Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
Des Capitaines, Superieurs, & anciens, de leurs maximes en general, & comme ils se gouvernent en leur conseil & assemblées.
CHAPITRE XXVI.
AUx vieillards se trouve la sagesse, dit le Sage. Pline en une Epistre qu'il escrit à Fabate, rapporte que Pyrrhe Roy des Epiotes demanda à un Philosophe qu'il menoit avec luy, quelle estoit la meilleure cité du monde. Le Philosophe luy respondit, la meilleure cité du monde c'est Maserde, Sire, un lieu de deux cens feus en Achaye. Le Roy estonné de cette response luy en demanda la raison, & en quoy il recognoissoit tant d'excellence, & de prerogative en ce petit lieu, pour ce (dit le philosophe) que tous les murs de la ville sont battis de pierres noires, & tous ceux qui la gouvernent ont les testes blanches. Le Roy admirant sa responce conforme à tout ce qu'en a jamais tenu la sage antiquité, se teut & demeura satisfaict, çar il est tellement important & necessaire en tout estat, que les vieillards & hommes prudents en ayent la conduite & le gouvernement, que sans cet ordre on n'en peut esperer qu'un notable detriment, & en fin la ruyne totale.
Les siecles passez nous en fournissent une infinité d'exemples, & l'Escriture Saincte d'une signalée, advenue au commencement du regne de Roboam, fils de Salomon, lequel pour avoir suivy le conseil des jeunes, comme jeune qu'il estoit, autant d'esprit que d'années, perdit en un moment dix lignées qui se revolterent contre luy.
C'est pourquoy les anciens Romains, se sont rendus sages des fautes d'autruy, & prirent cette coustume des Lacedemoniens, & d'autres nations, entre lesquels il y avoit une loy imposée aux jeunes, d'honorer les anciens, & que les honorables vieillards, & non les autres, pouvoient avoir la charge de judicature, & le gouvernement de la Republique.
Nous lisons en l'Histoire que le R. P. Frere Alphonse de Benani des mineur Recollects a fait de la conversion du nouveau Royaume de Mexique, que le peuple appelle Moqui, voulant establir parmy eux un bon Capitaine, ils s'assemblerent tous au marché, & là ils garottent & lient tout nud à un pilier, celuy lequel ils pensent estre propre, & puis tous le fouettent avec des chardons, ou des espines picquantes, cela estant fait, ils l'entretiennent par des plaisantes farces, & des joyeuses faceties: & s'il se monstre Stoiquement insensible à tout, sans pleurer ny faire des laides mines ou grimaces pour l'un, & sans aucunement rire ou se resjouyr pour l'autre; alors ils le confirment, & asseurent pour preux & vaillant Capitaine, lequel avec les anciens s'assemblent lors qu'il est expedient, pour conférer & discerner des choses necessaires & convenables, lesquelles estant vuidées & determinées, le grand Capitaine sort luy mesme pour les declarer & publier au peuple, sans s'en attendre à personne.
Si entre nous en l'élection des juges, Chefs, & Superieurs, on faisoit de semblables espreuves je m'asseure qu'il n'y auroit pas tant de brigues à la poursuitte des charges que la seule vertu emporteroit le prix, Ô mon Dieu, nous ne sommes pas dans un siecle assez bon, car l'insolence & l'ambition de la jeunesse a prevalu par dessus la pieté des anciens, desquels ils font litière, & les tiennent en mespris, c'est à ceux là à qui le grand fainct Gregoire adresse ces paroles pour leur faire ressouvenir qu'estans hommes & fautifs comme les autres, ils ne doivent pas perdre le don d'humilité, & la prudence qui les doit regler, & apprendre la conduite de leurs sujets.
Les Superieurs, dit-il, ne doivent pas regarder à la puissance de leur dignité, ains l'e galler de la condition humaine qu'ils ont envers leurs sujets. Ils ne se doivent point réjouyr de se voir Supérieurs des hommes, trop bien de leur estre profitable, mais il advient souvent que celuy qui gouverne, s'oublie en son coeur à cause de sa preeminence, & voyant que tout passe par son commandement, & qu'il est promptement obey, & que tous les sujets louent le bien qu'il fait, & ne contredisent point le mal, (tant s'en faut, ils louent souvent ce qu'ils devroient blasmer) seduit par les choses qui luy sont inferieures, le coeur s'enfle par dessus soy, & se voyant appuyé par dehors de la faveur & applaudissement populaire, il demeure vuide de vertu, & s'oublie soy-mesme, prestant l'aureille aux flateries, & croit que cela est ainsi comme il l'entend par dehors, & non comme il est au dedans reellement & veritablement: c'est la cause pourquoy il mesprise ses inférieurs, & ne se souvient pas qu'ils luy sont egaux en la nature, & juge que sa vie vaut mieux que la leur, d'autant qu'il les surpasse eu puissance, & par ce qu'il peut le plus, il presume de sçavoir plus qu'eux tous.
Nos Capitaines Sauvages ont bien quelque espece de vanité semblable, mais elle est cachée au dedans, & ne l'osent faire paroistre au dehors peur de confusion. Ils ne font non plus de ces espreuves des Moqui, lors qu'ils admettent ou eslisent les Capitaines, & Chefs de leur Republique, mais ils ont ce soin qu'ils paroissent vertueux & vaillans, & qu'ils soient plustost vieux que de moyen aage, & n'en admettent jamais aucun jeune d'aage, dans leur conseil, ny pour la police, ny pour la guerre, qui ne soit vieil de l'esprit, & desquels, on ne puise esperer un bon conseil, une bonne conduite, & de bons effets, car comme disoit le Roy Cyrus, il n'appartient à nul de commander, s'il n'est meilleur que ceux à qui il commande.
Ils viennent ordinairement par succession ainsi que la Royauté par deça, ce qui s'entend si le fils d'un Capitaine ensuit la vertu du pere; car autrement ils font comme aux vieux siecles, lors que premièrement ces peuples esleurent des Roys; mais ces Capitaines n'ont point entr'eux autorité absolue, bien qu'on leur ait quelque respect & conduisent le peuple plustost par prières, exhortations & remontrances, qu'ils sçavent dextrement & rhetoriquement ajancer, que par rigueur de commandement, c'est pourquoy ils s'y exercent, & y apprennent leurs enfans, car qui harangue le mieux est le mieux obey.
La multitude des Loix dans un estat, n'est pas tousjours le meilleur, ny lors que delaissans les anciennes, on en fait souvent de nouvelles, c'est à dire que ee corps est bien malade, & prest de donner du né en terre. Lactence Firmian dit que la Republique des Sicioniens dura plus que celle des Grecs, & la cause fut pour ce qu'en sept cens & quarante ans, ils n'instituerent onques aucuns Edits nouveaux, & n'outrepasserent aucune de leurs Loix.
Nos Hurons ont bien peu de maximes, & si à mon advis, ils n'en eurent jamais d'avantage, sont tousjours dans leurs premieres & y peuvent perseverer jusques à la fin des siecles, si le Christianisme opposé à leurs tenebres n'a entrée chez eux, & en tel cas, il leur faudra changer de vie, de Loix, de maximes, qui sont pour la pluspart autant Sauvages que brutale & impertinentes.
1. Pour premiere maxime, ils tiennent de ne pardonner jamais, ny faire grace à aucun de leurs ennemis, que par de grands presens.
2. De desrober qui pourra, aux François, ou estrangers, pourveu qu'on n'y soit point apprehendé, autrement on vous fairoit trouver en homme de peu d'esprit.
3. Conviennent qu'il est loisible à un chacun de voir les filles & les femmes d'autruy indifferemment, sans violence toutefois, & au cas pareils les femmes, & filles, aller aux hommes, & garçons, sans pouvoir encourir blasme ou notte d'infamie.
4. Qu'on doit assister les malades, & ne souffrir de mandians, n'y aucun en disette sans luy faire part de ses biens.
5. De recevoir courtoisement les passans qui ne leur sont point ennemis, & de se rendre l'hospitalité reciproque.
6. D'avoir un grand soin des os des deffuncts, & de faire des presens pour le soulagement des ames en l'autre vie.
7. De n'entreprendre aucun voyage de long cours, sans en advertir les Chefs, & Capitaines, pour ne laisser les bourgs desgarnis de gens de guerre.
8. Qu'on puisse rompre un mariage quand les mariez ont rompu d'amitié, & que l'un des deux le desire ou procure.
9. Que personne ne s'impatiente ou fasche pour chose qui arrive, s'il ne veut estre estimé femme ou effeminé, sinon qu'il y allast de l'honneur des deffuncts qui ne se peuvent venger, ou tirer raison des offences.
Voyla tout ce qu'ils ont de plus recommandables en leurs maximes, & qu'ils observent avec plus d'affection & de soins; reste à deduire comme ils se gouvernent & comportent en leur conseil, qui est tel, que les anciens, et principaux de la ville ou du bourg, s'assemblent en un lieu avec le Capitaine où ils proposent & decident tout ce qui est des affaires de la communauté, non par commandement absolu, mais par supplications & remonstrances, & par la pluralité des voix, qu'ils colligent avec des petits fetus de joncs. Il me vient en resouvenir d'un beau traict que Varron raconte du Senat Romain, lequel a tousjours tenu en si grande veneration, la Religion que les faux Prestres leur enseignoient que toutefois & quantes qu'il s'assembloit, bien que ce fut pour affaires de grande importance, & qui requissent haste & diligence, la premiere chose qu'on y proposoit devant que decider desdites affaires, appartenoit à la religion, & veneration des Dieux; & voyla comme tous les Princes Chrestiens en devroient veritablement user dans leurs conseils, pour l'honneur & le respect qu'ils doivent au service nostre Dieu puis qu'ils se disent ses serviteurs; mais helas les maximes desquelles l'on se sert pour le jourd'huy sont bien différentes & contraires à celles du mesme Dieu: qui n'a plus de part dans le conseil des grands; où il n'est point invoqué.
Il y avoit à la ville de sainct Joseph le grand Capitaine de la Province des Ours, qu'ils appelloient Garihoua Andionxra pour le distinguer des ordinaires de guerre qu'ils appellent Garihoua doutagueta. Iceluy grand Capitaine de Province avoit encores d'autres Capitaines sous luy, tant de guerre, que de police, par tout les autres bourgs & villages de sa jurisdiction, lesquels en chose de consequence le mandoient & advertissoient pour le bien du public, ou de la Province: & en nostre bourg qui estoit le lieu de sa residence ordinaire, il y avoit encore trois autres Capitaines qui assistoient à tous les conseils avec les anciens du lieu, outre son Assesseur & Lieutenant, qui en son absence ou quand il n'y pouvoit vacquer, faisoit les cris & publications par la ville des choses necessaires & ordonnées. Et ce Garihoua Andionxra n'avoit pas si petite estime de luy-mesme, qu'il ne se voulut dire frère & cousin du Roy de France, & de mesme égalité, comme les deux doigts demonstratifs des mains qu'il nous monstroit joints ensemble, en nous faisant cette ridicule & inepte comparaison.
Or quand ils veulent tenir conseil, c'est ordinairement dans la cabane du Capitaine chef & principal du lieu, sinon que pour quelque autre raison particulière, il soit trouvé autrement expedient. Le cry & la publication du conseil ayant esté fait, on dispose dans la cabane, ou lieu ordonné, un grand feu, à l'entour duquel s'assisent sur les nattes, ou à platte terre, tous les Conseillers en suitte du grand Capitaine qui tient le premier rang, assis en tel endroit, que de sa place il peut voir tous ses Conseillers & assistans en face.
Les femmes & filles, ny les jeunes hommes n'y assistent point, si ce n'est en un conseil general, où les jeunes hommes, de 25 à 30 ans peuvent assister, ce qu'ils cognoissent par un cry particulier qui en est fait. Que si c'est un conseil secret, ou pour machiner quelque trahison ou surprise de guerre, ils le tiennent seulement la nuict, entre les principaux & plus discrets Conseillers, & n'en descouvrent rien que la chose projetée ne soit mise en effect, (s'ils peuvent) prenant pour prétexte de leurs assemblées de nuict, que c'est pour n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que le jour divertissoit leur esprit, par des objects, & par ainsi que l'on ne devoit s'estonner s'ils cherchoient l'obscurité pour voir clair à leurs affaires, plus difficiles à demesler pendant le jour.
Estans tous assemblez, & la cabane fermée, ils font tous une longue pose avant parler, pour ne se précipiter point, tenans cependant toujours leur calumet en bouche, puis le Capitaine commence à haranguer en terme & parole haute & intelligible, un assez long-temps, sur la matière qu'ils ont à traicter en ce Conseil: ayant finy son discours, ceux qui ont à dire quelque chose, les uns aprés les autres, sans bruit, sans s'interrompre, & en peu de mots, opinent & disent leurs advis, qui sont par aprés colligez avec des pailles, ou petits joncs, & là dessus est conclud ce qui est jugé expédient par la pluralité des voix, non criminellement, mais civilement, car je n'ay jamais veu condamner aucun à mort, à la peine corporelle, ny à aucun bannissement entre nos Hurons, comme il se fait quelquefois parmy les autres Nations Canadiennes.
Ils font des assemblées générales, sçavoir de regions loingtaines, d'où il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, au lieu destiné pour l'assemblée, où il se fait de grands festins, & dances, & des presens mutuels qu'ils se font les uns aux autres, & parmy toutes ces caresses, ces resjouissances, & ces accolades, ils contractent amitié de nouveau, & advisent entr'eux du moyen de leur conservation, & par quelle manière ils pourront perdre, ruyner & exterminer tous leurs ennemis communs: tout estant faict, & les conclusions signées, non avec la plume, mais du doigt de leur fidelité, ils prennent congé les uns des autres, & s'en retournent chacun en leur païs, avec tout leur train & equipage, à la Lacedemonienne, le plus souvent un à un.
Peu s'en est fallu que je ne me sois oublié d'écrire icy un traict qui ne doit pas estre teu. La coustume que nous avons de faire lever la main à ceux de qui on exige une verité en justice, que nous appellons faire serment, est pratiquée parmy nos Canadiens & Montagnais, mais en une autre manière, car ils presentent à tenir une certaine chose qu'ils appellent Tustéheson; qui est une chaîne de rassades d'environ une brassée de longueur.
Celuy qui la presente à tenir (representant le juge) interroge la partie & luy demande; est-ce toy qui a faist telle chose, ou bien ne sçais tu point qui l'a faicte, l'autre est obligé en la prenant de dire verité, d'autant que par aprés venant à estre trouvé menteur, on ne faict plus estat de luy non plus que d'un faussaire, mais si celuy qui est apellé au serment se sent coulpable, alors ne voulant dire la vérité, il ne prend point aussi le Tusteheson, mais faict plusieurs circonlocutions pour s'exempter de la prendre & se liberer de tout soupçon.
On dit de mesme que les Turcs font rarement de faux sermens, tesmoin celuy qui ayant mis son argent dans un baston creuzé & voulant faire ferment par devant le juge, donna ce mesme baston à tenir à son Creancier qui estoit à son costé, auquel il dit, Monsieur je vous supplie de grâce, tenez ce baston que je fasse mon ferment & leve la main, lequel ayant achevé le Creancier tout estonné sçachant tres-bien qu'il n'avoit esté payé, jetta de colere le baston de son debteur si rudement contre terre que la fourbe en fut descouverte, car le baston se rompit & l'argent en sortit, qui fist cognoistre ce debteur trompeur & non point menteur.
Avant finir ce Chapitre, je vous feray voir par une disgrace qui nous pensa arriver, comme ils sçavent assez bien proceder en conseil & user de quelque manière de satisfaction envers ceux qui auroient esté offencez par aucun d'eux, si on leur en laisse le jugement. Un jour d'Hyver que beaucoup de Sauvages nous estoient venus voir en nostre cabane, selon leur coustume ordinaire, un d'entr'eux marry de n'y avoir place à son gré, vouloit insolemment debouter, un François de son lieu, si le Pere Joseph qui prit la parolle, ne l'eut prié de ne faire point de bruit, dequoy irrité le Sauvage sans autre replique prit lors un gros baston duquel il luy eut deschargé un grand coup sur la teste, si les François qui se trouverent là presens, ne l'en eussent, empesché & repoussé les autres jeunes hommes Hurons, qui sembloient des-ja vouloir estre de la partie contre nos François, par je ne sçay qu'elle envie qu'ils avoient conceue contre eux.
En ceste esmeute, je remarquay particulièrement, la confiance d'un jeune homme Huron, lequel se tint effrontement tout nud sans sourciller devant un François, qui luy tenoit un coustelas eslevé duquel il le vouloit frapper, & le Huron l'empecher, & en mesme temps luy sauter au collet, comme il n'eut pas manqué si je n'y fusse arrivé & fait retirer l'un & l'autre à l'edification de tous, car il y alloit d'un jeu qui n'estoit point à rire.
Des-ja ce mesme Huron s'estoit gourmé à coup de poings avec un nommé la Valée, mais un peu desavantageusement pour luy, car encor qu'il tint ce François par les moustaches, l'autre ne perdoit point temps & luy approchoit le poing si prés du né qu'il luy en fist sortir le sang, neantmoins jamais aucun de ses compagnons ne bougèrent pour l'assister, car ils ont cela de bon, qu'ils disent qu'un à un la partie est egale, & qu'autrement il y auroit de l'injustice.
Voyant tant de desordre & que tous les barbares sortoient des-ja du bourg, pour voir ce qui se passoit ou pour estre de la partie m'attachay des raquettes sous les pieds pour n'enfoncer dans les neiges, & prevenir le grand Capitaine Auoindaon & tous les vieillards, qui se mirent en peine pour nous & crioient par tout contre les Moyenti. Comment veut on tuer nos Nepveux, veut on faire mourir nos Capitaines, François, ennon, ennon Moyenti, non, non jeunes gens, il ne leur faut point faire de desplaisir, ils sont nos bons amys, & ceux qui monstrerent plus de ressentimens pour nous furent les principaux chefs, à sçavoir, Auoindaon, Onorotandi, Yocoisse, Ongyata & Onnenianetani, qui firent publier un conseil general à nostre requeste, pour le lendemain matin, où nous assistames le P. Nicolas & moy, avec tous les Hurons depuis l'aage de 29 à 30 ans, jusques à l'extreme vieillesse. Celuy qui avoit voulu donner le coup n'y assista point, non plus que le Pere Joseph, qui estoit resté à nostre cabane avec tous les François, crainte qu'on y allast faire quelque frasque ou ravage s'ils s'en feussent absentés, car il n'y a ny clefs ny serrures aux portes en tous ces païs là, ny fermeture suffisante qui en puisse deffendre la libre entrée à qui que ce soit.
Pour moy j'allois librement par tout solliciter les affaires des François, & empecher qu'on n'atentast plus sur la vie d'aucun de nous, & d'appaiser les Sauvages, mais j'admiré ce traict de bonté en eux, qu'au plus fort du debat, comme j'allois criant à nos François, (un peu trop eschauffez) de se retirer & ne blesser personne, il y en eut qui coururent aussi-tost au village, publians par tout Onianné Auiel, Onianné Auiel. Gabriel est bon, Gabriel est bon, tant ils sont amis des amateurs de la paix.
Le conseil assemblé, le grand Capitaine nous fit soir auprés de lui, puis ayant imposé silence, il s'addressa à nous & nous parla en sorte que toute l'assemblée le pû entendre. Mes Nepveux, à vostre requeste j'ay faict assembler ce conseil general, afin de vous estre faict droict sur les plaintes que vous m'avez faictes, de quelque malicieux qui vous ont voulu offencer, mais d'autant que ces gens icy sont ignorans du faict, proposez vous mesme vos plaintes & declarez hautement en leur presence ce qui est de vos griefs, & en quoy & comment vous avez esté offencez, & sur ce je bastiray ma harangue & vous ferons justice, car nous ne desirons pas qu'aucun vous fasse de desplaisir, mais au contraire que l'on vous rende tout le service que l'on pourra, pendant que nous aurons ce bien de jouir de vostre presence.
Nous ne fusmes pas peu estonnez d'abord de la prudence & sagesse de ce Capitaine, & comme il proceda en tout fort sagement jusqu'à la fin de sa conclusion, qui fut fort à nostre contentement & edification.
Nous proposames donc nos plaintes, & comme nous avions quitté un tres-bon païs & traversé tant de mers & de terres avec infinis dangers & mesaises, pour leur venir annoncer la parole de Dieu, le chemin du Ciel, & retirer leur ames de la domination de Loki, qui les entrainoit tous aprés leur mort dans un abisme de feu sousterrain, puis pour les rendre amis & comme parens des François qui les cherissoient, & neantmoins qu'il y en avoit entr'eux qui avoient voulu tuer nostre frere Joseph, particulierement un tel que nous nommasme.
Quoy leur dis-je, pour leur faire admirer la bonté & les richesses de la France, et leur oster l'opinion que les leurs ayent allechez les François, nous mangions de la graisse à plain soul, car c'est là leur plus friant morceau. Les outardes, les grues & les perdrix, nous estoient tellement communes, que cela ne nous estoit non plus espargné qu'à vous le bled d'Inde. Les pauvres mesmes ne veulent point manger de la chair de nos chiens. Nos maisons sont basties non d'escorces & de bois comme les vostres, mais de pierres & matériaux solides. Les champs sont tous semez de bon bled, de bonnes prunes & de racines excellentes, voudriez vous croire à present que nous soyons venus chercher à disner à vos portes, & que la necessité nous ait porté à un si miserable païs, desnué de toutes douceurs, comme vous advouez vous mesmes, puis que nous estions si fort à nostre ayse & que toutes choses nous venoient à souhait, ayez donc de l'amitié pour nous, puis que l'amour que nous avons eu pour vous, nous a faict quitter tant d'ayse & de contentement, & faict jeusner fort austerement en procurant le salut de vos ames.
Ayant fini, le Capitaine ranga un long temps sur nos plaintes, & leur remonstra l'excellence de nostre condition relevée entre celle des autres François, qu'ils estimoient moins que nous, (à cause qu'ils ne parloient point à Dieu disoient ils,) puis leur dit que ce jeune homme avoit eu grand tort d'avoir voulu tuer le Pere Joseph, que nous ne leur rendions aucun desplaisir, & qu'au contraire nous leur procurions du bien & de la consolation, pour cette vie & pour l'autre, en nous privant nous mesmes de nostre propre repos. Et bien dit-il, que voulez vous qu'ils fassent davantage pour vous, ils vous instruisent, ils enseignent vos enfans, ils parlent à Dieu pour nous, & nous traictent comme leurs parens, & pour recompense nous leur voulons rendre des desplaisirs? quoy la chose seroit elle raisonnable, non, il n'en sera pas ainsi.
Il leur remonstra de plus; que s'il estoit sçeu à Kebec, qu'ils nous eussent voulu mal traicter, que les François en pourroient avoir du ressentiment, & par ainsi qu'il falloit estouffer ce desordre & nous laisser vivre en paix & repos parmy eux. Et pour conclusion, ils nous prierent d'excuser la faute d'un particulier, lequel nous devions tenir seul avec eux, pour un chien, à la faute duquel les autres ne trempoient point, & nous dirent pour exemple que des-ja depuis peu, un des leurs avoit griesvement blessé un Algoumequin, en jouant avec luy, & qu'ils s'estoient accordez sans guerre, moyennant quelque petit present, & celuy là seul tenu pour un chien & meschant qui avoit faict le coup, & non les autres qui estoient bien marris d'un tel accident.
Ils nous firent aussi present de quelques sacs de bled d'Inde, que nous acceptames, & fumes au reste caressez de toute la compagnie, avec mille prières d'oublier tout le passé & demeurer bons amis comme auparavant; & nous conjurerent de plus, fort instamment d'assister tous les jours à leurs festins & banquets, ausquels ils nous feroient de bonnes sagamitez diversement préparées & que par cette hantize & familiere conversation qu'apportent les festins & repas, nous nous maintiendrions plus facilement dans l'intelligence & la bonne amitié, que se doivent parens & amys si proches, & que de verité ils nous trouvoient assez pauvrement accommodez & nourris dans nostre petite cabane, de laquelle ils eussent bien desiré nous retirer pour nous mettre mieux dans leur bourgade, où nous n'aurions autre soin que de prier Dieu, les instruire en nos sciences, & nous gouverner doucement avec eux, mais comme un continuel & assidu bruit de la mesnagerie n'estoit point compatible à nostre humeur non plus qu'à nostre condition, nous les remerciames de leur bonne volonté, fismes porter nostre maiz à nostre cabane & primes congé de la compagnie, fort satisfaicts les uns des autres.
De la guerre, des armes dont usent nos Hurons, & comme nous les empechames de sortir contre les Neutres des-ja tout prests de nous courir sus; avec une exemple d'Uladislas Roy de Hongrie pour la fidelité, &c.
CHAPITRE XXVII.
L'Homme de bien ne cherche, point la guerre, si ce n'est pour venger l'injure faicte à Dieu, ou pour deffendre les oppressez, contre les Tyrans, autrement, ô mal heur du siecle, à quel propos tenir soldat sur campagne & voir ruyner le pupil & le paysan, dont les acclamations vont jusques au Ciel, implorans ses foudres contre les meschans, & ceux qui ne peuvent vivre sans trouble.
L'Empereur Marc Aurelle, devisant un jour avec son amy Corneille des effects d'une gendarmerie, pour bien conduite & disciplinée qu'elle puisse estre, disoit: mais avec ressentiment, qu'il ne sçavoit quelle plus grande guerre les Princes pourroient avoir, que de tenir en leurs Royaumes gens de guerre, si la necessité ne les presoit de se deffendre, pour ce que selon que nous montre l'experience ceux-cy sont devant Dieu fort coulpables, aux Princes importuns, & aux peuples ennuyeux: de maniere qu'ils vivent au dommage de tous, & sans profit d'aucun.
C'est pourquoy Scipion l'Africain avoit raison de dire, que toutes les choses devoient estre essayées en guerre devant que de mettre les mains aux armes: & à la verité il n'y a plus grande victoire que celle qu'on gaigne sans effusion de sang, & sans soldats en Campagne, car l'amy, aussi bien que l'ennemy, ruine tousjours le bon homme aussi bien que le païs.
Mais c'est bien le mal-heur lors que l'on entreprend guerre injuste, car outre ces incommoditez & les maledictions des peuples, l'offence de Dieu y est si grande, que tost ou tard on en est puny en ce monde ou en l'autre; & fausser sa foy donnée à ses ennemis, est le comble du boisseau qui attire l'ire, & la juste vengeance de Dieu sur nos testes, comme l'exemple d'Uladislas Roy de Hongrie nous en sert de preuve. Car ce Roy ayant en l'année mil quatre cens quarante trois, du temps d'Eugene quatriesme gaigné une signalée victoire contre Amurat second, Empereur des Turcs, & du depuis faict treves avec luy pour dix années.
L'an suivant à la suasion du Legat du Pape nommé Julian, il faussa sa foy & luy declara la guerre. Amurat contrainct de se deffendre vint avec une armée de soixante mille hommes. La bataille le donne, où du commencement les Chrestiens eurent de l'avantage, une partie des Turcs tuez sur la place, une autre partie mise en desroute. Ce que voyant Amurat il tire de son seing une coppie de l'accord faict entre luy & Uladislas, & levant les yeux au Ciel, & tenant ce papier en main commença, à se plaindre de la perfidie du Roy & des Chrestiens en ces parolles.
Voyla, ô Jesus-Christ, l'accord que les Chrestiens ont passé avec moy, qu'ils ont juré sur tes sainctes Evangiles d'observer inviolablement, cependant aujourd'huy meschans & perfides qu'ils sont, ils faussent leur foy & renoncent perfidement à l'honneur qu'ils doivent à leur Dieu. C'est pourquoy si tu es Dieu comme ils disent, venge tes injures & les miennes, & leur faisant payer la peine de leur perfidie & de la foy par eux violée, fais toy recognoistre juste à ceux qui n'ont pas encores la cognoissance de ton nom.
A peine avoit il achevé ceste prière, qu'incontinent voilà la chance tournée. Les Turcs reçoivent nouvelles forces, une grande boucherie se faict des Chrestiens, le Roy Vladislas tué, & le Legat du Pape, qui avoit esté Autheur & conseiller de rompre la treve: tant Dieu a en horreur la perfidie & veut que l'on garde la foy donnée.
Aussi les Payens mesmes en cela se sont monstrez beaucoup, plus Religieux que les Chrestiens. Plutarque en la vie de Curtius Camillus & de Pirrhus Roy des Epirotes, en rapporte deux belles exemples, qui devroient estre imitées par ceux lesquels ambitieux d'honneur, comme de posseder le bien d'autruy, n'obtiennent aucune victoire que par mauvais moyens ou en faussant leur foy, ou en s'aquerant des thraitres, & puis il faudra mourir & abandonner tout.
La première histoire est, que Camillus ayant esté esleu Tribun militaire avec cinq autres, pour faire la guerre aux Faliques, incontinent avec l'armée Romaine entra dedans ce païs, où il alla mettre le siege devant la ville des Faleriens, qui estoit bien fortifiée & pourveuë de toutes choses requises & necessaires à la guerre; sçachant très bien que ce n'estoit pas entreprise legere que de la prendre, ne qui se peust exécuter en peu de temps, mais voulant comment que ce fust tenir ses citoyens occupez à quelque chose, & les divertir, afin que, par estre trop de sejour en leurs maisons, ils n'eussent loisir de vacquer à seditions & dissensions civiles: car les Romains usoient sagement de ce remede là, tournans au dehors, comme bons medecins, les humeurs, qui estoient pour troubler le repos de leur chose publique.
Mais les Faleriens se confians en l'assiette de leur ville, qui estoit forte de tous costez, faisoient si peu de conte d'estre assiegez, que ceux qui n'estoient pas à la garde des murailles se pourmenoyent en robes sans armes; par la ville, & alloient leurs enfans à l'escole, le Maistre de laquelle les menoit ordinairement hors de la ville se promener, jouer & exerciter au long des murailles, car ils avoient un commun Maistre d'escole pour toute la ville, comment encores ont les Grecs, voulans que leurs enfans dés le commencement, s'accoustument à estre nourris en compagnie, qu'ils conversent tousjours ensemble.
Ce Maistre donc espiant l'occasion de faire un mauvais tour aux Faleriens, menoit tous les jours leur enfans à l'esbat hors de la ville, non gueres loin des murailles du commencement, & puis les remenoit dedans, après qu'ils s'estoient esbatus & exercitez. Depuis qu'il les y eut menez une fois, il les tira de jour en jour un peu plus loin, pour les accoustumer à s'asseurer, en leur donnant à entendre qu'il n'y avoit point de danger, jusques à ce qu'un jour à la fin ayant tous les enfans de la ville avec foy, il donna jusques dedans le guet du camp des Romains, ausquels il livra tous ses escoliers, & leur dit qu'ils le menassent devant leur Capitaine general, ce qui fut faict: & quand il fut devant Camillus, il se prit à dire qu'il estoit Maistre & precepteur de ces enfans, mais, neantmoins qu'il avoit eu plus cher acquerir sa bonne grace, que de faire ce que le devoir de ces tiltres là luy commandoit: au moyen dequoy il luy venoit rendre la ville, en luy livrant ces enfans entre ses mains.
Camillus ayant ouy ces paroles, trouva l'acte bien malheureux & meschant, & dit à ceux qui estoient autour de luy, que la guerre estoit bien chose mauvaise, & où il se faisoit beaucoup de violences & d'outrages, toutesfois qu'encore y avoit il entre gens de bien quelque loix & quelque droits de la guerre, & qu'on ne devoit point tant chercher ne pourchasser la victoire, que l'on ne fuit les obligations d'en estre tenu à si maudits & si damnables moiens, & qu'il falloit qu'un grand Capitaine fist la guerre se confiant en sa propre vertu, non point en la meschanceté d'autruy.
Si commanda à ses gens qu'ils deschirassent les habillemens de ce mauvais homme en luy liant les deux mains par derriere & qu'ils donnassent des verges & des escorgées aux enfans, afin qu'ils remenassent le maistre qui les avoit ainsi trahis en le fouettant, jusques dedans la ville.
Or si-tost que les Faleriens eurent entendu la nouvelle, comme ce Maistre d'escole les avoit trahis, toute la ville en mena tres-grand dueil, ainsi qu'on peut estimer en si griefve perte, & s'en coururent hommes & femmes, pesle mesle sur les murailles & aux portes de la ville, sans sçavoir qu'ils faisoient, tant ils estoient troublés. Estans là, ils apperceurent leurs enfans qui ramenoient leur Maistre nud & lié en le fouetant, & appellant Camillus; leur Pere, leur Dieu & leur Sauveur: de manière que non seulement les peres & meres des enfans, mais aussi tous autres citoyens generalement conceurent en eux mesmes une grande admiration & singuliere affection envers la preud'hommie, bonté, & justice de Camillus, tellement que sur l'heure mesme ils assemblerent conseil, auquel il fut resolu qu'on luy envoyeroit promptement des Ambassadeurs pour se remettre eux & leurs biens du tout à sa discretion.
Si cette action de Camillus & des Romains est honorable, moins ne le fut celle du Conseil Fabricius, auquel comme il estoit en son camp estant venu un homme qui luy apportoit une missive escrite de la main du Médecin de Pyrrhus, par laquelle ce Medecin offroit de faire mourir son Maistre par poison moiennant qu'on luy promist une recompense condigne, pour avoir terminé une fascheuse guerre sans danger.
Fabricius detestant la meschanceté & perfidie de ce Médecin, escrivit une lettre à Pyrrhus en ces termes, Tu as faict mal-heureuse eslection d'amis aussi bien que d'ennemis, ainsi que tu pourras cognoistre en lisant la lettre qui nous a esté escrite par un de tes gens: pour ce que tu fais la guerre à hommes justes & gens de bien, & te fie à des desloiaux & meschans; de quoy nous t'avons bien voulu avertir, non-pour te faire plaisir, mais de peur que l'accident de ta mort, ne nous fasse calomnier, & que ton estime que nous ayons chercbé de terminer cette guerre par un tour de trahison, comme si nous n'en peussions venir à bout par vertu.
Pyrrhus ayant leu cette lettre, & averé le contenu en icelle, chastia le Medecin ainsi qu'il avoit merité, & pour loyer de ceste descouverture envoya à Fabricius & aux Romains leurs prisonniers sans payer rançon.
Nos Sauvages bien que brutaux & enclins à la vengeance ne faussent jamais leur parole donnée publiquement, & moins trahissent ils leurs freres ny leur patrie pour chose qui puisse arriver, au contraire ils tiennent à gloire de lui estre fidelle, il n'y a qu'entre nous autres Chrestiens où ce mal-heur arrive, ô mon Dieu où en sommes nous! faut il que ceux qui ne vous cognoissent point soient plus gens de bien que nous, & qu'ils soient un jour nos Juges devant vous, Seigneur, qui rejetterez les enfans du Royaume, pour y colloquer les enfans perdus, horrible eschange de l'honneur d'icy bas en une espouventable confusion de démons, l'éternel mespris & l'humiliation des meschans.
Neantmoins nos pauvres Hurons pour bien enclins qu'ils soient (fors qu'à la reconciliation) n'ont encor pû comprendre la doctrine de cest admirable Prince de paix Marc Aurelle, car n'y ayant point de desordre parmy leur gendarmerie, où chacun vit de ce qu'il porte sur ses espaules, comme je diray plus amplement cy-aprés, ils n'en peuvent recevoir aucune incommodité, & partant continuent leur guerre contre leurs ennemis, non pour en posseder les terres, ny pour les rendre tributaires & sujects à leur estat, mais pour les exterminer & ruyner totalement: de maniere, qu'ils tiennent plus à gloire d'avoir tué un de leurs ennemis, que d'avoir gaigné cent lieues de païs, & si toutes ces guerres ne sont fondées pour la plus part que sur un appetit de vengeance, pour quelque petit tort ou desplaisir qui n'est pas souvent grand chose, mais leur grande union, & l'amour reciproque, qu'ils se portent les uns aux autres, faict qu'ils embrassent volontiers en general, le faict & cause d'un particulier offencé par un estranger.
Mais si l'un d'entr'eux a offencé, tué, ou blessé un de leur mesme nation, il en est quitte pour un present, & n'y a point de bannissement ny chastiment corporel, pour ce qu'ils ne les ont point en usage envers ceux de leur propre nation, si les parens du blessé ou decedé, n'en prennent eux mesmes la vengeance, ce qui arrive fort peu souvent, car ils se font rarement injure, & du tort les uns aux autres. Mais si l'offencé est de nation étrangère, alors il y a indubitablement guerre declarée entre les deux nations, si celle de l'homme coulpable ne se rachepte promptement par des grands presens, qu'ils exige du peuple, si les tresors publiques sont epuisez, pour la partie offencée: & par ainsi il arrive le plus souvent que par la faute d'un seul, deux peuples entiers se font cruellement la guerre, & vivent tousjours dans une continuelle crainte d'estre surpris l'un de l'autre, particulierement sur les frontieres où les femmes mesmes n'ozent cultiver les terres, ny faire les bleds, qu'elles n'ayent tousjours auprés d'elles, des hommes armez, pour les conserver & deffendre de quelque mauvaise avenue.
Quand ils veulent faire la guerre, soit offensive ou deffensive, ce seront deux ou trois des anciens ou vaillans Capitaines, qui en entreprendront la conduite pour cette fois, et vont de village en village, faire entendre leur volonté, donnant des presens à ceux des dits villages, pour les induire à leur octroyer l'ayde & le secours qu'ils leur demandent, & par ainsi sont comme Generaux d'armées.
Il vint en notre bourg un grand vieillard fort dispos & robuste, lequel je crû estre de la mesme qualité, car il alloit de cabane en cabane parler aux Capitaines, & à la jeunesse, qu'il portoit à une guerre malheureuse, contre la nation des Attinoindarons, dequoy nous le tançames fort, & dissuadames le peuple d'y entendre, à sa confusion, & au grand contentement de tous les amateurs de la paix, car en effet il n'y a point d'apparence de rompre avec une Nation si puissante, sans se mettre au hasard d'en estre totallement ruyné, & puis l'esperance d'y advancer la gloire de Dieu s'en alloit totalement perdue par cette guerre, avec ce peu de bien que nous y avions commencé.
Ces Capitaines ou Generaux d'armes ont le pouvoir, non seulement de designer les lieux, de donner quartier & de renger les bataillons, mais aussi de commander aux assauts, & disposer des prisonniers, & de toute autre chose de plus grande consequence. Il est vray qu'ils ne sont pas tousjours bien obeis de leurs soldats, entant qu'eux mesmes manquent souvent dans la bonne conduite, & celuy qui conduit mal est souvent mal suivy. Car la fidelle obeyssance des sujets despend de la suffisance de bien commander du bon Prince, disoit Theopompus Roy de Sparte.
Pendant que nous estions là, le temps d'aller en guerre contre les Hiroquois estant arrivé un jeune homme de sainct Joseph; desireux d'honneur & de reputation, voulut luy seul en faire le festin, & deffrayer pour un jour entier, tous ses compagnons, ce qui luy fut de grand coust & despence aussi en fut il grandement estimé: car ce festin estoit de six grandes chaudieres pleine de bled d'Inde concassé, avec quantité de grands poissons boucanez, sans les farines, & les huiles pour faire la sauce.
On mit les chaudières sur le feu dés avant jour, dans l'une des plus grandes cabanes du bourg, puis le Conseil estant achevé, & les resolutions de guerre prises, tous entrèrent au festin, pendant lequel, ils firent les uns après les autres, les mesmes exercices militaires, qu'ils ont accoustumé aux festins de guerre. Les chaudieres nettes, & les complimens & remerciemens rendus, partirent pour le rendez-vous de toute l'armée assigné sur la frontière, d'où ils se rendirent sur les terres ennemies, ausquelles ils prindrent environ soixante prisonniers, la pluspart desquels furent tuez sur les lieux & les autres amenez pour faite mourir aux Hurons par le feu, puis mangez, en leur assemblée sinon quelque membres qui furent distribuez à des particuliers pour leurs malades.
Leurs guerres ne sont proprement que des surprises & déceptions, plustost que des batailles & combats, ou siege de villes, non par couardise & faute de courage, car ils se trouvent souvent aux prises avec l'ennemy, mais pour attraper quelqu'un mort, ou vif, sans exception d'aage ou de sexte, pour les conduire en triomphe en leur pays.
Tous les ans au renouveau & pendant tout l'Esté que les fueilles couvrent les arbres, cinq ou six cens jeunes hommes Hurons ou plus, s'en vont avec cet ordre, s'espandre dans le pays des Hiroquois, se departent cinq ou six en un endroit, cinq ou six en un autre, & se couchent le ventre; contre terre par les champs & les forests, & à costé des grands chemins & lieux passans, & la nuict venue ils rodent par tout jusques dans les villes, bourgs, & villages pour attraper quelqu'un de leurs ennemis, lesquels ils emmenent en leur pays, pour les faire passer par les tourmens ordinaires, sinon aprés les avoir tuez à coups de fleches ou de masse, ils en emportent les testes, ou la peau des testes escorchées avec la chevelure, qu'ils appellent Onontsira, lesquelles les femmes, passent pour les conserver, & en faire des trophées & banderoles, en temps de guerre, ou les attachent au haut de leurs murailles ou pallissades au bout d'une longue perche.
Il y a d'autres Nations en nostre Amerique qui avoient accoustumé d'escorcher ceux qu'ils prenoient à la guerre, & de remplir de cendres leurs peaux, qu'ils appendoient à leurs places publiques, comme autant de trophées, & de monumens de leurs beaux faits. Il y en avoit neantmoins plusieurs d'entr'eux qui employoient ces peaux à d'autres usages, & en faisoient des tambours, disans que ces caisses quand on venoit à les batre, avoient une secrette vertu de mettre en fuitte leurs ennemis. Tous les Hurons Se Algomequins croyoient la mesme vertu en nostre beau chasuble, mais ils n'en peurent venir à l'espreuve, car il nous faisoit besoin, & puis c'estoient toute folles opinions pardonnables à ces pauvres gens là, & non à un Chrestien qui y adhereroit.
Quand ils veulent tenir la campagne, & aller en pays d'ennemis, ils ne meinent jamais autres pourvoyeurs ny viandiers qu'eux mesmes, chargez chacun d'un plein sac de farine qu'ils appellent Eschionque, accommodez derriere leur dos, avec des lanieres ou cordelettes, qu'ils appellent Acharo, de sorte que ce paquet les incommode de fort peu, & puis c'est la charge d'Esope, qui va tousjours en diminuant à mesure qu'ils s'arrestent pour les repas.
De fouller le bon homme il ne s'en parle point, non plus que d'en tirer la piece, car ils vivent & logent tousjours en pleine campagne & au fond des bois où ils prennent leur refection qui est aysée, car cette farine se mange aussi bien crue que cuite, seiche que mouillée, d'eau tiede ou froide, à la volonté d'un chacun, sans qu'il soit besoin de feu, ny d'autre sauce que l'appetit.
Ils mesnagent tellement ce petit sac, qu'il leur dure jusques à leur retour, qui est environ six sepmaines ou deux mois de temps; car après ils viennent se rafraichir au pays, finissent la guerre pour ce coup, ou s'y en retournent encores avec d'autres provisions.
Que si les Chrestiens usoient de telle sobrieté & temperance, ils pourraient aysement entretenir de tres-puissantes armées avec peu de fraiz, & faire la guerre avec advantage, aux ennemis de Dieu, & du nom Chrestien, sans fouller les peuples, ny ruyner e pays, & puis Dieu n'y seroit point tant offencé, comme il est à present par la pluspart de nos soldats François, qui vivent avec une telle licence chez les paysans, & par tout ailleurs où ils mettent le pied, qu'on en abhorre la veuë, & fait fuyr un chacun l'esclat de leur insolence.
Ces pauvres Sauvages (à nostre confusion) se comportent ainsi modestement en guerre, sans incommoder personne, & s'entretiennent de leur propre & particulier moyen, sans autre gage ou esperance de recompence, que du seul honneur & louange qu'ils estiment plus que tout l'or du monde ou l'on ne fait îcy estat que de l'argent, autrement point de service.
Ils n'ont pour toutes armes que la masse, l'arc & les fleches, lesquelles ils empannent de plumes d'aigles, comme les meilleures de toutes, & à faute d'icelles ils y en accomodent d'autres. Ils y appliquent aussi fort proprement des pierres tranchantes collées au bois avec une colle de poisson très-forte, & de ces flèches ils en emplissent leur carquois, qui est fait d'une peau de chien passée, qu'ils portent en escharpe sur leur dos. Ils portent aussi de certaines armures & cuirasse qu'ils appellent Aquientor pour arrester le coup de la flesche: car elles sont faites à l'espreuve de ces pierres aiguës, & non toutefois de nos fers de Kebec, quand la flèche qui en est accommodée sort d'un bras roide & puissant, comme est celuy d'un Sauvage.
Ces cuirasses sont faites avec des baguettes blanches couppées de mesures, & serrées les unes contre les autres, tissuës & entrelassées de cordellettes fort durement & proprement. Ils se servent aussi d'une rondache ou bouclier fait d'un cuir bouilly fort dure, & d'autres faits de planches de bois de cedre, fort grands, larges & légers, qui leur couvrent presque tout le corps. Il me souvient qu'estant à la bourgade de sainct Nicolas, autrement de Toenchain, je vis arriver plusieurs jeunes hommes d'une guerre estrangere qui me monstrerent une assez grande piece d'un bouclier de leurs ennemis, qui sembloit de l'yvoire, je ne pû comprendre ny conjecturer de quel animal ce pouvoit estre, mais que ce fut d'yvoire, ou d'une coquille polie de quelque grande tortue, elle estoit pour resister à quelque fleche que ce fut, & à l'espée, & le poignard.
Ils ont diverses enseignes ou drapeaux faicts (pour le moins ceux que j'ay veus) d'un morceau d'escorce rond, attaché au bout d'une longue baguette, comme une cornette de cavalerie, sur lequel sont depeintes les armoiries de leur ville ou Province.
Ce sont les principales armes dont nos Hurons se servent ordinairement, & principalement de l'arc & la fleche, de laquelle ils se servent avec tant de dexterité, qu'ils ne manquent guere de donner où ils visent: & tirent si legerement & habilement, que comme ils disent eux mesmes, ils ont plustost decoché dix flèches que nos meilleurs arquebusiers ne sçauroient avoir deschargé deux coups leur harquebuze, & s'en est trouvé de si hardis de defier en pleine campagne, un François avec son harquebuze, disans qu'ils sçauroient bien exquiver son coup, & ne le point faillir de leur fleche.
Depuis qu'on a eu porté des lames d'espées en Canada, les Montagnais, & autres peuples errants, ont trouvé l'invention de les emmancher en de longs bois comme demyes piques, qu'ils sçavent roidement elancer à la chasse contre l'eslan, & à la guerre contre leurs ennemis.
Comme on a de coustume sur mer, pour signe de guerre, ou de chastiment, mettre dehors en evidence le pavillon rouge: Aussi nos Sauvages, non seulement és jours solemnels & de resjouissances, mais principalement quand ils vont à la guerre, ils portent autour de leur teste, pour la pluspart, de certains pennaches en couronnes; & d'autres en moustaches, faits de long poils d'eslan, peints d'un rouge cramoisy beau par excellence, & collez, ou autrement attachez à une bande de cuir large de trois doigts, & longue assez pour entourer la teste.
Nostre chasuble à dire la saincte Messe, leur agreoit fort, & l'eussent bien desiré traicter de nous, pour le porter en guerre en guise d'enseigne, ou pour mettre au haut de leurs murailles, attachée à une longue perche, afin d'espouventer leurs ennemis, disoient-ils, mais ce n'estoit pas chose à leur usage, ny qui deut estre ainsi prophanée. Les Algomequins de l'Isle nous avoient fait la mesme prière au Cap de Massacre, ayant desja à ce sujet amassé sur le commun, environ quatre-vingts castors: car ils le trouvoient non seulement très beau, pour estre d'un excellent damas incarnat, enrichy d'un passement d'or (digne present de la Reyne, qui nous l'avoit donné avant partir de France) mais aussi pour la croyance qu'ils avoient qu'il leur causeroit du bon heur, & de la prosperité en toutes leurs deliberations & entreprises de guerre.
Quant la guerre est declarée en un pays, & qu'on doute des forces de l'ennemy, à tout evenement, on se fortifie par tout avec l'ordre que le Conseil y donne. Les habitans destruisent tous les bourgs, villes, & villages frontiers, incapables d'arrester l'ennemy, ou de pouvoir estre suffisamment fortifiés pour soustenir un siege, & chacun se range dans les lieux fortifiez de sa jurisdiction, où ils bastissent de nouvelles cabanes pour leur demeure, à ce aydez des habitans du lieu; qui leur font la courtoisie avec affection.
Les Capitaines à ce aydez de leurs officiers & gens du Conseil, travaillent, continuellement à ce qui est de leur conservation & fortification, à ce que par leur faute ou negligence ils ne soient surpris de l'ennemy, font balayer & nettoyer les suyes & araignées des cabanes, de peur du feu que l'ennemy y pourroit jetter, par de certains artifices qu'ils ont appris de je ne sçay qu'elle autre Nation que l'on m'a autrefois nommée, & qui s'est eschappée de ma mémoire.
Ils font porter sur les guarites, des pierres, & de l'eau pour s'en servir dans l'occasion, & crainte de tout perdre si la forteresse venoit à estre prise d'assaut, ou que le feu s'y prit, plusieurs font des trous en terre, dans lesquels ils enferment ce qu'ils ont de meilleur, & le couvrent si proprement de la mesme terre, que le lieu ne peut estre recognu que de ceux là mesme qui y ont travaillé.
Un bon Capitaine n'a pas seulement soin du dedans, mais aussi du dehors, & manquer dans la prevoyance est tout perdre, peur de quelque camisade, les Chefs envoyent par tout des espions & coureurs, pour descouvrir & observer l'ennemy, & posent leurs sentinelles selon la necessité, pendant que d'autres exhortent & encouragent le reste des gens de guerre, à faire des armes, & de se tenir prests pour vaillamment & genereusement combattre, resister & se deffendre si l'ennemy vient à paroistre.
Le mesme ordre s'observe en toutes les autres villes & forteresses du pays, jusques à ce qu'ils voyent l'ennemy attaché à quelqu'une, & pour lors la nuict venue à petit bruit, une quantité de soldats de tous les villages voisins, vont au secours, & s'enferment au dedans de celle qui est assiegée, la deffendent font des sorties, dressent des embusches, s'attachent aux escarmouches, & combattent de toute leur puissance, pour le salut de la patrie, surmonter l'ennemy & le deffaire du tout s'ils peuvent.
Pendant que nous estions au village de S. Joseph, nous vismes faire toutes les diligences susdites, tant en fortification des places, apprests des armes, assemblées des gens de guerre, provision de vivres, qu'en toute autre chose necessaire pour soustenir une grande guerre qui leur alloit tomber sur les bras, de la part des Attiuoindarons, si le bon Dieu n'eust diverty cet orage, & empesché ce malheur qui alloit menaçant nostre bourg d'un premier choc, lequel à cette occasion fut mis en estat de deffence en ruynant les cabanes escartées, qu'on rebastit dans le fort réduit en forme ronde, & en lieu assez fort d'assiette de tous costez.
Mais pour ce que nous ne voulumes pas quitter nostre ancienne cabane pour nous placer dans la ville, les Sauvages nous advertissoient de nous donner sur nos gardes à quoy nous ne manquions pas, car il ne faut point tenter Dieu, & négliger ses asseurances, c'est pourquoy nous barricadions nostre porte toutes les nuicts, avec des grosses busches de bois posées les unes sur les autres, avec deux paulx derrière piquez en terre, & n'ouvrions point à heure indue à qui que ce fut, sinon aux François.
Or pour ce que la guerre n'est en rien bonne, si elle n'est pour le soustien de la foy, & que les Neutres qui pouvoient faire jusques à cinq ou six mille hommes n'estoient que trop fort pour deux mille hommes que nos Hurons peuvent faire au plus, nous fusmes les intercesseurs de la paix, comme j'ay dit ailleurs, & donnames nos raisons, lesquelles nous acquirent quelque chose sur leur esprit, & la promesse qu'ils se tiendroient en paix, &, ne penseroient plus à la guerre, si les Neutres ne les y obligeoient, & que ce en quoy ils avoient auparavant fondé l'esperance de leur salut estoit en nostre grand esprit, & au secours que quelques François mal avisez, leur avoient fait esperer de Kebec: Outre une tres-bonne invention qu'ils avoient conceue en leur esprit, par le moyen de laquelle ils esperoient tirer un grand secours de la Nation du Feu, ennemis jurez des Neutres.
L'invention estoit telle, qu'au plustost ils s'efforceroient de prendre quelqu'un de leurs ennemis, ausquels ils couperoient la gorge, & que du sang de cet ennemy, ils en barbouilleroient la face, & tout le corps de trois, ou quatre d'entr'eux, lesquels ainsi ensanglantez seroient par aprés envoyez en Ambassade à cette Nation de Feu, pour obtenir d'eux quelque secours & assistance à l'encontre de si puissans ennemis, & que pour plus facilement les esmouvoir à leur donner ce secours, ils leur monstreroient leur face, & tout leur corps desja teints & ensanglantez du sang mesme de leurs ennemis communs.
J'admiray l'invention & l'esprit de ce bon Capitaine Auoandaon qui m'en fit le recit, mais pour cela, la paix valloit mieux que la guerre, & que demeurassions amis de tous pour les gaigner tous, dequoy furent fort contans la pluspart des hommes, & generallement toutes les femmes, lesquelles nous en parloient en particulier, & nous prioient d'y tenir la main, c'est ce qui nous fit croire qu'elles ont peu de voix en chapitre, & qu'il ne leur est pas permis de parler librement des choses qui concernent le fait des hommes.
Des prisonniers de guerre lesquels ils mangent en festin aprés les avoir faict cruellement mourir & du Truchement Bruslé, delivré miraculeusement de la main des Hiroquois, par la vertu d'un Agnus Dei.
CHAPITRE XXVIII.
LEs tourments dont nos Sauvages usent à l'endroit de ceux qui leur sont ennemis, sont si furieusement cruels, qu'ils tesmoignent en effet combien est absolu le pouvoir que le Diable a acquis sur leur malheureux esprit, car ils sont au delà de toute pensée humaine, & si estrangement horribles, qu'il ne se peut imaginer rien de plus douloureux, ny de plus constamment souffert.
Bienheureux celuy qui endure pour le Ciel, & non pour la terre, & malheureux est celuy qui patit sans profit, car l'un est martyr du Diable, & l'autre de Jesus-Christ. Nos Hurons ayans pris quelqu'un de leurs ennemis, aprés l'avoir lié & garotté, luy font une harangue des cruautez, rigueurs, & mauvais traitemens que luy, & les siens, ont exercé à leur endroit, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en endurer autant, & plus s'il se pouvoit, & luy commandent de chanter tout le long du chemin, ce qu'il fait (s'il a du courage assez) mais souvent avec un chant fort triste & lugubre.
Estant arrivé au village, il est receu universellement de tous, & particulièrement des femmes, avec de grands cris & acclamations, battans doucement des doigts le bout de leurs levres, de joye qu'elle ont de voir leurs ennemis prisonniers, ausquels elles font continuellement festin, non seulement pour les engraisser pour la chaudiere, mais pour les rendre plus sensibles aux tourmens.
Ils n'en font pas de mesme aux femmes, & petits enfans, lesquels ils font rarement mourir, & passer par les rigueurs de la Loy, d'autant qu'ils les conservent ordinairement pour leur servir, ou pour en faire des presens à ceux qui en auroient perdu des leurs en guerre, & font estat de ces subrogez, comme s'ils estoient leurs propres enfans, lesquels estans parvenus en aage, vont aussi librement en guerre contre leurs parens, que s'ils estoient naiz ennemis de leur propre patrie, qui est un tesmoignage evident du peu d'amour que les enfans Sauvages ont pour ceux qui leur ont donné l'estre, puis que si tost ils en oublient les bien-faits passez par les presens, comme j'en ay veu l'expérience en plusieurs, ou bien telle est leur coustume passée en loix en toutes ces Nations.
J'ay leu de certains peuples qui conservent leurs jeunes prisonniers de tout sexe, pour les servir, puis les mangent quand la fantasie leur en prends, aprés de longs services; qui est une cruauté bien esloignée de la douceur & humanité de Plutarque, lequel comme il disoit de luy-mesme, n'eust pas voulu tuer le boeuf qui luy eust long temps servy, & encore moins un esclave fait à l'image de Dieu, car celuy qui est cruel aux bestes, l'est ordinairement aux hommes.
Quand nos Hurons ne peuvent emmener toutes les femmes, et filles, avec les enfans qu'il ont pris sur leurs ennemis, il les tuent sur les lieux, & en emportent les testes, ou les peaux, avec la chevelure. Il s'en est veu, mais peu souvent, qu'ayans amené de ces femmes, & filles dans leur pays, le desir de vengeance leur en a faict passer quelqu'unes par les mesmes tourments des hommes, sans que les larmes de ce pauvre sexe, qu'elles ont pour toute deffence, les aye pû esmouvoir à compassion, & exempter pour un peu d'un si furieux orage, plus miserables & malheureuses en cela, que certains Hollandois, lesquels ayans esté pris en qualité d'ennemis, par ceux de la Nation des Loups, & appliquez au feu, verserent tant de larmes sur les braisiers ardans, qu'elles esteignirent avec le feu, la cholere de leurs meurtriers, qui les renvoyerent comme femmes du costé de la Virginie, où ils avoient esté pris.
Les Canadiennes, & Montagnaise reçoivent leurs soldats revenans de la guerre d'une maniere fort differente à celle de nos Huronnes, car à mesme temps qu'elles ont apperçeu les canots ou ouy la voix des hommes, toutes les jeunes femmes, & filles s'encourent sur le bord de la riviere, & là elles attendent de pied coy (leurs ceintures ostées, & leur robes détachées, qu'elles tiennent seulement en estat pour cacher leur nudité) que les canots soient environ à cent, pas d'elles, puis à mesme temps, quitans leurs robes, se jettent toutes dans l'eau, & vont à la nage (car elles sçavent nager comme poissons) empoigner les canots, où sont les prisonniers ou les chevelures de ceux qu'ils ont faict mourir, qu'elles, tirent à bord, puis se saisissent de tout le butin est dedans, comme leur appartenant par droit d'antiquité, comme aux hommes victorieux la gloire du triomphe qui leur est rendu, non pas admirable & ravissant, tels qu'à ces anciens Romains, riches & puissans, mais à la portée de pauvres Sauvages, à qui peu d'honneur sert de beaucoup pour animer leur courage.
Or comme ces Amazones sont prestes de se saisit des canots, & qu'il ny a plus qu'à mettre la main dessus pour les conduire à terre, les hommes les abandonnent, & se jettent tout nuds dans l'eau avec leurs armes en main, & nagent, jusques au bord de la riviere, où ils sont receus du reste du peuple avec une joye & acclamation universelle de tous, leur disans qu'ils sont bien vaillans & courageux d'avoir eu le dessus de leurs ennemis, & amené plusieurs prisonniers, tous lesquels de ce pas, sont conduicts dans la cabane de leur Capitaine, où sa femme & ses amis preparent un magnifique festin de tout ce qu'ils ont de meilleur, qu'ils leur donnent avec autant de gayeté, que s'ils avoient conquis un Empire, ou obtenu la paix pour leur païs.
Il faut que je die ce petit mot, qu'à la vérité, nul ne se peut dire heureux que celuy qui vit contant, ils ont peu & peu de choses les contente, ils sont comme les petits enfans, qui croyent estre beaucoup quand ils ont une plume sur leur bonnet, ou comme les hypocondres qui s'imaginent d'estres Roys, Empereurs ou Papes, & ne commandent qu'à des mousches.
Lorsque les soldats Montagnais se jettent en l'eau, & cedent leurs canots & tout ce qui est dedans aux jeunes femmes & filles, qui leur vont à la rencontre, il ne sont pas si simples que d'y laisser tout leur meilleur butin, mais auparavant que de se faire voir, ils en cachent la pluspart dans les bois, qu'ils vont requérir quelque temps aprés, & ne laissent dans leurs canots que ce qu'ils veulent perdre, & par ainsi les femmes n'ont pas souvent grand chose, & quelquefois rien du tout, car les armes sont journalieres, s'ils ont quelquefois des victoires ils ont aussi souvent des pertes, comme le cancre, qui est pris pensant prendre.
Ils attachent leurs prisonniers à la barre de leur canot avec une corde, qui leur prent par les deux bras au dessus du coude allant par derriere le dos, & une autre entre le genouil & le molet des deux jambes, qu'ils attachent ensemble si estroictement, qu'ils ne peuvent marcher que fort doucement & avec grand peine. Ils uzent quelquefois d'une, autre espece de ligature, bien plus cruelle & inhumaine, envers ceux qu'ils croyent avoir tué plusieurs de leurs parens & amis, car ils leur percent le gras des jambes & des bras avec un cousteau, puis passans une corde au travers des playes, les lient de sorte qu'ils ne peuvent grouiller sans sentir de furieuses douleurs.
Nos Hurons qui prirent quantité de leurs ennemis, pendant que j'estois demeurant dans leurs païs, n'userent pas de cette cruauté, car ils se contenterent simplement de les bien garotter, & engarder de pouvoir prendre la fuitte, & aprés ils les accommoderent en petits damnez.
Les femmes & filles ne vont point au devant avec la mesme ceremonie des Montagnais, & se contentent de leur faire la bien venue dans le village, & de les ayder à brusler, si elles se rencontrent à la cabane où se faict le supplice, car il y en a d'un naturel si tendre, qu'elles ne peuvent voir sans horreur, deschirer les membres d'un miserable. Lorsque les hommes reviennent de la guerre, ils ont accoustumé de chanter d'un ton fort haut, approchant de leur bourg ou village, comme j'ay veu pratiquer à la ville de S. Gabriel, nommée par les Hurons, Quieuindohian, au retour de quelqu'uns des leurs, il y en a aussi d'autres qui ne disent mot, ny de prés ny de loin, entrent & s assoyent dans les cabanes sans saluer personne, sinon qu'ils disent tout bas leur desconvenue à leur plus familiers amis, comme firent ceux que je vis arriver au village de S. Nicolas, autrement nommé Toenchain, ou j'estois pour lors avec Onraon, Malouin de nation.
J'en ay veu d'autres jetter de haut cris en approchans, denotans par ces voix lugubres, la perte de quelqu'uns de leurs compagnons; aussi ne leur faisoit on pas grand accueil, & demandant la raison de ces façons de faire à quelques Sauvagesses, elles me respondirent Danstan teongyande, il n'y a rien de bon, les affaires ne vont pas bien pour nous.
Il est, quelquefois arrivé qu'aucuns de nos Hurons estans poursuivis de prés, se sont neantmoins eschappez, car pour amuzer ceux qui les poursuivent & se donner du temps pour evader & gagner le devant, ils tirent leurs colliers du col, & les jettent au loin arrière d'eux, afin que si l'avarice commande à ses poursuivans de les aller ramasser, ils pensent tousjours les devancer & se mettre en lieu de seureté, ce qui a reussi à plusieurs. J'ay ruminé & creu, que c'est là la principale raison pour laquelle ils portent tous leurs plus beaux colliers en guerre afin de servir d'amorce à leurs ennemis, car de rançon ou de tribut il ne s'en parle point, non plus que d'eschanger un prisonnier pour un autre.
Lors qu'ils joignent un ennemy & qu'ils n'ont qu'à mettre la main dessus, comme nous disons entre nous, rends toy, eux disent Sakien, c'est à dire, assied toy, ce qu'il faict, s'il n'ayme mieux se faire assommer sur la place, on se deffendre jusques à la mort, ce qu'ils ne font pas souvent en ces extremitez, sous esperance de se sauver & déchaper avec le temps, par quelque ruze desquelles il ne manque pas.
Or comme il y a de l'ambition à qui aura des prisonniers, cette mesme ambition ou l'envie de la gloire de son compagnon; est aussi cause que ces prisonniers y trouvent quelquefois leur liberté & souvent leur compte, comme je vous feray voir en l'exemple suivante.
Il arriva un jour, que deux ou trois Hurons, se voulans chacun attribuer un prisonnier Hiroquois & ne s'en pouvans accorder ils en firent juge leur mesme prisonnier, lequel bien advisé se servit de l'occasion & dit. Un tel m'a pris & suis son prisonnier, ce qu'il disoit contre son propre sentiment & expres, pour donner mescontentement à celuy de qui il estoit vray prisonnier: & de faict indigné qu'un autre eut injustement l'honneur qui luy estoit deu, parla en secret la nuict suivante au prisonnier, & luy dit: tu t'es donné & adjugé à un autre qu'à moy qui t'avois pris, je pourrois bien presentement te faire mourir & me vanger de ton mensonge, mais je ne le feray point pour eviter noyse, & te donneray liberté, plustost qu'il aye l'honneur qui m'est deu & ainsi le desliant le fist evader & fuyr secrettement la nuict.
Les prisonniers estans arrivez dans leur ville ou village, on leur continue bien les festins & bonne chere, mais je vous asseure qu'ils en voudroient bien estre exempts & estre bien esloigné de ces caresses, car les tourments qu'ils sçavent qu'on leur prepare, leur donnent bien d'autres pensées que celle de la bonne chere, & si la sagamité est bien ou mal assaisonnée. Ouy les supplices sont si cruels & inhumains, qu'il faut que le diable (car Dieu n'est point avec eux) les assiste pour les pouvoir supporter courageusement comme il font, car il n'y a pas jusques aux femmes & filles aussi cruelles & inhumaines que les hommes, qui inventent de nouvelles façons de les tourmenter, & faire languir pour plus endurer.
Premierement ils leur arrachent les ongles avec les dents, leur couppent les trois principaux doigts de la main, qui servent à tirer de l'arc, puis leur levent toute la peau de la teste avec la chevelure, & mettent sur la teste des cendres ardentes, ou y font degoutter de la gomme fondue, pendant que d'autres disposent des flambeaux d'escorces, avec quoy ils les bruslent tantost sur une partie, puis sur l'autre, & à aucuns ils font manger le coeur de leur parens & amis, qu'ils tiennent prisonniers, tant leur barbarie est incapable d'assouvissement.
Il les font ordinairement marcher, nuds comme la main, au travers un grand nombre de feux, qu'ils font d'un bout à l'autre de la cabane ordonnée, où tout le monde qui y borde les deux costez, ayans en main chacun un tizon allumé, luy en donnent par tout les endroits du corps en passant, puis l'ayant lié à un poteau, luy marquent jartieres autour des jambes avec des haches chaudes, desquelles ils luy frottent aussi les cuisses du haut en bas, & ainsi peu à peu bruslent ce pauvre miserable: & pour luy augmenter ses tres-cuisantes douleurs, luy jettent parfois de l'eau sur le dos, & luy mettent du feu sur les extremitez des doigts, & de sa partie naturelle, puis leur percent les bras prés des poignets & avec des bastons en tirent les nerfs & les arrachent à force, & ne les pouvans avoir les couppent, ce qu'ils endurent avec une confiance incroyable, chantans cependant avec un chant neantmoins fort triste, mille menaces & imprecations contre ces bourreaux & contre toute la nation, disant: il ne me chaut de tous vos tourmens ny de la mort mesme, laquelle je n'ay jamais appréhendée pour aucun hazard, poussez, faictes ce que vous voudrez, je ne mourray point en vilain ny en homme couard, car j'ay tousjours esté vaillant à la guerre, & rien ne m'a pas encore espouvantez.
Et bien vous me tuerez, vous me bruslerez, mais aussi en ay-je tué plusieurs des vostres, si vous me mangez j'en ay mangé plusieurs de vostre nation: & puis j'ay des freres, j'ay des oncles, des cousins & des parens, qui sçauront bien venger ma mort, & vous faire encore plus souffrir de tourmens que vous n'en sçauriez inventer contre moy; neantmoins avec tout ce grand courage, encores y en a il qui se trouvent souvent contraints de jetter de haut cris, que la force des douleurs arrachent du profond de leur estomach, mais tels hommes impatiens, estoient reputez ignominieux & infâmes entre les peuples du Peru avant leur conversion & y prenaient de si prés garde, que si pour aucun tourment, langueurs & supplices, le miserable deffunct avoit tesmoigné le moindre sentiment de douleur, ou en son visage, ou és autres parties de son corps, ou mesme, qu'il luy fut eschapé quelque gemissement ou quelque souspir, alors ils brisoient ses os aprés en avoir mangé la chair, & les jettoient à la voirie ou dans la riviere avec un mespris extreme.
Au contraire s'il s'estoit monstré patient, resolu, constant & mesme farouche dans les tourmens; en tel cas comme ils en avoient mangé la chair & les entrailles, ils seichoient les nerfs & les os au Soleil, puis les ayans mis sur le sommet des montagnes, ils les tenoient pour des Dieux, les adoroient & leur faisoient des sacrifices. Voyla comme entre les peuples les plus brutaux mesme, la patience dans les tourmens, & la confiance parmy les difficultez a tousjours esté en estime, jusques à estre adorée pour un Dieu, & au contraire de l'impatience & des impatiens, desquels les os estoient jettez à la voirie ou dans la riviere, comme indignes d'estre meslez, parmy ceux des gens de bien.
Revenons à nos Hurons.
Ce pauvre corps estant prés d'expirer & rendre les derniers souspirs de la vie, ils le portent hors de la cabane sur un eschaffaut dressé exprés, où la teste luy ayant esté tranchée, le ventre ouvert, & les boyaux distribuez aux enfans, qui les portent en trophée au bout de leurs baguettes par toute la bourgade en signe de victoire, ils le font cuire dans une grande chaudiere, puis le mangent en festin, avec des joyes & liesses qui n'ont point de prix.
Quand les Hiroquois ou autres ennemis, peuvent attraper de nos Hurons, ils leur en font de mesme ou pis s'ils peuvent, car c'est à qui fera mieux ressentir les effets de la hayne à son ennemy. Or si le bon-heur en veut quelquefois à nos Hurons, qu'ils ayent de l'advantage sur leurs ennemis: la chanse se tourne aussi souvent du costé des Hiroquois, qui sçavent donner ordre à leur faict, & comme chacun se tient sur ses gardes & se mesfie de son ennemy, tel vay pour prendre, qui est souvent pris luy mesme au filet.
Les Hiroquois, ne viennent pas pour l'ordinaire guerroier nos Hurons, que les fueilles ne couvrent les arbres, pour à la faveur de ces ombres & fueillages, surprendre nos hommes au despourveu, ce qui leur est assez facile, d'autant qu'il y a beaucoup de bois dans le païs & proche la pluspart des villages, que s'ils nous eussent pris nous autres Religieux, ils nous eussent faict passer par les mesmes tourmens de leurs ennemis, & arraché la barbe de plus, comme ils firent au truchement Bruslé, qu'ils pensoient faire mourir, & lequel fut miraculeusement delivré par la vertu de l'Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col, dont voicy l'histoire.
Il est très-difficile & comme impossible à tous les François encore peu usitez dans le païs de nos Sauvages, de faire des voyages de long cours & courir les bois & forests où il n'y a sentier ny chemin, sans guyde ou sans s'égarer, comme il arrive ordinairement, & moy mesme y ay esté pris. Or je conseillerois volontiers à un chacun, pour ne plus tomber en ces inconveniens, de ne sortir jamais en campagne seul, sans guide ou sans un cadran & bousole, pour ce qu'encor bien que la veue du Soleil à laquelle il se faut apprendre à marcher, soit une asseurée guyde à ceux qui cognoissent son cours, celle de la bousole est encore plus commode à nous autres, qui ne sommes pas naturellement Astrologues commes les sauvages, & puis le Soleil ne se voit pas tousjours, & la bousole peut servir en tout temps, & la nuict & le jour, il n'y a qu'à en sçavoir user. Mais il faut avoir remarqué au préalable avant partir du logis, à quel Rut de vent on desire aller, & à quel autre Rut vous doit demeurer la maison, afin que vostre cadran que vous regarderez souvent, vous redresse si vous venez à manquer, comme il se peut qu'il n'arrive quelquefois.
Ce pauvre Bruslé, quoy qu'assez sçavant dans le pais des Hurons & lieux circonvoisins, se perdit neantmoins, & s'égara de telle forte, que faute d'avoir une de ses bousoles, ou print garde au Soleil, il tourna le dos aux Hurons, traversa force païs, & coucha quelques nuits dans les bois, jusques à un matin qu'ayant trouvé un petit sentier battu, il se rendit par iceluy dans un village d'Hyroquois, où il fut à peine arrivé, qu'il fut saisi & constitué prisonnier, & en suitte condamné à la mort, par le conseil des Sages.
Le pauvre homme bien estonné ne sçavoit à quel Sainct se vouer, car d'esperer miséricorde il sçavoit bien qu'il n'estoit pas en lieu, il eut donc recours à Dieu & à la patience, & se soubmit à ses divines volontez plus par force qu'autrement, car il n'estoit guère devot, tesmoin ce qu'il nous dit un jour, que s'estant trouvé en un autre grand péril de la mort, pour toute prière il dit son Benedicité.
Or je ne sçay s'il le dit icy se voyant prisonnier & dans le premier appareil de la mort, car des-ja ils l'avoient faict coucher de son long contre terre & luy arrachoient la barbe, lors que l'un d'eux avisant un Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col, luy voulant arracher, il se prit à crier & dit à ses bourreaux, que s'ils luy ostoient, Dieu les en chastieroit, comme il fist: car ils n'eurent pas plustost mis la main dessus pour luy tirer du col, que le Ciel auparavant serein, se troubla, & envoya tant d'esclairs, d'orages & de foudres, qu'ils en creurent estre au dernier jour, s'enfuyrent dans leurs cabanes & laisserent là leur prisonnier, qni se leva & s'enfuit comme les autres, mais d'un autre costé.
Je sçay bien que quelque petit esprit se rendra incredule à cecy, n'importe, suffit que les gens de bien & ceux qui ont demeuré dans les païs infidelles, sçachent que Dieu y opère encore de plus grandes merveilles, & souvent par des personnes plus mauvaises, pour faire davantage esclater sa gloire & cognoistre qu'en effect il est seul tout puissant, & peut ce qu'il veut, & faict du bien à qui il luy plaist.
A la fin ce fortuné Bruslé a esté du depuis condamne à la mort, puis mangé par les Hurons, ausquels il avoit si long-temps servy de truchement, & le tout pour une hayne qu'ils conceurent contre luy, pour je ne sçay qu'elle faute qu'il commit à leur endroit, & voyla comme on ne doit point abuser de la bonté de ces peuples, ny s'asseurer par trop à leur patience, pour ce que trop exercée elle se change en furie, & ceste furie en desir de vengeance, qui ne manque jamais de trouver son temps, il y avoit beaucoup d'années qu'il demeuroit avec eux, vivoit quasi comme eux, & servoit de Truchement aux François, & aprés tout cela n'a remporté pour toute recompense, qu'une mort douloureuse & une fin funeste & malheureuse; je prie Dieu qu'il luy fasse misericorde, s'il luy plaist, & aye pitié de son ame.
Il arrive aucunefois que les prisonniers s'eschappent, specialement, la nuict, au temps qu'on les faict promener par dessus les feux, car en courans sur les cuisans brasiers, de leurs pieds ils escartent les tizons, cendres & charbons par la cabane, qui rendent après une telle obscurité qu'on ne s'entrerecognoist point: de sorte qu'on est contraint (pour ne perdre la veuë) de gaigner la porte, & de sortir dehors & luy aussi parmy la presse, & de là il prend l'essor, & s'en va: & s'il ne peut encores pour lors, il se cache en quelque coin à l'escart, attendant l'occasion & l'opportunité de s'evader, & gagner païs. J'en ay veu plusieurs ainsi, eschappez, qui pour preuve nous faisoient voir les trois doigts principaux de leur main droicte couppez.
Entre les Mexicains avant leur conversion il s'y faisoit souvent de très grandes guerres à ce dessein, principalement d'obtenir des prisonniers, pour les faire mourir & sacrifier à leurs Idoles, comme i'ay rapporté en quelque autre endroit de ce volume, de sorte qu'il s'est conté pour tel jour, (cas pitoyable) dans la seule Ville de Mexique capitale du Royaume, jusques à cent mille hommes sacrifiez sous le Roy Moteczuma, & pourquoy cela sinon pour contenter & avoir favorable leurs faux dieux, affamez du sang humain, qui par une invention infernale bastie & forgée sur l'enclume de leur obstination eternelle, ne vouloient qui leur fust sacrifié autre chose que des prisonniers de guerre, afin d'entretenir tousjours les guerres & exterminer ces peuples miserables, car le diable ne demande que la ruyne de ceux qui le se servent. C'est pourquoy lors que les Prestres des Idoles n'avoient pas toutes choses à souhait, & que leurs Dieux ne leur estoient pas secourables, ils alloient par tout trouver les Roys & les Princes, & leur disoient que les Dieu mouroient de faim, & qu'ils eussent souvenance d'eux; alors les Princes s'envoyoient des Ambassadeurs l'un l'autre, & s'entredonnoient advis de la necessité en laquelle les Dieux se trouvoient les convians pour ceste cause à faire levée de gens de guerre pour donner la bataille, afin d'avoir dequoy donner à manger aux Idoles. Ainsi ils marchoient en abondance aux lieux destinez, & venoient aux mains pour aller à la mort, & de la mort aux enfers.
Les prisonniers que les Mexicains obtenoient, estoient menés en haut devant la porte du grand Temple, où le souverain Prestre, leur ouvroit la poictrine avec un cousteau, & leur arrachoit le coeur, qu'il monstroit premierement au Soleil, luy offrant ceste chaleur. & ceste fumée, puis il le jettoit au visage de l'Idole. Les autres Prestres donnoient après du pied aux corps, qui roulant par les degrez s'en alloit en bas, où ceux qui les avoient pris à la guerre se les partageoient & en faisoient des festins solemnels, presque à la maniere de nos Sauvages.
Voyage de nostre Frere Gervais au Cap de Victoire, & de la manière que furent amenez & receus deux prisonniers Hiroquois par les Montagnais.
CHAPITRE XXIX.
J'Ay faict mention au Chapitre precedent, mais fort succinctement, de la manière que sont amenez & receus entre les Montagnais, leurs prisonniers de guerre, dont ils sont en quelque chose differents des autres nations qui ne donnent point tant de part aux femmes en leurs victoires, estans d'ailleurs assez satisfaictes au repos de leur mesnages & à la douceur, à quoy il semble que nos Huronnes soient enclinés & moins interessées en ces actions de guerre que les errantes.
Nostre Frere Gervais m'a appris, que comme il fut envoyé par le R. P. Joseph le Caron Supérieur de nostre Convent de Kebec dans une barque, avec le R. P. Lallemand Jesuite, pour les trois Rivieres, à dessein d'apprendre des Hurons (qui s'y devoient trouver) des nouvelles de nostre Pere Joseph de la Roche, qui estoit dans leur pais, & d'y monter s'il eust esté necessaire pour son secours. Estans là arriverent sur le soir trois canots de jeunes Montagnais, volontiers qui malgré leurs parens & Capitaines estoient partis pour la guerre contre les Hiroquois, pour y mourir, ou pour en ramener des prisonniers, comme ils firent.
Il dit qu'ils venoient chantans tout de bout dans leurs canots, comme personnes fort contantes & joyeuses & que de loin qu'on les apperceut & qu'on pû discerner leur chant & leur posture, on jugea à leur mine, qu'ils venoient de le guerre, & qu'asseurement, ils avoient autant de prionniers, comme ils repetoient de sons à la fin de chacun couplet de leur chanson la sillabe ho, ce qui fut trouvé véritable, car ils la repetoient deux fois, aussi avoient ils deux prisonniers.
Ils en font de mesme quand ils ne rapportent ue les testes de leurs ennemis, ou leurs perruques escorchées, lesquelles ils attachent chacune au bout d'un long bois, arrangez sur le devant de leurs canots, pour faire voir leur prouesse & la victoire obtenue sur leurs ennemis à ceux qui leur doivent une honorable reception pour ces exploicts.
Le bon Frere Gervais, desireux de voir ces prisonniers de plus prés & sonder si pourroit obtenir leur delivrance, se fist conduire à terre avec le R. P. Lallemand, & de là entrèrent dans les cabanes, pour voir ces pauvres prisonniers, qu'ils trouverent chez un Sauvage, nommé Mecabo ou Martin par les François, qui nous estoit grand amy.
Son gendre appellé Napagabiscou, & par les François Trigatin, fils d'un père nommé Neptegaté, c'est à dire homme qui n'a qu'une jambe, non qu'il fut boiteux, mais estoit son nom de naissance. Ce Napagabiscou estoit Capitaine des sept autres barbares, qui l'avoient accompagné à la guerre centre les Hiroquois, d'où ils avoient amenez ses deux prisonniers, lesquels ils avoient surpris occupés à la pesche du Castor en une Riviere autour de leur village ou bourgade.
Ces pauvres esclaves, l'un aagé d'environ 25 ans, & l'autre de 15 à seize, estoient assis à platte terre proche de ce Capitaine Napagabiscou, festinans en compagnie de plusieurs autres Sauvages, d'une pleine chaudière de pois cuits, & de la chair d'Eslan, avec la mesme gayeté & liberté que les autres, du moins en faisoient ils le semblant, pour n'estre estimez poltrons ou avoir peur des tourmens, desquels ils avoient des-ja eu le premier appareil, capable de pouvoir tirer des larmes de personnes moins constantes, car pour moindre mal, nous crions bien à l'ayde.
Le bon Frere dit, qu'on leur avoit des-ja arraché les ongles de tous les doigts des mains, puis bruslé le dessus avec de la cendre chaude, ordinairement meslée de sable bruslant, pour en estancher le sang. L'un d'eux avoit aussi esté tres-bien battu par une femme Montagnaise, qui luy mordit le bras, dont elle mangea une grande piece, disant: que c'estoit en vengeance de la mort de son fils, qui avoit esté pris & mangé en leur païs.
Ils avoient aussi esté tres-bien battus en les prenais & part les chemins dont ils estoient presque tout brisez de coups, particulierement le plus jeune, qui ne pouvoit quasi marcher d'un coup de massue qu'il avoit receu sur les reins, sans que cela l'empechast de la mine gaye & joyeuse, & de chanter avec son compagnon, mille brocards & imprecations à l'encontre de Napagabiscou, & de toutes les Nations Montagnaises,& Algomequines, qui ne se faschoient nullement d'entendre un si fascheux ramage, telle estans leur coustume, qui seroit meritoire si elle estoit observée pour Dieu, ou à cause de Dieu, mais le malheur est qu'il n'y a rien que la seule vanité qui les porte d'estre estimé inesbranlable pour les injures, & pleins de courage dans les tourmens.
Il y a une autre raison qui ayde encore à leur constance & fermeté, c'est qu'en faisant voir un si grand mespris des injures & des tourmens, ils croyent intimider ceux qui leur font souffrir; & que si facillement ils n'oseront plus aller à là guerre contre une Nation si belliqueuse & constante, & que ce sera assez pour eux de se tenir doresnavant sur leur garde, peur qu'on ne vienne venger sur leurs testes, la mort de ces pauvres patiens, & que s'ils se monstroient timides & effeminez, ou pleuroient pour les tourmens, on retourneroit librement en leur pays pour attraper de ses femmes, ainsi appellent ils les hommes impatiens & sans courage.
Le festin estant finy, l'on les mena en une autre grande cabane, où quantité de jeunes filles, & garçons se trouverent pour la dance qu'ils firent à leur mode, dont les deux prisonniers estoient au milieu qui leur servoient de chantres pendant que les autres dançoient autour d'eux, si eschauffez qu'ils suoient de toutes parts.
Leurs postures & leurs grimasses sembloient de Demons. Ils frappoient du tallon en terre de telle force que le bruit en retentissoit par tout, car c'est leur mode de se demener fort, particulierement les jeunes hommes, qui n'avoient pour tout habit qu'un petit brayer devant leur nature.
Les filles estoient un peu plus decemment couvertes, & plus modestes en leurs actions, car en dançans elles avoient les yeux baissez, & les deux bras le long de leurs cuisses estendus, comme est leur coustume, & non point des Huronnes. Je m'oubliois de parler des violons ou instrumens musicaux, au son desquels, & des chansons des deux chantres, tout le bransle alloit, & se remuoit à la cadence, c'estoit une grande escaille de tortuë, & une façon de tambour de la grandeur d'un tambour de basque, composé d'un cercle large de trois ou quatre doigts, & de deux peaux roidement estenduës de part & d'autre, dans quoy estoient des grains de bled d'Inde, ou petits caillous pour faire plus de bruit: le diamettre des plus grands tambours est de deux palmes ou environ, ils le nomment en Montagnais Chichigouan; ils ne le battent pas comme on faict par deça mais ils le tournent & remuent, pour faire bruire les caillous qui sont dedans, & en frappent la terre tantost du bord, tantost quasi du plat, pendant que tout le monde dance.
Voyla tout ce qui est des instrumens musicaux du pays, sinon qu'il se trouva quelques petits garçons assis au milieu de la dance auprés des prisonniers, qui frappoient avec des petits bastons sur des escuelles d'escorces à la cadance des autres instrumens pour servir de basses. Mais quand aux chansons elles estoient de divers airs, & au bout de chacun les chantres crioient tousjours, ho, ho, ho, & les danceurs, hé, hé, hé, & quelquesfois ché, ché, ché. Et puis tous ensemble à la fin de chaque chanson la voix, ho, ho, coué, coué, roulloit tousjours.
Nostre bon Frere Gervais ayant veu toutes ces ceremonies, fut à la fin contrainct sorti de la cabane avant que tout fut achevé, tant pour l'excessive chaleur, que pour la quantité de poudre qui lui offusquoit les yeux.
Le Magicien ou principal Jongleur qu'ils appellent Manitousiou, nom commun à tous leurs Sorciers, fut à la fin fort bien recompensé de plusieurs des danceurs qui luy donnerent, qui un castor, qui une peur de loutre, une robe de chien, de laquelle il fit grand estat, puis une de castors, & une autre d'ours dans l'excellence, voyla comme il fut grandement bien sallarié & payé, jusques à la valeur de six ou sept robes de castors, qui vaudroient en France plus de quatre-vingts escus, au prix que l'on les y achepte.
Tout cecy n'est pas la fin des mysteres de nos pauvres prisonniers, ils ont encores bien des tours à faire avant que de voir la fin de leur tragedie, les barbares ne sont pas si fort empressez que de vouloir vuider si tost une affaire où ils trouvent tant soit peu de recreation, ou sujet de festiner, le ris, & la cuisine leur est trop recommandable, & la punition de leurs ennemis trop precieuse pour en demeurer là, & s'arrester à si beau jeu, il faut que la feste soit faict entière, & que chacun reste content, qui n'est jamais pendant qu'il y a de quoy, j'en parle comme sçavant, & non pas à la maniere d'un certain Baron, lequel en voulant donner à garder à tout plein de personnes de qualité, avec lesquels nous disnions de compagnie chez son Rapporteur, car comme on fut à la fin du second, il commença à discourir, d'un prétendu voyage qu'il avoit fait parmy les Sauvages du Canada, (nottez il n'y avoit jamais esté) & entre autre chose il s'estendit fort sur la deduction d'un festin que les Barbares luy firent (à son dire) à l'entrée du pays, je le laissay dans ses gayes humeurs jusques à la fin que je luy demanday, Monsieur ou ses pauvres Sauvages avoient ils emprunté la vaisselle, à cela point de response, mon pauvre Gentilhomme demeura muet, & confessa qu'il ne me croyoit, pas si prés.
La dance finie, l'on mena les prisonniers à la cabane de Napagabiscou, ou estoit preparé le souper que Macabo son beau pere luy vouloit faire pour son heureux retour, F. Gervais qui se trouva là present en fut prié, & ne s'en pû excuser, pour ce que comme ce bon Macabo l'aymoit comme son petit fils (ainsi l'appelloit-il) c'eust esté l'offencer que de l'éconduire, car ces bonnes gens là ne considerent pas le degoust que l'on a de leurs sauces, il faut tout prendre en gré, & tesmoigner le mieux que l'on peut, qu'on est fort leur obligé, d'avoir part à leur bonne chère, & à leur amitié, en vérité plus sincere que celle de la pluspart des Chrestiens, ausquels il n'y a à present, que tromperie, mensonge, & dissimulation, jusques aux maisons qui semblent les plus sainctes, cela n'est que trop averé & cognu, au grand regret de tous les gens de bien, & des ames vrayement devotes & candides.
Ce festin estoit composé d'un reste de chair d'eslan de son Hyver passé, moisie & seiche comme du bresil, qu'on mit dans la chaudière sans la laver ny nettoyer, avec des oeufs de canars si vieux & pourris que les petits y estoient tout formez, & partant fort mauvais. On y adjousta encore des poissons entiers sans estre habillez, puis des pois, des prunes, & du bled d'Inde, qu'on fit bouillir dans une grande chaudiere, brouillé & remué le tout ensemble avec un grand aviron.
Je vous laisse à penser quel goust, & quelle couleur pouvoit avoir ce beau potage, & s'il fut pas necessaire à ce Bon Religieux de se surmonter soy mesme pour gouster d'une telle viande, de laquelle il mangea neantmoins un peu, pour ne pouvoir plus. Apres quoy il pria pour la delivrance des prisonniers qu'il voyoit fort jeunes & affamez, sans qu'ils tesmoignassent aucun ressentiment de leur capture, non plus que s'ils eussent esté en pleine liberté. Et pour ce remonstra à tous les Sauvages là assemblez, que puis que ces pauvres Hiroquois ne leur avoient faict aucun desplaisir, il n'estoit pas raisonnable de les faire mourir ny traicter comme ennemis, veu mesme leur jeunesse, & qu'ils avoient esté pris en peschant, & non point en combatant.
A cela ils luy respondirent qu'il ny avoit ny paix ny tresve entr'eux, & les Hiroquois, mais une guerre continuelle, qui leur permettoit d'user de toutes sortes de rigueurs à l'endroit de ceux qu'ils pouvoient attraper, & qu'au cas pareil les Hiroquois usoient des mesmes cruautez envers ceux de leur Nation qu'ils pouvoient prendre, & partant qu'il ne seroit pas raisonnable de laisser aller ces deux prionniers sans chastiment, qui portast moins que la mort, sinon qu'ils voulussent passer pour gens effeminez, & de peu de courage, qui ne sçavoient chastier leurs ennemis, & ainsi furent condamnez ces deux pauvres prisonniers à mourir devant toutes les Nations assemblées pour la traite, sans que les prieres de nostre Frère peussent rien obtenir pour eux qu'une prolongation de quelques jours, que le sieur de Champlain, avec le reste des Capitaines Montagnais devoient se rendre à la traite.
Le lendemain du festin, nous prismes le devant, & fismes voiles pour le Cap de Victoire, dit le bon Frère Gervais, & ne leur fut possible de passer l'entrée du lac sainct Pierre, à cause d'un vent contraire jusques au jour suivant qu'ils furent jusques au milieu avec un vent assez favorable, mais qui changea soudain en un contraire, qui les obligea de ranger la terre, & mouiller l'anchre le travers d'une petite rivière qui vient du costé du Sud, où desja estoient à l'abry plusieurs canots Sauvages attendans le beau temps pour le mesme voyage.
Le vent s'estant changé en un favorable, nos gens leverent l'anchre, partirent sur les deux heures après minuit, & advancerent jusques au bout du lac, & le lendemain matin apres un petit different survenu entre les mariniers pour le chemin, à cause qu'il y a plusieurs petites Isles entrecouppées de diverses petites rivieres qui entrent dans le lac, & rendent le pays beau à merveille, ils arriverent à la traite, sur le bord du grand fleuve devant la riviere des Ignierhonons, où quantité de Barbares estoient desja cabanez attendans nos Montagnais des trois rivieres, avec les Hurons qui n'estoient point encores descendus.
Sur le soir du mesme jour, les prisonniers arriverent lesquels furent gardez, liez & garottez, l'espace de deux où trois jours dans la cabane de leur hoste, pendant lequel temps le sieur Champlain arriva de Kebec, dans le canot du Capitaine Mahican-Atic, avec son frère, & deux autres Capitaines dans un autre canot. Tous les François, & plusieurs Sauvages se resjouyrent fort de leur venue, sous l'esperance qu'ils pourroient obtenir la delivrance des prisonniers, laquelle le Frère Gervais n'avoit pû obtenir, mais il s'y presenta tant d'obstacles, qu'après que ledit sieur de Champlain eut bien debatu pour ce bon oeuvre, un Capitaine Algoumequin mesprisant ses conseils, luy dit: Tu veux que l'on delivre ces gens là qui sont nos ennemis, & je ne le veux pas moy qui suis Capitaine, il y a trop long temps que je mange maigre, je veux manger gras, particulièrement, de la chair des Hiroquois, de laquelle j'ay grande envie & partant deporte toy de tes poursuittes, & nous laisse faire justice de nos ennemis, car nous ne nous meslons point de tes affaires.
Puis sur le soir un Capitaine Montagnais nommé Chimeouriniou autrement par les François le meurtrier, couppa les cordes aux deux prisonniers, pensant les faire evader, mais il ne pu. On ne sçait par quel instinct, ny quel sujet le mouvoit à ce faire, sinon qu'il eut mieux aymé leur donner liberté, qu'ayant eu la peine de les amener, un autre eut la gloire de les delivrer, car ils sont sur tout ambitieux d'honneur, & envieux qu'un autre leur empiète. Le sieur de Champlain resta fort mescontant de cette action du Montagnais & avec raison, car il avoit un tres-bon dessein en la poursuite de cette delivrance pour laquelle il estoit venu exprés de Kebec, pour ce que comme il est croyable, il n'y avoit pas plus beau moyen pour traiter de paix avec les Hiroquois qu'en delivrant leurs prisonniers par le moyen des François.
Ce que consideré par plusieurs Capitaines Sauvages, ils tindrent divers conseils, où assisterent tousjours le sieur de Champlain, & quelqu'uns des principaux François, où aprés plusieurs contestations il fut resolu que l'un des deux prisonniers seroit renvoyé en son pays accompagné de deux Montagnais, & de quelques François, si aucun se presentoit, pour traitter de paix, par le moyen de ce prisonnier, pendant que l'autre demeureroit pour ostage jusque à leur retour à Kebec.
Cet arrest consola merveilleusement tous les Sauvages portez à la paix, & en remerciement le sieur de Champlain, advouant qu'il estoit un grand Capitaine, digne de sa charge & de son bon jugement, marris que depuis vingt Hyvers qu'il hantoit avec eux, il ne s'estoit point estudié à leur langue pour pouvoir jouyr de ses conseils, & se communiquer avec eux par soy mesme, & non par Truchemens, qui souvent ne rapportent pas fidellement les choses qu'on leur dit, ou par ignorance, ou par mespris, qui est une chose fort dangereuse, & de laquelle on en a souvent veu arriver de grands accidens. J'ay dit vingt Hyvers pour vingt années, c'est la façon de parler des Montagnais, lesquels voulans dire, quel aage as tu, disent combien d'Hyvers as tu passé, de mesme au lieu que nous dirions deux jours, trois jours, ils, disent deux nuicts, trois nuicts, comptans par les nuicts au lieu que nous comptons par les jours.
Sur l'esperance d'une paix prochaine que nos Sauvages se promettoienr de cest Ambassade, ils ordonnerent des dances, des festins, & divers petits jeus, en quoy ils se firent admirer par les François qui y prenoient un singulier plaisir, nommément la jeunesse. Mais comme on estoit occupé à ces esbats voicy arriver une double chalouppe de Gaspey conduitte par des François qui donnerent advis au sieur de Champlain, de l'arrivée du sieur du Pont, & de son petit fils le sieur Desmarets à Kebec, mais que le Navire du R. P. Noirot Jesuite ne paroissoit point, & faisoit douter de quelque naufrage, ou mauvaise rencontre, neantmoins qu'il leur estoit arrivé des vivres deschargez à Gaspey, & qu'il estoit necessaire que le R. Pere Lallemant descendit à Kebec, pour les envoyer querir au plustost.
A ces nouvelles on advisa d'envoyer promptement les prisonniers Hiroquois, le Capitaine Ckimeouriniou, un autre Montagnais, nommé par les François Maistre Simon, un Hiroquois de Nation, lequel ayant esté pris fort jeune, donné à une femme vefve qui l'adopta pour son fils, est toujours demeuré depuis en leur pays, & affectionné à ce party. Ils demanderent d'estre assistés de quelques François, par une prudence politique, que s'il venoit faute d'eux, & des François, tous les autres François fussent obligez par honneur de se joindre à eux, & prendre vengeance de leurs hommes contre les Hiroquois en quoy ils se pouvoient tromper, car on n'est pas si eschauffez icy que de prendre part dans les interests de ces pauvres gens, sinon par ceremonie, ou pour quelque profit.
Le Frere Gervais m'a dit qu'il eut bien desiré d'y aller, & se fut volontiers offert s'il eut esté en lieu pour en avoir l'obedience, & par permission du R. Père Joseph, mais qu'en estant trop esloigné, il luy en resta seulement le desir & la bonne volonté d'y aller hasarder sa vie pour Dieu, & y cognoistre le pays.
Plusieurs François s'offrirent bien d'y aller, mais avec des conditions si desadvantageuses qu'on les esconduit tous, excepté un nommé Pierre Magnan, lequel, prodigue de sa vie contre l'advis de ses amis se mist en chemin avec le prisonnier, & les trois Montagnais moyennant douze escus qu'on luy devoit donner à son retour, avec tout le profit de ses castors, qui estoit assez peu pour un si périlleux voyage, qui en effet leur fut funeste & malheureux, car ils y furent tous quatre miserablement, condamnez à mourir, puis mangez par les Hiroquois.
Le François estant d'accord pour son voyage, Chimeouriniou se disposa aussi avec les autres pour partir, & asseura le sieur de Champlain, & tous les autres François, & Barbares, que assurement ils reviendroient dans vingt nuicts, & que s'ils en tardoient plus de vingt cinq, seroit signe qu'ils seroient arrestez ou morts, ou tombez malades en chemin puis partirent le jour de la saincte Magdelene pour le pays des Hiroquois, & le Reverend Pere Lallemant, avec le sieur de Champlain pour leur retour à Kebec, pendant que le Frère Gervais resta encore à la traite pour un temps.
De la creance, Religion, ou superstitions des Hurons, du Createur, & de sa mere grand. Des ames des deffuncts, & des presens, & aumosnes qu'ils font à leur intention. De certains esprits ausquels ils ont recours, & des ames des chiens, & choses inanimées.
CHAPITRE XXX.
ENcor que Ciceron aye dit, parlant de la nature des Dieux, qu'il n'y a gent si sauvage, si brutale, ny si barbare, qui ne soit imbue de quelque opinion d'iceux, & n'aye ce sentiment naturel d'une nature superieure à celle de l'homme, qui le porte à quelque forme d'adoration de Religion, & de culte intérieur, ou extérieur pour en tesmoigner les recognoissances. Neantmoins nos Hurons, & Canadiens, semblent n'en avoir aucune pratique ny l'exercice, que nous ayons pû descouvrir, car encor bien qu'ils advouent un premier principe & Créateur de toutes choses, & par consequent une Divinité, avec le reste des Nations, si est ce qu'ils ne le prient d'aucune chose, & vivent presque en bestes, sans adoration, sans Religion & sans vaine superstition sous l'ombre d'icelle.
De Temples ny de Prestres, ils ne s'en parle point entr'eux nom plus que d'aucunes prières publiques ny communes, & s'ils en ont quelqu'unes à faire, ou des Sacrifices, ce n'est pas à cette premiere cause, ou premier principe qu'ils les adressent, mais à de certains esprits puissans qu'ils logent en des lieux particuliers, ausquels ils ont recours, comme je vous diray cy aprés.
Pour des Diables & malins esprits, ils en croyent des nombres infinis, & les redoutent fort, car il leurs attribuent la cause principale de toutes leur maladies & infirmitez, qui faict que quand dans un village, il y a nombre de malades, ils ordonnent des bruits & tintamarres pour les en dechasser, croyans que ces bruits sont capables d'espouventer les Demons, comme ils feroient une troupe d'oyseaux ou des petits enfans.
Ils n'ont ny Dimanches, ny Festes, sinon celles qu'ils ordonnent, pour quelque ceremonie car ils estiment tous les jours égaux, & aussi solemnels les uns comme les autres, & ne font non plus distinction de sepmaines, mais seulement de mois, par les Lunes, des quatre, saisons de l'année, & des années entières.
Or comme il y a diverses Nations, & Provinces de Barbares, Sauvages, aussi y a il diversité de ceremonies, d'opinions, & de croyance Saincte, car n'estans pas esclairez de la lumière de la foy, & de la cognoissance entière du vray Dieu; dans leurs tenebres chacun se forge des observations, des ceremonies, & une Divinité, ou Createur à sa poste, auquel neantmoins ils n'attribuent point une puissance absolue sur toutes choses, comme nous faisons au vray Dieu, car leur en parlant ils le confessoient plus grand seigneur que leur Yoscaha, qu'ils croyent vivre presque dans la mesme infirmité des autres hommes, bien qu'eternel.
Les Indiens de diverses Provinces plus meridionnales de nostre mesme Amérique, firent jadis eslection de leurs Dieux, avec quelque consideration, tenant pour Deitez les choses dont ils recevoient quelque profit, tels qu'estoient ceux qui adoroient la terre, & l'appelloient leur bonne mere, à cause qu'elle leur donnoit ses fruicts; les autres l'air, pour ce disoient ils, qu'il faisoit vivre les hommes par le moyen de la respiration; les autres le feu, à cause qu'il leur servoit à se chauffer, & à leur apprester à manger; les autres le mouton, pour le grand nombre de trouppeaux qu'ils nourrissoient en leurs pasturages; les autres le Maiz, ou leur bled d'Inde, pour ce qu'ils en faisoient du pain; Et les autres toutes les sortes de légumes & de fruicts que leur pays produisoit.
Mais à le prendre en general, ils recognoissent la mer pour la plus puissante de toutes les Deitez; & l'appelloient leur mère. Voyla comme tous ces Payens & Barbares parmy leur Deitez, en ont tousjours recognu quelqu'une de plus grande puissance, dont la mesme chose se recognoist entre nos peuples Hurons, bien qu'ils ne les adorent avec des ceremonies si particulieres des anciens Payens.
Ceux qui habitent vers Miskou, & le Port Royal, au rapport du sieur Lescot, croyent en certain esprits, qu'ils appellent Cudouagni, & disent qu'il parle souvent à eux, & leur dit le temps qu'il doit faire; Ils disent que quand il se courrousse contr'eux, il leur jette de la pouciere aux yeux. Ils croyent aussi quand ils trespassent, qu'ils vont és Estoilles puis vont en de beaux champs verts, pleins de beaux arbres, fleurs & fruicts tres-somptueux & delicats.
Pour les Souriquois, peuples errants, leur creances est que veritablement il y a un Dieu qui a tout creé, & disent qu'après qu'il eut fait toutes choses, qu'il prit quantité de flesches & les mit en terre, d'où sortirent hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusques à present. Ensuitte de quoy il demanda à un Sagamo s'il ne croyoit point, qu'il y eut un autre qu'un seul Dieu, il respondit qu'ils croyoient un seul Dieu, un fils, une mere, & le Soleil, qui estoient quatre, neantmoins que Dieu estoit par dessus tous; mais que le fils estoit bon & le Soleil, à cause du bien qu'ils en recevoient: mais la Mere ne valait rieu & les mangeoit, & que le Pere qui est Dieu, n'estoit pas trop bon par les raisons que je diray cy aprés.
Puis dit; anciennement il y eut cinq hommes, qui s'en allèrent vers le Soleil couchant, lesquels renconterent Dieu, qui leur demanda: où allez vous; ils respondirent, nous allons chercher nostre vie. Dieu leur dit: vous la trouverez icy, ils passerent plus outre sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dit, lequel prit une pierre & en toucha deux qui furent transmuez en pierres. Et il demanda derechef aux trois autres: où allez vous: & ils respondirent comme à la première fois: & Dieu leur dit derechef: ne passez plus outre vous la trouverez icy: & voyans qu'il ne leur venoit rien ils passerent outre; & Dieu prit deux bastons desquels il toucha les deux premiers, qui furent transmuez en bastons & le cinquième s'arresta ne voulant passer plus outre. Et Dieu luy demanda derechef: où vas tu? je vay chercher ma vie, demeure, & tu la trouveras: il s'arresta sans passer plus, outre. Et Dieu luy donna de la viande & en mangea. Aprés avoir faict bonne chère, il retourna avec les autres Sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.
Ce Sagamo fist encore ce plaisant discours à ce François. Qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de tabac, & que Dieu dit à cet homme & luy demanda où estoit son petunoir, l'homme le prit & le donna à Dieu qui petuna beaucoup, & aprés avoir bien petuné il le rompit en plusieurs pièces: & l'homme luy demanda: pourquoi as tu rompu mon petunoir, & tu vois bien que je n'en ay point d'autre: & Dieu en prit un qu'il avoit & le luy donna luy disant: en voyla un que je te donne, porte le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque ny tous ses compagnons: cet homme prit le petunoir qu'il donna à son grand Sagamo, & durant tout le temps qu'il l'eut, les Sauvages ne manquerent de rien du monde: mais que du depuis le dit Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelquefois parmy eux. Voilà pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon, ayant fondé toute leur abondance sur un Calumet de terre fragile, & que les pouvans secourir il les laissoit souffrir au delà de toutes les autres nations.
La croyance en general de nos Hurons (bien que tres-mal entendue par eux mesmes & en parlent fort diversement,) est que le Créateur; qui a faict tout ce monde, s'appelle Yoscaha, & en Canadien Atahocan ou Attaouacan, lequel a encore sa mère grand, nommée Eataentsic: leur dire qu'il n'y a point d'apparence, qu'un Dieu qui a esté de toute eternité, aye une mere grand & que cela se contrarie, ils demeurent sans replique, comme à tout le reste de leur créance. Ils disent qu'ils demeurent fort loin, n'en ayans neantmoins autre certitude ou cognoissance que la tradition qu'ils tiennent de pere en fils, & le récit qu'ils allèguent leur en avoir esté faict par un Attiuoindaron, qui leur a donné à entendre l'avoir veu & les vestiges de ses pieds imprimées sur un rocher au bord d'une riviere qui avoisine sa demeure, & que sa maison ou cabane est faicte au model des leurs, y ayant abondance de bled & de toute autre chose necessaire à l'entretien de la vie humaine. Que Eataentsic & luy sement du bled travaillent, boivent, mangent, dorment, & sont lascifs comme les autres; bref ils les figurent tous tels qu'ils sont eux mesmes.
Que tous les animaux de la terre sont à eux & comme leurs domestiques. Que Youskeha, est tres-bon & donne accroissement à tout, & que tout ce qu'il faict est bien faict, & nous donne le beau temps & toute autre chose bonne & prospere. Mais à l'opposite que sa mère grand est meschante, & gaste souvent tout ce que son petit fils a faict de bien.
D'autres disent, que cette Eataentsie est tombée du Ciel, où il y a des habitans comme icy, & que quand elle tomba elle estoit enceinte. Qu'elle a faict la terre & les hommes & qu'avec son petit Fils Youskeha, elle gouverne le monde. Que Youskeha, a soin des vivans & des choses qui concernent la vie, & par consequent ils disent qu'il est bon. Eataentsic a soin des ames, & parce qu'ils croyent qu'elle faict mourir les hommes, ils disent qu'elle est meschante & non pas pour donner le mauvais temps, comme disent d'autres, ou pour bouleverser tout ce que son petit Fils fait de bien. Voilà comme ils ne s'accordent pas en leur pensée.
Un jour discourant en la presence des Sauvages de ce Dieu terrestre, pour leur donner une meilleure croyance & leur faire voir leur absurdité. Entre autre chose je leur dis, que puis que ce Dieu n'estoit point dans le Paradis, demeuroit sur la terre & ne s'estoit pû liberer des necessitez du corps, qu'il falloit par consequent & necessairement, qu'il fut mortel & qu'en fin après estre bien Vieil il mourut & fut enterré comme nous autres, & de plus que je desirois fort sçavoir le lieu qu'il avoit esleu pour sa sepulture, afin de luy pouvoir rendre les derniers devoirs au cas qu'il mourut pendant nostre sejour en leur païs. Ils furent un long-temps à songer avant que de me vouloir respondre, se doutant bien que je les voulois surprendre, & que difficilement se pourroient ils developper de ce piege sans y engager leur honneur, qu'ils desiroient honnestement & prudemment sauver. Un jeune homme de la bande, plus hardy que les autres, après un long silence entreprit la dispute & dit: que ce Dieu Youscaha avoit esté avant cest Univers, lequel il avoit créé & tout ce qui estoit en iceluy, & que bien qu'il vieillisse comme tout ce qui est de ce monde y est suject, qu'il ne perdoit point son estre & sa puissance, & que quand il estoit bien vieil, il avoit le pouvoir de se rajeunir tout à un instant & se transformer en un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, & par ainsi qu'il ne mourroit jamais & demeuroit immortel bien qu'il fut un peu suject aux necessitez corporelles, comme le reste des hommes.
En suitte je leur demanday, quel service ils luy rendoient & quelle forme de prière ils luy offroient estant leur Créateur & bienfaicteur. A cela point de responce, sinon qu'il n'avoit que faire de rien, & qu'il estoit trop esloigné pour luy pouvoir parler ou le prier de quelque chose.
Pourquoy donc usez vous de prières, & offrez vous des presens à de certains espris que vous dites resider en des rivieres & rochers, & en plusieurs autres choses matérielles & sans sentiment, pour ce, dit-il que non seulement les hommes & les autres animaux ont l'ame immortelle, mais aussi toutes les choses materielles & sans sentiment entre lesquelles il y en a qui ont de certains esprits particuliers fort puissans, qui peuvent beaucoup pour nostre consolation si nous les en requerons en la presence des choses qu'ils habitent, car bien qu'ils n'apparoissent point à nos yeux ils ne laissent pas d'opérer & nous faire souvent ressentir les effects de leur puissance, en exauçant nos prieres. Que si nous en prions d'absens, comme lors que nous peschons les poissons dans nos cabanes, les rets ou l'esprit des fillets le rapportent aux poissons, qu'ils prient de donner dans nos pièges, ou d'esquiver la main de ceux qui jettent de leurs os au feu, de manière que si nos Predicateurs sont excellens Orateurs, nous sommes asseurez d'en avoir à force, ou rien du tout si on a jetté de leurs os au feu, ou commis quelque autre insolence en la presence des filets, folie aussi grande que celle des Montagnais, qui n'ozent respandre à terre le pur sang d'un castor, croyans que s'ils l'avoient faict ils n'en pourroient plus prendre.
Pour revenir à nostre dispute du vieil Youscaha rajeuny, ils ne sceurent à la fin plus que répondre, & se confesserent vaincus ignorans le vray Dieu & Createur de toutes choses dont les uns se retirerent de honte, & d'autres qui s'estoient embrouillez se tindrent au tacet, qui nous fit cognoistre qu'en effect, il ne recognoissent & n'adorent aucune vraye Divinité, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions sçavoir, car encore bien qu'ils tiennent tous en general Youskeha, pour le premier principe & Créateur de tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes prières offrandes ny sacrifices comme à Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux le tiennent fort impuissant, au regard de nostre Dieu, duquel ils admirent les oeuvres.
Ils ont bien quelque respect particulier à ces démons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme manière que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant est abominable l'un, comme l'autre est venerable. Aussi ont ils le bon & le mauvais. Oki, tellement qu'en prononçant ce mot Oki ou Ondaxi, sans adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut signifier un grand Ange, un Prophete ou une Divinité, aussi bien qu'un grand diable, un Medecin, ou un esprit furieux & possedé.
Ils nous y appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des choses qui surpassoient leur capacité & les faisoient entrer en admiration, qui estoit chose aysée veu leur ignorance.
Ils croyent qu'en effect il y a de certains esprits qui dominent en un lieu, & d'autres en un autre, les uns aux rivieres, les autres aux rochers, aux arbres, au feu & en plusieurs autres choies matérielles, ausquels ils attribuent diverses puissances & authorités, les uns sur les voyages, les traites & commerces, les autres à la pesche, à la guerre, aux festins, és maladies & en plusieurs autres affaires & négoces.
Ils leur offrent par fois du petun, & quelque sortes de prières & ceremonies ridicules, pour obtenir d'eux ce qu'ils desirent, mais le plus souvent sans profit; il n'y a que les démons qui ne soient pas les bien-venus chez eux, lesquels ils chassent de leur village à force de bruits, pour ce qu'ils leur causent toutes leurs maladies à ce qu'ils disent. Et en effect mon grand oncle Auoindaon estant tombé malade me prioit de fort bonne grâce de ne permettre pas que le demon le fist mourir.
Ils m'ont monstré plusieurs puissans rochers sur le chemin de Kebec, ausquels ils croyent presider quelque esprit, & entre les autres ils m'en monstrerent un à quelque cent cinquante lieuës de là, qui avoit comme une teste & les deux bras eslevez en haut, & au ventre ou milieu de ce grand rocher il y avoit une profonde caverne de tres-difficile accés. Ils me vouloient persuader & faire croire à toute force avec eux, que ce rocher avoit esté autrefois homme mortel comme nous, & qu'eslevant les bras & les mains en haut, il s'estoit metamorphosé en ceste pierre & devenu à succession de temps un si puissant rocher, lequel ils ont en veneration & luy offrent du petun en passant par devant avec leurs canots, non toutes les fois, mais quand ils doutent que leur voyage doive reussir; & luy offrant ce petun qu'ils jettent dans l'eau contre la roche mesme, ils luy disent; tien prend courage & fay que nous ayons bon voyage, avec quelques autres paroles que je n'entends point, & le Truchement Bruslé duquel nous avons parlé au Chapitre precedent nous dit (à sa confusion) d'avoir faict une fois pareille offrande avec eux (dequoy nous le tançames fort) & que son voyage luy fut plus profitable qu'aucuns autres qu'il ait jamais faict en tous ces païs là.
C'est ainsi que le diable les amuse, les maintient & les conserve dans ses filets & en des superstitions estranges, leur prestans ayde & faveur (comme à gens abandonnez de Dieu,) selon la croyance qu'ils luy ont en cecy, comme aux autres ceremonies & sorcelleries, que leur Oki observe & leur faict observer pour la guerison de leurs maladies & autres necessitez.
Ils croyent l'immortalité de l'ame, avec tous les autres peuples Sauvages, sans faire distinction du bon ou du mauvais, de gloire ou de chastiment, & que partant de ce corps mortel, elle s'en va droicte du costé du Soleil couchant, se resjouir & dancer en la presence d'Yoscaha, & de sa mere grand Eataentsic, par la route des estoilles, qu'ils appellent Atisxein andahatey, & les Montagnais Tohipai meskenau, le chemin des ames, & nous la voye lactée ou l'escharpe estoilée, & les simples gens le chemin de sainct Jacques. Ils disent que les ames des chiens & des autres animaux y vont aussi par le costé du Soleil levant, à ce que disent les Montagnais, qui croyent aller apres leur mort en un certain heur où elles n'ont aucune necessité. Je demanday à nos Hurons, quelle estoit la nature de ames des chiens, & si elle estoit autre que celles des hommes, ils me dirent que ouy & me monstrant certaines estoilles proches voisines de la voye Lactée, ils me dirent que c'estoit là le chemin qu'elles avoient, lequel ils appellent Gaguenon anda hatey le chemin des chiens, c'est à dire que les ames des chiens vont encore servir les ames de leurs Maistres en l'autre vie, ou du moins qu'elles demeurent avec les ames des autres animaux, dans ce beau païs d'Yoscaha, ou elles se rangent toutes, lequel païs n'est habité, que des ames des animaux raisonnables & irraisonnables, & de celles des haches, cousteaux, chaudieres & autres choses qui ont esté offertes aux deffuncts, ou qui sont usées, consommées ou pourries, sans qui s'y mesle aucune chose qui n'ayt premierement gousté de la mort ou de l'aneantissement, c'estoit leur ordinaire responce, lors que nous leur disions que les souris mangeaient l'huyle et la galette, & la rouille, & pourriture le reste des instrumens, qu'ils enfermoient avec les morts dans le tombeau.
Ils croyent de plus, que les ames en l'autre vie bien qu'immortelles, ont encores les mesmes necessitez du boire & du manger, de se vestir, chasser & pescher, qu'elles avoient lors qu'elles estoient encores revestues de ce corps mortel & que les ames des hommes vont à la chasse des ames des animaux, avec les ames de leurs armes & outils, sans qu'ils puissent donner raison de tant de sottizes, ni si les ames des castors & eslans qu'ils tuent à la chasse pour leur nourriture, ont encore une deuxiesme ame, ou si elles engendrent pour conserver leur espece, car on ne peut esperer beaucoup de raison de gens nais & nourris dans l'ignorance grossiere du Paganisme, si premierement elles n'ont esté instruictes en l'escole de Jesus Christ, & aux sciences qui nous sont necessaires, c'est pourquoy il en faut avoir compassion, & se dire que si nous fussions naiz de mesmes parens barbares, nous serions de mesme eux & peut estre encore pis.
Nous leur parlions souvent du Paradis & comme la demeure des bien heureux estoit dans le Ciel avec Dieu, où ils n'ont aucune necessité & vivent tousjours contans. Ils trouvoient cela fort bien & nous en demandoient le chemin, mais ils abhorroient celuy de l'enfer, remply de diables, de feu & de meschans.
J'ay trouvé excellent que dans toutes leurs superstitions & soins qu'ils ont des trespassez, ils ne sacrifient aucune personne, comme souloient jadis faire les peuples du Peru en la mort de leur Roy & de leurs Caciques, qui estoient leur souverain Prestre, & aussi pour la guerison des malades & le bon succez de leurs entreprises, car lors que le Roy Guaynacapa mourut, il y eut mille; personnes de sa maison qui furent tuez & ensevelis avec luy pour le servir en l'autre vie: & la raison pourquoy ils enterroient ainsi leurs familles & leurs richesses avec eux, estoit pource qu'il leur sembloit quelquefois voir ceux qui estoient morts aller par leurs possessions, estans parez de ce qu'ils avoient emporté avec eux, & accompagnez de leur familles à raison dequoy se persuadans qu'en l'autre vie on a besoin de service, d'or, d'argent, & de vivres, ils les en pourvoyoient le mieux qu'ils pouvoient, comme font nos Hurons les leurs de ce qu'ils peuvent.
Il me vient de resouvenir que lors que je parlois au commencement à nos Hurons, de la demeure de Dieu, du Ciel, du Paradis, où selon l'Apostre l'oeil n'a point veu, ny l'entendement humain ne sçauroit comprendre les biens que Dieu a préparé à ceux qui l'ayment, ils me respondoient qu'il ne pouvoit faire beau au lieu d'où la neige, la gresle & la pluye venoient, s'imaginans que tout cela venoit du Paradis, tant ils estoient mauvais Astrologues, mais comme je ne sçavois pas moy mesme comme toutes ces influences se forment en l'air, pour n'avoir jamais estudié en aucune de ces sciences, je me servis d'un livre que je portois tousjours avec moy, pour leur donner à entendre, aydé du Truchement, & leur dis: premierement, que le Paradis la demeure des bien heureux, faisoit l'unziesme Ciel & qu'au dessous d'iceluy il y en avoit dix autres.
Que le tonnerre estoit un esclat d'une exalaison enfermée entre des nuées froides, sortant avec effort, pour fuyr son contraire (ce n'est donc point un oyseau comme ils pensent.) Que l'esclair, est une exalaison enflammée, provenante de la rencontre & conflis des nuées, & la foudre une exalaison pareille à l'esclair, à sçavoir; toute flamboyante, faisant bresche à la nuée, avec un tres-soudain & grand effort, & a cecy par dessus l'esclair, qu'elle descend jusqu'icy bas.
Mais quant aux nuées, je leur en dis en begayant, tousjours assisté du Truchement ce que mon livre portoit, qu'elles estoient un ramas & assemblage de plusieurs vapeurs extraictes de l'eau, & ce en la moienne région de l'air; & que la pluye estoit une effusion d'eau tombant ça bas, provenant de la dissolution des nuées par la chaleur du Soleil, ou par le choc qu'elles font l'une contre l'autre par l'impetuosité des vens.
Ils me demanderent en suitte bien quasi aussi ignorant qu'eux mesmes, car à peine ay je sçeu decliner mon nom, en quelque mois que j'ay esté sous un Maistre, pour ce que la liberté m'estoit; plus chere que la science & mon propre contentement assez innocent, que tout le Latin & l'eloquence d'un Ciceron. O mon Dieu que la jeunesse est mauvais juge de son bien. Je leur dis que mon livre m'enseignoit que la neige estoie une impression aqueuse, engendrée de nuées gelées par le froid, laquelle venant à se dissoudre, tomboit à floccons jusqu'icy bas, & que la gresle n'estoit autre chose qu'une pluye congelée en l'air à mesure qu'elle descouloit de la nuée. Voyez si mon livre dit vray, & ne m'interrogé point là dessus, car comme je vous ay dit, je n'ay jamais rien sçeu, sinon qu'il vaut mieux cognoistre un Jesus-Christ & ignorer toutes choses, que de sçavoir toutes choses & ignorer Jesus Christ.
Pour la quantité de la terre considerée en son globe, on la tient de tour, 11259 lieuës Françoises. Et par ainsi estant comparée au Ciel des estoiles fixes, elle n'est qu'un point, & comme un grain de Coriandre environné d'un cerne distant dix mille pas esgalement de luy, qui est à dire, que la terre est merveilleusement petite, encore qu'elle nous semble grande, & que les Roys & les Princes qui ne sont que des petites fourmis au regard de Dieu, ont grand tort d'entreprendre guerre & mettre en hasard leur propre salut, pour si petite chose qu'ils ne peuvent à peine posseder, que la mort ne les engloutisse.
Je passe les bornes d'un homme sans estude, mais il faut que je die encore cecy, que j'ay tasché faire savoir à mes Hurons, que la Lune est estimée quarante fois plus petite que le globe de la terre, & en est esloignée de octante mille deux cens treize lieuës. Mais relevons nostre ton plus haut et portons nostre pensée jusques à ce beau Soleil, qui nous esclaire & ravit nostre consideration, jusques à l'estimer quelque chose de divin, j'entends les payens & nous trouverons si les livres ne nous trompent, qu'il est 166 fois plus grand, que le globe de la terre, par ainsi le Soleil est prés de sept mille fois plus grand que la Lune. Et par opinion on tient aussi que le Soleil estant monté au plus haut point est dix huict fois plus loin de la terre que la Lune. Et pour le comble de son honneur on l'appelle le Roy des estoilles fixes & errantes, estant le plus grand de tous les corps celestes le plus lumineux & chaleureux sans comparaison, & après cela je n'ay plus de louange à luy donner, sinon qu'il est la figure & l'ombre de nostre vray Soleil de justice, Jesus qui faict du bien aux bons & aux mauvais, sans distinction du fidel ou de l'infidel, mais bien heureux celuy qui a tousjours son coeur & sa pensée en luy.
De la créance & vaines opinions des Montagnais de diverses deitez. De la creation du monde, & du flux & reflux de la mer.
CHAPITRE XXXI.
JE pensois au commencement ne faire qu'un Chapitre de la creance des Hurons & de celle des Montagnais, mais comme je l'ay veu grossir sous ma plume au delà de mon dessein j'ay brizé au milieu de la carriere & faict d'un grand Chapitre deux petits, afin que l'on puisse mieux comprendre ce que je dis, car la multitude de la matiere offusque l'esprit & empesche l'entendement de la bien concevoir, & partant l'on ne trouvera point mauvais si quelqu'uns de mes Chapitres sont abregez, plus faute de Rhetorique que de matiere, ô qu'il y a de personnes riches en parolles & en eloquence, qui diroient des merveilles où je me trouve muet, c'est mon imperfection & mon deffaut d'estude. J'avois autrefois appris plusieurs petits contes fabuleux, touchant la Creation du monde & le deluge universel, que tiennent nos Hurons, lesquels me sont eschappez de la memoire, & de ma plume peur de me méprendre, mais je diray avec plus d'asseurance ce peu que j'en ay sçeu de nos Montagnais, pour en avoir eu la mémoire rafraichie en discourant avec nos freres.
Mais au prealable, il faut que je vous die de nos Canadiens ce que j'ay remarqué en nos Hurons, qu'il n'y a ny accord, ni apparence en ce qu'ils nous content des Deitez ou causes supremes qu'ils recognoissent, Autheurs, Createurs & Reparateurs de cet Univers, car si l'un dit une chose d'une façon, l'autre en parle tout autrement, & ay veu en eux ce qui se dit des heretiques de nostre temps, desquels si les uns advouent Calvin ou Luther pour leur Apostre, les autres les rejettent comme des vilains & infames, qui n'ont faict banqueroute à l'Eglise que pour leur ventre, ainsi en est il generalement de tous les desvoyez, j'ay sçeu mesme d'un honneste homme, qui a demeuré deux ans à Constantinople, qu'il y a des Turcs qui se gaussent plaisamment, mais en cachette, de leur Mahomet, & d'autres le tiennent pour le premier Profete de Dieu, & Jesus-Christ pour le second, c'est le malheur de ceux qui ne suivent point la vertu & n'ont pas Dieu pour but de leurs actions, de se tromper de la sorte.
Nos Montagnais recognoissent trois Deitez, à sçavoir Atahocan, son Fils & Messou, representant l'image de la tres-saincte Trinité, mais il faut dire de plus qu'ils confessent une Mere, à laquelle ils ne donnent point de nom, d'autant qu'elle ne gouverne rien & semble representer en quelque chose la Mere de nostre Seigneur Jesus-Christ. J'ay leu autrefois l'histoire de la Chine, où j'ay remarqué qu'entre leurs principales Idoles, ils en ont une qui a trois testes, lesquelles se regardent l'une l'autre comme n'ayant qu'une mesme volonté, puissance, aage & authorité, quoy que distinctes, non plus que le Pere n'est pas le Fils, ny le Fils le S. Esprit, un seul Dieu en trois personnes.
Nos Montagnais attribuent la Création & le gouvernement du ciel à Atohacan, mais ils sont encore dans les admirations comment il l'a pû faire, veu sa hauteur, la quantité des planettes & les Cieux d'infinies distances, où nous ne pouvons aller qu'avec la pensée. Quelqu'uns ont voulu dire que le Fils, auquel ils ne donnent point de nom particulier, gouverne la terre, & la mer, mais d'autres & avec plus d'apparence en attribuent la creation, la conservation, & le gouvernement à Messou, lequel Messou est quelquefois pris pour bon Ange, car ils disent qu'il est tousjours avec eux, & le Manitou aussi; Ils tiennent ces Deitez tres-riches, & qu'elles ne peuvent jamais avoir de necessité, ayans puissance de leur ayder, bien qu'ils ne leur offrent ny sacrifices ny prieres, comme nous faisons à nostre Dieu.
Ils disent qu'ils font venir le beau temps & la pluye quand il est necessaire, mais si la chose arrive hors de saison, ou qu'elle apporte du dommage à leur bled, à leur chasse ou à la pesche, ou qu'il fasse de grands coups de vents qui les empeschent de naviger, ils attribuent tout ce mal là au Manitou; qui est le Diable, lequel ils disent estre tousjours meschant.
Pour la création ils tiennent qu'avant que les Deitez eussent formé ce monde, elles estoient toutes trois dans un canot sur les eauës avec une petite beste, qu'ils appellent Achagache, qui peut estre comme une blette un peu plus grosse, & que la jettant à l'eau elle alla au fond, d'où elle rapporta en ses pieds un peu de terre, de laquelle Messou, en prist une partie & en fit une boulle toute ronde; laquelle il souffla tant qu'elle grossissoit à veuë d'oeil, & l'ayant bien soufflée il la fit si grosse qu'elle devint la terre comme elle est à present.
Du reste du morceau de terre il en fit un petit homme avec de la salive qu'il cracha dans sa main, & puis il le souffla tant qu'il devint grand, estant grand il luy donna la parolle, en lui soufflant dans la bouche. Voilà des sentimens & des pensées qui ne sont pas trop esloignées de la vérité de la chose pour des Sauvages qui n'ont jamais esté instruits, car il ne se lit point que jamais les Apostres, leurs Disciples, ny aucun Religieux avant nous, ayent passé en ces pays là pour leur prescher la parole de Dieu, ny autrement. Pour la creation de la femme, ils disent que le Messou remit cette petite beste à l'eau qui en rapporta encore de ta terre; de laquelle il fit une femme de la mesme sorte qu'il avoit fait l'homme, puis demeurans ensemble sur la terre, ils eurent quantité d'enfans, & leurs enfans en eurent d'autres, de sçavoir leurs noms, ils n'en sçavent aucuns, leurs peres ny leurs meres en leur ayans pas appris, pour les avoir eux-mesmes ignorez, comme avoient faits leurs predecesseurs.
Et disent de plus que tous ces enfans là furent presque tous noyez à cause qu'ils estoient trop meschans. Il en resta seulement cinq, sçavoir; trois hommes, & deux femmes, lesquels s'estans sauvez dans leur canots se tindrent tousjours sur les eauës, & voicy comme la chose arriva à leur dire: Ce Messou allant à la chasse ses loups cerviers dont il se servoit au lieu de chiens, estans entrez dans un grand lac ils y furent arrestez. Le Messou les cherchant partout, un oyseau luy dit qu'il les voyoit au milieu de ce lac, il y entre pour les retirer, mais ce lac venant à se des gorger, couvrit la terre, & abysma le monde, & généralement tous les arbres quelle avoit produit d'elle mesme en furent cachez, & leurs branches pourries dans les eaux ny restant que le tronc. Apres que les eaux se furent retirées, ce Messou tira des flesches à ces troncs d'arbres, lesquelles se convertirent en branches, se vengea de ceux qui avoient arresté ses loups cerviers, & espousa une ratte musquée, de laquelle il eut des enfans qui ont aydé à repeupler le monde, se disent quelqu'uns, mais d'autres tiennent que ce Messou e se maria point, & qu'il ny resta pour la réparation du monde que ces cinq personnes eschappées du deluge, d'où appert qu'ils ont quelque tradition de cette inondation universelle, qui arriva du temps de Noé.
Ils tiennent que ces cinq s'en allerent bien loing chercher le Messou, qui estoit Dieu, lequel ils ne pouvoient rencontrer, en fin aprés voir bien cherché sur les eaux ils arriverent en un lieu d'où les eaux s'estoient retirées, & y avoit terre ferme, sur laquelle ils trouverent un homme, auquel ils demanderents s'il estoit Messou, il leur respondit que ouy, lors ils luy demanderent du tabac ou petun pour petuner, il leur en donna, & comme ils eurent petuné ils luy presenterent le calumet qu'il prist & le cassa, alors ils luy dirent qu'il n'estoit pas le vray Messou, car il n'est point meschant, mais plustost le Manitou, c'est pourquoy ils le quitterent là, & s'en allèrent plus loing, ou ils rencontrèrent un grand homme qui ne parloit point, mais leur fit signe de la main. Ils furent à luy, & l'ayans abordé il leur presenta de grandes chaudieres pleines de viandes, mais comme il ne parloit point ils estoient bien empeschez; il survint là un homme qui leur demanda où ils alloient, ils respondirent qu'ils cherchoient Messou, lors il leur dit, vous l'avez trouvé, & puis leur donna bien à manger de fort bonnes viandes, & entre autres il leur en donna d'une qui n'estoit pas plus grande que l'ongle, de laquelle ils avoient beau manger elle ne diminuoit point, & avoit le goust de toutes sortes de viandes, comme d'eslan, d'ours de cariboust, lievres, perdrix, &c.
Apres qu'ils eurent bien mangez il leur demanda s'ils vouloient voir quelque chose de beau, ils dirent que ouy, aussitost il fit venir quantité d'animaux de toutes les sortes, qui avancerent devant eux, & les arbres aussi. Apres avoir veu tout cela il les congedia, & leur dit qu'ils n'en parlassent à personne, & ce qui les estonna d'avantage, fut que cet autre ne parla jamais, mais avoit tousjours les yeux estincelans & comme pleins de feu.
Cela fait, ils s'en revindrent par une petite riviere, (car l'eau n'estoit plus sur la terre) en laquelle ils rencontrerent un petit Islet sur lequel il n'y avoit personne, n'ayans mesme point veu de pistes d'hommes le long du bord de l'eau qu'ils avoient passée. Ils demeurerent sur cest Islet, où là estant y vint des Manitous (qui sont des Diables), qui eurent, affaires à leurs femmes, dont elles eurent des enfans, lesquels ont repeuplé le monde peu à peu comme il est.
Pour la mer, j'ay dit que c'est le fils qui la gouverne, & semblablement la terre, mais ils disent qu'ayant esté bonne à boire au commencement elle devint sallée & amere par cet accident. Il arriva un jour que le Nikycou (qui est la loutre) ayant mordu la Ouynesque, qui est une petite beste fort puante, que nous appelions autrement l'enfant du Diable à cause de ses mauvaises qualitez, ce loutre l'ayant mordue, il eut la gueule infecte & puante de son ordure qu'il luy jetta, escumant ainsi il s'alla laver dans la mer, & la rendit sallée & de mauvais goust, comme elle est.
Ils disent en outre, que tous les animaux de chaque espece, ont un frere aisné, qui est comme le principe, & comme l'origine de tous les individus, & que ce frère aisné est merveilleusement grand & puissant, l'aisné des castors, disent-ils, est peut estre aussi gros qu'une cabane, quoy que les cadets (s'entend les castors ordinaires) ne soient pas plus gros qu'un petit mouton; Or ces aisnez de tous les animaux sont les cadets du Messou, (le voila bien apparenté) si quelqu'un void en dormant l'aisné, ou le principe de quelques animaux, il fera bonne chasse, disent-ils, s'il void l'aisné des castors, il prendra des castors, s'il void l'aisné des eslans, il prendra des eslans, jouissans des cadets, par la faveur de leur aisné qu'ils ont veu en songe, mais quand on leur demande où sont ces aisnez ils se trouvent bien empeschez, confessans eux-mesmes qu'ils ne sçavent où ils sont, sinon que les aisnez des oyseaux sont au Ciel, & les aisnez des autres animaux sont dans les eauës, mais l'Alcoran de Mahomet dit bien mieux que les bestes vont dans le Paradis, & que ce grand coq, l'aisné de tous les coqs, prie pour tous ses freres, & que quand il chante, tous les coqs de la terre luy respondent, & chantent comme luy par une correspondance que les animaux de la terre ont avec ceux du Ciel, qui prient pour eux.
On dit de plus que nos Montagnais reconnoisent deux principes des saisons, l'un s'appelle Nipinoukhe, c'est celuy qui ramene le Printemps & l'Esté, l'autre s'appelle Pipounoukhe, qui ramene la saison froide. Ils soustiennent bien qu'il sont vivants, mais ils ne sçavent pas comme ils sont faits, s'ils sont hommes, ou animaux, ny de quelle espece, & disent qu'ils les entendent parler, ou bruire, notamment à leur venue, sans pouvoir distinguer ce qu'ils disent, pour leur demeure, ils partagent le monde entr'eux, l'un se tenant d'un costé, l'autre de l'autre, & quand le temps de leur station, qui est aux deux bouts du monde, est expiré, l'un passe en la place de l'autre, se succedant mutuellement. Quand Nipinoukhe revient, il ramene avec soy la chaleur, les oyseaux, la verdure, il rend la vie & la beauté au monde, mais Pipounoukhe ravage tout, estant accompagné de vents, de froids, de glaces, de neiges, & des autres appanages de l'Hiver.
Pour les flux & reflux de la mer, comme ils tiennent que l'eau a une ame immortelle qui lui donne ses mouvemens, ils ne s'estonnent pas tant de ce flux & reflux, comme firent jadis nos Hurons arrivant avec nous à Kebec, lesquels encor bien qu'avec nos Montagnais, ils croyent à l'eau une ame vivante, ils crurent nostre riviere de bien plus grand esprit que celles de leur pays, qui n'ont pas de flux & reflux pour estre trop esloignées de la mer, & m'en demandoient des raisons, non seulement, mais ils eussent bien desiré me voir raisonner avec cette eau, & luy demander à elle mesme, pourquoy ses diverses allées & venuës contraires, & à quel dessein, effects qu'ils admirerent plustost que de les pouvoir comprendre, ne les comprenans pas moy mesme, pour estre au delà de ma capacité, & de celle des Sçavans.
On tient pour certain qu'Aristote se precipita dans l'Euripe, desirant que l'Euripe le comprit, puis qu'il ne pouvoit comprendre les principes & les raisons des mouvemens d'iceluy. Qui est-ce aussi qui depuis ce grand Philosophe a pû nous donner une raison certaine du mouvement admirable de cet espouventable Occean? mouvement qui ne se faict pas du pole Arctique, jusques au pole Antarctique, comme quelqu'uns se sont persuadez. Que si cet element ne faisoit que rouler du Nort au Sud, & retourner du Sud au Nort, il n'y auroit de quoy tant admirer. Mais la merveille est que la mer prenant son cours vers le pole Antarctique, qui est celuy là qui va du costé du Midy, au mesme temps elle vient vers l'Arctique qui luy est opposé, c'est à dire qui est du costé du Septentrion & par ainsi elle a des mouvemens contraires (bien qu'en diverses parties,) en mesme temps, & à l'instant quelle se retire, de nostre pole Arctique, elle retourne aussi de l'Antarctique, refluant tant d'une part que d'autre, au milieu de la mer où les marées, & reflux venant à s'entrerencontrer sous la ligne Equinoctiale, incontinent la mer vient à bouffir, s'enfler & grossir aussi long-temps que le reflux e fait. Et derechef la mer estant estrangement enflée & eslevée comme de tres hautes Montagnes, elle commence aussitost à se dilater & abaisser. Tant plus se dilate tant plus elle s'abaisse au dessous de la ligne; & d'autant qu'elle s'abaisse en ce milieu du monde, plus elle monte & se dilate d'une part & d'autre vers les deux poles susdits, roullant dessus les sables, inondans les campagnes, & eslevans de toutes parts, jusques à Lebe venant. Lors qu'elle se dilate ainsi vers bouts, & autres extremitez de la mer, on l'appelle flux, & le reflux, quand elle se retire vers l'Equinoctiale.
Ce flux & reflux se fait deux fois pendant vingt quatre heures. Car en cinq heures ou environ, la mer fluë vers le Nort, & vers le Sud, & en quelque six à sept heures, elle fait son reflux. Et comme l'estat de la Lune n'est égal ou pareil, mais irregulier en son croissant, & decroissant, ainsi le mouvemens de la mer est du tout inegal, comme chacun sçait, & l'experimentons en nostre petite riviere de sainct Charles, tous les quartiers de la Lune, & les mois de l'année, & principalement en la pleine Lune, où nous voyons l'eau s'eslever le plus vers nostre Convent, ce qui nous obligeoit en ces temps là, de ne rien laisser de nos meubles & ustencilles, que fort esloignez du bord de la riviere.
Finissons ce Chapitre de la creance & des superstitions de nos Montagnais, par cette conclusion, que qui voudroit faire estat de les observer toutes, il en faudroit faire un juste volume à part, tant elles sont en grand nombre, mais, comme la lecture n'en seroit agreable ny utile, je me contente de ce que j'en ay escrit comme suffisant, & finy par cette priere que je fais à Dieu, de leur donner lumière cognoissance de leur aveuglement, qui les porte à ignorer le vray Dieu, & attribuer des puissances divines à des choses insensibles, jusques à croire que la neige, &, la gresle ont une ame qui a cognoissance & intelligence, & s'offence de la lumiere, & clarté des chandelles & fallots, avec quoy ces pauvres gens n'oseroient sortir la nuict quand il neige, ou gresle, peur que cette ame en advertisse les animaux, qui prendroient la fuitte. Tiennent aussi que les chiens ne doivent ronger les os des castors, des oyseaux, n'y des autres animaux pris au lacet. Que d'autres ne doivent non plus estre jettez dans le feu, & que si on manque à la moindre observation de leurs folles opinions, que c'est fait de leur chasse & de leur vie, & que tout ira, s'en dessus dessous, & à contrepoil de leur intention.