnestement & courtoisement que l'on peut, & auxquels l'on fist part des biens aussi bien que des miseres de la maison. Le Truchement Olivier traicta des Hurons quelques sacs de bled d'Inde pour le fort & l'habitation, nous en eumes deux à nostre part & les RR. PP. Jesuites, ce qui leur en faisoit besoin pour eux & leurs gens, & puis on n'eust plus que faire de rien traicter, car les Anglois parurent bien-tost après, qui les mirent hors de leurs miseres, pour rentrer en d'autres.
Seconde arrivée des Anglois en Canada & des propositions qu'ils firent au sieur de Champlain pour avoir l'habitation & en chasser les François.
CHAPITRE XII.
UN Jeudy matin 19e jour de Juillet 1629, que l'on croyoit l'ennemy plus esloigné, arriva fortuitement de Tadoussac au logis des RR. PP. Jesuites le fils d'un Sauvage nommé la Nasse autrement Manitoucharche, cabanné proche la maison desdits Peres & leur dit que trois Navires Anglois paroissoient proche l'Isle d'Orléans une lieuë de l'habitation, & qu'il y en avoit encores six autres à Tadoussac, dequoy le sieur de Champlain avoit esté adverty per une autre voye.
Le Père Joseph qui eue aussi le mesme advertissement s'en alla promptement à Kebec avec l'un de ses Religieux, pour sçavoir du sieur de Champlain & des autres Chefs ce qui seroit bon de faire, mais comme ils furent advancez environ la moitié du chemin, ils rencontrerent le R. Pere Brebeuf avec ordre des sieurs de Champlain & Du Pont, que tous se rendissent promptement dans le fort, ce qui fut fait non toutesfois sans quelque contradiction, car personne ne desiroit quitter sa maison & laisser là tout à l'abandon, sans voir de plus grandes preuves.
Et en attendant que les Anglois envoyassent sommer la place tous les soldats & mattelots se disposerent au combat, avec resolution de bien faire, car à ce qu'on disoit, il y avoit encore de la poudre pour tirer jusques à huict ou neuf cens coups de mousquets & seulement deux on trois volées de canon, qui n'estoit pas, veu l'assiete du lieu pour estre pris au premier jour.
Sur le flot, parut une chalouppe ennemie ayant un drappeau blanc, signal de sçavoir s'il y auroit lieu de seureté d'aller treuver les François, les sommer & sçavoir la resolution en laquelle ils estoient. Le sieur de Champlain en fit mettre un autre au fort, qui les fist approcher, car la courtoisie devoit estre réciproque. Estans arrivé un jeune gentil-homme Anglais mit pied à terre & ayant salué le sieur de Champlain luy presenta courtoisement une lettre de la part des freres du General Quer, qui estoient à Tadoussac dont la teneur s'ensuit.
MONSIEUR, en suitte de ce que mon frere vous manda l'année passée, que tost ou tard il auroit Kebec, n'estant secouru, il nous a chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous faisons de la nostre, & sçachant tres bien les necessité extremes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous asseurant toutes sortes de courtoise pour vous & pour les vostres, comme d'une composition honneste, & raisonnable, telle que vous sçauriez desirer, attendant vostre responce nous demeurerons, Monsieur, vos tres-affectionnez serviteurs, Louys & Thomas Quer. Du bord de Flibot ce 19 de Juillet 1629.
Avant l'ouverture de la lettre, le sieur de Champlain envoya prier le Pere Joseph de la Roche de luy servir d'interprete & respondre au gentil-homme arrivé qui entendoit la langue Latine & non point du tout le François, après quoy il fut resolu de faire la responce comme s'ensuit.
MESSlEURS, la vérité est, que les negligences ou contrarietez du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le secours que nous esperions en nos souffrances, & nous ont osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avions faict l'année passée, sans vous donner lieu de faire, reussir vos pretentions, qui ne seront s'il vous plaist maintenant qu'en effectuant les offres que vous nous faictes d'une composition, laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps aprés nous y estre resolus, ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher vos vaisseaux à la portée du canon, n'y entreprendre de mettre pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre affectionné serviteur Champlain, ce dix-neufiesme de Juillet 1629.
Ce gentil-homme ayant ces responces fut interrogé, mais un peu tard, s'il y avoit guerre entre la France & l'Angleterre, à quoy il respondit que non, pourquoy donc dit le sieur de Champlain venez vous nous troubler icy, puisque nos Princes sont en paix. Puis le sieur de Champlain demanda au P. Joseph s'il agreroit d'aller treuver les Capitaines Anglois, pour sçavoir d'eux leur dernière resolution & ce qu'ils avoient envie de faire, ce qu'il accepta fort volontiers, & partit à mesme temps dans une chalouppe, après avoir receu ses ordres de qui il appartenoit.
Estant arrivé au bord des Anglois où il fut receu & traicté avec tout le bon accueil qui se pouvoit desirer, aprés les complimens rendus. Le Capitaine Louys Quer luy demanda qui l'amenoit & qu'elle estoit sa commission, à quoy le Pere respondit que le sieur de Champlain ayant veu la lettre du General son frère, l'avoit envoyé chargé d'un mot de responce qu'il leur presenta, & pour sçavoir d'eux quel desseins ils avoient contre les François qu'ils menaçoient, en un temps de paix entre les deux Roys. L'autre luy répliqua qu'il ne vouloit autre chose d'eux, sinon que le sieur de Champlain luy remist ce jour là mesme le fort, & l'habitation entre les mains, & en ce cas qu'il promettoit de repasser en France tous les François & de leur faire bon traictement, & que s'il ne le vouloit faire d'amitié, il sçavoit bien le moyen de l'y contraindre par force.
Le Père le pria de donner un plus long delay & de ne le précipiter point en une affaire si importante, d'autant que le sieur de Champlain ne pouvoit traicter avec luy sans en avoir premièrement communiqué avec les principaux des François, qui n'estoient pas pour lors dans la maison, & demandoit au moins 15 jour de delay pour les pouvoir advertir & ranger à Kebec, aprés quoy il luy donneroit contentement.
L'Anglois luy repartit: Monsieur je sçay fort bien en quel estat vous estes reduits, vos gens sont allez pour la pluspart dans les bois chercher des racines pour vivre. Nous avons pris Monsieur Boullé que nous gardons à Tadoussac avec de vos gens, qui nous ont asseuré de vostre extrême necessité, parquoy je ne veux pas tant attendre. Le Pere luy répliqua; Monsieur donnez nous au moins huictaine, non dit le Capitaine Thomas Vice-Admiral, je m'en vay presentment faire ruiner l'habitation à coups de canon, & son autre frere Monsieur, je veux aujourd'huy coucher dans le fort, autrement je feray le degast dans le païs. Le Pere leur dit doucement, Messieurs vous vons pourriez bien tromper si vous pensez vous haster de la sorte, d'autant qu'il y a dans ce fort là environ cent hommes tous bien resolus de vendre leur vie, & peut estre y trouverez vous la mort & des disgraces pour des victoires, c'est pourquoy advisez à ce qu'avez à faire, car je vous puis asseurer qu'ils ne manqueront pas de courage, & si-tost que je seray à terre vous en verrez l'expérience, pour ce que gens à qui on veut oster injustement & les biens & la vie, ont le courage & la force double, avec le sang eschauffé qui leur efface & leve toute crainte de la mort, & ne leur laisse aucune apprehension de quelque mal que ce soit, c'est pourquoy je vous dis derechef que leur attaque vous sera dangereuse.
Lors le Capitaine Louys dit au Pere, Monsieur, retirez vous s'il vous plaist jusques sur le tillac, affin que j'advise avec mon conseil à ce que j'ay affaire. Le Pere sortit de la chambre & les Anglois tindrent leur conseil de guerre, à la fin duquel ils l'appellerent & le prierent d'aller rapporter au sieur de Champlain, qu'ils ne pouvoient différer davantage que jusques à ce soir, & que s'il vouloit eviter au sang, qu'il fist luy mesme les Articles de capitulation, & luy envoyast dans trois heures, autrement qu'il ne manqueroit pas de faire les efforts. Pour vous autres Messieurs dit le Capitaine, je vous prie de vous retirer chez vous afin qu'il ne vous advienne aucun desplaisir, car s'il arrive que je l'emporte de force vous ne seriez pas exempts dans le fort du mal-heur commun, ce que vous pouvez eviter estant chez vous, où je vous asseure qu'il ne vous sera faict aucun desplaisir, & pour plus d'asseurance je vous offre un homme pour garder vostre logis, ou un mot d'escrit qui vous servira de sauvegarde.
Le Pere le remercia tres affectueusement, & luy dit que ce seroit faire tort à sa parolle de ne s'y fier pas, puis le Capitaine luy fist voir toutes les munitions & armemens de guerre qu'il avoit dans ses vaisseaux, & le pria de rechef que tous nos Religieux se retirassent dans nostre Convent.
Pour les RR PP. Jesuites qu'ils appelloient par derision Judaistes (nom qui leur doit tourner à gloire, car c'est une espece d'honneur d'estre mesprisé par les meschans) ils dirent qu'ils devoient bien remercier Dieu de ce qu'ils avoient eu le vent contraire ceste nuict là, d'autant qu'il avoit eu ordre de les aller saluer à coups de canon.
Le Pere luy dit, Monsieur il n'est ja besoin de canon pour les avoir, car les pauvres gens ne sont point fermez: Monsieur, luy respondit le Capitaine Louis, je sçay bien quels sont ces gens là, vous les appeliez pauvres, mais ils sont plus riches que vous & avez tort de prendre leur cause; j'espere de faire la visite chez eux & d'y trouver de fors bons castors & non chez vous. Voicy deux habitans de Kebec, parlant de Bailly autresfois Commis, & d'un nommé Pierre Raye Charron de son mestier, qui m'ont amplerment instruit de tout ce que je desirois sçavoir de Kebec puis se separant, le P. Joseph revint à terre rendre à Messieurs Champlain & du Pont de sa légation.
Le sieur de Champlain ayant esté acertené de la resolution des Anglois se retira au fort, où il dressa des articles de capitulation que je n'ay pas jugé necessaire d'inserer icy, ny celles que le sieur Quer luy accorda, sinon que quelqu'unes ont esté trouvées mauvaises & de dure digestion par les soldats & hyvernants, particulièrement celle où il est dit: pour les soldats & autres personnes; il leur sera donné chacun vingt escus, & n'emporteront aucune chose ny armes ny bagages, & neantmoins il y en avoit qui avoient pour plus de 7 à 800 francs de marchandises, particulierement ceux qui estoient revenus des Hurons, c'est ce qui les fachoit fort & firent prier le sieur de Champlain par un nommé le Grec truchement de ne point rendre la place & qu'ils estoient tous délibérez de se battre jusques à la mort, & de faire voir aux Anglois que s'ils estoient diminuez de graisse qu'ils ne l'estoient de force ny de courage par le moyen duquel ils esperoient les chasser & deffaire, car quelle apparence disoient ils d'abandonner ainsi laschement cette place sans coup ferir & laisser aux Anglois toutes nos marchandises & nos armes pour vingt escus, c'est ce que nous ne pouvons pas digerer.
Ils en vindrent mesme jusques aux reproches, disans au sieur de Champlain qu'il ne devoit pas craindre de mourir ou d'estre faict prisonnier, ny de perdre en resistant, les mille livres de recompence & tout son équipage que les Anglois luy promettoient en se rendant, puis qu'il y avoit moyen de resister pour quelque temps en attendant secours qui n'estoit pas peut estre loin.
Ces paroles comme de raison piquerent au vif le sieur de Champlain, qui dit au Grec qu'il estoit un mal advisé & ses compagnons malsages, car comment veux-tu (dit-il) que nous resistions, n'ayans ny vivres, ny munitions, ny aucune apparence de secours, estes vous lassés de vivre ou bien furibonds voulez vous que vostre temerité l'emporte ou que la sagesse aye quelque credit sur vostre esprit, vous croyez le dernier, obeissez donc à ceux, qui désirent vostre bien & ne font rien sans prudence.
Il est vray que l'on estoit tres-mal pourvueu de toutes choses necessaires à l'habitation, mais l'ennemy estoit bien foible aussi, car le Pere Joseph ayant bien consideré tout leur equipage, il n'estoient plus de plus de deux cens soldats & la pluspart mal autrus, coquins, & gens qui n'avoient jamais porté les armes qui se fussent fait tuer comme canars, ou eussent bien-tost pris la fuite, ainsi se le promettaient nos gens.
Le temps mesme se rendoit favorable à leur bonne volonté, car la marée baissoit, il faisoit un grand vent de Surouest, & les ancres chassoient toujours du costé de la France, tellement qu'il ne se trouvoit aucune asseurance ny pour les Navires ny pour les barques.
Nonobstant le sieur de Champlain trouva plus expedient de se rendre sans se battre que de se mettre dans le hazard de perdre la vie ou d'estre fait prisonnier en deffendant une meschante place: il envoya donc dire aux Anglois qu'ils se donnaient la patience jusques au lendemain matin qu'il les iroit trouver, à condition qu'ils ne feroient aucune descente de nuict.
De la prise de Kebec par les Anglois. Du retour de nos Freres, des RR. PP. Jesuites & de tous les hyvernans en France & de deux filles Canadiennes qu'on ne voulut embarquer.
CHAPITRE XIII.
LE matin venu qui estoit le Vendredy 20 de Juillet environ les neuf heures le sieur de Champlain alla dans le petit Navire des Anglois, où le Capitaine Louys luy fist voir la commission qu'il avoit du Roy d'Angleterre de s'emparer du païs, puis les articles de la capitulation ayant este signés de part & d'autre, ils mirent pied à terre avec une partie de la flotte, qui furent conduits par ledit Champlain dans l'habitation, de laquelle il les mist en possession & de là les mena au fort qu'il leur rendit de mesme.
Le Pere Joseph le Caron superieur de nostre maison, ayant sçeu la reddition de Kebec envoya promptement un de ses Religieux au fort supplier le Capitaine Louys de leur donner un soldat pour la garde de nostres logis comme il avoit promis, à quoy obtemperant il leur en donna un & au R. P. Brebeuf deux ou trois pour leur maison, qui furent suivis de leur Capitaine dés le lendemain avec quantité de ses soldats, qui firent une raffle chez ces pauvres Peres de ce qu'ils trouverent de meilleur & propre à butiner, ils vindrent enfin chez nous où le Capitaine receut la collation des vivres qu'il y avoit envoyé de son bord, & il sçavoit bien que nous estions Religieux fort pauvres & qu'il cherchoit des Castors ou autres richesses chez nous, c'estoit perdre temps aussi ne s'en mist il pas en peine, & nous traita en tout assez honnorablement fors un Calice d'argent doré qui nous fust desrobé: mais on n'a jamais sceu par qui, car si le Capitaine Louys l'eut descouvert, il l'eut fait infailliblement prendre à ce qu'il nous protesta, c'est ce qui nous en fist négliger la recherche, & de nous plaindre de quoy que ce soit sinon de voir les pauvres Sauvages abandonnez, car le seul interest des freres mineurs doit estre celuy de Dieu, & non à la terre.
Tous les vaisseaux estans deschargez ils se resolurent de faire partir le Samedy prochain, l'une des barques chargée des Castors du magazin, & le lendemain un autre petit pour emmener quelques François, & advertir le General de ce qui s'estoit passé à la prise de Kebec.
Le Dimanche matin les Anglois poserent les armes d'Angleterre, à l'habitation & au fort, avec le plus de solemnité qui leur fut possible, ayans au préalable osté celles de France. Apres midy le sieur de Champlain, les RR. PP. Jesuites, & tous les François de Kebec furent commandez de s'embarquer pour Tadoussac dans les trois vaisseaux excepté le sieur du Pont, lequel pour son indisposition on lassa avec deux ou trois de ses serviteurs pour le vaisseau qui nous embarqueroit, qui ne fut que six ou sept sepmaines après.
Le vent ayant esté contraire, nos Anglois avancerent fort peu ce jour-là, mais de malheur pour le sieur Emery de Caën, ils rencontrerent deux François qu'il envoyoit descouvrir ce qui se passoit à Kebec, lesquels interrogez par le Capitaine Louys, & sceu comme le sieur Emery de Caën estoit au delà du cap de tourmente n'ayant pu advancer d'avantage à cause des infortunes & disgraces qui l'avoient pensé submerger en chemin, sans lesquelles il eut esté à Kebec premier, que les Anglois, & par ce moyen eut sauvé le pays. Envoya promptement une chalouppe à son frère le Capitaine Thomas pour observer ledit de Caën qu'il chercha, mais en vain jusques à ce que de Caën ayant esté acertené de la prise de Kebec par les descouvertures qu'il fit des pataches & du navire du Capitaine Thomas qui le cherchoit. Il alla effrontement combattre le dit Thomas, avec quarante hommes seulement, & quatre pieces de Canon, & le contraignit de quitter le Tillac, mais comme il estoit prest de l'aborder on dit que les huguenots de son équipage ne voulurent jamais aller contre leurs freres, & poserent les armes bas, ce que voyans les Anglois heureux de ceste lascheté, ils les sommerent de se rendre par le moyen du sieur de Champlain, qu'ils firent monter sur le Tillac avec tous les autres François, qu'il detenoit dans son bord; mais qui ne peut esmouvoir ledit de Caën qui tascha de se saisir de l'un des trois vaisseaux, par le moyen de ses Catholiques pour se deffendre contre les deux autres qui approchoient sans lesquels le vaisseau attaqué par son courage estoit indubitablement pris, ce qui ne luy reussit pas & fallut à la fin se rendre, mais avec une composition honneste & assez malheureuse, car si ledit de Caën eut remporté la victoire, il eut facilement repris Kebec, & le fort ou le Capitaine Louys faisoit travailler incessamment pour s'asseurer tout le pays, mais il y avoit si peu de vivres pour son grand monde, & si peu d'esperance d'en pouvoir recouvrer d'aileurs à cause que les grands vaisseaux n'eussent sceu monter de Tadoussac à leur secourir qu'ils estoient pour se rendre bien tost, de victorieux vaincus.
Or je ne puis taire en passant qu'après que ledit Caën eut esté conduit à Tadoussac, les huguenots de son bord qui avoient posez les armes lors qu'il estoit question de mener les mains contre leurs frères, furent plus mal traictez des Anglois mesmes, que les Catholiques qui s'estoient monstrez fidels à leur chef & Capitaine, tant est odieuse à Dieu, & au monde la desloyauté qui fit surnommer du nom de traitres ces François mal affectionnez.
Pendant que le combat se donnoit entre le sieur de Caën & l'Anglois, le Capitaine Louys estoit fort en peine à Kebec de l'issue de ce combat, & nous visitois fort souvent avec tout plein d'honneste complection que nous luy rendions à point nommé, mais c'estoit avec un visage assez triste de voir les pauvres Catholiques ainsi miserablernent dechassez, & les Sauvages abandonnez, car on n'avoit plus d'esperance qu'au sieur de Rasilly qui ne paroissoit point.
Quinze jours après la prise de Kebec, le General Quer fut visiter nostre Convent, où il fist la collation, & protesta à nos Religieux (esmeu peut-estre du bon récit que les François & Sauvages luy avoient fait d'eux) que si le Conseil d'Angleterre n'en eut autrement ordonné, il les eut laissé dans le pays pour suivre la conversion des Sauvages, & qu'il approuvoit fort la Regle de S. François, qui ne thesaurise point en la terre, que demeurassions dans nostre Convent, tant qu'il faudrait necessairement partir, & qu'aucun ne nous ferait de desplaisir qui vint à sa cognoissance sans un exemplaire chastiment dequoy nos Religieux le remercierent.
De plus il leur accorda de dire la saincte Messe tous les jours dans nostre Chapelle, & n'ayant point de vin le Capitaine Louys son frère ne voulut point qu'on en usast d'autre que du sien qu'il nous envoyoit fort librement & nous visitoit aussi souvent estant bien ayse qu'on luy rendit la pareille, dont je peux inferer qu'il n'estoit pas mauvais huguenot, il y eut mesme quelques Anglois qui assistèrent à la saincte Messe, mais en cachette, car un sauta nos rampars peur d'estre surpris & descouvert Catholique.
Le 9e jour de Septembre 1629, toutes les despeches des Anglois, estans expediées ils firent partir le petit navire pour la dernière fois dans lequel s'embarqua le sieur du Pont, le reste des François, & tous nos pauvres Religieux qui se rendirent à Tadoussac, où ils trouverent le sieur de Champlain, & les RR. PP. Jesuites en bonne disposition à leur disgrace pres, & le juste mescontentement dudit de Champlain de ce que les Anglois, contre leur promesse & le traicté signé, n'avoient jamais voulu embarquer pour France deux filles Sauvages qu'il avoit nourrie & fait instruire depuis deux ans sous esperance de les y faire conduire, car la troisiesme qu'il avoit nommée la foy s'en estoit retournée parmy ceux de nation.
Nos Religieux eussent bien desiré avoir du crédit assez pour donner lieu au bon dessein du sieur de Champlain, mais leur pouvoir ne portoit pas si haut. Il falloit calmer ou prieres ne servoient de rien & attendu que le pays fut rendu aux François, ce que nos Religieux esperoient tellement, & d'y retourner dans quelques temps qu'ils se contenterent de passer seulement deux coffres, & de cacher le reste de leur usencilles & emmeublement en divers endroits sous la terre & emmy les bois, le surplus de nos ornemens fut serré dans une saisse de cuir en un lieu à part fort decemment, dont en voicy la liste.
Un Calice d'argent doré se demontant en trois pieces avec son estuit, un chasuble de taffetas de la Chine, deux aubes, 4 amis. Quelques ceintures: les coussins, le devant d'Autel de camelot vert, deux burettes d'estain, 4 serviettes, le fer à faire les Osties avec les outils pour les couper. Il y a aussi un corporalier avec deux corporaux, un voyle de tafetas, & deux nappes d'Autel. De plus la cloche de quoy on se sert à l'habitation est de nostre Convent de Paris. Desquels ornemens Messieurs de la Société à present remis en possession du Canada se servent, à l'habitation pour la saincte Messe, ayans promis de nous en faire rendre d'autres en leur place, car ils sont des aumosnes des pauvres mandiées par de nos Religieux, dont leurs Majestez y ont contribué, Monsieur & Madame de Pizieux & autres.
Les RR. PP. Jesuites y firent anssi des pertes notables, & beaucoup d'autres particuliers excepté le sieur de Champlain qui eut la pluspart de son bagage conservé duquel neantmoins il faisoit moins d'estat que de ces deux pauvres filles pour lesquelles il promettoit aux Anglois de leur rendre une promesse de mille livres qu'ils luy devoient faire donner en Angleterre à la charge de luy laisser conduire ces deux pauvres Sauvagesses en France, comme elles le desiroient avec passion, mais il n'y eut pas moyen d'obtenir cela d'eux, car quelques desloyaux François l'empescherent disans qu'il n'estoit pas expedient, & qu'on seroit mieux de les retenir à Kebec, ce que tous les gens de bien trouverent fort mauvais, je ne veux pas juger qu'ils eussent l'intention mauvaise, mais tousjours peut-on dire qu'ils empescherent un fort grand bien.
Cependant les pauvres filles ne faisoient que pleurer & ne vouloient, ny boire, ny manger de regret qu'elles voyent de ne faire un si heureux voyage. Elles attaquerent une fois un certain François revolté, & luy dirent assez brusquemcent c'est toy meschant qui avec cet autre desloyal François empeschez que n'allions en France avec Monsieur de Champlain qui nous a servy de pere depuis un si long-temps, nous voulons estre baptisées & vivre parmy les Chrestiens, & vous serez cause de nous en faire perdre l'occasion. Tu pense jouyr de nous, mais sçache que si tu m'en parle plus desormais que je te donneray d'un cousteau dans le ventre, & ne mourras que de mes mains, elles luy firent tout plein d'autres reproches, & l'asseurerent qu'il se trompoit bien fort, & tous les autres meschans comme luy, de penser qu'elles deussent demeurer à Kebec, & qu'elles vouloient s'en retourner avec ceux de leur nation ausquels elles feroient leurs plaintes, dequoy ce François revolté resta tout honteux, & ne sçavoit que respondre sinon qu'elles estoient folles.
Le sieur de Champlain les recommanda à Guillaume Coliart gendre de la Dame Hébert, afin qu'il en prist le soin, & les gouvernast comme ses filles propres, ce qu'il promist faire & l'effectua car il estoit très-honneste homme & craignant Dieu, & avoit esté conseillé par nos Religieux de ne point quitter sa maison de Kebec, puis que les Anglois luy faisoient un party advantageux, & qu'il y avoit esperance que les François y retourneroient bien-tost, le Roy n'estant pas pour en souffrir l'affront qu'il falloit dissimuler pour un temps, & non pour une éternité comme l'expérience à fait voir du depuis à nostre contentement.
Les filles estant parties avec ledit Coliart, & quelques Anglois dans la premiere barque qu'il mist sous voile pour Kebec. Le 14e jour de Septembre, nos gens leverent aussi l'ancre pour Angleterre & chercherent en vain le sieur de Rasilly pour le combatre qui ne se trouva point, mais je voy pour moy qu'ils n'avoient pas envie de le rencontrer, n'y de risquer en un combat douteux ce qu'ils avoient gaigné sur les François, & pour ce reprirent leur route, non sans quelques disgraces ordinaires à la mer, les grands vents, les orages & la mauvajse nourriture.
Le 18 Octobre, ils arriverent au port de Plemus auquel ils sejournerent cinq ou six jours, de là nos Religieux furent conduits avec quelques François à Londres, où ils en mirent quelques uns à terre, & nos Religieux dans de meschans bachots jusques à Douvre, & de là à Calais où ils arriverent avec la grâce de nostre Seigneur le Lundy 19e jour d'Octobre 1629, environ les dix heures du matin, puis de leur pieds en nostre Convent de Paris, où ils rendirent graces à Dieu qui avoit pris soin de leur conservation, auquel soit honneur, gloire & louange au siecle des siecles. Amen.
Fin du 4ieme & dernier Livre de ce
present Volume.
DECRETUM SAC.
Congregationis de Prop. Fid.
habitae die XXVIII. Februarii
M. DC. XXXV.
[Large R]REf erente Eminentissimo Mentio, Sacra Congregatio censuit, missionem Recollectorum Provincia Parisiensis ad Canadam Amerca Septentrionalis sub foel. rec. Pauli V. snstitutam confirmandam esse & ut de caetero illa melius dirigatur, sopiosioremque referat fructumt in primis censuit, eiusdem missionis praefectum constituendum, & deputandum esse Provincialem pro tempore protemtorum Recollectorum cum facultate instituendi Vicarium, seu Vicepraefectum dictae missionis, cui in dicta Canada Provincia resideat, & missionarios ad eiusdem Canadae populationes tum antea, tum super repertas, ac in futurum reperiendas, ubi tamen non sunt aliae missiones, dirigat, eorumque curam habeat, ac in disciplina regulari contineat. Secundo, missionem propteream augenâam esse alius viginti religioses eiusdem Ordmis ab eodem Provinciali, eiusque Diffinitorio cum seitu, consensuque Nunty Galliarum approbandis, ac prout opus fuerit, unica, vel pluribus vicibus ad praefatam Provinciam mittendis. Tertio, eidem Provinciali pro temporr, uti praedictae missionis Profecto, concedenda esse ad decennium facultates, quae missionaris indiarum concedi consueverunt, cum potestate illas in tetum, vel in parte communicandi dicto Vicario seu Vicepraefecto, ac missionarus uteribus, & nouis, easque toties quoties opus fuerit, suspendendi, ac revocandi, prout missionis necessitas exegerit. Quarto, iniungendum esse eidem Provinciali, ut singulis annis à Vicepraefecto relationem progressuum paradictae missionis exquirat ad Eminentissi. huius Sacra Congregationis Praefectum transmittendam. Quinto & postremo jussit pro praedictarum facultatum expeditione adiri sanctum Officium.
DECRET DE LA SACREE
Congregation de la propagation de la
foy donné le 28 Fevrier de
l'année 1635.
AU rapport de Monseigneur l'Eminentissime Cardinal Monty, la sacrée Congregation a ordonné que la mission des PP. Recollets de la Province de Paris, pour aller en l'Amerique Septentrional, dicte communement Canada, & establie sous les auspices d'heureuse memoire Paul V devoit estre confirmée, & afin que d'oresnavant elle soit mieux conduite & qu'elle apporte un plus grand fruict, en premier lieu elle a trouvé à propos que le P. Provincial des susdits Recollets durant son temps fut estably & constitué Prefet de ladite mission avec tout pouvoir de s'establir un Vicaire ou Vice-prefet, lequel sera obligé de resider audit pays, & aura tout pouvoir sur tous les missionnaires qui seront audit pays de Canada descouvert dez long-temps ou bien depuis peu, ou bien qui se descouvrira à l'advenir pourveu toutefois qu'ils n'ayent point d'autre mission, & aura soin d'eux & fera en sorte qu'ils se maintiennent en la discipline reguliere. En 2 lieu elle veut qu'avec le sceu & consentement du non resident en France ledit Pere Provincial, & son definitoire augmentent la susdite mission de vingt Religieux, lesquels ils pourront envoyer tous à la fois ou bien à diverses fois comme ils trouveront durant son temps à propos. En 3. lieu elle concede audit Provincial prefet de la fusmentionnée mission pour l'espace de 10 ans, les mesmes Privileges qui sont concedés aux missionnaires des Indes avec tout pouvoir d'en faire participant son Vicaire ou Vice-prefet, & les missionnaires mesmes tant de la vieille que de la nouvelle mission en tout ou en partie, toute & quante fois que bon luy semblera, & les en pourra aussi suspendre & priver mesme tout à fait ainsi que la necessité de le mission le requerera. En 4. lieu elle enjoint au mesme Provincial qu'il aye à tirer tous les ans de son Vice-prefet la relation du progrez de la mission, laquelle il envoyra à l'eminentissime Prefet de cette sacrée Congregation: en dernier lieu elle commande que pour l'exécution des susdictes facilitez on ait recours à la saincte inquisition.
ANTOINE BARBERIN, Cardinal
& Préfet.
Lieu du sceau.
FRANÇOIS INGOLUS, Secretaire.
FACULTATES CONCESSAE
à sanctissimo D. N. D.
Urbano divina Providentia
Papa Octavo Provincial, pro
tempore Parisiorum praefecto
missionis ordinis Recollectorum
ad Provinciam Canadae
Americae Septentrionalis.
1. Administrandi omnia Sacramenta etiam Parrochialia exceptis confirmatione, & ordine.
2. Absolvendi ab haer si, & schismate indes etiam Relapsos.
3. Absolvendi in foro conscientiae à casi us reservatis per quascumque constitutiones Apostolicus, & in spegie per bullam in coena Domini injunctis iniungendis.
4. Dispensandi in tertio, & quarto simplici, & mixto consangrinitatis, vel assinitatis in matrimoniis contractis, nec non dispensandi cum gentilibus & infidelibus pures exchores habentibus, & posteorum conversionem, & baptissaeunt quam ex illis maverent retinere posunt, n. si prima volverit converti.
5. Declarandi prolem legitimam in praefatis matrimonys de praeterito contractis suscoptam.
6. Dispensandi in quaecumque irregularitate ex delicto occulto, praeterquam ex homicidio voluntario contracta, & relaxandi suspensiones quascunque à Religiosis saecularibus, vel Regularibus praeterquam ab homine impositas, & injunctis iniungendis.
7. Consultandi vota simplicia exceptis votis caestitatis, & Religionis.
8. Relaxandi juramenta ob justas causas.
9. Administrandi facramenta fine ceremonys solitis, non tamen necessarys.
10. Utendi elege, & Chrismate reteribus, quando nova de facili haberi non possunt.
11. Benedicendi parmenta, Capellas, & caterae quae ad cnltum divinum spectans ubi non adhibetur sacra unctio.
12. Celebrandi missas quocumque loco decenti etiam suodie, & sub terra ante lucem & hyeme una hora post merigiem in altari portabili sine, obligatione inquirendi an sit fractum, aut cum reliquys, vel sine quod te alys altaribus intelligatur, bis in die ubi neccsstas expopostulanerit juxta sacros Canones coram haereticis, infidelibus, & excommunicatis dammedo minister non en haereticus, & in casu necessitatis.
13. Deponendi habitum, & pecuniae usm habendi ubi necessitas postulaverit.
14. Recitandi rosarium beata Maria Virginis loco officy quando breviarinm non habuerit, vel non potuerit eo uti propter periculum vitae.
15. Concedendi indulgentiam quadraginta dierum in festis de praecepto, & prima Classis, & plenariam in diebus Nativitatis Domini, & Assumptionis beata Maria Virignis, & semel facientibus consessionem generalem uorum peccatorum, & semper in mortis arculo.
16. Communicandi has facultattes in toto vel in parte vicario se vicepaefecto, ac alys missionarys eiusdem ordinis ad Canadam America Septentrionalis Provinciam transmissis, & ab eodem Provinciali eiusque defîmtorio, cum scitu, & consensu Nuty Galliarum approbante transmittendis & concessas revocandi toties quoties opus fuerit.
17. Concedendi facultatem Vicario, sine Vice-praefecto dictà missionis in Canada residenti tantum consecrandi calices, patenas, & altaria portatilia oleo tamen ab Episcopo benedicto: utendi supradictis facultatibus in dicta Provincia Canada Americae Septentrionalis, & alus locis circumvicinis tantum.
Feria quinta die 29. Marty, 1635. In generali Congregatione sancti Officy habitu in palatio Apostolico apud sanctum Petrum sanctissimus D.N. D. Urbanus divina Providentia Papa Octavus concessu supradictas facultates supradicto Provinciali Parisorum pro tempore Recollectorum ad Decennium proxime futurum.
FRANCISCUS CARDINALIS
BARBERINUS.
Locus sigilli.
JOANNES ANTONIUS THOMAS, sanctae
Romanae, & universalis inquisitionis
Notarius.
Registratum folio 176.
PERMISSION ACCORDEE
par nostre S. Pere le Pape Urbain huictiesme,
au Provincial des Recollets de
Paris Prefet de la Mission de Canada en
l'Amerique Septentrionale.
D'Administrer tous les Sacremens, mesme Parochiaux, excepté la Confirmation & l'ordre.
D'absoudre in foro conscientiae, de tous cas reservez en toutes les constitutions Apostoliques, quelles qu'elles soient, & en special par la Bulle in coena Domini, enjoint toujours ce qu'il faut enjoindre.
D'absoudre de l'heresie & du schisme les Indiens mesmes relaps.
De dispenser au 3. ou 4. degré simple ou mixte de consanguinité ou affinité és mariages & de dispenser avec les Payens ou infidelles, ayans plusieurs femmes, qu'aprés leur conversion & le baptesme receu, il puissent retenir celle qu'ils aymeront le mieux, si d'advanture la première ne se veut pas convertir.
De déclarer légitimes les enfans qu'ils auront eu és susdits mariages par icy devant contractez.
Dispenser de toute irrégularité encourue par delit occulte excepté de celle qu'on contracte par l'homicide volontaire & remettre toutes sortes de suspensions imposées par Religieux seculiers on réguliers. Excepte celles à l'homme enjoint tousjours ce qu'il faut enjoindre.
De commuer les voeux simples hors mis de la chasteté & Religion.
Remettre les sermens pour justes causes.
Administrer les Sacremens sans les ceremonies ordinaires mais non necessaires.
User des huiles & chresmes anciens quand on n'en pourra avoir aysement de nouvelles.
Benire parements, Chapelles, & autres choses, qui regardent le culte divin, où il ne faut point user d'Oction sacrée.
Célébrer les Messes en tout lieu honneste & décent mesme descouvert & soubs terre avant jour, & l'hyver à une heure après midy, sur un Autel portatif, sans estre obligé à prendre garde s'il est rompu, avec ou sans reliques, ce qu'on doit entendre des autres Autels, célébrer encor deux fois par jour, quand la necessité le requerra selon les sacrés Canons devant les Heretiques infidelles & excommuniez pourveu que le Ministre ne soit pas heretique, & en cas de necessité quitter l'habit & se servir d'argent.
Réciter le Rosaire de la Vierge Marie, au lieu de l'office quand on ne pourra avoir de Breviaire où s'en servir sans danger de la vie.
Accorder l'indulgence des 40 jours és festes de Commandement, & première classe, & pleniere és jours de la Nativité de nostre Seigneur & Assomption de la Vierge, & à ceux qui feront une fois une confession generale de leurs pechez, & tousjours à l'article de la mort.
Communiquer ces mesmes permissions en tout ou en partie au Vicaire ou Vice-préfet, & autres missionnaires du mesme Ordre qui seront anvoyez en Canada, Province dans l'Amérique Septentrionale par le susdit Provincial & en diffinitoire avec le sceu & consentement du Nonce de France, & de les revoquer les ayant concedées toutes & quantes fois que besoin sera.
Donner permission au Vicaire & Vice-prefect de ladite mission en Canada, y residant seulement de consacrer Calices, pateines & Autels portatifs, toutefois avec huile benite par un Evesque.
D'user seulement desdictes permissions en la Province de Canada en l'Amerique Septentrionale & autres lieux voisins d'icelles.
Le Jeudy vingt-neuf Mars 1635.
En la Congregation generale du sainct Office tenue au Palais Apostolique à sainct Pierre.
Nostre S. Pere le Pape Urbain huictiesme a concedé les susdites permissions au Provincial qui sera des Recollets de la Province de Paris, pour le terme de dix ans.
François Cardinal Barberin.
La place du sceau.
JO. ANTOINE THOMARIUS. Notaire
de la saincte Eglise Romaine, &
de l'inquisition universelle.
Enregistrée. Fueillet 176.