Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
Suitte de nostre voyage aux Hurons. De la nation des Ebicerinys.. De celle de bois & des cheveux relevez. Comme ils chantent les malades, & de la maniere que les femmes se gouvernent ayant leur mois.
CHAPITRE VII
Nous passames par plusieurs nations Sauvages, mais nous y arrestames assez peu à chacune, aux unes une nuict, & aux autres quelques heures seulement, pour tousjours advancer chemin, sinon aux Ebicerinys & Sorciers, où nous sejournames deux jours entiers, tant pour nous reposer de la fatigue du chemin, ue pour traicter avec eux de la marchandise de nos Hurons, pour de leurs pelleteries.
La rencontre que nous fismes icy du P. Nicolas, pour estre la première depuis nostre partement de Kebec, nous obligea puissamment de nous entrecaresser & nous resjouir en nostre Seigneur de ceste heureuse entreveuë, laquelle fut suivie d'un festin que ce bon Pere ordonna à la façon du païs, qui me sembla excellent au de là de toute la bonne chere, que j'ay jamais faict en nostre Europe, mais pour ce que la merveille ne s'est pas portée jusque à dans un tel excés, que je doive apprehender de le dire; figurez vous quels pouvoient estre les mets de ce festin, un peu de poisson blanc, avec des citrouilles du païs, le tout cuit ensemblement en de l'eau pure, sans autre sausse que du bon appétit, qui ne pouvoit manquer à un homme, qui avoit tres-mal souppé & encor plus mal couché, mouillé dessus & dessous d'un grand orage, qui nous avoit duré toute la nuict. Pour de la boisson il ne s'en parle point, que de la belle eau claire du Lac, qui estoit là devant nostre cabane, non plus que de linge, de pain & de sel qui ne leur sont point en usage, ny beaucoup d'autres choses que nostre Europe nous fournit abondamment.
Les François appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pour ce que c'est une nation, qui faict particulière profession de consulter le diable en leur necessité. Lors qu'ils le veulent communiquer & apprendre quelque chose de luy, c'est ordinairement dans une petite tour d'écorces, qu'ils dressent à l'escart dans les bois, ou au beau milieu de leurs cabanes, & là estans enfermez, ils invoquent leur demon & reçoivent ses oracles plus souvent faux que vrays. Il y en a beaucoup qui feignent luy parler, & avoir sa communication, pour estre estimez Pirotois & Magiciens, qui ne luy parlent pas pour tout, & ne predisent que bourdes & mensonges, car le diable, pour se faire plus estimer, se faict rechercher & ne se familiarise point à tous.
Ces Sorciers sont fort coustumiers de donner des sorts, & causer de certaines maladies, à ceux contre lesquels ils ont quelque hayne, qui ne se peuvent guerir que par d'autres sorts & remedes extraordinaires, dont il y en a du corps desquels, ils font sortir des grands serpens & des longs boyaux, & quelquefois seulement à demy, puis rentrent, qui sont toutes choses diaboliques & inventées par art magique, à cela prés & excepté la communication qu'ils ont avec les demons, je les trouvois assez bonnes gens, fort humains & courtois en leur conversation, & d'un esprit capable de quelque chose de bon, s'ils estoient cultivez & instruicts en la loy de Dieu.
Pour leurs habits & leur chevelure, ils les portent à la mode des Algoumequins courans, mais je me suis fort estonné de voir des hommes entr'eux, porter en teste un petit capuce rond, comme celuy d'un Chanoine, faict de petites lanières de fourrures, larges d'un travers de doigts, proprement assemblez & cousus jusques au bas du col, puis esparpillées à l'entour des espaules, qui leur battoient environ un pied de long en guise d'un petit camail: je ne sçay qui leur en a donné l'invention, ny sur quel modelle ils les ont pris, car avant nostre arrivée aux Hurons, ils en portoient desja & puis les nostres sont plus profonds & quarrez, tant y a qu'ils estoient fort bien faicts.
Avec ce petit capuce qui ne leur sert qu'en hyver & pour de longs voyages, quelques-uns s'accommodent encores de certaines manches de castors qui leur prennent par derrière les espaules attachez d'une petite cordelette, & des bas de chausses attachez à leur ceinture qui leur servent contre le grand froid du Nord qui est tel qu'on n'en pourroit supporter les atteintes sans ses deffences desquelles ils se servent quand ils y voyagent.
Quelques uns portent des bonnets de chanvre & d'escorce du bois aussi fort bien tissus ou ils façonnent deux manières de cornes au dessus qu'ils croyent leur donner bonne grâce: car plus les choses sont desguisées plus ils les estiment riches & belles, c'est ce qui a donné suject à nos Marchands François de bigarer les capots qu'ils leur traictent de diverses couleurs de houlpe & de faulx passemens.
On dit que les Arrabes ont quelque chose d'approchans de nos Sorciers tant en leur vie que en leurs vestemens, en leur vie en ce qu'ils sont presque tous errants, & en leurs vestemens en ce qu'ils n'ont presque aucune conformité & s'accommodent chacun selon que la pauvreté leur permet, l'un est tout nud & l'autre un peu couvert. Quelques Arrabes portent des Turbans, quelques autres des capuces qui les fait sembler des masques tant ils sont mal faits & grotesquement accommodez.
Il y a une certaine Nation entre eux lesquels on appelle Arrabes à la barrette, non qu'ils en portent tous, mais le chef seulement. Ce nom leur est venu de ce qu'un de nos Religieux ayant par megarde perdu sa calotte vers le fleuve Jourdain, un Arrabe l'ayant ramassée la porta à son Capitaine disant qu'elle venoit d'un franc (ils appellent indifferement franc, toutes les nations Chrestiennes; François, Espagnols, Italiens & autres qui ne sont point nays sujets & esclaves du grand Turc.) Ce Capitaine fit estat de cette calotte & s'en servit une année entiere après quoy il la rendit au Gardien de nostre Convent de Jerusalem, mais à la charge de luy en rendre une neuve, & tous les ans retourne porter la barette pour en ravoir une autre, laquelle coustume a tellement prevalu qu'on n'oseroit luy avoir refusé, le bonheur est qu'il n'y a que le Chef à contenter, car ceux de sa troupe portent de hauts bonnets pointus ou piramidales & non ronds & cornus comme ceux de nos Bisseriniens.
Dans ce village des Ebicerinys, je perdis tous les mémoires que j'avois dressés, des païs & chemins que j'avois observés depuis nostre embarquement de Dieppe, & ne m'en apperceus qu'à la rencontre de deux Canots Sauvages, de la nation de bois, nation fort esloignée & avant dans les terres vers la mer du Su, à mon advis, ils sont dépendans des cheveux relevez & comme une mesme nation, aussi sont ils nuds entre les hommes, comme l'enfant sortant du ventre de sa mere, dequoy mes Hurons sembloient avoir horreur, bien qu'ils ne fussent gueres plus honnestes eux mesmes, car dans nostre Canot ils ne faisoient non plus difficulté de se tenir nuds, & pour chose que je leur en die, ils me respondoient, que c'estoit pour leur commodité, & pour n'estre embarassés de rien en nageant non pas mesme de leur brayer.
Ces gens de bois, avoient à leur col de petites fraizes de plumes blanches, & leurs cheveux accommodez de mesme parure. Leur visage estoit peint par tout de diverses couleurs en huyle fort joliement, les uns l'avoient d'un costé tout vert & de l'autre rouge, autres sembloient avoir tout le visage couvert de passemens naturels parfaictement bien faicts, & autres tout autrement, car chacun a liberté de s'accommoder comme il veut, & de suivre la mode aussi folle & de moindre coutange que celle d'icy. Mes Hurons se fardoient aussi le jour, qu'ils devoient arriver en quelque nation, mais ils y estoient un peu grossiers, & n'avoient pas ceste gentillesse ny l'invention de plusieurs petites jolivetez, qu'avoient ces gens de bois.
Le lendemain aprés midy nous trouvasmes un village d'Algoumequins, auquel nous reposames environ trois heures, pendant lequel temps, il se fist une chanterie de malade dans une cabane, avec tant de bruit de la voix, du son des tortues & du frappement de certains battons, que je ne sçavois qu'en juger, car j'estois encore nouveau dans le païs. A la fin je fus curieux de m'approcher & voir par la fente de la cabane que ce pouvoit estre, là où je vis (ainsi que j'ay veu du depuis par plusieurs fois aux Hurons, pour semblables occasions) dix ou douze hommes, my partis en deux bandes, assis contre terre & arrangez des deux costez de la cabane & devant chacune bande estoit une longue perche, platte, large de trois ou quatre doigts, couchée de long sur la terre à leurs pieds sur lesquelles il frappoient continuellement avec chacun un baston en main, à la cadence du son des tortues & des chansons, qu'ils entonnoient & poursuivoient alternativement, d'un ton le plus haut qu'ils pouvoient, pensans par là, d'autant plustost obtenir ce qu'ils desiroient, que plus ils feroient de bruit.
Loki ou Medecin estoit au haut-bout avec sa grande tortue en main, qui battoit la mesure, & commencoit les chansons que les autres poursuivoient à pleine teste, mais avec tant d'ardeur qu'il sembloit qu'ils deussent s'esgorger, suoient de peine & estouffoient de chaleur. Pendant ce sabbat, cette harmonie de démons, deux femmes tenoient un petit garçon, pleurant couché tout nud le ventre en haut sur la terre, vis à vis de Loki, lequel de temps en temps, à quatre pattes s'approchoit de l'enfant avec des cris & hurlemens comme d'un furieux taureau, puis le souffloit au ventre, & après estant retourné à sa place, recommençoient leur tintamarre & charivari, qui finit par un festin, qui se disposoit pendant la ceremonie au bout de le cabane: de sçavoir que devint l'enfant, & s'il fut guery ou non, s'y on y adjousta encore quelque autre façon de faire, je n'en ay rien sçeu du depuis, pour ce qu'il nous fallut partir incontinent après avoir repeu, traicté & un peu reposé.
De cette nation, nous allâmes cabaner en un village d'Andatahouats, que nous disons, Cheveux du poil levé, qui s'estoient venus camper proche la mer douce, à dessein de traicter avec les Hurons & autres qui retournoient de la traicte de Kebec, & fusmes deux jours à negocier avec eux, pendant lesquels je fus visiter la plupart de leurs cabanes, pour apprendre leur façon de faire, & qu'elle estoit leur humeur, mais je les trouvay un peu trop serieux, & assez peu courtois, comme gens qui ne demandoient qu'à bien vendre & d'acheter à bon prix.
Ils avoient leurs cheveux parfaictement bien relevez, peignez & agencez sur le front, plus droits que ne souloient autrefois porter nos Courtisans, cela leur donnoit assez bonne grace avec le reste de leur Matachias, mais la nudité entiere de leurs corps, de laquelle ils n'ont ny honte ny vergongne, m'estoit d'un grand desplaisir, qui m'empéchoit de les voir librement. Neantmoins ils ont telle habitude à cela, que les femmes & filles traictent & demeurent parmy eux, avec la mesme liberté que s'ils estoient vestus, sans que l'on puisse appercevoir, que cela fasse de mauvais effets en elles.
Je vis la mesme nuict une quantité de Sauvages pescher l'anguille à la clarté du feu, en un coin du grand Lac duquel ils tiroient à chaque coup un de ces longs poissons, qui emplirent à la fin leur Canot, c'estoit une façon de pescher que je n'avois encore point veuë, & laquelle neantmoins est fort pratiquée par nos Montagnais, depuis la my-Aoust, jusques à la Toussaincts, comme celle des loups marins en May & Juin, à sept lieues de Kebec.
Les Sauvages & Sauvagesses du Bresil & de tous les païs circonvoisins ne se servent non plus de vestemens que nos Cheveux relevez, & demeurent nuds, hommes, & femmes comme les enfans sortans du ventre de leur mere. Mais les femmes & filles des Cheveux relevez plus honnestes & vergongneuses ont un petit cuir à peu prés grand comme une serviette, du quel elles se couvrent les reins jusques au milieu des cuisses, & tout le reste du corps est descouvert, à la façon de nos Huronnes.
Il y a un grand peuple en cette nation, & la pluspart des hommes sont grands guerriers, chasseurs, & pescheurs. Je vis là beaucoup de jeunes femmes qui faisoient des nattes de joncs grandement bien tissuës & embellies de diverses couleurs, qu'elles traittoient après pour d'autres marchandises à des barbares de diverses nations qui abordoient en leur bourgade. Ils sont errants, sinon quelqu'uns d'entr'eux qui bastissent des villages au milieu des bois, pour la commodité qu'ils troquent d'y bastir & les fortifier, & tous ensemble font la guerre à une autre nation nommée Assistagueronon, qui veut dire gens feu: car en langue Huronne Assista signifie de feu, & Eronon signifie Nation. Ils sont esloignez d'eux à ce qu'on tient, de neuf ou dix journées de canots, qui sont environ deux cens lieuës & plus de chemin; ils vont par trouppes en plusieurs régions & contrées, esloignées de plus de cinq cens lieuës, comme il est aysé à conjecturer en ce qu'on en a veu quelques fois à la traite de Kebec, & puis de là se transporter par les Nations jusques au delà de celles des Puants, qui fait d'un lieu à l'autre plus de cinq cens lieues de pays, où ils trafiquent de leurs marchandises, & en changent pour des pelleteries peintures, pourceleines, & autres fatras desquels ils sont fort curieux pour s'accommoder.
En general le pays des Algoumequins desquels ils sont alliez & font partie; quand à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, au rapport du sieur de Champlain, contient prés de 450 lieuës de longueur, & deux cens par endroits de largeur du Midy au Septentrion, sous la hauteur de quarante & un degré de latitude, jusques à quarante huict & 49.
Cette terre est comme une Isle que la grande riviere de sainct Laurens enceint, passant par plusieurs Lacs de grandes estenduës, sur le rivage desquels habitent plusieurs Nations, parlans divers langages, aucuns ont leur demeure arrestée, & autres non. Entre lesquels on en remarque quelqu'unes qui se percent les narines ausquelles ils pendent des patinotres bleues, qui peuvent estre pierreries; & d'autres qui se decouppent le corps par rayes & compartimens, où ils appliquent du charbon & autres couleurs qui leur demeurent pour tousjours.
Les femmes de toutes ces Nations vivent fort bien avec leurs maris, & particulièrement celles des Cheveux relevez, lesquelles ont cette coustume entr'elles, qu'ayans leur mois, elles se separent d'avec leurs maris, & les filles d'avec leurs peres & meres, & autres parens, & se retirent en de certaines petites cabanes ou huttes qu'on leur accomode en lieu escarté & esloigné de leur village, où elles sejournent & demeurent seules, tout le temps de ces incommoditez, sans avoir aucune compagnie d'hommes, lesquels leur portent des vivres, & ce qui leur est necessaire jusques à leur retour, si elles mesmes n'en portent suffisamment pour leur provision necessaire, comme elles font ordinairement, ou de leurs compagnes.
Entre les Hurons & autres peuples sedentaires, les femmes ny les filles ne sortent point de leur maison ou village pour semblables incommoditez: mais elles font leur manger en de petits pots à part pendant ce temps là, & ne permettent à personne d'en manger, ny de prendre les repas avec elles: de sorte qu'elles semblent imiter les juifves, lesquelles s'estimoient immondes pendant le temps de leur fleurs; Je n'ay pû apprendre d'où leur estoit venue cette coustume de se separer ainsi, quoy que je l'estime pleine d'honnesteté, & louable en ce que elles mesmes nous en advertissoient (avec un peu de honte pourtant) peur que mangeassions de leur menestre qu'elles croyoient nous devoir causer de l'incommodité, au contraire de celles d'icy qui n'en sont pas plus nettes, & s'en taisent neantmoins. O pauvreté, misere & infirmité du corps humain, que tu es sujet à de maux & incommoditez, plus que les animaux de la terre mesme, & cependant il n'y à pas moyen de l'humilier, & luy faire sentir la bassesse & le mespris, que mérite une cabane infecte, que veut estre venerée comme une Deesse par les fols amoureux de ce temps.
De nostre arrivée au pays des Hurons. Comme une multitude de Sauvages me vindrent au devant, & la façon que je fus receu, traicté & gouverné en la cabane de mon Sauvage.
CHAPITRE VIII.
PPuis qu'avec l'assistance de nostre Dieu, auquel je rend graces infinies, nous sommes arrivez si prés du pays de nos Hurons, il est doresnavant temps que je commence à en traiter plus amplement, & de la façon de faire de ses habitans, non à la maniere, de certaines personnes, lesquelles descrivans leurs histoires, ne disent ordinairement que les choses principales, & les enrichissent encore tellement, que quand on en vient à l'experience, on n'y voit plus la face de l'Autheur: car j'escris non seulement les choses principales, comme elles se sont passées, mais aussi les moindres & plus petites, avec la mesme naifveté & simplicité que j'ay accoustumé.
C'est pourquoy je prie le Lecteur, d'avoir pour agréable ma manière de proceder, & d'excuser si pour mieux faire comprendre l'humeur de nos Sauvages, j'ay esté contraint d'inserer icy plusieurs choses qui sembleront inciviles & extravagantes, d'autant que l'on ne peut pas donner une entiere cognoissance d'un pays estranger, ny ce qui est de son gouvernement, qu'en faisant voir avec le bien, le mal & l'imperfection qui s'y retrouve: autrement il ne m'eust failli descrire les moeurs des Sauvages, s'il ne s'y trouvoit rien de Sauvage, mais des moeurs polies & civiles, comme les peuples qui sont cultivez par la Religion & pieté, ou par des Magistrats & Sages, qui par leurs bonnes loix eussent donné quelque forme aux moeurs si difformes de ces peuples barbares, dans lesquels on void bien peu reluire la lumiere de la raison, & la pureté d'un nature espurée.
Deux jours avant nostre arrivée aux Hurons, nous trouvasmes la mer douce, sur laquelle ayans traversé d'Isle en Isle, & pris terre au pays tant desiré, par un jour de Dimanche, feste sainct Bernard, environ midy, que le soleil donnoit à plomb: Je me prosterne devant Dieu, & baise la terre en laquelle ce souverain Monarque m'avoit amené, pour annoncer sa parole & ses merveilles à un peuple qui ne le cognoissoit point, & le prier de m'assister de ses grâces, & d'estre par tout ma guyde pour faire toutes choses selon ses divines volontez, & au salut de ce peuple; puis mes Sauvages ayans serré leur canot dans un bois qui estoit là auprès, me chargèrent de mes hardes & pacquets qu'ils avoient tousjours auparavant portez, par les sauts, car la longue distance qu'il y avoit de là au bourg, & la quantité de leurs marchandises desquelles ils estoient plus que suffisament chargez, ne leur pû permettre de faire davantage pour moy, dans cette occasion.
Je portay donc mon pacquet & mes hardes, non sans une tres-grande peine, tant pour la pesanteur, l'excessive chaleur qu'il faisoit, que pour une foiblesse & debilité grande que je ressentois en tous mes membres depuis un longs temps, joint que pour m'avoir fait prendre le devant, comme ils avoient accoustumé (à cause que je ne pouvois les suivre qu'à toute peine) je me perdis du chemin, & me trouvay un long temps seul egaré dans les bois & par les campagnes, sans sçavoir où j'allois, car les chemins sont si peu battus en ces pays-là, qu'on les perds aysement si on n'y prend garde de prez. A la fin après avoir bien marché & traversé pays, Dieu me fit la grâce de trouver un petit sentier que je suivy quelque temps, aprés quoy je rencontray deux femmes Huronnes, proche d'un chemin croisé, lesquelles s'arresterent tout court pour me contempler: de me parler elles ne pouvoient, ny moy leur demander lequel des deux chemins je devois prendre pour aller au bourg que je pretendois, car je n'en sçavois pas mesme le nom, ny de quel costé estoient allez mes gens, dequoy elles me tesmoignoient de la compassion par leur soupir ordinaire. Et hon, & hon. En fin inspiré de Dieu je pris à main gauche du costé de la mer douce, esperant d'y rencontrer, sinon mes hommes ou mon village, du moins quelques pescheurs pour me donner adresse.
Au bout de quelque temps comme j'allois d'un pas allez viste je fus apperceu de mes Sauvages qui m'attendoient bien en peine que j'estois de devenu, assis à l'ombre sous un arbre un peu à costé du chemin dans une belle grande prairie, ma veue les consola fort, comme leur rencontre me resjouit grandement, car je faisois desja estat de coucher seul dans la campagne, & de vivre de feuilles & de racines, comme les anciens Hermites en attendant l'assistance de Dieu, duquel j'esperois estre conservé de la main des Hiroquois qui couroient pour lors les frontières, car ils m'eussent envoyé en l'autre monde par le feu & les tourments, & m'eussent mangé au lieu des vers, comme ils font leurs ennemis.
Je m'aprochay donc de mes gens, lesquels m'ayans fait seoir auprès d'eux, me donnerent, des cannes de bled d'Inde à succer pour me fortifier & me faire reprendre haleine; Je pris garde comme ils en usoient, car cela m'estoit un peu nouveau, & les trouvay d'un assez bon suc, puis ayant reposé quelques temps & repris nouvelle force, nous poursuivismes nostre chemin jusques à un petit hameau, où les habitans nous donnerent des prunes ronges ressemblans à nos damas violets, mais si rudes & aspres au goust que je n'en peu manger du tout, en lieu je cueillay un plein plat de fezolles dans leur desert, qui nous servirent pour un second festin dans nostre cabane, l'escorce en estoit desja bien dure, mais la sauce en fut encor plus maigre, car il n'y eut, ny sel, ny huile, ny graisse, plus douce neantmoins que le fiel, & le vinaigre, du Fils de Dieu en la Croix.
Le Soleil commençoit desja à quitter nostre orison & nous priver de sa lumiere, lors que nous partismes de ce petit hameau, une partie de nos hommes se separerent aprés leur avoir fait la courtoisie de quelques fers à flesches, puis mon Sauvage & moy, avec un autre prismes le chemin de Tequeunock'aye, autrement nommé Queumdohian, par quelques François la Rochelle, & par nous, la ville de sainct Gabriel, pour estre la premiere Ville du pays dans laquelle je sois entré, elle est aussi la principale, & comme la gardienne & le rempart de toutes celles de la Nation des Ours, & où se decident ordinairement les affaires de plus grande importance. Ce lieu est assez bien fortifié à leur mode, & peut contenir environ deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante cabanes qu'il y a. A l'aproche de ce bourg un grand nombre de Sauvages de tous aages, sortirent au devant de nous avec une acclamation, & un bruit populaire si grand, que j'en avois les oreilles toutes estourdies, & fus ainsi conduit jusques dans nostre cabane, où la presse y estoit desja si grande que je fus contraint de gaigner le haut de l'establie pour me liberer & faire quite de leur empeschement.
Le pere & la mere de mon Sauvage me firent un fort bon accueil à leur mode, & par des caresses extraordinaires me tesmoignerent l'aise & le contentement qu'ils, avoient de ma venuë, & me traiterent avec la mesme douceur & amitié de leurs propres enfans, me donnant tout sujet de louer Dieu en leur humanité & bienveillance. Ils prirent aussi soin de mes petites hardes afin que rien ne s'en perdit, & m'advertirent de me donner garde des larrons & trompeurs, particulierement des Quieunontateronons qui sont les plus rusez de tous, & en effet ils me caressoient soit pour m'attraper par des inventions qui feroient leçon, à celles des fins coupeurs de bources d'icy.
C'est une chose digne de consideration & bien admirable que les Sauvages n'estans conduits que de leur naturel, quelques corrompus qu'ils soient, s'entr'ayment neantmoins d'un amour si cordial & sincere, qu'ils s'entr'appellent ordinairement les uns les autres pere, frere, oncle, nepveu ou cousin, comme s'ils estoient tous d'une mesme famille & parenté. Mon Sauvage qui me tenoit en qualité de frere, me donna advis d'appeler sa mere Sendoue, c'est à dire maman, ma mere, puis luy & ses freres Ataquan, mon frere, & le reste de ses parens en suitte, selon les degrez de consanguinité, & eux de mesme m'appelloient leur parent. La bonne femme disoit Ayein, mon fils, & les autres Ataquen, mon frere, Sarassée, mon cousin, Hivoirtan, mon nepveu; Houatinoron, mon oncle, Aystan, mon pere; selon l'aage des personnes j'estois ainsi appellé oncle ou nepveu, &c. & de peu de personnes, qui ne me tenoient en cette qualité de parens, j'estois appellé Yatoro, mon compagnon mon camarade, & & de beaucoup Garihouanne grand Capitaine, j'en usois de mesme à leur endroit comme j'ay dit, & par ainsi nous vivions en très-grand paix & douceur d'esprit.
Le festin qui nous fut fait à nostre arrivée, fut d'un peu de bled d'Inde pillé, qu'ils appellent Ottet, avec un petit morceau de poisson boucanné à chacun, cuit en l'eau, car c'est tout la sauce du pays, & mes fezolles nous servirent pour le lendemain: des lors je trouvay bonne la sagamité qui estoit faite dans nostre cabane, pour estre assez nettement accommodée, je n'en pouvois seulement manger lors qu'il y avoir du poisson puant demincé parmy, ou d'autres petits, qu'ils appellent Auhairsique, n'y aussi de Leindohy qui est un bled puant, duquel ils font neantmoins grand estat: nous mangions par fois des citrouilles du pays, cuites, dans de l'eau, ou bien sous les cendres chaudes, que je trouvois fort bonnes, comme semblablement des espics de bled d'Inde que nous faisions rostir devant le feu, & d'autres esgrenez, grillez comme pois dans les cendres pour des meures champestres nostre Sauvagesse m'en apportoit souvent au matin pour mon desjeuner, ou bien des cannes d'honneha à succer, & autre chose qu'elle pouvoit: & avoit ce soin de faire dresser ma sagamité la première, dans l'escuelle de bois ou d'escorce la plus nette, large comme un plat bassin, & la cueillier avec laquelle je mangeois, grande comme une sauciere, & longue comme une à dresser potage.
Pour mon département & quartier, ils me donnerent à moy seul, autant de place qu'en pouvoit occuper un petit mesnage, qu'ils firent sortir à mon occasion, dés le lendemain de mon arrivée: en quoy je remarquay particulièrement leur bonne affection, & comme ils desiroient en tout de me contenter, & m'assister avec toute l'honnesteté & le respect deu à un grand Capitaine & chef de guerre tel qu'ils me tenoient. Et pour ce qu'ils n'ont point accoustumé de se servir de chevet, je me servois la nuict d'un billot de bois, ou d'une pierre sous ma teste, & au reste couché simplement sur la natte sans couverture n'y forme de couche, & en lieu tellement dur, que le matin me levant, je me trouvois tout rompu & brisé de la teste & du corps.
Le matin, aprés estre esveillé, & prié un peu Dieu, je desjeunois de ce peu que nostre Sauvagesse m'avoit apporté, puis ayant pris mon cadran solaire, je sortois de la ville en quelque lieu à l'escart, pour pouvoir dire mon office en paix, & faire mes petites prières & meditations ordinaires hors du bruit: estant venu, ou midy ou une heure, je me rendois derechef à nostre cabane, pour disner d'un peu de sagamité, ou de quelque citrouille cuitte; aprés disner je lisois dans quelque petit livre que j'avois porté, ou bien j'escrivois, & observant soigneusement les mots de la langue que j'apprenois, j'en dressois des memoires que j'estudiois, & repetois devant mes Sauvages, lesquels y prenoient plaisir & m'aydoient à m'y perfectionner avec une assez bonne, methode, me disant souvent, Auiel, pour Gabriel, qu'ils ne pouvoient prononcer, à cause de la lettre B. qui ne se trouve point en tout leur langue, non plus, que les autres lettres labiales, assehoua agnonra, & Sentonqua: Gabriel, prends ta plume & escris, puis ils m'expliquoient au mieux qu'ils pouvoient ce que je desirois sçavoir d'eux.
Et comme ils ne pouvoient par fois me faire entendre leurs conceptions, ils me les demonstroient par figures, similitudes & demonstrations extérieures, par fois par discours, & quelquesfois avec un baston, traçant la chose sur la terre au-mieux qu'ils pouvoient, ou par le mouvement du corps, n'estans pas honteux d'en faire quelquefois de bien indécents, pour se pouvoir mieux donner à entendre par ces comparaisons, plustost que par longs discours & raisons qu'ils eussent pu alléguer, pour estre leur langue assez pauvre & disetteuse de mots en plusieurs choses, & particulierement en ce qui est des mysteres de nostre saincte Religion, lesquels nous ne leur pouvions expliquer, ny mesme le Pater noster sinon par periphrase; c'est à dire, que pour un de nos mots, il en falloit user de plusieurs des leurs car entr'eux ils ne sçavent que c'est de Sanctification, de Reigne celeste, du tres-Sainct Sacrement. Les mors de Gloire, Trinité, S. Esprit, Paradis, Enfer, Eglise, foy, Esperance & Charité, & autres infinis, ne sont pas en usage chez-eux.
De sorte qu'il n'y a pas besoin de gens bien sçavans pour le commencement; mais de personnes bien craignans Dieu, patiens, & pleins de charité: & voyla en quoy il faut principallement exceller pour convertir ce pauvre peuple, & le tirer hors du peché & de son aveuglement.
Je sortois aussi fort souvent par la bourgade & les visitois en leurs cabanes & ménages, ce qu'ils trouvoient tres-bon, & m'en aymoient d'avantage, voyans que je traittois doucement, & affablement avec eux, autrement ils ne m'eussent point veu de bon oeil, & m'eussent creu superbe & desdaigneux, ce qui n'eust pas esté le moyen de rien gaigner sur eux; mais plustost d'acquérir la disgrace d'un chacun, & se faire hayr de tous: car à mesme temps qu'un estranger a donné à l'un d'eux quelque petit sujet ou ombrage de mescontement, il est aussitost sçeu par toute la ville de l'un à l'autre: & comme le mal est plustost creu que le bien, ils vous estiment tel pour un temps, que le mescontant vous a despeint.
Nostre bourgade estoit de ce costé là la plus, proche voisine des Hyroquois, leurs ennemis mortels; c'est pourquoy on m'advertissoit souvent de me tenir sur mes gardes, de peur de quelque surprise pendant que j'allais au bois pour prier Dieu, ou aux champs cueillir des meures champestres: mais je n'y rencontray jamais aucun danger ny hazard (Dieu mercy) il y eut seulement un Huron qui bandit son arc contre moy, pensant que je fusse ennemy: mais ayant parlé il se rasseura, & me salua à la mode du pays, Quoye, puis il passa outre son chemin, & moy le mien.
Je visitois aussi par fois leur cimetiere, qu'ils appellent Agosayé, admirant le soin que ces pauvres gens ont des corps morts de leurs parens & amis deffuncts & trouvois qu'en cela, ils surpassoient la pieté des Chrestiens, puis qu'ils n'esparguent rien pour le soulagement de leurs ames, qu'ils croyent immortelles, scavoir besoin du secours des vivans. Que si par fois j'avois quelque petit ennuy, je me recreois & consolois en Dieu par la prière, ou en chantant des Hymnes & Cantiques spirituels, à la louange de sa divine Majesté, lesquels les Sauvages escoutoient avec attention & contentement, & me prioyent de chanter souvent, principalement après que je leur eus dict, que ces chants & Cantiques spirituels estoient des prières que je faisois à Dieu nostre Seigneur, pour leur salut & conversion.
Pendant la nuict j'entendois aussi aucunefois, la mere de mon Sauvage pleurer, & s'affliger grandement, à cause des illusions du Diable. J'interrogeay mon Sauvage pour en sçavoir le sujet, il me fit response que c'estoit le Diable qui la travailloit, par des songes & representations fascheuses de la mort de ses parens, & amis deffuncts. Cela est particulièrement commun aux femmes plustost qu'aux hommes, à qui cela arrive plus rarement, bien qu'il s'y en trouve aucuns qui en sont travaillez, & en deviennent fols & furieux, selon leur imagination, & la foiblesse de leur esprit, qui leur fait adjouster foy, & faire cas de ces ruseries diaboliques, & d'une infinité de fatras qu'il leur met dans l'esprit.
Venue du Pere Nicolas en la ville de fainct Gabriel. Et comme le Père Joseph & nous fismes bastir une cabane. De nostre pauvreté & nourriture ordinaire & du vin que nom fismes pour les sainctes Messes.
CHAPITRE IX.
IL se passa un assez long-temps après mon arrivée avant que j'eusse aucune cognoissance, n'y nouvelles du lieu où estoient arrivez mes confreres, jusques à un certain jour que le Père Nicolas accompagné d'un Sauvage, me vint trouver de son village, qui n'estoit qu'à cinq lieuës de nous. Je fus fort resjouy de sa venue, & de le voir plein de santé (luy qui estoit d'une complexion si foible) que Dieu luy avoit conservée au milieu de tant de travaux & de disettes qu'il avoit souffertes depuis nostre partement de la traite jusques à cette entreveuë, avec son barbare mal gracieux & chiche au possible en son endroit, qui le faisoit presque mourir de faim.
Mes Sauvages au contraire plus doux & courtois, firent voir par le bon accueil qu'ils firent à ce bon Pere, & à tous les François qui me vindrent voir, combien estoit differante leur bonne humeur de celle de ce mélancolique, car outre qu'ils les receurent avec une face joyeuse & contante, ils les firent incontinent seoir, petuner & manger en attendant le manifique festin du soir qui fut fait de farine qu'ils appellent eschionque, de laquelle ils furent tous plus que suffisamment rasasiez & non point enyvrez, car ils ne beurent que de l'eau pour toute boisson, & couchèrent sur la terre nuë.
Le lendemain matin nous primes resolution le Pere Nicolas & moy avec quelques François d'aller trouver le Père Joseph à son village esloigné du nostre 4 ou cinq lieues, car Dieu nous avoit fait la grâce que sans l'avoir prémédité nous nous mismes à la conduicte de trois personnes, qui demeuroient chacun en un village d'egale distance les uns des autres, faisans comme un triangle, qui nous fust à bon augure & une memoire de la tres-saincte Trinité, un seul Dieu en trois personne, Pere, Fils, & S. Esprit, également bons, sages & puissans.
Or d'autan que j'estois fort aymé de O'onchiarey mon Sauvage, de la pluspart de ses parens & de tous ceux de la bourgade, je ne sçavois comment l'advertir de nostre dessein, ny qu'elle excuse prendre pour luy faire agréer ma sortie, nous trouvames en fin moyen de luy persuader que j'avois quelque affaire d'importance à communiquer à nostre frere Joseph, & qu'allant vers luy il falloit necessairement que j'y portasse tout ce que j'avois, qui estoit autant à luy comme à moy mesme, afin de prendre chacun ce qui luy appartenoit, le bon jeune homme se contenta de ceste raison, sous esperance de nous revoir bien tost, & ainsi satisfaict, nous primes congé de luy & partimes pour le village du Pere Joseph.
Nous nous servimes d'un Sauvage pour guide & pour porter nos paquets, moyennant quelque petite courtoisie que nous luy donnames, mais le plaisir fut d'un François nommé la Griette, serviteur du sieur de Champlain lequel ayant apperceu dans le bois à vingt pas de nous, un arbre tout couvert de tourterelles, & les voulans tirer, il tourna tant de fois à l'entour de l'arbre qu'il effara les oyseaux, & luy mesme s'égara, de sorte qu'il nous fallut faire courir nostre Sauvage après luy, qui s'enfuyoit comme un perdu à travers les bois, pensant nous suivre dans un sentier contraire, & le ramener au lieu mesme où il nous avoit laissé assis, tellement qu'il eut bien de la peine, n'eut point de tourterelles & nous fit bien perdre du temps.
N'ayans pas trouvé le Père Joseph dans son petit hameau, nous le fumes trouver à demie lieuë de là, au bourg de Quieunonascatan, où je ne vous sçaurois expliquer la joye & le contentement que nous eusmes de nous revoir, tous trois ensemble, qui ne fut pas sans en rendre grâces à Dieu, le priant de benir nostre entreprise pour la gloire, & pour la conversion de ces pauvres infidelles. La beauté du pais & l'honnesteté du grand Capitaine, chez lequel nous logeâmes par plusieurs jours, nous fist faire eslection de la contrée pour nostre retraicte, où à grand peine eûmes nous le loisir de nous entrecaresser, que je vis mes Sauvages (ennuyez de mon absence) nous venir retrouver, ce qu'ils réitérèrent par plusieurs fois, & nous nous estudions à les recevoir & traicter si humainement & civilement, que nous les gaignasmes, en sorte, qu'ils sembloient debattre de courtoisie à recevoir les François en leur cabane, lors que la necessité de leurs affaires les jettoit à la mercy de ces Sauvages, que nous experimentames avoir esté utils, à ceux qui doivent traicter avec eux, esperant par ce moyen de nous insinuer au principal dessein de leur conversion, seul motif, d'un si long & fascheux voyage.
Le desir de profiter & d'avancer la gloire de Dieu, nous fist resoudre d'y bastir un logement à part, & separé pour prendre possession de ce païs au nom de Jesus-Christ, afin d'y faire les fonctions & exercer les Ministeres de nostre Mission: ce qui fut cause que nous priames le Chef, qu'ils appellent Garihoua Andiouxra, c'est à dire, Capitaine & Chef de la Police, de nous le permettre, ce qu'il fist avec l'advis de son Conseil, mais avec bien de la peine, ayans au préalable faict leur possible pour nous le dissuader, disans, qu'il vaudroit beaucoup mieux, que logeassions dans leur cabanes & parmy leurs familles, pour y estre mieux traictez qu'en un lieu escarté, où personne n'auroit soin de nous.
Nous obtinmes enfin ce que nous désirions, leur ayans fait entendre qu'il estoit aussi necessaire pour leur bien; car estans venus de si loingtain païs, pour leur faire entendre ce qui concernoit le salut de leurs ames, & le bien de la felicité éternelle, avec la cognoissance d'un vray Dieu, par la predication de l'Evangile, il n'estoit pas possible d'estre assez illuminez du Ciel pour les instruire, parmy le tracas de la mesnagerie de leurs cabanes, joint que desirans leur conserver l'amitié des François, qui traictoient avec eux, nous aurions plus de crédit à les conserver ainsi à part, que non pas quand nous serions cabanez parmy eux.
De sorte que s'estans laissez persuader par ces discours & autres semblables, ils nous dirent de prier ce grand Dieu, que nous appellions Pere & nous dirions les serviteurs, afin qu'il fist cesser les pluyes qui pour lors estoient fort grandes & importunes, pour pouvoir nous accommoder la cabane que nous desirions: si bien que Dieu favorisant nos prieres après avoir passé la nuict suyvante dans une petite cabane au milieu des champs, à le solliciter de ses promesses, il nous exauça, & les fist cesser si heureusement, que nous eusmes un temps fort serain, dequoy ils furent si estonnez & ravis d'admiration qu'ils le publièrent pour miracle, dont nous rendimes graces à Dieu. Et ce qui les confirma davantage en ceste croyance fut qu'aprés avoir employé quelques-jour à ce pieux travail & mis à sa perfection, les pluyes recommencerent, de sorte qu'ils publièrent par tout la grandeur de nostre Dieu.
Je ne puis obmettre un gentil débat qui arriva entr'eux à raison de nostre bastiment, d'un jeune garçon lequel n'y travaillant pas de bonne volonté, se plaignoit aux autres de la peine & du soin qu'ils se donnoient pour des personnes qui ne leur estoient point parens, & eust volontiers desiré qu'on eust delaissé la cabane imparfaite, & nous en peine de loger à descouvert, mais les autres Sauvages portez de meilleure affection, ne luy voulurent point acquiescer, & le reprirent de sa paresse, & du peu d'amitié qu'il tesmoignoit à des personnes si recommandables, qu'ils devoient chérir comme parens & amys bien qu'estrangers, puis qu'ils n'estoient venus que pour leur propre bien & profit.
Ces bons Sauvages ont cette louable coustume entr'eux, que quand quelqu'uns de leurs concitoyens n'ont point de cabane à se loger, tous unanimement prestent la main & luy en font une, du moins ils la mettent en tel estat qu'aysement de luy mesme il la peut parachever: & pour obliger un chacun à un si pieux & charitable office, quand il est question d'y travailler, la chose se décide tousjours en plein conseil, puis le cry s'en faict tous les jours par la ville ou bourgade; afin qu'un chacun s'y trouve à l'heure ordonnée, jusques à entiere perfection de l'oeuvre, ce qui est un très-bel ordre & fort louable pour des Sauvages, que nous croyons & sont en effect, moins polis que nous.
Mais pour nous qui leur estions estrangers & arrivez de nouveau, comme disoit ce jeune homme, c'estoit beaucoup de se monstrer si humain que de nous en bastir une, avec une si commune & universelle affection, veu qu'ils ne donnent ordinairement rien pour rien aux estrangers, si ce n'est à des personnes qui le meritent, ou qui les ayent bien obligez, quoy qu'ils demandent tousjours particulièrement aux François, qu'ils appellent Agnonha, c'est à dire gens de fer en leur langue, ou qui se servent de fer, ou le fer mesme, car ils nommoient quelquefois les haches Agnonha, qu'ils appellent autrement Atouhoin. Les Montagnais nous donnent le nom de Mistigoche, ou, Ouemichtigouchion, c'est à dire un homme qui est dans un canot de bois, ou batteau de bois, ou coffre de bois, selon l'interprétation d'aucun. Nom qu'ils donnerent aux premiers Europeans, qui les aborderent dans des navires ou batteaux de bois, desquels ils n'avoient jamais veu auparavant, car les leurs ne sont faicts que d'escorces & fort petits. Mais pour le nom que nous donnent les Hurons, il vient de ce qu'auparavant nous, ils ne sçavoient que c'estoit de fer & n'en avoient aucun usage, non plus que de tout autre metal ou minerai, sinon en quelque endroit ils avoient du cuivre rouge, duquel j'ay veu un petit lingot vers la mer douce, que le Truchement Bruslé nous apporta, d'une nation esloignée 80 lieuës des Hurons.
Nostre cabane fust bastie à la portée du pistolet de la bourgade, en un lieu que nous mesmes avions choisi pour le plus commode, sur le costeau d'un fond, où passoit un beau & agréable ruisseau, de l'eau duquel nous nous, servions à boire & à faire nostre sagamité, excepté pendant les grandes neiges de l'Hyver, que pour cause du mauvais chemins nous prenions de la neige és environ de nostre cabane, pour faire nostre manger, & ne nous en trouvasmes point mal Dieu mercy. Il est vray qu'on passe d'ordinaire les sepmaines & les mois entiers sans boire, & sans estre altéré, car ne mangeant jamais rien de sallé ny espicé, & son manger quotidien n'estant, que de ce bled d'Inde bouilly en eau, ceste menestre sert de boisson & de mangeaille, & si on peut estre quelquefois altéré, c'est lors qu'on mange de la viande, ou qu'on vay en voyage par terre, & peux asseurer qu'en un an, que j'ay demeuré aux Hurons, je n'y ay pas beu neuf ou dix fois au plus ce qui me faict dire avec sainct Jean Climacus, que le beaucoup boire, vient d'habitude & non de necessité, & par ainsi on peut à bon droit reprendre les grands beuveurs, & ne souffrir ce vice à sa jeunese, qui est ordinairement suivy des autres.
Je me trouvois aussi fort bien de ne manger point de sel ny rien de sallé, encor que je n'en eusse point l'habitude, que depuis que j'estois entré aux Hurons, d'où on n'en peut esperer que de plus de trois cens lieuës loin. A mon retour en Canada, je me trouvois mal au commencement d'en manger, pour l'avoir discontinué un trop long-temps, mais je m'y suis racoutumé du depuis, ce qui me faict croire qu'il n'est nullement necessaire à la conservation de la vie, n'y à la santé de l'homme, & qu'aysement s'en pourroit passer qui voudroit, il n'y auroit que de la peine au commencement & point à la fin.
Nostre pauvre cabane pouvoit avoir environ vingt pieds de longueur & dix ou douze de large, faicte en la forme d'un berceau de jardin, couverte d'escorce par tout, exceptée au faiste où on avoit laissé une fente & ouverture, d'un bout à l'autre de la cabane, pour sortir la fumée, estant achevée de nous mesmes au mieux qu'il nous fut possible, nous fismes des cloisons de pièces de bois, separant nostre cabane en trois, dont la premiere partie du costé de la porte nous servoit de chambre & de cuisine, pour faire tout ce qui estoit de nostre petit mesnage & pour nostre repos de la nuict, que nous prenions contre la terre, sur une petite natte de joncs, avec un billot de bois pour chevet, & quelques busches que hous avions accommodées chacun devant nos couches pour n'estre veus. Ce lieu nous servoit aussi de salle, pour recevoir & entretenir les Sauvages qui nous venoient voir journellement.
La seconde chambre, qui estoit la plus petite estoit celle où nous serrions nos ustencilles & petits emmeublemens. Et la troisiesme, dans laquelle nous avions dressé un Autel avec des pièces de bois piquées en terre, nous servoit de Chappelle, laquelle a esté la seconde qui se soit jamais bastie aux Hurons & païs circonvoisins où la saincte Messe se disoit tous les jours, au grand contentement & consolation de nos ames, car auparavant nous, ny Prestres, ny Religieux n'y avoit mis le pied, que le seul P. Joseph le Caron, qui y dit la première Messe vers la bourgade de Toenchain. Et peur de la main larronnesse des barbares, nous tenions les petites portes d'escorces toujours fermées & attachées avec des cordelettes, n'ayans pas moyen de les mieux accommoder.
A l'entour de nostre logis, bien que la terre, fust un peu maigre & sablonneuse, nous y accommodames un petit jardin, fermé de pallisades pour en oster le libre accés aux enfans. Les pois, herbes & autres petites choses que nous y avions semées, y profiterent assez bien & eussent faict davantage, si la terre eut esté bien labourée, mais il nous fallut servir d'une vieille hache en lieu de besche & d'un baston courbé & pointu, pour tout le reste des instrumens.
Si nostre jardin n'estoit point tant bon, nostre cabane estoit encore moindre, car pour avoir esté faicte hors de saison, l'escorce se decreva toute & si fist de grandes fentes, de sorte qu'elle nous garantissoit peu ou point des pluyes, qui nous tomboient par tout, sans nous en pouvoir garantir ny le jour ny la nuict, non plus que des neiges pendant l'Hyver, desquelles nous nous trouvions parfois couverts le matin en nous levant. Si la pluye estoit aspre elle nous esteignoit nostre feu, nous privoit du manger & nous causoit tant d'autres incommoditez que je puis dire avec vérité; que jusques à ce que nous y eûmes un peu remedié, qu'il n'y avoit pas un seul petit coin en nostre cabane, où il ne pleust comme dehors, ce qui nous contraignoit d'y passer les nuicts entières sans dormir, cherchans à nous tenir & ranger debouts ou assis en quelque petit coin pendant ces orages, qui tomboient encores sur nous.
Ce nous estoit une grande incommodité à la verité, mais quand je considere ce que nostre Seigneur a dit de luy mesme. Les Renards ont des tanieres, & les oyseaux ont des nids pour se retirer, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer son chef, je trouve que nous estions grandement bien logez, & que nous aurions tort de nous en plaindre, car la gloire des vrays frères Mineurs est, d'estre vrayement pauvres avec Jesus. Il n'y a que ceux qui sont pauvres malgré eux qui deussent se plaindre de l'estre, disoit Aristides Athenien, car le bon Religieux est tousjours contant, & se plaint rarement des choses mesmes qui l'oppressent & le mettent en necessité.
La terre nue ou nos genouils nous servoient de table à prendre nos repas, ainsi comme les Sauvages, non en posture de Singe, mais assis sur des bûches de bois, qui estoit quelque chose de plus que les barbares. Les nappes ny les serviettes ne sont point en usage en ces païs là, & n'avions autre linge pour essuyer nos doigts aprés l'eau, que les seules feuilles de bled d'inde, car nostre linge n'estoit que pour la Chapelle, lequel nous mesnagions fort pour estre en païs disetteux & esloigné de tout secours. Nous avions quelques cousteaux, mais ils ne servoient aux repas, pour ce que nous n'avions point de pain à coupper, & si rarement de la viande, que nous avons passé des six sepmaines & 2 mois entiers sans en manger un seul morceau, que quelques petites pièces de chien, d'ours, ou de renard, qu'on nous donnoit en festin, excepté vers Pasques & en l'Automne, que quelques François nous firent part de leur chasse.
La chandelle dequoy nous nous servons la nuict, n'estoit que de petits cornets d'escorce de bouleau, qui estoient de peu de durée, & la clarté du feu, nous servoit pour lire, escrire & faire autres petites choses pendant les longues nuicts de l'Hyver, qui nous estoient fort incommodes.
Nos, viandes ordinaires estoient de mesme celles des Sauvages, & n'y avoit autre difference sinon à la netteté avec laquelle elles estoient preparées, nous y mestions aussi souvent des petites herbes champestres, que nous trouvions dans les prairies & par la campagne, comme de la marjolaine sauvage, de la pourcelene, & d'une certaine espece de baume avec de petits oignons qui donnoit goust à nostre sagamité, les Sauvages n'en vouloient neantmoins point manger, & disoient que cela sentoit trop le mauvais, pour ce qu'ils n'usent d'aucunes herbes, & par ainsi ils ne nous en demandoient point, comme ils faisoient lors qu'il n'y en avoit point, & nous leur en donnions volontiers, aussi ne nous en refusoient ils point en leurs cabanes quand nous leur en demandions, & d'eux mesmes nous en offroient volontairement, mais rarement en en acceptions, sinon pour leur complaire & ne les point mescontenter.
Si au temps que les bois estoient en seve, nous avions quelque indisposition ou debilité du coeur, on faisoit une fente dans l'escorce de quelque gros futeau & avec une escuelle on amassoit la liqueur qui en distilloit, qu'on beuvoit comme un remede de bien peu d'effect & qui affadit plustost qu'il ne fortifie, mais on se sert de tout où la necessité contraint.
Avant que je partis pour la mer douce, le vin des Messes que nous avions apporté de Kebec, dans un petit baril de deux pots estant failly, nous en fismes d'autre des raisins du pais, qui fut tres bon & boullut en nostre petit baril & en deux autres bouteilles que nous avions; & mesme qu'il eust pû faire en des plus grands vaissaux, & si nous en eussions encore en d'autres; il y avoit moyen d'en faire une assez bonne provision, pour la grande quantité de vignes & de raisins, qui sont en ce païs là. Les Sauvages en mangent bien le raisin, mais ils ne les cultivent point, & n'en font aucun vin, pour n'en avoir l'invention ny les instrumens propres. Nostre mortier de bois & une serviette de nostre Chappelle nous servirent de pressoir & un Aderoqua ou sceau d'escorce, nous servit de cuve, mais nos petits vaisseaux n'estans pas capables de contenir, tout nostre vin, nouveau, nous fusmes contraincts, pour ne point perdre le reste d'en faire du raisiné, qui fut aussi bon que celuy que l'on faict en nostre Europe lequel nous servit aux jours de recreation, & pour la bien-venue des François, à en prendre un petit sur la poincte d'un cousteau.
Des visites des Sauvages & à quelles intention. Leur maniere de saluer. L'estime, qu'ils font des François. De la vengeance. De la Nation des testes pellées, & comme nous gouvernions les François & visitions les Sauvages.
CHAPITRE X.
L'Homme est un animal sociable, qui ne peut vivre sans compagnie, mais il faut qu'il fasse élection de gens de bien, s'il le veut estre luy-mesme, pource que les esprits se communiquent facilement & nous rendent souvent tels que sont ceux avec lesquels nous frequentons. Avec les Saincts vous serez Saincts, & avec les pervers vous serez pervers, disoit le S. Prophete.
Pendant le jour, nous estions continuellement visitez d'un grand nombre de Sauvages & à diverses intentions; car les uns y venoient comme amis & pour s'instruire de leur salut, d'autres pour avoir le contentement de nous voir & s'entretenir de discours avec nous, quelqu'uns pour observer nos ceremonies & nostre gouvernement. Les enfans pour apprendre leur creance & les lettres, & d'autres pour nous demander quelque chose, lors principallement que j'y estois, car le Pere Joseph & le Pere Nicolas avoient trouvé cette invention pour se dépetrer des Sauvages trop importuns, de leur dire qu'ils estoient pauvres quant à eux, & que tout ce qu'ils avoient m'appartenoit, j'en pensois faire de mesme à leur endroit pour avoir paix mais estans deux contre moy, je perdis mon procez & fus tousjours riche; & de rien en effect, car tout nostre vaillant ne consistoit qu'à un peu de rassades, quelques cousteaux & des petites aleines, qu'on nous avoit donné à la traicte, pour vivre en la campagne, & parmy les nations qui n'auroient point de charité pour nous.
Il y en avoit plusieurs malicieux, qui ne venoient que pour nous desrober de nos petits emmeublemens sous pretexte de visite; comme d'autres plus charitables, nous apportoient des petits presens de bled d'Inde, citrouille, fezolles, & aucunefois des petits poissons boucanez ou frais: réciproquement nous leur en rendions d'autres, comme aleines, épingles, fers à flèches, ou un peu de rassade, pour leur col ou leurs oreilles, & comme ils sont pauvres en meubles, quand ils empruntoient de nos chauderons, ils nous les rendoient tousjours avec quelque reste de sagamité pour remerciement, & s'il eschéoit de faire festin pour un deffunct, plusieurs nous envoyoient nostre plat, comme ils faisoient au reste de leurs parens & amys.
Ciceron escrit, que Caton Censeur estant sur le point de mourir, se repentit d'avoir esté manger chez un sien amy qui l'en avoit prié, disant qu'il avoit faict en cela, non en bon Citoyen Romain, mais en presomptueux barbare, pour ce qu'à dire vray nul homme vertueux & genereux peut aller manger chez autruy, qu'il ne perde sa liberté & ne mette sa réputation & gravité en très-grand péril, quoy qu'en puisent dire ceux qui ne cherchent que la bonne chère, sous prétexte d'amitié & de visite. Cette raison & plusieurs autres nous empéchoient d'aller que rarement, aux festins des Sauvages desquels ils nous prioient souvent avec instance, mais à la fin nostre retenue leur servit de quelque chose, car par ce moyen ils ne perdirent jamais le respect & la croyance qu'ils nous avoient, ny nous la modestie & le bon exemple que leur devions.
Pour retirer nos François du mal & les induire au bien, nous avions accoustumé de les faire assembler dans nostre cabane toutes les festes & Dimanches, (ceux qui vouloient) & leur remonstrans ce qui estoit de leur devoir, leur donnions aussi la consolation d'une saincte liberté Chrestienne & religieuse, pour leur servir d'amorce à la vertu; & ces récréations estoient toutes spirituelles, desquelles mesmes les Sauvages restoient edifiez, comme de les ouyr chanter tous ensemblement, des Hymnes, des Pseaumes & des Cantiques spirituels, à la gloire & louange de nostre Seigneur.
La veille des Roys, selon qu'il se pratique par toute la Chrestienté, nous tirames au sort avec des febves du bresil, pour l'election d'un Roy, car jusqu'alors jamais cette ceremonie ne s'estoit pratiquée dans le païs des Hurons. Or comme le sort m'escheus d'estre le premier à qui cest honneur ait arrivé, il en fallut faire la ceremonie plus solemnelle & magnifique, aux despens de la communauté, avec un festin qui n'avoit point de prix, mais qui manqua de vin, car il n'y eut pour toute boisson, que de la belle eau claire, de laquelle peu gousterent: pour les viandes il y eut un meilleur ordre, les citrouilles n'y furent point espargnées, le bled d'Inde n'y manqua point, & le poisson boucané y fust assez commun, le tout meslé, deminsé, cuit & bouilly dans une grande chaudiere, de laquelle un chacun eut à suffisance.
Quant quelque particulier Sauvage de nos amys nous venoient visiter, entrans chez nous, la salutation estoit ho, ho, ho, qui est une salutation de joye, & la seule voix ho, ho, ne se peut faire que ce ne soit quasi en riant, principalement quand on leve la derniere syllabe, tesmoignans par là, la joye & le contentement qu'ils avoient de nous voir; car leur autre salutation. Quoye qui est comme si on disoit, qu'est-ce, que dites vous, se peut prendre en divers sens, aussi est-elle commune envers les amis & ennemis, qui respondent de mesme, Quoye, ou plus gracieusement, Yatoro, qui est à dire; mon amy, mon compagnon, mon camarade, ou disent; Ataquen mon frère, & aux filles Eadsé ma bonne amie, ma compagne, & quelquesfois aux vieillards, Yaistan, mon pere, Houatinoron, mon oncle, &c.
Mais lors que mes Sauvages de sainct Gabriel, nous venoient voir, entrans chez nous, ou les rencontrons par la ville, leur salutation ordinaire estoit Jesus Maria, ou plustost Jesous Mana ou Ana ne pouvans dire mieux, on me dira que la lettre M. est labiale, il est vray, mais les enfans à force de s'y estre exercé la prononçoient assez bien. Je leur avoit appris à prononcer ces divins Noms pour salut, afin de les former toujours au bien, car il faut commencer par les choses les plus aysées, pour arriver aux plus difficiles.
Ils nous demandoienr souvent à petuner, pour espargner le petun qu'ils avoient dans leur sac, car ils n'en sont jamais dégarnis: mais comme la presse y estoit grande & que cela sentoit de son avarice, nous ne leur en pouvions donner à tous, & nous en excusions, en ce qu'eux mesmes nous traitoient ce peu qu'en avions, & cette raison rendait contans les esconduits, mais qui pourroit en avoir assez pour tous, seroit beaucoup pour les attirer tous en vostre cabane, car c'est leur miel, leur sucre, & leur mets plus délicieux.
Le Diable rusé fait le singe par tout, & contrefait mesme les choses les plus Sainctes, non pour nous ayder, mais pour nous tromper. Il a inventé des idoles pour contrecarer les Images de Dieu, a commandé, & a donné l'invention d'une manière de confession aux Indiens du Perou, qui les fait estimer gens de bien par les autres infidelles, comme aux Puritains d'Angleterre, & aux Lutheriens d'Allemagne, l'ombre de quelque ceremonies de l'Eglise Romaine qui leur fait croire; mais faussement, qu'ils sont enfans de Dieu, & que les seuls Calvinistes sont heretiques, comme il fut dit en la maison d'un Comte d'Allemagne reprenant une personne Catholique qui s'estoit mise au service de ce Huguenot. Ce malin esprit a contrefait entre nos Hurons la louable & ancienne coustume que nous avons de saluer de quelque devote prière ou pieux souhait, celuy que nous entendons éternuer, car ils saluent ceux qui éternuent, non devotement comme nous, mais avec des imprecations & malheurs qu'ils souhaittent à tous ceux qui leur sont ennemis, ce qui m'estonnoit fort au commencement, & ne pouvois penser qu'autre en fut l'inventeur que le Diable mesme.
Nous les en avons quelquesfois repris, mais ils ne pouvoient croire; qu'il y eut de l'offence pour la hayne irréconciliable qu'ils ont à l'encontre des Nations qui leur sont ennemies, car pour les personnes de leur propre nation ils en sçavent assez bien endurer & supporter un tort ou injure quand il eschet, & bon d'un estranger, duquel s'ils ne se vengent à l'instant mesme pour estre en lieu où ils ne se voyent les plus forts, & qu'ils semblent dissimuler leur mal talent, ne vous y fiez pas néantmoins qu'à bonne enseigne pour beau semblant qu'ils vous fassent; peur que lors que vous y penserez le moins, il ne vous prennent au despourveu, & vous rendent au double ce que vous leur aurez presté, non deux coups pour un, ny deux miseres pour une, mais la mort pour un desplasir, car tuer un homme ou un moyneau, n'y a pas grande différence entr'eux, & de blesser ou donner un coup d'aviron, ils ne s'en tiennent pas souvent là, c'est pourquoy il fait bon estre sage par tout, & ne donner sujet à personne de s'offencer s'y on n'en veut estre payé à la fin, comme l'exemple suivante vous fera voir.
Deux François (comme j'ay rapporté au Chap; 5 du ler livre) un peu trop temeraires, offensent un jour deux Canadiens assez mal à propos, dequoy ces Canadiens ne firent pour lors aucun semblant, à cause du lieu qui ne faisoit pas bon pour eux, & dissimulerent cet affront jusques au temps de s'en pouvoir venger sans tesmoins. Or il arriva à quelque sepmaines de là que ces deux François qui ne pensoient desja plus au desplaisir qu'ils avoient faits à ces deux Sauvages, s'en allerent à la chasse, vers l'Isle d'Orleans, ce qu'estant sceu par ces Indiens qui ne les perdoient point de memoire, les allerent prendre au despourvu, ses assommerent à coups de haches, & jetterent les corps dans la riviere, sans qu on pû sçavoir que long-temps après qui en avoient esté les meurtriers, à la fin on descouvrit les homicides, qui pour cela ne laissoient pas d'estre les bien venus, parmy ceux de leur nation, encore qu'ils s'abstinrent de venir plus à Kebec, peur d'y trouver leur chastiment.
Les François exageroient prou la faute comme en effet elle estoit tres-grande, & disoient assez la punition que meritoit l'enormité d'une telle meschanceté, mais pour cela les Sauvages ne donnoient ny chastiment ny réprimande à ces meurtriers, qui n'estoient pas gens à ces viandes là, & puis ils sçavoient bien que tost ou tard la faute leur seroit pardonnée, & qu'un present de castors, au pis aller, les garantiroit du supplice & de la peine qu'on n'a encor ozé entreprendre sur eux.
Neantmoins il fut advisé entre les Chefs François, qu'il falloit monstrer à ces barbares un grand ressentiment de leur faute pour en empescher d'autres pareilles, & pour cet effet firent assembler en un conseil general, tous les Sauvages qui se trouverent pour lors à la traite, où les meurtriers ayans estè grandement blasmez, furent en fin pardonnez à la priere de ceux de leur nation, qui promirent un amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen generale la flotte, assisté du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une espée nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens que leur faute leur estoit entierement pardonnée, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit perdue & ensevelie au fond des eauës, & par ainsi qu'ils n'en parleroient plus.
Mais nos Hurons qui sçavent bien dissimuler & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays, tournerent toute cette ceremonie en risée, & s'en mocquerent disans que toute la cholere des François avoit esté noyée en ceste espée, & que pour tuer un François on en seroit doresnavant quite pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne pardonneras si facilement, & eux-mesme y seront quelques jours trompez s'ils font des mauvais, & que nous soyons les plus forts.
Pendant I'Hyver les Ebicerinys se vindrent cabaner au pays de nos Hurons à trois lieuës du bourg de sainct Joseph, d'où nous les allions quelquesfois voir, & comme ils sont assez bonnes gens ainsi que j'ay dit ailleurs, ils nous rendoient nos visites & se trouvoient souvent dans nostre cabane, pour nous considerer & s'entretenir de discours avec nous, car ils sçavent les deux langues, la Huronne, & la leur; quoy que tres-differentes, ce que n'ont pas les Hurons, lesquels ne sçavent ordinairement que la leur maternelle, sans se mettre en peine d'en apprendre d'autre, ou par negligence, ou pour le peu de necessité qu'ils ont des autres nations, ayans dans leur pays presque tout ce qui leur fait besoin, & pour le reste on leur apporte, ou bien ils voyagent en pays cognus quoy qu'esloignez, d'où ils rapportent ce qui leur manque.
Ces Sauvages Epicerinys nous donnerent advis d'une certaine Nation, à laquelle ils vont tous les ans une fois à la traite, n'en estans esloignez qu'environ une Lune, ou Lune & demy de chemin, tant par terre que par lacs & rivieres. A laquelle vient aussi trafiquer un certain peuple qui y aborde par mer avec de grands batteau ou Navires de bois, chargez de diverses especes de marchandises comme haches faites en queuës de perdrix, des bas de chausses avec les souliers y attachez, souples neantmoins comme un gand, & plusieurs autres choses qu'ils eschangent pour des fourures & pelleteries.
Ils nous dirent de plus que ces personnes là, ne portoient ny barbe ny cheveux que fort peu, lesquels pour cette raison nous avons surnommez testes pelées, & nous asseurent aussi que leur ayants parlé de nous ils leur tesmoignerent un grand desir de nous voir, ce qui nous fit conjecturer que ce pouvoit estre quelque peuple & Nation policée & habittée vers la mer de la Chine, qui borne ce pays vers l'Occident, comme il est aussi borné de la mer Occeane environ les 40 degrez vers l'Orient, & esperions y faire un voyage à la première commodité avec ces Epicerinys, comme ils nous le faisoient esperer moyennant quelque petit present, si obedience ne m'eust rappellé en France: car bien que ces Sorciers ne veuillent pas mener de François seculiers en leur voyage, non plus que les Montagnais, & Hurons au Saguenay, de peur de descouvrir leur meilleure & plus excellente traite avec les pays, d'ou ils rapportent tous les ans quantité de pelleteries; ils ne sont pas si reservez en notre endroit sçachant desja par expérience, que nous ne nous meslons d'aucun autre trafic que de celuy des ames, que nous nous efforçons de gaigner à Jesus-Christ, sans interest du temporel.
Quand nous allions en visite chez les Sauvages, ils en estoient bien ayses & la tenoient à honneur & faveur se plaignans de ne nous y voir pas assez souvent, & c'estoit à qui nous attireroit premier à son foyer; sans trop d'importunité pourtant, car ils tiennent les empressemens onéreux & de mauvaises graces, & estans assis au milieu d'eux, où ils nous donnoient tousjours bonne place, ils nous escoutoient fort attentivement, nous interrogeoient fort paisiblement, & se resjouissoient fort honnestement, accompagnans souvent ces visites de quelque petit present, ou du reste de sagamité, disant: Chataronchesta, avez vous de faim, Sega, mangez, mais pour mon particulier j'en prenois fort rarement, tant à case qu'il sentoit pour l'ordinaire trop le poisson puant, que pour ce que les chiens y mettoient souvent leur nez, & les enfans leur cueillier avec quoy ils mangeoient à mesme.
Comme par deçà l'on presente à boire aux amis, les Sauvages qui n'ont que de l'eaue à boire pour toute boisson, & qui boivent fort rarement, presentent le petunoir tout allumé à leurs amis, & à tous ceux qui leur rendent quelque visite, & nous tenans en cette qualité, ils nous en presentoient de fort bonne grâce. Mais comme je n'en ay jamais voulu user, je les en remerciois avec la mesme grace, & n'en prenois nullement, dequoy ils restoient au commencement fort estonnez, pour ny avoir personne en tous ces pays là qui n'en use, pour à faute de vin, & d'espices, eschauffer cet estomach, & aucunement corrompre tant de cruditez provenantes de leur mauvaise nourriture.
Pendant les grandes neiges, nous estions souvent contraints de nous attacher, des raquettes sous les pieds, ou pour aller au village, ou pour aller querir du bois, d'autant que n'y ayant sentier ny chemin frayé, nous n'eussions pu facilement nous retirer des neiges avec nos sandales de bois. Les Sauvages en usent de mesme comme choses aysées, car avec icelles l'on n'enfonce point, & si on fait bien du chemin en peu de temps, & plus qu'on ne feroit sans icelles.
Ces Agnonra, comme nos Hurons les appellent sont deux ou trois fois grandes comme les nostres. Les Montagnais, Canadiens, & Algoumequins, hommes & femmes avec icelles suivent la piste des animaux qu'ils font harceler & arrester par leurs chiens, puis l'abattent à coups de flesches, & d'espée emmanchées au bout d'une demie picque, qu'ils sçavent dextrement darder: aprés ils se cabanent, se consolent & se resjouissent là du fruict de leur travail, & sans ces racquettes ils ne pourroient courir l'eslan, ny le cerf, & par consequent, il faudroit qu'ils mourussent de faim en temps d'Hyver, si les autres bestes ne suppleoient.
Lors que pour quelque necessité ou affaire particulière, ils nous falloit aller d'une bourgade en une autre, nous allions librement loger & manger en leurs cabanes, ausquelles ils nous recevoient & traitoient fort humainement, bien qu'ils ne nous eussent aucune obligation, car ils ont cela de propre d'assister les passans, & recevoir courtoisement entr'eux toute personne qui ne leur est point ennemie; & à plus forte raison ceux de leur Nation, qui se rendent l'hospitalité reciproque, & assistent tellement l'un l'autre, qu'ils pourvoyent à la necessité d'un chacun, sans qu'il y ayt aucun pauvre mendiant parmy leurs villes, bourgs & villages, comme j'ay dit ailleurs, de sorte qu'ils trouvoient fort mauvais entendans dire qu'il y avoit en France grand nombre de ces necessiteux & mendians, & pensoit que cela fut faute de charité, & nous en blasmoient grandement, disans que si nous avions de l'esprit on donneroit bon ordre à cela, les remedes estans faciles.
Mais comme une amitié requiert une autre amitié, & un don un autre present, il est plus que raisonnable que nous autres qui leur sommes estrangers, & ausquels ils n'ont aucune obligation, qu'allans loger chez eux, & vivans à leurs despens, nous leur donnions tousjours quelque chose pour y estre tousjours les biens venus, autrement ils vous estimeroient Onustey, c'est à dire, chiche & avare, & à la fin vous n'y seriez pas si bien receus que du passé. Un peu de petun, de rassades, quelques aleines, ou autres petites choses, vous peuvent conserver leur amitié, & l'affection de vous recevoir tousjours courtoisement & traicter amiablement, comme j'ay esté par toutes leurs terres.
Du pays des Hurons, nombre du peuple. De leurs villes, villages, & cabanes, &, comme nous devons renoncer à nostre patrie pour vivre en paix en celle d'autruy.
CHAPITRE XI.
Bien que nostre vraye patrie soit le Paradis, auquel seul nous devons aspirer, & non aux choses de la terre. Si est-ce que l'amour du pays de nostre naissance nous est si naturel qu'encores que nous nous voulions resoudre de l'abandonner, si ne pouvons nous pourtant l'oublier disoit le Sertorius Romain. C'est pourquoy Socrates pour aucunement moderer l'imperfection & la passion de cette inclination naturelle, defendit à ses Disciples de dire cestuy-cy, ou celuy là est mon pays, afin qu'ils ne peussent dire, cecy est à moy, & cela est à toy, pensant par là couper la source de toutes les querelles, procès, & debats, qui demeureroient esteins à son advis, si toutes choses estoient possedées en commun.
Et à ce propos Plutarque au livre d'exil, raconte que Hercules le Thebain, ayant esté interrogé par les Sidoniens de quel pays il estoit naturel, respondit ainsi. Je ne fuis pas de la grande cité de Thebes, ny de la tres-renommée Athenes, ny moins de Lycaonie, ains suis naturel de toute la Grece. Grandement fut estimé par les Grecs cette responce d'Hercules, pour s'estre nommé naturel de Grece. Mais beaucoup plus fut prisée celle de Socrates, ayant esté enquis par le grand Sacrificateur Archites d'où il estoit auquel il respondit: Je ne suis de Thebes comme Thesiphonce, ny des Athenes comme Agesilaus, ny de Lycaonie comme Platon, moins de Lacedemone comme Lycurgus, mais suis né au monde, & naturel de tout le monde.
C'est une leçon qui devroit servir à beaucoup & particulièrement aux Religieux, car qu'est-il de besoin que l'on sçache, ce Frere, est de ce pays là, de cette ville là, il est de bonne maison, il est pauvre, il est riche puisqu'ayant Renoncé, au monde & à tout ce qu'il y pretendoit, il ne doit plus rien avoir à démesler avec iceluy. C'est aussi une vaine curiosité aux seculiers de s'en vouloir informer, pour esgaler l'honneur qu'ils leur rendent non au pois de leur vertu, mais à l'once de ce qu'ils ont quitté, comme si l'honneur n'estoit deu qu'aux apparences extérieures, à l'exclusion des vertus internes, lesquelles Dieu seul cherit sans distinction du pauvre ou du riche.
Or nos Hurons encores barbares n'ont pas esté instruicts en une si bonne escole qu'ils voulussent penser en un seul Paradis, ils disent franchement leur qualité & au delà, & croyent que ce leur soit honneur de haut louer leur pays, quoy qu'assez mal garny en comparaison de plusieurs autres contrées, qui se retrouvent plus vers le Su, mais comme il n'est pas encores des pires, je vous en feray la description telle que je l'ay deu sçavoir, laquelle vous sera d'autant plus utile que vous aurez de volonté d'y voyager.
Premièrement il est situé sous la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & selon aucuns le Soleil se leve six ou sept heures plus tard sur leur Orison que sur celuy de Paris, tellement qu'il est icy environ six heures du matin, qu'il n'est encor aux Hurons que unze heures ou minuit du jour précèdent, & la supputation en est bien faite, laquelle je rapporte simplement comme je l'ay apprise.
Ce pays est tres-beau & agréable, fort deserté & traversé d'estangs, & de lacs, avec des beaux ruisseaux qui se desgorgent dedans ce grand lac, que nous appellons la mer douce. Il est plein de belles collines, campagnes, & de tres-belles & grandes prairies qui portent quantité de bon foin, auquel les François mettent le feu sur le pied quand il est sec, non pour en profiter, mais pour se recreer.
Il y a aussi en plusieurs endroits quantité de froment sauvage, qui a l'espic comme seigle, & le grain comme de l'avoine; j'y fus trompé, pensant au commencement que j'en vis, que ce fussent champs ensemancez de bon grain: je fus de mesme trompé aus pois sauvages, où il y en a en divers endroicts aussi espais, comme, s'ils y avoient esté semez & cultivez: & pour monstrer evidemment la bonté de la terre, un Sauvage du village de Toenchen ayant planté dans un coin de son champ un peu de pois qu'il avoit apporté de Kebec rendirent en quantité leur fruicts deux fois plus gros que leur semence, dequoy je m'estonnay, n'en ayant point veu par tout ailleurs de si beaux.
Il y a de belles, forests, peuplées de gros chesnes, fouteaux, herables, cedres, sapins, ifs, & autres sortes de bois beaucoup plus beaux, sans comparaison, qu'aux autres provinces du Canada que nous avons veuës: & sont tousjours d'autant plus belles, le pays plus beau, & les terres meilleures, que plus on avance tirant au Su: car du costé du Nord les terres sont plus sablonneuses, le pays plus montagneux, & les forests plus desgarnies de gros bois, sinon de cedres qui croissent mesme jusques dans les veines des rochers-, comme je vis voyageant sur la mer douce, pour la pesche du grand poisson.
Il y a plusieurs contrées ou provinces au pays de nos Hurons qui portent divers noms, & sont gouvernées par divers Capitaines ou chefs généraux & particuliers dependans & independans; celle où commandoit le grand Capitaine Atironta s'appelle Renarhonon, celle d'Entanaque s'appelle Arigagnongueha, & la Nation des Ours qui est celle ou nous demeurions sous le grand Capitaine Anoindaon s'appelle Atingyahointan, & en cette estendue de pays il y a environ vingt ou vingt cinq tant villes que villages, dont une partie ne sont point clos ny fermez, & les autres sont fortifiez, de longues boises de bois à triples rangs, à la hauteur d'une longue picque entrelassées les unes dans les autres, & redoublées par dedans de grandes & grosses escorces de huict à neuf pieds de haut, par dessous il y a de grands arbres esbranchez posez de leur long sur les troncs des arbres faits en fourchettes, fort courtes pour les tenir en estat, puis au dessus de ces pallissades & fermetures, il y a des galleries ou guerittes qu'ils appellent Ondaqua, lesquelles ils garnirent de pierres en temps de guerre pour ruer sur l'ennemy, & d'eau pour esteindre le feu qu'il y pourroit appliquer. On y monte par une eschelle assez mal façonnée, & difficile, qui est faite d'une longue piece de bois charpentée de plusieurs coups de haches, pour tenir ferme du pied en montant.
Les villes & villages de nos Hurons sont permanans, & ne se changent point sinon lors que trop esloignez des bois, ils ont de la peine d'en avoir. Et en second lieu quand leurs heritages sont tellament amaigris & deseichez (à faute de fumier) qu'ils ne peuvent plus produire leur bled à la perfection ordinaire, ce qui arrive de dix, vingt, trente, & quarante ans, plus ou moins selon les contrées, la bonté des territoires, ou l'esloignement des forests, au milieu desquelles ils bastissent tousjours leurs bourgs & villages pour les commoditez qu'ils en reçoivent, car auparavant que tous les bois des environs soient consommez, il y va un grand temps, de maniere qu'il n'y auroit plus qu'à trouver l'industrie de fumer les terres, ou de semer, en de nouvelles places leur bled d'Inde, qu'ils sont accoustumez de planter tous les ans dans les mesmes trous des années precedentes, qu'ils seroient comme nous des eternitez en un mesme lieu, car pour le bois ils ont l'invention de l'amener en temps d'Hyver, par sus les neiges, attaché sur de certaines traisnées ou planchettes de cedre fort commodement.
Leurs cabanes qu'ils appellent Ganonchia, sont faites comme j'ay dit en façon de tonnelles ou berceaux de jardins, couvertes d'escorces d'arbres, longues de vingt cinq à trente toises plus ou moins, selon qu'il eschet (car elles ne sont pas toutes d'une egale longueur) & larges de six, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de large, qui va d'un bout à l'autre de la cabane, aux deux costez de laquelle il y a une maniere d'establie, qu'ils appellent Endicha, de mesme longueur & de la hauteur de quatre ou cinq pieds, où ils couchent en Esté pour eviter l'importunité des puces dont ils ont en quantité, & en Hyver au bas sur les nattes devant le feu arrangez les uns joignans les autres pour estre plus chaudement, les enfans au lieu plus commodes & les pere & mere aprés, & n'y a point d'entre-deux ou de separation, ny pied, ny chevet, non plus en haut qu'en bas, & ne font autre chose pour se reposer, que de s'estendre, en la mesme place où ils se trouvent assis, & s'affubler la teste dans leur robe sans autre couverture, ny lict, qui est une façon de se coucher aysée, & qui le continue à petit fraiz.
Ils emplissent de bois sec pour brusler en Hyver, tout le dessous de ses establies, mais pour les grosses busches, qu'ils appellent Anemeuny qui servent à entretenir le feu posées à terre par un des deux bouts & eslevées de l'autre sur une pierre, ou bout de tizon, ils en font des piles devant leurs cabanes, ou les serrent au dedans des porches, qu'ils appellent Aque. Toutes les femmes s'aydent à faire ceste provision de bois, qui se faict dés les mois de Mars & d'Avril, & avec cet ordre en peu de temps chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire.
Ils ne se servent que de tres-bon bois, aymans mieux l'aller chercher bien loin, qu'avoir moins de peine & en avoir de mauvais ou qui fasse fumée, c'est pourquoy ils entretiennent tousjours un feu clair & bien faict: avec peu de bois, que s'ils: ne rencontrent point d'arbre secs à leur gré, ils en abbatent de ceux qui ont les branches mortes, lesquelles ils mettent par esclats & couppent de longueur comme les cotrets de Paris. Pour le fagotage, ils ne s'en servent point du tout, non plus que du tronc des gros arbres qu'ils abbatent, lesquels ils laissent là pourrir sur la terre faute de scie pour les scier, ou d'industrie pour les mettre en pièces, qu'ils ne soient secs & pourris, & pour nous qui n'y prenions pas garde de si prés, nous nous servions du premier venu, sans employer tout nostre temps à en aller chercher si loing, car c'estoit à nous mesmes à y pourvoir, & non aux Sauvagesses, qui ne nous en donnoient que par courtoisie ou par presents reciproquez d'autres de pareille valeur, sinon lors que nous estions logez dans leurs cabanes.
En une cabane il y a plusieurs feux, & à chaque feu il y a deux mesnages, l'un d'un costé, & l'autre de l'autre, & telle cabane aura jusqu'à 8 10 ou 12 feux qui font 24 mesnages, & les autres moins, selon qu'elles sont longues ou petites, & où il fume à bon escient, qui faict que plusieurs en recoivent de tres-grandes incommoditez aux yeux, n'y ayant fenestre ny aucune ouverture, que celle qui est au faiste de leur Cabane par où fort la fumée.
Ces cabanes n'ont aucune cloison ou separation, qui puisse empescher de porter sa veuë d'un bout à l'autre & voir ce qui s'y passe, neantmoins ils y demeurent tous en paix & sans aucune confusion n'y bruits, chacun dans son département avec ce qui leur appartient, qui n'est ny enfermé, ny clos de clefs ou de serrures. Aux deux bouts il y a à chacun un porche, & ces porches leur servent principalement à mettre leurs grandes cuves ou tonnes d'escorce, dans quoy ils serrent leur bled d'Inde, aprés qu'il est bien sec & esgrené. Au milieu de chacun de leur logement il y a deux grosses perches suspendues, qu'ils appellent Ouaronta, où ils pendent leur cramaliere, & mettent leurs fourures, vivres & autres choses, peur des souris, & pour tenir les choses seichement.
Pour le poisson duquel ils font provision pour leur Hyver, aprés qu'il est boucané & bien deseiché, ils le serrent en des tonneaux d'escorce, qu'ils appellent Acha, excepté Leinchataon, lequel ils n'esventrent point & le pendent au haut de leur cabane attaché avec des cordelettes peur des souris & d'une mauvaise odeur qu'il rend en temps chaud, telle que personne ne la pourroit souffrir îcy.
Crainte du feu, auquel ils sont assez sujects, ils serrent ordinairement ce qu'ils ont de plus précieux dans des tonneaux d'escorces, qu'ils enterrent en des fosses profondes qu'ils font au coin de leur foyer, puis les couvrent de la mesme terre, & par ce moyen sont conservez non seulement du feu, mais auffi de la main des larrons, pour n'avoir d'autre coffre ny armoire en tout leur mesnage que ces petits tonneaux. Il est vray qu'ils se font fort peu souvent du tort les uns aux autres; mais encore, s'y en pourroit il trouver de meschans, qui vous feroient du desplaisir s'ils en trouvoient l'occasion, car l'object, esmeut la puissance, dit le Philosophe, & l'occasion faict le larron.
Des exercices ordinaires des Hurons, & des pauvres mendians & vagabons, & comme les Canadiens cabanent & courent les bois.
CHAPITRE XII.
CE bon Legislateur des Atheniens Solon, fist une Loy dont Amafis Roy d'Egypte avoit esté jadis Autheur; laquelle obligeoit un chacun de monstrer tous les ans d'où il vivoit par devant le Magistrat, autrement à faute de ce faire il estoit puny de mort. Et le bon Empereur Marc Aurelle, faisant mention de l'ancienne diligence des Romains, escrit qu'ils s'employerent tous avec telle ardeur aux labeurs & travaux, qu'ils ne peurent oncques trouver en toute la Cité de Rome un homme oisif, pour porter une lettre à deux ou trois journées.
C'estoit une occupation sans exemple & qui tesmoignoit le bon ordre de leur Republique, dans lesquelles on ne doit jamais souffrir ceux qui pouvans gaigner leur vie par un honneste travail ne font mestier que de volleries & brigandages, comme cela n'est que trop ordinaire par toute la France & particulierement à Paris, où souvent ils passent pour honnestes gens, mais le pis est que comme ils ne se contentent pas de la mediocrité à laquelle ils preferent le luxe & la delicatesse, ils mettent souvent vostre vie en hazard, pour l'avoir avec la bource.
Les Chinois desquels nous devrions imiter les Loix (quoyque Payens) ont aussi trouvé l'invention de bannir d'entr'eux les fainéants & paresseux, par une ordonnance inviolablement observée, à tous les pauvres, sous tres-grieves peines, de mandier par les rues, & à qui que ce soit de leur donner, n'y ayant que les seuls, Religieux Chinois à qui il est permis de quester, & chercher leur vie de porte en porte, comme pardeça les FF. Mineurs.
Mais pour ce qu'il sembleroit que ce seroit tout à faict bannir la charité & l'humanité du milieu d'eux, ils ont des Hospitaux Royaux en grand nombre par tout le Royaume, pour loger, nourrir, & entretenir les vrays pauvres, s'entend ceux qui n'ont aucun moyen de travailler & gaigner leur vie, & non les autres qui peuvent faire quelque chose, lesquels sont contraincts de servir pour leurs despens, ce qui est plus que raisonnable, car qu'elle apparence y auroit il de nourrir du bien des pauvres, ceux qui ont de la santé assez pour n'estre point pauvres & vivre honnestement accommodé.
C'est pour la mesme raison que les Aveugles n'y sont point exempts de travailler, ny admis dans les Hospitaux, s'ils ne sont vieux & cassez, & ne leur est non-plus permis de tracasser & mandier par les rues, ny par les Temples, comme ils font à Paris, au grand destourbier de ceux qui prient Dieu. Mais on les oblige chez les cordiers & Potiers d'estain, pour tourner les roues, & faire plusieurs autres exercices où il ne faut point d'yeux. Nous voyons mesmes nos vieilles Huronnes, qui pour avoir la veue debile, ne demeurent pas pour cela tousjours oyseuses; elles s'employent d'elle mesmes à esgrener le Maiz hors des épics, à filer, pleurer les morts, & à plusieurs autres petites occupations compatibles à leurs infirmitez.
On employe les manchots & estropiez en d'autres choses selon leurs incommoditez, & les culs de jattes à faire des espingles & esguilles, à coudre des habits & faire plusieurs autres petits exercices des mains. Mais pour les playez & ulcerez, il est croyable qu'ils y sont moins frequens que par deça, puis que la mendicité leur est interdite, & que s'ils entrent dans les Hospitaux, leurs playes sont visitées & eux oeilladez de prés, pour eviter aux tromperies & artifices, desquels plusieurs gredins & caymans uzent, pour entretenir leurs playes & tirer la quinte-essense des bources. Que si on y prenoit garde de prés, on feroit souvent icy des miracles sans miracles, en des personnes que l'oeil gueriroit sans medicament, & m'estonne comme à Paris, & aux autres bonnes villes de la France, il n'y a des Chirurgiens gagez pour y donner ordre, puis que les abus y sont si frequens que personne n'en peut douter, du moins les vrays pauvres & malades seroient secourus & les trompeurs chastiez ou banis.
Nos Sauvages ne sont point en peine de dresser des Hospitaux pour les malades, ny de deffendre la mandicite aux vagabonds, car chacun a soin de ces malades, & aucun n'est tellement vagabond qu'il doive vivre aux despens d'autruy. Ils ne sont point neantmoins si exacts observateurs que d'employer le temps avec un soin si particulier des anciens Romains, mais encore ont ils quelques occupations & exercices particuliers, ausquels ils s'adonnent & employent aucunement le temps. Les hommes vont à la chasse, à la pesche, à la guerre, à la traicte, & font des cabanes & canots ou les outils propres à cela; le reste du temps à la vérité ils le passent en oysiveté, à jouer, dormir, chanter, dancer, petuner, ou aller en festin, & ne veulent s'entremettre d'aucun ouvrage qui soit du devoir de la femme sans grande necessité, & par ainsi jouissent de beaucoup de repos qu'on ne jouyt pas icy.
Ce n'est pas neantmoins en cela que consiste leur bon-heur, principallement, mais c'est en ce qu'ils n'ont aucune passion pour les biens & richesses de la terre, qu'ils possedent comme ne les possedans point, ainsi que dit l'Apostre. N'ont aucun procés, noises ou debats, pour les deffendre, & ne sçavent que c'est de condemnation, de Juges, de tailles, subsides, ny de prison, que pleust à Dieu qu'ils fussent convertis, mais à mesme temps qu'ils seront faicts Chrestiens, je crains bien fort qu'ils perdront leur simplicité & repos, non que la Loy de Dieu porte ceste necessité, mais la corruption glissée entre les Chrestiens se communique facilement entre les barbares convertis, qui succent avec la doctrine des Saincts, le mauvais esprit de ceux qui les fréquentent.
Ils ont l'exercice du jeu tellement recommandable & coustumier, qu'ils y employent une bonne partie du temps qui leur reste des autres occupations plus serieuses, ausquelles ils s'addonnent assez peu souvent, & que la necessité ne les y contraigne. Ils sont fort beaux joueurs & patiens, car encores que la chanse ne leur en die point, ils ne s'en faschent pas, & perdent aussi gayement du moins extérieurement, que s'ils estoit en chanse, dont j'en ay vu, quelqu'uns s'en retourner en leur village tout nuds, chantans alaigrement aprés avoir tout perdu au nostre, & est une fois, arrivé qu'un Canadien perdit (aprés toutes ses hardes) & sa femme & ses enfans contre le sieur Du Pont Gravé, lequel les luy rendit aprés volontairement, & de bonne volonté, car il n'eust pas voulu se charger d'un tel attirail, qui luy eust apporté plus de peine que de profit, & neantmoins, il estoit en luy de les retenir sans que le Sauvage l'eut pu trouver mauvais.
Les hommes ne s'adonnent pas seulement au jeu de joncs nommé Aescaya qui sont trois ou quatre cens petits joncs blancs, également couppez de la grandeur d'un pied ou environ, mais aussi à plusieurs autres sortes de jeu, comme de prendre une grande escuelle de bois, & dans icelle avoit cinq ou six noyaux ou petites boulettes un peu plattes de la grosseur du bout du petit doigt & peintes de noir d'un costé & blanche ou jaune de l'autre, & estans tous assis à terre en rond, à leur accoustumée, prennent tour à tour selon qu'il eschet, ceste escuelle avec les deux mains qu'ils eslevent un peu de terre, & à mesme temps l'y reposent & frappent un peu rudement, de sorte que ces boulettes se remuans, ils voyent comme au jeu des dez de quel costé elles se reposent & si elles sont pour eux ou non, & pendant que celuy qui tient l'escuelle la frappe & regarde à son jeu, il dit continuellement & sans intermission, Tet, Tet, Tet, Tet, pensant que cela excite & faict bon jeu pour luy; encor que cela ne sert que d'un amusement, plus tolerable que les choleres de nos joueurs de cartes & de dez, qui s'emportent à leurs premières passions.
O bon Jesus, il n'y a pas jusqu'a un tas de mauvais garçons, que ne cessent de blasphemer au jeu, comme si offencer un Dieu nous devoit faire profiter ou plustost périr dans ses disgraces. Ah mal-heureux! qui as pris l'habitude de jurer, tous les vices doivent estre abhorrez, mais celuy du blaspheme plus que tous les autres, car il n'y a vice qui ne puisse causer quelque delectation & non jamais le blaspheme, & par consequent moins excusable que les autres, qui tous nous meinent à la damnation.
Pour le jeu ordinaire des femmes & filles, auquel s'entretiennent aussi par fois des hommes & garçons avec elles, est particulièrement avec cinq ou six noyaux, comme ceux de nos abricots, noirs d'un costé & jaunes de l'autre, lesquels elles prennent avec la main comme on faict les dez, puis les jettent un peu en haut, & estans tombez sur une peau qui leur sert de tapis, elles voyent ce qui faict pour elles, & continuent à qui gaignera les coliers, oreillettes, ou autres bagatelles de leurs compagnes, & n'ont jamais de monnoye d'or ou d'argent, car ils n'en ont aucune cognoissance ny usage, de manière que quand il est mesme question de trafique ou achat de marchandise ils ne font qu'eschanger une chose pour une autre.
Je ne puis obmettre aussi qu'ils pratiquent en quelqu'uns de leurs villages, ce que nous appellons en France, porter les momons; car ils envoyent le cartel de defy aux autres villages, pour les faire venir jouer avec eux & gaigner leurs ustencilles s'ils peuvent, & cependant les festins ne manquent point, car pour la moindre occasion la chaudière est sur le feu, particulierement en Hyver, qui est le temps auquel principallement ils festinent & se resjouissent ensemblement pour passer plus doucement la rigueur de la saison.
Ils ayment la peinture, & y reusissent assez industrieusement pour des personnes qui n'y ont point d'art, ny d'instrumens propres, & font des representations d'hommes, d'animaux, d'oyseaux & autres grotesques, tant en relief de pierres, bois, & autres semblables matieres, qu'en platte peinture sur leur corps qu'ils font non pour idolatrer, mais pour contenter leur veuë, embellir leurs callumets & orner le devant de leurs cabanes.
Pendant l'Hyver, du filet que les femmes & filles ont disposé, les hommes en font des rets & seine & pour pescher & prendre le poisson, jusques sous la glace, par le moyen des trous qu'ils y font en plusieurs endroits, dont en voicy la méthode.
Ils font, à grands coups de hache un trou assez grandelet dans la glace d'un lac ou de la riviere; ils en font d'autres, plus petits, d'espaces en espaces, & avec des perches ils passent une fiscelle de trous en trous par-dessous la glace: ceste fiscelle aussi longue que les rets qu'on veut tendre, se va arrester au dernier trou, par lequel on tire, & on estend dedans l'eau toute la rets qui luy est attaché. Quand on les veut visiter, on les retire par la plus grande ouverture, pour en recueilir le poisson, puis il ne faut que retirer la fiscelle pour les retendre, les perches ne servans qu'à passer la première fois la fiscelle.
Ils font aussi des fleches avec le cousteau fort droictes & longues & n'ayans point de cousteaux, ils se servoient anciennement des pierres tranchantes, & les empennent de plumes de queuës & d'aisles d'Aigle, par ce qu'elles sont fermes & se portent bien en l'air. Ils accommodent la pointe avec de nos fers qu'on leur traicte à Kebec, ou bien avec une pierre acerée qu'ils collent dans le bout de la flèche fendue avec une colle de poisson tres-forte. Ils font les cordes de leurs arcs avec des boyaux du nerfs d'animaux, de mesme celles des raquettes, qui leur servent pour aller sur la neige au bois & à la Chasse puis des massues de bois pour la guerre, assez bien faictes, & des pavois de cedre, qui leur couvrent presque tout le corps, & d'autres plus petits faicts de cuir bouilly.
Ils font aussi des voyages par les lacs & rivieres qui sont frequentes dans le païs, jusques en des nations fort esloignées, où ils traictent & eschangent de leurs marchandises pour d'autres, qui leur font besoin & desquelles leur païs manque, mais ils n'entreprenent pas ordinairement ces voyages de longs cours, inconsideremment & sans en avoir premierement eu la permission des Chefs; lesquels en un conseil particulier, ont accoustumé d'ordonner tous les ans, la quantité d'hommes qui doivent partir de chaque ville ou village, pour ne les laisser desgarnis de gens de guerre, & quiconque voudroit partir autrement le pourroit faire à toute rigueur, mais il en feroit blasmé & estimé mal advisé & incivil.
J'ay veu plusieurs Sauvages des villages circonvoisins venir au bourg S. Joseph, demander congé au Capitaine Onorotandi, frere du grand Capitaine Auoindaon, pour avoir la permission d'aller au Saguenay: car il se disoit Maistre superieur des chemins & rivieres qui y conduisent, s'entend jusques hors le païs des Hurons. De mesme il falloit avoir la permission & congé d'Auoindaon, pour aller à Kebec, & comme chacun entend d'estre le maistre en son pais, aussi ne laissent ils passer aucun d'une autre nation par leurs terres, pour la traicte, sans estre recognus & gratifier de quelque present: ce qui se faict sans difficulté, autrement on leur pourroit donner de l'empeschement & faire du desplaisir si on vouloit.
Sur l'Hyver que le poisson se retire sentant le froid, comme au mois de Juillet & d'Aoust sentant le chaud, les Sauvages errants comme sont les Canadiens, Algoumequins, Etechemins & autres, quittent les rives de la mer & des rivieres & se cabanent dans les bois, là où ils sçavent qu'il y a de la venaison. Pour nos Hurons, Honquerons & autres peuples sedentaires, ils ne quittent point leurs villes & villages, que pour les raisons que j'ay deduites cy-dessus, au chapitre precedent.
Lors que ces peuples errants ont faim, ils consultent l'Oracle, & aprés s'en vont l'arc en la main & le carquois sur le dos, la part que leur Medecin leur a indiqué, ou ailleurs où ils pensent ne point perdre leur temps. Ils ont des chiens qui les suyvent, & nonobstant qu'ils n'aboyent point, toutesfois ils sçavent fort bien descouvrir le giste de la beste qu'ils cherchent, laquelle ayant trouvée ils la poursuivent courageusement & ne l'abandonnent jamais qu'ils ne l'ayent terrassée, & en fin l'ayant navrée à mort ils la font tant harceler par leurs chiens, qu'il faut qu'elle tombe, lors ils luy ouvrent le ventre, baillent la curée aux chien, festinent & emportent le reste. Que si la beste pressée de trop prés rencontre une riviere, la mer, ou un lac, elle s'eslance librement dedans, & nos Sauvages aprés ou ils luy donnent le coup de la mort, s'ils ont des canots prest, comme ils firent à Gaspey, un jour avant mon arrivée.
Or pour ce que plusieurs pourroient penser qu'estans les Montagnais errants, ils vivent en bestes en leur hivernement, je vous ay icy mis l'ordre qu'ils y tiennent, qui est une coustume louable, car voulans se départir & courir les montagnes & les bois, ils font une reveuë de la Quantité de femmes vesves, petits enfans & de personnes qui ne peuvent avoir leur vie par le moyen de la chasse, & les départent par les familles également, ostans des enfans où il y en a beaucoup, pour les mettre où il y en a moins, & ainsi des autres personnes inutiles. Et pour ce qui est des hommes & garçons capables de la chasse, s'il y a quelque famille qui en manque, on en tire de celles qui en ont trop pour en accommoder de moins accommodées. Il n'y a que les filles de mauvaise vie, à qui on a peine de trouver place, pour autant qu'elles sont en opprobre parmy ceux de leur nation, comme les filles desbauchées icy.
Tout cest accommodement estant faict, si les neiges sont assez hautes, ils donnent ordre qu'en chaque famille il se fasse des traisnes de bois, d'environ un pied de large, & huict ou dix de long, un peu courbées par le bout de devant, sur lesquelles ils chargent tous leurs pacquets vivres & emmeublement avec les petits enfans, qui ne peuvent marcher, si les meres n'ayment mieux les porter sur leur dos emmaillottés sur une petite planchette, à la façon de nos Huronnes, & en cette manière courent les bois s'ils ne prennent les rivieres.
Estans arrivez au lieu où ils doivent camper, les jeunes femmes & filles ayans la hache en main vont par ces grandes forests coupper quinze ou vingt perches, plus ou moins, selon la grandeur de la cabane qu'ils ont à faire. Cependant les vieilles femmes & aucunefois les hommes, en ayans designé le plan vuident la neige avec leurs pelles, qu'ils font & portent expres pour ce suject. La place se faict ronde ou en quarré à la volonté du maistre Architecte, profonde selon la hauteur des neiges de deux, trois, jusques à quatre pieds, de manière que la neige leur sert comme d'une muraille qui les environne de tous costez, excepté par l'endroit où on la fend, pour faire la porte que l'on tient fort basse.
Les perches estans apportées on les plante sur le haut de la neige., puis on jette sur ces perches qui s'approchent un peu par en haut quatre ou cinq rouleaux d'écorces cousues ensemble commençant par le bas, comme font les recouvreurs des maisons, la neige que l'on a à dos, est aprés couverte de petites branches de cedre ou de pin, dequoy la maison est aussi pavée, haute ou basse selon qu'il eschet, car en aucunes on s'y tient facilement debout & en d'autres non. L'huis du logis n'est autre qu'une meschante peau d'Eslan attachée à deux perches, qui servent de porte, dont les jambages du palais, sont la neige mesme, soustenue de quelque bois.
Je ne sçay si l'on pourroit assez exagerer la peine & les incommoditez que l'on souffre dedans ces chetifs palais, où l'on experimente par fois les deux extremitez, un extreme chaud tel que l'on est à demy rosty, ou un extreme froid, tel que l'on est à demy glacé, & puis les chiens nous inportunent sans cesse pour avoir place auprés de vous, mais la fumée selon les vents en est insupportable, comme la faim quand la chasse n'est pas bonne, un autre puissant divertissement d'esprit.
S'ils n'ont dessein que demeurer une seule nuict en un mesme lieu, ou deux, ou trois au plus, ils n'y apportent point tant d'invention, particulierement lors qu'ils n'ont point de petits enfans, car à peine font ils de cabanes, & si ce sont chasseurs, ils se contentent de coucher sur la neige au pied d'un arbre, ou pour le plus ils font un trou dans la neige, auquel ils font du feu & se couchent auprès, dormans là aussi gaillardement, que nous sçaurions faire icy sur un bon lict.
Ils se cabanent ordinairement plusieurs mesnages ensemble, & ne se servent que d'un feu à deux, à la manière de nos Hurons, mais il y a cela de difference que nos cabanes Huronnes sont bonnes & solides, grandes & spacieuses, & pour ce ordinairement froides si on n'en bouchoit les advenuës, là ou les Montagnaises sont petites, basses, reeerrées, & facilement eschauffées, si on y apporte tant soit peu de soin.
J'ay admiré les grands voyages que nos Montagnais & Canadiens font quelquesfois, tant par mer, par les rivieres, que par terre, pour traiter les marchandises qu'ils ont eues des François, ils vont jusques vers les Flamands du costé de la Virginie, & en la Virginie mesme, où sont habituez les Anglois, & en beaucoup d'autres pays du costé du Saguenay, par des chemins fort difficiles & dangereux, & entreprendront (chose incroyable) d'aller dix, vingt, trente & quarante lieues par les bois, sans rencontrer ny sentiers, ny cabanes, & sans porter aucuns vivres, sinon du petun, & un fuzil, avec l'arc au poing, & le carquois sur le dos. S'ils sont pressez de la soif, & qu'ils ne rencontrent point d'eau ils ont l'industrie de faire une fente dans l'escorce des plus gros fouteaux qui sont en seve, & en succent la douce & agreable liqueur qui en distile, comme nous soulions faire pour semblable necessité, & les affadissemens & débilité du coeur.
Les escorces de bouleau avec quoy ils cabanent sont environ de 8 à 9 pieds de longueur, & environ trois pieds de largeur qu'ils portent roulées comme une peau de parchemin, ayant aux deux bouts à chacun une baguette platte cousuë qui les tiennent en estat & les empeschent de faire de faux plis.
Pour leurs canots ils sont assez petits, mais lors qu'ils en ont besoin de plus grands ils traitent des chalouppes Françoises, avec lesquelles ils vont librement sur les rivages de la mer, comme ils font encores avec leurs petits canots, mais avec moins d'asseurance, ceux de nos Hurons sont de huict & neuf pas de long, & environ un pas, ou un pas & demy de large par le milieu, & vont, en diminuant par les deux bouts comme la navette d'un Tessier, & ceux là sont des plus grands qu'ils fassent, car ils en ont encores d'autres plus petits desquels ils se servent selon l'occasion & la difficulté des voyages qu'ils ont à faire.
Ils sont fort sujets à tourner si on ne les sçait bien gouverner, car ils ne sont simplement faits que d'escorce de bouleau renforcés par le dedans de petits cercles de cedre blanc bien proprement arrangez, & sont si légères qu'un homme seul en porte aysement un sur sa teste, ou sur son espaule, comme ils font ordinairement par la campagne. Chacun peut porter la pesanteur d'une pippe plus ou moins, selon qu'il est grand ou petit, & si l'on fait aussi, d'ordinaire par chacun jour, quand l'on est pressé 25 ou 30 lieues, dedans pourveu qu'il ny ait point de saut à passer, qu'on aille au gré du vent & de l'eau, car ils vont d'une vitesse & legereté si grande que je m'en estonnois, & ne pense pas que la poste pût guere aller plus viste, quand ils sont conduits par de bons nageurs.
Ils vont à la traicte en de certaines Nations, d'où ils rapportent de grosses coquilles de limaçons de mer, qu'ils rompent par petits morceaux, & les polissent sur un grais, ou autre pierre dure, fort industrieusement les unes en quarré gros comme une noix, & les autres un peu en rondeur gros comme vu pois chiche & plus, qu'ils percent avec je ne sçay quel instrument avec grand peine & travail pour la dureté de ces os desquels ils font des chaines & brasselets. Les Capitaines & quelques particuliers en sçavent si bien accommoder leur petunoirs, que vous diriez que ce soir l'oeuvre d'un excellent graveur, tant ces petits grains de pourceleine y sont gentiment enchassez.
On avoit tasché de leur faire passer de l'yvoire pour de la pourceleine, mais il n'y a pas eu moyen pour ce que la pourceleine est tout autrement dure, blanche & luisante que l'yvoire, & par ainsi aysée à discerner. Les Brasiliens, Floridiens & autres peuples & nations Américaines en usoient anciennement, avant la venue des Espagnols, & dequoy ils faisoient autant d'estat pour se parer que nous faisons icy des perles fines, mais à present ils portent leur pensée bien plus haut à mesure qu'ils descouvrent de plus grandes richesses, & qu'ils ont changé de maniere de vivre & embrassé nostre Religion.
Quand nos Hurons ont leur petunoir ou calumets de terre rompus, ils prennent une pierre trenchante, & d'icelle se font tant de taillades sur le bras qu'ils en tirent du sang suffisamment pour tremper les deux bouts du calumet rompu; puis les presentent un peu au feu, & après les rejoignent & laissent seicher à loisir. C'est un secret d'autant plus admirable que les pieces recollées de ce sang, sont après plus fortes que les autres, qui n'ont point receu de fraction. Il me semble qu'on en dit de mesme d'une jambe rompue bien remise.
J'admirois egallement ce secret avec leur patience, car vous eussiez dit qu'ils decouppoient la chair d'un autre, ou qu'ils fussent, sans sentiment, car ils ne faisoient pas une petite mine, mais c'estoit encor bien d'avantage de les voir eux-mesmes consommer un morceau de tondre ou de moelle de sureau allumé sur leur bras nuds comme si rien ne les eut touché, & après nous monstroient les marques & cicatrices de leur bruslure qui leur restoient pour tousjours sur les bras. Ce sont ordinairement les jeunes garçons qui s'adonnent à ce jeu là pour estre estimez courageux; car pour les grands ils ont fait leur expérience, & se mocquent de quelque douleur que ce soit pourveu qu'elle ne les oblige au lict.
Pendant que je demeurois aux Hurons l'on me fit recit d'un François, aussi peu sage qu'il vouloit estre estimé patient, lequel estant deffié par un Sauvage à qui pourroit mieux endurer le feu, se firent attacher leur deux bras nuds par les coudes & par les poignets avec des ligatures, puis mirent un gros charbon de feu allumé entre-deux & le soufflerent tant (chacun de son costé) qu'ils le consommerent, car qui eut retiré son bras ou secoué le feu, eut esté estimé moins courageux, tant y a que tous deux en sortirent à leur honneur, mais au despens de leur propre chair qui commençoit à se griller.
J'eusse volontiers demandé à ce François s'il en eut bien voulu souffrir autant pour l'amour de Dieu, qu'il avoit fait pour sa vanité, mais je crains bien fort qu'il m'eut dit que non, & que Dieu n'avoit point tant de crédit chez luy, aussi y a il plus de barbarie que de merite en toutes ces actions là, si elles ne sont faites purement pour l'amour de Dieu, ou pour s'exercer au martyre, comme nous lisons qu'ont faits autrefois de nos Saincts Frères, fols selon le monde, & sages selon Dieu.
Des femmes, & en quoy s'occupent ordinairement les Huronnes.
CHAPITRE XIII.
C'Est un tres-excellent honneur à la femme d'estre appellée le Sexe devot dans les Saintes lettres; mais la plus ravissante louange que luy puisse attribuer le Sage, est de l'appeller le support des pauvres, la consolation des affligez, & le refuge des indigens. Où il n'y a point de femmes le pauvre gémit, dit Salomon: nous voulant donner à entendre, que les pauvres n'ont que faire où n'y a point de femmes, & de fait nous les voyons plus secourables que les hommes, ont plus de compassion, sont plus charitables, & frequentent d'avantage les Sacrements, les Hospitaux, & les prisons, personne n'en peut douter, puis que leurs pratiques ordinaires, & les exercices continuels des sainctes femmes, en sont des tesmoignages plus que suffisans. Je ne parle pas seulement des femmes de mediocre condition; & qui ne peuvent apprehender l'horreur des cachots, n'y la puanteur des Hospitaux, mais des Dames les plus relevées de condition jusques à la Reyne mesme la plus excellente & vertueuse Princesse de la terre, laquelle abaissant la hautesse de sa dignité Royale, fait quelquefois l'office des plus vertueux & devots Religieux, envers les pauvres agonisans, aux Hospitaux, & en lieux où elle se rencontre, les encourage à la mort, les exhorte à la patience, & au resouvenir des douleurs qu'un Dieu a souffert pour nous en Croix. C'est cette tres-admirable Princesse qui d'un profond ressentiment de son ame, nous dit un jour dans son petit cabinet; O mon Dieu, falloit il que les Religionnaires passassent la mer pour ayder à perdre les ames des Canadiens, que ces bons Religieux taschent de convertir à Dieu, par leurs prières &c
Il est vray qu'il ne se voit rien de comparable à une femme vrayement devote & spirituelle, elle entreprent tout pour l'amour de son espoux Jesus Christ, elle souffre tout pour le mesme amour, puis vous la voyez tantost faire l'office de Marie, puis celuy de Magdelene. Elle sçait mesnager ses heures pour tous & les donne toutes à Dieu, car soit qu'elle vaque à l'Eglise, à son mesnage, en compagnie, ou rendre ses visites, comme son intention est saincte, tous ses pas & ses actions sont contées devant Dieu; mais que ne peut la grace envers celles qui ont bonne volonté, puisque la nature vitiée des son origine peut mesme par frequens actes, changer nos mauvaises inclinations en de bonnes habitudes, & nous rendre de vicieux vertueux, comme les anciens Philosophes nous ont fait voir en l'honnesteté de leur vie, & en la patience aux injures & au mespris qu'ils enduroient mieux que nous.
Que pleust à Dieu que le nombre des bonnes femmes fust le plus grand nombre, les pauvres ne seroient plus pauvres, & les affligez desolez, car chacun recevroit support en sa pauvreté, & consolation dans ses detresses, le Ciel nous seroit ouvert & verrions à la fin un Dieu, qui fait plus d'estat de l'humilité d'une pauvre femmelette, que de la science d'un Docteur indevot.
Je ne veux neantmoins point tellement relever la vertu propre & naturelle des Femmes au dessus de celle de l'homme, que je n'accorde qu'il y en a de tres-mauvaises mondaines, avares, & criardes comme des furies, mais peu en comparaison des bonnes à mon advis.
Nos Huronnes bien que Payennes sont à la vérité un peu trop desbauchées, mais au reste elles ont les mesmes advantages de celles d'icy. Elles font paisiblement leurs petites ouvrages, & s'occupent à ce qui est de leur charge & office, sans que jamais on y entende aucune noise ou débat, quelque sujet qui leur en puisse arriver.
Elles travaillent ordinairement plus que les hommes, encores qu'elles ny soient point forcées ny contraintes. Elles ont le soin de la cuisine & du mesnage, de semer & cultiver les bleds, faire les farines, accommoder le chanvre, & les escorces, & de faire la provision de bois necessaire. Et pour ce qu'il reste encor, beaucoup de temps à perdre, elles l'employent à jouer, aller aux dances, & festins, à deviser & se recreer, & faire tout ainsi comme il leur plaist du temps qu'elles ont de reste, qui n'est pas petit, puis que tout leur mesnage ne consiste qu'à mettre le pot au feu, & à quelque, petit fatras, n'estans obligées à tout ce qui est du travail exterieur, comme estoient jadis les femmes d'Egypte, lesquelles exerçoient la marchandise, tenoient taverne, & faisoient tout ce qui est de l'office des hommes, au lieu que leurs marys vivoient en faineants & dormoient en paresseux.
Elles n'assistoient non plus en aucun de leurs conseils, ne sont admises en plusieurs de leurs festins, & n'ont la peine de faire les cabanes & canots, n'y plusieurs autres choses qui sont du debvoir de l'homme, ou les Canadiennes & Montagnaites au contraire, ont une particuliere obligation de coudre les canots avec de l'escorce aprés que les hommes en ont fait le corps, tistres les raquettes aprés qu'ils en ont fait le bois, ce sont elles qui vont quérir les animaux, après que les chasseurs les ont tuez, les escorchent & passent les peaux, bref ce sont elles qui vont querir le bois qu'ils bruslent, font la cuisine, & ont le soin de tout le mesnage. Ce sont elles aussi qui mettent la chaudière à bas, distribuent les portions & servent le mary le premier, puis elles & ses enfans selon leur aage.
J'ay appris cette autre petite particularité des Montagnais, que les jeunes filles à marier, & les femmes, qui n'ont point encore eu d'enfans n'ont rien en maniement, & ne mangent point dans les plats de leurs marys, c'est à dire qu'on leur fait leur part comme aux enfans. S'il arrive qu'il s'y rencontre quelque François du commun, il est servy le dernier. Si des Religieux les seconds aprés le mary, où aux Hurons j'estois servy le premier en la cabane de mon Sauvage.
Mais les Montagnaites à ce que j'ay pu apprendre sont un peu friandes, car s'il y a un bon morceau, c'est ordinairement pour elles, particulierement le py des jeunes eslans femelles, desquels elles ne font point de part à leurs marys, & leur sont comme maistresses en plusieurs choses.
Je ne sçay si elles sçavent filer, mais nos Huronnes ont trouvé l'invention de filer le chanvre sur leur cuisse, n'ayant pas l'usage de la quenouille ny du fuseau, & de ce filet les hommes en font leurs rets, & seines pour la pesche, mais en telle quantité qu'ils en trafiquent encore à nos Montagnais, & en plusieurs Nations estrangeres pour d'autres marchandises. Lors que je vis pour la première fois de ces hommes assis en guenon contre terre, lasser les rets, le bout attaché à l'un des bois de leur cabane, je leur demanday si c'estoit là de l'ouvrage des hommes (car je ny voyois point travailler les femmes) ils me dirent que ouy, sinon que les femmes leur en accommodent le filet. Elles pillent aussi le maiz pour la cuisine, & en font de rostis, duquel elles tirent la fine fleur pour leurs marys, qui vont l'Esté trafiquer en des Nations esloignées.
Le mortier dans quoy elles pillent le bled, est fait d'un gros tronc d'arbre d'herable ou d'autre-bois dur, couppé de mesure, haut de deux pieds, qu'elles creusent petit à petit avec des charbons, ou du tondre ardant, qu'elles entretiennent dessus, & le renouvellent tant qu'il fait assez large & profond, puis ont des bastons longs de six, sept pieds, & gros comme le bras, qui leur servent de pillons plus faciles que s'ils estoient plus courts, ainsi que j'ay experimenté, car c'estoit assez souvent qu'il nous falloit batre nous mesme nostre bled d'Inde pour vivre, & pour traitter nos François qui nous venoient voir, aux festes pour la saincte Messe, & peu souvent pour se confesser, sinon quelqu'uns.
Elles ont l'industrie de faire de fort bons pots de terres qu'elles cuisent dans leur foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir long-temps l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent, beaucoup. Les Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles nettoyent & petrissent tres-bien entre leurs mains & y meslent, je ne sçay par quelle science, un peu de graiz pillé parmy; puis le masse estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le poing, qu'elles agrandissent tousjours en frappant par dehors avec une petite pallette de bois, tant & si long-temps qu'il est necessaire pour les parfaires: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu dehors.
A la fin de l'Automne, elles font des nattes de joncs, & de feuilles de maiz, dont elles garnissent les portes de leurs cabanes pour se garantir du froid, & d'autres pour s'asseoir dessus, le tout fort proprement. Les femmes des Cheveux relevez, y apportent encore quelque autre chose de plus gentil, car elles baillent des couleurs aux joncs, sî vives, & font des compartimens d'ouvrages avec telle mesure, qu'il ny a que redire, & dequoy admirer, mesme entre nous.
Elles corroyent & adoucissent les peaux des castors, d'eslans, de cerfs, de loutres & autres, avec la mesme perfection qu'on sçauroit faire icy, desquelles elles font leurs manteaux & brayers, & y peignent des passemens & bigarures de diverses couleurs, qui leur donnent fort bonne grace, & trompent souvent l'oeil & la pensée des nouveaux venus, tant ils semblent naturels, egaux & bien faits.
Elles font semblablement des paniers de joncs & d'autres avec des escorces de bouleaux, puis des hottes & tonneaux, dans quoy elles serrent leurs provisions. Elles font aussi comme une espece de gibecière de cuir ou sac à petun, sur lesquels elles font des ouvrages digne d'admiration, avec du poil de porc espic coloré & teint en rouge, noir, blanc, & bleu, cramoisy, qui sont les couleurs qu'elles font si vives, que les nostres ne semblent point en approcher.
Les Hurons & Canadiens font bien les escuelles de noeuds de bois, pour ce que cela est de longue haleine, mais les femmes s'exercent à faire celles d'escorces, pour boire & manger, & dresser leurs viandes & potages. De plus, les escharpes, carquans & brasselets qu'elles & les hommes portent, sont de leurs ouvrages; & nonobstant qu'elles ayent beaucoup plus d'occupation que les hommes, lesquels trenchent du Gentilhomme entr'eux, encores ayment elles grandement leurs marys, vivent par ensemble soit doucement, ne s'ympatientent jamais contre leurs enfans, ne querellent point leurs voisins, & ne sçavent que c'est de jurer, de maniere que dans une cabane où il y aura peut-estre dix ou douze mesnages, à peine y entendroit on un seul petit bruit, & s'ils rient ou se recréent, c'est tousjours avec de la retenuë, & non point à gorge desployée, car toutes leurs joyes, leurs jeux, de mesme que les pleurs & lamentations des femmes Canadiennes, qui se barbouillent de noir au temps des funerailles, se font & tiennent toujours dans un modeste & honneste comportement de la voix & des pieds, tellement que s'ils estoient Chrestiens, il n'y a point de doute, que Dieu se plairoit avec eux, mieux qu'avec nous miserables, qui le chassons de nos maisons, par nos tumultes, nos querelles, & nos debats, qui ne trouvent jamais de fin parmy la pluspart des familles Chrestiennes. C'est pourquoy j'ay bien peur qu'à la fin il ne nous, arrive le chastiment des Juifs, desquels les pechez ont esté la gloire des Gentils, disoit l'Apostre, car perseverans dans nos malices & impietez, le Soleil de Dieu nous sera osté, la vraye Religion sera arrachée du milieu de nous, nous n'aurons plus de foy, & tout sera pour les peuples barbares qui se rendront dignes du Paradis à nostre exclusion.
Comme ils defrichent, sement, & cultivent les terres, & comme ils faisoient anciennement cuire leurs viandes dans des chaudieres de bois & d'escorces.
CHAPITRE XIV.
TU mangeras ton pain à la sueur de ton visage, & non point à la sueur d'autruy, dit le Seigneur en la Genese, car Dieu n'approuve point les faineans, n'y ceux qui veulent faire bonne chere aux despens d'autruy. J'ay long-temps pratiqué, & encore plus admiré la maniere de vivre de nos Hurons, & Canadiens, à la verité estrange à ceux qui n'y sont point accoustumez, mais, admirable, & telle que tous les pauvres necessiteux qui sont partout en tres-grand nombre, la devroient imiter dans l'honnesteté, puis que souvent faute de prevoyance & d'invention, ils se trouvent réduits & accablez sous le pesant faix d'une extrême pauvreté, de sorte qu'ils vivent languissent, & meurent sans pouvoir mourir, au lieu que nos Barbares dans un pays sauvage & peu cultivé, vivent contans, gays & joyeux, & tellement satisfait, qu'il ne croyent pas une autre vie meilleure que la leur, & neantmoins, elle ne consiste entre nos sedentaires, qu'au bled d'Inde principalement, lequel il sçavent tellement bien diversifier, & accommoder, en diverses sauces dans la pure eau, qu'ils y trouvent du goust, de la delicatesse, & une nourriture plus que suffisante pour les maintenir forts, & les conserver en santé.
Et ne faut point alléguer que les pauvres ne sont point, accoustumez à cette vie sauvagesse, & que ce seroit leur prescrire une maniere de vivre bien miserable, puis qu'ils en meinent souvent une autre plus deplorable, qui est de mourir de faim, & de vivre en langueur, les Sauvages sont hommes comme nous, & de mesme nature, & moy mesme ay vescu de leur seule viande, sans sel, sans pain, & sans vin, plus d'une bonne année entière, sans me trouver mal ny incommodé qu'un petit du coeur, auquel je fuis sujet naturellement, & non de leur viande.
Ne dites donc point que ces viandes sont incipides, & de peu de goust, il suffit qu'elles sont capables de nourrir l'homme, & le tirer de la necessité. Et quoy les riches ont ils tousjours les viandes au gré de leur appétit, helas il y en a qui les destrempent souvent dans les larmes, & les amertumes, ausquels sont sujets les plus eslevez, mortifiez vous donc pour l'amour de Dieu & destrempez tous les grains de ce bled d'Inde dans les playes & les douleurs d'un Jesus nay pauvre & mort pauvre pour vous & je vous asseure de sa part, que les choses qui vous auront semblé ameres & difficiles au commencement, vous seront à la fin douces & faciles.
Diogenes disoit, que la vertu ne peut habiter en cité ny en maison riche, c'est donc une grande disposicion à la vertu que la pauvreté, laquelle estant bien prise, nous rend imitateur de celuy qui a dit de luy mesme. Les renards & les oyseaux ont des nids & des tanières pour se reposer, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer son chef. Les Sauvages errants plus miserables que les sedentaires sembleroient à la verité imiter en quelque chose nostre Seigneur, en ce qu'ils n'ont aucune demeure arrestée, provision, ny rente asseurée, mais ils ne sont pas Chrestiens, & n'ont point Dieu pour object de leurs actions, c'est pourquoy il n'y a point de mérite pour eux, ny de recompense à recevoir, au contraire des vrays Chrestiens pauvres, qui peuvent en toute action agrandir leur couronne & leur merite. Ayans la nourriture & les vestemens pour nous couvrir, nous nous contentons, disoit l'Apostre à son disciple Timothée.
Chaque mesnage de nos Hurons & Canadiens, contant de ce peu qu'il a, vit de ce qu'il peut pescher, chasser & semer, car toutes les terres, forests & prairies non defrichées, sont en commun, & est permis à qui veut de les défricher & ensemencer, & cette terre ainsi defrichée, demeure à la personne autant d'années qu'il la cultive, & entierement abandonnée du maistre, s'en sert par aprés qui veut & non autrement.
Ils les défrichent avec grand peine & travail, pour avoir des instrumens propres & commodes, car nos Hurons n'ont pour tout outils que la hache & la petite pesle de bois, faicte comme une oreille, attachée par le mollet au bout d'un manche, ou celles de nos Montagnais ressemblent aucunement à celles des batteliers un peu creusées.
Ils esmondent les branches des arbres qu'ils ont couppez, & les bruslent au pied d'iceux, & par succession de temps en ostent les racines, puis les femmes nettoyent bien la terre & beschent de deux en deux pieds ou peu mois, une place en rond, où elles sement au mois de May à chacune neuf ou dix grains de maiz, qu'elles ont premièrement choisi, trié & faict tremper par quelque jours dans de l'eau, & continuent ainsi tant qu'ils en ayent assez pour deux ou trois ans de provision, soit pour la crainte qu'il ne leur succede quelque mauvaise année, ou bien pour l'aller traicter & eschanger en d'autres nations, pour des pelleteries, ou autres choses qui leur font besoin, & tous les ans sement ainsi leur bled aux mesmes places & endroits, quelles rafraischissent avec leur petite pelle de bois, le reste de la terre n'est point labourée, ains seulement nettoyée des meschantes herbes, de sorte qu'il semble que de soient tous chemins, tant ils sont soigneux de tenir tout net, ce qui estoit cause qu'allant par fois seuls de nostre village à un autre, je m'esgarois ordinairement dans ces champs de bled, plustost que dans les prairies & forests.
Le bled estant donc ainsi semé, à la façon que nous faisons les febves, d'un grain sort seulement un tuyau ou canne, & la canne rapporte deux ou trois espics, & chaque espic rend cent, deux cens, quelquefois 400 grains, & y en a tel qui en rend plus. La canne croist à la hauteur de l'homme, & plus, & est fort grosse, (excepté en France & mesme en quelque endroit du Canada, où il ne vient pas si bien ny si haut, ny le grain n'est du tout si bon qu'au païs de nos Hurons & és contrées plus méridionales.) Le grain meurit en quatre mois, & en de certains lieux en trois; aprés ils le cueillent, & le lient en pacquets par les feuilles relevées contremont, qu'ils pendent arrangez le long des cabanes du haut en bas, en des perches accommodées en ratellier qui descendent jusqu'au bord devant les establies, & tout cela si proprement ajancé, qu'il semble que ce soient tapisseries tendues le long des cabanes, & le grain estant bien sec & bon à serrer, les femmes & filles l'esgrenent, nettoyent & mettent dans des sacs ou tonnes à ce destinées & posées en leur porche, ou en quelque coin de leurs cabanes.
Ils sement aussi force citrouilles du païs, & les eslevent avec grande facilité, par ceste invention. Les femmes Huronnes en la saison, vont aux forests voisines amasser alentour des vieilles souches, quantité de poudre de bois pourry, puis ayans disposé une grande caisse d'escorce, y font un lict de la dite poudre, sur lequel ils sement de la semence des citrouilles, qu'ils couvrent aprés d'un autre lict de la mesme poudre, & sur icelle sement derechef des semences, jusques à 2, 3, & quatre fois autant qu'ils veulent, en telle sorte neantmoins qu'il y reste encor plus de quatre ou cinq bons doigts de vuide dans la caisse, pour donner lieu au germe des semences, aprés ils couvrent la caisse d'une grande escorce qu'ils posent sur les deux perches suspendues à la fumée du feu, laquelle eschauffe petit à petit tellement ceste poudre & ensuitte les semences, qu'elles germent en fort peu de jours, estant grandelettes & propres à planter, on les prend par bouquets avec leur poudre, on les separe, puis on les plante dans les champs en lieux disposez, d'où, aprés on en cueille le fruict en sa saison.
La moisson du bled estant faicte, nos Sauvages en usent en diverses façons, car pour le manger en pain ou petits gasteaux, ils luy font premierement prendre un bouillon dans de l'eau, puis l'essuyent & font un peu seicher: en aprés ils le broyent dans le grand mortier, & paistrissent avec de l'eau tiede comme on faict la paste de laquelle ils font des petits gasteaux, espois d'un bon pouce, qu'ils font cuire sous les cendres chaudes, enveloppez de feuilles de bled, & à faute de feuilles le lavent & nettoyent après qu'il est cuit: s'ils ont des fezoles ils en font cuire dans un petit pot, & en meslent parmy la paste sans les escacher, ou bien des fraizes, des bluës, framboises, meures champestres, & autres petits fruicts secs & verts, pour luy donner goust & le rendre meilleur; car il est fort fade de foy, si on n'y mesle de ces petits ragousts.
Ils font encor d'une autre sorte de pain, que nous appellions pain masché; ils cueillent une quantité d'espics de bled, avant qu'il soit bien sec & meur, puis les femmes, filles & enfans avec les dents en destachent les grains, qu'ils rejettent avec la bouche dans de grandes escuelles, qu'elles tiennent auprés d'elles, après on l'acheve de piler dans le grand mortier; on en pestrit la paste, & en faicts des tourtelets qu'on enveloppe dans des feuilles de bled, pour les faire cuire sous les cendres chaudes à l'accoustumée; ce pain masché est le plus estimé entr'eux, mais pour moy je n'en mangeois que par necessité & à contre coeur, à cause que le bled avoit esté ainsi à demy masché, pilé & pestry, avec les dents des femmes filles & petits enfans. Ils font une troisiesme espece de pain, qu'ils appellent d'un nom particulier Coinkia; car les autres susdits, avec celuy duquel nous usons par deça, & mesmes le biscuit, ils appellent Andataroni; ils reduisent la paste comme deux balles jointes ensemble les enveloppent de feuilles qu'ils lient par le milieu d'une cordelette, avec laquelle ils avallent ce pain dans une chaudière d'eau bouillante, & l'y laissent prendre plusieurs bouillons, estant cuit, ils l'en retirent & le mangent sans le faire passer par le feu.
Ce pain de maiz & la sagamité qui en est faicte, est de fort bonne substance & nourrit merveilleusement, comme peut voir en ce que ne beuvant jamais que de l'eau pure, mangeant peu souvent de ce pain, encore plus rarement de la viande, n'usans presque que des seuls sagamitez, avec un bien peu de poisson, on se porte fort bien, & si tous ces apprests se font à fort peu de frais, sans qu'il y ait necessité d'y adjouster de la viande, du poisson, beure, sel, huyle, herbes ou espices, si on ne veut, car ce bled porte presque toute la sauce quand & luy, c'est ce qui me faict souhaitter d'affection, d'en voir beaucoup de terres cultivées en France, pour le soulagement des pauvres, qui y sont par tout en tres-grand nombre, & vont tousjours multiplians à mesure que les miseres du siecle croissent.
Ils le diversifient & accommodent en plusieurs façons, pour le trouver bon en menestre & potage, car comme nous sommes curieux de diverses sauces pour contenter nostre appetit, aussi sont ils soigneux d'inventer de nouvelles manières d'accommoder leur menestre, dont j'ay traicté amplement en mon premier volume, intitulé le grand voyage des Hurons, imprimé à Paris, chez Denis Moreau rue S. Jacques, où je renvoye ceux qui s'en voudront servir & user de ce bled pour leur vivre.
Nos Hurons se servent aussi des vieux os de poisson reduits en poudre pour donner goust à leur sagamité, quand ils n'ont autre chose à mettre dans leur pot, mais les Canadiens & Algoumequins souverainement plus gueux, mangent jusques à la raclure des peaux d'Eslans & de Castors, qu'ils reduisent en masse dure comme pierre, j'y fus trompé, car pensant avoir traicté un morceau de viande boucannée des Algoumequins, qui estoient venus hyverner à la Province des Ours, elle devint à force de bouillir ce qu'elle estoit auparavant, tellement que personne n'en pu manger & la fallut jetter. Ils font aussi pitance de glands, qu'ils font bouillir en plusieurs eaues, pour en oster l'amertume, & les trouvois assez bons: ils mangent aussi aucunefois d'une certaine escorce de bois crue, ressemblant à la saulx, de laquelle j'ay mangé à l'imitation des Sauvages; mais pour des herbes ils n'en mangent ny cuites ny crues, sinon de certaines racines qu'ils appellent Sondhratates & autres semblables.
Auparavant l'arrivée des François au païs des Canadiens, Montagnais & Algoumequins, tout leur meuble n'estoit que de bois, d'escorces, & de pierres, de ces pierres ils ee faisoient les haches & cousteaux, & du bois & de l'escorce ils en fabriquoient toutes les autres ustenciles & pièces de mesnage, & mesme, les plats, chaudieres, bacs, ou auges à faire cuire, leur viande, laquelle ils faisoient cuire ou plustost mortifier en ceste manière.
Ils mettoient une quantité de grais ou cailloux dans un grand feu, puis les jettoient tous bruslans dans le plat ou chaudière d'escorce pleine d'eau, en laquelle estoit la viande ou le poisson à cuire, & à mesme temps les en retiroient, & en remettoient d'autres en leur place, & à succession de temps, l'eau s'eschauffoit & cuisoit aucunement la viande, de laquelle ils faisoient aprés leur repas.
Il y a eu de mesme des Religieux, qui mesprisans le fer & l'airain, se servoient de pots de bois. Il y en avoit un en Egypte, qui remplissoit un pot de bois l'exposoit aux rayons du Soleil, lequel rassemblant ses rayons en un à cause de la concavité du pot, eschauffoit aysement la partie intérieure, si bien que ce pot de bois venoit à bouillir & cuire les viandes, sans neantmoins que ceste ardeur le bruslat: ceste invention estoit bonne seulement en Esté, & lors que le Soleil dardoit à plomb ses rayons sur la terre, mais l'autre methode inventée par nos Sauvages, se pouvoit pratiquer en toute saison & à toute heure, ayans de l'eau, du bois & du feu.
Pour les Hurons & autres peuples sedentaires, je croy qu'ils avoient, comme ils ont encores, l'usage & l'industrie de faire des pots de terre, dans quoy ils cuisoient leur viande chair ou poisson, comme j'ay dit au chapitre unziesme. Quelqu'uns ont voulu dire, ce que j'ay peine à croire veu l'usage des bacs & auges susdits, que les Montagnais avant la venue des François, avoient encor le mesme usage de faire des pots de terre, lesquels ils avoient quitté du depuis, pour se servir de nos chaudieres, & que leurs haches estoient comme celles des autres peuples une pierre trenchante, accommodée dans un baston fendu, avec quoy ils abbattoient les bois, comme nous en labourions nostre petit jardinet au païs des Hurons, où toutes sortes d'outils nous manquoient, fors la hache, les cousteaux & les chaudrons, que nous y avions porté de Kebec.
On remarquera aussi qu'eux & les Algoumequins, ont autrefois labouré les terres & habité en des bourgades comme nos Hurons, mais du depuis les Hiroquois leurs ennemis mortels les en ayans dechassez, ils furent contraincts courir les bois, & se rendre vagabonds & errants parmy les terres, fuyans la persecution de leurs ennemis, lesquels s'estans saisis de leurs bourgades les fortifierent, & depuis abandonnerent, ne les ayans pu conserver, comme il se voit encore en un lieu sur la haute terre, qui est auprès de nostre petit Convent, que l'on appelle le fort des Hiroquois.
De leurs festins & convives tant de paix que de guerre, & des ceremonies qu'ils y observent.
CHAPITRE XV.
SUetone Tranquile, raconte que l'Empereur Octave Auguste defendit à Rome l'exercice du jeu, & que nul ne peut inviter autruy à manger chez soy, pour autant disoit-il; qu'aux jeux, aucun ne s'abstient de blasphemer contre les Dieux, & aux festins de mesdire de son prochain, ce que ce victorieux peuple observa religieusement un long-temps, plus admirable, en cette victoire de soy mesme, se privant de son propre contentement pour obeir aux Loix, que d'avoir subjugué l'ennemy par le fer où les plus vicieux peuvent remporter de signalées victoires, pendant qu'eux: mesmes se laissent vaincre de leurs propres appetits.
Je ne voudrois pas neantmoins absolument condamner les honnestes entretiens & petites recreations, qui se font quelquefois entre parens & amis par un pieux divertissement, puis que cela sert à entretenir l'amitié & benevolence mutuelle, comme un autre Job avec ses enfans, mais il faudroit qu'ils imitassent cette mesme vertu & l'exemple, non de quelques avares Chrestiens, mais des anciens Payens, qui donnoient aux pauvres & souffreteux, les reliefs de leurs festins banquets, qui par ce moyen se rendoient meritoires où les nostres sont ordinairement vicieux.
Le Philosophe Aristide en une oraison qu'il fist des excellences de Rome dit: que les Princes de Perse, avoient ceste coustume de ne s'assoir jamais à table pour disner ou soupper, jusques à ce que aux portes de leurs Palais, leurs trompettes eussent sonné, & ce afin que là, toutes les vesves & orphelins s'y assemblassent, pour ce que c'estoit une loy entr'eux, que tout ce qui demeuroit des tables royales fussent pour les personnes necessiteuses. Et Plutarque en sa politique confirmant la mesme chose pratiquée entre les Romains, dit: qu'ils ordonnerent, que tout ce qui demeurerait des banquets & conviz, qui se faisoient és nopces & triomphes, fut donné aux pauvres, vesves & orphelins.
Voilà des Loix qui ne doivent point estre appellées payennes, bien qu'ordonnées & pratiquées par les Payens mesmes, mais plustost religieuses & Chrestiennes, puis qu'elles sont, fondées en charité, de laquelle nous faisons particulièrement profession, en recevant le baptesme.
Nos Sauvages, à la vérité, ne sont pas gens de si grande chere, qu'ils ayent besoin de faire sonner leurs tortues, pour inviter les pauvres à venir manger les restes de leurs festins, car outre qu'ils n'ont point de pauvres ils n'ont aussi point de superflu. Ce n'est pas comme és maisons de beaucoup de riches avaricieux, lesquels s'ils traictent leurs amis avec quelque abondance, ils se servent des reliefs à leurs autres repas, & n'en font point de part aux pauvres que les vers & la putréfaction ne les y contraignent. Action digne de chastiment & non point de mérite, car on ne doit rien donner aux pauvres, qui ne soit honneste & bon s'il se peut, autrement ceste offrande est rejettée de Dieu, comme celle de Cain, qui donnoit le pire de son troupeau en sacrifice, où le bon Abel faisoit choix du meilleur, imité à present de plusieurs bonnes dames, & de personnes de merite, qui se privent souvent des mets les plus délicieux de leur table, pour en faire part aux pauvres malades & necessiteux, qu'ils envoyent visiter jusques dans les cachots & où ils sçavent qu'il y a de la necessité.
Quand quelqu'un de nos Canadiens ou Hurons, veut faire festin à ses amis, il les envoye inviter de bonne heure comme l'on faict icy, mais personne ne s'excuse là, dont vous en voyez tels, sortir d'un festin pleins comme un oeuf, qui du mesme pas s'en vont à un autre, où, ils se racheptent s'ils ne peuvent manger, car ils tiendront à affront d'estre esconduits s'il n'y avoit excuse vrayement légitime, & que ce fut un festin à tout manger.
Le monde estant invité, on met la chaudière sur le feu, grande ou petite selon la quantité des viandes & le nombre des personnes qui doivent estre de la feste, tout estant cuit & prest à dresser, on va derechef faire la seconde semonce, par ces mots Montagnais, comme à la premiere fois Kinatomigaouin, je te prie de festin, & s'ils sont plusieurs Kinatomigaouinaou, je vous prie de festin, lesquels respondent ho ho ho, & entr'eux Ninatomigaouinano, nous sommes priez de festin. Mais les Hurons disent d'un ton plus grave & puissant en invitant au festin; Saconcheta (qui est un mot qui ne derive point neantmoins du nom de festin, car agochin entr'eux, veut dire festin) lesquels s'y en vont à mesme temps avec leur escuelle & la cueillier dedans, qu'ils portent gravement devant eux avec les deux mains. Si ce sont Algoumequins qui fassent le festin, les Hurons portent leurs escuelles garnies d'un peu de farine pour mettre dedans le brouet, à raison que ces Aquanaques en ont fort peu souvent, & puis c'est leur coustume.
Entrans dans la cabane chacun s'assied sur les nattes ou la terre nue, ou pour le plus sur de petits rameaux d'arbres ou de cedre, les hommes au haut bout & les femmes en suitte, également des deux costez jusques au bas. Tout estant entré on dit les mots, après lesquels il n'est permis à personne d'y plus entrer, soit-il des conviez ou non, ayans opinion qu'autrement il y auroit du mal-heur en leur festin, qui est ordinairement faict à quelque intention, bonne ou mauvaise.
Les mots du banquet sont prononcez hautement & intelligiblement devant toute l'assemblée par le maistre du festin, où un autre à ce deputé, en ces termes: vous qui estes icy assemblez, je vous fais sçavoir que c'est N. qui faict le festin, nommant la personne & l'intention pourquoy il est faict, & tous respondent du fond de l'estomach: ho, puis poursuivant sa harangue dit les mots qui précèdent le manger, à sçavoir: Nequaré, la chaudiere est cuite, & de mesme tout le monde respond, ho, en frappant du poing contre terre, Gagnenon youri, il y a un chien de cuit: si c'est du cerf, ils disent: Sconoton youri, & ainsi des autres viandes, nommant l'espece ou les choses qui sont dans la chaudiere, les unes aprés les autres, & tous respondent ho, levans la derniere sillabe à chaque fois, puis frappent du poing contre terre d'autant plus gaillardement qu'ils estiment ce festin & l'excellence des viandes qui leur doivent estre servies.
Les Montagnais ont cela de particulier, qu'en disans les mots du festin, ils annoncent aussi si c'est un festin à tout manger, car quand ce n'est pas à tout manger, ils remportent le reste chacun à sa cabane, pour leur femmes & leurs enfans, qui est une coustume louable.
Cela faict les officiers vont de rang en rang prennent les escuelles de tous, les unes aprés les autres, qu'ils emplissent du brouet avec leurs grandes cueillieres, & recommencent tousjours à remplir, tant que la chaudiere soit nette, & si c'est un festin à tout manger, il faut qu'un chacun avale tout ce qu'on luy a donné, & s'il ne peut pour estre trop saoul, qu'il se rachepte de quelque peut present envers le maistre du festin & fasse achever son escuelle par un autre, tellement qu'il s'y en trouve, qui ont le ventre si plein, qu'il leur bande comme un tabourin.
Ce grand Philosophe Platon cognoissant le dommage que le vin apporte à l'homme, quand il est pris avec excez, disoit: qu'en partie les Dieux l'avoient envoyé ça-bas, pour faire punition des hommes, & prendre vengeance de leurs offences, les faisans (aprés qu'ils sont yvres) quereller & se tuer l'un l'autre comme il n'arrive que trop souvent par deçà, entre gens de petite condition & de petit esprit. Chose si hideuse que pour en faire abhorrer le vice, les Lacedemoniens souloient faire voir à leurs enfans, leurs esclaves pleins de vin.
Or nos barbares en leurs festins sont exempts de ses mal-heurs là Dieu mercy, car on n'y presente jamais ny vin, ny biere, ny cidre; & si quelqu'un demande à boire, ce qui arrive fort rarement, on luy donne de l'eau toute claire, non dans un verre, mais dans une escuelle ou à mesme le chaudron, qu'il avale gaillardement, & par ce moyen sont exempts d'ivrognerie, qui est un grand bien & pour le corps & pour l'esprit, car il est croyable, que s'ils avoient l'usage du vin, qu'ils se rendroient intemperés comme nous, & puis feroient des furieux, comme on a veu en quelques Montagnais, coeffez d'eau de vie que les Mattelots leur traictent.
Nos Sauvages ont je ne sçay quoy de prudent & venerable dans leurs desbauches, qu'ils ne s'emancipent point aysement en parolles & disputes, vont aux festins d'un pas plus modeste & representans ses Maigistrats, s'y comportent avec la mesme modestie & silence, & s'en retournent en leurs maisons & cabanes avec la mesme sagesse; de maniere que vous diriez voir en ces Messieurs là, allant à leur brouet, les vieillards de l'ancienne Lacedemone.
Valerius Leo, donnant un jour à soupper à Jules Cesar en la ville de Milan, servit à table des asperges où l'on avoit mis d'une huyle de senteur, au lieu d'huyle commun, il en mangea simplement sans faire semblant de rien, & tança ses amis qui s'en offençoient, en leur disant qu'il leur devoit bien suffire de n'en manger point si cela leur faisoit mal au coeur, sans en faire honte à leur hoste, & que celuy qui se plaignoit estoit bien incivil & mal appris.
Personne ne se plaint du mauvais goust des viandes aux festins de nos Canadiens, on ne dit point elles sont trop cuittes, elles sont mal nettes, trop espicées, mal salées, la sauce en est amer & d'un goust fade, qui me faict bondir le coeur & me ravit l'esprit du corps, non: mais on y mange simplement les viandes servies & telles que le maistre les donne, sans faire la mine & se plaindre de chose qui soit, pour n'estre estimé impertinent, croyans que le cuisinier & celuy qui traicte ont tasché de bien faire & que de les blasmer seroit se rendre blasmable soy mesme.
Ils font quelquefois des festins où l'on ne prend que du petun avec leur petunoir, qu'ils appellent anondahoin: & en d'autres où l'on ne mange rien, que des petits pains de bled d'Inde cuits sous les cendres chaudes. Aucunefois il faut, que tous ceux qui sont au festin soient assis à plusieurs pas l'un de l'autre, & qu'ils ne se touchent point. Autrefois, quand les festinez sortent, ils doivent faire une laide grimasse à leur hoste, ou à la malade, à l'intention de laquelle le festin aura esté faict. A d'autres il ne leur est permis de lascher du vent 24 heures, par une opinion qu'ils en mourroient incontinent aprés, quoy qu'ils ne mangent en tels festins que chose fort venteuse, comme sont une espece de petits pains bouillis.
Quelquefois il faut, aprés qu'ils sont bien saouls & ont le ventre bien plein, qu'ils rendent gorge auprés d'eux, ce qu'ils font facillement & ne s'en tiennent pas moins honnestes & civils, car estant l'ordre, ils l'observent comme action de religion ou de superstition, car telle est leur religion de croire à leurs folles pensées, & aux advis de leurs charlatans qui sçavent se donner du credit, & ausquels ils ont tant de croyance, que s'ils avoient obmis la moindre ceremonie de leur ordonnance, ils croiraient avoir commis une grande faute & s'en confesseroient miserables. Il me souvient à ce propos avoir leu dans Florimond de Remont, d'une certaine heresie ou fausse religion observée dans l'Estat de Holande (à mon advis) qui permettoit à ses Sectateurs de mettre en effet (s'ils pouvoient) tout ce qui leur venoit premier en fantasie, fut honneste ou non convenable, car disant le sainct Esprit me l'a inspiré cela, suffisoit pour se mettre en besongne, & Dieu sçait comme tout alloit au profit des maistres Milourds, & au contentement des malins esprits qui avoient là leur empire.
Aussi nos Sauvages revans qu'il nous fallut faire mourir, il ne faudroit point d'autre Arrest pour nous tous mettre à mort, car comme je viens de dire, ils croyent parfaitement leur songe, & ne veulent pas qu'on s'en mocque, ny d'aucune de leur singerie pour exhorbitantes qu'elles soient, helas il y a assez de Chrestiens qui ne sont pas moins superstition, & qui adorent leurs pensées & leurs songes de la nuict, autant supersticieusement que les Sauvages mesmes, dequoy font encore foy beaucoup de bonnes femmes, qui nous en demandent les explications. Autant difficilles à donner qu'il y a de difficulté de croire les vaines Prophéties.
De quelque animal que soit fait le festin, la teste entiere est tousjours presentée au principal Capitaine, ou à un autre des plus vaillans de la trouppe, pour tesmoigner l'estime que l'on fait de la vaillance & vertu, comme nous remarquons chez Homere aux festins des Héros, c'est à dire des Princes, ou des hommes extraordinairement vertueux & nobles, dans le sang desquels est meslé, je ne sçay quoy de divin, en un mot Heros est un homme tres-sage & généreux, qui à mis à chef quelque signalée entreprise, qu'on leur envoyoit quelque piece de boeuf pour honorer leur vertu, ce qui semble estre un tesmoignage tiré de la nature, puis que ce que nous trouvons avoir esté pratiqué és festins solemnels des Grecs, peuples polis, se rencontre en ces Sauvages, par l'inclination de la nature sans cette politesse.
Pour les autres conviez qui sont de moindre consideration, si la beste est grosse, comme d'un ours, d'un eslan, d'un grand esturgeon, de plusieurs assihendos, ou bien de quelqu'un de leurs ennemis, chacun a un morceau, de la beste, & le reste est demincé dans le brouet. C'est aussi la coustume que celuy qui fait le festin ne mange point pendant iceluy, ains petune, chante, ou entretient la compagnie de quelque discours. J'y en ay veu neantmoins quelqu'uns manger, contre leur coustume, mais peu souvent, car mesme quand un particulier me faisoit festin, moy seul je mangeois & ne pouvois gaigner sur eux de manger un morceau avec moy, ny pendant que j'estois à table, ce qui m'estonnoit au commencement, mais depuis j'ay esté sçavant en toute leur ceremonies fondées sur des imaginations d'esprit plustost que sur des expériences.
Pour dresser la jeunesse à l'exercice des armes, les rendre recommandables par le courage & la prouesse, qu'ils estiment plus que toutes les richesses de la terre, ils ont accoustumé de faire des festins de guerre, & de resjouissance, pendant lesquels les vieillards avec les jeunes hommes, les uns aprés les autres ayans une hache en main, une masse, ou quelque autre instrument de guerre; font des merveilles (à leur oppinion) d'escrimer & faire des armes, usans de paroles menaçantes & de mespris, comme si en effect ils estoient aux prises avec l'ennemy.
Au commencement que je me trouvay en de ces festins, je ne sçavois bonnement comment prendre ces escrimes, car le taillant de la hache, ou le vent de la masse, approchoit parfois si prés de mes oreilles que je ne les trouvois pas bien asseurées, dequoy s'appercevans les Sauvages ils s'en prenoient à rire, & me disoit Ersagon prens courage, car ces escrimeurs ont la main tellement asseurée qu'il ne leur arrive jamais de blesser nonobstant le hazard.
Si c'est un festin de victoire & de triomphe, en faisant des armes, ils chantent d'un ton plus doux & agréable, les louanges de leurs braves Capitaines, qui ont bien tué de leurs ennemis en guerre, puis se rassoient, & un autre prend la places jusques à la fin du festin que chacun se retire, aprés avoir fait les ordinaires remerciemens du pays Onne ottaha. Je suis saoul, ou Satani. Je fais rassasié, en frappant doucement leur ventre de la main ho ho ho Onianné, voyla qui est bien. Mais quand ce qu'ils mangent leur agrée vous leur entendez dire de fois à autre à Houygahouy mécha, voyla qui est bon, & les Montagnais. Tapoué nimitison; en verité je mange.
Je n'ay point remarqué que nos Huronnes fassent de festins entr'elles, comme font quelquefois en Hyver les Canadiennes & Montagnaises en l'absence de leur marys, car comme elles ont peu souvent de la viande, & du poisson, qui ne soit sçeu de leurs domestiques, il y a tousjours quelque hommes dans les cabanes, qui les pourroient accuser & apporter du trouble entre elles & leur marys, lesquels quoy que sans jalousie, ne trouveroient pas bonnes ces petites friponeries s'ils n'y estoient appellez.
Les Canadiennes, & Montagnaises ont un moyen plus facile de se consoler & faire leurs petites assemblées, car comme leur marys sont à la chasse, qui est ordinairement pendant les grandes neiges, elles se donnent le mot, & ayans chacune choisy de la meilleure viande, elles en font de rostie, & de bouillie qu'elles mangent en quantité, le plus souvent jusques à rendre, puis c'est à rire, à gausser, & faire des contes à plaisir, qui leur mettent à toutes le coeur en joye, puis elles se font des confessions générales de toute leur vie passée ou elles adjoustent plustost qu'elles ne diminuent, non par devotion ou de contrition, mais plustost pour faire voir qu'elles n'ont pas tousjours esté nyaises ny vescu en bestes, comme disent les femmes mal sages, je croy neantmoins qu'en tout cela il y a souvent plus de plaisanteries que de malices, & qu'elles sont plus plaisantes que deshonnestes. Ainsi lisons nous en nos Croniques d'un jeune Religieux fort jovial duquel s'estant ennamouraché certaines femmes ou filles, elles le firent entrer dans leur chambre sous prétexte de luy donner l'aumosne, puis l'ayant enfermé sous clef le voulurent contraindre de contenter leur deshonnesteté, ce qu'ayant absolument refusé, elles l'estranglerent & firent mourir miserablement, ce qui fut sçeu par nos Religieux qui louerent Dieu, que ce Frère en un aage si tendre, si gay & jovial de son naturel, avoit pû (assisté de la grace de Dieu) resister à la furie de ces femmes.
Ces matrones ont la prudence & le soin de briser leurs assemblées avant la retour de leur marys & se rendent toutes si sages, que vous diriez à les voir qu'elles n'ont toutes de consolation qu'en la presence de leurs marys ausquels elles tiennent de la viande toute preste, & du bouillon tout chaud, qu'elles leur font avaller quand ils diraient pour les delasser, qui est une invention admirable, car ils tiennent par expérience que quand ils boivent leur bouillon, ou faute d'iceluy de l'eau chaude allans ou revenans de la chasse, ils n'ont jamais les jambes roides.
Les hommes font aussi leurs festins, & à diverses intentions ainsi que font nos Hurons, ou par recreation, ou pour gratifier un amy, ou pour observer un songe, à la pluspart desquels il faut tout manger, ou crever à la peine, & pour plusieurs autres intentions & respects que nous ne sçavons pas, mais si c'est pour avoir bonne chasse ils se donnent bien de garde que les chiens n'en gouttent tant fort peu; car tout seroit perdu, & leur chasse ne vaudroit rien à leur dire, mais qui croiroit une telle sottise.
Comme le Pere Joseph le Caron, & l'un de nos Frères se trouverent un Hyver avec eux, un barbare nommé Mantouiscache, songea que Choumin avoit tué un eslan de la teste duquel il avoit fait festin avec du bled d'Inde qu'il avoit envoyé querir à Kebec, 8 ou 9 lieuës de luy. Le lendemain matin il dit son songe à Choumin avant qu'il allast à la chasse, à laquelle il frappa ce jour là mesme un jeune eslan deux fois de son espée, sans qu'il ne pû l'aborder ny l'atteindre, pour luy donner un dernier coup, de manière qu'il fut contrainct (à cause qu'il se faisoit tard) de laisser là sa beste, & s'en retourner à sa cabane, où il conta à son songeur ce qui luy estoit arrrivé, qui luy respondit qu'asseurement la beste estoit morte, & l'envoyerent chercher le lendemain matin par un de leur parens, qui la trouva abbatue à trois lieues de leur cabane, cent pas d'où elle avoit esté frappée.
Ce fut là une heureuse rencontre pour luy & pour toute leur famille, car ils se regalerent & se remplirent à plaisir, aprés avoir envoyé quérir du bled d'Inde à Kebec, qui fut l'accomplissement du songe de Mantouiscache. Je ne veux pas gloser là dessus, mais j'admire que le Diable aye pû si precisement conjecturer tout ce qui devoit arriver, car encor bien que Choumin pû en avoir dit quelque chose par esperance, la chose n'estoit point asseurée, & pouvoit ne point arriver, car en fin le Diable ne sçait pas les choses futures que par des conjectures, si Dieu ne luy revele pour la punition de ceux qui ont recours à luy.
Je m'oubliois de dire qu'aux repas ordinaires de tous nos Sauvages, aussi bien qu'en leurs banquets & festins, on donne à un chacun sa part, d'où vient que s'il y a de la viande ou du poisson à departir, il ny en a que 3 ou 4 qui ayent ordinairement les meilleurs morceaux, car il ny en a pas souvent pour tous; & si personne ne s'en plaint. Pour la sagamité elle est departie egallement à tous, autant au-dernier comme au premier avec un tel ordre que tout le monde reste contant.