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Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.

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Des deux Indes Orientales & Occidentales, & des conversions admirables que les Freres Mineurs y ont operé, & comme dés l'an 1622, ils avoient dans la seule Mexique plus ce cinq cens Convents en 22 Provinces.

CHAPITRE XXXIX

DEux puissantes raisons avoient induits Aristote & quelques autres à se persuader qu'il n'y avoit autres gens au monde que les habitans d'Europe, d'Asie & d'Afrique; La premiere estoit la grand largeur de la mer, qui leur fist estimer que les hommes ne sçauroient passer tant d'eaux avec aucune force ou industrie, & ce fut ce qui meut S. Agustin à nier les Antipodes.

L'autre raison: qui deceut les anciens fut qu'ils creurent que la Zone Torride estoit inhabitable pour son excessive ardeur, de mesme que les Polaires pour leur froideur insupportable, mais ils se sont trompés comme tout le monde sçait à present, sans qu'il soit necessaire d'en descrire icy les particularitez puisque d'autres en ont desja escrit, seulement je diray que ce monde nouveau fust descouvert en l'an 1497 par Americq Vespuce Florentin, qui luy imposa, ou d'autres à sa faveur, le nom Americques, bien que l'honneur en soit proprement deu à Christoffe Colomb Genois, qui l'a le premier descouvert en l'an 1492, cinq ans avant ledit Americq Vespuce selon quelques Autheurs.

Plarus Jesuite donne cette gloire à nos Religieux par dessus tous les autre, d'y avoir passé les premiers, deux desquels favoriserent grandement Christoffe Colomb envers le Roy Ferdinand pour une si haute & genereuse entreprise, laquelle estoit estimée pour une fable par les hommes d'estat, & traverserent les mers l'an 1493, sans apprehension des dangers, & hazards qu'ils trouvoient à toute heure pour parvenir en l'Amerique qu'on nomme Inde Occidentale, ou nouveau monde.

L'an 1516, ils edifierent deux Convents à Cubagna & Cumana, & un autre à Marcaparia, que les Sauvages bruslerent & massacrerent tous les Religieux. Les premiers qui furent jamais prescher aux Royaumes de Tlaxcalla, Mechioacan, & Mexico furent Freres Mineurs sans redouter la fureur de ses peuples barbares. L'an 1520, le Roy de Mechioacan Sunzinca qui pour regner tout seul avoit fait tuer ses quatre freres, adoucy par la predication evangelique, receut la Foy & le Baptesme, & se fist nommer François pour l'affection qu'il portoit à nos Religieux; il rendit son Royaume tributaire à l'Espagne, & procura peu aprés le salut de ses sujets, par les Sermons du P. Martin de JESUS Recollect.

L'an 1524, au mesme temps que l'Enfer eut vomy sa rage, & que Martin Luther Apostat se revolta dans l'Allemagne avec une partie des Provinces d'Occident; car quoy qu'il eust l'an 1517, commencé à prescher contre les indulgences, si est-ce qu'il demeura tousjours dans son cloistre avec l'habit Religieux, & ne dit point Adieu tout à faict à l'Eglise Romaine que l'an 1523, un autre homme de Dieu, & parfaict Religieux Frere Mineur Recollect; nommé Frere Martin de Valence exposa & sa vie & son industrie & travail pour la conqueste spirituelle des Indiens Americains; le Pape le créa Commissaire Apostolique avec toute sorte de pouvoir sur ce requis: Il s'embarqua avec unze Religieux, cette trouppe de gens, Apostoliques arriverent heureusement à Mexico capitale du Royaume.

Voilà deux Martins en campagne, l'un deserteur de la Foy, l'autre professeur d'une très estroitte pauvreté: l'un combat pour Sathan, l'autre pour Dieu, l'un perd les ames par sa pestilente doctrine, l'autre sauva par la prédication de l'Evangile, & travailla si assiduement & avec tant de bon-heur, que luy & ses compagnons convertirent jusques à 14 millions d'hommes, l'un desquels comme il est remarqué par quelque Autheur, en baptiza à sa part en plusieurs années environ quatorze cens mille, ce qui sembleroit quasi incroyable à ceux qui ne sçauroient pas le grand nombre des Provinces que le Roy des Espagnes possede au nouveau monde, & le nombre presque infiny de peuple qu'il y a si les Historiens qui ont esté dans le pays, & ceux mesmes, qui sont moins portez pour la grandeur d'Espagne ne luy en asseuroient, & tesmoignoient en leur relation.

L'advis adressé à tous les Princes Chrestiens, publié cette année à Paris, declare hautement & generallement que cette Couronne, d'Espagne a conquis depuis environ cent ans, cent Royaumes ou Empires aux Indes, & de là jugez combien de peuple il y peut avoir, & combien de Freres Mineurs il y a, car nous en avons par tout.

Voicy ce que dit Dom Frere Barthelemy de las Casas Dominicain, qui a voyagé au nouveau monde environ l'an 1540 & 41, où il rapporte que les Espagnols y avoient desja conquis plus de pays que la Chrestienté n'est grande trois fois, puis poursuivant il dit: La premiere terre où les Espagnols entrerent pour habituer, fut la grande & tres fertile Isle Espagnole, laquelle contient six cens lieuës de tour en 5 grands Roiaumes principaux, & quelques autres Provinces separées, qui n'ont à present de Princes que le seul Roi d'Espagnes.

Il y a d'autres grandes & înfinies Isles à l'environ, & és confins à tous costez, lesquelles nous avons veuës les plus peuplées, & les plus pleines de leurs gens naturels, & d'un des plus excellens air que peut estre autre pays au monde, dont la pire est plus fertile que le jardin du Roy en Seville.

La terre ferme laquelle est loing de l'Isle Espagnole à 250 lieuës, contient au long de la coste de la mer, plus de dix mille lieuës qui sont desja descouvertes, & s'en descouvre tous les jours davantage, toutes pleines de gens comme une formiliere de formis. En ce que jusque à l'an quarante & un s'est descouvert, il semble que Dieu a mis en ces pays là le gouffre ou la plus grande quantité de tout le genre humain.

D'autres Autheurs rapportent que dans la seule ville de Mexique capitale du Royaume de mesme nom, au temps qu'elle fut reduite sous la puissance du Roy des Espagnes, ce qui advint en l'an 1520, le 13 d'Aoust, par Ferdinand Cortez, on y contoit en soixante & dix mille maisons, jusques à huict cens mille habitans, entre lesquels il y avoit trente Potentats, ou grands Seigneurs, qui avoient chacun cent mille vassaux, & trois mille Lieutenans qui en avoient encores d'autres sous eux, & en l'Isle Espagnola, autrement sainct Dominique qui n'est rien en comparaison de ce puissant Empire, qui enceint tant de Provinces, & de Royaumes, on a conté jusques à quinze cens mille hommes & en a on veu jusque à cent mille prendre la discipline processionnellement en memoire des coups de fouets dont on a meurtry le corps du Fils de Dieu, tant estoit grande leur ferveur & dévotion, & le grand fruict de nos Freres parmy ces pauvres Indiens.

Dieu benissoit tellement les travaux de ses seconds Apostres, que Surius Chartreux remarque, qu'il n'y en eut pas un qui n'en baptisast plus de cent mille pour sa part, & le Pere Motonilia Recollect Espagnol, qui fut le dernier de ces douze premiers Peres, en baptisa quatre cents mille; & pour sa grande pauvreté, les Indiens l'appelloient Motonilia, qui signifie pauvre en leur langue.

Le Souverain Pontife ayant ouy le grand fruict que ces zelans & servans Religieux avoient faict en cette nouvelle Espagne, à la requeste de l'Empereur Charles V, il pourveut du premier Evesché de Mexique l'an 1528, Frère Jean de Zumaragna, homme de saincte vie, & infatigable parmy ces penibles voyages qu'il fit sans jamais manier argent. Il fit toutes les visites de son Evesché à pied quelque decrepité qu'il fut, car il est mort aagé de quatre vingt ans, son corps se conserve encor miraculeusement tout entier. C'est d'une lettre qu'il escrivit à nos Peres au Chapitre tenu à Toulouze que nous apprenions tout plein de particularitez des Indes, de l'ordre qu'il establit en la conversion des Infidelles, institution des Colleges vis à vis de nos Convents: où les enfans estoient imbus & endoctrinés en la foy, & aux bonnes lettres.

Ce furent aussi les Freres Mineurs Recollects, de la Province de fainct Joseph, qui passerent les premiers aux Isles Philippines, & l'an 1540, le Roy de Portugal ayant esté instamment requis par le Roy de Zeilan, de luy envoyer des personnes qui le peussent instruire en la Religion Chrestienne, il en donna la commission à sept de nos Religieux, qui prescherent si utilement & fructueusement, qu'ils convertirent le Roy, & toute sa famille.

Le sang de nos Religieux qui a arrousé la terre du Jappon la leur a rendu plus fertile, qui pourroit raconter les supplices cruels, qu'on fit souffrir à six de ces bons Peres, l'an mille cinq cens nonante sept avant que de les faire barbarement mourir par le feu, & le fer, mais en recompense, ils ont bien gaigné des ames à Dieu, car l'an mille, six cents quinze, le cinquiesme d'Octobre, arriva à Rome Fraxicura Ambassadeur du Roy de Voxu, qui est une Province située à la partie Orientale du Jappon, ce solemnel Ambassade estoit de cent Gentilhommes Japponois, qui s'embarquerent le 28 Octobre de l'an mille six cens treize pour faire voyle en ces quartiers, & venir rendre l'obeissance au Souverain Pontife, la longueur & l'incommodité d'un voyage d'un an entier, ayant passé deux fois la ligne Equinoctiale, les ardantes & intolerables chaleurs qu'ils y souffrirent leur causa des maladies dont la pluspart moururent, excepté vingt cinq qui abordèrent en Espagne le 10 Novembre 1614. Ils estoient conduits par le Pere Louys Sotello Recollect qui harangua devant le pape, aprés qu'ils eurent esté magnifiquement receus & traictés à Rome, où rien ne fut oublié ny espargné, tant à leur, entrée Royale qu'au reste de la despence qui fut tres-splendide, & tout autre que ne portoit l'escrit qui enfin imprimé, comme m'a asseuré un très honneste Prestre seculier qui se trouva là present en toutes les ceremonies, & dans nostre Convent où lesdits Ambassadeurs estoient logez avec le Pere Louys, pour faire voir à ces Seigneurs Japponois la grandeur & puissance de Rome, & combien l'Eglise Romaine chérit & fait estat de ses enfans qui la recognoissent pour mere, & luy rendent l'obeissance filiale.

Fraxicura reconnut le Pape au nom de son Roy, pour Vicaire de Jesus-Christ en terre, & Père commun de tous les Chrestiens. Il rendit tesmoignage que le P. Louys avoit donné entrée à la prédication de l'Evangile dans le Royaume de Voxu, où il avoit travaillé l'espace de quatorze ans continuels, & requist instamment sa Sainteté de luy donner des Religieux de S. François pour la continuation d'un si bon oeuvre, promit de les ayder, & de bastir des Convents en ses terres, comme le Roy par tout son Royaume.

Son Roy nommé Idate pour marque de sa vraye conversion & zele à la Religion, ruina & brusla huit cens Idoles, avec leurs pagodes, il a permis à tous ses sujets de se faire Chrestiens, d'où on espere une ample & riche moisson d'ames; Il delivra 18 cens personnes de la mort qu'un Gouverneur sien cousin estoit resolu de faire mourir; le Jesuite Platus de son temps dit que nous y avions desja 13 Provinces, donc la moindre est de 12 Convents, & celle de Mexique en contenoit 50, par la dernière liste que nos Peres en ont veu de l'an 1621. Ils y ont remarqué plus de 500 Convents en 22 Provinces. Ces grandes entreprises, ces fameuses conversions ne sont que pour la vraye Eglise, laquelle de la mer d'infidelité tire au rivage du Christianisme les ames humaines, sous l'heureuse conduite des Religieux Catholiques qui ont fait surgir és ports reculés & inconnus, la nef de l'Eglise, ils ont ancré aux lieux où jamais les Apostres n'avoient abordés, leurs premieres traces sont marquées du sang bouillant de leur affection, bien souvent captifs ils ont captivé les hommes, & vainquans ont vaincu leurs vainqueurs, de sorte que nous pouvons dire que sous leur bannière l'Eglise est comme sortie du monde, pour acquérir de nouveaux mondes.

Pour l'Orientale, la descouverte & conqueste estoit au Roy de Portugal Dom Emanuel, qui en l'an 1500 y envoya 8 Freres Mineurs sous la conduite de Pierre Alvares de Cabral, qui y furent tous martyrisés excepté F. Héry de Conimbre, qui fut à son retour Confesseur du Roy, & Evesque de Cepta. Ils arriverent à Calicut, & de la passèrent à Cochin où ils commencerent à arborer la Croix, qu'ils prescherent à ces Nations Barbares.

L'an 1502, au seconds voyage qui fit Vasco de Gama, il y mena de nos Religieux qui baptiserent une multitude incroyable d'enfans, & les Chrestiens Orientaux tesmoignoient à Vasco, le contentement qu'ils avoient de voir des Chrestiens en leurs pays, & se tenoient fort ses obligez.

Frere Garcia de Padilla, fut creé le premier Evesque de l'Isle S. Dominique, autrement Espagnole. Et l'an 1510, fut basti un Convent à Goa fameuse ville & capitale du Levant, qui servit après comme de Séminaire, d'où l'on tirait les Religieux pour envoyer par les Royaumes de Cananori, de Cochin, Coilani, les autres alloient avec l'armée, preschoient servoient aux hospitaux, & s'occupoient aux oeuvres de charité; à enseigner & catechiser les enfans: jusques à ce que l'an 1542, ils resignerent le College au P. François Xavier, afin d'avoir moins d'embarras à prescher l'Evangile, dequoy faict foy la premiere vie de sainct François Xavier, imprimée in 8, & composée par Horace Turselin de la mesme compagnie, quoy que la derniere ait oublié ceste particuliere beneficence, ce qui a faict dire à Gonzague, tout le travail & la peine qu'il y a eu en l'Inde Orientale durant 40 ans continuels, soit à guerir les malades, soit à convertir les infidels, soit à instruire les Catechumenes, soit à administrer les Sacremens, ou bien enfin à exercer les autres oeuvres de charité, toute ceste fatigue estoit chargée sur le dos des Religieux de sainct François.



De la pesche du grand poisson & des ceremonies qu'ils y observent. Des Predicateurs des poissons, & de la grandeur de la mer douce.

CHAPITRE XXXX.

QUand je viens à considerer la vie, les moeurs & les diverses actions de ceux qui ne vous cognoissent point (ô mon Dieu) je ne sçay qu'en penser sinon que c'est un continuel aveuglement & un abisme de folie. Desireux de voir les ceremonies & façons ridicules que nos Hurons observent à la pesche du grand poisson, je partis du bourg de S. Joseph, avec le Capitaine Auoindaon, au mois d'Octobre, & nous embarquames sur la mer douce, moy cinquiesme dans un petit canot, puis aprés avoir long-temps navigé & advancé dans la mer par la route du Nord, nous nous arrestames & primes terre dans une Isle commode pour la pesche, où des ja s'estoient cabanez plusieurs Hurons, qui n'attendoient rien moins que nous.

Dés le soir de nostre arrivée, l'on fist un festin de deux grands poissons, qui nous avoient esté donnez par un des amis d'Auoindaon, en passant devant son Isle où il peschoit: car la coustume est entr'eux, que les amis se visitans les uns les autres au temps de la pesche, de se faire des presens mutuels de quelques poissons. Nostre cabane estant dressée à l'Algoumequine, chacun y choisit sa place selon l'ordre ordonné, aux quatre coins estoient les quatre principaux,& les autres en suitte, arrangez les uns joignans les autres assez pressez. On m'avoit donné un des coins dés le commencement comme à un chef, mais au mois de Novembre qu'il commença à faire un peu de froid, comme il faict ordinairement és contrées du Nord, je me mis plus au milieu, & ceday mon coin à un autre, pour pouvoir participer à la chaleur des deux feux, que nous avions dans la cabane.

Tous les soirs on portoit les rets environ un quart ou demie lieuë au plus, avant dans la mer, & puis le matin venu, dés la pointe du jour on les alloit lever souvent garnis de tres-bons gros poissons, comme assihendos, truites, esturgeons, & autres qu'ils esventroient comme l'on faict aux molues, puis les estendoient sur des ratteliers de perches dressez exprés, pour les faire seicher au Soleil, où en temps incommode & de pluyes, les faisoient boucaner à la fumée sur des clayes, ou au dessus des perches de la cabane, puis serroient le tout dans des tonneaux, de peur des chiens & des souris & non des chats, car ils n'en ont point, & ceste provision leur sert pour festiner, & pour donner goust à leur potage, pricipallement en temps d'Hyver qu'ils tiennent fort la maison, & manquent de douceurs.

Quelquefois ils reservoient des plus grands & gras assihendos, lesquels ils faisoient fort bouillir en de grandes chaudieres pour en tirrer l'huyle, laquelle ils amassoient fort curieusement avec une cueillier par dessus le bouillon, & la serroient en des bouteilles d'escorce d'un certain fruict ressemblant à nos calbasses, qui leur viennent d'un païs fort esloigné à ce qu'ils me disent: cet huyle est aussi douce & aggreable que beure fraiz, aussi est-elle tirée d'un tres-bon poisson, incogneu aux Canadiens & encore plus icy.

Quand la pesche est bonne, & qu'il y a nombre de Sauvages cabanez en un lieu, on n'y voit que festins & banquets, reciproques, qu'ils se font les uns aux autres, & s'y resjouissent de fort bonne grace, sans aucune dissolution ny action qui sent de la legereté ou sottize. Ceux qui se font dans les bourgs & villages sont passablement bons; mais ceux qui se font à la pesche & à la chasse sont les meilleurs de tous, quand l'heure en donne, car ils n'y espargnent rien. Comme à une personne de laquelle ils faisoient estat, ils avoient accoustumé de me donner à tous les repas, le ventre de quelque grand assihendos, parce qu'il est fort plein de graisse & tres-excellent, mais comme je n'ay jamais esté beaucoup amateur de la graisse qui est le sucre des Sauvages, je le changeois volontiers contre un morceau plus maigre, & eux se consoloient du mien. Neantmoins tout bien considéré le plus asseuré est suivant le conseil de S. Bonnaventure, mange simplement ce que l'on te donne & ne point faire choix des viandes, sous pretexte mesme de rendre du pire.

Ils prennent sur tout garde de ne jetter aucune arreste de poisson dans le feu, & y en ayant jetté, ils m'en tancèrent & les en retirerent fort promptement, disans que je ne faisois pas bien, & que je serois en fin cause qu'ils n'en pourroient plus prendre, pour ce (disent ils,) qu'il y avoit de certains esprits, ou l'esprit des rets ou des poissons mesmes, desquels on brusloit les os, qui advertiroient les autres poissons de ne se pas laisser prendre, puis qu'on les traictoit de la sorte & sans aucun respect.

Les Canadiens & Montagnais ont aussi ceste coustume de tuer tous les eslans qu'ils peuvent, attraper à la chasse, croyans que ceux qui eschappent vont advertir les autres de se cacher au loin peur de leurs ennemis, & ainsi en laissent ils par fois gaster sur la terre, quand ils en ont des-ja suffisamment pour leur provision, qui leur seroient bon besoin en autre temps, pour les grandes disettes qu'ils souffrent souvent, particulierement quand les neiges sont basses, auquel temps ils ne peuvent que tres-difficilement attraper la beste, & encore en danger d'en estre offencé, mais le plus grand mal que cause ceste superstition est, qu'ils ruinent la chasse du poil, de l'eslan & du cerf, comme nos Hurons ont faict celle du castor en leur païs, qu'il ne s'en trouve plus aucun, & par ceste destruction, ils s'enjoignent souvent des jeusnes plus rigoureux que ceux de l'Eglise, & des plus austeres Religieux des Cloistres. Un jour, comme je pensois brusler au feu le poil d'un escurieux mort, qui m'avoit esté donné, ils ne le voulurent point permettre, & me l'envoyerent brusler dehors, à cause des rets, qui estoient pour lors dans la cabane, disans: qu'elles le diroient aux poissons, je leur dis que les rets ne voyoient goute & n'avoient aucun sentiment, ils me respondirent que si, & qu'elles entendoient & mangeoient: donne leur donc de la sagamité, leur dis je, quelqu'uns me repliquerent, ce sont les poissons qui leur donnent à manger & non point nous.

Je tançay une fois les enfans de la cabane, pour quelques mauvais & impertinens discours qu'ils tenoient, il arriva que le lendemain ils prindrent fort peu de poisson, ils l'attribuerent à cette reprimende, qui avoit esté rapportée par les rets aux poissons, & en murmurerent, disans, que si mes prieres leur obtenoient par fois du poisson, que j'avois esté cause à ce coup qu'ils n'avoient rien pris, & pour chose que je leur pû dire du contraire, ils resterent dans leur croyance premiere, que tancer leurs enfans du mal, estoit empescher leur pesche.

Un soir que nous discourions des animaux du pays, voulans leur faire entendre que nous avions par toutes les Provinces de l'Europe, des lapins & levraux, qu'ils appellent Quieutonmalisia, je leur en fis voir la figure par le moyen mes doigts en la clarté du feu, qui en faisoit donner l'ombrage contre la cabane, par hazard on prit le lendemain matin du poisson beaucoup plus qu'à l'ordinaire, ils creurent que ces figures en avoient esté la cause, & me prièrent de prendre courage & d'en faire tous les soirs de mesme & de leur apprendre ce que je ne voulu point faire, pour n'estre cause de cette superstition & pour n'adherer à leur folie & simplicité, digne de compassion.

En chacune des cabanes de la pesche, il y a un Prédicateur de poisson, qui a accoustumé de les prescher, s'ils sont habilles gens ils sont fort recherchez, pour ce qu'ils croyent que les exhortations d'un habile homme, ont un grand pouvoir d'attirer les poissons dans leurs rets, comme eux l'éloquence d'un grand Ciceron à sa volonté. Celuy que nous avions s'estimoit un des plus ravissans, aussi le faisoit il beau voir demener & des mains & de la langue quand il preschoit, comme il faisoit tous les soirs, aprés avoir imposé le silence & faict ranger un chacun en sa place, couché de son long, le ventre en haut comme luy.

Son thème estoit; que les Hurons ne bruslent point les os des poissons & qu'on ne leur faict aucun mauvais traitement, puis en suitte avec des affections nompareilles exhortoit les poissons, les conjuroit, les invitoit & les supplioit de venir, de se laisser prendre & d'avoir bon courage, & de ne rien craindre, puis que c'estoit pour servir à de leurs amis, qui ne bruslent point leurs os. Il en fist aussi un particulier à mon intention par le commandement du Capitaine, lequel me disoit aprés, hé, mon nepveu, voyla-il pas qui est bien? ouy, mon oncle, à ce que tu dis, luy respondis je, mais toy & tous vous autres Hurons avez bien peu de jugement, de penser que les poissons entendent, & ont l'intelligence de vos sermons & de vos discours, il croyoit que si neantmoins, & ne pouvoit estre persuadé du contraire.

Pour avoir bonne pesche ils bruslent aussi du petun, en prononçans de certains mots que je n'entends pas. Ils en jettent aussi à mesme intention dans l'eau, à des certains esprits qu'ils croyent y presider, ou plustost à l'ame de l'eau, car ils croyent que toute chose materielle & insensible, a une ame qui entend & comprend, la prient à leur manière accoustumée d'avoir bon courage, & de faire qu'ils prennent bien du poisson, & fassent une pesche qui leur soit profitable & advantageuse. Voilà où aboutissent toutes leurs prières, ou pour leur ventre, ou pour leur santé, on pour la ruyne de leurs ennemis, & n'en font point d'autres à quelque esprit que ce soit, sinon pour les voyages & la traicte, car de rendre graces à Dieu, ou de luy demander pardon, avec promesse de mieux faire, il ne s'en parle point, non plus que des autres choses qui regardent le salut, si on ne leur en discourt.

Les simplicités que je vous ay descrites, tesmoignent assez que nos Sauvages n'ont pas l'esprit cultivé, & qu'ils vivent dans une grande ignorance, mais si nous considerons de près, nous trouverons en France des personnes aussi mal polyes qu'eux & presque en pareille ignorance, & si j'oze dire plus ignorances, j'ay veu des François aux Hurons, enseigner aux Sauvages des folies & des inepties si grandes, que les Sauvages mesmes s'en gaussoient avec raison, & comment n'eussent ils estalé leur marchandises & leurs folles opinions devant un peuple sans science; puis qu'à nous mesmes ils nous en proposoient de si ridicules qu'elles ne seroient pas pardonnables à des enfans, & cependant c'estoient personnes de plus de trente cinq à quarante ans d'aage, fort incapables d'estre envoyez parmy un peuple, que l'on doit reduire & amener à Dieu par science & bonne vie.

Nous trouvasmes dans le ventre de plusieurs grands poissons, des ains faicts d'un morceau de bois accommodé avec un os, qui servoit de crochet & lié fort proprement avec de leur chanvre, mais la corde trop foible pour tirer à bord de si gros poissons, avoit faict perdre & la peine & les ains de ceux qui les avoient jettez en mer, car véritablement il y a dans cette mer douce des esturgeons, assihendos, truittes & brochets, si monstreusement grands qu'il ne s'en voit point ailleurs de plus gros, non plus que de plusieurs autres especes de poissons qu'on y pesche & qui nous sont îcy incognus.

Cette mer douce de laquelle tant de personnes sont desireuses de sçavoir, est un grandissime lac qu'on estime avoir prés de trois cens lieuës de longueur de l'Orient à l'Occident, & environ cinquante de large, fort profond, car pour le sçavoir par experience nous jettames la sonde vers nostre bourgade assez proche du bord en un cul de sac, & trouvasmes quarante huict brassées d'eau, mais il n'est pas d'une égale profondeur par tout, car il l'est plus en quelque lieu & moins de beaucoup en d'autres.

Il y a nombre infiny d'Isles, ausquelles les Sauvages cabanent quant ils vont à la pesche ou en Voyage aux autres nations qui bordent ceste mer douce. La coste du midy est beaucoup plus aggreable que celle du nort, où il y a quantité de rochers en partie couverts de bois, fougeres, bluets & fraizes, l'on tient que la chasse de la plume y est bonne, & à quelqu'uns celle du poil, & qu'il y a force caribous & autres animaux rares & de prix, mais ils sont difficiles à prendre. Le truchement Bruslé avec quelques Sauvages, nous ont asseuré qu'au de-là de la mer douce, il y a un autre grandissime lac, qui se descharge dans icelle par une cheute d'eau que l'on a surnommé le saut de Gaston, ayant prés de deux lieuës de large, lequel lac avec la mer douce contiennent environ trente journées de canaux selon le rapport des Sauvages & du truchement quatre cens lieuës de longueur.

Lors qu'il faisoit un grand vent, nos Sauvages ne portoient point leurs rets en l'eau parce qu'elle s'eslevoit alors comme la grand mer, & en temps d'un vent mediocre, ils y estoient encore tellement agités, que c'estoit assez pour me faire louer Dieu qu'ils ne perissoient point là dedans, & sortoient avec de si petits canots du milieu de tant de flots que je contemplois à dessein du haut de quelque rocher, où je me retirois seul tous les jours, ou dans l'espaisseur de la forest, pour dire mon office & faire mes prieres en paix.

Ceste Isle estoit assez abondante en gibier, outardes, canars & autres oyseaux de rivieres, pour des escurieux il y en avoit telle quantité, de suisses & autres commun, qu'ils endommageoient fort la secherie du poisson, à laquelle ils estoient continuellement attachez, bien qu'on taschast de les en dechasser par la voix, le bruit des mains & à coup de pierres qu'ils craignoient peu, & estans saouls ils ne faisoient que jouer & courir les uns aprés les autres soirs & matin. Il y avoit aussi des perdrix grises l'une desquelles m'approcha un jour de fort prés en un coin dans le bois, où je disois mon office, & m'ayant regardé en face, s'en retourna à petit pas comme elle estoit venue faisant la roue comme un petit coq-d'inde, & tournant continuellement la teste en arriere regardoit & contemploit doucement sans crainte, aussi ne voulu je point l'effaroucher ny mettre la main dessus, comme je pouvois faire, & la laissay aller.

Un mois & plus s'estant escoulé, on commença de penser de nostre retour, comme le grand poisson du sien, car il change de contrée suivant les Lunes & les saisons comme les molues en la mer: Mais comme il fut question de partir, le Lac s'enfla si fort qu'il fit perdre aux Sauvages l'esperance d'ozer s'embarquer ce jour là, craignant le danger eminent de quelque naufrage par la tourmente qui s'alloit renforçant. Cependant je demeurois seul dans nostre cabane, lors qu'à l'issue de leur conseils ils me vinrent trouver pour avoir mon advis, & sçavoir ce qu'il estoit question de faire, car sous pretexte que je leur parlois souvent de la toute bonté & puissance de nostre Seigneur, il leur estoit advis que j'avois quelque crédit envers sa divine Majesté, & que rien ne m'estoit impossible non plus qu'incognu, c'est ce qui me donnoit bien de la peine, & plus que n'eust pas faict une autre opinion de moy, car au trop il y a tousjours du danger. Il me fallut à la fin aller voir la mer pour les contenter, autrement je n'eusse point eu paix avec eux, puis que tous s'estoient resolus à ce que j'ordonnerais, comme si j'eusse eu quelque experience de la marine, ou que Dieu m'eust donné asseurance des choses à venir: je l'avois desja veuë dans ses choleres, depuis un quart d'heure, & sçavois, qu'il y alloit d'un grand hazard de s'y embarquer, neantmoins pour les contenter, il me fallut derechef sortir dehors, & la considerer dans ces furies plus d'une fois.

L'ayant bien considerée, & les eminents perils qu'on pouvoit à bon droit apprehender, je priay Dieu qu'il me donnast lumiere pour donner bon conseil, & n'estre cause de refroidir en ces pauvres gens, par mon peu de foy, la confiance qu'ils commençoient d'avoir de sa divine Majesté: Mais ou par presomption, ou par le juste vouloir de Dieu qui fait parler les muets, ou par une foy double que nostre Seigneur me donna lors. Je leur dis qu'ils devoient partir, & que dans peu la mer calmeroit à leur contentement, ce qu'ils crurent tellement, que ma voix se porta dés aussi tost par toutes les cabanes de l'Isle qui les fist si bien diligenter pour l'esperance de la bonace prochaine, qu'ils nous devancerent tous, & fusmes les derniers à desmarer, non par paresse ou crainte, mais par trop d'affaires & d'embaras.

Si tost que la flotte fut en mer, ô merveille du tout-puissant, les vents cesserent, & les ondes s'acoiserent calmes & immobiles comme un plancher, jusques au port de S. Joseph, où je rendis graces à Dieu, tandis que mes Sauvages disoient, ho, ho, ho, onniané, admirant ses merveilles.

Il estoit nuict fermée avant que nous y pusmes prendre terre, & puis mes gens estoient tellement embarassés de leurs poissons & fillets, qu'ils furent contraints de cabanner là jusques au lendemain matin qu'ils se rendirent au bourg; mais pour moy qui n'avois rien qui me pût empescher d'aller que deux petits poissons qu'ils m'avoient donné, je partis de là & m'en allay seul travers les champs & la forest en nostre cabane, qui en estoit à une bonne demie lieuë esloignée, j'eu bien de la peine de la trouver à cause de la nuict, & m'esgarois souvent, mais la voix de quelques petits Sauvages, qui chantoient là és environs me radressoit, autrement j'estois pour me voir coucher dehors, & me repentir de m'estre mis en chemin.

Ce qui m'avoit le plus pressé de partir seul à heure indue, estoit le doute de la santé du Père Nicolas, que les Sauvages m'avoient voulu faire mort, mais je le trouvay en tres-bonne santé, Dieu mercy, de quoy je fus fort joyeux, & eux au reciproque furent fort ayses de mon retour, & de ma bonne disposition, & me firent festin de trois petites citrouilles cuittes sous la cendre chaude, & d'une bonne sagamité de maiz, que je mangeay d'un grand appetit; pour n'avoir pris de toute la journée, qu'un bien peu de bouillon de bled d'Inde, fort clair, le matin avant partir.



De la santé & maladies des Sauvages. De leurs Medecins & Apoticaires, & de quelques racines de grandes vertus.

CHAPITRE XXXXI.

SI au Palais Royal est estimé & favori celuy que le Roy caresse: en la maison de Dieu est aussi préféré celuy que Jesus-Christ chastie. Depuis le peché de nostre premier Pere, tous les hommes ont esté sujects à maladies & infirmitez du corps ou de l'esprit. A la verité les causes de nos maux sont diverses, mais les remedes propres sont bien différens aussi. Dieu chastie les bons ou les esprouve par diverses afflictions & maladies, au contraire des meschans qui sont punis pour leurs propre demerites, helas, nous sommes souvent trompez en nos jugemens, car tels semblent estre sauvez, quand au jugement des hommes qui devant Dieu sont en voye de damnation, & ceux que l'on croit souvent estre reprouvez, sont du nombre des enfant de Dieu: car le monde ne juge que de l'escorce & Dieu juge le dedans. Dieu demeure avec les malades & affligez, & le diable avec ceux qui sont en prosperité, & à qui toutes choses viennent à souhait, tesmoin l'histoire de sainct Ambroise où il est dit, qu'il n'eust pas plustost adverty son compagnon de sortir de la maison, où toutes choses prosperoient comme une maison maudite de Dieu, que tout fust abismé & le Maistre & la Maistresse escrazé avec leurs enfans sous les ruynes. O mon Dieu! le B. Frere Gille compagnon de sainct François avoit bien raison de dire que le demon de la prosperité estoit plus dangereux que celuy de l'adversité, car nous en voyons plus se perdre dans l'abondance, que dans la disette, car peu se desesperent pour l'une & tous se glorifient pour l'autre.

Constans fils du grand Constantin, qui fit autant de maux à l'Eglise que son pere luy avoit fait de bien, heretique Arrien qu'il estoit, se flattoit sur la prosperité de ses victoires, & de là tenoit sa vie par une juste punition de Dieu, de s'imagimer qu'il estoit dans la vraye foy, puis qu'il recevoit tant de faveurs du ciel, comme si les faveurs plustost que les disgraces estoient des tesmoisnages du vray amour de Dieu. A quoy selon le dire de Seneque le Philosophe, qu'il n'y a rien pis que la felicité des meschans, luy respondit fort bien Lucifer Evesque de Salare contemporain du grand S. Athanase, en un livre qu'il intitula, Des Roys Apostats, où il luy monstre que la prosperité temporelle n'est pas une marque asseurée de la vraye foy, & que bien souvent Dieu permet que les plus meschans Princes regnent long-temps, & les bon peu, ce qu'il confirme par les exemples de Basa Roy d'Israël qui regna vingt quatre ans, & son fils trente cinq ans, & Manasses Roy de Juda, le plus meschant de tous les Roys, bien que fils d'un bon pere Ezechias, qui regna cinquante sept ans, ce qui nous doit assez faire voir la vanité de ce siecle, où les plus mauvais ont plus grand part que les gens de bien, auquel il semble souvent que toutes choses leur aillent à contrepoil, ce que Dieu permet pour les chastier comme enfans, ou pour les rendre plus conformes à luy comme amis, & pour cet effet leur promet des ennemis pour les punir de leur fautes (car il n'y a si bon qui ne manque) ou pour les empescher l'attache des grandeurs d'icy bas, ou ils se pourroient aysement perdre sans la malice de ses ennemis, qui émoussent leur gloire, car d'un advertissement ou conseil d'amis on en fait assez peu d'estat s'il n'est à nostre goust, bien que Diogenes dise que pour cognoistre soy-mesme ses fautes, il faut avoir un vray amy, ou ennemy, car l'un ny l'autre ne vous celle rien, mais quand les péchez sont grands, & que nous avons trop offencé, si Dieu ne nous dit mot, c'est signe que nous sommes perdus, sinon il nous envoye des maladies, des pertes de biens, des traverses d'amis, & de plus il esleve les mechans contre nous qui nous esprouvent comme l'or dans le creuset. Et de fait Anastasius rapporte qu'un bon Religieux se plaignant à Dieu, de ce qu'il avoit permis que Phocas aprés, avoir tué l'Empereur Mauritius, & ses enfans, s'empara de l'Empire; Dieu luy respondit, qu'il l'avoit permis pour punir son peuple, & que s'il en eut trouvé un plus meschant pour luy mettre la couronne sur la teste, il l'eust faict.

Parlons maintenant de la santé du corps, & des maladies ordinaires qui arrivent indifféremment & naturellement aux bons, & aux mauvais, afin de ne nous esloigner trop, de nostre premier sujet, & disons que les anciens Egyptiens avoient accoustumé d'user de vomitifs pour guerir les maladies du corps, & de sobrieté pour se conserver en santé, car ils tenoient pour maxime, indubitable, que les maladies corporelles ne provenoient que d'une trop grande abondance & superfluité d'humeurs, & par consequent qu'il n'y avoit aucun remede meilleur, pour la santé, que le vomissement & la diette, mais la diette principalement.

Troque Laerce, & Lactance, dient la cause pourquoy les Grecs demeurent si long temps sans avoir Medecins, ce fut pour ce qu'ils cueillaient au mois de May des herbes odoriferantes qu'ils gardoient en leurs maisons, se faisoient seigner une fois l'an, & non pas tous les jours comme l'on faict à Paris, se baignoient une fois le mois, & ne mangeoient qu'une fois le jour, & estoient si exacts observateurs de cette temperance & sobrieté, que Platon ayant esté interrogé s'il avoit veu aucune chose nouvelle en Sicile; Je vy, respondit-il, un monstre en nature, c'est un homme qui se saouloit deux fois par jour. Cela, disoit il, pour Denys le Tiran, lequel fut le premier qui introduit la coustume de manger deux fois par jour, sçavoir est disner à midy, & souper au soir, car toutes les autres Nations avoient accoustumé seulement de souper le soir, & les seuls Hebrieux disnoient à midy.

De vouloir à present exiger cela de nous en général, il y auroit bien des oppositions, mesmes dans les Cloistres, car la nature n'a plus les forces du passé, & va tousjours débilitant à mesure que la fin du monde approche, c'est une science que j'appris du R. P. Gontery Jesuite, en une conference qu'il eut en la presence de la Reyne Marguerite, avec un Maistre des Requestes, qui disoit au contraire (mais assez mal à mon advis) que si le corps, & les forces corporelles eussent tousjours diminué depuis la création de l'homme, que nous serions à present comme de petits fourmis. Cela estoit un peu brusquement parlé devant cette sage Princesse, mais qui avoit tant de respect aux gens Doctes & de merites, qu'elle en souffroit mesmes les petites saillies d'esprit, lors qu'eschauffez dans les disputes elles leurs eschapoient avant d'y avoir pensé.

Il est vray que nous ne pouvons pas esgaler, ny imiter de bien prés les austeritez & penitences des anciens, à qui toutes rigueurs sembloient autant douces & faisables, comme à nous ameres & insupportables, soit pour nostre foiblesse & imbecilité, ou pour nostre deffaut d'amour de Dieu, qui est nostre plus grand mal, mais encores si en trouve il d'assez forts qui pourraient faire davantage qu'ils ne font s'ils vouloient, pour le salut, ou pour la santé corporelle, de laquelle nous sommes fort amateurs, & souvent mauvais conservateurs, car nous ne voulons pas nous mortifier en rien, & voulons vivre en paix & ayse, & suivre nos appetits, sans distinguer des choses propres ou impropres, & de là vient que nous tombons si sonvent malades & restons indisposez, où abrégeons nostre vie; mais quoy la sobrieté a perdu son procès, il n'y a plus d'Advocats pour elle, les frippons l'ont bannie des bonnes compagnies, & n'est plus receuë qu'où elle est le plus en hayne.

L'Empereur Aurelian vescut jusques en l'an septante & sixiesme de son aage, durant lequel temps il ne fut jamais seigné ne médeciné, hormis que tous les ans il entroit au bain, tous les mois il se provoquoit à vomir, & si jeusnoit un jour toutes lés sepmaines, & tous les jours prenoit une heure pour se promener, qui estoient tous regimes & remedes faciles & aysez à pratiquer par ceux qui en ont le desir, car il n'y a si pauvre ny si riche qui ne le puisse faire, & observer de point en point, mais qui commencera.

Nos Sauvages ont bien la dance & la sobrieté, avec les vomitifs, qui leur sont utils à la conservation de leur santé (car j'en ay veu quelqu'uns passer les jours entiers sans manger) mais ils ont encores d'autres preservatifs desquels ils usent souvent: c'est à sçavoir les estuves & sueries, par le moyen desquelles ils s'allegent & previennent les maladies, & puis ils sont tellement bien composez qu'ils sont rarement malades, & encores plus rarement goutteux, graveleux, hypocondres ou pulmoniques, mais ce qui ayde encor grandement à leur bonne disposition est, qu'ils sont engendrez de parens bien sains & dispos, d'un humeur & d'un sang bien temperé, & qu'ils vivent en une parfaite union & concorde entr'eux sont tousjours contens, n'ont aucun procés, s'interressent fort peu pour les grades & biens de la terre, qu'ils possedent avec une grande indifférence, c'est à dire, que les perdans ils ne perdent pas leur tranquilité, ainsi en usent les gens de bien, & non les autres, qui n'ont point d'amour de Dieu, & se piquent pour la moindre perte qui leur arrive.

Il n'y a neantmoins corps si bien composé ny régime si bien observé qui le puisse maintenir pour tousjours dans une egale santé, qu'il ne faille à la fin s'affoiblir ou succomber par divers accidens ausquels l'homme est sujet. Pour donc prevenir & remedier à tous ces deffauts & incommoditez du corps humain: outre les susdits remedes nos Sauvages ont des Medecins, Apoticaires, & Maistres des ceremonies qu'ils appellent Oki, ou Ondaxi, & d'autres Arondiouane, ausquels ils ont une grande croyance, pour autant qu'ils sont pour la pluspart grands Magiciens, grands devins, & invocateurs de Demons: Ils leur servent de Medecins, & Chirurgiens, & portent tousjours avec eux un petit sac de cuir dans quoy ils tiennent quelques petits remedes pour les malades, comme poudres de simples ou de racines, avec la tortue que l'Apoticaire luy porte en queue.

Ceux qui font particulière profession de consulter le diable, & predire les choses à venir ou cachées, (car tous n'en ont point le grade) ont quelques autres petits instrumens qui leur servent à ce mestier, dont je vous diray ceux qui se trouverent dans le sac de Trigatin, estimé bon Pirotois, & tres-excellent Medecin. Il y avoit premièrement une pierre un peu plus grosse que le poing taillée en ovalle, de couleur un peu rouge, ayant un traict noir tout autour prenant d'un bout à l'autre, dont ils tiennent que quand quelqu'un doit mourir de la maladie dont il est atteint, elle s'ouvre un peu par le petit traict noir, & que s'il n'en doit pas mourir elle ne s'ouvre point, s'entend qu'il faut que le Pirotois approche la pierre du malade.

Il y avoit aussi dans ce sac, cinq petits battons de cedre, longs de six ou sept pouces chacun, & un peu bruslé autour, desquels ils se servent pour predire les choses à venir, & pour advertir des passées. Qu'il ne s'y mette tout plein de bourdes parmy leurs propheties, personne n'en peut douter, c'est pourquoy est malheureux celuy qui hebeté s'y fie. Je ne fais point icy mention du petit tabourin de basque avec quoy ils resveillent l'esprit des malades, & conjurent le diable, pour ce que j'en ay parlé ailleurs, mais je vous diray que nous avons une grande obligation à nostre bon Dieu, de nous avoir donné de meilleurs Medecins, & pour le corps & pour l'ame, qui doit un jour jouyr de son Dieu.

S'il y a quelque malade en un village on l'envoye aussi tost querir, on l'informe de la maladie, on luy declare le temps qu'elle a commencé, si elle est naturelle, ou par fois: car il y a des meschans parmy eux aussi bien qu'entre les Epicerinys, qui en donnent à garder à ceux contre qui ils en veulent. Aprés quoy il fait des invocations à son Demon, il souffle la partie dolente, il y fait des incisions avec une pierre trenchante, en succe le mauvais sang, & fait en fin tout le reste de ses inventions, selon les maladies, car pour les sorts, il faut que les dances, chansons, Negromantie, soufflemens, bruits & hurlemens marchent aussi bien que les festins & récréations, qu'il ordonne tousjours pour premier appareil, afin de participer luy mesme à la feste; puis s'en retourne avec ses presens.

S'il est question d'avoir nouvelle des choses absentes ou advenir, aprés avoir interrogé son demon, il rend ses oracles, mais le plus souvent faux ou douteux, & quelquefois veritables: car le diable parmy les mensonges leur dit quelque verité pour se mettre en credit, & se faire croire habile esprit.

Un honneste Gentilhomme de nos amis nommé le sieur de Vernet, qui a demeuré une année avec nous au pays des Hurons, nous a asseuré, que comme il estoit dans la cabane d'une Sauvagesse vers le Bresil, qu'un Demon vint frapper trois grands coups sur la couverture de la cabane, & que la Sauvagesse qui cogneut que c'estoit son Demon, entra dés aussi tost dans sa petite tour d'escorce, où elle avoit accoustumé de recevoir ses oracles, & entendre les discours de ce malin esprit. Ce bon Gentilhomme, preste l'oreille, & escoutant le colloque entendit le diable que se plaignoit à elle, disant qu'il estoit fort las & fatigué, pour venir de fort loin guerir des malades, & que l'amitié particulière qu'il avoit pour elle, l'avoit obligé de venir voir ainsi lassé, puis pour l'advertir qu'il y avoit trois Navires François en mer qui arriveroient bien tost, ce qui fut trouvé veritable: car à trois ou quatre jours de là les Navires arriverent, & aprés que la Sauvagesse l'eut remercié, & fait ses demandes, le Demon disparut.

L'un de nos François estant tombé malade en la Nation du Petun, ses compagnons qui s'en alloient à la Nation Neutre, le laisserent à en la garde d'un Sauvage, auquel ils dirent. Si cestuy nostre camarade meure, tu n'as qu'à le despouiller de sa robbe, faire une fosse & l'enterrer dedans, car aussi bien ne feroit elle que se pourrir dans la terre. Ce bon Sauvage demeura tellement scandalisé du peu d'estat que ces François faisoient de leur compatriot, qu'il s'en plaignit par tout, disant qu'ils estoient des chiens d'abandonner ainsi leur compagnon malade, & de conseiller qu'on l'enterrast tout nud s'il venoit à mourir. Je ne feray jamais cette injure à un corps mort bien qu'estranger, disoit-il, & me despouillerois plustost de ma robbe pour le couvrir, que de luy oster la sienne pour m'en servir.

L'hoste de ce pauvre garçon sçachant sa maladie partit aussi-tost de sainct Gabriel, que nous appellons autrement la Rochelle, où Quieuindahon, d'où il estoit pour l'aller querir, & assisté de ce Sauvage qui l'avoit en garde l'apporterent dans une hotte sur leur dos jusques dans sa cabane, où en fin il mourut, apres avoir esté confessé par le Pere Joseph, & fut enterré en un lieu particulier hors du Cimetiere des Sauvages, le plus honorablement, & avec le plus de ceremonies Ecclesiastiques qu'il nous fut possible; dequoy les Sauvages resterent fort edifiez, & assisterent eux mesmes au convoy avec tous nos François, qui s'y trouverent avec leurs armes, car ils sont ensemblement ayse de voir honorer les trespassez. Ils ne voulurent pas neantmoins que ce corps fut enterré dans leur Cimetière, pour autant, disoient-ils, que nous n'avions rien donné, pour ses os, & qu'il faudrait qu'il eut part en l'autre vie, aux biens de leurs parens & amis deffuncts, s'il estoit enterré avec eux.

Nonobstant, les femmes & filles, firent les pleurs & lamentations accoustumez avec l'ordre du Médecin, qui luy-mesme s'estoit presenté pour faire son sabbat, & ses superstitions ordinaires envers ce pauvre garçon, mais nos Religieux ne luy voulurent pas permettre qu'il en approchast, car il n'avoit aucun remede naturel propre à la maladie, c'est pourquoy il fut renvoyé, & payé d'un grand mercy & puis à Dieu.

Je me suis informé d'eux, des principales plantes, & racines, desquelles ils se servent pour leurs maladies & blessures, mais entre toutes ils font principalement estat de celle appellée Oscar, les effects de laquelle font merveilleux & divins en la guerison des playes, ulceres, & blessures, aussi les Hurons en font une estime si grande que peu s'en faut qu'ils ne l'adorent, tant ils relevent & venerent ses vertus, & les bons effects qu'ils en reçoivent. Ils m'en donnerent un morceau, de la tige environ de la longueur du petit doigt, & gros un peu moins, je la consideray curieusement, & me sembla en tout approchant au fenouil, quoique ce soit une autre plante, & qui leur est rare, car on n'en trouve qu'en certains lieux.

Ils ont tout plein d'autres plantes, & racines de grande vertu, & mesme des arbres qui portent une escorce grandement excellente pour vomitif, & autres cures, mais je ne me fuis point informé des noms, ny de leurs principales proprietez, sinon de quelqu'unes qui me sont encores eschappées de la memoire, pour le peu d'expérience que j'ay aux choses de médecine.

Je croy que le Createur a donné aux Hurons le tabac ou petun, qu'ils appellent Hoüanhoüan, comme une manne necessaire pour ayder à palier leur miserable vie, car outre qu'elle leur est d'un goust excellentissime, elle leur amortit la faim & leur faict passer un long-temps sans avoir necessité de manger: & de plus elle les fortifie comme nous le vin, car quand ils se sentent foibles ils prennent un bout de petun, & les voyla gaillards. Elle a beaucoup d'autres vertus, qui nous sont icy incognues & non point à plusieurs Espagnols, qui la nomment pour cet effet l'herbe saincte, mais l'usage en est beaucoup meilleur & salubre aux Sauvages qu'à nous autres, à qui Dieu à donné en autre chose tout ce qui nous faict besoin, & conseillerois volontiers à tous les Gaulois de n'en user point, que par grande necessité, pour ce que le goust en est tellement charmant qu'en ayant pris l'usage, on ne s'en peut deffaire qu'avec grande difficulté dont j'en ay veu aucuns maudire l'heure de s'y estre jamais accoustumés.

J'ay dit quelque endroit de ce volume, que le Mayz ou bled d'Inde a beaucoup de suc & de substance, pour la nourriture du corps humain, mais plusieurs ont philosophé sur les autres vertus, ont jugé & trouvé par expérience, qu'il est fort propre à guerir les maux de reims, les douleurs de la vessie, la gravelle, & retentions d'urine, dequoy ils se sont advisez, pour avoir pris garde qu'il n'y a presque point d'Indiens qui soient travaillez de ces maladies, à cause de leur boisson ordinaire, qui est faicte de Mayz.

Nos Sauvages ont aussi des racines tres-venimeuses, qu'ils appellent Ondachiera, desquelles il se faut donner de garde, & ne se point hasarder d'y manger d'aucune sorte de racine, que l'on ne les cognoisse, & qu'on ne sçache leurs effects & leurs vertues; de peur des accidens inopinez qui nous sont quelquefois arrivez.

Nous eusmes un jour une grande apprehension d'un François, qui pour en avoir mangé d'une qu'il avoit luy mesme arrachée dans les forests, devint tout en un instant pasle comme la mort, & tellement malade que nous fusmes contraints d'avoir recours aux Sauvages pour avoir quelque remede à un mal si inopinement arrivé, lesquels luy firent avaller un vomitif composé d'eau & de simples, avec de l'escorce de certains bois qui luy fit rendre tout le venin qu'il avoit dans l'estomach, & par ce moyen fut guery, & appris pour une autre fois, de ne manger d'aucune herbe ny racine, que celles que les Sauvages luy diroient, ou desquelles il cognoistroit luy mesme les effects.



Continuation du traitté de la santé, & maladies des Sauvages, & de celles qui sont dangereuses & imaginaires. Des estuves & sueries, & du dernier remede qu'ils appellent Lonouoyroya.

CHAPITRE XLII.

IL nous arriva encore une autre seconde apprehension, mais qui se tourna bientost en risée, ce fut que certains petits Sauvages ayans des racines qu'ils appellent Ooxrat, ressemblans à un petit naveau ou chastaigne pellée, qu'ils venoient d'arracher pour leurs cabanes, un jeune garçon François nostre disciple, leur en ayant demandé & mangé une ou deux sans s'informer de ses effets, les trouva bonnes au commencement, & d'un goust assez agreable, mais qui se convertist soudain en de très-cuisantes & picquantes douleurs, qu'il sentoit par tout dans la bouche & la langue, qu'il avoit comme en feu, & outre cela, les phlegmes luy distiloient continuellement de la bouche qu'il tenoit ouverte, la teste panchée en bas pour leur donner cours, ce qui me faisoit compassion.

S'il estoit bien empesché en ses maux, l'apprehension de la mort luy estoit la plus sensible, comme à nous mesmes l'ignorance de sa maladie, jusque à ce que les Sauvages nous eurent adverty en se gaussant plaisamment, que le garçon en tenoit, mais qu'il n'en mourroit pas pourtant. Cela nous consola fort, car je vous asseure que nous nous trouvions bien empeschez, & ne sçavions quel remede apporter à ce mal inopiné.

Je vous manifesteray comme les Sauvages en usent pour leur santé, avec fruict & sans douleur, mais au préalable, il faut que je vous die, que nostre petit disciple n'y pas le dernier pris, car quelques François s'estans trouvez presents à sa disgrace, y trompèrent plusieurs de leurs compagnons, qui en murmuroient assez pendant que les autres s'esgorgeoient de rire. Cela fut en partie la cause que je n'en apportay point en Canada pour la France, peur qu'on ne dis que j'avois apporté de quoy rire, preferant ce petit interest d'honneur, au grand estat qu'on en eut fait d'ailleurs, pour son excellente propriété de purger le cerveau, & d'esclaircir la face, mieux qu'aucune autre drogue que nous ayons icy.

Lors que nos Hurons, vieillards & autres se sentent le cerveau par trop chargé d'humeurs & de phlegmes qui leur incommodent la santé, ils envoyent de leurs enfans (je dis de leurs enfans, pour ce qu'ils n'ont ny vallets, ny chambrieres, non plus que de manoeuvres ou gens à la journée, en tout ces pays là) chercher de ces petits naveaux, lesquels ils font cuire sous les cendres chaudes, & en mangent un, deux, ou trois au matin, ou à telle heure de la journée qu'il leur plaist, & n'en ressentent aucune douleur ny incommodité que de tenir leur teste panchée, pendant que les flegmes leur distillent de la bouche.

Lescot dit que les Montagnais & Canadiens ont un arbre appelle Annedda d'une admirable vertu, contre toutes sortes de maladies corporelles, intérieures, & exterieures, duquel ils pilent l'escorce & les feuilles qu'ils font bouillir en de l'eaue, laquelle ils boivent de deux jours l'un, & mettent le marc sur les parties enflées & malades, & s'en trouvent bien-tost guéris, principalement d'un mal de terre qui a fort couru.

J'ay veu de nos Hurons lesquels pour se rendre plus souples à la course, se découpent le gras des jambes, en chausses de Suisses, avec des pierres tranchantes, & les parties enflées pour les purger des mauvaises humeurs, qu'ils sapoudroient de je ne sçay quelle poudre, aprés que L'oki avoit craché dessus. Je ne veux pas dire qu'il soient grands Chirurgiens, car je me tromperois, mais encores ne sont ils point tant impertinens qu'on pourroit bien dire, il leur reussit quelquefois de guerir des playes assez dangereuses avec les seuls simples sans composition, & n'ont pour toute ligature, linge ou compresse, que des écorces de bouleaux & d'un certain arbre appellé Atti, qui leur est util en beaucoup de choses.

Allant voir les malades parmy les Hurons, il me falloit souvent faire du Medecin & n'y cognoissois rien, mais il le falloit faire pour les contenter, car m'ayans veu taster le poulx à l'un d'iceux & dit qu'il ne mourroit point de cette maladie, (c'est que je n'y trouvois point de fiebvre,) il me fallut aprés toucher le poulx de tous les autres & en dire mon advis. C'estoit un mestier qui m'estoit bien nouveau & n'en parlais que comme un aveugle des couleurs, car à dire vray, si la fiebvre n'est fort violente, je ne la cognois point à moy mesme, comme il parut bien il y a quelques années que je me trouvois tres mal d'une fiebvre fort violente, pour la première fois de ma vie, je dis au Medecin que je sentois du mal par tout, mais sans fiebvre.

Selon que j'ay pû apprendre & cognoistre dans la communication ordinaire & familiere que j'ay eue avec nos Hurons, les Sauvages ne sçavent l'art de tater le poulx, ny de juger d'une urine, & ne cognoissent non plus la fiebvre, sinon par le froid ou dans les grandes ardeurs qu'ils rafreschissent (joinct nos Canadiens) avec quantité d'eau fresche, qu'ils jettent sur le corps du malade, & non pas nos Hurons.

Ils ne sçavent aussi que c'est de purger le corps, ny de guerir les maladies, si elles ne sont extérieures, car pour le dedans ils n'ont autre remede, que les vomitifs & les superstitions, c'est pourquoy les pauvres malades ont beau languir, & tirer la langue sur la terre nue fors une natte de joncs, qui leur sert de lict, avant qu'ils puissent recevoir guerison de leur chanterie & superstitions. Ils nous demandoient de Lenonquate, c'est à dire quelque chose propre à guerir, mais n'ayant autre drogue, je leur donnois un peu de canelle, ou un peu de gingembre avec tant soit peu de sucre, (car je n'en avois gueres,) qu'ils delayoient & faisoient tremper (apres estre bien pulverisé,) dans de l'eau claire, laquelle ils avalloient comme une medecine salutaire, & s'en trouvoient bien, du moins ils en restoient fort contens, & le coeur fortifié.

Neantmoins la compassion que j'ay de ces pauvres malades, me faict vous dire derechef, que c'est une grande pitié de les voir languir; couchés de leur long, à platte terre sur une meschante natte de jonc, sans couchette, sans lict, sans linceuls, sans mattelats & sans chevet, privés de toute douceur & rafraichissement, fors de quelques petits poissons boucanez fort puants, & de la sagamité ordinaire, pour quelque maladie qu'ils ayent. O mon Dieu! ils ne geignent neantmoins point tant que nos malades, ils ne disent pas, mon chevet est trop haut ou trop bas, mon lict n'est pas bien faict, on me rompt la teste, les sauces ne sont point à mon appetit, je ne puis prendre goust à tout ce que vous faictes, car ils demeurent couchez sur la natte, patiens comme des Saincts.

Quand ils se trouvent las du chemin ou appesantis par accident, (ce qui arrive fort rarement) ou qu'ils veulent fortifier leur santé, ou prevenir quelque maladie, qui les menace, ils ont accoustumé de se faite suer dans des estuves qu'ils dressent au milieu de leurs cabanes, ou emmy les champs, ainsi que la fantasie leur en prend, car voyageant mesmes ils en uzent pour se soulager & delasser du chemin, mais il faut qu'ils soient plusieurs, autrement la suerie ne seroit pas bonne, & ne pourroient pas s'exciter suffisamment.

Or quand quelqu'un veut faire suerie, il appelle plusieurs de ses amis, lesquels sont aussitost prests, car en faict de courtoisie ils sont assez vigilans, soit pour la faire, soit pour la recevoir; estans assemblez, les uns picquent en terre des grosses gaules environ un pied l'une de l'autre, qu'ils replient à la hauteur de la ceinture en façon d'une table ronde, pendant que les autres font chauffer dans un grand feu six ou sept cailloux, qu'ils mettent aprés en un monceau au milieu de ce four qu'ils entourent d'écorces, & couvrent de leurs robes de peaux après que les hommes y sont entrez tout nuds assis contre terre, serrez en rond les uns contre les autres, & les genouils fort eslevez devant leur estomach, peur de se brusler les pieds. Et pour s'eschauffer encore davantage & s'exciter à suer, ils chantent là dedans incessamment frappant du tallon contre terre & doucement du dos les costez de ces estuves, puis un seul chante & les autres repetent comme en leurs dances, se refrein het, het, het, & estans fort lassez, ils se font donner un peu d'air, & par fois ils boivent encores de grands coups d'eau froide, qui seroient capables de donner de grosses maladies à des personnes moins robustes puis se font recouvrir, & ayans sué suffisamment, ils sortent de là & se vont jetter dans la riviere, sinon, ils se lavent d'eau froide, ou s'essuyent de leurs robes, puis festinent & se remplissent pour dernier médicament.

S'ils sont en doute que la suerie leur doive reussir, ils offrent du petun & le bruslent en sacrifice à cet esprit qui la gouverne, comme s'il estoit un Dieu ou une puissance souveraine. Je m'estonnois fort de voir de nos François dans ces estuves pesle mesle avec les Sauvages, car à mon advis ils y sont comme estouffez sans aucun air, & si pressez, les uns contre les autres, qu'ils se peuvent à peine retourner.

Il arrive aucunes fois que le Medecin ordonne à quelqu'un de leurs malades de sortir du bourg, & d'aller cabaner dans les bois ou à quelque lieu à l'escart, pour luy aller là observer ses diaboliques inventions, ne voulans estre veu de personne en de si estranges & ridicules ceremonies, mais cela ne s'observe ordinairement qu'à ceux qui sont entachez de maladie salle ou dangereuse, lesquels on contrainct de se separer des autres peur de les infecter & d'aller cabaner au loin jusques à entiere guerison, qui est une coustume louable & qui devroit estre pratiquée par tout, pour les inconveniens qui arrivent tous les jours par la fréquentations de personnes mal nettes, plus frequentes icy que là, où les François semblent avoir des-ja mis quelque mauvaise racine, car qu'elle y fust auparavant je n'en ay rien sçeu, ny appris de personne.

Je me promenois un jour seul, dans les bois de la petite nation des Quiennonteronons, pour chercher quelque petits fruicts à manger, comme j'apperceu un peu de fumée au travers les bois, qui me donna la curiosité de vouloir sçavoir que c'estoit, j'advançay donc & tiray celle part, où je trouvay une cabane faicte en façon d'une tour ronde ayant au faite un trou ou souspiral par où sortoit la fumée: non content, j'ouvris doucement la petite porte pour voir qui estoit là dedans, & trouvay un homme seul, estendu de son long sur la platte terre, enveloppé dans une méchante couverture de peau, auprés d'un petit feu.

Je m'informay de luy de la cause de son esloignement du village, & pourquoy il se deuilloit; il allongea son bras sur luy & me dit moitié en Huron & moitié en Algoumequin, que c'estoit pour un mal qu'il avoit aux parties naturelles, qui le tourmentoit fort, & duquel il n'esperoit que la mort; & que pour de semblable maladies ils avoient accoustumé entr'eux de se separer & esloigner du commun, ceux qui en estoient entachez; peur de gaster les autres par la frequentation, & neantmoins qu'on luy apportoit les petites necessitez & partie de ce qui luy faisoit besoin, ses parens & amis ne pouvans pas davantage pour lors, à cause de leur pauvreté & que plusieurs d'iceux estoient morts de faim l'Hyver passé. J'avois beaucoup de compassion pour luy; mais cela ne luy servoit que d'un peu de divertissement & de consolation en ce petit espace de temps que je fus auprés de luy: car de luy donner quelque nourriture ou rafraischissement, il estoit hors de mon pouvoir, puis que j'estois moy mesme à demy mort de faim & tellement necessiteux, que je cherchois par tout dans les bois quelques petits fruicts pour amortir ma faim & fortifier mon estomach tout abbatu.

J'ay veu au païs de nos Hurons de certains malades, qui sembloient plustost possedez du malin esprit ou fols tout à faict, qu'affligez de maladie naturelle, ausquel il prendra bien envie de faire dancer toutes les femmes & filles ensemble, avec l'ordonnance de Loki; mais ce n'est pas tout, car luy & le medecin, accompagnez de quelqu'autre, feront des singeries & des conjurations, & se tourneront tant qu'ils demeureront le plus souvent hors d'eux mesmes: puis il paroist tout furieux, les yeux estincelans & effroyables, quelquefois debout & quelguefois assis, ainsi que la fantaisie luy prend; aussitost une quinte luy reprendra, & fera tout du pis, renversera brisera & jettera tout ce qu'il trouvera en chemin avec des insolences nompareilles, puis se couche où il s'endort quelque espace de temps, & se resveillant en sursaut r'entre dans ses premières furies, lesquelles se passent par le sommeil qui luy prend. Aprés il faict suerie avec quelqu'un de ses amis qu'il y appelle. D'où il arrive que quelqu'uns de ces malades se trouvent gueris & des autres au contraire joignent la maladie du corps avec celle de l'esprit.

Il y a aussi des femmes qui entrent en ces hipocondries, & saillies d'esprit, mais elles ne sont si insolentes que les hommes, qui sont d'ordinaire plus tempestatifs: elles marchent à quatre comme bestes, & font mille grimasses & gestes de personnes insensées & allienées de leur esprit; ce que voyant le Magicien, il commence à chanter puis avec quelque mine la soufflera, luy ordonnant de certaines eauës à boire, & qu'aussi-tost elle fasse un festin, soit de chair ou de poisson qu'il faut trouver, encore qu'il soit rare, neantmoins il est aussi-tost prest.

Le banquet finy, chacun s'en retourne en sa maison, jusque à une autrefois, qu'il la reviendra voir, la soufflera, & chantera derechef, avec plusieurs autres à ce appellez, & luy ordonnera encore 3 ou 4 festins tout de suitte, & s'il luy vient en fantaisie commandera des mascarades, & qu'ainsi accommodez ils aillent chanter prés du lict de la malade, puis courir les rues pendant que le festin se prepare; auquel ils reviennent, mais souvent bien las & affamez.

J'ay esté quelquefois curieux d'entrer au lieu où l'on chantoit les malades, pour en voir toutes les ceremonies; mais les Sauvages n'en estoient pas trop contens, & m'y souffroient avec peine, pour ce qu'ils ne veulent point estre veus en semblables actions. Ils rendent aussi le lieu où cela se faict, le plus obscur & tenebreux qu'ils peuvent, & bouchent toutes les ouvertures qui peuvent donner quelque lumiere, & ne laissent entrer là dedans que ceux qui y sont necessaires & appellez.

Pendant qu'on chante, il y a des pierres qui rougissent au feu, lesquelles le medecin empoigne & manie entre ses mains, puis masche des charbons ardans, faict le demon deschaisné, & de ses mains si eschauffées, frotte & souffle avec un sifflement, qu'il faict bruire entre ses dents, les parties dolentes du patient, ou crache sur le mal de son charbon masché. Cette dernière ceremonie des pierres & du charbon ne s'observe pas à tous indifferemment, mais à des particuliers selon l'ordre du medecin, qui n'oublie jamais la tortue au païs de nos Hurons, ny entre nos Montagnais le petit tambour de basque, que les Pirotois portent allans voir leurs malades, avec le reste de leur boutique & petits agisios.

Lors que tous les remedes humains n'ont de rien servy, ny les inventions ordinaires de nos Sauvages, ils tiennent Conseil, auquel ils ordonnent la ceremonie qu'ils appellent, Lonouoyroya, qui est l'invention principale & le moyen plus excellent, (à ce qu'ils disent,) pour chasser les diables & malins esprits de leurs bourgs & villages, qui leur causent & procurent toutes les maladies & infirmitez qu'ils endurent & souffrent au corps & en esprit.

Le jour de la feste estant assigné, ils en commencent la ceremonie dés l'aprés souper du soir precedent, mais avec des furies, des fracas & des tintamarres si grands qu'ils semblent un sabat de demons, car les hommes brisent, renversent & jettent tout ce qu'ils rencontrent en leur chemin, de sorte que les femmes sont en ce temps là fort occupées à serrer & mettre de costé ce qu'elles ne veulent point perdre. Ils jettent le feu & les tizons allumez par les rues crient, chantent, hurlent & courent toute la nuict par le village & autour des murailles ou pallissades comme fols & insensez.

Aprés que le sabat a esté bien demené ils s'arrestent un peu à la première pensée qui leur vient en l'esprit de quelque chose qui leur fait besoin, sans en parler à personne, puis le matin venu ils vont de cabane en cabane, & de feu en feu, & s'arrestent à chacun un petit espace de temps, chantans doucement les louanges de ceux qui leur donnent quelque chose; disans: Un tel m'a donné cecy, un tel m'a donné cela, & autres semblables complimens, qui obligent les autres mesnages de leur donner quelque chose, qui un cousteau, qui un petunoir, un chien, une peau, un canot, ou autre chose qu'ils acceptent de bonne volonté sans autre ceremonie, & continuent de recevoir par tout, jusques à ce que par rencontre on leur donne la chose qu'ils avoient songée, & pour lors la recevant ils font un grand cry & s'encourent hors de la cabane joyeux & contans d'avoir rencontré leur songe, pendant que ceux qui y restent crient, l'acclamation ordinaire, hé,é,é,é,é,é, & ce present est pour luy & l'augure qu'il ne doit pas si-tost mourir: mais pour les autres choses qui ne sont point de son songe, il les doit rendre après la feste, à ceux qui luy ont baillées.

Il s'y coule neantmoins quelquefois de la tromperie, car tel retiendra une piece qu'il dira avoir songée, qui n'y aura pas pensé, comme il arriva à un François nommé Matthieu, lequel ayant donné à un jeune Sauvage une chaine de rassades, pensant qu'elle luy deut estre rendue, l'autre luy dit qu'elle estoit son songe & fut pour luy, bien qu'on aye après sçeu sa fourbe & tromperie.

Cette feste dure ordinairement trois jours entiers, & ceux qui pendant ce temps là n'ont pû trouver ce qu'ils avoient songé, s'en affligent & tourmentent, & s'estiment miserables, comme des gens qui doivent bien-tost mourir. J'y ay veu des femmes aussi-bien que des hommes porter à quatre une grande peau d'Eslan, chargée de mille beatilles & de presens. Il y a mesmes des pauvres malades qui s'y font porter, sous l'esperance d'y trouver leur songe & leur guerison, & neantmoins il ne remportent qu'une lassitude & un rompement de teste, qui les conduit souvent de la feste au tombeau.

Je n'ay rien remarqué de particulier aux Canadiens qui ne puisse convenir aux remedes de nos Hurons, car si les Médecins des uns sont bien impertinens & superstitieux, les Pirotois des autres sont auffi peu sages & experimentez en leur art. Ce petit Sauvage qui mourut sur mer à son retour de France, dans le mesme vaisseau des PP. Gallerant & Piat qui le baptizerent, fist bien contre la maxime de leurs medecins en mangeant, toujours pour sauver sa vie, car ils font faire à leurs malades des diettes nompareilles, & ne trouvent pas bon qu'on les importune de manger beaucoup, disans qu'estans malades ils ne peuvent avoir d'appetit, & par consequent qu'ils ne doivent pas manger ou fort peu, pour n'incommoder leur estomach.

Ils soufflent leur malades comme nos Hurons, leur faisant souvent à croire que c'est par cette partie là qu'ils tireront leur mal, & pour mieux faire leur jeu ils leur disent que c'est un homme d'une nation estrangere, qui leur a donné ce mal là, où il s'est formé une petite pierre qui leur cause la douleur, & comme bon charlatans en ayans pris une petite dans la bouche, aprés avoir bien soufflé la partie dolente ou autre part, ils la sortent de le bouche & leur disans que c'est celle qui leur faisoit douleur, ce que les malades croyent & s'en tiennent soulagez, mais c'est dans l'imagination.

Ils uzent aussi quelquefois de vrays remedes, comme de decoctions d'herbes & d'escorces qui leur servent grandement, & en reussit de bonnes cures qui mettent en crédit leur charlataneries, autrement on auroit bien-tost descouvert leur piperies aussi bien faictes que celles de quelques malicieux Chirurgiens, dont j'ay experimenté une fois en une playe qu'on m'entretint l'espace de six sepmaines sans amendement, qui se guerit aprés en trois jours sans aucun onguent, peut estre neantmoins que celuy qui me traictoit n'en sçavoit pas davantage, & que je le dois excuser, mais tousjours est-ce une grande faute d'employer des ignorans.

Il y eut un jour un Sauvage appellé Neogabinat, lequel avec quelque autres Sauvages de ses amis, ayans beu avec excès d'une eau de vie qu'ils avoient traictée des François pour de la chair d'eslan, estans tous bien enyvrez & de repos prés d'un grand feu dans leurs cabanes, quelqu'uns d'eux demanderent à Neogabinat s'il vouloit lutter, & esprouver ses forces, lequel ayant respondu que non & persisté à ce refus, ils luy dirent qu'ils le coucheroient donc au travers du feu, & n'y manquèrent pas, car les uns le prirent par les pieds & les autres par la teste & le couchèrent tout au travers des charbons tout nud qu'il estoit, & y demeura courageusement autant long-temps qu'il fallut pour donner loisir aux femmes de l'en retirer, autrement il s'y fust laissé brusler & consommer comme un homme mort car il ne fretilloit point, non tant à cause du vin que de son courage qu'il vouloit faire paroistre en se tourment, elles ne le purent neantmoins si promptement oster de dessus ses charbons ardans, qu'ils avoient esbrasillé exprés, comme un lict d'honneur, qu'il n'en demeurat tout rosty depuis la teste jusques à la plente des pieds, de manière qu'il luy fallut oster les charbons qui luy tenoient par tout à la chair, dont il fut fort malade & en danger de mort, ce qui luy donna l'envie d'envoyer en nostre Convent, prier qu'on le vint baptiser, mais il fut si admirablement bien secouru qu'au bout des dix jours il commença de se lever, & nous aller visiter jusques chez nous, où il monstra à nos Religieux ce dequoy il s'estoit servy pour se guerir, qu'estoit de la seconde escorce d'un arbre, appellé pruche espece de sapin, laquelle ces gens luy faisoient bouillir & de la decoction ils l'en lavoient continuellement, ce qui le rendit sain & gaillard en moins de trois sepmaines.



Pourquoy les Sauvages errants tuent aucunefois de leurs parens trop vieux ou malades. D'un François qu'ils voulurent assommer, & de la cruauté de deux femmes Canadiennes qui mangerent leur marys.

CHAPITRE XXXXIII.

LEs vieillards decrepis, & personnes malades dans l'extremité entre les peuples errans sont en cela plus miserables que ceux des nations sedentaires, que ne pouvans plus suivre les autres, ny eux moyen de les nourrir & assister, (si ces malades le trouvent bon,) leurs parens les tuent aussi librement comme l'on pourroit faire un mouton, encores pensent ils en cela leur rendre de grands services, puis qu'estans dans l'impuissance de les pouvoir suivre & eux de les assister, faudrait qu'ils mourussent miserablement par les champs, qui est neantmoins une grande cruauté & qui surpasse celle des bestes bruttes, desquelles on ne lit point qu'elles fassent le mesme envers leurs petits.

Le Truchement des Honqueronons me dit un jour que comme ils furent un long-temps pendant l'Hyver sans avoir de quoy manger autre chose que du petun, & quelque escorce d'un certain arbre que les Montagnais nomment Michian, lesquels ils fendent au Printemps pour en tirer un suc doux comme du miel, mais en fort petite quantité, autrement cet arbre ne se pourroit assez estimer; je n'ay point gousté de ceste liqueur, comme n'ay faict de celle du fouteau, mais la croy tres-bonne au goust de l'escorce de laquelle j'ay mangé parmy nos Hurons, bien que fort peu souvent & plustost par curiosité que par necessité, d'autant qu'ayant autre chose à disner ils laissent ceste viande là pour les plus necessiteux Canadiens, qui manquent souvent de tout & autre chose. Ce pauvre garçon me dit donc qu'il pensa estre au mourir de ce jeusne trop estroit, & que les Sauvages plus robustes le voyant en cest estat, touchez de compassion le prierent qu'il agrea qu'on l'achevast de faire mourir, pour le delivrer des peines & langueurs dont il estoit abbattu, puis qu'aussi bien faudroit il qu'il mourut miserablement par les champs, ne les pouvans poursuivre ny eux l'assister n'ayans pas dequoy, mais il fut d'avis que l'on ne touchast point à sa vie, & qu'il valoit mieux languir & esperer en nostre Seigneur que de mourir comme une beste qui ne se se confie point en Dieu, aussi avoit il raison, car à quelques jours de là, ils prindrent trois Ours, qui les remirent tous sur pieds; & en leurs premieres forces, aprés avoir esté 14 ou quinze jours en jeusnes continus laissé sans prendre autre nourriture que la fumée du petun, & quelque escorce d'arbre, qui estoit quelque chose de plus que ne souloit prendre un certain Gentilhomme Venicien, lequel ayant receu quelque desplaisir se mit au lit en resolution de ne manger point, & de faict quelque remonstrance qu'on luy pû faire il demeura (au grand estonnement d'un chacun) 63 jours sans prendre autre chose que l'eau du puis de sainct Marc, au bout desquels il deceda en crachant & vomissant du sang.

Il me semble avoir appris que l'Escriture Saincte ne fait mention que d'un seul enfant mangé en Jerusalem par ses propres parens, au temps de la famine, qui fut trés grande durant le siege des Romains; mais voicy une histoire bien plus estrange arrivée en Canada environ l'an 1626 ou 27 de deux femmes Canadiennes qui mangerent leur marys, le pere & le fils, dont on eut beaucoup de regret à l'habitation, tant pour leur malheureuse fin, que pour la bonne affection qu'ils avoient tousjours euë pour les François, qui les aymoient aussi reciproquement: L'un estoit un bon vieillard de 80 ans, ou environ, appellé Oustachecoucou, autrement nommé par les François, le grand oncle du pere Joseph, ainsi appellé pour avoir passé un Hyver avec luy dans les bois. L'autre estoit son fils aisné aagé de quelque trente ans ou environ estimé un des meilleurs chasseurs de sa Nation, desquels je vay vous declarer succinctement comme le malheur de leur mort arriva.

Apres la pesche de l'anguille qu'on a accoustumé de faire tous les ans environ le mois d'Octobre, le bon vieillard Oustachecoucou, prevoyant à la necessité future, en pensoit serrer quelque quantité de pacquets boucannés dans nostre Convent pour leur servir au temps de la necessité, & des basses neiges (pendant lesquelles on ne peut attrapper l'eslan, ny le cerf) mais sa femme un peu trop acariate, n'y voulut jamais consentir, car elles ont un tel pouvoir sur leurs marys, qu'il semble que les hommes ne peuvent délibérer sans elles, & fallut luy obeyr, comme à la maistresse, ils les furent donc cacher dans les bois au delà du fleuve du costé du Sud, & après s'en allèrent dans les terres, vers le Nord, environ 15 lieues de nostre Convent, chargez du reste de leurs vivres, qui ne consistoient en tout, pour dix ou douze personnes qu'ils estoient, qu'en trois petits sacs de bled d'Inde, & six ou huict pacquets de 50 anguilles chacun, en ayant laissé environ autant dans leur cache ou magasin, dequoy ils se repentirent bien apres, mais tard, car les neiges estant trop basses, ils ne purent prendre de bestes, & tout ce qu'ils avoient porté de vivres estant consommé, il fallut prendre nouveau conseil pour vivre, & se tirer de misere.

Ils resolurent de retourner à leur magasin pour avoir de la provision, mais le fleuve estoit pour lors tellement embarassé de glaces que la marée faisoit debatre & s'entrechoquer, qu'ils ne purent jamais trouver passage, & fallut se resoudre à la patience, & à un jeusne exacte de huict ou dix jours, sans pain, sans viande, & sans poisson, ce qui les amaigrit; tellement qu'il ne leur restoit plus que la peau collée sur les os, car d'aller demander des vivres aux François ils n'oserent peur de se rendre importuns, où crainte d'estre esconduits, car les Montagnais sont si souvent en necessité, qu'il seroit bien difficile de leur pouvoir tousjours satisfaire, c'est ce qui les obligera à la fin de cultiver les terres, comme faisoit ce bon homme qui avoit recueilly d'un petit desert cinq ou six sacs de bled d'Inde, la mesme année que nos Religieux luy eurent appris à travailler, ce qu'il faisoit avec tant de contentement qu'il se blasmoit luy-mesme, & ceux de sa Nation de leur paresse, & du peu de soin qu'ils ont de pourvoir à leur vivre pour la necessité.

La mere, & la bru appellée Ouscouche, (presque d'un mesme aage) avec trois ou quatre petits enfans, leur crioient tous les jours à la faim, les appellans paresseux, & les vouloient contraindre d'aller querir des victuailles aux François, ou chercher de la beste (c'est leur façon de parler de la chasse) autrement qu'elles mourroient de faim avec leurs enfans. Les pauvres marys ne sçavoient comment les contenter, car leurs ventres n'avoient point d'aureilles pour leurs raisons, ny de patience pour endurer; O mon Dieu, que c'est une furieuse batterie que la faim, il n'y a place qu'elle n'emporte, ils leur repetoient souvent patientons encor un peu, il neigera peut estre bien-tost, & nous tuerons des bestes qui nous rassasieront tous sans estre importuns aux François, mais cela ne leur donnoit point à manger.

Elles resolurent à la fin de manger le bon vieillard, si bien-tost il n'apportoit des vivres, car il n'y avoit plus d'excuses qui les pût contenter. Elles choisirent donc leur temps, & prirent si bien leur mesure qu'elles executerent leur malheureux dessein, un matin apres que le gendre fut sortit de la cabane pour la chasse, car ayans pris chacune une hache en main, elles en donnerent tant de coups sur la teste du pauvre bon homme couché de son long, les pieds devant le feu qu'il en mourut sur le champ, puis le mirent en pieces, & en firent cuire à l'instant quelque morceaux dans la chaudière pour s'en rassasier, & cacherent le reste dans la neige pour le manger à loisir. O mon Dieu, il est vray qu'en descrivans cecy j'ay horreur d'y penser seulement, & neantmoins leur rage, & leur faim ne peut estre assouvie de l'excez d'une telle cruauté & barbarie, furieuse au delà de celles des bestes les plus feroces & carnassieres de l'Afrique. Elles resolurent encore de tuer le jeune homme à son retour, crainte qu'il ne vengeast sur leur vie, la mort de son pere, qui ne se pouvoit celer & se liberer de soupçon.

Il faut notter que ce jeune homme estant sorty de la cabane pour la chasse, entendit bien frapper, & les cris de son pere, mais il ne se fut jamais imaginé une telle meschanceté de sa mere, & de sa femme, c'est pourquoy il ne retourna point pour s'en esclaircir & poursuivit son chemin jusques à la rencontre d'un chasseur Montagnais, auquel il raconta leur extrême famine, & luy demanda s'il avoit point veu de pistes de bestes, & comme l'autre luy eut dit que non & qu'il en cherchoit pour estre luy mesme en pareille necessité. Je te prie, luy dit-il, de passer par nostre cabane, car je crains qu'il soit arrrivé quelque accident à mon pere, l'ayant ouy crier après que j'en ay esté party, & en suis en peine; l'autre luy promit d'y aller puis se separerent.

Quelque temps apres nostre pauvre jeune homme rencontra un eslan qu'il tua, & l'ayant esventré, il prist le coeur & les intestins qu'il porta à sa cabane, après avoir caché la beste dans les neiges: car ils ont accoustumé de les porter, & quelquefois la langue ou la teste, pour les manger promptement, ou pour asseurer que l'animal est à bas.

Ayant chargé son pacquet sur son dos il s'en revint à la maison, & en approchant il fit un cry selon leur coustume, pour advertir de sa venue, puis ayant laissé son espée & ses raquettes à la porte, & levé la couverture de peau qui sert d'huys, pour entrer en se courbant bien fort, car leurs portes sont fort basses, les deux femmes estoient au dedans des deux costez, chacun une hache en main, desquelles elles luy deschargerent plusieurs grands coups sur la teste, & l'estendirent mort sur la place avant que d'avoir apperceu le coeur & les intestins de la beste qu'il avoit tuée, ce qui leur devoit estre une grande tristesse, car telle beste estoit seule capable de les tirer tous de la necessité, au lieu que leur impatience leur tourna à malheur, elles ne laisserent pourtant, de manger ce corps meurtry, elles & leur enfans, leur disans que c'estoit de la chair d'un ours que leur pere avoit tué.

Deux jours après, le Sauvage qui avoit eu charge du fils trespassé de se transporter à sa cabane, pour sçavoir des cris de son pere, y arriva chargé d'un morceau d'eslan qu'il leur apportoit, mais un peu trop tard, car il avoit esté retardé par la prise de la beste qu'il rencontra fortuitement en son chemin, laquelle ayant tuée, il en porta quelque morceau eu sa cabane, & renvoya quérir la reste par les femmes avant partir, pour son message.

Or comme il fut entré en la cabane des meurtris, il s'informa des enfans qu'il trouva là assis, où estoient leur pere & leur mère: pour nos papa, dirent les enfans, nous les croyons à la chasse, & nos meres chercher l'eslan qu'ils ont tué, lequel neantmoins elles ne trouverent pas, à cause des grandes neiges qui estoient tombées depuis, & couvert par tout les traces & marques des raquettes, il leur demanda de plus, dequoy ils avoient vescu depuis deux jours qu'il avoit rencontré leur pere au bois. Ils dirent de la chair d'un ours que leur grand papa leur avoit envoyé, & qu'il ne leur en restoit plus guère: où est donc ce reste, car je ne voy rien de pendu à vos perches, leur repartit cet homme. Lors les enfans ne sçachans encor le malheur arrivé à leur père (car il est croyable qu'ils estoient absens lors qu'ils furent tuez) luy dirent que leur mere avec leur grand maman l'avoient caché dehors, & luy montrèrent à peu près l'endroit que le Sauvage chercha, & l'ayant trouvé & fouillé dans la cache, il en tira, au lieu de la patte d'un ours, la jambe d'un homme, bien estonné, il mit derechef la main dans le trou, d'où il en tira encore deux autres jambes, esmerveillé au possible, il demanda aux enfans que cela voulait dire, & si on avoit là tué des hommes, ils respondirent qu'ils n'en sçavoient rien, & que leurs peres luy rendroient raison de tout, s'il vouloit attendre leur retour, comme il fit.

Estant arrivées, il leur demanda ou estoient leur marys, elles ne sçachans pas encores qu'il eut trouvé la cache, luy dirent qu'elles n'en sçavoient rien, & qu'ils pourroient estre quelque part à la chasse: Vous mentez, leur répliqua le Montagnais, car vous les avez tué, & mangé la chair avec vos enfans, puis leur monstrant une des jambes, leur dit, est-ce là la jambe d'un Hiroquois que vous avez tué, sont ils venus jusques icy, non, ce sont vos marys que vous avez meurtris miserablement, vous estes des meschantes & ne valez rien. Elles bien estonnées de se voir descouvertes, ne sceurent que répliquer, car car leur monstrant le reste des corps desquels elles avoient premièrement mangé les testes, elles ne prirent autre excuse pour se justifier d'un cas si enorme, sinon que mourans de faim elles avoient esté contraintes de les tuer pour vivre, elles & leurs enfans, puis qu'ils n'avoient pas eu soin de leur chercher à manger, voyla comme on est mal asseuré avec des gens affamez, & qui n'esperent point en Dieu.

Le Montagnais n'y pouvant apporter autre remede, ny empescher que la chose ne fut faite, laissa là les deux miserables avec leurs enfans, & retourna à sa cabane porter ses tristes nouvelles & partout où il alloit il en advertissoit les Sauvages detestant cet acte inhumain, il nous en donna aussi advis quinze ou seize jours apres, mais nos Religieux l'avoient desja sceu par le petit Naneogauachit appellé à son Baptesme Louys. Une telle nouvelle attrista fort nos Freres, pour l'affection qu'ils avoient à ce bon Oustachecoucou, mais d'ailleurs le procedé du petit Louys en fut fort agréable & plaisant, car venant tout esploré de Kebec, d'où il avoit appris ceste fascheuse histoire de la mort de son parent; demanda à nos Religieux où estoit le Père Joseph, helas, dit il, qu'il sera fasché de la triste nouvelle que je viens d'apprendre à Kebec, tost, tost, mon frère, dit-il à l'un de nos Religieux, ouvrez moy promptement la porte de vostre chambre, que je voye si Oustachecoucou est dans l'Enfer, car il est mort sans estre baptisé. C'estoit un grand jugement en taille douce, dans l'Enfer duquel il pensoit trouver dépeint avec les autres damnez, car nos Religieux avoient accoustumé de leur monstrer cette Image, pour leur mieux faire comprendre les fins dernières de l'homme, la gloire des bienheureux, & la punition des meschans. En verité les Images devotes profitent grandement en ces pays là, ils les regardent avec admiration, les considerent avec attention, & comprennent facilement ce qu'on leur enseigne par le moyen d'icelles. Il y en a mesmes de si simples qui ont cru que ces Images estoient vivantes, les apprehendoient & nous prioient de leur parler, c'estoient les livres où ils apprenoient leurs principales leçons, mieux qu'en aucun de ceux desquels ils ne faisoient que conter les feuillets.



Comme les deux femmes qui avoient mangé leurs maris furent condamnées par tes Sauvages à l'une d'estre assommée, & l'autre d'estre bannie, laquelle en fin fut ensevelie sous les glaces, après avoir bien rodé & contrefait la furieuse.

CHAPITRE XLIV.

UN malheur n'arrive jamais seul, ny un peché sans l'autre, voyez en l'expérience aux mauvais, ils ne sont pas sortis d'un crime qu'ils en commettent un autre. Abissus abissum invocat. On dit de nostre jeune Sauvagesse Ouscouche qu'avant de tuer son père, & son mary, elle en avoit donné advis à un sien frère, auquel elle promit deux de ses enfans pour luy servir de nourriture, en attendant qu'il eut pris de la beste, c'est à dire de la venaison, & qu'il en mangea l'un, & l'autre resta à la mère. Je ne veux pas asseurer que la chose soit vraye, tant y a que les Sauvages nous l'ont asseuré: & ont par plusieurs fois monstré cet inhumain à nos Religieux, leur disans, tenez, voyla le frere d'Ouscouche, qui a tué, & mangé son propre nepveu.

C'est la coustume des Sauvages Montagnais de se rendre vers Kebec au renouveau pour traicter avec les François, & ordonner des choses necessaires à leur Nation, car encore qu'ils vivent presque sans Loy, ils ont encore quelque forme de justice, & de gouvernement politique entr'eux. En cette assemblée leur première expedition fut de donner sentence contre les deux femmes meurtrières, non à l'estourdy & par precipitation, mais après avoir meurement consideré l'importance du fait, & bien debatue les raisons de part & d'autre, dont la faveur emporta neantmoins pour la plus jeune (c'est à dire que la corruption se glisse par tout) car deux Capitaines avec plusieurs anciens, ayans conclu à la mort de toutes les deux, le troisiesme Capitaine nommé Esrouachit, ny voulut jamais consentir pour la dernière, à cause qu'elle avoit autrefois espousé son frere, & fut seulement bannie.

L'exécution neantmoins en estoit un peu difficile, car comme ils n'ont point de Ministres ordonnez pour de pareilles actions, il falloit trouver un homme assez hardy pour l'entreprendre, & personne ne se presentoit, aussi font ils grande difficulté de mettre la main sur aucun de leur Nation, non pas mesme pour l'offencer tant soit peu, & encor moins sur les femmes, & petits enfans qu'ils supportent avec patience & charité. A la fin le Capitaine nomme Mahiconatic, ayant rehaussé la vox & demandé devant toute l'assemblée, si quelqu'un voudroit se charger de la punition de ses deux femmes, (car ils ne contraignent personne contre son sentiment) Alors le Sauvage Renoemar, surnommé par les François le Camart, homme adroit, & de bon jugement, s'offrit publiquement d'en faire l'exécution & d'y aller au plustost, car qu'elle apparence, disoit-il, que personnes si meschantes demeurassent impunis après tant de cruauté; il ne m'importe que la vieille soit ma parente ou non, je ne la recognois plus pour telle, suffit que je sçay qu'elle a tué & mangé son fils, & son mary, & ayant esté accepté du Conseil, il prit congé pour sa commission, & passa par nostre Convent pour nous en donner advis.

Le bon Père Joseph tascha bien, mais en vain de le dissuader de faire mourir la vieille, sans au préalable avoir sondé si on la pourroit rendre Chrestienne, mais il ne fut possible de l'y combler, & dit qu'elle ne meritoit pas cette grace là, & qu'au reste nous avions bien peu d'esprit (c'est leur façon de reprimender) de procurer la vie à celle qui avoit donné la mort à de nos meilleurs amis, & que les autres François l'avoient encouragé de s'en promptement deffaire, afin qu'il ne fut plus parlé d'elle, & là dessus sortit de nostre Convent, fut coucher à sa cabane, & dés le lendemain matin se rendit à celle des criminelles, lesquelles il trouva fort affligées, & en l'attente de la mort qui leur avoit esté annoncée sous main par un de leurs amis, pour leur donner temps de s'evader.

Mais au contraire ces pauvres femmes touchées d'un desplaisir extreme de leur faute passée, commencerent à s'escrier disans, helas; à quel propos nous enfuyr, puisque nous avons meritées la mort, en celle de nos maris; non, nous attendrons icy comme coupables, la punition de nos demerites, & comme criminelles, la juste sentence de nos Capitaines, c'est pourquoy allez-en paix, & nous laissez icy pleurer nos infortunes, puis que vous ne pouvez faire que nos pechez ne soient commis, & nous rendre de coupables innocentes, mourons donc puis qu'il faut mourir ma chere fille, disoit la vieille à sa bru, car nous ne pouvons survivre nos maris qu'en abomination, & deshonneur de tout le monde, j'ay desiré le crime pour rassasier ma faim, & tu as suivy mes mauvaises volontez, j'en suis la plus coupable, & tu n'es pas innocente; ô mort pourquoy souffre tu un si long-temps de si miserables creatures sur la terre, oste nous cette vie, ô mort, qui nous fait rougir devant le reste des créatures, car pour moy je suis lassée de vivre, & mourray de tristesse, si la vie par la violence, ne m'est bien-tost ostée. Comme la vieille achevoit ses tristes discours, ausquels respondoient d'un mesme ton, ceux de la jeune aussi affligée qu'elle; arriva Kenoemar, chargé de leur condamnation bien resolu de la mettre en effet, comme il fit apres les y avoir disposées & prudemment preparées. Il entra donc dans la cabane sans frapper à la porte, car ils n'ont pas accoustumé d'y frapper en entrant non plus qu'au pays des Hurons, & se scisent là sans saluer, ny dire mot, sinon quelquefois le ho, ho, ho, qui est leur plus grand compliment.

Estant assis il demanda à manger, disant qu'il avoit une grand'faim, lors la vieille se mit en devoir de luy en disposer promptement avec la chair d'eslan qu'elle mit cuire dans une chaudiere sur le feu. Comment, dit-il, tu me veux donc faire festin (car ils appellent festin tous les repas où il y a un peu de bonne chere.) Est-ce point encore de la chair de ton mary, ou de ton fils, sont-ce là des restes de ta cruauté. Aquoy ces pauvres femmes ne respondirent autre chose, sinon nous ne vallons rien, & avons bien merité la mort, ce qu'elles dirent avec tant de regrets, de larmes & de souspirs, comme personnes qui se voyaient prochaines de la mort, & de celuy qui la leur devoit donner, qu'il fust justement esmeu & contrainct de dissimuler un peu avec elles, & les prier de ne pleurer plus, & d'oublier tout le passé & prenant de petun dans son petit sac, leur en presenta à petuner, mais elles le refuserent disant. L'amertume de nos ames & les ressentimens de nos fautes passées, nous a osté l'envie, & la force de pouvoir petuner, plustost fais nous promptement mourir puisque tu es venu à ce dessein, car nous ne faisons que languir, & allonger nostre martyre. Ce que voyant, & qu'il ne pouvoit les appaiser, ny ne vouloient avoir part au festin qui se preparoit, il jetta alors le masque, & leur dit qu'en effet elles ne valloient rien, & meritoient la mort, & s'adressant à Ouscouche la première, il luy dit. Les Capitaines t'ont condamnée de sortir de la Nation, & de t'en aller ailleurs où tu pourras avec ton enfant, tous avoient oppiné à ta mort comme meschante, mais ton beau frere a prié pour ta vie, parquoy remercie l'en à la premiere rencontre, & ne fais plus estat de nous voir, ny nous, ny les Algomequins, avec lesquels nous avons alliance.

Apres se tournant vers l'autre, il luy dit, & toy vieille qui devois avoir plus de vertu que ta bru, tu mourras de la mesme mort de ton mary, & de ton fils, puis levant sa hache il luy en deschargea un si grand coup sut la teste, qu'il l'estendit morte sur la place, & luy ayant couppé le col, il emporta la teste aux Capitaines, après avoir festiné de la viande, que la vieille avoit mise sur le feu.

Ouscouche qui devoit estre adoucie par la grace qu'on luy avoit faite en devint au contraire, plus insolente & furieuse, car rodant les bois, elle laissa premièrement son enfant à la première cabane qu'elle rencontra, puis leur dit, sçachez que je ne mourray jamais que je n'aye encore mangé des hommes, & des enfans, & par tout où j'en trouveray je les assommeray, & en feray curée. Ce qui donna une telle espouvente à tous les Sauvages, qu'on la redoutoit par tout, comme une furieuse lyonne qui a perdu ses petits. Si quelqu'un la rencontroit par les bois il s'en d'estournoit, car un seul ne l'eut osé aborder. Ils disoient qu'elle avoit le diable au corps, & qu'elle estoit plus forte que cent hommes, pourquoy tous tiroient de long peur de la rencontrer.

Environ le mois de Juillet de la mesme année, il prit envie à nostre F. Gervais d'aller par canot au lac de la riviere de S. Charles avec Neogaemat afin de voir la difficulté du chemin en estoit si grande que les Sauvages nous depeignoient, car jamais aucun François n'y avoit esté que sur les neiges, ou sur les glaces pendant l'Hyver. Ayans donc passé unze ou douze saults, dont aucuns sont assez difficilles, non pas neantmoins à l'égal de ceux des Hurons, qui sont espouventables, & dangereux, au delà de la pensée de ceux qui n'y ont pas esté. Ils se cabanerent sur le bord de la riviere, en un lieu que les Sauvages appellent le Capacagan, d'où il faut quitter la riviere & aller par dans les terres environ trois lieuës de chemin chargé de son equipage.

Or pendant le jour, chemin faisant, ils avoient rencontré la trace de quelque personne nouvellement passée par là, ce qui donna une telle espouvente au pauvre Neogaemat qu'il n'en pû dormir toute la nuict & fut tousjours au guet pendant que les autres dormoient, craignant à toute heure de voir Ouscouche à ses espaules, & ne voulut permettre qu'on fist du feu pour le souper, car comme il croyoit qu'elle eut passé par là il alleguoit qu'elle sentiroit la fumée du feu, qui luy feroit descouvrir leur giste & les assommeroit tous en dormant. Il fallut donc patienter de son humeur, se contenter d'un petit morceau de pain sec, & se coucher au pied d'un arbre, jusques au lendemain matin qu'ils continuerent leur chemin vers le lac.

On a appris du depuis que ces traces imprimées sur le sable, estoient du bon frere Jean Gaufestre Jesuite, lequel s'estant égaré dans les bois, avoit repris le bord de la riviere pour retrouver le chemin de sa maison perdue, car les plus experimentés y sont souvent pris, s'ils ne sont conduits par les Sauvages, qui comme les oyseaux retrouvent tousjours leurs nids, quoy que fort esloignés, ou pour petits qu'ils soient.

Nostre pauvre Ouscouche comme une beste egarée, rodoit par tout sans trouver qui la voulut recevoir; elle ne cherchoit qu'à mal faire, & tous la fuyoient comme dangereuse & indigne de la conversation humaine. Si elle alloit aux Algoumequins ils la rebutoient & la chassoient de leur compagnie. Si à Tadoussac de mesme, tellement qu'elle estoit comme dans un desespoir de pouvoir jamais trouver qui la voulut recevoir à grace jusques à ce que deux jeunes hommes Sauvages, dont l'un s'appelloit Sy Sysiou, Montagnais de nation, lequel avoit auparavant demeuré avec les RR. PP. Jesuites, & depuis quitté comme un las de bien faire, & l'autre estoit un Algoumequin, nommé Chiouytonné, lesquels abandonnans leur nation, se mirent en la compagnie de cette mauvaise femme, & faisoient ensemble les manitous & endiablés, menaçans de ne vouloir vivre que de chair humaine & d'assommer tout autant de personnes qu'ils pourroient attraper.

Cela mist une telle alarme par tout le camp que petits & grands en apprehendoient les approches. Le Capitaine Esrouachit appellé par les François la Fouriere avec quelque autres Capitaines tindrent conseil par entr'eux pour adviser aux moyens de se deffaire de ses deux compagnons avant qu'il en arrivast plus grand accident, & conclurent qu'il les falloit faire assommer tous deux sans autre forme de proçez. Ce qui fut incontinent executé, car s'estans venus ranger vers Tadoussac où estoient ces Capitaines, ils furent surpris & mis à mort en leur prononçant leur Sentence plustost que d'avoir sçeu qu'on s'estoit assemblé pour eux, car là il n'y a point d'appel, ils sont des juges souverains, qui ne sçavent que c'est de chicanerie, un procez est aussitost jugé qu'il est intenté. On n'y faict point d'escritures, on n'y paye point d'espices; les Advocats, Procureurs & Sergens en sont bannis, c'est un conseil de vieillards & de gens prudens qui ne se precipitent point en affaires, ruminent ce qu'ils veulent dire & suivent facilement la raison, qu'ils voyent apparente, autrement il y a peu de faveur pour qui que ce soit.

La determinée Ouscouche fut bien estonnée quand elle vit ces deux hommes par terre, la peur d'un pareil chastiment luy fist alors croistre des ailles aux pieds, mais qui la precipiterent dans une mort plus rigourense & sensible, car s'estant jettée seule dans son canot pensant traverser la riviere, qui a 6 ou 7 lieuës de large en cet endroit, elle fut ensevelie sous les glaces que la marée faisoit debattre & s'entrechoquer, desquelles elle ne put se deffendre, & là perit miserablement, celle qui estoit auparavant la terreur & l'espouvante de tous ceux de sa nation.

Voyla une fin funeste & mal-heureuse qui nous doit apprendre que tost ou tard la justice vengeresse de Dieu attrape les meschans, & les punit d'autant plus rigoureusement qu'il tarde à leur eslancer ces foudres.



Des deffuncts, & du festin qui se faict à leur intention. Comme ils les pleurent & ensevelissent & de leurs sepultures. Du deuil & de la resurrection des hommes valeureux, avec deux notables exemples pleines d'instruction.

CHAPITRE XLV.

PAr Arrest du tres-haut, il a esté ordonné, que tout homme riche & pauvre mourra un jour, & rendra compte devant Dieu de toute la vie passée, mais helas le pauvre & le riche seront bien differens en la mort, beaucoup plus qu'en la vie, pour ce que si le pauvre meurt ce sera pour reposer, & si le riche meurt ce sera pour peiner: de manière que Dieu tres-juste privera l'un de ce qu'il possedoit, & mettra l'autre en possession de ce qu'il desiroit, & par ainsi chacun aura son tour, le riche deviendra pauvre, & le pauvre deviendra riche, ô Jesus, des biens de vostre Paradis.

Bienheureux est celuy qui n'est point attaché aux vanitez & richesses de cette vie, & qui se maintient tel en la vie qu'il desire estre trouvé en la mort: car il vaut beaucoup mieux mourir comme un pauvre Lazare estant en la grace de Dieu, abandonné de tous, que de mourir puissant comme le riche gourmand, & estre assisté de tous.

On meurt bien differemment & de diverses maladies naturelles & violentes; mais dans l'ordinaire, le seul manger & boire tue les bestes & les hommes, brutaux qui en prennent au delà de leur suffisance; mais les hommes sages & gens d'esprit ne meurent jamais, fors que d'ennuis, disoit Ciceron escrivant à Atticus son amy.

Toutes les nations les plus barbares aussi bien que Chrestiennes, ont tousjours eu un soin tres particulier d'ensevelir les morts & de venerer les trespassez. Le bon Tobie en receut les promesses de Dieu comme il se lit és sainctes lettres, & tous les livres sont plains d'exemples des personnes devotes qui se sont addonnées à ceste Chrestienne & pieuse occupation, qui est reverée mesme de nos Hurons & Canadiens, qui y apportent l'ordre que je vous vay d'escrire.

A mesme temps que quelqu'un de nos Hurons est decedé l'on l'enveloppe dans sa plus belle robe, de telle sorte que le menton touche les genouils, ils le lient avec de leurs couroyes de cuir, qu'ils font de peau d'eslan ou de l'escorce qu'ils apellent ati. Si c'est un Montagnais ou Canadien, ils luy donnent des gands & des chausses, & l'ayant enveloppé dans une robe toute neuve, puis lié en une piece d'escorce, ils le portent en leur cimetière. Pour les Hurons aprés que le corps a esté enveloppé dans sa plus belle robe, il est aprés posé sur la natte où il est mort, couvert d'une autre robe qui luy sert de poisle & deslors n'est plus sans assistance d'hommes ou de femmes ou des deux ensemble, qui se tiennent là en grand silence assis sur les nattes & la teste panchée sur leurs genouils, sinon les femmes qui se tiennent assises à leur ordinaire avec un visage pensif, qui denote le dueil.

Cependant tous les parens & amys du deffunct, tant des champs que de la ville sont advertis de cette mort, & priez de se trouver au convoy par les plus proches, & diriez qu'ils ayent appris, ces ceremonies des Chrestiens, desquels ils veulent mesme surpasser en leur soin.

Le Capitaine de la police de son costé, faict ce qui est de sa charge: car incontinent qu'il est adverty de ce trespas, luy, ou son assesseur, en en faict le cry par tout le bourg, & prie un chacun disant: Etsagon. Etsagon, prenez courage, prenez courage, & faites tous festin au mieux qu'il vous sera possible, pour un tel ou une telle qui est decedée. Alors tous les parens & alliez du deffunct; chacun en leur particulier, font un festin dans leurs cabanes, le plus excellent qu'ils peuvent & de ce qu'ils ont à commodité, puis le departent & l'envoyent à tous leurs parens & amys à l'intention de deffunct, sans en rien reserver pour eux, & ce festin est appellé Agochin atiskein, le festin des ames.

Les Montagnais font quelquefois des festins des morts, auprés des fosses de leurs parens trespassez & leur donnent la meilleure part du banquet qu'ils jettent au feu, mais je ne me suis pas enquis des autres nations s'ils en font de mesme, ou comme ils en usent, d'autant que cela est de peu d'importance, & qu'il est facile par ce que je viens de dire, de leur persuader les prieres, aumosnes & bonnes oeuvres pour les deffuncts, puis que des-ja ils en font en quelque maniere dans leur obscurité, croyans soulager les ames.

Les Essedons, Scythes d'Asie, celebroient les funerailles de leur pere & mere avec chants de joye. Les Thraciens ensevelissoient leurs morts en se resjouissans, d'autant (disoient-ils) qu'ils estoient partis du mal & arrivez à la beatitude: mais nos Hurons ensevelissent les leurs en pleurs & tristesses, neantmoins tellement moderées & reglées au niveau de la raison, qu'il semble que les femmes qui doivent pleurer ausquelles seules la charge en est donnée, ayent un pouvoir absolu sur leurs larmes & sur leurs sentimens, de manière qu'elles ne leur donnent cours que dans l'obeïssance, & les arrestent par la mesme obeïssance, où plusieurs femmes Chrestiennes pleurent demesurement, au lieu qu'à l'imitation des Essedons & Thraciens elles devroient se resigner à la volonté de Dieu en la mort de leurs parens, & pleurer plustost en leur naissance pour les voir chargés de crimes & du peché de la conception.

Avant que le corps du deffunct sorte de la cabane, les femmes & filles là presentes y font les pleurs & lamentations ordinaires, lesquelles ne commencent ny ne finissent jamais, (comme je viens de dire,) que par le commandement dû Capitaine ou Maistre des ceremonies. Le commandement donné, toutes unanimement commencent à pleurer, & se lamenter à bon escient, & femmes, & filles, petites & grandes, (& non jamais les hommes, qui demonstrent; seulement une mine & contenance morne & triste, la teste & les yeux abaissez) & pour s'y esmouvoir avec plus de facilité, elles repetent tous leurs parens & amis deffuncts, disans. Et mon pere est mort, & ma mere est morte, & mon cousin est mort, & ainsi des autres, & toutes fondent en larmes, sinon les petites filles, qui en font plus de semblant qu'elles n'en ont d'envie, pour n'estre encores capables de ses sentimens.

Ayans suffisamment pleuré, le Capitaine leur faict le hola, & toutes cessent de pleurer comme si elles n'y avoient point pensé. Il y en a qui entremestent en leurs complaintes funebres, les hautes louanges du deffunct & exagerent ses vertus & prouesses, pour en faire regretter la perte, & donner un facil accez à leurs larmes qui autrement seroient souvent taries, car de grace sans ses inventions, quelle apparence y auroit il de pouvoir pleurer une personne, à qui vous n'auriez aucune obligation & ne vous seroit ny parente ny amie, ny de cognoissance.

Or pour monstrer combien il leur est facile de pleurer, par ces ressouvenirs & repetitions de leurs parens & amis decedez, les Hurons & Huronnes souffrent assez patiemment toutes autres sortes d'injures: mais quand on vient à toucher cette corde, & qu'on leur reproche que quelqu'un de leurs parens est mort, ils sortent alors fort aysement des gonds & de la patience, car ils ne peuvent supporter ce ressouvenir, & feroient en fin un mauvais party à qui leur reprocheroit: & c'est en cela, & non en autre chose, que je leur ay veu quelquefois perdre patience & se cholerer ouvertement.

Au jour & à l'heure assignée pour le convoy chacun se range dedans & dehors la cabane pour y assister: on met le corps sur un brancart en forme de civiere couverte d'une peau, puis tous les parens & amis avec un grand concours de peuple le suivent processionnellement devant & derriere jusques au cimetiere ordinairement esloigné d'une portée d'arquebuse du bourg, où estans tous arrivez, chacun se contient en silence, les uns debouts & les autres assis, selon qu'il leur plaist, pendant qu'on esleve le corps en haut, & qu'on l'accommode dedans sa chasse, faicte & disposée exprés pour luy: car chacun corps est mis dans une chasse à part, bastie de grosses escorces, & posé sur quatre gros piliers de bois, un peu peinturez, haut eslevé de neuf ou dix pieds, où environ, ce que je peux conjecturer en ce qu'eslevant ma main, je ne pouvois toucher aux chasses qu'à plus d'un pied ou deux prés.

Les Corinthiens & presque tous les peuples d'Asie, avoyent de coustume d'enfouir dans la terre avec les corps des deffuncts, tous les plus beaux vaisseaux d'oeuvre de poterie qu'ils eussent; & pensoient à leur fol jugement, & vaine superstition, que les Dieux qui en avoient la garde comme Dieux domestiques, venoient boire & manger avec eux, aprés leur trespas, & leur apportoient de la viande des Dieux celestes, & de leur breuvage aussi. J'ay veu une petite idole de terre cuite de la longueur de cinq ou six poulces, plombée de vert, qu'on avoit apportée d'Egypte & prise dans le corps d'un deffunct, selon l'ancienne coustume des Egyptiens de mettre dans les corps morts de ceux de leur nation, une semblable idole, comme un Dieu tutelaire posé pour leur garde & conservation.

Nos Sauvages sont bien fols à la verité, mais ils ne le sont pas davantage que ces Sages Egyptiens en ce cas, car bien qu'ils enferment avec les corps de leurs parens deffuncts, de l'huyle, de la galette, des haches, cousteaux, & autres meubles, si est-ce qu'ils ne croyent pas que les Dieux domestiques, terrestres, ny celestes viennent manger avec eux dans la fosse, ny qu'une petite idole de terre cuitte, pétrie par la main d'un potier soit un Dieu tutelaire, qui les puisse deffendre, & par ainsi il ne faut point trouver estrange s'ils ont de folles croyances, puis que des peuples policez estimez Sages & non Sauvages, ont eu de si ridicules superstitions.

Le corps estant posé & enfermé dans la chasse avec tout son petit équipage, on jette de dessus la biere deux battons ronds, chacun de la longueur d'un pied, & gros comme 4 doigts, l'un d'un costé pour les jeunes hommes, & l'autre pour les filles, après lesquels ils se mettent comme Lyons à qui les aura, & les pourra eslever en l'air de la main pour gaigner un certain prix, qui leur couste presque la vie tant ils s'empressent pour l'avoir. Il y a des ceremonies & des jeux où l'on peut prendre quelque esbat, mais à celuy-cy il n'y en a point du tout, & donne plustost horreur que contentement & récreation, particulierement la violence & l'empressement que ce font les filles, qui pourtant n'en font que rire, non plus que les garçons de leurs sueurs & perte d'haleines, qui feroient estouffer personnes plus delicates; mais ceste ceremonie ne s'observe pas envers tous.

Or pendant que toutes ces ceremonies s'observent, il y a d'un autre costé un officier monté sur un tronc d'arbre, qui reçoit les presens que plusieurs font à la vefve, ou plus proche parent du deffunct, pour essuyer ses larmes, qui est une bonne invention, car par ce moyen le dueil en est bientost passé. A chaque chose qu'il reçoit, il l'esleve en l'air à la veue de tous, & dit; voyla une telle chose qu'un tel ou une telle a donné, pour essuyer les larmes d'une telle, puis il se baisse & luy met entre les mains: tout estant achevé, chacun s'en retourne d'où il est venu avec la mesme modestie & silence.

J'ay veu en quelque lieu des corps mis en terre, (mais fort peu,) sur lesquels il y avoit une chasse d'escorce dressée, & à l'entour une pallissade toute en rond, faicte de pieux picqués en terre, de peur des chiens & bestes carnassieres, ou bien par honneur & reverence des deffuncts.

Les Canadiens, Montagnais, & les autres peuples errants, ont quelques autres ceremonies particulières envers les morts qui ne sont pas communes avec celles de nos Hurons, car premierement les Montagnais ne sortent jamais les corps, des trespassez par la porte ordinaire de la cabane où il est mort, ils levent en un autre endroit une escorce par où ils le font sortir, disans pour leur raison, que l'on ne doit pas sortir un deffunct par la mesme porte où les vivans entrent & sortent, & que ce seroit leur laisser un fascheux resouvenir, & pour quel que autre raison que je n'ay pas apprise.

Ils ont encore une autre ceremonie particuliere de frapper sur la cabane ou quelqu'un vient de mourir, en disant: oué, oué, oué, pour en faire sortir l'esprit, disent ils, & ne se servent jamais d'aucune chose de laquelle un trespassé se soit servy en son vivant, & pour le reste des funerailles aprés que le corps a esté enseveli & garotté à leur accoustumée, ils l'eslevent couvert d'une escorce sur des fourches ou habitacle fort haut, avec tous ses meubles, & richesses, en attendant que tous ses parens & amis se soient assemblez pour l'enterrement: car de laisser le corps en bas dans les cabanes il y pourroit par fois estre trop long-temps, ce qui les incommoderoit fort, & causeroit une autre plus mauvaise odeur que leur poisson puant. O bon Jesus, qui ne leur seroit pas plus en horreur & desdain qu'est à nous la putrefaction de ces vaines créatures du monde quand elles viennent à mourir, à aucunes desquelles j'ay assisté & n'y ay pas esté satisfait.

Estans vagabonds & sans aucune demeure permanente, ils ne peuvent avoir de cimetière commun & arresté comme les nations sedentaires, mais aux lieux plus commodes où ils se trouvent, ils font une fosse capable, laquelle estant faite ils mettent au fons 2 ou 3 bastons, puis le corps dessus qu'ils entourent de branches de sapin sans y mettre de terre, le couvrent d'une escorce, & par dessus cette escorce d'une quantité de busches qu'ils couppent de longueur plus grandes que la fosse, d'autres redoublent la fosse par tout de rameaux d'arbres, puis de peaux de bestes, & en suitte y mettent tout le meuble du deffunct, si c'est d'un homme, son arc, ses fleches, son espée, sa masse & quelque escuelle, petite chaudiere & un fuzil. Si c'est une femme, sa corde pour aller au bois, sa hache, quelque escuelle & ses petites ustencilles à travailler, tant à peindre leurs robes que leurs esguilles à coudre; puis tout cela est couvert d'escorces & de busches; quelquefois font tomber dessus plusieurs gros arbres en croix les uns sur les autres comme un bucher, crainte des bestes, & un autre debout pour signal, qu'ils peindent un peu de rouge par en haut.

Il y en a qui n'y en mettent point pour en oster la cognoissance aux estrangers & François desquels ils craignent plus l'avarice, que la gueule devorante des bestes féroces & carnassieres, tant ils sont religieux conservateurs, des biens & des os de leurs parens deffuncts, de maniere qu'on ne sçavoit en rien tant les offencer, qu'à fouiller dans leurs sepultures, comme ont quelquefois fait les François pour en tirer les castors, lesquels s'ils y eussent esté surpris par les Sauvages, ils en eussent suby la peine que meritoit leur avarice & impiété, & comme m'ont dit quelquefois les Hurons, il faudroit faire estat de subir une mort plus cruelle que pour avoir vollé les vivans, ou s'y pourroit assez assurer dans ce tesmoignage averé, qui si le feu s'estoit pris en leur village, & en leur cimetiere, ils accourroient premierement esteindre celuy du cimetiere, & puis celuy du village.

La fosse estant couverte (entre nos Canadiens) l'on faict un grand feu à l'un des bouts, où tous les assistans & gens de convoy s'approchent pour festiner & faire bonne chere, des meilleures viandes, soit chair ou poisson, que l'on a peu recouvrer. Ce festin est à tout manger, en deut-on crever à la peine, si l'on ne se rachepte. Les plus proches parens du deffunct ont soin (bien qu'en deuil) de faire cuire les viandes qui sont dans les chaudières, pendant que le Capitaine ou plus ancien de la compagnie faict les harangues, & oraisons funebres à la louange du trespassé, lesquelles finies l'on commence à vuider les marmites, sinon la femme ou le mary de la deffuncte & autres parens proches, qui demeurent en silence sans manger, jusques à une autre heure hors de compagnie, ils se peignent le visage de noir, qu'ils entretiennent, un an durant pour habit de deuil, puis en retournent chacun à sa cabane.

Ils font de la différence & distinction aux sepulchres des Capitaines, lesquels ils font en façon d'une Chappelle ardente: ils plantent des pieux à l'entour, redoublez d'escorces, sur lesquelles ils peignent quelque personnage dessus, il y en a à quelqu'uns dont on ne met point d'escorces, mais forces busches que l'on entasse les unes sur les autres; on dit aussi que à la mort de ces Capitaines ou personnes d'authorité, les parens & amis du deffunct, avec le reste du peuple, vont trois ou quatre fois l'an, chanter & dancer sur leur fosse, & que s'il y reste quelque chose du festin, il est jetté dedans le feu, au lieu qu'aux autres il faut tout manger; & en cela ils se conforment aucunement à l'ancienne coustume de plusieurs Chrestiens, qui souloient banqueter sur les sepultures, interpretant l'escriture qui dit: met ton pain & ton vin sur la sepulture du trespassé.

A ce propos des sepultures de Capitaines, il me souvient avoir veu un petit Islet au milieu d'un grand lac au païs des Algoumequins, couvert d'un fort haut bucher avec une grosse piece de bois dressée debout par dessus, je le contemplay & l'admiray un fort long-temps avec opinion que ce devoit estre la sepulture d'un des plus grands de leur nation, puisque le bucher en estoit si haut, qu'il estoit le travail de beaucoup d'hommes. Mes Sauvages ne m'en sceurent donner autre raison, aussi y avait il bien de l'apparence. Ce lac estoit si grand qu'il comprenoit plus de 50 Isles dans son enceinte, mais celuy du bucher estoit le plus petit de tous, car il ne contenoit simplement que le bucher.

En quelque nation, non seulement les Sauvages ont accoustumé de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parens & amis, qui est un signe de deuil: mais aussi le visage du deffunct, & enjolivent son corps de matachias, plumes & autres bagatelles, & s'il est mort en guerre le Capitaine fait une harangue comme une oraison funebre devant le corps, où assistent tous ses parens & amis, lesquels il incite & exhorte de prendre promptement vengeance d'une telle meschanceté, & que sans delay on aille faire la guerre à leurs ennemis, afin qu'un si grand mal ne demeure point impuny, & qu'une autre fois on n'aye plus la hardiesse de leur venir courir sus.

Les Attiouindarons font des resurrections des morts, principalement des grands Capitaines & personnes signalées en valeur & merite, à ce que la mémoire des hommes illustres revive en quelque façon en autruy, par exemples de vertus semblables que doit donner celuy que l'assemblée subroge.

Or l'election se faist par les gens du conseil de la personne qu'ils croyent plus approcher en corpulence, aage, & valeur, de celuy qu'ils veulent ressusciter. Aprés quoy il se levent tout debouts excepté celuy qui doit estre ressuscité, auquel ils imposent le nom du deffunct, & baissans doucement la main jusque bien bas, feignent le relever de terre, voulans dire par là qu'ils tirent du tombeau ce grand personnage deffunct, & le remettent en vie en la personne de cet autre qui se leve debout, lequel (apres les grandes acclamations du peuple) reçoit les presents qu'on luy fait, & les complimens desquels il est honoré, puis festinent en sa consideration avec allegresse pour l'avoir retiré du tombeau; voyla comme les personnes bien meritées sont honorées chez les Gentils.

Il me reste à vous dire avant clore ce Chapitre, que si je n'ay point faict mention des Testamens, & dernieres volontez de nos Hurons, c'est pour n'estre pas en usage chez-eux ny necessaires, & que leur seule parole suffit sans autre escriture, car ils sont tellement bien unis, & si peu picquez d'avarice, que pour ce regard ils n'ont jamais de difficulté, mais ils ont ce malheur en eux de ne pardonner point à leurs ennemis en mourant comme font les bons Chrestiens, & en recommandent la vengeance à leurs enfans, comme David la punition à Semej, & comme les dernières paroles d'un pere sont celles que les enfans doivent inviolablement observer & garder en leur esprit, de là vient qu'ils ne pardonnent point aysement à quiconque a fait du desplaisir à leurs parens, plus portez en cela de mauvaise volonté que le bon Phocion General des Atheniens, lequel estant fait injustement mourir par ses concitoyens, quelqu'un des assistans luy ayant demandé s'il vouloit mander aucune chose à son fils Phocius: Ouy certes, dit-il, c'est qu'il ne cherche jamais à venger le tort que me font les Athéniens, ce qu'il dit non par un esprit de vanité, mais par devoir d'un homme de bien, & vrayement vertueux, il estoit d'ailleurs si attrempé, & d'un naturel si honneste qu'il se monstroit doux, gracieux, courtois, & humain à tout le monde, jusques à hanter privement avec ceux qui luy estoient adversaires, & les servir en leurs affaires s'ils venoient à tomber en quelque danger, & en quelque adversité, ce que je ne puis assez admirer, car nous voyons bien peu de Chrestiens avoir de semblables qualitez, sinon quelqu'uns, lesquels mourans laissent à leurs enfans un catalogue de bonnes instructions pour principal heritage, & souveraine richesse, laquelle la rouille ne peut endommager, ny les larrons l'emporter, mais qui est un prix si haut qu'elle nous peut eslever jusques à Dieu, le cognoistre, l'aymer, adorer, & jouyr de vous mesme, ô bon Jesus, qui est l'unique, & vray bien de tous les esleuz.

Mais pour ce que l'exemple des grands Princes est d'autant plus énergique & capable de nous esmouvoir, que leur condition a surpassé la nostre, je vous rapporteray icy les dernieres paroles du tres pieux Empereur Marc Aurelle à son fils Commode, son unique heritier à l'Empire, afin que si l'exemple des petits n'a eu assez de force sur vostre esprit; celle d'un grand Prince vous soit recommandable, & vous porte dans l'exercice de la vertu, autant courageusement qu'un autre grand Payen vous en donne l'exemple sans vous alléguer la vie de nos Saincts, & la parole de Dieu mesme qui nous enjoint la charité, la concorde & la paix avec nostre prochain. O Dieu que c'est une grande vertu du Ciel que de pardonner & faire bien à son ennemy, il ny a jeusne, austerité, ny aumosne qui luy soit comparable.

Ce bon Prince se tournant à son fils, apres une longue exhortation à la vertu, luy dit. Pour cette dernière heure, mon fils, je t'ay gardé le meilleur, le plus noble, & plus riche joyau que j'aye possedé en ma vie: & proteste aux Dieux immortels, que si ainsi comme ils me commandent mourir, ils me donnoient congé & licence de lire en la sepulture, je le commanderois enterrer avec moy. Tu sçauras, mon fils, qu'en l'an dixiesme de mon Empire, s'esleva une forte guerre contre les Parthes indomptez, où par malheur advint qu'il fut necessaire y aller en propre personne pour leur donner la bataille: laquelle gaignée, & toutes leurs terres, m'en revins par l'ancienne Thebes d'Egypte pour voir si je trouverois aucune antiquité de celles du temps passé. En la maison d'un Prestre Egyptien, trouvay une petite table que l'on pendoit à la porte de la maison de Roy, le jour que l'on le couronnoit Roy: & me dit ce pauvre Prestre, ce qui estoit en cette table avoit esté escrit par un Roy d'Egypte appellé Ptolomée Arsacide.

Je prie aux Dieux immortels, mon fils, que telles soyent tes oeuvres, comme les paroles de ce tableau le requierent. Comme Empereur je te laisse heritier de plusieurs Royaumes, & comme pere je te donne cette table de conseils que je te prie tousjours garder, & tenir en ta mémoire & entendement pour les mettre en pratique. Sois doncque cette cy ma dernière parole. C'est avec l'Empire que tu seras craint par tout le monde, mais avec les conseils de cette table tu seras aymé de tous, & vivras en homme de bien & Prince equitable.

Ce propos achevé, & la table baillée, l'Empereur tourna les yeux & perdit le sentiment, & par l'espace d'un quart-d'heure fut en tel travail, & de là à bien peu rendit l'esprit.

En icelle table, estoient certaines lettres Grecques, quasi par maniere de vers heroiques, qui veulent dire en nostre vulgaire:

Jamais je n'eslevay le riche tyran, ny hay le pauvre juste.

Jamais n'ay nié la justice au pauvre, pour estre pauvre, ny pardonné au riche pour estre riche.

Jamais je n'ay fait aucun don pour une seule affection, ny donné chastiment pour une seule passion.

Jamais je n'ay laissé le mal sans punition & chastiment, ny le bien fait sans remuneration & loyer.

Jamais n'ay commis le jugement de la justice evidente à un autre, ny determiné l'obscure par moy seul.

Jamais je n'ay denié justice à celuy qui la me demandoit, ny misericorde à celuy qui la meritoit.

Jamais n'ay fait chastiment par ennuy quelconque, ny promis loyers estant joyeux & content.

Jamais n'ay esté nonchalant en la bonne prosperité & santé, ny desesperé en l'adversité.

Jamais n'ay fait mal ny chose deshonneste par malice, ny commis aucune vilenie par avarice.

Jamais n'ay favorisé les mutins, ny presté l'oreille aux flatteurs.

J'ay tousjours travaillé à estre aymé des bons, & jamais ne me suis soucié d'estre hay des mauvais.

Pour avoir favorisé les pauvres qui pouvoyent peu, j'ay esté favorisé des Dieux contre ceux qui pouvoient beaucoup.



De la grand'feste des morts, & comme tous les os des deffuncts sont mis ensemblement dans une grande fosse avec leurs plus beaux emmeublemens, & des richesses que les parens, & amis donnent pour leur servir en l'autre vie.

CHAPITRE XLVI

IL n'y a point de doute que l'on pourrait facilement persuader aux Sauvages, les prieres & bonnes oeuvres pour les deffuncts, puis que d'eux mesmes ils se sont desja forgez une manière de les assister, car de dix en dix ans, plus ou moins, nos Hurons & autres peuples sedentaires, font la grande feste ou ceremonie des morts, en l'une de leur bourgade, ou village, comme il aura esté conclu & arresté par un conseil general de tous ceux du pays (car les corps des deffuncts ne sont ensevelis en particulier que pour un temps) & là font encore annoncer aux autres Nations circonvoisines, afin que ceux qui y ont esleu la sepulture des os de leurs parens les y portent, & les autres qui y veulent venir par devotion, y honorent la feste de leur presence; car tous y sont les biens venus & festinez pendant quelques jours que dure la ceremonie, où l'on ne voit que chaudieres sur le feu, festins, & dances continuelles, qui fait qu'il s'y trouve une infinité de peuple qui y aborde de toutes parts.

Les femmes qui ont à y apporter les os de leurs parens, les prennent aux Cimetieres: que si les chairs n'en sont du tout consommées, elles les en tirent & les rendent fort nets, puis les envelopent dans de beaux castors neufs, ornez de rassades, & colliers de pourceleines, que les parens & amis contribuent, disans: Tien, voyla ce que je donne pour les os de mon pere, de ma mee, de mon oncle, de ma femme, &c, & lss ayans mis dans un sac neuf, elles les portent sur leur dos, parez encore par le dessus de quantité de pourceleines, & autres petites jolivetez desquelles ils ne sont point chiches en semblables occasions.

Elles portent aussi toutes les pelleteries, haches, couteaux, chaudieres & autres choses offertes, avec quantité de vivres au lieu destiné, qui sont après mis à part & separez, les vivres en un lieu, pour estre employez en festins, & les sacs, & emmeublemens pendus par les cabanes de leurs hostes, en attendant le jour auquel tout doit estre ensevely dans la terre avec les os.

La fosse se fait hors de la ville fort grande & profonde, capable de contenir tous les os, meubles, & pelleteries dediées pour les deffunts. On y dresse un eschaffaut haut eslevé sur le bord auquel on porte tous les sacs d'os, puis on tend la fosse par tout, & au fond, & au costez de peaux, & robbes mesmes de castors, puis on y fait un lict de haches, en apres de chaudieres, rasades, colliers, & brasselets de pourceleine, & autres choses qui ont esté données par les parens & amis. Cela fait, du haut de l'eschaffaut les Capitaines vuident tous les sacs dans la fosse parmy la marchandise, lesquels ils couvrent encore d'autres peaux neuves, & d'escorces, après ils rejettent la terre par dessus, & des grosses pieces de bois peur des bestes, puis ils piquent en terre des pilliers de bois tout autour de la fosse, & font une couverture pardessus, qui dure autant qu'elle peut, festinent derechef, & prennent congé l'un de l'autre pour leur retour, bien joyeux & contens que les âmes de leurs parens & amis deffuncts, ayent bien dequoy butiner, & se faire riche ce jour là en l'autre vie.

Chrestiens, r'entrons un peu en nous-mesmes, & voyons si nos ferveurs sont aussi grandes envers les ames de nos parens detenues dans les prisons de Dieu, que celles des pauvres Sauvages envers les ames de leurs semblables deffuncts; & nous trouverons que leurs ferveurs surpassent de beaucoup les nostres, & qu'ils ont plus d'amitié l'un pour l'autre, & en la vie, & après la mort, que nous, qui nous disons plus sages, & le sommes moins en effet, parlant de la fidelité, & de l'amour réciproque simplement: car s'il est question de donner l'aumosne, ou faire quelque oeuvre pieuse pour les vivans, ou deffuncts, c'est souvent avec tant de peine & de repugnance, qu'il semble à plusieurs qu'on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils ont de difficulté à bien faire, prenans pour excuse, leurs enfans, si Dieu leur oste, leur pauvres parens, & par ainsi ils ont tousjours raison à leur dire, de continuer dans leur avarice, & plustost mourir que lascher prise & d'avoir sa bourse ouverte à l'indigent.

Au contraire de nos Hurons & autres peuples Sauvages, lesquels font leurs presents, donnent leurs aumosnes pour les vivans, & pour les morts avec tant de gayeté, & si librement que vous diriez à les voir, qu'ils n'ont rien plus en recommandation, que de faire du bien, & assister de leurs moyens ceux qui sont en necessité, & particulièrement les ames de leurs parens & amis deffuncts, ausquels ils baillent le plus beau & meilleur de leur avoir, & s'en incommodent quelquefois, & y a telle personne qui donne presque tout ce qu'il a pour les os de celuy ou celle qu'il a aymée & cherie en cette vie, & ayme encore apres la mort: tesmoin Ongyata, qui pour avoir donné & enfermé avec le corps de sa deffuncte femme (sans nostre sçeu) presque tout son vaillant, en demeura tres-pauvre & incommodé, & s'en resjouissoit sous l'esperance que sa femme en seroit mieux accommodée en l'autre vie.

Or par le moyen de ces assemblées & ceremonies, ils contractent une nouvelle alliance, amitié & union plus estroite, disans: Que tout ainsi que les os de leurs parens, & amis deffuncts sont assemblez & unis en un mesme lieu, de mesme aussi qu'ils devoient durant leur vie, vivre tous ensemblement en une mesme unité & concorde, comme bons parens & amis, sans s'en pouvoir à jamais separer ou distraire, pour aucun desservice ou disgrace, comme en effet ils font.

Fin du second Livre.



HISTOIRE

DU CANADA.

ET

VOYAGES DES PERES

RECOLLECTS EN LA
nouvelle France.


LIVRE TROISIESME.



Des animaux & bestes brutes, & de la compassion qu'en ont certains indiens, ausquelles ont basty un Hospital pour les malades & blessées.

CHAPITRE I.

N dit que la consideration fait les Sages, & les Saincts, & nous esleve jusques à pouvoir connoistre Dieu, & nous-mesmes, mais nostre negligence & peu de soin nous entretient souvent dans l'ignorance. C'est une chose merveilleuse que Salomon aye cognu jusques à la vertu de l'ysope, & nostre premier Pere jusques au moindre des animaux ausquels il a imposé les noms, & que nous qui devrions estre tout confit en cognoissance, ignorons encores les choses plus communes de la divine providence à nostre endroict. Qui ne voit les continuels miracles de Dieu, en la nourriture & aliment des hommes de tout cet univers, je ne sçay si je me trompe, mais je croy que n'estoit le miracle qu'il ne se trouveroit pas à chacun, deux gerbes de bled aprés la moisson, & cependant tout le monde vit.

Laissons à discourir des hautes sciences aux Doctes, & dans nostre simplicité ordinaire, voyons un peu ce qui se passe à Paris, & dans les grandes villes peuplées, & vous verrez (chose admirable) qu'il n'y a journées qu'il ne s'y consomme plus de boeufs, & de moutons, d'oyseaux, & de poissons, avec toutes autres sortes d'animaux de poils, & de plumes, qu'il ny pourroit avoir d'animaux nuisibles en route une Province, & pourtant il y en a tousjours de reste pour le lendemain. C'est la providence divine qui a esté en cela, fort sage, ayant fait que tous les animaux pour eux & de bon manger, soyent grandement feconds, afin que par estre souvent mangez, ils ne deffaillissent ainsi que bestes nuisibles & malfaisantes, lesquelles sont d'elles-mesmes peu lignageres. Partant le lievre est fort fecond, & seul de toutes les bestes de venaison, surcharge sa portée, à cause que l'homme, bestes, & oyseaux le poursuivent à mort. Pareillement le haze des connils se trouve si pleine de lapins, que les uns sont encor sans poil, les autres sont un peu plus formez, & les autres sortent du ventre. Entrons dans les colombiers & nous, chargeons de pigeonneaux, dans un mois d'icy nous y trouverons encores autant, de mesme des molues, & harangs (chose prodigieuse) desquels on fait de si furieuses pesches tous les ans, & si on n'en sçauroit espuiser la mer, ny les rivieres de toutes autres especes de poissons, non plus que l'air & la terre, & des oyseaux, & bestes de bon manger, dequoy nous devons grandement louer le Createur, & faire icy une bonne meditation, puis que nous voyons mesme les bestes & animaux nuisibles estre en moindre nombre, & moins lignageres que ceux qui servent à la vie & nourriture de l'homme, comme est de la lyonne qui est la plus forte & la plus hardie de routes les autres bestes, laquelle selon les Egyptiens, ne porte qu'une fois en sa vie, & un seul faon seulement, mais bien davantage on nous asseure que le lyon n'a point de sentiment, & mourroit de faim si la divine providence ne l'avoit pourveu d'un petit compagnon ressemblant au chat que les Italiens appellent Gati. Ce petit animal esvente la proye, estant descouverte il court, & glapit pour advertissement au lyon, lequel le suit jusques à la veue de la beste qu'il va estrangler, & en fait part à son bien-facteur, car entre tous les animaux le lyon est recognoissant.

Certes il y en a qui se plaisent bien en la jouissance de toutes ces choses, mais, ils en recognoissent mal celuy qui leur a donné, d'où il advient qu'ils en usent comme bestes sans eslever leur pensée à Dieu, qui a creé tout ce qui est de ce monde pour le service, & la gloire de l'homme, comme l'homme pour sa gloire & son service. Mais comme nous nous sommes rendus rebelles à Dieu par le peché, le mesme peché a rendu les bestes rebelles à l'homme, qu'elles offencent comme nous offençons Dieu.

Plusieurs grands saincts ont néantmoins commandé aux plus feroces & cruelles, & ont esté obeys, comme un sainct François qui deffendit à un loup enragé de plus faire de mal, & se rendit doux comme un agneau, mais ce sont graces qui n'appartiennent qu'à ceux qui ont la mesme innocence de nostre premier Pere avant son peché, & ne devons en traitter les animaux plus cruellement, puis que leur cruauté n'a pris naissance que de nos pechez.

Je ne sçay dans quelle cognoissance plusieurs Nations Payennes n'ont pas voulu nuyre aux animaux, & se sont abstenus, mesmes d'en manger, peur de nuire à ceux qui ne les offençoient pas; mais ce sont simplicitez Payennes, lesquelles on n'est point obligé d'ensuivre, sinon en la compassion envers icelles pour s'apprendre à l'estre envers les hommes. Les Atheniens mesmes ne faisoient point mourir les mulets qui avoient long-temps servy à leur Republique, & donnoient liberté à leur vieillesse de paistre & se nourrir où elle pourroit sans qu'il fut permis à aucun de leur nuyre ou offencer.

Il y a une sorte de gens qui habitent une Province du grand Mogor qu'on appelle Bayennes, lesquels ne mangent d'aucune chose qui aye eu vie, & bien qu'ils adorent en chaque famille, les uns des arbres, les autres des oyseaux, & autres bestes; ils ont tous en singuliere vénération la vache, laquelle ils mettent chacun en la meilleure chambre de leur logis comme une Deesse, de laquelle ils boivent le laict, & le pissat, avec de son beure fondu, & n'en mangent point la chair. Et quand on leur demande pourquoy, puis qu'ils en boivent bien le laict qui en provient, ils respondent que nous beuvons bien le laict de nostre mere, & n'en mangeons point la chair.

Mais l'excellence & la rareté de leur humeur est, qu'ils ne peuvent voir faire de mal à une beste, quel qu'elle soit, ny à un rat mesme, lequel s'il s'approche d'eux lors qu'ils mangent, ils le caressent & luy donnent à manger, & hayssent fort les Chrestiens, d'autant qu'ils font du mal aux bestes sur lesquels ils deschargent souvent leurs passions, & la furie de leur humeur cholerique. Ils ont un hospital (chose admirable) pour penser & guerir les bestes malades, où il y a des Medecins & Chirurgiens entretenus, qui en ont le soin jusques à entiere guerison, puis les rendent à ceux à qui elles appartiennent.

Voicy un autre traict de leur douceur envers icelles, qui me fait resouvenir de celle de nostre Pere sainct François, lequel donna son manteau à un paysan pour sauver la vie à deux agnelets qu'il portoit vendre ne pouvans souffrir qu'on les egorgeast à cause du vray Agneau Jesus. Il y a une si grande quantité d'oyzeaux dans cette Province Bayennes qu'ils vous crevent presque les yeux (comme j'ay dit de l'isle aux oyseaux) aussi ne s'envollent ils point pour lesdits Bayennes. Quelqu'un d'eux ayans veu un François nommé le sieur Charles Fournier (qui est celuy mesme duquel j'ay appris cecy) tirer aux oyseaux, il en fut fort mal satisfait & en rachepta de luy deux de fort blessez qu'il fit mettre dans un trou de muraille avec de l'eau; & du ris, & commanda à l'un de ses esclaves d'y passer la nuict pour y prendre garde jusques au lendemain matin qu'il les fist porter à l'hospital. Il vouloit aussi donner au dit sieur Fournier 50 Mamodis (c'est une piece d'argent qui vaut dix sols) de son arquebuze afin qu'il n'en tuat plus, asseurent que c'est un malheur de faire du mal aux bestes, ne nous en faisant point.

Je ne suis pas Payen & ne voudroit pas ensuivre les actions des Payens, mais je suis d'avec eux de ne faire de mal à aucune creature, sinon aux venimeuses & à celles qui nous attaquent, contre lesquelles il se faut deffendre, autrement il faut estre humain envers elles, pour s'accoustumer à l'estre envers les hommes, car qui ne se peut commander en une passion, s'emporte facilement en une autre.

Je me suis quelquefois rencontré avec un fort honneste homme Egyptien de nation & natif du grand Caire; & comme il est homme qui a grandement voyagé par toutes les terres du grand Seigneur, il m'a raconté diverses fois comme ceux de son païs prennent les Cocodrilles qui habitent le Nil, lesquels autrefois ils tenoient, pour des dieux ou pour monstrer la puissance des dieux à cause de leurs forces qui gist principalement à la queuë, laquelle ils adoroient, enfermée dans une cage de fer, & donnoient à manger à cet animal, comme à une beste divine & representant, ou estant la Déité mesme. Il y avoit mesme des particuliers qui en nourrissoient de jeunes dans leur maisons & leur donnoient toute liberté à ce qui n'en prit pas bien à un certain Egyptien, lequel en ayant eslevé une en son logis luy devora son fils & puis s'enfuit un jour que le pere estoit absent, tant il fait dangereux domestiquer un animal naturellement cruel & ennemy de l'homme.

Le chasseur armé d'un habit de maille de fer, qui luy couvre tout le corps, fait une fosse profonde & estroitte comme un petit puits, dans lequel il se met jusques au col environné de mousses & fueillages pour n'estre apperceu, puis il enferme sa teste dans l'escorce d'un gros fruict ressemblant au melon, que les Égyptiens sement en quantité par les champs, & dans ceste escorce il y fait deux trous comme un masque pour voir & n'estre veu, ayant au préalable attaché à un long chable, qui tient par un bout à un tour ou moulinet à bras, ne chaine de fer, au bout de laquelle est attaché à de gros harpons & crochets, quelque chien mort ou autre charogne qui sert d'amorce à l'animal.

Le cocodrille sortant de l'eau pour chercher sa nourriture, ne se donne pas garde du piège ny de l'homme caché, & rodant ça & là en rugissant, trouve en fin l'amorce qu'il avalle avidemment, puis se retire dans le Nil, pendant que le chasseur luy file sa corde, jusques au point qui le tient arresté au molinet, qui fait par ceste violence prendre ferme aux crampons & crochets avallez dans le corps de ceste beste. Cela estant fait le chasseur sort de sa fosse oste son melon, & crie par tout à l'ayde aux laboureurs des champs, qui vont à son secours & tournent tous ensemblement le moulinet, qui fait approcher la beste comme un cabestran les anchres de la mer, estant là traîné la gueule beante & eslevée, le chasseur luy saute sur le dos, & luy fait passer un fer par la gueule, comme un mors à cheval, qui luy revient prendre par derrière la teste où il est attaché avec des vis, & serré de si prés que l'animal ne peut offencer de sa dent, il n'y a plus que sa rude queue à craindre, de laquelle ils se donnent de garde, comme d'un dangereux coup, qui ne guerit point, car ceste rude peau est dure au possible. Et en ceste equipage le conduisent au grand Caire attaché à la queue d'un chameau, pour estre veu, ou pour estre vendu.

Pour le cheval marin, (desquels j'ay veu une furieuse teste) il gaste tous leurs bleds, & se prend de mesme que nous prenons icy les loups dans les louvieres, il apprehende tellement le feu, qu'à la seule veue d'iceluy, il s'enfuit comme fait aussi le Lyon, ainsi que j'ay veu quelque part, de ceux que les estrangers nous ameinent.

J'ay appris d'un Religieux nommé frere Ange Deluan pour lors nostre compagnon, qu'estant en terre saincte en l'an 1626 quelqu'uns de nos freres, desirans passer de l'Egypte, par les deserts pour la Palestine se servirent de l'occasion d'une Caravanne, qui alloit aux Saincts lieux. Mais comme ils furent un soir campez & assis auprés d'un bon feu, ils entendirent japper le Gati, qui leur fust un asseuré signal du voisinage de quelque Lyon, qui parut incontinent aprés & les regarda fixement un assez long-temps, assis sur son derrière sans ozer neantmoins les approcher, car les hommes s'estoient munis de leurs armes & chargé leurs arquebuzes, ce que voyant le petit compagnon tourne bride & le Lyon après sans qu'aucun tirast sur eux, pour nous apprendre que nous ne devons pas mespriser les petits & que si quelqu'un ne nous peut nuyre, il nous peut assister au besoin & empescher qu'on ne nous nuyse par leur advertissement.

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