Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
Des dances, chansons & autres cérémonies ridicules de nos Hurons.
CHAPITRE XVI.
NOs Sauvages, & generalement tous les peuples des Indes Occidentales sont de grands chanteurs, & ont de tous temps l'usage des dances; mais ils l'ont à quatre fins: pour agréer à leurs Demons, qu'ils pensent leur faire du bien, ou pour faire feste à quelqu'un de leurs amis ou alliez, pour se resjouyr de quelque signalée victoire, ou pour prevenir & guerir les maladies & infirmitez qui leur arrivent.
Lorsqu'il se doit faire quelques dances, nuds, ou couverts de leurs brayers, à la disposition du malade, du Médecin, ou des Capitaines du lieu; le cry s'en fait par toutes les rues de la ville ou village, à ce que tous les jeunes hommes, femmes & filles, s'y trouvent à l'heure & jour ordonné, matachiez & parez, de ce qu'ils ont de plus beau & précieux, pour faire honneur à la feste, & obtenir par ces cérémonies l'entière guerison, d'une telle personne malade, qu'ils nomment publiquement, à quoy obeïssent punctuellement toutes les jeunes gens mariez ou non mariez, & mesmes plusieurs vieillards, & femmes decrepites par devotion. Les villages circonvoisins ont le mesme advertissement, & s'y portent avec la mesme affection à la liberté d'un chacun, car on n'y contraint personne.
Cependant on dispose l'une des plus grandes cabanes du lieu, & là estans tous arrivez, ceux qui ny sont que pour spectateurs, comme sont les vieillards, les vieilles femmes, et les enfans, se tiennent assis sur les nattes contre les establies, & les autres au dessus, le long de la cabane, puis deux Capitaines estans debouts, chacun une tortue en la main (de celles qui servent à chanter & souffler les malades) chantent ainsi au milieu de la dance, une chanson, à laquelle ils accordent le son de leur tortue, puis estant finie ils font tous une grande acclamation disans, Hé, é, é, é, puis en recommencent une autre, ou repetent la mesme, jusques au nombre des reprises qui auront esté ordonnées, & n'y a que ces deux Capitaines qui chantent, & tout le reste dit seulement, Het, het, het, comme quelqu'un qui aspire avec véhémence, & puis tousjours à la fin de chaque chanson une haute & longue acclamation, disans Hé, é, é, é. Mais ce qui est louable en eux est qu'il ne leur arrive jamais de chanter aucune chanson vilaine, ou scandaleuse, comme l'on faict icy, aussi lors que quelque François chantoit, & qu'ils luy demandoient l'explication de sa chanson, s'il leur disoit qu'elle estoit d'amour, ou mondaine, ils n'en estoient pas contans, & disoient Danstan téhongniande, cela n'est pas bien, & ne le vouloient point escouter.
Toutes ces dances se font en rond, mais les danceurs ne se tiennent point par la main comme par deçà, ains ont tous les poings fermez, les filles les tiennent l'un sur l'autre, esloignez de leur estomach, & les hommes les tiennent aussi fermez; eslevez en l'air, & de toute autre façon, en la maniere d'un homme qui menace; avec mouvement, & du corps, & des pieds, levans l'un, & puis l'autre, desquels ils frappent contre terre à la cadence des chansons, & s'eslevans comme en demy-sauts, & les filles branslans tout le corps, & les pieds de mesme, se retournent au bout de quatre ou cinq petits pas, vers celuy ou celle qui le suit, pour luy faire la reverence d'un hochement de teste. Et ceux ou celles qui se demeinent le mieux, & sont plus à propos toutes ces petites chimagrées, sont estimez entr'eux les meilleurs, danceurs, c'est pourquoy ils ne s'y espargnent pas, non plus qu'en un festin ou quelque bon repas.
Ces dances durent ordinairement une, deux, ou trois aprés disnées, & pour n'y recevoir d'empeschement des habits, quoy que ce soit au plus fort de l'Hyver, ils n'y portent jamais autres vestemens ny couvertures que leurs brayers, sinon que, pour quelqu'autre sujet il soit ordonné de les mettre bas; n'oublians neantmoins jamais leurs colliers, oreillettes, & brasselets, & de se peinturer par fois; comme au cas pareil les hommes se parent de colliers, plumes, peintures, & autres fatras, dont j'en ay veu estre accommodez en mascarades ou Caresme-prenant; ayans une peau d'ours qui leur couvroit le corps, les oreilles dressées au haut de la teste, & la face couverte, excepté les yeux, & ceux cy ne servoient que de portiers, ou bouffons, & ne se mesloient à la dance que par intervalle à cause qu'ils estoient destinez à autre chose.
Je vis un jour un de ces boufons entrer processionnellement dans la cabane où se devoit faire la dance, avec tous ceux qui étaient de la feste, lequel portant sur ses espaules, un grand chien lié, & garotté par les jambes, & le museau, le prit par celles de derrière, & le rua tant de fois contre terre qu'il en mourut, estans mort il l'envoya apprester à la cabane voisine, pour le festin qui se devoit faire à l'issue de la dance.
Que cela ayt esté fait sans dessein ou pour un sacrifice, je n'en ay rien sçeu, car personne ne m'en pû donner l'explication.
Si la dance est ordonnée pour une malade, à la troisiesme ou dernière après disnée, s'il est trouvé expédient, ou ordonné par Loki, elle y est portée, & en l'une des reprises, ou tour de chanson, on la porte, en la seconde on la faict un peu marcher, & dancer, la soustenant par sous les bras, & à la troisiesme, si la force luy peut permettre, ils la font un peu dancer d'elle mesme, sans ayde de personne, luy criant cependant tousjours à pleine teste, Etsagon outsahonne, achieteque anaterseace; c'est à dire, prend courage femme, & tu seras demain guérie, & après les dances finies, ceux qui sont destinez pour le festin y vont, & les autres s'en retournent en leurs maisons.
Il se fit un jour une dance de tous les jeunes hommes, femmes, & filles toutes nues en la presence d'une malade, à laquelle il fallut (traict que je sçay comment excuser, ou passer sous silence) qu'un de ces jeunes hommes luy pissast dans la bouche, & qu'elle avallast cette eau, comme elle fit avec un grand courage, esperans en recevoir guerison: car elle mesme desira que le tout se fit de la sorte, pour accomplir & ne rien obmettre du songe qu'elle en avoit eu la nuit precedante: que si pendant leur reverie, il leur vient encore en la pensée qu'on leur fasse present d'un chien blanc, ou noir, ou d'un grand poisson pour festiner, ou bien de quelque chose à autre usage; à mesme temps le cry s'en faict par toute la ville, afin que si quelqu'un a une telle chose qu'on specifie, qu'il en fasse present à la malade, pour le recouvrement de sa santé: ils sont si secourables qu'ils ne manquent point de la trouver, bien que la chose soit de valeur ou d'importance entr'eux; aymans mieux souffrir & avoir disette des choses, que de manquer au besoin à un malade necessiteux, ou qui aye envie de quelque chose qui soit en leur puissance...
Pour exemple, le Pere Joseph avoit donné un chat à un grand Capitaine, comme un present tres rare, car ils n'ont point de ces animaux. Il arriva qu'une malade songea que si on luy avoit donné ce chat qu'elle seroit bien-tost guerie. Ce Capitaine en fut adverty, qui aussi tost luy envoya son chat bien qu'il l'aymast grandement, & sa fille encore plus, laquelle se voyant privée de cet animal, qu'elle aymoit passionnement, en tomba malade, & mourut de regret, ne pouvant vaincre & surmonter son affection; bien qu'elle ne voulut manquer, à l'ayde & secours qu'elle devoit à son prochain, ce qui nous est d'un grand exemple.
Pour recouvrer nostre dé à coudre, qui nous avoit esté desrobé par un jeune garçon, qui depuis le donna à une fille, je fus au lieu où se faisaient les dances, & ne manquay point de l'y remarquer, & ne ravoir d'une fille qui l'avoit pendu à sa ceinture, avec ses autres matachias, & en attendant l'issue de la dance, je me fis repeter par un Sauvage l'une des chansons qui s'y disoient, dont en voicy une partie.
Ongyata éuhaha, ho, ho, ho, ho, ho,
Eguyotonuhaton, on, on, on, on, on,
Eyontara éintet, onnet, onet, onet,
Eyontara éintet à, à, à, onnet, onnet, onnet, ho, ho, ho.
(Faut repeter chacune ligne deux fois.)
Ayant d'escrit ce petit eschantillon d'une chanson Huronne, j'ay creu qu'il ne seroit pas mal à propos de d'escrire encore icy partie d'une autre chanson, qui se disoit un jour en la cabane du grand Sagamo des Souriquois, à la louange du Diable, qui leur avoit indiqué de la chasse, ainsi que nous apprend l'escot qui s'en dist tesmoin auriculaire & commence ainsi.
Haloet, ho, ho, hé, hé, ha, ha, haloet, ho, ho, hé,
Ce qu'ils chantent par plusieurs fois: le chant est sur ces notes.
Re, fa, sol, sol, re, sol, sol, fa, fa, re, re, sol, sol, fa, fa.
Une chanson finie, ils font tous une grande exclamation, disans Hé, puis recommencent une autre chanson, disans.
Egrigna hau, egrigna hé, hé, hu, hu, ho,
ho, ho, Egrigna, hau, hau, hau.
Le chant de cette cy estoit. Fa, fa, fa, sol, sol, fa, fa, re, re, sol, sol, fa, fa, fa, re, fa, fa, sol, sol, fa.
Ayans faict l'exclamation accoustumée, ils en commencoient une autre qui chantoit.
Tameia Alléluia, tameia à dou veni, hau,
hau, hé, hé.
Le chant estoit: Sol, sol, sol, fa, fa, re, re, re, fa, fa, sol, fa, sol, fa, fa, re, re.
Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bon accords, comme:
Hé, hé, hé, hé, hé, hé, hê, hé, hé, hé.
Avec cette notte, Fa, fa, sol, fa, fa, sol, sol, sol, sol, sol.
Et cela faict s'escrioyent d'une façon, & hurlement espouventable, l'espace d'un quart d'heure, & sautoient en l'air avec violence, jusques à en escumer par la bouche, puis recommencerent la musique, disans:
Heu, heüraüre, heüra, heüraüre, heüra,
heüra, ouek.
La note est: Fa, mi, re, sol, sol, sol, fa, mi, re, mi, re, mi, ut, re.
Dans le païs de nos Hurons, il se faict aussi des assemblées de toutes les filles d'un bourg auprès d'une malade, tant à sa priere, suyvant la reverie qu'elle en aura euë, que par l'ordonnance de Loki, pour sa santé & guerison. Les filles ainsi assemblées, on leur demande à toutes, les une aprés les autres, celuy qu'elles veulent des jeunes hommes du bourg, pour dormir avec elles la nuict prochaine: elles en nomment chacune un, qui sont aussitost advertis par les maistres de la ceremonie, lesquels viennent tous au soir en la presence de la malade, dormir d'un bout à l'autre de la cabane, chacun avec celle qui l'a choisi, & passent ainsi toute la nuict, pendant que deux Capitaines aux deux bouts du logis, chantent & sonnent de leur tortue du soir au lendemain matin, que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir une si damnable & mal-heureuse ceremonie, avec toutes celles qui sont de mesme aloy, & que les François, qui les fomentent par leurs mauvais exemples, ouvrent les yeux de leur esprit, pour voir le compte tres-estroict qu'ils en rendront un jour devant Dieu.
De leur mariage & concubinage, & de la difference qu'ils y apportent.
CHAPITRE XVII.
NOus lisons, que Cesar, Prince accomply & doué d'une honnesteté & pudeur admirable, louoit grandement les Allemans d'avoir eu en leur ancienne vie sauvage telle continence, qu'ils reputoient chose tres-vilaine, à un jeune homme, d'avoir la compagnie, d'une femme ou fille avant l'aage de vingt ans, & Solon Salamain, commanda par ses loix aux Atheniens, que nulle ozast se marier qu'il n'eust aussi attaint l'aage de vingt ans, & le bon Lycurgus ordonna aux Lacedemoniens, de ne prendre femme qu'ils n'eussent accomplis les 25 ans, mais le Philosophe Protheus, prohiba aux Egyptiens, de ne contracter mariage, qu'ils n'eussent passé les trente, tellement que si quelqu'un s'avançast à prendre femme avant le temps ainsi limité, estoit decreté & commandé par la loy, de chastier publiquement le pere, & d'estimer les enfans non legitimes.
C'est sans difficulté qu'on peut approuver ces loix pour bonnes ou pour mauvaises, louables en une chose & dangereuses en l'autre, mais à les prendre comme on voudra, tousjours les infidèles & les Payens mesmes, se sont faicts admirer des Chrestiens, comme plus retenus & continens. Et quoy peur de scandale on est aujourd'huy contrainct de marier des enfans à des enfans, qui n'engendrent que d'autres enfans foibles & delicats, d'où il arrive tant d'employ pour les medecins, mais il vaut mieux le marier que le brusler, dit l'Apostre, & faire une chose licite qu'illicite, car d'y apporter un reglement, la coustume estant tournée en habitude, elle s'est rendue irrremediable, & comme passée en loy & d'en poser d'autres, si les Legislateurs les observoient eux mesmes, elles ne serviroient que pour chastier les petits & donner l'essor aux grands du monde, qui croyent que toutes choses leur sont permises, pour ce que les Loix sont semblables aux toiles des araignés, disoit Solon, entant qu'en icelles, il n'y a que les pauvres & debiles, qui y soient prins, mais les riches & puissans les rompent & destruisent.
La jeunesse entre nos Hurons, Quieunontateronons & autres peuples sedentaires, a un peu trop de liberté au vice, car les jeunes hommes ont licence de s'addonner au mal si tost qu'ils peuvent, & les filles de se prostituer si tost qu'elles en sont capables, neantmoins je peux dire avec verité, de n'y avoir jamais veu donner un seul baiser, ny veu faire un geste ou regard impudique, & pour cette raison, j'ose affermer qu'ils sont moins suject à ce vice que l'on n'est par deçà, dont on peut attribuer la cause non à la Loy; car avant nous ils n'en avoient encor receu aucune, mais à leur nudité principalement de la teste, partie au deffaut des espiceries & du vin, & partie à l'usage ordinaire qu'ils ont du petun, la fumée duquel estourdit les sens & monte au cerveau & puis pour le peu d'atraicts de ces objects, plus degoustans que ravissans, à quiconque a tant soit peu de retenue, & l'oeil aucunement chaste.
Les jeunes hommes, qui ne se veulent point marier, ny obliger à une femme, tiennent ordinairement des filles à pot & à feu, qui leur servent en la mesme manière que s'ils en estoient les marys, il n'y a que le seul nom de differance, car ils ne les appellent point Atenonha femme, ains Asqua, compagne ou concubine, & vivent ensemble autant long-temps qu'il leur plaist, sans perdre ny les uns ny les autres la mesme liberté qu'ils avoient de courir les cabanes, & sans ceste licence de chercher amis, je croy que beaucoup de filles resteroient vierges & sans marys, pour estre le nombre plus grand que celuy des hommes à mon advis, il en est presque de mesme en France, où les guerres consomment une infinité d'hommes, de la vîent que l'on y a basty plus de Monasteres de filles depuis trente ans ença, qu'il ne s'y en estoit estably mil ans auparavant, de quoy nostre Seigneur reçoit gloire, & ses espouzes le Paradis.
Quand un jeune homme veut avoir une fille en mariage, il faut qu'il la demande à ses pere & mere, sans le contentement desquels la fille n'est point à luy, bien que le plus souvent la fille ne prend point leur consentement ny advis, sinon les plus sages. Cest amant voulant faire l'amour à sa maistresse & acquerir ses bonnes graces, il se peinturera le visage & s'accommodera de ses plus beaux matachias, puis presentera à sa maistresse quelque colliers, brasselets, ou oreillettes de pourceleine, & si la fille a ce serviteur aggreable elle reçoit ces presens, cela faict, cest amoureux viendra coucher avec elle 3 ou 4 nuicts, & jusque là, il n'y a point encor de mariage parfaict, ny de promesse donnée, pour ce qu'après ce dormir il arrive assez souvent que l'amitié se refroidit, & que la fille qui a souffert ce passe droict n'affectionne pas pour cela ce serviteur, & faut après qu'il se retire sans plus parler de mariage, comme il arriva de nostre temps à un jeune homme de la bourgade de sainct Nicolas ou Touenchain, congédié par la seconde fille du grand Capitaine Auoindaon, dequoy le père mesme se plaignit à nous, bien qu'il ne la voulut contraindre de passer outre au mariage qu'il eut fort desiré.
Les parties estans d'accord & le consentement des pere & mere donné, on procede à la ceremonie du mariage, par un festin où tout les parens & amis des accordez sont invitez. Tout le monde estant assemblé & chacun en son rang assis sur son seant. Le pere de la fille ou le maistre de la ceremonie à ce deputé, dit hautement devant toute l'assemblée, comme tels & tels se marient ensemble & qu'à cette occasion a esté faicte cette assemblée & ce festin, à quoy tous respondent ho onnianne, voilà qui est bien.
Le tout estant approuvé & la chaudière nette chacun se retire, aprés avoir congratulé les nouveaux mariés d'un ho, ho, ho, puis si c'est en Hyver (à cause que pour lois les mesnages sont fournis de ce qui leur est necessaire) chaque femme est tenue de porter à la nouvelle mariée un faisceau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle ne le pourroit pas faire seule, & aussi qu'il luy convient vaquer à d'autres choses pour son nouveau mesnage, qui est tousjours assez riche, puis qu'il est assorty du contentement & de la paix, qui en est la principale pièce.
Ceste courtoisie des femmes, ne se pratique pas envers toutes les nouvelles mariées, n'y en toutes les Provinces, mais j'ay appris qu'en quelque Province de nostre mesme Amerique la coustume estoit que les parens leur portaient chacun sa pièce de mesnage & de leur emmeublement qui est une chose fort commode, & que nous voyons pratiquer en quelque contrée de la Germanie.
Or il faut notter qu'ils gardent trois degrez de consanguinité, dans lesquels, ils n'ont point accoustumé de faire mariage; sçavoir est du fils avec sa mere, du pere avec sa fille, du frere avec sa soeur & du cousin avec sa cousine, comme je recognu appertement un jour, que je monstré une fille à un Huron & luy demanday si elle estoit sa femme ou sa concubine, lequel me respondit qu'elle n'estoit ny l'une ny l'autre, ouy bien sa cousine & qu'ils n'avoient pas accoustumé de coucher avec celles qui leur estoient si proches parentes, qui est une observation fort louable, en comparaison de certains Gentils du Peru avant leur conversion, lesquels se marioient indifferemment à qui que ce fust, soeurs, filles & mesmes à leurs meres. Mais hors cela toutes choses sont permises à nos Huronnes & à leurs voisines.
De douaire il ne s'en parle point, non plus que de trousseaux, ny de possessions & encore moins d'argent, aussi quand il arrive divorce, le mary, n'est tenu de rien, ny la femme de luy rendre compte, chacun prenant ce qui luy appartient, qui n'est pas souvent grand chose, un peu de fourrures, un peu de rassades, & quelque escuelles. Item Voyla tout, car les richesses principales qu'ils demandent en la personne qu'ils recherchent, sont celles de l'esprit & non de la terre, car mieux vaut un homme ou une fille sans argent, que de l'argent sans homme ou fille vertueuse, c'est le sentiment de tous les bons Chrestiens, qui s'accordent en cela avec tous les barbares.
Neantmoins si à succession de temps il prenoit envie à l'un de nos barbares, de repudier sa femme pour quelque suject que ce soit, comme il n'y a point eu de contract: passé par devant Notaires, aussi est-il facile de rompre leur mariage, & suffit au mary de dire aux parens de sa femme, & à elle mesme, qu'elle ne vaut rien & qu'elle se pourvoye ailleurs, ce qu'elle fait, du moins elle sort & vit en commun comme les autres, jusques à ce que quelqu'autre la recherche, & non seulement les hommes procurent ce divorce quand les femmes leur en ont donné quelque suject, mais aussi les femmes quittent quelquefois leurs marys quand ils ne leur agréent point, ou qu'elles en ayment un autre, tellement qu'il s'y en trouve qui ont eu quantité de marys, lesquels marys se remarient à d'autres femmes, & les femmes d'autre hommes, le tout, sans difficulté & sans jalousie, qu'un autre jouisse de leur couche. Il n'y a que pour les enfans lesquels ils partagent ordinairement par moitié, les filles à la mere & les garçons au pere, ainsi qu'ils jugent expedient, car ils ne suivent pas tousjours un mesme ordre entr'eux pour c'est égard.
Les Montagnais & Canadiens observent bien une partie des ceremonies des Hurons en leurs amourettes & mariages, mais encores ont ils quelques choses de particulieres & plus honestes, qui ne sont neantmoins propres qu'à des barbares, & gens qui ne fuyent pas le hazard de tomber au peché.
Quand un jeune Montagnais desire avoir une fille en mariage, il hante simplement sa cabane peinturé & enjolivé de diverses couleurs, & luy declare l'amour qu'il a pour elle, & elle au réciproque luy tesmoigne de l'affection, si elle a ses entretiens aggreables, sinon elle luy donne son congé. Estant le bien venu il luy fait quelque present, lequel elle reçoit pour arre de son affection, cela faict cet amoureux viendra coucher avec elle, lors qu'il luy plaira, non de nuict, mais en plain jour, enveloppez tous deux d'une couverture, sans se toucher, car il n'est pas permis de faire rien d'indecent, mais seulement s'entretenir & discourir de leur amour en la presence de tout le monde & non point en cachette.
Le jeune homme aggreant à la fille & la fille au garçon, il en parle à ses pere & mere & à leur deffaut à ses plus proches parens, & ses parens à ceux de la fille, qui considèrent avant de rien conclure, le personnage & son humeur, s'il n'est point paresseux, querelleur, mauvais chasseur ou addonné aux femmes, car encor que ce dernier vice ne soit point en mespris chez eux, si ne font ils point estat de ceux qui s'y addonnent.
Or de mesme que l'on s'informe des garçons & de leur deffauts, la mesme enqueste se faict pour les filles & de leurs imperfections, l'on voit s'y elle est point une coureuse, une cajoleuse ou une desbauchée addonnée aux hommes, car de telles filles ils n'en font estat non plus que des chiennes, (ainsi les appellent ils). L'on demande aussi si elle est point une paresseuse, querelleuse, menteuse ou acariastre, car pour rien ils n'en voudroient, si elle travaille bien proprement aux petits ouvrages qu'elle a à faire, comme escuelles d'escorces raquettes à courir sur les neiges & vestements, ayans tous deux les conditions requises, les peres & meres prennent jour pour les marier, & en attendant le temps expiré, les parens de la fille avec la fille mesme, travaillent aux robes pour les futurs espoux & à disposer tout son emmeublement, qui n'arrive pas jusques dans l'excès, car je vous asseure que quand elles ont une couverture, une chaudiere & quelques escuelles d'escorces les voyla prou contantes & riches.
Pour le garçon il est aussi reciproquement assisté de ses parens, car son pere luy fournit d'un canot d'escorce avec les avirons, de quelques rets & filets pour la pesche, d'une hache, d'une espée, d'un arc & fleches, mais ce qui est excellent & qui tesmoigne en effect une douce & amiable societé en ceux qui n'ont jamais eu de pédagogue que la simple nature est; qu'un chacun des parens & amys des futurs espoux vont à la pesche ou à la chasse selon la saison, pour faire le festin des nopces où au jour assigné, tous les parens s'estans assemblez & l'espousée parée d'une belle robe neuve bien matachiée & le visage huylé & peint de diverses couleurs, elle en faict autant à son futur mary, qui s'en tient d'autant plus beau qu'il est mieux coloré & barré d'huiles & de peintures.
Toute la cérémonie se paracheve au festin, où chacun tasche de se consoler, après lequel, le gendre demeure de famille avec sa femme au logis de son beau père ou de sa belle mere, & ne s'en retire que pour quelque différent ou mesintelligence. Ils ne prennent aussi ordinairement que chacun une femme, bien qu'il s'y en est rencontré qui en avoit jusques à 3 ou 4 mais fort rarement, sinon un qui en avoit jusques à 7 en divers endroits, ce qui ne se voit jamais parmy nos Hurons, qui ont avec leur femme toute liberté de courir aux autres (mais sans violence aucune,) ce que n'ont pas nos Montagnais, qui mesprisent d'ailleurs ces hommes, chargez de plusieurs femmes, comme ennemis de l'honnesteté. Mais comme il est impossible qu'il n'y arrive quelquefois des disgraces dans un mesnage, nos Montagnais pour paisibles qu'ils soient, chassent aucunefois leur femmes au loin, mais par le moyen de leurs amis, ils sont facilement reconciliez & si remettent ensemble, ce qui ne se faict pas si aysement entre nos Hurons, où un chacun a bien tost trouvé party quand l'un des deux abandonne l'autre.
De la naissance & de quelque ceremonies que les Sauvagesses pratiquent à l'endroit des enfans nouveaux nais. De l'amour que les peres ont pour eux & de l'imposition des noms & surnoms.
CHAPITRE XVIII.
NOnobstant que les femmes voyent d'autres hommes que leurs maris, & les maris d'autres femmes que les leurs, si est ce qu'ils ayment tous grandement leurs enfans, gardans cette loy que la nature a entée és coeurs de tous les animaux d'en avoir le soin.
Or, ce qui faict qu'ils ayment leurs enfans plus qu'on ne faict par deçà, est à mon advis qu'ils sont le support des peres & meres en leur vieillesse, soit pour les ayder à vivre, ou bien pour les deffendre de leurs ennemis, & la nature conserve en eux son droict tout entier pour ce regard: à cause dequoy ce qu'ils souhaittent le plus est d'avoir nombre d'enfans, pour estre tant plus forts & asseurez de support au temps de maladie ou de vieillesse, & neantmoins entre les Hurons les femmes n'y sont pas si fecondes que par deçà: peut estre à cause de tant d'amis ou du climat, ou pour autre raison que je ne cognois point, non plus que celles qui donnent davantage d'enfans aux Françoises qu'aux Espagnoles & Italiennes.
La femme estant preste d'accoucher toute la cérémonie qu'il s'y apportent n'est pas grande, & les preparatifs encores moins curieux, car ils plantent simplement 4 ou 5 bastons en un coin de la cabane qu'ils entourent de peaux & couvertures, comme un habitacle dedans lequel ils couchent la malade à platte terre, ou, pour le plus sur quelque fourures ou rameaux de sapin, & là elle faict son fruict assistée de quelque vieille qui luy sert de sage femme il y en a qui accouchent d'elles mesmes & en peu de temps, & peu meurent de ce travail, qui semble leur estre moindre qu'aux femmes delicates de par deçà.
L'enfant estant nay, le premier office qu'il faict, est de sonner de la trompette en pleurant, pour dire qu'entrant au monde il entre à la guerre, comme en effect ce monde n'est qu'une guerre continuelle, un sejour de miseres & une vallée de larmes, où à peine avons nous gousté de la vie qu'il faut gouster de la mort.
Il y en a qui ont remarqué que si l'enfant est masle, il profere dés aussi-tost, A, & E, si c'est une femelle, comme si chacun en son sexe accusoit Adam & Eve, d'où nous tirons toutes nos miseres & calamitez, mais cela vient d'une autre cause que les Medecins sçavent & que je ne peux expliquer.
En quelque contrée dés l'instant de la naissance de l'enfant, on leur frotte tout le corps d'huyle & de peintures comme au Bresil, & parmy nos Canadiens mesme les meres leur peignent le visage de noir, aussi bien qu'en la mort de leurs parens, comme si entrant au monde il falloit desja penser au trespas, car le noir signifie deuil & tristesse.
Il y en a qui leur font avaller de la graisse fondue, ou de l'huyle, si tost qu'ils sont sortis du ventre de leur mere, je ne sçay à quel dessein ny pourquoy sinon que le diable (singe des oeuvres de Dieu) leur ait voulu donner cette invention pour contrefaire en quelque chose le S. Baptesme ou la confirmation.
Les Canadiennes leur tordent aussi les deux genouils en dedans, leur faisant tourner les deux talons en dehors, en sorte que en marchant ils jettent les orteils en dedans & les talons en dehors & ce afin qu'ils prennent leur ply, & qu'estans grands, ils puissent plus facillement & commodement porter leurs raquestes & se tenir avec plus de fermeté dans les canots quand il faut estre debout, & en effect nous trouvons par expérience qu'ils ont raison, & qu'ils les portent mieux que les François, qui jettent tousjours, la pointe du pied en dehors, & par, ainsi font que la queue de leurs raquettes allans en dedans, les entrelassent souvent & se laissent tomber, comme il m'a pensé quelquefois arriver au commencement que j'y estois moins stilé, où les Sauvages au contraire ont tousjours la queue de leurs raquettes en dehors, & hors de crainte de pouvoir marcher dessus & s'entretailler comme nous faisons, dont nos chevilles en pourroient souvent dire des nouvelles, chauffez de sandalles de bois, comme nous sommes & peu souvent de cuirs.
L'usage de porter des oreillettes est tellement ancien, qu'il est dit de Job qu'après son affliction, ses parens & amis se conjouissans de sa convalescence, luy firent present chacun d'une brebis & d'un pendant d'oreille de fin or.
Nos Sauvages les ont fort en usage, non d'or ny d'argent qu'ils ne cognoisent point, mais de quoy que ce soit, c'est pourquoy la femme dés qu'elle est accouchée, suivant la coustume du païs, perce les oreilles de son petit en un, deux, trois, quatre ou cinq endroits, avec une aleine ou un os de poisson non sans quelque compassion & apprehension de leur faire douleur, mais peur qu'attendant plus tard les maux leurs soient plus sensibles & insupportables, puis y met des tuyaux de plumes ou autre chose pour entretenir les trous, estans gueris ils y pendent des patinotres de pourceleines ou autres bagatelles pareillement à son col quelque petit qu'il soit.
Apres que toutes les petites ceremonies ont esté faictes à l'enfant nouveau né, on faict le festin aux amis où la tarte & le bon vin n'est point espargné icy, ny le petun & la sagamité là. Mais pour l'imposition des noms, ils les donnent par tradition, c'est à dire, qu'ils ont des noms en grande quantité, lesquels ils choisissenr & imposent à leurs enfans, aucuns desquels sont sans signification & les autres avec signification, qu'ils disent rarement à quiconque leur demande, car ils sont autant retenus à dire leur propre nom, comme libres de dire celuy des autres.
Je veux bien advertir aussi les nouveaux François qui vont entr'eux que s'ils ne sont soigneux de leur dire leur nom propre dés leur arrivée, que les Sauvages ne manqueront pas de leur en imposer de ceux qu'ils croiront leur mieux convenir.
A ce jeune garçon qui vint demeurer avec nous dans le païs des Hurons à cause qu'il estoit jeune, petit & frétillant, ils l'appellerent Aubaitsique, qui veut dire petit poisson. A un autre François un peu turbulant & léger de la main, ils luy donnèrent le nom Houaonton, qui signifie fascheux & querelleur. A moy ils m'avoient donné le nom de grand Chef de guerre, je ne sçay par quelle raison, (car je n'avois ny espée, ny mousquet,) sinon que je n'aprehendois aucun peril ny danger, ou pour la recommandation des Chefs de l'habitation, lesquels avoient de l'affection & du respect particulier pour moy qui estois le moindre de tous nos frètes.
Aprés que j'eu sçeu par le moyen du Truchement Bruslé & du sieur du Vernet la signification de ce nom nullement convenable à un pauvre frère Mineur, je leur dis qu'ils m appelassent par mon nom propre Gabriel, comme ils faisoient mes deux autres confrères, Joseph & Nicolas, ce qu'ils firent, sinon par les champs & parmy les autres nations qu'ils usoient du mot Garihouanne grand Capitaine.
On dit que les Roys du Peru, avoient accoustumé de prendre les noms des principaux animaux, des principales plantes ou des plus belles fleurs de leur pais, pour donner à entendre & s'instruire eux mesmes, que comme ces choses excelloient par dessus celles de leur espece, il falloit de mesme qu'ils parussent plus excellemment vertueux que tous les autres hommes du commun. Aussi ce nom que mes Hurons m'avoient imposé m'obligeoit à une plus exacte pratique de la vertu, non en paroles seulement, mais à la patience & à souffrir genereusement les choses qui contredisoient à mon esprit & desplaisoient à mes sens, car pour la guerre contre les hommes elle n'estoit pas de mon gibier.
J'ay cogneu un homme d'entr'eux qui se nommoit Onniannetani qui veut dire je suis empeché, un autre Tarby, arbre, je pensois au commencement avec plusieurs autres qu'il vouloit dire Tharé, le nom du père d'Abraham mais je me mesprenois avec eux. Aucuns portent le nom de quelque animal, autres des montagnes, & vallées, du vent, ou de quelque partie du corps humain, & un qui s'appelloit Joseph, mais je n'ay pû sçavoir qui luy avoit imposé ce nom là, & peut estre que parmy un si grand nombre de noms qu'ils ont en usage, il s'y en peut trouver quelqu'uns approchans des nostres, ou par rencontre ou à dessein.
L'on tient que nos Montagnais ont cela de particulier qu'ils imposent souvent deux noms à leurs enfans, & quelquefois trois comme celuy qui fut nommé Mahican, Atic, Ouche Loup, Cerf, Canot. Et un autre Mahican Atic, Loup, Cerf. Puis Choumin, Raisin, Aric Crapaut, Petitchiouan la mer monte. Amiscoueian, vieille robe de Castor, & plusieurs autres sortes de noms à la fantasie des parens, car aussi tost est donné le nom d'un oyseau, ou d'une beste, à l'enfant comme d'une autre chose materielle ou impropre.
J'ay quelquefois ruminé en moy-mesme d'où pouvoient procéder ou deriver les surnoms de nous autres Chrestiens, veu qu'ils ne sont point ordinairement en usage chez les Juifs, Payens & Infidelles, desquels nous sommes descendus, car en fin nous avons tous pris naissance, d'Eve & d'Adam, des Juifs, ou des Gentils, & asseurement des Enfans de Noël, & ay creu, que plusieurs ont esté imposez par le vulgaire, ou pour quelque action, ou pour quelque accident, & que d'autres s'en sont imposez d'eux mesmes prenans des noms de guerre, de ville, ou de seigneurie, ensevelissans par ce moyen le leur ancien, mais je croy, & il y a bien de l'apparence que nos surnoms sont pour la pluspart les noms propres de nos anciens parens avant qu'ils fussent faits Chrestiens, ausquels on imposoit un nouveau nom au sainct Baptesme, & le leur propre qu'ils avoient auparavant leur a servy de surnom, qui est venu jusques à nous de pere en fils, ainsi que nous pratiquons encores de present envers plusieurs de nos Canadiens convertis, ausquels nous avons laissé leur ancien nom Sauvage pour surnom.
Car que veulent dire la pluspart de nos surnoms, personne n'en sçauroit rien dire, non plus que des noms des Payens, & Sauvages dont nous ignorons les louanges, ou bien il faudroit, qu'eux-mesmes nous en donnassent l'explication, car ils en ont peu sans signification, & si on considere de prés on trouvera que jamais nos anciens qui ont imposé les premiers noms aux hommes, n'en ont donné aucun sans consideration, & qui n'aye signifié quelque chose, comme j'ay dit, laquelle signification n'est point venue jusques à nous.
Or le nom que nos Sauvages ont imposé à leurs enfans en la naissance leur reste tousjours, sinon que pour quelque occasion particuliere & remarquable on leur change, ou qu'on leur en adjouste encore un autre de vitupère ou d'honneur, comme j'ay dit en la resurrection des valeureux Capitaine morts entre les neutres, ou l'on fait revivre leur memoire.
Nous avons, appris du sieur Champlain qu'il y eut un Sauvage de sa cognoissance qui par consideration voulut changer son premier nom en celuy de Loup & Cerf, on lui en demanda la raison & pourquoy il avoit pris les noms de deux animaux si contraires, il respondit qu'en son païs il n'y avoit beste si cruelle que le loup & animal plus doux que le cerf, & qu'ainsi il seroit bon, doux & paisible envers un chacun n'estant point offencé, mais que s'il estoit outragé, il seroit furieux & vaillant, & ne pardonneroit à personne, non plus que le loup au cerf, quand il le tient arresté.
J'ay desja dit en quelque endroit de ce volume la force des femmes Sauvagesses, & comme elles accouchent sans grand travail, du moins qui paroisse, mais je repete derechef qu'elles sont admirables, car elles n'ont pas si tost mis un enfant au monde, qu'elles sont encores plustost sus pieds, vont au bois, vont à l'eau, & font tout le reste de leur petit mesnage comme si de rien n'avoit esté, de se geindre point de nouvelle, & de faire la delicate encore moins, on se rie plaisamment en France du caquet des accouchées, où toutes sortes de differens discours s'estalent & se devident, car l'une y parle de son mary, & l'autre de sa servante, du four, & du moulin, & du marché, de halles. O mon Dieu quel cliquetits, il n'y a que les plus spirituelles qui parlent un peu de Dieu mais encore sobrement, car la mode, & les collets, la juppe, & les souliers ont là leur empire.
Un certain François fit un jour divers interrogats à une jeune femme nouvellement relevée de ses couches, sur ce qu'elle n'avoit point parue enceinte ny grosse, guère plus qu'à son ordinaire, (c'est que j'ay admiré entre nos Huronnes) ne s'estoit point plainte, & n'avoit point gardé la chambre, comme font les femmes de France. A cela toutes se prirent à rire, disans que les Françoises estoient bien paresseuses, & avoient bien peu de courage, que pour avoir mis un enfant au monde elles voulussent tenir le lict, elles devroient tascher (dirent elles,) d'accoucher en Hyver afin de faire comme les ours, qui se tiennent quatre ou cinq mois enfermez, de peur du froid.
Et comme nostre Frere Gervais estoit un jour auprès du Sauvage Napagabiscou malade dans sa cabane, sortit d'auprés de luy la femme de ce bon homme pour aller faire ses couches à la cabane voisine, mais avec tant de prudence que personne ne s'apperçeut de son incommodité, non pas mesme son mary, que le lendemain matin que sa belle soeur luy apporta une petite fille que Dieu luy avoit donnée, dequoy ils furent tous estonnez car personne ne s'estoit apperceu de sa grossesse, ny le Frere Gervais, qui demanda à cette femme, mais un peu trop simplement si cette fille estoit d'elle, laquelle luy respondit en riant que ouy (car il n'y avoit que 4 ou 5 mois qu'elle estoit accouchée) & puis dit, & quoy les femmes de France en ont elle si souvent, non dit le Religieux que d'année en année, & au plus de neuf en dix mois, mais il leur arrive quelquefois d'en avoir deux d'une couche (pour moy j'ay esté une fois en un village, où une femme estoit accouchée de quatre garçons ayans tous vie). A cela elle fit un grand cry disant: Cbetê: (car c'est leur façon d'admirer) elles ressemblent donc aux femelles des eslans qui portent deux petits à la foys, jamais je n'ay veu aucune femme de nostre Nation avoir deux enfans d'une couche, je croy qu'elle avoit quelque raison, car la chose arrive fort rarement entr'eux, neantmoins pendant que j'estois aux Hurons une fille en accoucha de deux, dequoy elle restoit toute honteuse, non d'avoir perdu sa virginité qui ne leur est point honorable, mais d'avoir fait un jumeau.
Entre les Montagnais ils ont cette coustume que personne ne se sert des vaisselles, calumets, ou petunoir de la nouvelle accouchée pendant le temps de 15 jours, tenant tout cela comme immonde, lesquels ils ne veulent pas mesme toucher, & les bruslent après ce temps là, ce qui sent fort de son honnesteté.
Du choix qu il faut faire des nourrices. De la nourriture & emmaillottement des enfans, comme ils sont endurcis à la peine, & ne succedent point aux biens du Père.
CHAPITRE XIX.
DOnner une bonne & vertueuse nourrice à l'enfant, est le fait d'une mere sage qui y doit avoir l'oeil, car de là depend en partie sa bonne inclination, pour ce qu'il tient ordinairement plus du naturel de celle qui l'a alaité, que de celuy qui la engendré, comme l'antiquité a tres-bien experimenté en Titus fils de Vespasian, & en plusieurs autres, lequel (ainsi qu'escrit Lampride) fut tout le temps de sa vie sujet à plusieurs maladies & infirmitez, à cause qu'il avoit esté baillé à nourrir à une nourrice sujete à maladie.
Mais le pis est qu'il demeure quelque impression & caractere aux ames de cette vicieuse nourriture, comme, le Grec escrit au second livre des Cesars, lors qu'il fait mention de Calligula quatriesme Empereur de Rome: les cruautez & infamies duquel n'estoient imputées à pere ny à mere: mais à la nourrice qui l'alaicta, laquelle outre qu'elle estoit cruelle & barbare d'elle mesme, encore frotoit elle quelquefois le bout de sa mamelle de sang, & le faisoit succer à l'enfant qu'elle allaitoit.
Si la nourrice est yvrongne, elle prepare l'enfant à convulsion & debilité, mesme le sera yvrongne, & comme on lit en la vie de l'Empereur Tibere, qui fut grand yvrongne, car ce que la nourrice qui l'alaitoit non seulement beuvoit excessivement, mais elle sevra l'enfant avec des souppes trempées à du vin.
Et voyla pourquoy le divin Platon entre les Grecs, & Lycurgue entre les Lacedemoniens ordonnerent & commanderent en toutes leurs loix, non seulement que toutes les femmes simples, mais les bourgeoises, Damoiselles, & de moyen estat, nourrissent leurs enfans, & celles qui estoient Princesses & délicates, au moins qu'elles nourrissent leurs enfans aisnez, à cause, comme j'ay dit, que l'enfant succe ordinairement l'humeur & l'inclination de la nourrice avec le laict de sa mammelle.
Joint que comme dit le mesme Platon en son troisiesme livre des Loix, que jamais les enfans ne sont autant aimez des meres, comme quand elles les nourrissent de leurs propres mammelles, & que les peres les tiennent entre leurs bras, ce qui est vray semblable pour ce que la première amour en toutes choses est la plus vraye amour.
Plutarque au livre du régime des Princes dit que Thomiste sixiesme Roy des Lacedemoniens, mourant laissa deux enfans desquels le second herita au Royaume, pour ce que la Reyne l'avoit nourry, & non le premier à cause qu'une nourrice l'avoit alaicté nourry & eslevé. Et de ce demeura la coustume en la pluspart des Royaumes d'Asie, que l'enfant qui ne seroit alaicté des mammelles de sa propre mere, n'heritast aux biens de son propre pere.
Mais sans aller chercher des coustumes plus au loin: les anciennes femmes d'Allemagne sont louées par Tacite, d'autant que, chacune nourrissoit ses enfans de ses propres mammelles, & n'eussent voulu qu'une autre qu'elles les eust alaitez, comme il se pratique encor de present en la pluspart des pays circonvoisins, qui se liberent par ce moyen là, entre les autres inconveniens susdits de recevoir un enfant pour un autre, ce qui est quelquefois arrivé.
De cette loy se peuvent liberer sans scrupule les femmes ausquelles la nature n'a point donné assez de forces pour pouvoir supporter, & le jour & la nuict les importunitez d'un enfant criard, car alors selon Dieu on peut avoir recours à une nourrice, non à la premiere venue, mais à une sage & vertueuse, comme firent jadis deux certaines Dames bourgeoises, qui toutes deux firent choix d'une mesme nourrice, à laquelle elles donnerent à nourrir en divers temps, l'une deux filles, & l'autre deux garçons, laquelle nourrice, fit aprés le mariage entre ses quatre nourrissons qui se marièrent tous en un mesme jour, & fus prié du festin, où je n'allay point pour ce qu'ils estoient Huguenots. Mais on peut inferer que le mariage de ces quatre estoit un mariage bien fait, car ayans esté nourris d'une mesme mammelle ils pouvoient avoir succé une mesme humeur, ou du moins qu'il s'estoit attaché en leur nature je ne sçay quoy de fort approchant à la sagesse & modestie de leur mere de laict.
Nos Sauvagesses sans autre Loy que celle que la nature leur donne, d'aymer, nourrir, & eslever leurs enfans, puisque les animaux mesmes les plus feroces ont soin de leurs petits, les allaictent de leurs propres mammelles, & n'ayans l'usage ny la commodité de la bouillie elles leur baillent des mesmes viandes desquelles elles usent, après les avoir bien maschées, & ainsi peu à peu les eslevent. Que si la mere meurt avant que l'enfant soit sevré, le pere, ou à son deffaut une autre personne, fait bouillir du bled d'Inde dans un pot de terre, puis en tire l'eau, laquelle il prend peu à peu dans sa bouche & la joignant à celle de l'enfant luy fait avaller cette eau, qui luy sert de laict & de boullie, je l'ay veu ainsi practiquer à plusieurs, & particulièrement envers le petit de nostre Sauvagesse baptisée, duquel le pere avoit un soin si patticulier qu'il ne le negligeoit en rien; luy faisoit avaller luy mesme de cette eau, ou bouillon.
De la mesme invention se servent aussi les Sauvagesses pour nourrir les petits chiens que les mères ne peuvent engraisser, ce que je trouvois fort salle & vilain, d'ainsi joindre à leur bouche le museau des petits chiens, qui ne sont pas souvent fort nets.
En quelque Province de nostre Inde occidentale, on n'emmaillotte point les enfans, peur de les rendre courbez ou contrefaicts par cet empressement, ce seroit neantmoins les mettre en un grandissime peril, n'estoit qu'on les couche dans des lits suspendus en l'air, comme font nos Canadiens, d'où ils ne peuvent tomber, ny sortir.
Mais nos Huronnes qui n'ont point l'usage du berceau, ny de ces lits suspendus, emmaillottent leurs petits enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois de cedre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon pied de largeur, où il y a à quelqu'uns un petit airest, ou aiz plié en demv rond attaché au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent contre le plancher de la cabane, ou bien elles, les portent promener avec icelles derrière leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot dans leur robbe ceinte, pendus à la mammelle, ou derrière leur dos, presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un costé & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte.
Lors que l'enfant est emmaillotté sur la petite planchette, ordinairement enjolivée de matachias & çhappelets de pourceleine, ils luy laissent unu ouverture devant sa nature, par ou il fais son eau, & si c'est une fille, ils y adjoustent une fueille de bled d'Inde renversée, qui sert à apporter l'eau dehors sans que l'enfant soit gasté de ses eauës, ny salle de ce costé là, laquelle invention est pratiquée par les Turcs mesmes, mais plus commodement, car je n'ay veu un modelle. Ils font un pertuis au berceau au dessous du siege de l'enfant qui est descouvert, & appliquent un tuyau courbé à la nature, lequel passans entre les jambes de l'enfant respond à ce trou du berceau, sous lequel ils tiennent un petit pot qui reçoit les excremens l'urine, & par ce moyen rend les enfans toujours nets & mieux sentans que ceux d'icy, d'où je conclus que pour ce regard on devroit les imiter, particulierement les pauvres gens qui ont faute de linges, d'estoffes & d'habits.
Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny la methode d'en faire, encor qu'elles ayent du chanvre assez, ont trouvé l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyenr du mesme duvet, ou avec de la poudre de bois sec & pourry & la nuict venue, elles les couchent souvens tout nuds, entre le pere, & la mere, ou dans le sain de la mere mesme, enveloppé de sa robe pour le tenir plus chaudement, & n'en arrive, que tres-rarement d'accident.
Les Canadiens, & presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille planchette pour coucher leurs enfans qu'ils appuyent contre quelque arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans planchette, à la manière qu'on accommode ceux de deça dans des langes, & en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue en l'air, attachée par les quatre coins aux bois de la cabane, comme font les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des Navires, & s'ils veulent bercer l'enfant, ils n'ont qu'à donner un branle à cette peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.
Les Cimbres avoient accoustumé de mettre leurs enfans nouveaux naiz parmy les neiges, pour les endurcir au mal, & nos Gaulois au contraire les delicatent le plus qu'ils peuvent, pour les rendre fluets & mal sains de sorte que s'ils sentent un peu de vent, de chaud ou de froid plus qu'à l'ordinaire, tout est perdu, voyla un enfant malade, il faut le Médecin, il luy faut ouvrir la veine, cette viande ne luy est pas propre, gardez vous du bruit, & pour petit qu'il soit, on fait de son estomach une boutique d'Apothicaire, & d'où vient cela, c'est qu'ils sont trop mignardez, & nais de parens fluets, car on ne voit point tant d'infirmitez aux enfans villageois non plus qu'à ceux de nos Barbares qui n'y apportent point tant de façon. Bon Dieu que d'abus & de sottise il y a, parmy de certaines maisons des grands, vous diriez proprement à les voir faire, & à les entendre qu'ils ont un autre pere qu'Adam, qu'ils ne sont point de la mesme nature des autres hommes, & qu'ils auront un Paradis à part, ouy & tel qu'ils l'auront fabriqué par leurs oeuvres.
Nos Sauvagesses imitans les Cimbres eslevent leurs enfans le moins délicatement qu'il leur est possible, & les laissent non seulement trotter & courir nuds à quatre pieds, par les cabanes, sans ayde ny conduite de personne; mais estans grandelets ils se veautrent, courent, & se roullent dans les neiges, & parmy les plus grandes ardeurs de l'Esté, sans en recevoir aucune incommodité, dequoy je m'estonnois fort, & de ce que mettant quelquefois un petit morceau de sucre dans la bouche des petits enfans ils me suivoient à quatre pieds comme petites bestioles, dans les plus grandes rigueurs de la saison. Et de là vient qu'ils s'endurcissent tellement au mal, & à la peine, qu'estans devenus grands, vieils & chenus, ils restent toujours forts & robustes, sans ressentir presque aucune indisposition, & mesmes les femmes enceintes sont tellement fortes, qu'elles s'accouchent souvent d'elles mesmes, comme elles m'ont dit, & n'en gardent point la cabane pour la pluspart. J'en ay veu arriver de la forest, chargées d'un gros faisseau de bois, qui accouchoient dés aussi tost qu'elles estoient arrivées, puis au mesme instant sus pieds, à leur ordinaire exercice.
Et pour ce que les enfans d'un tel mariage ne se peuvent asseurer légitimes, ils ont cette coustume entr'eux, aussi bien qu'en plusieurs autres endroits des Indes Occidentales, que les enfans ne succedent point aux biens de leur pere; mais ils en font successeurs & heritiers, les enfans de leurs propres soeurs, lesquels, ils sont asseurez estre de leur sang & parentage, & par ainsi les hommes sont hors du hasard d'avoir pour héritiers les enfans d'autruy bien qu'ils fussent de leurs propres femmes.
En suitte de cela il y en a qui pourroient douter que les peres eussent de l'amitié pour leurs enfans, n'estans point asseurez qu'ils fussent de leur faict, ou non, mais je vous asseure encor une fois, qu'ils les tiennent si cher, & en font tant d'estat qu'ils ne les voyent pas à demy, leur donnent toute la liberté qu'ils veulent, & ne les reprennent pour faute aucune, car de chastiment il ne s'en parle point, c'est pourquoy il ne faut pas s'estonner si estans grands ils se portent facillement au vice puis que dans les familles Chrestiennes, & Religieuses, où la correction, & le chastiment manque à la jeunesse, on n'y voit que desordre, qu'ambition & presomption d'esprit, avec plus d'excez de beaucoup que dans les familles Sauvages les plus Barbares, & esloignées de la cognoissance de Dieu.
Il faut que je m'explique & dise, (pour ne condamner les innocens avec les coupables) que s'il y a un grand nombre d'enfans Sauvages mal sages, & vicieux, & sans le respect deu à leurs parens, il y en a un autre grand nombre, qui sont mieux. Car, outre qu'ils n'ont pas tant de legeretez pueriles, comme beaucoup d'enfans de par deça, ils sont douez d'une petites gravité si jolie, & d'une modestie naturelle si honneste, que cela les rends extremement agreables & amiables, de sorte que je prenois un singulier plaisir de leur enseigner les lettres, & de les instruire en la Loy de Dieu, selon qu'ils en estoient capables, aussi en avions nous tousjours plusieurs dans nostre cabane, où nous leur donnions facile accez, aux heures qui ne nous estoient point incommodes, & non sans quelque difficulté aux mauvais garçons, pour les obliger à imiter les bons.
Nous en avions pratiqué cinq ou six de tres jolys, beaux, & d'un fort bon esprit pour les amener en France, avec le consentement de leurs peres & meres, mais quand il fut question de partir, cet amour si tendre des meres, & le réciproque des enfans envers elles, tira tant de larmes des yeux des uns & des autres, qu'en fin elles esteignirent cette première devotion, par un ouy dire qu'on fouettoit, qu'on pendoit, & qu'on faisoit mourir les hommes entre les François, sans discerner l'innocent du coupable, doctrine qui leur avoit esté donnée par le Huron Savoignon, laquelle nous empescha du tout d'en pouvoir amener aucun quelque, promesse que leur fissions d'un bon traictement, & de les ramener en leur pays dans dix huict ou vingt Lunes, qui sont un an & demy de temps, car il ne se pouvoit à moins.
De l'instruction de la jeunesse & des exercices ordinaires des enfans. De la dissolution des François. Et d'une certaine Nation ou l'on couppe le né des filles mal vivantes.
CHAPITRE XX.
CE grand Empereur Marc Aurelle, que pleust à Dieu qu'il eut esté Chrestien, il ne luy eut rien manqué digne d'un Prince egallement puissant, & vertueux. Discourant un jour avec son amy Pullion du soin que les anciens Romains avoient d'instruire leurs enfans dans la vertu & l'habitude des bonnes moeurs, dit de luy mesme ces parolles, dignes à la verité d'estre gravées & burinées sur le coeur de tous ceux qui ont à gouverner la jeunesse & les esprits encores tendres, dans la vertu.
Mon pere Anne Vere, fut en cas, autant digne de louange, comme je suis digne de reprehension, car moy estant jeune enfant, jamais ne me laissa dormir en lict, assoir en chaise, boire ny manger avec luy à sa table, & si n'osois hausser ny lever la teste ny les yeux pour le regarder en face, & pour ce souvent me disoit: Marc mon fils, j'ayme trop plus que tu sois vertueux & honneste Romain, que Philosophe superbe & dissolu, car celuy là est indigne de vivre & de paroistre entre les hommes qui n'ensuit la vertu, laquelle les Dieux mesmes recompensent dans le Ciel, & les hommes honorent sur la terre.
Puis poursuivant son discours disoit: anciennement les enfans des bons tettoient jusques à deux ans, jusqu'à quatre vivoient en leur appetit & volonté, lisoient jusques à six, & estudioient en Grammaire jusques à dix ans puis devoient prendre office ou mestier, selon qu'ils se sentoient appellés, ou destinés, ou s'adonner à l'estude, ou aller aux exercices de la guerre, de manière que parmy Rome ils n'avoient oisifs ny vagabons, veu mesmes, qu'ils avoient des Maistres & Precepteur vieils & tellement sages & prudents, que leur seule presence sans dire mot, estoit capable de les maintenir dans leur devoir & conserver dans la vertu.
J'ay estudié, dit ce bon Prince, en Grammaire avec un Maistre qui s'appelloit Euphermon, il avoit la teste toute blanche de vieillesse, il estoit fort moderé en parler, en discipline fort rigoureux, & en la vie tres-honneste, pour ce qu'en Rome y avoit une loy, que les Maistres des enfans fussent fort anciens, de maniere que si le disciple avoit l'aage de dix ans, le Maistre devoit passer cinquante. Et ce qui faict qu'à present on voit si peu d'enfans sages & modestes, c'est pour ce que les Maistres sont eux mesmes jeunes & sans vertu, & ont encore moins d'expérience; c'est pourquoy on ne doit trouver estrange si on ne leur obey pas tousjours en choses justes & licites, puis qu'en imprudens & peu experimentez, ils commandent souvent choses injustes, ou par une manière trop precipitée s'emportent au gré de leurs passions à la moindre mousche qui les picque, pensans par là se faire estimer bon conducteur de la discipline & du bon gouvernement, en mesme paralelle de ceux qui pour estre maintenus, tellement les choses qu'ils devroient corriger.
Car les commandemens justes & bien digerez, encore qu'il n'appartienne pas aux disciples de les examiner, font les coeurs doux, souples & débonnaires, comme au contraire, les commandemens injustes ou mal faicts, tournent & convertissent les hommes humbles & doux, en personnages durs & austeres, comme l'experience nous l'a faict voir maintefois, & dans les Religions les plus austeres mesmes, où la voye de la douceur est tousjours employée la premiere, puis la verge si elle ne suffit.
Il est vray, que nous voyons souvent des peres, estre la cause de la perte de leurs enfans & de la corruption de leurs moeurs, par les mauvaises habitudes qu'ils leur laissent prendre en leur bas aage. Car les uns font gloire de les nourrir dans les delicatesses & les délices, & leur souffrent de faire tout ce qu'ils veulent, comme s'ils estoient enchantez des merveilles imaginaires de leur esprit & de leur beauté, sans se mettre en peine de ce qui en arrivera, quand ils seront grands. Les autres tout au contraire les eslevent avec trop de rigueur, comme aux maisons des mécaniques, & ceux-cy les perdent encore, car comme par une excessive delicatesse, les forces du corps & de l'esprit s'affoiblissent, aussi par un chastiment trop rude, ils deviennent si hebetez qu'ils perdent souvent toute esperance d'apprendre, & sont en des apprehensions continuelles, qui les empechent de faire rien de viril, de maniere que pour les rendre tels qu'ils doivent estre, il n'est rien meilleur que de tenir un milieu, entre la douceur & la severité, afin qu'aux occasions ils soient tousjours discrets & sages, & apprennent sans timidité.
Or que ce milieu dans lequel consîste la vertu soit pratiquée par nos Sauvages envers leurs enfans, il y a apparence qu'ils n'y manquent pas en toutes choses, bien qu'ils leur souffrent les desobeissances, & de manquer au respect qu'ils doivent à leurs parens. J'en ay veu de bien sages, j'en ay veu de bien fols & temeraires, mais cela venoit de l'instinct & inclination de leur propre nature, à laquelle ils adherent, & non de l'instruction & conduite de leurs parens, lesquels les laissent vivre dans toute sorte de liberté, la bride sur le col & sans chastiment, comme ils ont esté eux mesmes eslevez sans correction, car les Sauvages n'en sçauroient souffrir à leurs enfans, & de vérité ils n'en méritent souvent pas tant que ceux d'icy, pour ce qu'ils ont moins de malices & moins d'instructions.
S'ils ne sçavent que c'est d'estre rudoyez & severement reprimendez, ils n'expérimentent non plus de delicatesses & sont eslevez fort autrement. De ses petites mignardises & caresses que les pères & mères traictent icy leurs enfans, on ne sçait que c'est aux Canadiens, car ils ayment d'une amitié plus cachée que descouverte, & plus virillement que sensuellement, & par ceste manière de gouvernement l'on peut juger comme j'ay des-ja dit, que nos Canadiens tiennent quelque chose du milieu en la conduicte de leurs enfans, & mesme nos Montagnais, lesquels ne font autre reprimende à leurs petits garçons quand ils crient, que de leur dire: & quoy ne veux tu pas te taire, je te dis que tu ne tueras point d'Ours, d'Eslans, ny de Castors, & si tu te tais tu en tueras. Et aux filles ils leur disent seulement: Chotéega maché, arreste-toy, ne crie pas & rien plus.
Leurs exercices ordinaires, particulierement des jeunes garçons, n'est pas de bien employer le temps, ny d'apprendre mestier car il n'y en a point entre nos Canadiens & Hurons, où chacun mesnage faict de luy mesme ce qui luy est convenable & necessaire, soit à coudre, à filer, faire des pots de terres & toute autre ouvrage & action de mestier qui leur faict besoin; mais nos jeunes Hurons s'exercent principallement à tirer de l'arc en quoy ils se rendent fort adroits, à darder la fleche, qu'ils font bondir & glisser droict superficiellerment par dessus le pavé, jouer avec des battons courbez qu'ils font couler par dessus la neige, & crosser une bale de bois léger; comme l'on faict par-deça. Apprendre à jetter la fourchette avec quoy ils herponnent le poisson entre les enfans des Quieunontateronons; & darder l'espée entre nos Montagnais, par le moyen d'un baston au bout duquel ils attachent une alaine, qu'ils eslancent contre un but, puis à beaucoup d'autres petits jeux & exercices de récréation, qui ne les empéchent pas de se retrouver à la cabane aux heures des repas, & lors qu'ils ont faim d'aller griller du bled.
Que si une mere prie son fils d'aller quérir de l'eau, du bois, ou faire quelque autre semblable service du mesnage, il luy respondra que c'est un ouvrage de fille & n'en faict rien: que si par fois nous obtenions d'eux de semblables services, c'estoit à condition qu'ils auroient tousjours entrée en nostre cabane, ou pour quelque espingles, plumes ou autre petite chose à se parer, dequoy ils estoient fort contans & nous aussi, pour ces petits & menus services que nous en recevions.
Il y en avoit pourtant de malicieux, qui se donnoient le plaisir de couper la corde qui soustenoit nostre porte en l'air, & puis estant tombée, nioient absolument que ce fussent eux, ou bien prenoient la fuite, car ils n'advouent jamais guere leur faute s'ils ne sont attrapez sur le fait ou que l'on ne leur convainque l'esprit par raisons. C'est une petite vanité qui n'est pas blasmable en eux, comme elle pourroit estre en des Chrestiens de vouloir estre estimé meilleur qu'on n'est, c'est neantmoins la perfection du jourd'huy, car qui voyons nous qui veuille souffrir le mespris qu'il merite, ou d'estre estimé pour tel qu'il est, personne, car le monde ne veut point de ces pratiques là, on la laisse pour les Cloistres, encores, y est elle souvent bien mal traictée & encores plus mal receue, par ceux qui en devroient monstrer l'exemple aux autres.
Il y en a qui veulent bien estre estimez pour tels qu'ils sont, non par vertu, mais par imprudence, & font voir eux mesmes à descouvert l'imperfection & malice de leur esprit, de laquelle ils veulent tirer gloire, mais gloire qui leur tournera à confusion devant Dieu.
De mesme que les petits garçons ont leur exercice particulier, & apprennent à tirer de l'arc les uns avec les autres, si-tost qu'ils commencent à marcher, on met aussi un petit baston entre les mains des petites fillettes, en mesme temps qu'elles commencent de se fortifier, pour les stiller & apprendre de bonne heure à piler le bled, qui est leur exercice plus rude, & estans grandelettes elles jouent aussi à divers petits jeux avec leurs compagnes, & parmy ces petits ebats on les dresse encore doucement à de petits & menus services du mesnage, & aussi quelquefois (chose deplorable) au mal qu'elles voyent commettre devant leurs yeux, qui faict qu'estans grandes elles ne valent rien pour la pluspart & sont pires (peu exceptées) que les garçons mesmes, se vantans souvent du mal, qui les devroit faire rougir & qu'elles n'ont pas commis pour se faire rechercher & admirer comme valeureuses desbauchées.
Les Montagnaites apprennent aussi ce qui est du mesnage, à faire les robes, les raquettes, les escuelles, ustencilles, vaisselles & autres petites jolivetez, peindre & faire des franges aux robes & nagent comme canars. Je loue nostre Seigneur, de ce que les Huronnes prenoient d'assez bonne part nos reprimandes, & qu'à la fin elles commencoient d'avoir de la retenue & quelque honte de leur dissolution, n'osans plus que fort rarement user de leurs impertinentes parolles en nostre presence, & admiroient en approuvant l'honnesteté que leur disions estre aux filles de par-deça, ce qui nous donnoit esperance d'un prochain amendement de vie, si les François qui estoient montez avec nous par une malice effrénée, ne leur eussent dit le contraire, diffamans & taxans meschamment l'honneur & la pudicité des femmes & filles de leur païs, pour pouvoir continuer avec plus de liberté leur vie infame & mauvaise, tellement que ceux qui nous devoient seconder & servir par bons exemples, à l'instruction & conversion de ce peuple, estoient ceux-là mesme qui nous empeschoient & destruisoient le bien que nous allions establissans. Il y en avoit neantmoins quelqu'uns de tres honnestes & discrets, lesquels s'ils faisoient du mal, il ne venoit pas à nostre cognoissance, & n'esclatoit point en publique.
Tous les peuples infidelles & barbares, ne sont point neantmoins tous tellement abrutis dans le mal & si plongé dans l'horreur du vice, qu'il ne s'y en trouve encore quelqu'uns, qui observent les Loix de l'honnesteté & plus rigoureusement que les Chrestiens mesmes, bien que les premiers n'ayent aucune Loy, qui leur deffende le mal, & les derniers ayent les deffences expresses du Createur de ne le commettre pas.
L'un de nos François nommé Grenole, ayant esté à la traicte du costé Nord, en une nation esloignée environ cent lieues des Hurons, tirant à la mine cuivre, nous dit à son retour y avoir veu plusieurs filles, ausquelles on avoit couppé le bout du nés selon la coustume du païs, pour avoir faict bresche à leur honneur, (bien opposite & contraire à celle de nos Hurons & Canadiens, qui leur permet toute liberté,) nous asseura de plus avoir veu ces Sauvages, faire quelque forme de prieres avant que prendre leur repas qui estoit un prejugé, qu'ils recognoissoient & adoroient vrayement quelque divinité, à laquelle ils rendoient aussi action de graces aprés leur repas. Ceste disposition nous fist concevoir un grand desir d'y aller, si Dieu par sa divine providence n'en eut autrement ordonné, me renvoyant pour affaires en Canada, & de là en France pour Paris.
De l'excellence, de l'escriture. Des principes que nous en donnions aux enfans Hurons, de leur langue & de celle des Canadiens.
CHAPITRE XXI.
ENtre toutes les choses plus admirables du monde, l'escriture est digne de tres-grande admiration. Premierement pour son premier Autheur qui a esté Dieu mesme, secondement pour son utilité, Dieu en a esté le premier Autheur, comme les parolles qu'il tint à Moyse nous l'apprennent: monte dit le Seigneur, & vien me trouver sur la montaigne, là je te bailleray, deux tables de pierre: la Loy & les commandemens que j'ay escrits, afin que tu les enseignes aux fils d'Israël. Ce que Dieu avoit escrit estoit engravé dans les tables que Moyse, rompit puis aprés émeu de colere, lorsqu'il trouva les enfans d'Israël idolatrant aprés le veau d'airain. Depuis Dieu fit commandement à Moyse de renouveller les tables & d'escrire ce qui estoit contenu en celles qui estoient rompues, si bien que nous voyons par là, que c'est Dieu qui est Autheur de l'escriture, & que Moyse a esté le premier entre les hommes, qui a escrit, voyons de l'Imprimerie.
L'invention de l'Imprimerie en l'Europe, comme tient la commune opinion, a commencé en l'an de grace 1438. & est attribuée à un Allemand appellé Jean Guttemberg, & le premier moule dont on imprima se fit en la ville de Mayence en Allemagne, duquel lieu un autre Allemand nommé Conrad en porta l'invention en Italie, & que le premier livre qui s'imprima, ce fut un oeuvre de S. Augustin, lequel est intitulé De la Cité de Dieu.
Mais les Chinois peuples inventifs & des mieux polissez de la terre, s'attribuent avec quelque apparence de raison, l'honneur d'en avoir esté les premiers inventeurs, & que les peuples Germanicques ne l'ont sçeu qu'après eux, ou appris de quelqu'un d'eux. De mesme ils s'attribuent l'honneur d'avoir esté les premiers inventeurs de l'artillerie, car elle ne commença en l'Europe qu'en l'an 1330, par l'industrie d'un Allemand, Munster en sa Cosmographie liv. 7, dit en l'an 1354, par un Moine Allemand nommé Bertholde Sohonores.
A la verité on ne sçauroit assez louer l'invention & l'utilité de l'Escriture, puisqu'un Dieu en a esté le premier Autheur, & que d'elle depend la principale science des hommes, mais pour ce qu'elle s'apprend qu'avec peine & un grand temps, peu de Hurons s'y vouloient adonner, & se contentoient de conter les fueillets de nos livres, & d'en admirer les images avec tant d'attention qu'ils perdoient tout autre soin, & y eussent passé les jours & les nuicts entiers qui les eut laissé faire, mais un si frequent maniement de nos livres, qu'ils demandoient à voir à tout moment les uns aprés les autres, principallement la S. Bible pour sa grosseur & ses images, les perdoit & rendoient tout frippez.
Nous avions commencé d'enseigner aux enfans, les lettres & l'escriture, mais comme ils sont libertins & ne demandent qu'à jouer & se donner du bon temps ils oublioient en trois jours, ce que nous leurs avions appris en quatre, faute de continuer & nous venir retrouver aux heures que leur avions prescrites, & pour nous dire qu'ils avoient esté empêchez à jouer, ils en estoient quittes, sans autre plus grande ceremonie, aussi n'estoit il pas encore à propos de les rudoier ny reprendre autrement, que doucement, & par une manière affable, les admonester de bien apprendre une science qui leur, devoit tant profiter à l'advenir, s'ils s'y addonnoient avec soin, plaisir & contentement.
Il y avoit des hommes qui nous demandoient d'apprendre le François avec eux, mais comme en toute leur langue il ne se trouve aucune lettre labialle, ny les uns ny les autres, n'en pouvoient prononcer une seule que tres difficilement. Pour dire P. ils disoient T, pour F, S, & pour M, N &c. & ainsi il leur eut esté comme impossible de la pouvoir apprendre dans leur païs (j'entends les personnes aagées) qu'avec une grand longueur de temps & des peines indicibles, & suis asseuré qu'un jeune garçon Huron s'efforça deux & trois cens fois pour pouvoir prononcer la lettre P. & ne pû jamais dire que T. car voulant dire Pere Gabriel il disoit T. Auiel.
Les Montagnais non plus que les Hurons, n'ont pas tant de lettres en leur Alphabeth, que nous en avons au nostre, car ils n'ont point les lettres F L V, ils prononcent un R au lieu d'un. L, ils prononcent un P. au lieu d'un V, & ont plusieurs autres observations en leur langue, qui ne peuvent estre conceues que par ceux qui ont l'usage de ladite langue, mais elle est telle que les enfans qui ont la langue assez bien pendue prendroient bien-tost nostre prononciation si on es instruisoit, & encores assez facilement les Hurons, car les deux qui furent envoyez en France il y a quelques années, dont l'un nommé Sauvoignon est retourné en son païs, & l'autre, nommé Louys est resté à Kebec, s'y sont formez, particulierement le petit Louys, car pour l'autre il n'y a jamais esté bien sçavant, aussi estoit il plus aagé & moins apte pour apprendre que le dernier qui estoit plus jeune & gentil.
Il faut que je vous die de ce Sauvage ce petit mot en passant, que tous les Hurons l'estimoient menteur, lors qu'il leur racontoit les merveilles qu'il avoit veues en nostre Europe, comme en effect y a des choses qu'ils croyoient impossible, comme un carosse attelé de six & huict chevaux, un orloge sonnant, & beaucoup d'autres choses, que nostre tesmoignage leur fist croire faisable.
Ce bon Savignon se resouvenoit bien de la bonne chere qu'il avoit fait en France & s'en vantoit par tout, neantmoins il ne luy print jamais envie d'y vouloir retourner, jusques à un certain jour qu'ayant receu mescontentement de sa compagne, il print resolution de s'en vouloir retourner & demandoit à nos François s'il y pourroit avoir une femme pour trois castors, encore croyoit il la mettre à bien haut prix, ce qui nous donna plus de compassion, que d'envie de rire.
Ces simplicitez particulieres n'empechent pas, qu'il ne se trouve des gens d'esprit entr'eux, & qu'on n'en puisse faire quelque chose de bon, car il n'y a que la politesse qui leur manque, & si nous eussions esté encore deux ans dans le païs, je croy que nous en eussions rendu d'avancez aux lettres, & de bien instruicts en la foy, car les hommes comprenoient assez bien, & les enfans tenoient gentiment la plume.
Tousjours ces commencemens serviront de beaucoup à ceux qui iront aprés nous travailler en cette vigne, car la chose plus difficile est faicte & les principales pieces esbauchées, il n'y a plus qu'à les polir qu'elles ne soient parfaictes. Je sçay bien que les derniers ouvriers font tousjours assez peu d'estat du travail des premiers & y trouvent souvent à redire. Ce sont maladies naturelles qui naissent avec l'homme, lesquelles il faut excuser & non point condamner, puisque Dieu seul est le Juge de nos actions.
Les langues ne se sçavent pas sans fautes, qu'aprés une grande pratique & longue experience, à la Françoise mesme, personne ne se dit parfaict tant elle est changeante & sujette à la caprice des hommes, qui inventent tous les jours des mots nouveaux, ou une nouvelle façon de prononcer, de sorte que l'ancien Gaulois semble aujourd'huy un langage estrangez comme le sera à cent ans d'icy celuy duquel on use pour le jourd'huy.
Dés la France j'avois une grande inclination pour les langues Sauvages, afin qu'en y profitant je puisse aprés profiter aux ames, & en avois desja assemblé une quantité de mots, mais pour ne les sçavoir prononcer à la cadence du païs, à la premiere rencontre que je fis des Montagnais, pensans baragouiner, je demeuray muet, & eux avec moy.
Marry que j'en perdu & ma peine & mon soin, avec toutes mes estudes que j'avois faictes sans autre maistre que du petit Patetchouan, je m'addressay au truchement Marsolet, pour en avoir quelque instruction, mais il me dit franchement dedans nostre barque à Tadoussac, qu'il ne le pouvoit nullement & que je m'adressasse à un autre; je luy en demanday la raison, il me dit qu'il n'en avoit point d'autre que le serment qu'il avoit faict de n'enseigner rien de la langue à qui que ce fut.
Me voyla donc esconduit, & ne me rebute pas pourtant, je le prie derechef de m'apprendre quelque mots de ce langage; puis qu'il n'y en avoit point d'autre plus capable que luy, & que je le servirais en autre occasion, mais il continue en son refus, ne voulant pas, disoit-il fausser son serment & faire rien contre ses promesses, neantmoins à la fin il me lança ces deux mots Montagnais, Noma kinistitototiu, qui veulent dire en François, non je ne t'entend point, car en Huron il faudroit dire: Danstan tearonca. Voyla tout ce que je pû tirer de luy avec toute mon industrie, & croy que tout son plus grand serment estoit de se rendre necessaire, & de ne laisser empiéter personne sur son office, mais s'estoit mal prendre ses mesures que de s'addresser à nous, qui n'estions pas pour luy nuyre.
Ce peu que j'en ay sceu davantage, je l'ay, appris de nos Religieux de Kebec, des Montagnais & d'un petit Dictionnaire, composé & escrit de la propre main de Pierre Anthoine nostre Canadien, que j'ay creu d'autant plus asseuré, que ce Sauvage l'a faict avant qu'avoir perdu les Idées de sa langue & s'il est fautif en quelque chose, c'est en la mesme maniere que je le suis en la langue Françoise, en comparaison d'un Orateur disert, car il y a le bon & le mauvais Montagnais, comme le bon & le mauvais François, duquel j'ymite le dernier pour ne pouvoir faire mieux.
Toutes les langues de la nouvelle France se peuvent réduire en deux principales, à sçavoir, Huronne & Canadienne. La Huronne comprend presque toutes celles qui courent les nations sedentaires & quelques'unes errantes, comme les Houandares, les Quieunontateronons, Sontouhouerhonons, Attiuoindarons, Assistagueronons, & autres des contrées de la mer douce, lesquelles toutes ensemble peuvent contenir environ 3 où 4 cens mille ames en 200 lieuës de païs, qui seroient une belle Province si elles estoient possedées par un seul Prince Chrestien, car pour le jourd'huy les montagnes, les fleuves & les rivieres, ne servent point de limites ny de bornes aux Provinces & Regions, ains, les langues & les Seigneuries, & se dit une Province & Region avoir autant d'estendue comme la langue d'icelle est parlée & entendue en icelle.
La Canadienne comprend presque toutes les nations errantes, qui tiennent depuis l'emboucheure du grand fleuve S. Laurens, jusques au païs des Hurons, parmy lesquelles nous comprenons les Almouchiquois, Montagnais, la petite Nation. Les Sauvages de l'Isle, les Ebicerinys, & généralement tous les Algoumequins & autres nations errantes, qui se rencontrent dans l'estendue de plus de 350 lieues de paîs qui ne peuvent faire en tout à mon advis, 50 ou 60 mille ames au plus, & tous errants & vagabons comme j'ày'dit.
Il demeura donc constant que nous n'avons que deux langues principales dans toute l'estendue, de nostre Canada, & que tout tant qu'il y en à derivent de l'une de ces deux, & n'y a autre difference, que du Gascon ou du Provençal au François, car encor bien qu'il y ait un truchement particulier pour les Montagnais, un autre pour les Sauvages de l'Isle, & un pour les Ebicerinys. Si est ce que c'est tousjours une mesme langue, & n'y a autre difference que celle que je vient de dire, qui est assez neantmoins pour obliger d'avoir par tout des Truchemens divers, tant pour n'ignorer rien des langues, & d'une infinité de mots qu'ils ont de differens les uns des autres, que pour maintenir les François en l'amitié de ces peuples, & attirer leurs castors en procurant leur salut.
On dit qu'il y a en quelque contrée des Indes, une Nation dont les hommes ont un langage particulier & les femmes un autre, sans qu'il leur soit loisible d'user de celuy de leur marys, il n'en est pas de mesme entre: nos Nations Canadiennes, mais entre toutes il me semble que les femmes Ebiceriniennes parlent le plus délicatement, & mignardement, elles ont un petit bec affilé, dont vous diriez que les paroles leur partent du bout des levres, & ce qui en est plus admirable est, qu'elles coulent de suitte sans hesiter ny reprendre haleine, & si doucement qu'à peine leur voyez vous ouvrir les lèvres en leurs petits entretiens & esbats.
Je m'estonnois mesme comme elles se pouvoient entendre, & le Truchement Richer comprendre ce qu'elles disoient, car pour moy, il faut que j'advoue qu'il m'eust esté bien difficile de m'y rendre sçavant.
J'en voulu faire l'experience au pays des Hurons, où elles estoient venues hyverner avec leur marys, & en receu des leçons du Truchement que j'estudiay quelque temps ensemble, avec le Montagnais & mon Huron, mais ne my pouvans advancer pour en avoir trop entrepris à la fois, je fus contrainct de quitter les deux premiers, & vaquer seulement à la dernière, car en pensant parler d'une j'y entremellois des mots de l'autre, je courois aprés trois lievres & n'en prenois aucun.
Et pour vous monstrer qu'en effet il y a beaucoup de periodes qui ne se rapportent point aux langages des Montagnais, & Ebicerinys non plus qu'au Huron, qui est une langue particulière, & que le baraguoin de l'un est différant du baraguoin de l'autre, je vous en rapporteray icy quelques mots, par le moyen desquels vous cognoistrez la différence veritable mentionnée cy dessus.
Par exemple: Les Hurons appellent un chien gaguenon. Les Ebicerinys arionce, & les Montagnais atimoy, voyla une grande différence en ces trois mots qui ne signifient tous qu'une mesme chose. De plus: Pour dire en Huron j'ay faim, Atoronchesta, en Montagnais Niuhimitisonne, & en Ebicerinyen Ninihoinchaé. Et pour demander à manger nos Hurons usent de ce seul mot Taetsenten, les Montagnais de celuy cy Minimitson, & les Ebiceriniens de cet autre Michilmijchim. Tellement qu'on voit en ce peu de mots bien peu de rapport, particulierement du langage Huron aux deux autres qui ont quelque correspondance.
Il se trouve une autre grande difficulté en ces langues, en la prononciation de quelque syllabes; à laquelle consistent les diverses significations d'un mesme mot, qui est une difficulté plus grande que l'on ne pense pas, car manquez seulement en une, vous manquez en tout, du si vous vous faites entendre ce sera tout autrement que vous ne desirez, comme en ce mot Ebicerinien: Kidauskinne, lequel avec une certaine façon de prononcer veut dire, tu n'as point d'esprit, & par un autre ton signifie; tu as menty.
Ainsi en est il de quantité d'autres mots, c'est pourquoy il faut ayder à la lettre, & apprendre la cadance, si on y veut profiter, car le Truchement Bruslé s'y est quelquefois luy mesme trompé bien empesché, & moy encore plus lors que les Hurons me faisoient recorder & souvent repeter de certains mots difficiles que je ne sçavois comment prononcer, & n'y pouvois avenir avec toutes les peines que j'y prenois, que de fort loing, (j'entends de quelque mots) nonobstant l'assistance & le secours du Truchement, c'est ce qui nous fit juger que nos principaux maistres en cet art, devoient estre nos soins & la frequente communication avec les Sauvages.
Avant que je fusse passé dans les Indes Canadiennes, & aucunement recognu la façon de parler de ses habitans, je croyois leur langue dans l'excés de pauvreté, comme, elle est en effet de beaucoup de mots, pour autant que n'ayans point de cognoissance de beaucoup de choses qui sont en nostre Europe; ils n'ont point de noms pour les signifier, mais j'ay recognu du depuis qu'és choses dont ils ont cognoissance, leurs langues sont en quelque chose plus fecondes & nombreuses, pouvans dire une mesme chose par quantité de différents mots, entre lesquels ils en ont de si riches, qu'un seul peut signifier autant que que quatre des nostres, principalement la langue Huronne, c'est à dire qu'ils ont une infinité de mots composez, lesquels sont des sentences entieres, comme les caracteres des Chinois.
Je sçay bien qu'il y peut avoir des fautes en mes Dictionnaires, & que plusieurs choses y manquent pour les rendre parfaicts, mais je ne doute point aussi qu'un plus habile que moy, ne se trouvat bien empesché de pouvoir faire mieux en si peu de temps que j'y ay employé, tousjours c'est un travail qui n'est pas petit ny de petit profit, car pourveu qu'on sçache la prononciation des mots, plus difficiles, on peut aller avec iceux, par tout leur pays & traiter sans Truchement, qui est un bien, & une commodité qui ne se peut estimer, & de laquelle plusieurs se servent, pour n'y en avoir encor eu aucun autre que les miens. C'est neantmoins une chose bien pitoyable à l'homme d'estre en cela plus miserable que les oyseaux, & bestes brutes, lesquelles se font entendre à toutes celles de leur mesme espece en quelque part du monde qu'elles se rencontrent, car elles n'ont toutes qu'une mesme voix, là où l'homme pour peu qu'il s'absente du lieu de sa naissance, demeure muet, & sans communication, dont on doit attribuer la disgrace à nos pechez.
Ceux qui ont estudié quelque peu en Magie, selon quelques Autheurs, sçavent fort bien qu'aucuns livres de cette mauvaise science, enseignent quelques moyens, pour parvenir à la perfection de l'intelligence de ces voix; sons, paroles, ou langues de ces oyseaux, & animaux, comme un Apollonius Thyaneus grand magicien, lequel entendoit le jargon des oyseaux, & la voix des animaux, par laquelle il recueilloit les conceptions de leurs fantasies, ce que faisoit aussi Melampus fils de Amythaon. Mais pour nos langues sauvages qui en tous siecles changent pour le moins une fois, je conseillerois volontiers ceux qui en ont la puissance d'abatardir & biffer toutes celles qui sont en usage chez les Hurons, & Canadiens, & d'introduire en leur place la langue Françoise par tout, car qu'elle apparence que tant de petits peuples ayent des langues si différentes & si difficiles à apprendre, le sujet ne le merite pas, & si les Religieux qui ont à les instruire, y ont trop de difficulté, tant y a qu'il y a (comme je croy) moins de peuples en tous ces pays là, en y comprenant encore toute l'Acadie, où nous avons fait bastir une maison l'an 1630, en la Baye du port du Cap Naigre, que les François ont nommé le port de la Tour à cause de l'habitation des François, ou commande le sieur de la Tour, qu'en la seule ville de Paris, & de là jugez s'il seroit à propos de maintenir tant de langues differentes & les réduire en arts, comme on pourroit faire, mais sans necessité.
Il est dit des anciens Roys de Mexique, de mesme que de ceux du Peru, qu'ils n'avoient moins de soin d'estendre leur langue que leur Empire, car au nouveau monde la langue de Mexique estoit estendue par l'espace de mille lieuës, & celle de Cusco capitale de l'Empire du Peru n'en avoit pas moins, & combien qu'on use en ces deux grands Royaumes ou Empires de plusieurs langues particulieres, & fort differentes entr'elles, consideré leur longue estendue, toutefois celle de la ville de Mexique est belle & riche & commune à toute la nouvelle Espagne, & celle de Cusco au Peru, comme entre nous la Latine, & entre les Turcs l'Esclavone, en Europe, & l'Arabique en Asie.
Tellement qu'il suffit (du rapport de quelque Historien) à ceux, qui preichent la parole de Dieu, d'apprendre une seule langue, de celles là pour aller par un pays long de deux ou trois mille lieuës, au lieu qu'il leur auroit fallu 15 ou 20 langues, voire d'avantage, pour pouvoir porter l'Evangile de nostre Seigneur par tout cette estenduë de Provinces & Royaumes.
De la forme, couleur & stature des Sauvages, & de leurs parures, ornemens & matachias.
CHAPITRE XXII.
TOutes les Nations & peuples Indiens, & Sauvages que nous avons veus en nostre voyage, sont presque tous de couleur brune, olivatre ou bazanné (excepté les dents qu'ils ont merveilleusement blanches) non qu'ils naissent tels, mais cela vient de la nudité, de l'ardeur du Soleil qui leur donne à plomb sur le dos, & des diverses graisses, huyles, & peintures, desquelles ils se frottent & peignent souvent tout le corps, comme nous voyons en France à ceux qui se font appeller Egyptiens ou Bohemiens, lesquels changent leur couleur blanche en brune, & olivastre, par le moyen des huyles desquelles ils se frottent le corps pour sembler Egyptien, bien qu'ils soient François, & n'ayent ressenty aune chaleur que celle d'icy, ny habité autre climat que celuy de la France.
Cette couleur pourtant ne diminue en rien de leur beauté naturelle des traicts de leur visage, ny de la juste proportion de leurs corps, qui ne cedent en rien à ceux d'icy, car ils sont tous generalement bien formez & proportionnez sans difformité aucune, marchent, droit avec un maintien grave & modeste, sans estre aucunement courbé, bossu, vouté, boiteux, borgnes, ou aveugles, d'où vous voyez d'aussi beaux enfans, & des personnes d'aussi bonne grâce qu'il y en sçauroit avoir en France, entre lesquels je n'y ay jamais veu autre deffaut, qu'un Honqueronon borgne encor par accident, & un bon vieillard Huron, qui pour estre tombé du haut d'une cabane en bas s'estoit faict boiteux.
Ils sont de mesme grandeur & hauteur que par deçà, tous dispos, gays, & alaigres, jeunes & vieux, ne sont point valetudinaires comme la pluspart de nous autres, ny sujet à la goutte, comme beaucoup de personnes trop à leur ayse, il n'y a pas mesme de ces gros ventrus pleins d'humeurs & de graisses, que nous avons icy, car ils ne sont ny trop gras ny trop maigres, aussi n'ont ils pas trop dequoy s'engraisser, & c'est ce qui les maintient en santé, & exempts de beaucoup de maladies, ausquelles nous sommes sujets par trop faire bonne chere, car comme dit Aristote; il n'y a rien qui conserve mieux la santé de l'homme que la sobrieté, laquelle ils observent mieux que nos gens, sans soucy, & moins que nos avares, tenans le milieu entre les deux.
L'une des raisons principales pour laquelle nos Sauvages n'ont rien de difforme en leurs corps, vient de ce qu'ils ne sont point violentez ou contraincts, comme les mignons & muguettes de par deçà, par des habits trop estroicts qui forcent leur naturelle disposition, & la raison en est tres-bonne, d'autant que par cet empressement d'habits pour sembler linges & bien faites, les femmes qui en usent de la sorte sont pour la pluspart contrefaictes, bossues, voutées, & ridées, encore qu'il n'apparoisse point au dehors, lesquelles si elles estoient veues en cette difformité par les Sauvages, ils auroient dequoy rire & se mocquer de nous, eux qui n'ont accoustumé de voir les choses que dans le naturel non violenté.
Il faut advouer pourtant que ces affiquets mondains, ces gorges descouvertes, & ces estoffes ravissantes, quelque difformité qu'elles couvrent sont des pièges bien plus pesans, & desquels le Diable tire un bien plus grand advantage que de la nudité de nos Sauvagesses, qui porte je ne sçay quoy de desplaisant à la veuë de ceux qui sont tant soit peu chaste, car il n'y a que les mal sages qui s'y meslent.
Or laissons à part les difformitez qui viennent par accident, & disons qu'il est vray semblable que les femmes, entre les Chrestiens, engendrent plus de monstres, & d'enfans marquez & contrefaicts, que ne font les femmes Sauvagesses de nostre Canada, & me semble que cela arrrive plus ordinairement à celles qui font les mignardes, & delicates, & qui ont le loisir d'entretenir leurs pensées, qu'à celles qui ont moins de loisir, car n'ayans point d'occupations serieuses, il faut de necessité qu'elles donnent lieu à une partie de leurs folles imaginations & fantasies, ce que ne font point les villageoises, non plus que les femmes douées d'un esprit masle & resolu qui occupent le temps: J'en pourrois rapporter icy une infinité d'exemples, & des choses mesmes que j'ay veues de mes yeux, sî le sujet le meriroit, ou que la chose fut tirée en doute, mais comme le cas est assez commun, & que l'on voit en beaucoup de lieux des personnes ayans de ses marques sur leurs corps, ou au visage, qui une folle, qui une levre de lievre; une prune, une tache de vin, & je n'en diray pas davantage, sinon de vous asseurer que j'ay veu deux enfans jumeaux n'avoir qu'un dos, ou plustost avoir les deux dos collez ensembles, & les autres parties du corps parfaites en chacune d'elles.
Au mois d'Octobre dernier je vis à Paris au bout du pont neuf, un jeune garçon de Gennes, aagé de seize ans, en avoir un autre qui luy sortoit du milieu du ventre, à une cuisse prés, qui luy restoit dedans le corps, & n'en sembloit guere incommodé, sinon un peu à la pesanteur du fardeau qui luy pendoit. Au mesme mois d'Octobre dernier le 20, il nasquit à Londres capitale d'Angleterre, une fille monstrueuse ayant deux testes, & deux visages bien formez, quatre bras, deux cuisses, deux jambes, & deux pieds, avec une forme de queuë, & ayant esté ouverte aprés sa mort en la presence du Roy d'Angleterre, il luy fut trouvé deux coeurs. Ces deux ou trois exemples doivent suffire pour confirmation des choses que j'ay dictes, car ce ne seroit jamais fait, qui voudroit s'amuser à discourir des misères dont la nature est souvent vitiée par nos pechez, ou ceux de nos parens, desquels les enfans portant souvent la peine, ou en leur esprit, ou en leurs membres. Je les puniray jusques à la troisiesme, & quatriesme generation, dit Dieu aux sainctes lettres.
Les jeunes femmes, & filles sont grandement curieuses d'huyler leurs cheveux, & de se peindre & parer le corps avec divers petits fatras, pour sembler belles aux assemblées, & aux dances, où elles paroissent tousjours avec tous leurs atours. Si elles ont des matachias & pourceleines elles ne les oublient point, non plus que les rassades, patinotres, & autres bagatelles que les François leur traictent, & desquelles elles font estat, comme nous de l'or & des pierreries.
Leurs vignols & pourceleines sont diversement enfilées, les unes en colliers larges de trois ou quatre doigts, comme une sangle de cheval qui en auroit ses fisselles toutes enfilées & accommodées, & ces colliers ont environ trois pieds & demy de tour ou plus, qu'elles mettent en quantité à leur col, selon leur moyen & richesse, puis d'autres enfilées comme nos chaînes & chapelets de divers longueurs pour pendre de mesme à leur col, & aussi à leurs oreilles. Elles en font encores d'autres de vignol gros comme noix, assez mal arondis (à cause de leur dureté) qu'elles attachent sur les deux hanches, & viennent par devant arrangées de haut en bas par dessus leurs cuisses & brayers. Il y en a de celles qui portent encores des brasselets de pourceleine aux bras, & de grandes plaques accommodées de mesme par devant leur estomach, & d'autres par derrière en rond & en quarré comme une carde à carder la laine, attachées à leurs tresses de cheveux: quelqu'unes d'entr'elles ont aussi des chaînes, ceintures & des brasselets faits de poil de porc epic, taints en rouge cramoisy & fort proprement tissues, les uns larges comme une sangle, & les autres comme une grosse gance, & cette teinture est si vive, & tient de telle sorte qu'elle fait honte à l'escarlate.
Pour les jeunes hommes ils ont la mesme curiosité de s'embellir & farder comme les filles. Ils huylent leurs cheveux, & y appliquent des plumes & du duvet fort joliement, & au lieu de collet de fine toille, ils se font des petites fraizes du mesme duvet, qu'ils mettent autour de leur col, fort proprement arrangez. Il y en a qui pour braverie, portent de grandes peaux de serpens sur le front en guyse de fronteaux, qui leur pendent par derrière une grande aulne de Paris de chacun costé.
Ils se peindent aussi le corps & la face de diverses couleurs, de vert, de jaune, de noir, rouge, & violet qui sont leurs couleurs les plus communes. Vous leur voyez quelquefois la face toute bigarée, de rouge, de de vert, quelquefois ils n'en peignent qu'un costé, depuis le sommet de la teste jusques au col, il y en a de si industrieux qu'ils se figurent toute la face, & le corps devant & derriere, de passements tirez au naturel, & des compartimens avec diverses figures d'animaux assez bien faites pour des personnes, qui n'ont pas appris l'art de la peinture.
Mais ce que je trouvois de plus estrange, & d'une folie plus eminente, estoit de ceux qui pour estre estimez courageux, & redoutables à leurs ennemys, prenoient un os d'oyseau où de poisson qu'ils affiloient comme rasoirs, avec lesquels ils se gravoient & figuroient le corps, mais à diverses reprises, comme l'on faict icy une paire d'armes avec le burin. En quoy ils monstroient un courage, & patience admirable au delà du commun des hommes, non qu'ils ne ressentissent bien le mal, car ils ne sont pas insensibles, mais pour les voir immobiles & muets en un si furieux chatouillement, puis on essuyoit le sang qui leur decouloit de ces incisions, lesquelles ils frottoient incontinent aprés avec quelque couleur noire en poudre, qui s'insinuoit dedans les cicatrices, si que les figures qu'ils ont gravées leur demeurent sur le corps pour tousjours, sans que jamais on les puisse effacer, non plus que les marques qu'ont au bras les Pelerins qui reviennent de Hierusalem.
Tous n'en veulent pas neantmoins souffrir la peine, aussi n'en sont ils pas tous accommodez, mais les Sauvages qui s'y plaisent d'avantage sont les petuneux, lesquels ont pour la pluspart, le corps ainsi figuré, ce qui les rends effroyables & hideux, à ceux qui n'ont pas accoustumé de voir de tels masques, car ils me sembloient à moy mesme en les regardans l'image de quelque Demon avec lesquels je ne me trouvois pas trop asseuré au commencement, & guere plus à la fin.
Il y a des femmes, & filles, mais peu qui souffrent ces incisions, dont, j'en ay veu quelqu'unes qui estoient figurées jusques par dessus les yeux & tout cela pour sembler autant valeureuses que belles, & redoutables. J'ay veu des Sauvages d'une certaine Nation; avoir tous le milieu des narrines percées, ausquelles pendoient des patinotres bleues assez grosses, qui leur battoient la levre d'enhaut, attachées à des petites cordelettes ou filets.
Et comme ils ne portent rien sur leur corps que pour ornement, ou pour se deffendre du froid, nos Sauvages croyoient au commencement que nous portassions nos Chapelets à la ceinture pour embellissement, comme ils font leurs pourceleines, mais en comparaison ils en faisoient fort peu d'estat, disans: qu'ils n'estoient que de bois, & que leur pourceleine qu'ils appellent Onocoirota estoit de grande valeur, pour la petite teste de mort qui y estoit attachée, beaucoup la croyoient avoir esté d'un enfant vivant, mais je les ostay incontinent de cette pensée, & la volonté aux femmes de vouloir emprunter nostre manteau, & nostre capuce, pour aller en festin, & voir les nouvelles mariées, car elles m'en importunoient fort, & se fussent carrées avec cela comme fort parées & gentilles.
Pour nos sandales ou femelles de bois, je leur permetrois bien à tous d'y mettre le pied, & les esprouver, mais à condition de me les rapporter incontinent peur de les perdre. Ils me disoient prou, Auiel Saracogna, Gabriel fais moy des souliers, car ils appelloient nos sandales souliers, mais je n'estois pas en lieu pour leur en pouvoir faire, & d'y mettre la main eux mesmes, outre qu'ils sont trop paresseux d'apprendre, ils n'avoient pas les outils propres, non plus que moy, qui me servois d'un seul meschant petit outil pour les miennes, & au lieu de cloux (car il ne s'en trouve pas dans le pays) nous nous servions de cordelettes passées par des petits trous pour attacher nos cuirs.
Comme les Sauvages accommodent leur chevelure. De la barbe & de l'opinion qu'ils ont qu'elle amoindrit l'esprit. Comme sainct François n'en a point porté. Des Pygmées & d'une fille velue & ayant barbe.
CHAPITRE XXIII.
TOus les esprits des hommes ne vivent pas dans un mesme sentiment, ny dans une mesme pensée, car chacun à ses opinions particulières, d'où viennent nos difficultez, & les diverses disputes entre les hommes, mais le Sage cede tousjours à la raison, & le fol à son opinion, pour ce que l'opiniatreté ne vient que d'ignorance.
Sainct Augustin a dit parlant de la barbe de l'homme, qu'elle est une marque de force & de courage, & nos Sauvages tout, au contraire, tiennent avec le reste des peuples Americains qu'elle amoindrit, l'esprit, & rend la personne difforme & espouventable, comme je vous feray voir par quelques petits traicts familiers que j'ay appris & veus dans le pays.
Par ces opinions, ils ont la barbe & le poil tellement en horreur qu'ils n'en peuvent souffrir un seul petit brin aillieurs qu'à la teste, se l'arrachent & en ostent mesme la cause productive, de manière qu'on ne peut presque discerner le visage d'un homme d'avec celui d'une femme, & pensans faire injure à nos François desquels ils avoient assez mauvaise opinion à cause de leur barbe, ils les appelloient sascoinronte, qui est à dire barbu, tu es un barbu, & par ce moyen les obligeoient pour avoir paix, de se razer & se conformer aucunement à eux n leur poil & chevelure; comme ils l'estoient desjà aux habits & en la nudité pour la netteté.
Et non seulement ils avoient une si mauvaise opinion de la barbe & des barbus, mais ils nous vouloient mesme persuader d'arracher la nostre quoy que fort courte, & nous disoient que nous en serions de beaucoup plus beaux & aggreables en nostre conversation. Il arriva un jour qu'un Sauvage des plus laids d'entre les petuneux, voyant parler un de nos François avec sa grande barbe & ses moustaches mal relevées, plein d'estonnement & d'admiration se tournant à ses compagnons leur dit: voyez ce sale barbu, ce laid homme, est il possible; qu'aucune femme le voulut envisager de bon oeil, c'est un ours, & luy mesme estoit un vray masque; c'est pourquoy il avoit fort bonne grace de mespriser ce barbu & de l'appeller ours, luy qui estoit laid par despit.
Il arriva une histoire aussi plaisante au truchement des Ebicerinys nommé Jean Richer, lors qu'ils luy voulurent faire croire qu'il commencoit d'avoir de l'esprit. Il y avoit deux ans & plus, qu'il estoit dans leur païs & vivoit avec eux assez doucement en apprenant leur langue pour d'icelle servir les François à la traicte. A la vérité il y avoit assez bien profité & s'en servoit fort à propos & mesme d'un peu de la Huronne qu'il sçavoit passablement. Or ces Saunages, après luy avoir faict quelques reproches d'avoir quitté le mauvais païs de la France, pour venir habiter le leur beaucoup plus beau & meilleur, luy dirent; & bien, jusque à present tu as presque vescu en beste sans cognoissance & sans esprit, mais maintenant que tu commence à bien parler nostre langue, si tu n'avois point de barbe, tu aurois presque autant d'esprit qu'une telle nation, luy en nommant une qu'ils estimoient avoir beaucoup moins d'esprit qu'eux, & les François avoir encor moins d'esprit que cette nation là, tellement qu'il eut fallu à leur compte que ce truchement eut encor estudié pour le moins deux ou trois ans leur langue & n'avoir point du tout de barbe, pour y estre estimé homme d'esprit & de jugement; & voyla l'estime qu'il font de nos gens, par une seconde raison, du peu de vertu & de modestie qu'ils voyent en ceux qu'on envoye de delà, ausquels ils ne se fient que de bonne sorte, & pour le moindre suject leur disent l'injure ordinaire Téondion ou Tescaondion, c'est à dire tu n'as point d'esprit Atache, mal basty.
A nous autres Religieux, quelques mal advisez nous en disoient autant au commencement; mais à la fin ils nous eurent en meilleure estime, & nous disoient au contraire: Cachia atindion, vous avez grandement d'esprit: houandate daustan tchondion, & les Hurons n'en ont point; vous estes gens qui cognoissez les choses d'enhaut & surnaturelles & qui pouvez sçavoir les choses les plus cachées & secrettes, ce qu'ils disoient à cause de nos escritures, & que nous, leur enseignions des choses qu'ils avoient ignorées jusques alors, & n'avoient point ceste bonne opinion des autres François, ausquels ils preferoient la sagesse de leurs enfans, pour ce qu'ils ne leur disoient que des sotttizes.
Que si ces peuples Americains, qui sont presque la moitié de toute la terre habitable, ne portent point de barbe, il n'y a dequoy s'esmerveiller, puisque les anciens Romains mesmes, estimans que cela leur servoit d'empeschement, n'en ont point porté jusques à l'Empereur Adrien & selon quelque Autheur, jusques à François Marquis de Mantouë (qui mourut l'an 1519, père de Federic 5 qui fut crée Duc de Mantoue par Charles quint) fut le premier de tous les Princes d'Italie, qui nourrit tousjours une longue barbe. Ce qu'ils reputoient tellement à honneur, qu'un homme accusé de quelque crime n'avoit point ce privilege de faire razer son poil, comme se peut recueillir par le tesmoignage d'Aulus Gellius, parlant de Scipion, fils de Paul, & par les anciennes medailles des Romains & Gaulois, que nous voyons encores à present en plusieurs lieux.
C'est ce qui faict que beaucoup se sont autrefois estonnés & avec raison de ce que S. François (Italien de nation) estoit peint avec un peu de barbe, car ny Prestre, ny Moyne ny Religieux, ny mesme aucun Lay, nourrissoit sa barbe de ce temps là. Qui a faict penser ou que c'est une licence de peintre, ou que S. François fut portraict lors qu'il alloit ou revenoit d'Orient, comme nous lisons de S. Dominique, à cause que les Latins & Occidentaux, faisans le Voyage d'outre mer, entretenoient leur barbe longue, comme font encore de present nos Religieux, pour se conformer à la coustume du païs, auquel la barbe rare estoit honteuse, & appelloient les hommes de deçà eunuques, chastrés & effeminés, comme se lit dans les histoires de la guerre Saincte. Il ne faut donc point penser que S. François portast ordinairement barbe longue, cela estant tres-severement deffendu & puny par les saincts Canons. Je laisseray ce qui est de plus commun sur ceste matiere, me contentant d'un jugement de Gregoire 7 qui seoit l'an 1170. Lib. 8. Reg. Epist. 10 à Orsoc Gouverneur de Calaris Capitale du Royaume de Sardaigne. Nous ne voulons point que vostre prudence trouve mauvais de ce que nous avons contrainct Jacques vostre Archevesque de razer sa barbe, car telle est la coustume de la saincte Eglise Romaine pratiquée dés sa naissance, que tout le Clergé de l'Eglise Occidentale raze sa barbe, &c. Et ne faut point penser que sainct François eut voulu contrevenir au commandement de l'Eglise par quelque singularité ou vanité. De nostre memoire les souveraines Cours de Parlement, ont prononcé des Arrests tres-rigoureux contre toute sorte de personnes, qui ne razoient point leurs barbes, d'où reste encores le proverbe, Barba raza, respondebit curia.
Nos François qui ne demandoient qu'à rire & plaisanter, avoient fait entendre aux Huronnes, que les femmes de France avoient de la barbe, & leur avoient encore persuadé tout plain d'autres choses, que par honnesteté je n'escris point icy, de sorte qu'elles estoient fort desireuses d'en voir; mais les Hurons qui me ramenèrent en Canada, ayans veu Madamoiselle Champlain & y esté asseuré qu'elle estoit femme, ils furent destrompez, & recognurent qu'en effect on leur en avoit donné à garder.
De ces particularitez on peut inferer que nos Sauvages ne sont point velus, comme quelques uns pourroient penser. Cela appartient aux habitans des Isles Gorgades, d'où le Capitaine Hanno Cartaginois, rapporta deux peaux de femmes toutes velues, lesquelles il mit au temple de Juno par grande singularité, & ay ouy dire à une personne digne de foy, d'en avoir veu une toute pareille à Paris, qu'on y avoit apportée par grande rareté, & à une autre d'avoir veu une fille vivante toute couverte de poil comme une beste en une ville de France dont j'ay oublié le nom: mais bien davantage un de nos Religieux m'a asseuré d'avoir veu deux Sauvages en l'armée des Espagnols pendant la ligue, tellement velus du pied jusques à la teste, qu'on ne leur voyoit que e blanc des yeux. Ce sont des merveilles de la nature, qui ont donné l'opinion, à plusieurs que tous les Sauvages estoient velus, bien qu'ils le soient moins naturellement que les personnes de nostre Europe, entre lesquelles il s'en voit quantité qui ont l'estomach tout couvert de poils, ce que je n'ay point veu en aucun Sauvage.
Au mois d'Octobre de l'an 1633, je vis à Paris une fille du païs de Saxe, aagée d'environ quatre ans & demy, laquelle avoit une barbe blonde, fine presque comme soye, longue & large en arondissant comme celle d'un homme de 35 à 40 ans, & ce qui estoit encor fort admirable, il luy sortoit du dedans des deux oreilles deux grandes moustaches longues presque d'un pied, & au dessus des reins une autre plus courte, qui sembloit une queuë, qui fit penser à plusieurs qu'il y eut quelque chose du Satyre en cette fille; mais ils se trompoient, car hors-mis sa longue barbe & qu'elle estoit velue par tout le corps d'un poil blond semblable à celuy de la barbe, elle estoit fort aggreable tant en la disposition du corps, qu'en la gentillesse de son esprit, autant honneste, que jovialle & plaisante.
Si quelqu'un entroit dans la chambre pour la voir, en se promenant sur la table qui luy servoit de theatre, elle baisoit doucement sa main, leur presentoit & les saluoit de fort bonne grace en disant: bon jour mon pere, soyez le bien venu Monsieur, (car on luy avoit appris quelque petits mots François qu'elle prononçoit fort gentiment.) Lors que d'abord je la vy pour la première fois, il me sembloit voir en elles un vieillard du païs des pygmées, qu'on dit n'avoir qu'une coudée de hauteur au rapport de plusieurs historiens, car celle-cy n'en avoit guère davantage.
Or puis que j'ay icy entamé le discours des Pigmées, il semble que par bien-seance je sois comme obligé d'en dire ce que j'ay appris de divers Autheurs approuvez, pour aucunement satisfaire ceux qui sont encor en doute, sçavoir s'il y en a, ou non, car le nombre des Escrivains, qui ont escrit de ces Nains est si celebre & leurs raisons si probables, qu'elles persuadent un chacun à les croire. Or entre un tel nombre il me semble que le tesmoignage d'un S. Augustin nous doit suffire, sans parler de celuy des Autheurs prophanes & plus anciens, comme d'Aristote, voicy ces parolles. Les Grues (dit-il) viennent des campaignes Scythiques jusques aux paluds de l'Egypte superieure, d'où sort le Nil, auquel lieu l'on dit qu'elles font la guerre aux Pygmées.
Mela, parle aussi de ceste sorte de gens en ces termes Les Pygmées sont une certaine espece de genre humain, qui ont guerres contre les Grues pour les bleds semez, Pline encore faict souvent mention d'eux, car il dit, qu'ils ont habité en Scythie & en la ville de Geranie, & près de Thebaide, & au païs de Prasie, & lieux montaigneux, & après il escrit qu'ils habitent joignant les Palus d'où le Nil prend sa source, & voicy ce qu'il en dit encores. Aux confins d'Indie, qui sont les plus esloignez, & auprès du fleuve Ganges, & en l'extremité des montaignes, demeurent les Pygmées. Aule Gelle, en parle encore comme faict aussi Isidore, & chacun des Escrivains, les faict de la hauteur d'une coudée. Elian de mesme, disant que la nation des Pygmées a accoustumé d'avoir des Rois, & lors que les Rois leur vindrent à deffaillir, ils eurent une Reine, qu'ils appellerent Geraune, c'est à dire Grue en leur langue.
Ceux qui ont couru de nostre siecle toute la terre par leurs navigations, ont aussi rendu tesmoignage des Pygmées, qu'ils ont descouverts, car Anthoine Pigasera les découvrit entre les Moluques en l'Isle Arucheto, & outre il dit qu'ils habitent encores entre les mesmes Moluques en l'Isle Caphieos, Paul Joue confirme son dire asseurant qu'ils sont outre les Lapons grand babillards, tousjours en crainte & presque semblables aux Singes. Nous avons encores ce qu'en dit Oderic, qu'il vit des Pygmées aux Indes de la grandeur de trois paumes de la main, lesquels engendrent en l'aage de cinq ans, il dit en outre qu'il y en a de la mesme stature en l'Indie Orientale, non loin de Quinsay joignant Chile. Albert le Grand adjouste cecy: ces Pygmées que nous disons habiter prés du Nil, combattent perpetuellement contre les Grues, engendrent en l'aage de trois ans, & meurent à huict. J'ay leu dans quelque Autheur dont il ne me souvient pas du nom, d'un petit animal qui naist au matin, vieillit au midy, & meurt au soir.
Par ce moyen l'on doit adjouster foy à tant d'Autheurs celebres, qui traictent de ces Pygmées, lesquels font leur demeure en la Plage Australe, Orientale, & Aquilonaire: mais plus en l'Occidentale.
Auparavant que j'en eusse leu de si asseurez tesmoignages, je me doutois fort de la verité de la chose, & qu'il s'y trouvast des nations d'Hommes si petits, mais à present cela m'est assez facile à croire, veu mesme qu'entre les Europeans, il s'y engendre quelquefois de petits Nains que les Princes, entretiennent & nourrissent par admiration. Voicy ce que dit Nicephore d'un certain tout semblable aux Pygmées fort prudent & fort sage qui nasquit en Egypte sous l'Empire de Theodose, d'une si petite stature qu'elle est incroyable, car il estoit si petit, qu'il sembloit une perdrix: & c'estoit aussi un plaisant spectacle de le voir converser en la compagnie des hommes, & de le voir debattre, & gausser parmy eux. En fin cecy est admirable, qu'il estoit capable de prudence, aussi bien qu'un homme parfaict, & pourquoy ne le seroient pas de mesme les Pygmées, où la contrée & le climat, sinon la race, n'engendre que des Nains; Un homme petit peut avoir la mesme sagesse d'un geant, fut il de ceux desquels la S. Escriture faict souvent mention de leur forme, car au livre des Nombres il est dit que le reste des hommes sembloient sauterelles au respect d'eux. Et au mesme livre il est faict mention d'un Géant mémorable nommé Og, qui tirant son origine des Geants qui se servoit d'un lict de fer, lequel avoit neuf coudées en longueur, & quatre en largeur, ce que redit aussi Theodoret, & neantmoins personne n'oseroit soustenir que ce Géant, non plus que le Goliat, eut plus d'esprit que le petit David.
Mais voicy bien un autre prodige. Il me souvient qu'estant petit garçon, on m'envoyoit fort soigneusement à l'escole où nous avions entre nous autres petits escoliers de fort plaisans & serieux entretiens, car comme chacun apprenoit quelque chose à la maison, de son père ou en quelque bonne compagnie où la curiosité nous portoit, (car souvent la jeunesse, sans qu'on s'en donne de garde observe ce que les grands discourent) nous faisions nostre profit de tout & rapportions tous nos petits contes en nostre conseil-d'estat, composé de quatre où cinq petits garçons de nostre humeur, car la compagnie de tous ne nous agreoit pas, principallement des juristes, menteurs ou desbauchez.
Or vous pouvez croire que quoy que nous parlassions assez serieusement & non point en enfans de sept à huict ans, que nous occupions beaucoup de temps (aprés nos, leçons estudiée) à discourir des fables & des Romans, desquels les serviteurs nous entretenoient les soirs avant de nous coucher, mais sur tout nous entrions dans l'admiration, sur la pensée des jugemens de Dieu, qui nous venoit par la contemplation d'un grand jugement dépeint contre la muraille d'une Chappelle, duquel nous faisions reflexion sur les Infidelles & Sauvages, desquels j'appelle petits Maistres, certains escoliers sages, qui nous faisoient répéter, nos leçons, avant d'aller devant le grand Maistre.
Or ces Sauvages, qu'on nous faisoit perdus avec tous les mauvais Chrestiens, nous faisoient bien quelque compassion, mais les contes & le récit de leur forme & figure nous faisoient douter qu'ils fussent hommes comme nous, car on nous les figuroit generalement tous velus, comme beaucoup sont encore dans cette erreur là; non seulement les hommes sans lettres, mais plusieurs qui se croyent sages. On nous parloit aussi de cette sorte de gens que nous appellons Pygmées, desquels je viens de traicter, mais bien particulierement d'une autre espece du genre humain qui estoient sans testes ayans, les yeux & la bouche dans l'estomach, & d'autres qui n'avoient qu'un oeil posé sur le milieu du front, mais ceux qui nous sembloient les plus heureux & accommodez, estoient ceux qu'on nous disoit avoir l'un de leur pieds large comme un grand van à vaner, duquel ils se servoient pour se couvrir en temps de pluyes, qui par ce moyen en estoient garantis.
Depuis que j'ay esté grand je me suis ris de tous ces contes & croyances enfantines, & n'y ay adjousté de foy jusque à present, qu'en lisant j'ay trouvé que nous avions quelque raison, & que parmy nos fables il s'y trouvoit quelque verité, ou bien les Autheurs nous trompent aussi bien que nos petits Maistres. Strabon s'est mocqué autrefois de Megasthenes, par ce qu'il avoit escrit, qu'il y avoit des hommes differents de testes, de bouche, d'oreilles, de plante de pieds, & de tout le corps: toutesfois il est convaincu aysement par le nombre & authorité de ceux qui ont escrit de ces choses; mais afin de commencer par la teste, Mela nous escrit que les Blemiens n'en ont point, & que toutes les parties de leur visage sont en la poitrine, Solin nous apprend le mesme. On trouve (dit il) des hommes qui n'ont point de testes, & qui ont les yeux aux espaules, & auparavant ceux-cy, d'autres en escrit le mesme, qu'Aule Gelle récite.
Pline asseure le mesme en termes exprés & bien souvent disant: qu'ils n'ont point de teste ayant la bouche & les yeux en leur poictrine; & en autre part il dit que prés des Troglodites, il y en a qui n'en ont points ayant les yeux sur les espaules.
Il n'y a personne qui nous force à ceste croyance: neantmoins combien que S. Augustin die que nous ne sommes pas astraints de le croire, toutesfois il semble qu'il infere qu'il n'est pas impossible que cela soit, puisque mesmes au Sermon trente & septiesme qu'il addresse aux frères Hermites, il tesmoigne les avoir luy mesme veus, en ces termes: J'estois des-ja Evesque d'Hippone (dit il) lorsqu'accompagnez de certains serviteurs de Jesus-Christ, je m'en allay en Ethiopie, pour y prescher l'Evangile, où tous vismes plusieurs hommes, & plusieurs femmes, qui n'avoient point de testes, mais bien des yeux gros fichez en la poictrine; le reste de leurs membres estoient semblable aux nostres.
Reprenons nostre petite fille velue que je vis à Paris; car quelqu'un pourroit douter si elle estoit hermofrodite, ou artificiellement barbue & velue. Non, je dis qu'elle n'estoit point hermofrodite & n'avoit aucun artifice en son faict, car pour en oster l'opinion, on ne faisoit aucune difficulté de la faire voir à nud devant tout le monde, & puis son jeune aage demonstroit assez la merveille, & que naturellement elle estoit sortie du ventre de sa mere velue, comme un autre Esau.
D'où vient donc ce poil & cette barbe en un aage si tendre & extraordinaire je n'en sçaurois donner autre raison sinon, que cela peut venir de l'imagination & fantasie de la mere au temps de la conception, & que j'ay veu de mesme la fille d'une honneste damoiselle de la ville de Paris ressembler au pourtrait d'une Vierge devant laquelle elle souloit faire tous les jours ses prieres. Mais ce que j'ay trouvé de plus admirable est qu'un de nos amis ayant adverty sa femme, que s'il luy prenoit en fantasie de manger quelque chose qu'elle ne pût avoir, qu'elle ne portast point sa main en son visage, ains en quelque partie cachée, ce qu'elle fit, & en un mesme endroict son enfant fut marqué, comme elle nous a asseuré elle mesme, ce que je dis par charité & pour advertissement aux femmes de se resouvenir de cet advis remarquable, car toutes ne le sçavent, point, autrement on ne verroit pas tant de difformité au visage que plusieurs portent comme les indices de la foiblesse de leur mere. Les exemples en cette matiere ne sont que trop frequentes, il suffit qu'on se souvienne des moyens dont Jacob uza chez son beau pere Laban, pour avoir des Agneau tachetez, & que la femme sans son vouloir peut marquer en son fruict, quelque chose de son object ou de son imagination au temps de la conception.
Lycurgus souloit dire que les cheveux rendent ceux qui sont beaux, encores plus beaux, & ceux qui sont laids encores plus laids & espouventables à voir; c'est la perruque qui donnoit lustre à la rare beauté d'Absolon, comme les moustaches voltigeantes de nos Sauvagesses de l'Isle, aux traicts de leur visage assez bien faicts, si leur ame plus noble, n'estoit souillée par le peché & la corruption des moeurs vitiées; parmy toutes lesquelles non plus qu'entre les homme, il ne s'y voit aucune rousse ny blonde de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques unes qui les ont chastaignez) lesquels elles accommodent & ajancent diversement selon les nations, car entre toutes il y a de la differance aysée à cognoistre.
Les Canadiens & Montagnais tant hommes que femmes, portent tous longue chevelure qui leur bat sur les espaules & à costé des joues sans estre nouez ny attacchez & n'en couppent qu'un bien peu du devant, qui restent courts sur le front, comme les gaisettes des femmes mondaines, à cause que cela leur empescheroit la veuë en courant.
Les femmes & filles Algoumequines, my partissent leur longue chevelure en trois, les deux parts leur pendent de costé & d'autre sur les oreilles & à costé des joués, & l'autre partie est accommodée par derrière en tresse, en la forme d'un marteau pendant couché sur le dos, de la longueur d environ cinq quarts de pied. Mais les Huronnes & petuneuses ne font de tous leurs cheveux qu'une tresse accommodée de mesme celle des Algoumequines qui leur bat sur le dos, liez & agencez avec des lanières de peaux d'Eslans ou d autres animaux qu'ils ont à commoditez.
Pour les hommes ils portent deux grandes moustaches pendantes à costé des joues, & quelqu'uns n'en portent qu'une qu'ils tressent & cordellent quelquefois avec des plumes & i autres bagatelles qu'ils y entremeslent, le reste des cheveux est couppé court ou bien en compartimens & en telle autre manière qu'il leur plaist, estimant à beauté que le dessous de la couronné soit raz & couppé de prés, & mesme aux petits garçons le reste des cheveux, excepté les moustaches, à cause des petits vermiseaux.
Depuis nostre arrivée, plusieurs femmes prenoient plaisir de faire des tonsures & couronnes clericales à leurs enfans, pour les rendre semblables à nous, à ce qu'elles disoient, & les garçons mesmes s'en glorifioient en nous les monstrans; je pensé les en reprendre, mais je me retins comme n'y ayans point de mal en ceste imitation; au contraire un tesrnoignage d'amitié & d'estime. Il n'y a pas jusques à des vieillards mesmes qui en ont voulu porter, aucuns desquels estoient tellement curieux de parures, bien qu'ils eussent des-ja par maniere de dire, un pied dans la fosse, qu'ils se faisoient coupper les cheveux par petits compartimens & y accommoder des plumes & du duvet, comme les petits enfans.
Pour les cheveux ou poils levez des nations que nous avons au Su, ils entretiennent tous leurs cheveux sur le front fort droits & relevez, plus que n'estoient ceux que nos Damoiselles portoient anciennement, ils sont couppez de mesme, allans tousjours en diminuans & racourcissans de dessus le front jusques derriere de la teste.
De l'humeur, vertu, & inclination naturelle des Sauvages en general & de quelques exemples propres à ce sujet.
CHAPITRE XXIV.
TOutes les oeuvres de Dieu sont admirables & telles qu'on n'y peut que changer ny desirer, de sorte qu'il nous, suffit de dire Dieu les a faictes, mais entre celles qui nous sont visibles, & que nous pouvons contempler des yeux du corps, je trouve que le visage de l'homme n'est point assez admiré. Il y a prés se six mil ans que le monde est creé & neantmoins entre tant de personnes que la femme à enfanté & que du depuis le Paradis, & l'Enfer ont partagez, deux ne se sont pas de tout point trouvez semblables.
Or de mesme que le visage de l'homme est divers, l'esprit, l'humeur, & le naturel en est différent, car si l'un est joyeux, l'autre est triste, si l'un a un bon entendement, l'autre en a peu ou point du tour; & personne néantmoins ne veut advouer son imperfection, car souvent les plus fols veulent estre estimez les plus sages, & les plus opiniatres prudents, mais prudence de beste.
Dans la face de l'homme comme, dans un miroir on juge souvent des pensées de l'esprit, mais l'action, & non le semblant nous faict cognoistre pour tels que nous sommes. Il y a diverses joyes comme il y a diverses sources d'où elles procedent, mais la meilleure de toutes est celle qui vient de la bonne conscience, comme la fausse & batarde, des plaisirs du sens & de la bonne opinion de soy-mesme.
Difficilement voit on jamais un esprit triste & chagrin acquerir le degré de perfection; mais seulement celuy qui a vraye compunction en son coeur, car l'esprit de Dieu ne se plaist qu'en un esprit doux et humble, & non point simulé ny arrogant.
Il ny a rien de plus aysé à conduire qu'une personne humble & de bon entendement, mais à contrepoil, il n'y a rien de plus difficile à diriger qu'un petit esprit, sombre, & qui comme une beste brutte ne suit que l'instinct de sa propre nature, pour laquelle il fait par tout choix de ce qui la peut davantage accommoder, sans vouloir entendre raison ny faire cas des remonstrances, insensible qu'il est aux affronts & à la honte, & cette humeur grossiere, rustique & incivile, est neantmoins aucunefois prise pour vertu & bonté par ceux qui ne sçavent discerner le naturel stupide & bas, d'avec la vraye vertu & sincerité de ceux qui ont tout un autre soin que de leur ventre.
Les climats ont neantmoins pour l'ordinaire un grand pouvoir sur nos humeurs, car autant qu'il y en a au monde, autant y voit on de sortes de moeurs, & de disparitez d'esprits, l'air estant divers en chaque climats. Ainsi voyons nous que les habitans de Suisses sont autres que ceux de l'Italie, & que l'air Septentrionnal estant froid & grossier, fait ordinairement les hommes moins polis & tardifs, où l'air meridionnal chaud & subtil, les subtilise, & les rend d'un esprit relevé & gentil quand au general, mais descendant au particulier, il y a des sages, & des moins advisez par tout.
Tous nos Sauvages, soit que cela vienne en partie du climat, ou autrement, ont l'esprit assez bon & capable de concevoir, & d'apprendre tout ce qu'on leur voudroit enseigner, & ne se conduisent que par la raison, à laquelle ils cedent facilement, & non à la passion, car, la violence n'a point de crédit chez eux. Je n'entends pas neantmoins les relever au dessus des esprits cultivez & civilisez, car je ne fais estat que de leur naturel simplement, comme gens qui ont esté de tout temps Payens, Barbares, & cruels à ceux qui les offencent.
En tant de Nations que nous avons veuës, toutes différentes en quelque chose l'une de l'autre soit pour le gouvernement, l'entretien, ou pour se vestir & accommoder de leurs parures, chacune Nation se croyant la plus sage & mieux advisée de toutes, car la voye du fol est tousjours droite devant ses yeux, dit le Sage. Et pour dire ce qu'il me semble de quelqu'uns, & lesquels sont les plus heureux, ou miserables: je tiens les Hurons, & autres peuples sedentaires, comme la noblesse du pays; car ils ont le port & le maintien vrayement noble n'ont autre exercice que la chasse, & la guerre, travaillent peu & ont tousjours dequoy vivre.
Les Algoumequins doivent tenir rang de bourgeois entre tous, entant qu'ils trafiquent fort, & comme de bons marchands entreprennent des voyages de longs cours, ils ont bien encore l'exercice de la chasse, & de la pesche, mais il faut qu'ils s'employent serieusement s'ils veulent disner, car leurs voyages, & leurs chasses ne leur en donnent pas toujours à suffisance, il faut donc qu'ils travaillent à la terre comme ils ont ja commencé, non par tout, mais en quelques endroits, & à la fin ils serons consolez & reduits à leur ayse.
Pour les Montagnais, Canadiens & autres peuples errants, nous les mettons au rang des villageois & du petit peuple, car ils sont en effet, les plus pauvres, miserables & necessiteux de tous, sont tres-peu en nombre, & comme gredins & vagabons, courent les champs & les forests à petites trouppes, pour trouver à manger, n'ont point de provisions, ny de lieu arresté, & meurent de faim pour la pluspart du temps, à cause qu'ils ne cultivent point les terres, & que comme nos gueux, s'ils ont dequoy un jour ils se donnent au coeur joye, pour mourir de faim l'autre.
Tous en general sont privez de la cognoissance du vray Dieu, travaillent pour le corps seul, & non pour se salut, & c'est en quoy ils sont principalement digne de compassion: car en vain travaille l'homme, s'il ne peine pour le Paradis. Sont tous d'un humeur assez joyeuse & contente, toutefois un peu Saturniens, serieux & graves, ennemis de legereté, comme de l'humeur noire & mélancolique, par une maxime qu'ils ont que la legereté d'esprit est le vray simbole de folie & d'inconstance, & que sous l'humeur triste & mélancolique est ordinairement la malice & desloyauté cachée, nous en avons l'exemple en la vie de Saul, l'esprit duquel estoit gouverné par le Diable au temps qu'il estoit sombre. Et c'estoit la raison pour laquelle un François n'osoit se promener seul à l'escart, ou dans le village, comme les hommes pensifs font quelquefois, pour ce qu'ils soupconnent dés aussitost qu'ils machinoient quelque trahison, ou pensoient à quelque malice contre eux.
Ne sçachant pas encore au commencement que je m'associay avec eux, qu'elle estoit l'humeur qui leur agreoit davantage, car comme dit l'Apostre, il se faut faire tout à tous pour les gaigner tous, la prudence m'obligea de leur faire voir plusieurs faces, & divers changemens d'humeurs & trouvay que celle qui portoit la douceur en la bouche, le contentement au coeur, & un maintien humblement grave & modeste, estoit celle de laquelle ils faisoient principalement estat.
Cesar se trouvant un jour en la compagnie de ses amis, où il se resjouissoit honnestement & franchement, d'avanture y arriva quelque bon compagnon, deliberé & joyeux, mais grand, gros & gras par despit: lors quelqu'un dit à Cesar, parlez plus bas, & vous gardez de cet homme qu'il ne juge mal de vous, & n'en murmure; Cesar dit alors doucement en riant: il ne faut point craindre ces gens là, mais gens maigres & tristes: & par signe il monstroit Brutus, & Cassius, hommes pleins de malices & cautelles.
Sans flatter le dé, nos Hurons ont quelque chose de louable par dessus nous, & s'ils estoient Chrestiens seroient meilleurs Chrestiens que nous, car ils possedent des vertus morales qui les font admirer, & suspendre à plusieurs leur condemnation, & non celle des Heretiques qui ont refusé la grace, Moyse & les Prophetes, & les Sauvages non.
Ils sont si attrempez & retenus que lors que vous leur parlez, ils vous escoutent, & vous donnent tout le temps que vous desirez, sans vous interrompre, ny parler que vous n'ayez finy, ils parlent fort posement, commme se voulans bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost en songeans une grande espace de temps, peur de se mesprendre, ou qu'on n'aye bien conceu leur dire, puis reprennent leur parole. Cette modestie est cause qu'ils appellent nos François femmes, & les Montagnais oyes babillardes, lors que trop precipitez & bouillans en leurs actions, ils parlent tous à la fois, & s'interrompent l'un l'autre comme femmes, ce qui n'est que trop ordinaire, estant tres-veritable ce que disoit Salomon l'Hebrieu, que le Sage à la langue dans le coeur: mais que celuy qui est fol & furieux a son coeur en sa langue.
Ils craignent le deshonneur & le reproche qu'ils evitent autant qu'ils peuvent, & sont excitez à bien faire par l'honneur & la louange, d'autant qu'entr'eux est toujours honoré, & s'acquiert du renom, celuy qui a fait quelque bel exploit, ou exercé quelque acte de vertu heroïque.
Un coeur bien assis, & une ame bien logée, est tousjours liberale & pleine de charité, donne librement & gayement de ce qui est à son pouvoir, ne laisse point languir le souffreteux, assiste les indigens, & ne veut avoir de biens que pour en faire part aux pauvres: au contraire des avares & mesquins, qui ne veulent que pour eux mesmes, suent de detresse quand il leur faut faire du bien, & sont tousjours dans les plaintes, ô mon Dieu cela se voit mesmes dans les maisons des plus riches eslevez de la fortune, où rarement on trouve de la charité.
Les Sauvages selon leur pauvreté, sont louables en cette vertu, laquelle ils exercent indifferemment envers, tous ceux qui ne leur sont point ennemis, car ils se visitent les uns les autres, ils se font des presents mutuels & ne refusent jamais rien au pauvre; ny au malade qui leur demandent, s'ils ont moyen de leur satisfaire & subvenir, & ce qui en est un evident tesmoignage est comme j'ay dit ailleurs qu'ils n'ont aucuns pauvres mendiants parmy eux, & envoyent de leurs biens jusques dans la maison des necessiteux malades, vefves & orphelins, sans leur en faire jamais de reproches, n'y aux passans lesquels ils logent librement, aussi long temps qu'ils veulent, & ne leur en demandent aucune recompense, & si nous leur donnions quelquefois un petit present pour ce regard, cela venoit de nostre mouvement, & non de leur importunité.
Et pour monstrer leur galantise, ils ne marchandent point volontiers, & se contentent de ce qu'on leur baille honnestement & raisonnablement, blasmans les façons de faire de nos marchands, qui barguignent une heure pour un castor, c'est pourquoy ils se rient d'eux quand ils les ont trompez, & ne se fachent point quand ils y sont attrapez.
Si dans un grand nombre il se trouve quelque particulier Sauvage avare, & qui refuse d'ayder au necessiteux, ayant moyen de luy bien faire, il en est fort blâmé, mais il ne s'y en voit aucun de si impitoyable & cruel, que le riche bourgeois de Paris, duquel un homme digne de foy m'a eu parlé sans me le nommer, car je n'ay pas desiré sçavoir le nom d'un si vilain barbare, lequel ayant des rentes à milliers vivoit dans un si grand espargne & si echarsement, que peur de donner un sol à un pauvre il serroit luy mesme son bois & n'avoit autre service que celuy qu'il se rendoit. Mais le principal traict de sa villenie, fut que sa soeur luy ayant demandé quelques confitures pour remettre deux pauvres malades en appétit, il luy respondit (Arabe qu'il estoit) qu'ils mangeassent du pain bis & que l'appetit leur reviendroit, voyla une rudesse & barbarie que je n'ay point veu aux barbares mesmes & qui peut estre accomparée à celle du mauvais riche.
La clemence & mansuetude, est une vertu propre & naturelle des vrays Princes, sans laquelle ils sont tyrans & non Princes, pour ce que Dieu ne les a establis que pour la conservation & le soulagement de leurs peuples, & non pour les opprimer & destruire. L'Empereur Trajan a esté grandement loué par Helie Spartain, d'autant qu'estant à cheval pour aller à la guerre, mist pied en terre, seulement pour ouyr la plainte que luy faisoit une pauvre femme. Nos Sauvages l'ont bien envers tous ceux qui ont recours à eux pourveu qu'ils ne leur soient point ennemis, mais en souverain degré envers les malades, & personnes affligées. Ils usent aussi d'une manière de clemence à l'endroit des femmes & petits enfans de leurs ennemis qu'ils prennent en guerre, ausquels ils sauvent ordinairement la vie bien qu'ils demeurent leurs prisonniers pour servir, mais c'est avec la mesme condition des libres, & par ainsi ils sont comme en leurs propres, maisons, sinon qu'ils ne voyent pont leurs parens, ausquels ils ont fort peu d'attache.
Socrates estant un jour en sa maison, luy furent presentez des choux d'un sien amy Philosophe, qu'il receut de fort bonne grace, honorant le donneur au don, mais sa femme poussée d'envie & précipitée de sa colere maligne, les luy arracha des mains & les foulla aus pieds, sans que le bon Socrates luy dit autre chose sinon: ma femme, en me privant de ma part des choux tu t'es privée de la tienne, & puis se teut pendant que sa femme fulminant de rage de ne l'avoir pû colerer, luy jetta de la chambre haute un plein pot d'eau sur la teste comme il pensoit sortir, mais pour cela sa patience ne fust point esbranlée, car eslevant les yeux en haut vers la chambre, il dit seulement: je sçavois bien qu'aprés la tempeste viendroit la pluye, & puis passa outre son chemin.
La patience est une belle vertu & si elle n'est pas tousjours vertu, il n'y a qu'à la bien prendre qu'elle nous acquiert du merite. Le grand contemplatif Taulere parlant de luy mesme, disoit: je ne suis non plus humble que je suis patient, ny patient que je suis humble, aussi est il vray que celuy qui est humble est necessairement patient, & ne se colere que pour la justice, faschez vous & ne m'offencez point, dit l'Escriture. La patience de nos Sauvages, est tres admirable & edificative en toutes sortes d'occasions, de maladies, de peines ou de travail, pas un mot pour se plaindre, pas un mouvement d'impatience, tout est calme chez eux, & ne s'y entend aucun murmure non à la maniere de certains Philosophes anciens, qui souffroient bien l'injure exterieurement & interieurement en recherchoient l'honneur, mais pour le seul respect de la vertu.
Mettant l'humilité à part, je dis derechef que leur patience surpasse de beaucoup la notre, & qu'ils ont un pouvoir fort absolu sur leurs passions naturelles qu'ils maistrisent & dominent puissamment, comme on peut remarquer en leur çonversation & dans des occasions, qui feroient suer les plus hardis & Constans d'entre nous, car toute leur plus grande impatience gist en un petit souris avec un petit ho, ho, ho; mais il ne s'en faut point estonner ny perdre courage en nos infirmitez, puisqu'ils n'ont point de demons qui les provoque en d'autre mal, qu'à se maintenir dans l'infidelité, comme les heretiques, dans leur heresie, suffit au diable qu'on soit à luy.
Les Sauvages qui me semblent les plus honnestes & mieux appris de toute ceste grande estendue du Canada, sont à mon advis, ceux de la contrée de Miskou, car pour si peu que je les aye conversé; je recognu facilement qu'ils tenoient quelque chose de poly, mais entre tous, le Sauvage du bon Pere Sebastien Recollect Aquitanois, qui mourut de faim avec plusieurs barbares, vers un lieu appellé de sainct Jean, pendant un hyver que nous demeurions aux Hurons, environ quatre cens, lieuës de luy, lequel ne sentoit nullement son Sauvage en ses moeurs & façons de faire, ains son homme sage, grave, doux, & bien appris, n'approuvant nullement la legereté & inconstance qu'il voyoit en plusieurs de nos hommes, lesquels il reprenoit doucement en son licence & sa retenue, aussi estoit il un des principaux Capitaines & Chefs du païs.
Des vices & imperfections des sauvages & comme ils ont recours aux Magiciens pour recouvrer les choses perdues.
CHAPITRE XXV
Bien heureux est celuy qui supporte la foiblesse & la fragilité de son prochain, comme il seroit fort ayse d'estre supporté en la sienne, disoit nostre Seraphique Pere S. François, car en cela gist la vraye charité & le vray amour que nous devons avoir l'un pour l'autre. Veritablement y a bien de quoy se mortifier & exercer la patience en la compagnie de nos Sauvages, aussi bien qu'en celle de beaucoup d'impertinens & vicieux Chrestiens, car si d'un costé & en de certaines actions; ils monstrent de la vertu, ils ont d'ailleurs des imperfections qui ternissent bien le lustre de leur vertu, car il n'y a personne pour bon qu'il soit qui n'aye en soy quelque chose à reprendre, ny si meschant & imparfaict, qui n'aye quelque, chose à louer, disoit un ancien Sage entre les Grecs.
Ils manquent sans jalousie, à la fidelité conjugale que le mary & la femme se doivent reciproquement, j'entends psrmy les Hurons, car pour les Canadiens & Montagnais on les tient plus honnestes en effects & moins en paroles au dire de quelqu'uns.
Le peché du mensonge est un vice detestable en la bouche du Chrestien, car pour petit qu'il soit il nous conduit dans l'infidelité c'est pourquoy nous pouvons à bon droict estimer du menteur comme d'un puits de malediction ou toutes sortes de vices, & de pechez abondent, car jamais le mensonge n'est seul en une ame: c'est un Prince des tenebres, qui a une longue suitte, & devant lequel les seuls meschans flechissent le genouil. O mon Dieu pere de verité faictes nous abhorrer le mensonge & nous deffendez de la langue mensongere; car les infidelles mesmes l'ont en abomination.
La loy establie entre les Galamantes faisoit mourir l'homme surpris en mensonge, pour les maux qu'il cause dans une communauté. & celle que Periandre establit en la Republique des Corinthiens portoit, que l'homme ou la femme, qui au prejudice d'autruy diroit quelque menterie, porteroit par l'espace d'un mois une pierre en sa bouche, pour ce qu'il n'est point raisonnable que celuy qui a l'habitude de mentir soit tousjours en liberté de parler.
Que si ces Loix estoient establies & observées entre les Chrestien, nous serions heureux & deviendrions tous enfans & imitateurs de Dieu, qui faict particuliere profession de la verité plus que de toute autre chose, de laquelle les Romains faisoient anciennement tant d'estat, que l'Empereur au triomphe qu'il fist de Marc Anthoine & Cleopatra amena à Rome un Prestre d'Egypte aagé de soixante ans, lequel, en tous les jours de sa vie n'avoit jamais dit un seul mensonge. A raison dequoy le Sénat ordonna que soudain il fut faict libre & creé grand, Prestre, & qu'il luy fust dédiée une statue & posée entre celles des plus renommez hommes des anciens, & condamnerent un de leur citoyen accoustumé à mentir, ce Religieux Sénat ayant plus d'égard à la vertu qu'aux considerations de la faveur.
Nos Sauvages ont d'autres imperfections en suitte du mensonge, qui est neantmoins en eux plustost souplesse d'esprit que malice affectée, car s'ils en disent entr'eux (ce qui arrive assez rarement,) c'est lors principalement qu'ils se veulent recréer & en donner à garder aux estrangers avec lesquels ils sont assez libres: ils promettent aussi ordinairement plus qu'ils n'ont souvent dessein d'accomplir, sinon à leurs compatriots, & pour avoir quelque chose de nous ils sçavent bien flatter & vous amadouer, & pour cela vous ne tenez encor rien, si ce n'est des plus sages d'entr'eux qui feroient conscience de vous tromper. Voyons de la vengeance.
Manille demandoit une fois à Cesar, qu'elle chose estoit celle qu'il avoit faicte de laquelle il creut avoir rapporté gloire, & de laquelle se souvenant, il se resjouissoit le plus: il pensoit peut estre qu'il luy parleroit de ses victoires & de ses triomphes. Mais ce prince genereux, faisant plus d'estat de la vertu que de ses conquestes, luy respondit: par les Dieux immortels je te jure, ô Manille, que je n'estime avoir merité gloire de nulle autre chose de ceste vie, ny nulle autre ne me cause tant d'allegresse, que de pardonner à ceux qui me font injure & gratifier ceux qui me servent, que responderez vous à cela, ô vindicatifs & avares.
Nous lisons une presque semblable humanité & generosité, dans l'histoire generale du Peru, en la personne de l'un des derniers Yncas, qui a regné avant la prise de leur Empire par les Espagnols, lequel ayant esté adverty par ses Capitaines, que les soldats de son armée faisoient avaller à leurs ennemis & aux prisonniers qu'ils prenoient en guerre, d'un certain poison, qui les traisnoit dans une perpétuelle langueur, les estropioit de tous les membres, les rendoit perclus de leur jugement, defigurez en leur visage, & exposez à des peines insupportables dedans & dehors, à quoy ils prenoient un singulier plaisir (cruels qu'ils estoient) plustost que de les voir si tost mourir. Il leur envoya dire qu'ils eussent à faire brusler à petit feu, tous ceux qu'on pourroit convaincre d'avoir uzé d'une cruauté si grande, & à proceder exactement en cette execution, afin qu'il ne restast à l'advenir aucune memoire de ces meschans; Ce qui fut de tout point executé, & accomply, pour un exemple rare à tous les gens de guerre qu'un courage noble & généreux n'est jamais cruel à son ennemy vaincu non plus qu'impatient dans les disgraces de la fortune, car l'impatience & la cruauté sont les marques d'un coeur ravalé & mal instruict.
Si nos Hurons avoient ce pouvoir sur leur esprit comme ils ont en d'autre chose, de pardonner à leurs ennemis, ou de les traicter humainement comme ces autres infidelles, avec la pureté qui leur manque, il ne leur faudroit plus autre chose que la croyance & le baptesme qu'ils ne furent gens de bien, mais ils ne pardonnent pas facilement à quiconque des estrangers a offencé leur patrie, je dis estrangers, par ce qu'entr'eux ils s'offencent rarement & se pardonnent facilement, ce qui leur est aysé à cause de l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre.
Pour l'honnesteté & la civilité il n'y à dequoy les louer non plus qu'entre nous beaucoup de negligens, qui se tiennent salement & vivent rustiquement sous prétexte de pauvreté & devotion. Devotion trompeuse ou plustost follie d'esprit, car la vraye devotion est tousjours accompagnée de l'honnesteté & civilité avec la candeur, qui bannit toute dissimulation.
Ils n'usent d'aucun compliment parmy eux, & sont fort mal nets en l'apprest de leurs viandes, particulierement lors qu'ils sont par la campagne. S'ils ont les mains salles, ils les essuyent à leurs cheveux, ou au poils de leurs chiens, & ne les lavent jamais, si elles ne sont extremement salles: ce qui est encore plus impertinent, ils ne font aucune difficulté de pousser dehors les mauvais vents de l'estomach parmy le repas & en toute compagnie, dequoy je les reprenois quelquefois, mais fort doucement, aussi s'en prenoient ils à rire.
Ils font aussi naturellement fort paresseux & negligens, & ne s'adonnent à aucun travail du corps, que forcé de la necessité, particulierement les Canadiens, & Montagnais plus que toutes les autres Nations, c'est pourquoy ils en ressentent souvent les incommoditez, & la faim qu'ils ont quelque fois extreme.
D'estre fins larrons, nos Hurons & les petuneux y sont passez maistres, non les uns envers les autres, car cela arrive fort rarement, mais seulement envers les estrangers, desquels toutes choses leur sont de bonne prise, pourveu qu'ils n'y soient point attrapez, comme ils sont quelquefois à la traicte, où les François se donnent principalement garde des mains & des pieds des Hurons.
J'ay admiré le compte qui m'a esté fait autrefois d'un coupeur de bourse, lequel ayant convenu de prix avec un marchand coustelier à Paris, de luy faire un petit cousteau à sa mode moyennant un quart d'escu, le cousteau faict & payé, le coustelier qui desja avoit prié par plusieurs fois l'honneste homme de luy dire de grace à quoy faire un tel cousteau, le bon compere trop simple se laissa approcher de trop prés du drolle pour luy en dire le secret, car en luy disant tout bas à l'oreille, c'est pour couper des bourses, il luy couppa la sienne, & remporta son quart d'escu avec le petit cousteau, sans que le pauvre coustelier s'en apperçeut qu'un petit quart d'heure trop tard.
Nos Hurons font quelquefois des traicts qui ne sont gueres moins subtils, non à couper des bourses, car ils n'ont point l'usage d'argent, sinon pour servir de parures, mais à prendre toute autre chose, où ils peuvent mettre les mains, ou les pieds, qui leur sont de secondes-mains, car avec iceux ils sçavent fort bien destourner les choses, & s'en saisir lors que vous y pensez le moins; Nous y avons esté souvent pris en nostre cabane, sans que nostre soin & nostre oeil nous pût garantir de ces fascheuses visites: Je m'en plaignois quelquefois aux cabanes, mais qu'elle adresse, ou la subtilité de derober sas estre recognu, est estimée sagesse, & bestise de s'y laisser surprendre.
J'ay veu, aux Hurons, jusques aux clefs des coffres de nos Mattelots, des petits morceaux de fer, des peignes, quelques pièces de verre, & autres petits fatras pendus au col des jeunes enfans, que leurs parens avoient desrobé aux François. On estime avec raison la subtilité, & la patience du petit garçon de Spartes, lequel ayant desrobé & caché un renardeau sous sa robbe, ayma mieux se laisser ouvrir & deschirer les entrailles par ce meschant animal, que de découvrir son larrecin, & en avoir le fouet, qui luy eut esté plus tolerable. L'invention d'un Huron n'est guere moins admirable, lequel ayant dérobé une cuillier d'argent aux François, la cacha subtilemenr dans la partie plus secrette de son corps, aymant mieux en souffrir la douleur, que la honte d'estre estimé lourdaut.
S'il arrive, ce qui se voit fort rarement comme j'ay dit, que quelqu'un d'entr'eux ait derobé son voisin, & que celuy qui a esté volé ait desir de recouvrer la chose perdue, il a recours au Medecin Magicien: auquel il manifeste sa perte, & le conduit dans sa cabane, ou en celle qu'il soupçonne estre le larron, cela fait, Loki ordonne des festins, pour premier appareil, (car ces malheureux là n'oublient jamais la cuisine) puis pratique ses magies, par le moyen desquelles il decouvre le voleur (à ce qu'ils disent) s'il est present dans la mesme cabane, & non s'il est absent, car il n'appartient qu'au grand Oki de sçavoir les choses plus esloignées.
C'est pourquoy le François qui derroba, les rassades au bourg de sainct Nicolas, autrement de Toetichain, eut raison de s'enfuir en nostre cabane, qui en estoit à trois lieuës loin, lors qu'il sçeut l'arrivée du petit Oki dans son logis, pour le sujet de son larrecin, & ne nous dit point la cause de sa fuitte que long-temps aprés, que nous le trouvames saisy de ses rassades, dequoy, nous le tençames fort, tant de l'offence commise, que pour nous avoir mis par cette mauvaise action, en danger de nous faire mourir par les Sauvages, s'il eut esté descouvert; car en ces pays la, la faute d'un particulier est souvent punie en plusieurs.
Les Canadiens, & Montagnais, ne sont point larrons, du moins n'avons nous pas encor eu suject de nous en plaindre, encor qu'ils entrent assez librement dans nos chambrettes, & parmy nostre Convent, où ils nous pourroient faire du tort s'ils vouloient. Je ne sçay neantmoins s'ils auroient la mesme retenue envers les autres François, y ayans pareille liberté, c'est pourquoy il sera tousjours bon d'estre sur la mesfiance, mere de seureté, pour ne donner sujet de mal faire à personne, comme j'ay dit, que pour ce regard on ne se puisse encor plaindre, & qu'il ne se parle d'aucun larron parmy eux.
Il arriva un jour que deux jeunes garçons, l'un Huron, & l'autre Montagnais, furent visiter nostre Convent de nostre Dame des Anges: or comme le Huron se fut apperçeu d'un gros pain que nos Religieux avoient serré dans la grande chambre d'embas, il jetta si bien ses mesures, & conduit si à propos ses detours, qu'il s'en saisit sans que personne l'apperçeut, non pas mesme son compagnon, lequel sçachant aprés la malice du Huron, marry que ce desplaisir nous eut esté rendu en sa compagnie, nous demanda permission de courir aprés le volleur, comme il fit, & nous rapporta le pain, dequoy je fus d'autant plus edifié, que ce Montagnais nous adverty luy-mesme de la faute de son Huron.
Les filles Canadiennes qui d'ailleurs permettent en cachette beaucoup de licences contre la pudeur, semblent à l'extérieur sages & honnestes, tant en leurs paroles, qu'en leurs deportemens, & c'est ce qui m'en avoit tousjours faict bien juger, neantmoins on m'a voulu faire croire du depuis qu'il n'y avoit que les femmes mariées d'honnestes, & que les filles voyoient en cachette de leurs amis pour trouver marys, c'est à dire qu'elles sont seulement sages en publiq, & non en particulier, mais pour moy je doute encor qu'elles soient libertines ayant veu de si modestes, & point du tout d'impertinentes, soit de paroles ou de gestes. Il y en a qui veulent dire en suitte de la mauvaise opinion qu'ils ont de ces filles, qu'on n'entend que salletez dans les cabanes des Montagnais, pour moy j'y ay passé plusieurs jours & ne l'ay point apperçeu, je confesse bien que je n'entendois pas leur langue, sinon fort peu de mots, mais je croy que le Truchement m'en eut adverty, & puis en leur geste j'en eusse descouvert quelque chose. Pour les cabanes des Hurons il y a quelque chose de cela, aussi le peché y est il plus commun, quoy qu'il ne s'y commette qu'en cachette.
Plutarque rapporte que la femme de Tuccydes le Grec estant un jour interrogée, comme elle pouvoit endurer la puanteur de la bouche de son mary, elle respondit qu'elle croyoit que tous les autres hommes l'avoient semblable. Il y a des particuliers qui ont voulu dire que tous les Sauvages avoient la bouche puante, pour moy je n'en sçaurois que dire, & ne l'ay pas mesme apperceu de nos escoliers Hurons, qui nous approchoient d'assez prés en leur faisans dire leur leçons, bien est il vray que la pluspart des Montagnais me sembloient sentir mal des graisses de loups marins, qui leur servent d'oignement & de civette, car le musc leur semble puant comme l'haleine d'un qui auroit mangé de l'ail, laquelle ils ne peuvent supporter, je l'ay veu par experience lors que par necessité nous estions contraints de manger d'un petit oignon du pays, qui sent l'ail & l'oignon, d'où l'on peut inferer qu'ils n'ont point la bouche puante. Il y en peut neantmoins avoir quelqu'uns de ce calibre, aussi bien que des filles libertines, & des garçons dissolus en paroles, ce qui n'est que trop ordinaire aux Hurons, & peut y en avoir parmy les Montagnais, avec lesquels ces particuliers se peuvent estre rencontrez.