Histoire du Canada: et voyages que les Freres mineurs recollects y ont faicts pour la conversion des infidelles.
Des oyseaux plus communs du Canada.
CHAPITRE II
AU commencement que les François allerent en Canada, ils y trouverent tant d'oyseaux de toutes especes, & si faciles à prendre, que celuy ne le croiroit qui ne l'auroit veu, ils les assommoient à coups de bastons sur les arbres, comme j'ay veu faire à des Sauvages dans les Isles de la mer douce au delà des Hurons, où nous estions cabanez pour la pesche; & les perdrix estoient si peu battues, qu'elles se laissoient mettre le lasset au col, attaché au bout d'une baguette. Quand on alloit giboyer le chasseur estoit asseuré de rapporter autant d'oyseaux qu'il en pourroit porter, car ils n'estoient pas encores faits à nos arquebuzes, comme ils sont à present que ces foudres les ont esclaircis & un peu advisés. Il y en reste tousjours neantmoins une si grande quantité en quelques Isles, qu'elle semble egaler le sable de terre, & qui servoient d'une douce manne aux Sauvages, s'ils avoient nos inventions & nos armes, mais ils ont peu d'industrie pour les attraper, & par ainsi en jouissent de peu & en nourrissent encore moins, car comme j'ay dit, ils n'ont d'animaux domestiques, que des chiens, & au plus quelques ours ou quelque aigles.
Entre tous les oyseaux que j'ay veu dans le païs, il me semble que le plus beau, le plus ravissant & le plus petit qui soit peut estre au monde, est le Vicilin, ou oyseau mousche que les indiens appellent en leur langue ressuscité. Cet Oyseau, en corps, n'est pas plus gros qu'un grillon, il a le bec long & tres-delié, de la grosseur de la pointe d'une aiguille, & ses cuisses & ses pieds aussi menus que la ligne d'une escriture. L'on a autrefois pesé son nid avec les oyseaux & trouvé qu'il ne peze davantage de 24 grains, il se nourrit de la rosée du Ciel, & de l'odeur des fleurs qu'il succe sans se poser sur icelles, mais seulement en voltigeant par dessus. Sa plume est aussi deliée que duvet, & est tres plaisante & belle à voir pour la diversité de ses couleurs.
Cet oyseau (à ce qu'on dit) le meurt ou pour mieux dire s'endort au mois d'Octobre, demeurrant attaché quelque petite branchette d'arbre par les pieds, & se resveille au mois d'Avril, que les fleurs sont en abondance, & quelquefois plus tard, & pour cette cause est appellé en langue Mexicaine, ressuscité. Il en vient quantité en nostre jardin de Kebec, lors que les fleurs & les poix y sont fleuris, & prenois plaisir de les y voir, mais ils sont si petits que n'estoit qu'on en peut approcher de fort prés, à peine les prendroit on pour oyseaux, ains pour papillons: on les discerne & recognoist à leur long bec, à leurs aisles, plumes, & à tout le reste de leur petit corps bien formé.
Ils sont fort difficiles à prendre, à cause de leur petitesse, & qu'ils ne se donnent aucun repos, sinon qu'ils se soustiennent quelquefois un peu en l'air becquetant une fleur. Quand on les veut avoir il se faut approcher des fleurs & se tenir coy, avec une longue poignée de verges en main, de laquelle il les faut frapper si on peut & c'est l'invention & la manière la plus aysée pour les prendre. Nos Religieux en avoient un en vie, enfermé dans un coffre & attaché à un filet, mais il ne faisoit que bruire, & se tourmenter là dedans; bien qu'il eut des fleurs & confitures à manger, & au bout de quelques jours il mourut, car il n'y a moyen aucun d'en pouvoir nourrir ny conserver long-temps en vie, autrement nous en eussions apporté pour nos amis.
Il venoit aussi quantité de chardonnerets, manger les semences & graines de nostre jardin, leur chant me sembloit plus doux & aggreable que ceux d'icy, & mesme leur plumage, plus beau & beaucoup mieux doré, mais ils sont difficiles à prendre, car leur ayant tendu quelque piege, je n'en pû attraper aucun, comme j'esperois pour France.
Il y a une autre espece d'oyseau un peu plus gros qu'un Moyneau, qui a le plumage entierement blanc comme albatre, il se nourrit aussi en cage comme le chardonneret, mais son ramage n'en est pas si aggreable, bien qu'il ne soit pas à mespriser.
Les Gays que nous avons veus aux Hurons, lesquels ils appellent Tintian, sont pus petits presque de la moitié, que ceux que nous avons par deça, & d'un plumage plus diversifié, ce qui les rend fort gentils & aggreables, mais qui ne s'accommoderoient pas bien à nostre climat.
Ils ont aussi des oyseaux qu'ils appellent Stinondoa, environ de la grosseur d'une tourterelle; qui ont leurs plumes entièrement rouges où incarnates, on les pourroit prendre pour petits perroquets, s'ils en avoient le bec, car tous les perroquets ne sont point verts, ny jaunes, ny blancs, j'en ay veu de plumage rouge, & quelques autres tirans sur le bleu ou violet, également gentils & de mesme nature des communs. On donna à nos Religieux de Kebec un Stinondoa, qui n'estoit guère plus gros qu'un moyneau, mais un peu plus long, lequel pour estre trop gras ils ne purent nourrir, non plus que moy un autre oyseau que les Hurons m'avoient donné, il avoit la teste & le col rouge, les aisles noires, & tout le reste du corps blanc comme neige.
Ils m'en avoient aussi donné quatre d'une autre espece, gros comme tourterelles; lesquels avoient par tout sous le ventre, sous la gorge, & sous les aisles, des Soleils bien faicts de diverses couleurs, & le reste du corps estoit d'un jaune meslé de gris: desquels les Sauvages font un tel estat, que quelqu'uns d'eux en conservent les peaux comme d'autres especes rares. J'eusse bien desiré d'en pouvoir apporter en vie par deça, pour la beauté & rareté que j'y trouvois mais il n'y avoit aucun moyen, pour le tres-penible & long chemin, qu'il y a des Hurons en Canada, & de Canada en France.
L'Aigle que nos Hurons appellent Sondaqua, est un animal genereux, & comme le roy entre tous les autres oyseaux; mais royauté tyrannique, car avec ce qu'elle leur commande, elle leur faict une guerre immortelle, & les devore; comme les plumes d'une Aigle morte le tesmoignent, en ce que si l'on mesle avec elles des plumes d'autres oyseaux, elles les devorent & consomment, ainsi que dit Pline. C'est une chose qu'aucun ne sçavoit exprimer que les plumes usent de la mesme tyrannie dont l'oyseau usoit: sinon que Dieu nous voulut faire voir, qu'il fait dangereux vivre sous un Prince sanguinaire, & qui a des Ministres que surchargent ses peuples.
Il y a quantité d'Aigles au païs des Algoumequins, comme plus montagneux & froids que celuy de nos Hurons, lesquelles font leurs nids sur le bord des eaux ou de quelque precipice, tout au coupeau des plus hauts arbres & rochers: de maniere qu'elles sont fort difficilles à desnicher: nous en denischasmes neantmoins plusieurs nids à nostre retour, auxquels nous ne trouvasmes en aucun plus d'un ou deux Aiglons, que nous mangeames aprés que je fus las de les porter, & les trouvasmes tres-bonnes, car elles estoient encores jeunes & tendres. Elles ont une proprieté que se cognoissant estre estroites, & qu'elles font leurs oeufs avec difficulté, elles cherchent une pierre nommée aerites, autrement pierre aquilin, qu'elles apportent en leur nid pour se rendre plus larges; & pour pondre plus aysement, laquelle est pour le jour d'huy en usage, chez plusieurs dames d'Italie & de France, pour soulager leur enfantement.
Il est une fois arrivé qu'un de nos Religieux, estant allé seul dans les bois environ une lieue de nostre Convent de Kebec, une tres-grande Aigle ou peut-estre un Griffon, vint pour s'abbatre sur luy de telle furie, que ca pauvre Religieux s'estant promptement terré dans un gros buisson le ventre contre terre, cet oyseau ne pouvant avoir sa proye, débattit long-temps des aisles par dessus ce buisson & puis fut contrainct de s'en aller, dequoy le Religieux rendit graces à Dieu.
Il ne faut point que je passe aussi sous silence, (puis que je suis dans le suject) une belle propriété entre toutes, que les Naturalistes attribuent à l'Aigle, pour ce peut estre que quelqu'un en pourra faire son profit, comme font les vieux pécheurs & ceux qui frequentent peu le Sacrement de la penitence, necessaire pour renouveller sa vie. Ils nous apprennent donc, qu'estant chargée de vieillesse, & ne pouvans supporter la grosseur de son bec crochu (comme celuy du perroquet) qui l'empesche de manger; & la pesanteur de ses vieilles plumes, qui ne luy peuvent plus permettre de voler, haut, ressentant aussi beaucoup d'incommoditez, à cause de la debilité de sa veue, qui fait qu'elle ne peut plus fixement regarder le Soleil, comme elle souloit: elle se jette dedans une claire fontaine, qu'elle cherche pour ce sujet; elle rompt son bec crochu à quelque dure pierre: elle despouille ses vieilles plumes; & par tels moyens elle renouvelle si bien sa jeunesse & ses forces que changeant de bec, de plumes & de veue, elle commence à manger, voler aussi haut, & contempler aussi fixement les rayons du Soleil, qu'elle faisoit en sa pristine jeunesse. O pauvres pecheurs enviellis dans le peché, faictes icy votre application, & imittez l'Aigle en vous revestans du nouvel Adam.
Mes Sauvages me vouloient aussi desnicher des oyseaux de proye, qu'ils appellent Ahouatantaque, d'un nid qui estoit sur un grand arbre assez proche de la riviere, desquels ils faisoient grand estat, mais je les en remerciay, & ne voulût point qu'ils en prissent la peine, neantmoins je m'en suis repenty du depuis, car il pouvoit estre que ce fussent Vautours, desquels la peau est excellente pour un estomach refroidy.
En quelque contrée, & particulierement du costé des petuneux, il y a des poulles d'inde, qu'ils nomment Ondettontaque, lesquelles sont champestres & non domestiques, car les Sauvages comme j'ay dit, ne nourrissent que des chiens, & presque point d'autres bestes. Le gendre du grand Capitaine de nostre bourg, en poursuivit une fort long-temps és environs de nostre cabane, mais il ne la peut tirer, pour ce qu'encor bien qu'elle fut lourde & massive, si est-ce qu'elle gaigna d'arbre en arbre & par ce moyen evita la flesche.
Je ne m'estonne point, si tant d'Autheurs escrivent que les Gruës font la guerre aux pigmées, qui sont petits hommes de la hauteur d'une coudée, residans vers la source du Nil, puis qu'il y en a de si grande & forte, que sans baston, un homme parfaict ne la sçauroit surmonter. Au mois d'Avril quand on seme les bleds & en Septembre quand ils sont meurs, les champs de nos Hurons en sont presque tous couverts, ils leur tendent des collets, mais ils y en prennent peu souvent & n'en tuent guere davantage avec la flesche, car ces animmaux sont de bon guet, & s'ils ne sont frapppés mortellement ou qu'ils n'ayent les aisles rompues, ils emportent facilement la flesche dans la playe, qui se guerit avec le temps, ainsi que nos Religieux du Canada l'ont veu par experience d'une Gruë prise à Kebec, qui avoit esté frappée d'une flesche Huronne, 300 lieuës au delà, & trouverent sur sa crope la playe guerie, & le bout de la flesche avec sa pierre enfermée dedans. Nos François en tuent aussi avec leurs arquebuses, plus que les Sauvages avec leurs flesches, mais je vous asseure qu'il y en a qui se sont souvent trouvez bien empeschez de combattre celles qui se sentant frappées tiroient droit à leurs hommes pour les defigurer, sinon elles courent de la vitesse de l'homme.
Il y a aussi un tres-grand nombre d'outardes & d'oyes blanches, & grises nommées Ahonque, par tout le païs du Canada, qui font le mesme détriment des Grues dans les bleds de nos Hurons, ausquelles on fait de mesme la guerre, mais elles ont bien peu de deffence.
Je me suis estonné que nos Hurons ne mangent point du corbeau, qu'ils nomment oraquan, desquels je n'eusse fait aucune difficulté de manger si j'en eusse pû attraper, car il n'y a rien de salle en ces païs là qui en doive donner horreur. Au contraire ils ne bougent presque des bleds, qu'ils grattent comme poulles; dequoy ils nous en faisoient souvent de grandes plaintes, & demandoient le moyen de les en chasser, mais il eut esté bien difficile sans une continuelle guette.
Tout de mesme que le corbeau qui au commencement est blanc, & puis prend la couleur noire. Les poussins du cygne se font noirs, & aprés deviennent blancs. Nos Hurons les appellent Horhey, mais il s'en trouve peu dans leur païs, c'est principalement vers les Ebicerinys; où il s'en voit plus grande quantité dans les terres & en Canada en quelque lacs.
Il y a presque par tout des perdrix blanches & grises nommées Acoissan, qui ont leur retraite dans les sapinieres & une infinie multitude de tourterelles, qu'ils appellent Orittey, lesquelles se nourissent en partie de glands, qu'elles avallent facilement entiers. Au commencement elles estoient si sottes, quelles se laissoient abbatre à coups de pierres ou de gaules de dessus les arbres, mais à present elles sont un peu plus advisées.
Il seroit bien difficile & non necessaire, de descrire de toutes les especes d'oyseaux, qui sont dans l'estendue de ces larges Provinces, ce peu que j'en ay descrit peut suffire, pour faire voir que le Ciel a là ses habitans, pour louer Dieu aussi bien que nous en avons icy, & que par tout retentissent les louanges du Créateur. Qui a encor peuplé le païs de nos Sauvages de plusieurs oyseaux de proye, de ducs, faucons, tiercelets, espreviers & autres: mais sur tout de bons gibiers, comme canards de plusieurs especes, margaux, roquettes, outardes, mauves, cormorans, & autres.
Des animaux terrestres, qui se trouvent communement en Canada; & de ceux qu'on y a faict passer d'icy.
CHAPITRE III.
CE n'est pas de merveille qu'il se trouve de certains animaux en quelques contrées qui ne se voyent point en d'autres, car il y en a qui ne se plaisent qu'au froid & les autres à la chaleur: c'est pourquoy en quelque Royaumes d'Afrique, il n'y a nulles bestes à quatre pieds, lesquelles n'y peuvent vivre pour l'extreme chaleur qu'il y faict: pour ce mesme suject on n'y voit ny sanglier, ny cerf, ny chevre, ny ours, au rapport de quelques Autheurs, sinon que les Espagnols y en ayent faict passer.
Et ceux qui ont traicté du nouveau monde & de l'Amerique entiere, asseurent qu'avant que les mesme Espagnols l'eussent conquise, il n'y avoit ny chiens, ny moutons, ny brebis, ny chevres, ny pourceaux, ny chats, ny asnes, ny boeufs, ny chevaux, chameaux, mulets, ny elephans, de tous lesquels il ny en avoit non plus dans tout le Canada, excepté des chiens, lesquels sont encore un peu differens des nostres de deça.
Mais à present & depuis longues années, il se trouve dans ce nouveau monde ou Mexique, une presque infinie multitude de toutes les especes d'animaux necessaires au service & nourriture de l'homme, que les Espagnols y ont faict conduire des parties d'Europe, d'Asie & d'Afrique.
Il n'y a que nostre pauvre Canada qui en est tres mal pourveu. On y a seulement faict passer quelques vaches, chevres; pourceaux & & volailles communes & rien plus. Nos Religieux y ont eu faict passer un asne & une asnesse, tant pour peupler, que pour le service qu'on en pouvoit esperer en un païs où il n'y a d'animaux de charge, mais les hyvernans de Kebec, les ont tellement fatiguez qu'en fin ils y ont fait mourir l'asne, & n'y reste plus que l'asnesse, que nous laissons tout l'Esté coucher emmy les champs, & en liberté de se nourrir où elle veut, sinon pendant l'Hyver qu'elle se retire en une petite estable, que nos Religieux luy ont faict accommoder à la basse court de nostre petit Convent.
Il arriva un petit traict gentil en la descente de ces deux animaux, car comme les Sauvages furent advertis qu'il y avoit aux barques deux bestes etrangeres, tous accoururent au port pour en avoir la veuë, & se tindrent là coy tandis qu'on les debarquoit, qui ne fut pas sans peine, mais le plaisir fut à leur beau ramage, car quand ils commencèrent d'entonner leur notte, qu'ils rehaussoient à l'envie à mesure qu'ils sentoient le doux air de la terre, tous les Sauvages en prirent telle espouvante, qu'ils s'enfuyrent tous à vauderoute emmy les bois, sans qu'aucun regardat derriere-soy, pour se deffendre de ses desmons, ô que voyla de furieuses bestes, disoient ils, que les François nous ont amenez, ou pour nous devorer, ou pour nous resjouir de leur airs musicaux.
Je ne sçay si on les eut voulu vendre aux Sauvages, combien de castors ils en eussent bien offerts, pour estre les premiers qui ayent entré dans le païs, mais j'ay appris (dans l'histoire) que les premiers que les Espagnols firent passer au Peru, il s'en vendit un dans la ville de Huamanca, en l'an 1557, quatre cens huictante ducats, & trois cens septante six marauedis, à Garcillasso de la Vega, pour en faire saillir ses juments & en avoir des mulets. Il en fist depuis achepter un autre huict cens quarante ducats, & il n'eust pas valu en Espagne plus de six ducats, tant les choses rares sont estimées, comme une chevre, qui a esté vendue jusques à cent & dix ducats, mais maintenant elles y ont si bien multiplié depuis ce temps là, que si l'on en faict cas aujourd'huy, ce n'est seulement que pour en avoir la peau & si on avoit le soin de passer de mesme de toutes nos especes d'animaux dans le Canada, on en verroit avec le temps la mesme multitude, mais il y faudroit aussi des familles, pour les gouverner.
Or bien que le pais de nos Hurons soit desnué de beaucoup d'especes d'animaux que nous avons icy. Dieu le Créateur leur en a pourveu de plusieurs autres sortes, qui leur sont utiles, & desquels le païs ne manque non plus que l'air & les rivieres, d'oyseau & de poissons.
Ils ont trois diverses espece de renards tous differens en poil & en couleur, & non en finesse & cautelle, car ils ont la mesme nature des nostres de deçà, mais beaucoup plus estimez pour leurs fourures, très-excellentes & riches.
L'espece la plus rare & la plus riche des trois, sont ceux qu'ils appellent, Hahyuha, lesquels ont tous le poil noir comme gey, & pour cette cause grandement estimez, jusques à valoir plusieurs centaines d'escus la piece entre les Allemands & peuples; Septentrionnaux pour des fourures, ou bords à leurs bonnets.
La seconde espece la plus estimée, sont ceux qui'ils appellent Tsinantontonque, lesquels ont une barre ou liziere de poil noir, qui leur prend le long du dos, & passe par dessous la ventre, large de quatre doigts ou environ, le reste est aucunement roux & grisatre.
La troisiesme espece sont les communs, appellez, Andasatey, ceux cy sont presque de mesme grosseur, & du poil des nostres, sinon que la peau semble mieux fournie, & le poil un peu plus grisatre. De toutes lesquelles especes, il nous en fut donné quelque peaux par des Sauvages estrangers, nous venans visiter en nostre maison Huronne, lesquelles sont demeurées à nos François aprés nous en estre servy pendant les grands; froids.
Ils ont aussi trois sortes d'escurieux differends, & tous trois plus beaux & plus petits que ceux de nostre Europe. Les plus estimez & rares sont les escurieux volans, nommez Sahouesquanta, qui ont la couleur cendrée, la teste un peu grosse, le poil doux & court, & les yeux petits: Ils sont appellez volans, non qu'ils ayent des ailles, mais à raison qu'ils ont une certaine peau aux deux costez, prenans de la patte de derrière à celle de devant, qu'ils replient fort proprement contre leur ventre quand ils marchent puis l'estendent quand ils volent, comme ils font aysement d'arbre en arbre, & de terre jusques au dessus.
Les premiers que je vis furent trois jeunes qui nous furent apportez par l'une des filles du grand Capitaine Auiondaon, que je receus sans sçavoir que c'estoit; jusques à l'arrivée du Père Joseph à qui je les donnay à nourrir, comme il fit un assez long-temps, mais qui à la fin se laisserent mourir, ou par trop de froid, ou pour ne les sçavoir accommoder, dequoy nous eusmes quelque regret, car c'estoit un present digne d'une personne de condition, joint qu'ils sont assez rares dans le pays.
La seconde espece qu'ils appellent Ohihoin, & nous Suisses, à cause de leur bigarure sont ceux qui sont rayez & barrez universellement par tout le corps, d'une raye blanche, puis d'une rousse, grize & noiraste, qui les rendent tres-beaux & agréables, mais qui mordent comme perdus, s'ils ne sont apprivoisez, ou que l'on ne s'en donne de garde.
La troisiesme espece, sont ceux qui sont presque du poil, & de la couleur des nostres, qu'ils appellent Aroussen, & ny a presque autre différence, sinon qu'ils sont plus petits.
Au temps de la pesche que j'estois cabané dans une Isle de la mer douce, j'y vis un grand nombre de ces animaux profiter de nostre pesche, desquels j'eu plusieurs de ceux que mes Sauvages tuerent à coups de flesches, & en pris un Suisse dans le creu d'un arbre tombé.
Ils ont en plusieurs endroits des Lievres, & lapins qu'ils appellent Quentonmalisia, les sapinieres & petits bois sont les lieux de leur retraite, à la sortie desquels les Sauvages tendent des lacets, mais ils en prennent bien peu souvent, quoy qu'il y en ait en quantité sur le chemin des Quieunontateronons, car les cordelettes n'estant ny bonnes ny assez fortes, ils les couppent aysement quand ils s'y trouvent attrappez, ou bien en autre façon, les Sauvages les tuent avec leurs arcs ou matras.
Les loups cerviers nommez Toutsitsoute, de la peau desquels les grands font tant d'estat pour leurs fourures plus riches, en quelque Nation sont assez frequents. Mais les loups communs qu'ils appellent Anarisque, sont assez rares par tout, aussi en estiment ils grandement la peau, de laquelle ils font de riches robes de Capitaines, comme de celle d'une espece de leopard ou chat sauvage qu'ils appellent Tiron. Il y a un pays en cette grande estendue de terre, que nous surnommons la Nation de Chat, pour raison de ces chats, petits loups ou leoparts qui se retrouvent dans leur pays, desquels ils font leur robes qu'ils parsemenr, & embellissent de quantité de queues d'animaux cousues tout alentour des bords, & par le milieu du corps, és endroicts où elles paroissent le plus. Ces chats ne sont gueres plus grands que renards, mais ils ont le poil du tout semblable à celuy d'un loup commun, car j'y fus moy mesme trompé au choix.
Ils ont vers les Neutres une autre espece d'animaux nommez Otay, ressemblant à un escurieux grand comme un petit lapin d'un poil tres-noir, & si doux, poly & beau qu'il semble de la panne. Ils font grand cas de ces peaux desquelles ils font des robes & couvertures, où il y en entre bien une soixantaine qu'ils embellissent par tout à lentour, des testes, & des queues, de ces animaux qui leur donnent bonne grace, & rendent riches en leur estime.
Les enfant du diable que les Hurons appellent Scangaresse, & le commun des Montagnais Babougi Manitou, ou Ouinesque; est une beste fort puante de la grandeur d'un chat ou d'un jeune renard, mais elle a la teste un peu moins aiguë, & la peau couverte d'un gros poil rude & enfumé, & sa grosse queue retroussée de mesme, elle se cache en Hyver sous la neige, & ne sort point qu'au commencement de la Lune du mois de Mars laquelle les Montagnais nomment Ouinescon pismi qui signifie la Lune de la Ouimesque. Cet animal outre qu'il est de fort mauvaise odeur est tres-malicieux, & d'un laid regard, ils jettent (à ce qu'on dit) parmy leurs excremens des petits serpens, longs & déliez, lesquels ne vivent néanmoins gueres long-temps. J'en pensois apporter une peau passée, mais un François passager me l'ayant demandée je la luy donnai.
Les eslans ou orignals en Huron Sondareinta sont frequents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy des Hurons sinon à la contrée du Nort, d'autant que ces animaux se plaisent dans les pays froids & montagneux, plus qu'aux pays chauds & temperé. C'est l'animal le plus haut qui soit aprés le chameau: car il est plus haut que le cheval, il a le poil ordinairement grison, quelquefois fauve, & assez long, mais un peu rude, sa teste est fort longue & porte son bois double & branchu comme le cerf, mais large & plat en quelque façon comme celuy d'un dain, & long de trois pieds ou environ. Le pied en est fourchu comme celuy du cerf, mais beaucoup plus plantureux, la chair en est courte & fort delicate, & la langue très-excellente, il paist aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante manne des Canadiens, & Montagnais, pendant l'Hyver, comme le poisson pendant l'Esté. L'on en nourrissoit un jeune au Fort de Kebec destiné pour la France, que je fus voir, mais il ne pû estre guery de la morsure des chiens qui l'avoient arresté, & mourut quelque temps aprés. On tient que la femelle porte tousjours deux petits & tousjours malle & femelle, neantmoins la chose n'est pas tellement infaillible qu'on n'aye quelquefois veu le contraire.
Il y a en plusieurs contrées des caribous, ou asnes sauvages, que quelqu'uns appellent ausquoy à mon advis les montagnais en prennent assez souvent, desquels il nous donnerent un pied, qui estoit creux & si leger de la corne, & fait de telle sorte, qu'on peut aysement croire ce qu'on dit de cet animal qu'il marche sur les neiges sans y enfoncer, mais je n'en veux point asseurer par ce que je n'en ay point veu l'experience, & me contente de dire que je donnay ce pied à un François qui me le demanda avec importunité, autrement je l'aurois apporté icy.
Les ours nommez Agnouoin, sont plus, communs dans le Canada que les loups, & y en a de deux sortes, sçavoir, noir & blanc mais les blancs sont beaucoup plus grands & plus dangereux que les noirs, car ils combatent les hommes, & les devorent, ils habitent particulierement (à ce qu'on dit) vers l'Isle Danticosti à l'embouchure du fleuve S. Laurent, qui n'est frequenté que de bien peu de Sauvages, mais les contrées plus ordinaires où se nourissent ces animaux farouches sont les hautes montagnes, & les pays très-froids.
On tient qu'au Temple de sainct Olaus en Normandie qui despend de l'Archevesché de Trudun, & aux pieds du siege Pontifical, on y void la peau d'un ours, qui surpasse en blancheur la neige, ou le lis, elle est large de quatorze pieds. Marc Pole asseure avoir veu en Tartarie des ours blancs de vingt aulnes de longueur, ce que j'ay peine à croire, encore qu'Olaus en fasse mention, pour ce qu'il semble que le conte soit hors de raison, & dit pour faire admirer les simples. Albert le Grand, & plusieurs autres avec luy, racontent que les ours blancs nagent au profond de la mer, & qu'ils y peschent & mangent les poissons ce qui nous est facile à croire en ce que nous voyons les communs mesme, entrer librement dans les eauës, se plonger & nager comme les poissons, tesmoin celuy que je conduit au pays des Hurons, lequel vouloit se jetter dans toutes les eaux qu'il rencontroit en chemin, ou pour se sauver ou pour s'esgayer, & avois de la peine assez de l'en retirer avec la corde qui tenoit à son col, lequel pour revanche (malicieuse beste) vouloit jetter à mes jambes, mais à mesme temps je luy relevois la teste en haut, & ayant bien grondé il s'appaisoit & continuoit son chemin à costé de moy.
Les ours sont tres-bons à manger, c'est pourquoy nos Sauvages en font un grand estat, & tiennent sa chair fort chère, je ne sçay à quoy l'accomparer, car elle ne sent ny le boeuf, ny le mouton, & encore moins le cerf, mais plustost le chevreau, les vieux ont un autre goust, & sont gras comme lard. Il m'arriva de dire à Monsieur le Mareschal de Bassompiere que j'avois mangé de la chair d'ours, & l'avois trouvée bonne. Il m'asseura que au dernier voyage qu'il fit en Suisse pour le Roy il en avoit aussi mangé en un festin que luy firent les Suisses, & ne l'avoit point trouvée mauvaise. Nos Sauvages les engraissent (car la graisse est leur succre) avec une manière facile, ils font une petite tour au milieu de leurs cabanes, avec des pieux picquez en terre, & la ils enferment la beste, à laquelle ils donnent à manger par les entredeux des bois, des restes de sagamité, sans crainte des pattes & de leurs dents, & estant bien grasse, ils en font un bon festin à tout manger.
Le Pere Joseph le Caron m'a raconté dans le pays, qu'hyvernant avec les Montagnais, ils trouverent dans le creux d'un chesne, une ourse avec ses petits couchez sur quatre ou cinq petites branches de cedre, environnez de tout costez de tres-hautes neiges, sans avoir rien à manger, & sans aucune apparence qu'ils fussent sortis de là pour aller chercher de la provision depuis trois mois & plus, que la terre estoit par tout couverte de ces hautes neiges: cela m'a fait croire avec luy, ou que la provision de ces animaux estoit faillie depuis peu, ou que Dieu, qui a soin & nourrist es petits corbeaux delaissez, substante par une manière à nous incognuë, ces pauvres animaux au temps de la necessité: ils les tuerent sans difficulté, car ils n'eussent sceu s'eschapper ou se deffendre, & en firent bonne chere, avec les ceremonies accoustumées entr'eux, qui sont telles (à ce que j'ay ouy dire,) que toutes les filles nubiles, & les jeunes femmes mariées, qui n'ont point encore eu d'enfans, tant celles de la cabane où l'ours doit estre mangé, que des autres voisines, s'en vont dehors, & ne r'entrent point tant qu'il y reste aucun morceau de cet animal, dont elles ne goustent point, & ne sçay pourquoy.
Les cerfs qu'ils appellent Sconoton, sont plus communs dans le pays des Neutres, qu'en toutes les autres contrées Huronnes, mais, ils sont un peu plus petits que les nostres de deça, & tres-legers du pied, neantmoins ces Attiuoindarons avec leurs petites raquettes attachées sous leurs pieds, courent sur les neiges avec la mesme vitesse des cerfs, & en prennent en quantité, par d'autres inventions qui ne sont pas en usage en nostre Europe. Ils en font boucaner d'entiers pour leur Hyver, & n'ostenr point les fumées des entrailles qu'ils font cuire ensemble avec les intestins dans la sagamité. Cela faisoit un peu estonner nos François au commencement, mais; il falloir avoir patience & s'accoustumer à manger de tout, car il n'y avoit pas là de viande à choisir, ny de rue aux ours pour avoir du rosty.
Il y a quantité de porcs-epics, lesquels les Canadiens sçavent attraper pour leur nourriture, & des pointes pour leurs matachias, j'ay dit aillieurs comme ils leur sçavent donner couleur, & s'en servir, parquoy je ne le repeteray point icy. Ils ont aussi des martres assez belles, desquelles ils font de bonnes fourures pour se couvrir en Hyver, & après les traittent aux François.
On tient qu'il y a des dains en quelque contrées, mais pour des Buffles, le P. Joseph m'a asseuré en avoir veu des peaux entières entre les mains d'un Sauvage de pays fort esloigné, je n'en ay point veu, mais je croy ce bon Pere.
Parlons à present des chiens & de leur naturel; car entre tous les animaux qui servent à l'homme, il tient le premier rang pour la fidélité, nous en avons des exemples très remarquables, & qui nous font admirer, tesmoin celuy qui portoit à la bouche de son Maistre estendu mort sur un eschafaut, le pain que les passans luy donnoient par compassion, & qui aprés se noya voulant sauver son Maistre jetté dans le Tibre, 3 jours aprés son execution. Voicy une autre exemple presque pareille, & plus recente que nous apprend l'ordinaire arrivé de la ville de Minden en Allemagne, datté du 13 Mars 1655, un cavalier que son cheval avoit jetté dans la riviere, pendans ces grandes inondations d'eaux, estoit desja à fonds, & se noyoit, lors qu'un chien qu'il nourrissoit de longue main & luy tenoit tousjours compagnie, faisant le plongeon, le prit à belles dents par les cheveux, & luy tint la teste hors de l'eau, tant que les bateliers de là auprès le tirèrent de ce péril, & luy firent confesser qu'il devoit à son chien la vie que son cheval luy avoit ostée.
Je rapporteroy icy tour plein d'autres exemples de cette fidelité canine, n'estoit la brieveté que je me suis proposée & qui m'oblige de passer beaucoup de choses sous silence, mais encor ne veux je point obmettre de dire comme je passois un jour par une bourgade chez un Gentilhomme de nos amis; son chien s'esgayant seul dans la campagne prit un lievre à la course, lequel un certain paysan sceut si bien cajoler qu'il luy enleva sa prise & l'emporta en sa maison, dequoy le chien indigné au possible le suivit & l'ataqua diverses fois, mais n'en ayant pû tirer raison, il en fut faire ses plaintes à son Maistre, avec de souspirs & abbayemens qui tesmoignoient assez ses ressentimens, & que quelque malheur luy estoit arrivé; en fin le sieur Moriset, ainsi s'appelloit ce Gentilhomme, voulut s'esclaircir des plaintes de son chien, & pourquoy il le tiroit & monstroit de sortir à la porte, il suivit donc cette beste qui le conduit droit au logis de ce paysan, lequel se croyant descouvert s'accusa de luy mesme, disant qu'il luy alloit porter un lievre qu'il avoit osté à fon chien, peur qu'un autre le prist. Je sçavois bien, dit alors le Gentilhomme, que mon chien avoit raison de m'amener icy, une autre fois n'usez plus de pareille courtoisie.
Fidelité & recognoissance telle qu'elle fait honte à celle de l'homme, qui n'a d'amitié que pour ses interests particuliers, où le chien n'a pour tout espoir qu'un morceau de pain, souvent meslé des effects de vostre cholere, sans que les coups le fassent bouger de vos pieds, couché contre terre, les pattes eslevées comme vous demandant pardon, innocent qu'il est à vous son criminel. Que pleust à Dieu que nous fussions ainsi humble devant Dieu, au temps de sa visite, & que les miseres ausquelles l'homme est sujet fussent un affermissement de nostre fidelité envers de Dieu de qui nous dependons.
Tout ce que l'on peut trouver de blasmable au chien, & qui ternit sa fidelité, est un mauvais naturel qu'il a envers son semblable affligé, car si un chien est accablé, ou mal traité d'un autre, incontinent tous les autres chiens se jettent encor dessus, sans s'informer s'il a tort ou non, c'est assez qu'ils le voyent abayé pour l'accabler s'ils peuvent, ainsi en font les cruels politiques en ce monde envers les gens de bien ordinairement affligez. On dit du pourceau tout au contraire du chien, que si l'un d'eux crie à l'aide, tous les autres vont au secours, cela estant, le pourceau a donc le naturel meilleur que l'homme meschant, & Dieu vueille que dans des congregations bien sainctes, aussi bien que dans le monde, on en voye point ce malheureux naturel du chien, d'affliger l'affligé, & mespriser celuy qui n'est point favorisé, ce que font ordinairement les gausseurs, & ceux qui n'ont jamais sçeu que c'est d'honnesteté au monde.
Les chiens du Canada sont un peu differens des nostres, sinon au naturel, & au sentiment, qui ne leur est point mauvais. Ils hurlent plustost qu'ils n'abayent & ont tous les oreilles droites comme renards, mais au reste tout semblables aux matins de mediocre grandeur de nos villageois, arrestent l'eslan & descouvrent le giste de la beste, & sont de fort petite despence à leur maistre, mais au reste, plus propre à la cuisine qu'à tout autre service.
La chair en est assez bonne & sent aucunement le porc, peut-estre à cause des salletez des rues de quoy ils se nourrissent principalement, j'en mangeois assez peu souvent, car une telle viande est fort estimée dans le pays, c'est pourquoy je n'en avois pas si souvent que j'eusse bien desiré. Ils sont fort importuns dans les cabanes, marchent sur vous, & s'ils rencontrent le pot au descouvert ils ont incontinent leur museau aigu dans la sagamité, qui n'en est pas estimée moins nette.
Il y a une espece de grosses souris aux Hurons que je n'ay point veu ailleurs. Ils les appellent Tachro, une fois plus grosses que les communes qu'ils appellent Tsongyatan, & moins puissantes que les rats desquels je n'ay point veu aux Hurons, & ne sçay s'il y en a aucun non plus qu'au Peru avant la venue des Espagnols; où on dit qu'il y en a à present dans les villes basses, & par la campagne, de si prodigieux, qu'il n'est point de chat si hardy soit-il, qui les oze combatre, & non pas mesme les regarder, cela estant on peut croire que l'origine en est venue de ceux qui s'engendrent dans les Navires, qui pourroient avoir esté portés à terre dans les hardes des Espagnols lors qu'ils y descendirent pour la conqueste du pays, & que le climat, où toutes, autres choses viennent dans leur plus grande perfection ait fait grossir ces animaux au delà de l'ordinaire.
Mais ce qui est plus probable, je croy que ces rats sont entrez dans les Indes, & le Peru, comme ils entrent aux ports de France, ou vous voyez que peu de temps aprés que les navires ont esté deschargez, & qu'il ny a plus de quoy manger, ils sçavent trouver les cables sur lesquels ils se coulent à terre file à file, & puis se logent aux premieres hostelleries sans fouriers, s'ils ne sont empeschez par les petits garçons, qui à coups de bastons leur font furieusement la guerre, mais de jour, car la nuict ils font mieux leur debarquement.
Il est vray que si nos Hurons sont exempts de rats, ils ont des souris communes en grand nombre qui leur font un merveilleux degast de bled, & de poisson sec, quand elles y peuvent atteindre. Les Sauvages mangent le tachro sans horreur aussi faisoient mes confreres ceux que nous prenions la nuict sous des pieges, dans nostre cabane, sans que nous les peussions autrement discerner des souris communes qu'à la grosseur, & à la rareté, car nous en prenions peu souvent, & quantité des autres que l'on jettoit aux champs comme nuisibles.
S'ils ont des souris sans nombre ils ont des puces à l'infiny, qu'ils appellent Touhauc, & particulièrement pendant l'Esté, desquelles ils seroient fort tourmentez s'ils estoient chargez d'habits, mais ils sont vestus à la legère un petit brayer de cuir, & la robe quand ils veulent.
Pour les petits vermisseaux qu'ils nomment Tsiuoy, les femmes les mangent avec delectation & plaisir, & y font une chasse aussi exacte qu'on pourroit faire à un excellent gibier, mais ils en ont tres-peu en comparaison des puces. Quelqu'uns ont voulu dire que les Sauvages ne mangent ces petits vermissaaux que par vengeance, disans je morderay qui m'a mordu, mais ils se sont trompez, car il n'y a ordinairement que les femmes qui en mangent & ce par delice, & non point les hommes, du moins je ne leur en ay point veu manger, ny faire estat comme font les femmes, & les filles indifferemment.
L'invention quelles ont pour les avoir de leurs fourures est gentille, elles picquent 2 battons en terre, l'un d'un costé, & l'autre de l'autre devant le feu, puis elles y attachent la peau le poil en dehors or ces vermisseaux sentans la chaleur sortent du fond du poil, & se tiennent à l'extrémité, où ils sont pris par les Sauvagesses, & croquez entre leurs dents; une merveilleuse coustume s'observoit jadis en quelque Provinces des Indes Occidentales, où l'oisiveté n'avoit point de lieu. Les pauvres impotens qui n'avoient ny moyens pour vivre, ny santé pour en gaigner, devoient payer au Roy un nombre de cornets de ces vermisseaux qu'il leur avoit enjoint, afin de les obliger à occuper le temps, & à se tenir nettement.
Des Poissons, & bestes aquatiques.
CHAPITRE IV.
Dieu, qui a peuplé la terre de diverses especes d'animaux, tant pour le service de l'homme, que pour la decoration & embelissement de cet univers, a aussi peuplé la mer & les rivieres d'autant, ou plus, de diversité de poissons, qui tous subsistent dans leurs propres especes, & en nombre presque infiny, bien que tous les jours l'homme en tire une partie de sa nourriture, & les poissons gloutons qui font la guerre aux autres dans le profond des abysmes, en engloutissent & mangent à l'infiny: ce sont les merveilles de Dieu.
Il est vray que les poissons n'ont rien de commun avec les hommes, & qu'il y en a bien peu qui s'accoustument, & adoucissent avec eux, & entendent quand on les appelle, & prennent à manger de leur main, comme la Murène du Romain Crassus tant celebrée de tous; & toutesfois ils ont esté creez avant les autres animaux, & avant l'homme mesme, & n'ont jamais esté sujets à la malediction non plus que les eauës, qui les environnent, car Dieu maudissant Adam n'a maudit les eaux, pour ce qu'il n'a beu de l'eau contre le commandement de Dieu, mais bien mangé du fruict de la terre, qui luy estoit deffendu. On sçait par experience, que les poissons marins se delectent aux eaux douces auffi bien qu'en la mer, puis que par fois on en pesche dans nos rivieres; Mais ce qui est admirable en tout poisson, soit marin, ou d'eau douce, est; qu'ils cognoissent le temps & les lieux qui leur sont commodes & ainsi nos pescheurs de molues jugèrent à trois jours prés, le temps qu'elles devoient arriver, & ne furent point trompez, & en suitte les maquereaux qui vont en corps d'armée, serrez les uns contre les autres comme un bataillon bien rangé, le petit bout du museau à fleur d'eau, pour descouvrir les embuches, des pescheurs.
Cela est admirable, mais bien plus encore de ce qu'ils vivent & se resjouissant dans la mer salée, & neantmoins s'y nourrissent d'eau douce, qui y est entre-meslée, que, par une maniere admirable, ils sçavent discerner & succer avec la bouche parmy la salée, comme dit Albert le Grand: voire estans morts si l'on les cuit avec l'eau salée, ils demeurent neantmoins doux. Mais quand aux poissons, qui sont engendrez dans l'eau douce & qui s'en nourrissent, ils prennent facilement le goust du sel, lors qu'ils sont cuits dans l'eau salée. Ce font secrets de la nature.
Or de mesme que nos pescheurs ont la cognoissance de la nature de nos poissons, & comme ils sçavent choisir les saisons & le temps pour se porter dans les contrées qui leur sont commodes, aussi nos Sauvages aydez de la raison & de l'expérience, sçavent aussi fort bien choisir le temps de ls pesche, quel poisson vient en Automne ou en Esté, ou quel en l'une ou en l'autre saison.
Pour ce qui est des poissons qui se retrouvent dans les rivieres & lacs au païs de nos Hurons, & particulièrement à la mer douce. Les principaux sont l'assihendo, duquel nous avons parlé ailleurs, & des truites qu'ils appellent ahouyoche, lesquelles sont de desmesurée grandeur pour la pluspart, & n'y en ay veu aucune qui ne soit plus grosse que les plus grandes que nous ayons par deçà: leur chair est communement rouge sinon à quelqu'unes qu'elle se voit jaune ou orangée, mais excellemment bonne.
Les brochets, appellez soruissan, qu'ils y peschent aussi, avec les esturgeons, nommez hixrahon, estonnent les personnes, tant il s'y en voit de merveilleusement grands, & friands au delà de toutes nos especes de poissons: je le sçay par experience, car j'en ay fait les espreuves dans la necessité, qui me faisoit trouver la sauce à l'eau douce & bonne comme beurre fraiz, & puis on dira qu'on ne sçauroit manger le poisson, sans le sel, l'espice ou le vinaigre, on se trompe, car je le mangeois sortant de l'eau seule & le trouvois bon.
Quelques sepmaines après la pesche des grands poissons, ils vont à celle de l'einchataon, qui est un poisson un peu approchant aux barbeaux de par deça, long d'environ un pied & demy, ou peu moins: ce poisson leur sert pour donner goust à leur sagamité pendant l'Hyver, c'est pourquoy ils en font autant d'estat comme du grand, poisson, & afin qu'il fasse mieux sentir leur potage, ils ne l'esventrent point, & le conservent pendu par monceaux aux perches de leurs cabanes; mais je vous asseure qu'au temps de Caresme, ou quand il commence à faire chaud, qu'il put et sent si extremement mauvais, que cela nous faisoit bondir le coeur, & à eux ce leur estoit muse & civette.
En autre saison ils y peschent à la ceine une certaine espece de poisson, qui semblent estre de nos harangs, mais des plus petits, lesquels ils mangent frais & boucanez. Et comme ils sont tres-sçavants aussi bien que nos pescheurs de moluës, à cognoistre un ou deux jours prés, le temps que viennent les poissons de chacune espece, ils ne manquent point d'aller au petit poisson, qu'ils appellent auhaitsique, & en peschent une infinité avec leur ceine, & cette pesche du petit poisson se faict en commun, qu'ils partagent entr'eux par grandes escuellées, duquel nous avions nostre part comme bourgeois de leur bourgade sainct Joseph, ou Quieunonascaran.
Ils peschent aussi de plusieurs autres especes de poissons, mais comme ils nous sont incognus, & qu'il ne s'en trouve point de pareils en nos rivieres, je n'en fais point aussi de mention.
L'anguille en sa saison, est une manne qui n'a point de prix chez nos Montagnais. J'ay admiré l'extreme abondance de ce poisson en quelqu'unes des rivieres de nostre Canada où il s'en pesche tous les ans vers l'Automne une infinité de centaines & qui viennent fort à propos, car n'estoit ce secours on se trouveroit souvent bien empesché en quelques mois de l'année principalement les Sauvages & nos Religieux en usent comme viande, envoyée du Ciel, pour leur soulagement & consolation. Ils la peschent en deux façons, avec une nasse ou avec un harpon, ce qui se faict la nuict à la clarté du feu. Ils font des nasses avec assez d'industrie, longues, & grosses, capables de contenir cinq & six cens anguilles: la mer estant basse les placent sut le sable en quelque lieu propre & reculé, les asseurent en sorte que les marées ne les peuvent emporter; aux deux costez ils amassent des pierres, qu'ils étendent comme une chaisne ou petite muraille de part & d'autre, afin que ce poisson qui va tousjours au fond rencontrant cet obstacle, se glisse doucement vers l'emboucheure de la nasse où le conduisent ces pierres: la mer venant à se grossir couvre la nasse, puis se rabaissant, on la va visiter: par fois, on y trouve cent ou deux cens anguilles d'une marée, quelquefois plus, & d'autrefois point du tout, selon les vents & les temps. Quand la mer est agitée, on en prend beaucoup, quand elle est calme, peu ou point, mais alors ils ont recours à leur harpon, comme je vis faire en la mer douce, proche un village des cheveux relevez, tirant aux Hurons.
Voicy comme les Sauvages font seicherie de ces poissons. Ils les laissent un peu egouster, puis leur couppent la teste & la queuë, il les ouvrent par le dos, puis les ayans vuidés ils les tailladent, afin que la fumée entre par tout: les perches de leurs cabanes en sont toutes chargées, estans bien boucanez, ils les accouplent & en font de gros paquets environ d'une centaine à la fois. Voyla leurs vivres principaux jusques à la neige, qui leur donne de l'orignac & autres animaux.
Comme j'estois en nostre Convent de Kebec prest de partir pour les Hurons, nos freres eschaperent un loup marin s'esgayant au Soleil sur le bord de l'eauë, car leur canot n'ayant pû assez tost ranger la terre à cause de la violence du flux, il s'eschappa, autrement il estoit à eux pour quelque coups de baston, qui est la maniere de les tuer, car ne pouvans courir ils sont aysement pris s'ils sont tant soit peu esloignez de leur element naturel. Voyla comment les Montagnais en prennent souvent, & en font de bons festins, mais ils ne se prennent qu'en de certaines saisons.
Au lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de victoire, ou diverses Nations de Sauvages s'estoient assemblés; je vis, en la cabane d'un Montagnais un certain poisson, que quelqu'uns appellent Chaousarou gros comme un grand brochet, il n'estoit qu'un des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands & qui ont jusque à 8, 9, & 10 pieds à ce qu'on dit; il avoit un bec d'environ un pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon qu'il a l'extremité mousse & non pointu, gros à proportion du corps.
Il a double rang de dens fort aigues & dangereuses, d'abord ne voyans que ce long bec qui passoit au travers une fente de la cabane en dehors, je croyois que ce fust de quelque oyseau rare, ce qui me donna la curiosité de le voir de plus prés, mais je trouvay que c'estoit d'un poisson qui avoit toute la forme du corps tirant au brochet: mais armé de tres-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté, & difficile à percer.
Ce poisson a une industrie merveilleuse (à ce qu'on dit,) quand il veut prendre quelque oyseaux, il se tient dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac, & met le bec hors de l'eau sans se bouger de façon que lorsque les oyseaux viennent se reposer sur le bec, pensant que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire pat les pieds sous l'eau & les devore. Il ne fait pas seulement la guerre aux oyseaux, mais à tous les autres poissons qui ne luy peuvent resister. Les Sauvages font grand estat de la teste, & se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur, qui se passe soudainement à ce qu'ils disent.
Les castors nommez par les Montagnais Amiscou, & par nos Hurons Tfoutayé, sont la cause principale que plusieurs marchands François traversent ce grand Ocean, pour s'enrichir de leur despouilles, & se revestir de leurs superfluitez, desquels ils apportent si grande quantité toutes les années, que je ne sçay comment on n'en voit la fin.
Ces animaux à ce que l'on tient, sont fort feconds, les femelles portent jusques à cinq & six petits chaque année: mais les Sauvages trouvans une cabane tuent tout, grands & petits, & masles & femelles: il y a danger qu'en fin il n'exterminent tout à fait l'espece en ces païs, comme il en est arrivé aux Hurons.
Cest animal est à peu prés gros comme un mouton tondu ou peu moins, & qui se peut apprivoiser, car nos Religieux de Kebec en avoient un qui les suivoit comme un petit chien & moy mesme en ay veu un autre pareil qu'on nourissoit de tendrons de Vigne. Il a le poil fort doux & le duvet plus que le velour, de couleur chastaignée, & y en a peu de bien noirs. Il a les pieds fort cours & fort propres pour nager, particulièrement ceux de derriere, car ils ont une peau continue entre les ongles, à la façon des oyseaux de rivieres, ou des loups marins; sa queuë n'a point de poil, ny d'escailles qui se puissent lever, elle est toute platte & faicte presque comme une sole sinon qu'elle est plus en ovale & n'a point de bouquet au bout, elles sont de diverses longueurs & grosseurs selon l'animal, je n'en ay point manié ny mangé, qui passent un pied, mais d'un manger fort bon & plus excellent que la chair du corps, qui est tenu pour amphitie, c'est à dire qu'on en peut manger en tout temps, quoy que j'en aye veu faire quelque difficulté en quelque lieu de nostre Europe, car un gentil-homme de ma cognoissance, en ayant tué un en caresme proche de Nancy, nous n'en mangeâmes que la queue & les pattes de derriere, qu'on tenoit pour poisson & le reste viande. Quant à la teste elle est courte & presque ronde, ayant en gueule sur le devant quatre grandes dents tranchantes comme rasoirs, sçavoir deux en haut & deux en bas, desquelles un certain pensa avoir le bras coupé, en en voulant prendre un qu'il avoit blessé à mort d'un coup d'arquebuse au bord de la riviere.
De ces dents il couppe aysement des petits arbres & des perches en plusieurs pieces, dont il bastit sa maison, & mesme à succession de temps, il en couppe parfois de bien gros, quand il s'y en trouve qui l'empeschent de dresser son petit bastiment, lequel est fait de sorte (chose admirable) qu'il n'y entre nul vent, d'autant que tout est couvert & fermé avec du bois & de la terre, si bien liez & unis par ensemble qu'il n'y a mousquet qui la transperce à ce qu'on dit: il y a un trou qui conduit dessous l'eau, & par là se va pourmener le castor où il veut; puis une autre sortie par où il va à terre, & tromper le chasseur. Et en cela, comme en toute autre chose, & voit appertement reluire, la divine providence, qui donne jusqu'aux moindres, animaux de la terre, l'insctinct naturel, & le moyen de leur conservation.
Or ces animaux voulans bastir leurs petites cavernes, ils s'assemblent par troupes dans les forests sombres & espaisses s'estans assemblez ils vont coupper des rameaux d'arbres à belles dents, qui leur servent à cet effect de cognées & les traisnent jusques au lieu ou ils bastissent, & continuent de le faire jusqu'à ce qu'ils en ayent assez pour achever leur ouvrage.
Quelques uns tiennent que ces petits animaux ont une invention admirable à charier le bois, & disent qu'ils choisissent celuy de leur trouppe, qui est le plus faineant ou accablé de vieillesse, & le faisant coucher sur son dos, vous disposent fort bien des rameaux entre ses jambes, puis le traisnent comme un chariot jusqu'au lieu destiné, & continuent le mesme exercice tant qu'il y en ait à suffisance. J'ay veu plusieurs de ces cabanes sur le bord de la grand riviere au pais des Algoumequins, mais elles me sembloient admirables & telles que la main de l'homme n'y pourroit rien adjouster: le dessus sembloit un couvercle à lescive, & le dedans estoit departy en 2 ou 3 estages, l'estage d'embas est sur le bord de l'eau, celuy d'en haut est au dessus du fleuve, quand le froid a glacé les rivieres & les lacs, le castor se tient retiré en l'estage d'en haut, où il a faict sa provision de bois pour manger pendant l'Hyver, il ne laisse pas neantmoins de descendre de cest estage, en celuy d'embas, il se glisse sous les glaces, mais sa retraité plus ordinaire est en l'estage d'en haut, d'autant qu'il craint l'inondation & la pluye.
La chasse du castor se faict ordinairement en hyver, pour ce principallement qu'il se tient dans sa cabane, & que son poil tient en cette saison là & vaut fort peu en esté. Les Sauvages voulans prendre le castor, ils occupent premierement tous les passages par où il se peut eschaper, puis percent la glace du lac gelé, l'endroit de la cabane, puis l'un d'eux met le bras dans le trou attendant sa venue, tandis qu'un autre va par dessus cette glace frappant avec un baston sur icelle pour l'estonner & faire retourner à son giste; lors il faut estre habile pour le prendre au colet, car si on le happe par quelque endroit où il puisse mordre, il fera une mauvaise blessure comme j'ay dit. Ils le prennent aussi à la rets & sous la glace par cest autre invention, on fend la glace en long, proche de la cabane du castor, on met par la fente un rets & du bois qui sert d'amorce, ce pauvre animal venant chercher à manger s'enlace dans ces filets faicts de bonne & forte ficelle double, & encor ne faut il pas tarder à les tirer, car ils seroient bien-tost en pièces; estant sorty de l'eau pat l'ouverture faite en la glace, ils l'assomment avec un gros baston.
Au Printemps le castor se prend à l'attrappe amorcée du bois dont il mange, les Sauvages sont très-bien entendus en ces attrappes, & nous en monstrerent de plusieurs sortes au païs des Hurons, pour diverses sortes d'animaux, dont j'admirois les inventions que nous n'avons pas icy, de l'une desquelles le P. Joseph se servit pour attraper deux renars qui glapissoient toutes les matinées & au soir és environs de nostre cabane, d'où ils ne pouvoient avoir rien à manger. Quelquefois les chiens rencontrant la castor hors la cabane d'où il sort souvent pour paitre ou pour s'aprovisionner, le poursuivent & le prennent aisement, car il ne peut courir viste & n'a de deffence que de sa dent.
Il y en a quelqu'uns, qui disent que si l'on prend du castor trempé en eau, & qu'on le respande sur la mer, c'est un remede asseuré pour faire fuyr la troupe des baleines, & les faire enfoncer dans la mer, combien qu'elles rugissent horriblement, & que cela s'observe en Laponie & Norvegie mais comme je n'en ay point veu l'experience je ne le veux asseurer ny maintenir une chose que je tiens fort douteuse.
Ils ont aussi des rats musqués qu'ils appellent ondathra, qui ne sont de nostre Europe, ny de ceux d'Egypte, desquels on dit comme des musquez qu'ils se servent des deux pieds de devant comme de mains, & marchent debouts des deux pieds de derriere comme les singes. Le rat d'inde est aussi differant de tous ceux là, duquel je diray un petit mot.
On l'appelle rat musqué, pour ce qu'en effet une partie de son corps prise au Printemps sent le musc, en autre temps elle n'a point d'odeur. Les Sauvages en mangent la chair qu'ils font rostir dedans le feu, & conservent les peaux & roignons musquez: ils ont le poil noir, court & doux, presque comme celuy d'une taupe, & les yeux fort petits, ils mangent comme les escurieux avec leurs deux pattes de devant, ils paissent l'herbe sur terre, & le blanc des joncs au fond des lacs & rivieres Il y a plaisir à les voir manger & faire leurs petits tours pendant qu'ils sont jeunes: car quand ils sont à leur entiere & parfaicte grandeur qui approche celle d'un jeune levraut, ils ont une longue queue de guenon, qui ne les rends point aggréables. J'en avois un tres-joly, grand comme un escurieux suisse, que j'apportois de la petite Nation à Kebec, je le nourrissois du blanc des joncs, & d'une certaine herbe, ressemblant au chiendent que je cueillois sur les chemins, & faisois de ce petit animal tout ce que je voulois, sans qu'il me mordit, aussi n'y sont ils pas sujets, il estoit si mignard qu'il vouloit toutes les nuits coucher dans l'une des manches de nostre habit, & cela fut la cause de sa mort; car ayant un jour cabané dans une sapiniere, & porté la nuit loin de moy ce petit animal pour la crainte que j'avois de l'estouffer, car nous estions couchez à platte terre sur vn costeau, fort penchant, où à peine nous pouvions nous tenir couchez sans rouller, (le mauvais temps nous ayans contraints de cabaner en lieu si incommode) cette bestiole, aprés avoir mangé ce que je luy avoit donné, me vint retrouver à mon premier sommeil, & ne pouvant trouver l'ouverture de nos manches, il se mit dans le replis de nostre habit; où je le trouvay mort le lendemain matin, & servit pour le petit dejeuner de mon aigle, qui en eut bien devoré d'autres, car comme disoient mes Sauvages, il estoit un démon qui ne pouvoit estre rassasié.
En plusieurs rivieres & estangs, il y a grande quantité de tortues, qu'ils appellent Angyahouiche, ils en mangent la chair cuite dans de l'eau, ou sous les cendres chaudes, les pattes contre-mont, ce qui me faisoit horreur & reprenois mes barbares, de cette rudesse, car j'eusse mieux aymé les tuer auparavant que de les mettre sous les braziers & les voir debattre. O mon Dieu ce n'est pas vertu en moy, mais je ne peux faire de mal à une beste innocente. Elles sortent ordinairement de l'eau quand il fait Soleil, & se tiennent arrangées, sur quelque longue pièce de bois tombée, mais, à mesme temps qu'on pense s'en approcher, elles s'eslancent toutes dedans l'eau comme grenouilles, & trouvay par expérience que je n'estois pas assez habile, pour les prendre & n'en sçavoit l'invention.
Il y a dans le pais des grandes couleuvres & de diverses sortes qu'ils appellent Tioointsique, desquelles ils prennent les peaux des plus longues, & en font des fronteaux de parade, qui leur pendent par derrière une bonne aulne de longueur, & plus de chacun costé, c'estoit bien n'apprehender point la salleté de ces animaux, veneneux que de les escorcher, & s'en servir à un tel usage, mais je me suis plusieurs fois estonné de voir les petits garçons se jetter l'un l'autre en se jouant de petits serpens tout envie & n'en estre point offencé, & plus encore du deffunct sieur Hebert habitant de Kebec, lequel trouvant des couleuvres en son chemin les jettoit dans son desert pour en nettoyer les crapaux & autres venins qui grattoient ses plantes.
Outre les grenouilles que nous avons par deçà, qu'ils appellent kiotoutsiche, ils en ont encore d'une autre espece qu'ils appellent ouraon, quelqu'uns les appellent crapaux, bien qu'ils n'ayent aucun venin & soient de la couleur des grenouilles, mais je ne les tient point en cette qualité, quoy que je n'aye veu en tout les païs Hurons aucune espece de nos crapaux, ny ouy dire qu'il y en ait, sinon en Canada où j'en ay veu plusieurs avec adversion pour l'horreur naturelle que j'ay contre ces animaux, telle que quand il n'y auroit point d'autre punition du péché que d'habiter en lieux remplis de crapaux. je ne sçay comment on se pourroit jamais porter à un seul peché mortel volontairement, & cependant l'enfer est bien autre chose, car ce mal n'en est que le moindre. Je viens de dire que je n'ay point veu de ces vilaines bestes en la Province des Hurons, il ne s'ensuit pas neantmoins qu'il n'y en puisse avoir, car une personne pour exacte qu'elle soit, ne peut entièrement sçavoir ny observer tout ce qui est d'un païs, ny voir ny ouyr tout ce qui s'y passe, & c'est la raison pourquoy les historiens & voyageurs ne se trouvent pas tousjours d'accord en plusieurs choses.
Ces ouraons, ou gosses grenouilles, sont verdes, & deux ou trois fois grosses comme les communes, m'ais elles ont une voix si puissante qu'il sembleroit (à qui n'en auroit encore point veu) que ce fust d'animaux 20 fois plus gros: pour moy je confesse ingenuëment que je ne sçavois que penser au commencement, entendant de ces grosses voix le soir sur le bord des eaux à plus d'un quart de lieuë de moy, & m'imaginois que c'estoit de quelque dragon, ou bien de quelqu'autre animal gros comme un boeuf. J'ay ouy dire à nos Religieux dans le païs, qu'ils ne feroient aucune difficulté d'en manger, en guise de grenouilles mais pour moy je doute si je l'aurais voulu faire, n'estant pas encore bien asseuré de leur netteté.
L'on m'a souvent fait récit du poisson remora, à qui l'on attribue la vertu naturelle de pouvoir arrester les plus grands vaisseaux voguans en pleine mer, mais je n'en ay veu aucun en toute nostre traverse, y en la mer, ny dans les fleuves & rivieres de tout nostre Canada, qui me fait croire ou que c'est une fable faicte à plaisir ou qu'ils sont rares, & ne se retrouvent qu'en certaines mers: j'en ay veu seulement un de mort à Paris que je contemplay à loisir, admirant qu'en un si petit animal Dieu ait logé tant de vertu, car il n'est pas plus grand qu'un harang, a le corps fait comme un rouget avec de certaines petites scies ou rateliers faits de petites pointes comme aiguilles, qui leur prennent par mesure & en droicte ligne depuis la teste jusques à la queuë que ce soit en ses petites scies que gist sa force, je n'en sçay rien, car Dieu seul le cognoist, mais nous pouvons admirer le Créateur en ceste merveille & dire en nous humiliant que la foiblesse de l'homme est bien grande & qu'il ne se doit point prendre à Dieu, puis qu'un si petit animal a assez de force pour arrester un million d'hommes, & faire perir les plus grands Roys.
O pauvres petits vermisseaux que nous sommes. Je dis que vous autres les grands de la terre & qui faites trembler tout l'univers, avez un grand sujet de vous abaisser devant Dieu, car estant hommes, vous estes moins que poussiere devant luy, qui vous peut tous aneantir en un seul clein d'oeil de sa divine volonté. Ne mesprisez donc personne de peur qu'un moindre que vous ne vous surmonte: ne soyez pas comme ce grand Empereur des Turcs, lequel méprisant le petit Scauderbeque, fut surmonté par sept fois d'iceluy (juste punition de Dieu) ainsi voyons nous ce petit remora arrester le cours des plus grands Navires qui sembloient se moquer des plus grandes tourmentes de la mer, autant en dit on d'un autre petit poisson qu'on nomme achan, si bien qu'outre le remora il y a un autre poisson capable de rendre les vaisseaux immobiles.
On dit aussi du rat d'Inde qu'il fait mourir les plus grands cocodrilles, ce qui est merveilleux, car il n'est pas plus grand qu'un lapin & cependant l'emporte en dessus de ce grand furieux & tres-cruel animal. J'en ay veu un duquel un castor beaucoup plus grand n'ozoit approcher pour avoir esté une fois touché de sa dent. Il est d'un poil gris argenté fort beau, & a un museau pointu comme un renard & la queuë longue & estendue comme une guenon, mais non si difforme.
Des fruicts, plantes, arbres, & richesses du pays.
CHAPITRE V.
Il est presque impossible que ceux qui font profession de descrire les choses qui se retrouvent dans l'estendue d'un grand pays ne se trompent quelque fois comme ont fait, ceux qui ont dit que dans l'Amerique il n'y avoit anciennement aucuns cedres ny vignes, car nous en avons veu en abondance, & mesmes des Isles, qui en estoient toutes couvertes dans le pays de nos Hurons, & és contrées Algoumequines qui n'y ont jamais esté apportées d'ailleurs, bien est il vray qu'il n'y avoit avant la venuë des Espagnols, aucuns orangers, limoniers, grenadiers, figuiers, poiriers, de coings, ny oliviers, & entre les grains, il ny avoit non plus de froment, seigles, n'y de toutes les sortes de bleds, excepté de celuy que nous appelons d'Inde, ny du ris, des melons, ny beaucoup d'autres especes de fruicts, de plantes, & de racines que nous avons en nos jardins, & par la campagne, & és forests de nostre Europe, aussi en ont ils plusieurs autres sortes, & especes que nous n'avons pas icy & qui nous sont aussi rares, qu'à eux les nostres.
Parlant en general & naifvement des choses comme elles sont, il faut advouer qu'il n'y a aucun fruict en tout le pays de nos Canadiens, Montagnais, Algoumequins, & Hurons, qui merite le nom d'excellent, & desquels l'on doive faire estat, il y en a bien quelque petits, comme je diray presentement, mais c'est peu de chose en comparaison d'une bonne poire, ou d'une bonne pomme, que nostre Europe nous fournit à foison; Dieu l'a ainsi voulu, sa divine Majesté l'a ainsi ordonné, qui sçait qu'en y plantant la foy, il est nécessaire qu'on leur fasse gouster des douceurs dont jouissent en leur pays, ceux qui font profession de la mesme foy, pour leur rendre nostre joug plus aymable, & leur servitude plus tolerable. O Dieu j'ay tousjours peur que nos malices, avec nos delices y passent aussi-tost que la foy.
Au pays des Algoumequins, & dans celuy de nos Hurons, il y a en beaucoup d'endroits, contrées, Isles, le long des rivieres, & parmy les bois, si grande quantité de blüets, que les Hurons appellent ohentagué, & autres petits fruicts qu'ils appellent d'un nom general hahique, que les Sauvages en font seicheries pour leur Hyver, comme nous faisons icy des prunes seichées au Soleil pour nos malades, & cela sert de confitures, de sel, & d'espices, pour donner goust à leur sagamité, & pour mettre dans les petit pains qu'ils font cuire sous les cendres. Nous en mangeasmes en quantité sur les chemins, comme aussi des fraises qu'ils nomment tichionte, avec de certaines graines rougeastres, & gosses comme gros pois, que je trouvois tres bonnes, mais je n'en ay point veu en Canada, ny en France de pareilles, non plus que de plusieurs autres petits fruits & graines incognues par deçà, desquelles nous mangions comme mets délicieux quand nous en pouvions trouver, ce qui se faict en la saison.
Il y en a de rouges qui semblent presque du corail, & qui viennent quasi contre terre par petits bouquets, avec deux ou trois fueilles ressemblans aux lauriers qui luy donnent bonne grace, & semblent de tres beaux bouquets & serviroient pour tels s'il y en avoit icy. Il y a de ces autres grains plus gros encore une fois, comme j'ay tantost dit, de couleur noiraste, & qui viennent en des tiges, hautes d'une coudée. Il y a aussi des arbres qui semblent de l'espine blanche, qui portent de petites pommes dures, & grosses comme avelines, mais non pas gueres bonnes. Il y a aussi d'autres graines rouges, nommées Toca, ressemblans à nos cornioles; mais elles n'ont ny noyaux ny pepins, quelqu'un peut estre en pourra douter, mais il doit estre satisfait en ce que je l'asseure y avoir pris garde, & qu'il n'y en a point du tout, bien que ce fruict soit assez gros, les Hurons les mangent crues, & en mettent aussi dans leurs petits pains.
Ils ont aussi des noyers en plusieurs endroit, qui portent des noix un peu differentes aux nostres, j'en ay veu qui sont comme en triangle, & l'escorce verte exterieure sent un goust comme terebentine, & ne s'arrache que difficilement de sa coque dure, mais le mal est qu'elles ont peu de chair, & le noyau petit comme une amande faute de culture.
Ils ont aussi en quelque contrée des chatainiers, & des cerisiers, dont les cerises ne sont gueres plus grosses que grozelles de tremis, à faute d'estre antées & labourées, il y en a en beaucoup de lieux, & par les bois, & par les champs, desquelles neantmoins on fait assez peu d'estat. Pour les prunes, nommées Tonestes, qui se retrouvent au pays de nos Hurons, elles ressemblent à nos damas violets, ou rouges, sinon, qu'elles ne sont pas si bonnes de beaucoup, car la couleur trompe, & sont aspres & rudes au goust, si elles n'ont senti de la gelée: c'est pourquoy les Sauvagesses, aprés les avoir soigneusement amassées, les enfouyent en terre quelques sepmaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuyent, & les mangent. Mais je croy que si ces prunes estoient antées, qu'elles perdroient leur acrimonie & rudesse qui les rend desagreables au goust, auparavant la gelée, car elles sont tres belles, fort rondes, & d'un rouge violet comme nos plus gros damas violet.
Il se trouve des poires, ainsi appellées poires, certains petits fruicts un peu plus gros que des poix, de couleur noirastre & mol; tres-bon à manger à la cueillier comme bluës, qui viennent sur des petits arbres, qui ont des fueilles semblables aux poiriers sauvages de deça, mais leur fruict en est du tout different. Pour des framboises, & meures champestres, grozelle, & autres semblables fruicts que nous cognoissons, il s'en trouve assez en des endroits, comme semblablement des vignes & raisins, desquels on pourroit faire de fort bon vin au pays des Hurons, s'ils avoient invention de les cultiver & façonner, mais faute de plus grande science, ils se contentent d'en manger le raisin, & les fruicts sans en faire du vin.
Les racines que nous appelions Canadiennes, ou pommes de Canada, qu'eux appellent Orasqueinta, sont assez peu communes, dans le pays, ils les mangent aussi tost crues que cuites, comme semblablement d'une autre sorte de racine, ressemblant aux panays, qu'ils appellent Sondhratates, lesquelles sont à la vérité meilleures de beaucoup: mais on nous en donnoit peu souvent, & lors seulement que les Sauvages avoient receu de nous quelque present, ou que nous les visitions dans leurs cabanes.
Dans le Navire Anglois que nous prismes sur mer, il y avoit quantité de patates, fort grosses, & tres-excellentes, les unes jaunes, violettes, blanches, & d'autres de diverses couleurs, desquelles nous nous servimes tres à propos, car en toutes sauces qu'on les mettait elles estoient tres-bonnes & ravissantes. J'en cherchay aux Hurons & n'en pû trouver, ny n'en pû dire le nom aux Sauvages, ce qui me fit repentir de n'en avoir porté avec moy, car bien que cette racine ne porte point de graine, estant couppée par morceaux, & plantée en terre, elle grossit en peu de temps, & multiplie comme les pommes de Canada à ce qu'on dit.
Nos Hurons ont de petits oignons blancs nommez Anonque, qui portent seulement deux fueilles semblables à celles du muguet: ils sentent autant l'ail que l'oignon sans qu'on puisse dire proprement auquel ils ressemblent le plus quant au goust, nous nous en servions dans nostre sagamité pour luy donner quelque saveur, & d'une espece de marjoleine sauvage qu'ils appellent Ongnehon, de laquelle les Sauvages ne vouloient point manger lors qu'il y avoit de ces herbes, & encor moins sentir l'haleine, si tant soit peu nous avions mangé de ces oignons, ou ails crus, comme nous faisions aucunefois (contraincts de la necessité), avec un peu de pourpier, & de sel, sans pain, sans huyle, & sans vinaigre.
Les Sauvages en mangent neantmoins de cuits sous la cendre lors qu'ils sont en leur vraye maturité & grosseur, & non jamais dans leur menestre, non plus que d'aucune autre sorte d'herbes, desquelles ils font très-peu d'estat, bien que le pourpier, ou pourceleine leur soit commun, & que naturellement il vienne dans leurs champs labourez, parmy le bled & les citrouilles.
Dans les forest, il se voit quantité de cedres, nommez Asquara, l'odeur duquel est contraire aux serpens, c'est pourquoy les Sauvages se servent souvent de leurs rameaux allans en voyages pour se coucher dessus, il y a aussi de tres-beaux chesnes gros à merveilles, des fouteaux, herables, & merisiers ou guyniers, & un grand nombre d'autres bois de mesme espece des nostres, & d'autres qui nous sont incognus: entre lesquels ils ont un certain arbre nommé atti, duquel ils reçoivent des commoditez nompareilles.
Premièrement ils en tirent de grandes lanières d'escorces, qu'ils appellent Ouhara: lesquelles ils font bouillir, & les rendent en fin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes, & leurs sacs, & sans estre bouillie ny accommodée, elle leur sert encore à coudre leur robes, plats & escuelles d'escorce de bouleau & toute autre chose lors que les nerfs d'eslan leur manquent. Ils en lient aussi les bois & & perches de leurs cabanes, & en envelopent leurs playes & blessures, & cette ligature est tellement bonne & forte qu'on n'en sçauroit desirer une meilleure & de moindre coust.
Le muguet qu'ils ont en leur pays, a bien la fueille du tout semblable au nostre, mais la fleur en est du tout differente, car outre qu'elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faite en façon d'estoile, grande & large, comme petit Narcis: mais la plus belle plante que j'aye veue aux Hurons, est (à mon advis) celle qu'ils appellent Angyahouiche Orichya, c'est à dire, chausse de tortue: car sa fueille ressemble en tout, (excepté à la couleur) au gros de la cuisse d'un houmard, ou escrevice de mer, & est ferme & creuse au dedans comme un gobelet, duquel on se pourroit servir à un besoin pour boire la rosée qu'on y trouve tous les matins en Esté.
J'ay veu en quelque endroit sur le chemin des Hurons, de beaux lys incarnats, qui ne portent sur leur tyge qu'une ou deux fleurs, & comme je n'ay point veu en tout le pays Huron aucuns martagons, ou lys orangez, comme ceux de Canada, ny de cardinales, aussi n'ay je point veu en tout le Canada aucuns lys incarnats, ny chauffes de tortues, ny plusieurs autres especes de plantes que j'ay veues aux Hurons, ou s'il y en a, je ne l'ay point sceu.
Pour les roses, qu'ils appellent Eindauhatayon: nos hurons en ont de simples, mais ils n'en font aucun estat, non plus que d'aucunes autres fleurs qu'ils ayent dans le pays: car tout leur deduit est d'avoir des parures & affiquets qui soient de durée, & non des chappeaux, & bouquets de fleurs, qui fletrissent sitost qu'elles ont paru belles, ainsi est-il de toutes les beautez de ce siecle, qui ne doivent ravir nos yeux, & nostre entendement, que pour y contempler la beauté d'un Dieu, & les richesses de sa gloire.
Ils font estat du tourne-sol, qu'ils sement en quantité en plusieurs endroits, à cause de l'huyle qu'ils tirent de sa graine, laquelle leur sert non seulement à gresser leur cheveux, mais aussi à manger, & en plusieurs autres usages, & voicy l'invention comme ils la tirent. La graine estant bien meure, & arrachée nettement de sa tige, les filles la reduisent en farine dans le grand mortier, puis la font bouillir avec de l'eau dans une grande chaudière, & à succession de temps elle rend son huile qui nage par dessus le bouillon, que les Sauvages amassent avec des cueillieres propres & serrent dans leurs calbasses, & non seulement cette huyle est bonne à manger comme j'ay dit, mais aussi la graine pillée, que les Sauvages mangent comme chose qu'ils estiment excellente, & que j'ay gousté avec admiration. Mais comment est-ce que ce peuple Sauvage a pû trouver l'invention de tirer d'une huyle que nous ignorons, sinon à l'ayde de la divine providence, qui donne à un chacun le moyen de sa conservation, ce qu'autrement n'estant point policé ny instruit ce peuple resteroit miserable, où les brutes mesmes trouvent leur consolation & entretien.
Il y a tout plein d'autres petites fleurettes, plantes, arbres & racines mais comme la chose en est de si petite importance qu'elle ne merite pas l'escriture, nous n'en faisons point icy de mention, pour donner lieu au traité des autres richesses qui se retrouvent en cette grande estendue de pays, non encores entierement cognus, car la misere de l'homme est telle, & particulierement de ceux qui n'ont la gloire de Dieu, & le salut du prochain pour but & reigle de leurs actions, que s'il n'y a dans un pays quelque chose de valeur qui les y amorce, ils n'en font jamais d'estat y eut il à gaigner le Ciel, & un monde d'ames pour le Paradis, comme l'experience nous l'a souvent fait voir, & experimenter à nostre regret.
Au retour de mon voyage, lors que je m'efforçois de faire entendre aux courtisans la necessité que nos pauvres Sauvages avoient d'un secours puissant, qui favorisast leur conversion, & qu'il y avoit cent mille ames à gaigner à Jesus Christ, plusieurs mal devots me demandoient s'il y avoit cent mille escus à gaigner auprés, & que le reste leur estoit de peu de consideration. O coeurs de bronze vous n'estes point, du party de Dieu, non plus que plusieurs autres de vostre condition, qui vivent dans des maximes bien contraires à celles de Dieu & pour dire vray il y a bien peu de salut dans la Cour, où par flaterie, on y fait des Saints qui auront l'Enfer pour leur gloire.
Helas si le bon S. Denys, & les autres Ss. Martyrs, qui nous ont les premiers apporté la parole de Dieu, eussent eu ces basses pensées de la terre, nous serions encores, à estre Chrestiens, ils avoient la charité & nous n'en avons point, ils sont morts en procurant nostre salut, & nous ne voulons rien contribuer en procurant celuy des Sauvages desquels on fait estat comme de bestes brutes, à la condamnation de si mauvais Juges.
Voicy ô mal devots bien des richesses que je vay vous mettre devant les yeux, ausquelles vous aspirez, souspirez, & aspirez continuellement avec tant d'inquietudes, mais elles ne sont point pour vous, ny pour tous ceux qui comme vous n'ont autre pensée que le luxe, & la vanité de gens douillets qui n'ont point de courage.
Le Peru est la plus fameuse partie de toutes les Provinces du Nouveau Monde, d'un air temperé, & bien peuplé, voire le plus riche en or & argent qui soit peut-estre au monde. Lors que les Espagnols prindrent possession de ce pays, & tindrent le Roy Atabaliba prisonnier, ce Prince offrit pour sa rançon, de remplir tout d'or le lieu auquel il estoit detenu prisonnier, qui estoit long de 22 pieds, & large de 17, & de telle hauteur que luy mesme pourroit atteindre du bout de ses doigts, se tenant sur le bout de ses orteils, ou s'ils aymoient mieux de l'argent il en donneroit deux foix cette place pleine jusque au plancher.
Et bien messieurs vous voudriez bien que le Canada fut en mesme paralelle, vous donneriez volontiers cinq sols pour avoir une chartée d'escus, ouy mais cela ne se peut faire car les richesses de la nouvelle France, ne montent pas à si haut pris, neantmoins encores ne doivent elles pas estre mesprisées pour si peu qu'il y en aye.
Premierement il y a quantité de pelleteries, de diverses especes d'animaux, terrestres & amphibies, comme vous avez pu remarquer dans le Chapitre qui traicte des animaux terrestres & aquatiques. Il y a des mines de cuivre desquelles on pourroit tirer du profit, s'il y avoit du monde, & des ouvriers qui y voulussent travailler fidellement, ce qui se pourroit faire, si on y avoit estably des Colonies, car environ 80 ou 10 lieuës des Hurons, il à une mine de cuivre rouge, de laquelle le Truchement Bruslé me monstra un lingot au retour d'un voyage qu'il fit à la Nation voisine, avec un nommé Grenolle.
On tient qu'il y a encore vers le Saguenay, & mesme qu'on y trouve de l'or, des rubis & autres pierreries. De plus quelqu'uns asseurent qu'au pays des Souriquois, il y a non seulement des mines de cuivre, mais aussi de l'acier, parmy les rochers, lequel estans fondu, on en pourroit faire de tres-bons trenchans; puis de certaines pierres bleuës transparentes, lesquelles ne vallent moins que les turquoises, & c'est ce qui nous a donné le plaisir de voir quelquefois des nouveaux venus, aussi simples que neufs, avoir tousjours les yeux attachez sur le galay, & par tout les chemins où ils passoient pour voir s'ils pourroient rencontrer parmy les pierres, & les les cailloux, quelque pierrerie rare & de prix.
Aux rochers de cuyvre, & en quelque autres se trouvent aussi aucunefois des petits rochers couverts de diamants y attachez, & peux dire en avoir amassé & recueilly moy mesme vers nostre Convent de nostre Dame des Anges dont quelqu'uns sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estoient beaux, luisans & bien baillez, mais entre tous ceux que j'ay jamais veu de ces pays là, je croy que celluy que Monsieur le Prince de Portugal m'a fait voir est le plus beau, le plus net, le plus grand, & le mieux taillé de tous. Je ne veux neantmoins asseurer qu'ils soient fins, mais seulement qu'ils sont tres-beaux, & escrivent sur le verre.
Il me semble qu'on pourroit encor trouver des mines de fer en quelque endroit, & plusieurs autres mineraux, si on y vouloit chercher & faire la despence necessaire. Pour du bois il y en a abondance, & des forests de tres-grandes estendues, des pierres, de la chaux, & de toutes autres sortes de materiaux propres à construire des maisons, edifices. Je pourrois aussi faire mention de beaucoup d'autres petites commoditez qui se retrouvent dans le pays mais la chose ne le merite pas, non plus que de parler du profit qui provenoit des cendres qui se transportoient en France, puis qu'elles ont esté delaissées comme de peu de rapport en comparaison des fraiz qu'il y convenoit faire, bien qu'elles fussent meilleures, & plus fortes de beaucoup que celles qui se font en nos foyers, dont on a veu l'experience une infinité de fois.
De nostre partement du pays des Hurons pour le Canada, & de ce qui nous arriva en chemin jusques au lac des Bisseriniens.
CHAPITRE VI.
UN an entier s'estant escoulé, le pain à chanter, & beaucoup d'autres petites choses nous manquans il fut question d'aviser pour en r'avoir d'autres. Or en ce temps là les Hurons se disposoient pour descendre à la traite qui nous eut esté une commodité propre, s'ils eussent esté capables de cette commission, mais comme ils sont par trop curieux de voir les petits emmeublemens & autres commoditez qui nous viennent de France, nous apprehendames qu'en fouillans nos pacquets pour voir ce que nos freres de Kebec nous envoyeroient, ils ne consommassent nostre pain à chanter, & se servissent du linge de l'Autel.
Je me resolu donc à cette commission, bien que tres-penible pour estre un voyage de six cens, lieuës de chemin, & traitay avec un Capitaine de guerre, nommé Angoiraste, & deux autres Sauvages de sa bande, l'un nommé Andatayon, & l'autre Gonchionet, qui me promirent place dans leur canot. Or comme leur ordre porte de n'entreprendre jamais aucun voyage de long cours, sans en avoir premierement donné advis au Conseil, & sceu leur volonté, je fus appellé à cette celebre assemblée, deux jours avant que je deu partir, non dans une cabane, ou maison bien ornée, ains sur l'herbe verte en dehors du village.
Les harangues faites, & toutes choses conclues au contentement d'un chacun, je fus supplié par ces Messieurs de leur estre favorable envers les Capitaines de la traite, & de faire en sorte qu'ils pussent avoir d'eux, les marchandises necessaires à prix raisonnables & que de leur costé ils leur rendraient de très bonnes pelleteries en eschange. Ils me dirent aussi qu'ils desiroient fort le conserver l'amitié dés François, par mon moyen, ce qu'ils esperoient d'autant plus facilement qu'ils me croyoient de consideration entr'eux, & puis l'honneste accueil & bon traitement qu'ils m'avoient tousjours faict, meritoit bien cette recognoissance, & ce service de moi pour leur nation.
Je leur promis là dessus tout ce que je devois & pouvois, & ne manquay point de leur satisfaire, & assister en tout ce que je pû, & le devois ainsi, car de vray nous avions trouvé en eux, la mesme courtoise & humanité, que nous eussions pû esperer des meilleurs Chrestiens, & peut-estre le faisoient ils neantmoins sous esperance de quelque petit present, ou pour nous obliger de ne point les abandonner, ce qui estoit plus probable, car la bonne opinion qu'ils l'avoient conceue de nous, leur faisoit croire, que nostre presence, nos prieres, & nos conseils, leurs estoient utils & necessaires en toutes choses.
Faisans mes adieux par le bourg plusieurs apprehendans que je les delaissasses pour tousjours, taschoient de me dissuader de mon voyage, mais voyant ma resolution & la necessité qui m'en pessoit, me prioient au moins de revenir bientost, & ne les abandonner point, & aucuns me monstrans de leurs enfans malades me disoient d'une voix assez triste, & piteuse, Gabriel, serons nous encore en vie, & ces petits enfans quand tu reviendras icy, tu sçay comme nous t'avons tousjours aymé & chery, & nous es précieux au delà de toutes les choses du monde, ne nous abandonne donc point, & prend courage en nous instruisant, & enseignant le chemin du Ciel; à ce que nous y puissions aller avec toy, & que le diable qui est meschant ne nous entraine après la mort dans sa maison de feu, & je les consolois au mieux que je pouvois dans la croyance d'un bref retour, &, que Dieu auroit en fin pitié d'eux.
Comme les sentimens sont divers, ils produisent divers, effects parmy un si grand nombre de Sauvages qui s'affligeoient de mon depart, plusieurs entremeslans des demandes parmy leurs pleurs, me disoient Gabriel, si en fin tu es resolu de partir pour Kebec, & que l'on deffendoit de revenir (comme nous t'en supplions) rapporte nous quelque chose de ton païs, des rassades, des prunes, des aleines, des cousteaux, ou ce que tu voudras, car comme tu sçais, nous sommes fort pauvres en meubles & autres choses que vous avez en abondance, & si de plus tu pouvois, disoient quelqu'uns, nous faire present de tes sendales de bois, nous t'en aurions de l'obligation & te donnerions quelque chose en eschange, car elles nous semblent fort commodes & puis nos Moyenti tascheroient d'en faire de mesme pour nous exempter de l'incommodité du pied nud & des espines qui nous blessent en marchans, & je taschois de les contenter tous, de parolle ou autrement, & les laisser avec cette esperance que je les reverrois en bref, & leur rapporterois quelque chose, comme en effect c'estoit bien mon dessein, si Dieu n'en eut autrement disposé.
Ayant pris congé du bon Pere Nicolas avec promesse de le revoir au plustost, (si Dieu & l'obeissance me le permettoient) je partis, de nostre cabane un soir, assez tard avec mes Sauvages & allames coucher sur le bord du lac, d'où nous partîmes le lendemain matin moy sixiesme, dans un canot tellement vieil & rompu, qu'à peine eusmes nous advancé deux ou trois heures de chemin, qu'il fist eau par tout, nous contraignit de prendre terre & nous cabaner en un cul de sac (avec d'autres Sauvages qui allaient au Saguenay) d'où nous renvoyames querir un canot en nostre bourgade de S. Joseph, par deux de nos hommes ausquels je donnay un petit mot de lettre pour le P. Nicolas que je leur expliquay, & en attendant leur retour, (aprés avoir servy Dieu) j'emploiay le reste du temps à visiter tous ces pauvres voyageurs, desquels j'appris la paix, la patience & la sobrieté qu'il faut avoir en voyageant, lesquels ils pratiquoient merveilleusement bien.
Leurs canots estoient petits & aysez à tourner, aux plus grands il y pouvoit trois hommes & aux plus petits deux avec leurs vivres & marchandises. Je leur demanday la raison pourquoy ils se servoient de si petits canots; mais ils me firent entendre qu'ils avoient tant de fascheux chemins à faire, & des destroicts parmy les rochers si difficiles à passer, avec des sauts de sept & huict lieuës où il falloit tout porter, qu'avec de plus grand canots ils ne pourraient passer. Je loue Dieu en toutes choses, & admire sa divine providence que si bien il nous donne les choses necessaires à la vie du corps, plus abondamment qu'aux Sauvages, il doue aussi ces pauvres gens d'une patience au dessus de nous, qui supplée au deffaut des petites commoditez qui leur manquent plus qu'à nous.
Nostre canot estant arrivé, je ne vous sçaurois expliquer l'admiration que nos Sauvages firent du petit mot de lettre, que j'avois envoyé au P. Nicolas, disant que ce petit papier avoit parlé à mon frere, & luy avoit dit tout le discours que je leur avois tenu par deça, & que nous estions plus que tous les hommes du monde, & en contoient l'histoire à tous, qui pleins d'estonnement admiroient ce secret, qui en effet est admirable. Cela me servit bien à Kebec lors que je leur mis en main les petites necessitez que j'envoiay audit Pere avec un mot de lettre, car leur ayant dit que s'ils y faisoient faute ce petit papier les accuseroit, ils le creurent tellement que sans regarder au pacquet, ils le rendirent fidellement au Pere.
Nous lisons presque une semblable histoire, au Sommaire des choses des Indes de Pierre Martyr, & d'autres en plusieurs endroits és histoires de ceux qui ont voyagé & conversé parmy les peuples Sauvages mais comme la chose est de soy assez commune & triviale, je me deporte d'en dire davantage pour ce coup.
Toutes nos petites affaires estant faictes & disposées pour partir, nous fismes voile avec telle diligence; qu'environ le midy nous rataignimes le Truchement Bruslé, accompagné de cinq ou 6 canots du village de Toenchain, qui vogoient pour Kebec, avec lesquels nous fumes loger au plus prochain village des Algoumequins, où des que nous fumes cabanez, je fus par tout visiter ces bonnes gens qui estoient assez bien approvisionnez de poisson, particulierement de grands esturgeons gros comme de petits enfans dequoy je demeuray estonné.
Entrans dans le village je trouvay presque par tout devant les cabanes, une quantité de sang de plusieurs grands esturgeons qui y avoit esté esventrez, j'eusse bien desiré en traicter quelque morceau, mais je n'avois pas dequoy, à la fin la fortune m'en voulut & trouvay un bon homme chantant auprès d'un grand feu où cuisoit un esturgeon decouppé par morceaux dans la chaudière qui estoit sur le feu, m'approchant de luy il interrompit sa chanson, s'informa qui j'estois & qui m'avoit là conduit, aprés luy avoir rendu responce & satisfait à sa demande, (car il parloit Huron) il me pria du festin dequoy je fus fort ayse & luy promis de m'y trouver plus pour avoir sujet de leur parler de Dieu & apprendre quelque chose de leurs ceremonies, que pour le desir de la bonne chere, quoy qu'elle me vint bien à propos pour les grands jeusnes que la necessité m'avoit enjoints depuis longtemps d'un tel rencontre.
A peine fus je de retour dans nostre cabane, que le semoneur du festin s'y trouva, lequel donna à chacun de ceux qu'il invitoit une petite buchette, de la longueur & grosseur du petit doigt, pour marque qu'ils estoient du nombre des invités, & non les autres qui n'en pouvoient monstrer autant, qui est un ordre qui ne se pratique point entre les autres Nations, non plus que de porter par les invitez des farines au festin, comme firent nos Hurons pour le bouillon.
Il se trouva prés de 50 hommes à ce festin, lesquels furent tous rassasiez plus que suffisamment de ce grand poisson, duquel chacun eut un bon morceau & une escuelle de la sagamité huylée. Pendant qu'on vuidoit la chaudiere, les Algoumequins les uns aprés les autres firent l'exercice des armes, pour faire voir à nos Hurons leur addresse, & vaillantise, aussi bien aux armes qu'au plat, & que s'ils avoient des ennemis ils avoient aussi de la force & du courage pour les surmonter. A la fin je leur parlay un peu de Dieu & de leur salut, à quoy ils sembloient prendre un singulier plaisir, & puis nous nous retirames tous chacun à son quartier & pensames de nostre voyage.
Le lendemain matin, aprés avoir prié & desjeuné, nous nous embarquames, & fumes loger sur un grand rocher joignant la riviere, où je m'accommoday dans un lieu cave dans le roc, qui estoit là en forme de cercueil, le lict & chevet en estoient bien durs à la verité, mais ô mon Dieu, vostre sacré corps, & vostre chef couronné d'espines, estoient encores bien plus durement accommodés sur l'arbre de la sainte Croix, où mes pechez vous avoient attachez, pour l'amour de vous Monseigneur, je me souciois assez peu de ma peine & m'y accoustumois, il n'y avoit, que les piqueures des mousquites & moucherons en nombre presque infiny dans ces deserts qui me faisoient souvent crier à vous, & vous demander patience & delivrance de ces importuns animaux, qui ne me donnoient aucun relasche ny le jour ny la nuict.
Environ l'heure du midy apparut l'arc en Ciel à l'entour du Soleil, avec de si vives & diverses couleurs, qu'elles attirerent long-temps mes yeux en admiration, puis un de nos Sauvages nommé Andatayon, passant prés d'un petit islet, tua d'un coup de fleche un animal ressemblant à une fouyne ou martre, elle avoit ses petites mammelles pleines de lait, qui me fait croire que ses petits n'estoient pas loin de là: & cet amour que la nature luy avoit donnée pour sa vie & pour ses petits, luy donna aussi le courage de traverser les eauës, & d'emporter la fléche qu'elle avoit au travers du corps, qui luy sortoit également des deux costés, de sorte que sans la diligence de nos Sauvages qui luy couperent chemin, elle estoit perdue pour nous, ils l'escorcherent, en jetterent la chair, qu'ils n'estimoient pas bonne, & se contenterent de la fourrure, de laquelle ils firent un petit sac à petun, & de là continuant nostre chemin, nous allasmes à l'entrée de la riviere qui vient du lac des Ebicerinys se descharger dans la mer douce.
Le jour ensuivant aprés avoir passé un petit saut, nous trouvasmes deux cabanes d'Algoumequins dressées sur le bord de la riviere, desquels nous traitames une grande escorce à cabaner & un morceau de poisson frais pour du bled d'Inde, duquel nous avions assez & trop peu de l'autre. De là nous nous egarames aussi bien que le jour precedent, par des sentiers destournez & dans des païs fort aspres, & montagneux couverts de bois, desquels nous eumes bien de la peine nous retirer & remettre dans le droit chemin.
Nous portames aprés à six sauts assez proche les uns des autres, puis à un septiesme assez grand, au bout duquel, nous trouvames quatre cabanes d'Algoumequins desquelles nous primes langue, & sçeumes après nous estre un peu rafraischis avec eux, qu'ils estoient partis pour un voyage de long cours, & neantmoins ils n'avoient aucune provision de vivres, que ce qu'ils pouvaient chasser & pescher chemin faisant, qu'estoit proprement marcher à l'Apostolique s'ils eussent esté Chrestiens.
Nous partimes de là sur le soir & allames cabaner sur une montagne proche le lac des sorciers, où nous fumes visitez de plusieurs Sauvages passans, car ils ont partout ceste coustume de visiter les cabanes qu'ils rencontrent & les autres de les recevoir courtoisement & amiablement du moins de visage s'ils ne peuvent davantage, car pour le vivre ils n'en ont jamais gueres trop.
Dés le lendemain matin que nous eûmes fait chaudiere, nous nous embarquames dans nostre Navire d'escorce, guère plus asseuré que la gondole de jonc du petit Moyse, & traversames assez favorablement le lac Epicerinien de 10 ou 12 lieuës de traict, lequel pour sa beauté & bonté mérite bien que je vous en fasse une description particulière, aprés que nous nous serons cabanez sur la rive du canal de nostre lac Epicerinien assez proche de leur village, & de plusieurs cabanes de passagers.
Du lac & pays des Bisseriniens. Des armoiries des Sauvages. Du P. Nicolas submergé, & de la Nation de l'Isle.
CHAPITRE VII.
LE lac des Skecaneronons, est un lac beau à merveille, profond & fort poissonneux duquel les Sauvages qui habitent ses rives, tirent une bonne partie de l'année leur principale nourriture & aliment, car les esturgeons, Brochets, & autres diverses especes de poissons qu'il y a en grand nombre sont tres-excellent & delicats au possible pour estre l'eau fort claire & nette. Il est de forme sur-ovale c'est à dire un peu plus long que large, ayant de circuit plus de 25 lieuës selon que je pu juger à la traverse. Le petites Isles qu'il enceint, servent fort à propos de retraicte aux Sauvages du pays, pour le temps de la pesche, ou ils ont la commodité du bois pour faire chaudiere & de la prairie pour faire seicherie.
Quand il fait tant soit peu de vent, les Sauvages les traversent avec grandes apprehensions, pour ce qu'il s'enfle alors comme une petite mer, mais ce qui est le plus admirable & dequoy je m'estonnois le plus en ce lac, est (si je ne me trompe) qu'il se descharge par les deux extremités opposites: car du costé des Hurons il desgorge cette grande riviere qui se va rendre dans la mer douce, & du costé de Kebec, il se descharge par un canal de sept ou huict toises de large, mais tellement embarrassé du bois que les vents y ont fait tomber à succession de temps, qu'on n'y peut passer qu'avec peine & en destournant continuellement les bois de la main, ou des avirons.
On dit que la chasse est abondante dans le païs, mais il me semble que sans ce lac, les Sauvages Ebiceriniens auroient de la peine à vivre, car le poil & la plume ne se prennent pas aysement, si les neiges ne sont hautes, pour le poil, & la saison propre pour la plume.
Le païs n'est pas beaucoup aggreable à cause des rochers & terres sablonneuses qui se voyent en beaucoup d'endroits, & neantmoins les habitans en font estat comme de l'Arabe heureuse, & pour ce disoient de fort bonne grace à Jean Richer leur truchement, que c'estoit la seule beauté de leur païs qui l'avoit attiré, dont ils inferoient de là, que la France estoit peu de chose en comparaison, puis qu'il l'avoit quittée & vouloit vivre avec eux.
Tout nostre petit fait estant dressé, je fus visiter le village des Sorciers à la portée du pistolet, desquels je traictay un morceau d'esturgeon pour un petit cousteau fermant, car ils ne firent point estat de rassade rouge, qui est celle que toutes les autres Nations estimoient principalement.
Le matin venu nous nageames par le canal environ un petit quart de lieuë, puis nous primes terre, & marchames par des chemins tres-fascheux & difficiles plus de quatre bonnes lieuës, excepté deux de nos hommes qui pour se soulager d'une partie du chemin conduirent leur canot par un ruisseau auquel neantmoins ils se trouverent souvent embarassés & fort en peine, tant pour son peu d'eau, que pour le bois tombé dedans qui les empeschoit de passer, ce qui les contraignit à la fin, de quitter ce ruisseau, prendre le canot, & les marchandises sur leurs espaules, & d'aller par les terres comme nous.
Je portois les avirons du canot pour ma part du bagage, avec quelqu'autre petit pacquet, avec quoy je pensay tomber dans un profond canal, marchant sur des boises mal asseurées: mais nostre Seigneur qui me voyoit des-ja assez en peine m'en garentir & tombay favorablement sur le sable sans me blesser; & puis me relevay un peu mouillé & en peine qu'estoient devenus mes gens, car ils estoient si legers du pied que je les perdois de veuë à tout moment à cause des bois, vallées & montagnes & qu'il n'y avoit point de sentiers battus, mais à leur appel je me remettois, & allois à eux, lesquels au lieu de me crier m'encourageoient & excusoient ma lassitude qu'ils eussent bien desiré soulager, & ne me contraignoient en rien; d'une chose estois je bien asseuré qu'ils ne m'abandonneroient pas & me laisseroient à la mercy des ours, plustost ils m'eussent porté sur leurs espaules que de me laisser malade, ou miserablement mourir sur les champs, comme font les Sauvages errants leurs parens, malades, trop vieux, ou du tout impotans.
Ce long & penible chemin fait, nous trouvames un lac, long d'une lieuë ou environ, au bout duquel ayant porté à un petit saut, nous rencontrames la grand riviere des Algoumequins qui descend à Kebec, sur laquelle nous nous embarquâmes.
Depuis le païs des Hurons sortans de la mer douce jusques à l'entrée du lac des Ebicerinys, nous avions toujours eu le courant de l'eau contraire, mais depuis le canal du mesme lac qui se descharge par deçà, jusques à Kebec, nous l'eumes tousjours & les ruisseaux & rivieres favorables, tellement qu'on peut inferer de là, que la terre des Ebicerinys est plus haute que celle des Hurons & de Kebec.
Nous ne suivimes pas tousjours en descendant, le mesme chemin que nous prismes en montant, comme je remarquay très bien en ce que nous fusmes un long-temps destournez par les terres & les lacs, sans tenir de rivieres, ne sçay par qu'elle consideration, car le chemin en estoit plus long & penible, sinon que nous evitames le saut des cousteaux que les Sauvages nomment ainsi, à cause que les pierres dures y coupent les pieds nuds comme cousteaux, ny par beaucoup d'autres endrois que nous avions passé en montant.
En fin aprés avoir bien trainé, heurté & porté nostre pauvre canot, il fallut luy donner congé car il n'en pouvoit plus, faisoit force eau, & nous menaçoit de couler à fond si on ny remedioit promptement. Il fut donc question d'en faire un autre pour le reste du voyage, car de demeurer en chemin il n'y avoit point d'apparence, & d'avancer il n'y avoit plus moyen, mes Sauvages furent donc chercher des escorces de bouleaux dans les plus prochaines forests pour y travailler en toute diligence, pendant que je restay seul en nostre cabane joignant deux autres d'Algoumequins avec lesquels je m'entretins.
Ces Algoumequins avoient deux jeunes ours privez, gros comme moutons, qui continuellement luttoient, couroient & se jouoient par ensemble, puis c'estoit à qui auroit plustost monté un arbre qu'ils embrassoient comme un homme & descendoient, de mesme: mais l'heure du repas venue, ces meschans animaux ne nous donnerent aucun repos, car de leur dents & de leurs pattes, ils nous vouloient arracher nos escuelles pour en manger la sagamité.
Mes Sauvages rapporterent avec leurs escorces, une tortue pleine d'oeufs, qu'ils firent cuire vive les pattes contre-mont sous les cendres chaudes, et m'en firent manger les oeufs gros & jaunes corne le moyeu d'un oeuf de poule, sa chair sembloit veau, mais j'eusse est fort ayse de m'en priver, plustost que de voir ensevelir dans les brasiers ardans cette pauvre beste en vie, qu'ils accommoderent de la sorte, peut estre, en sacrifice, car comme j'ay dit ailleurs ils en ont quelque espece.
Ce lieu estoit fort plaisant & aggreable, accommodé d'un tres-beau bois de gros pins fort hauts, droits & presque d'une egale grosseur & hauteur, sans meslange d'aucun autre bois que de pins, net & vuide de broussailles, & halliers, de sorte qu'il sembloit estre l'oeuvre & le travail d'un excellent jardinier.
Avant partir de là, mes Sauvages y afficherent les armoiries du bourg de S. Joseph, autrement Quieunonascaran; car chacun bourg ou village des Hurons a ses armoiries particulieres, qu'ils affichent sur les chemins faisans voyages, lorsqu'ils veulent qu'on sache qu'ils ont passé celle part, ou pour autre raison qu'ils ne m'ont point fait sçavoir.
Les armoiries de S. Joseph, furent depeintes sur un morceau d'escorce de bouleau, de le grandeur d'une fueille de papier, où il y avoit un canot grossièrement crayonné avec autant de traicts noirs tirez dedans; comme ils estoient d'hommes, & pour marqué que j'estois en leur compagnie, ils avoient grossierement dépeint un homme au dessus des traictes du milieu, & me dirent qu'ils faisoient ce personnage ainsi haut eslevé par dessus les autres, pour donner à entendre aux passans, qu'ils avoient un Capitaine François avec eux (car ainsi m'appelloient ils) & au bas de l'escorce pendoit un morceau de bois sec, d'environ demy pied de longueur, & gros comme trois doigts, attaché d'un brin d'escorce, puis ils pendirent cette armoirie au bout d'une perche fichée en terre, en peu penchante sur le chemin.
Toute cette ceremonie estant achevée, nous partimes avec nostre nouveau canot, & portames encore ce jour là mesme tout nostre équipage à 6 ou 7 sauts, mais comme nous pensasmes après descendre un courant d'eau, nous fusmes portez si rudement contre un rocher, qu'il fist un trou dans nostre canot, qui le pensa couler à fond, si la diligence de nos hommes ne nous eut mis promptement à terre, où nous recousimes une piece à la blessure.
Je ne fay point icy mention de tous les hazards & dangers que nous courusmes en chemin, ny de tous les sauts où il nous fallut porter tous nos pacquets par de très-longs & fascheux chemins, ny comme beaucoup de fois nous courusmes risque de nostre vie & d'estre submergez dans des cheutes d'eau espouvantables, comme a esté du depuis le bon P. Nicolas, & un jeune garçon François nostre disciple, qui le suivoit de prés dans un autre canot, pour ce que ces dangers & perils sont si frequents & ordinaires, qu'en les descrivans tous, ils sembleroient des redites par trop rebatues, c'est pourquoy je me contente d'en rapporter icy quelqu'uns, & lors seulement que le sujet m'y oblige.
Le soir aprés un long travail, nous cabanames à l'entrée d'un saut, d'où je fus long-temps en doute que vouloit dire un grand bruit accompagne d'une grande & obscure fumée qui s'elevoit jusques à perte de veue. Je disois, ou qu'il y avoit là un village ou que le feu estoit dans la forest à une lieuë de nous, mais je me trompois en toutes les deux sortes, car ce grand bruit & ces fumées provenoient d'une cheute d'eau de 25 ou 30 pieds de haut entre des rochers que nous trouvames le lendemain matin. Aprés ce saut, environ la portée d'une arquebuzade, nous rencontrames sur le bord de la mesme riviere, ce puissant rocher, duquel j'ay fait mention au chap. 30 de ce 2e livre que mes Sauvages croyoient avoir esté homme mortel comme nous & puis metamorphosé en ceste pierre par la permission & le vouloir du Createur, à un quart de lieuë de là, nous trouvames encore une terre fort haute, entremeslée de rochers, plate & vide au dessus & qui tenoit comme d'une haute muraille à cette riviere Algoumequine.
Ce fut icy ou mes gens pour ne me pouvoir persuader que ceste montagne eut un esprit vivant dans ses entrailles, qui la regit & gouverne m'en monstrerent un visage assez austere contre leur ordinaire: aprés nous portasmes encore tout nostre equipage à 3 ou 4 sauts, au dernier desquels nous nous arrestames un peu à couvert sous des arbres pendant un grand orage, qui nous avoit des-ja percé de toutes parts jusques aux os, puis aprés avoir encore passé un grand saut où le canot fut en partie porté & en partie traisné, fusmes cabaner sur une pointe de terre haute eslevée entre la riviere qui vient du Saguenay & va à Kebec, & celle-cy qui se rendoit & perdoit dedans tout de travers.
Les Hurons descendent jusqu'icy pour aller au Saguenay, & vont contre-mont l'eau, & neantmoins la riviere du Saguenay, qui entre dans la grand riviere de S. Laurens à Tadoussac, a son fil & courant tout contraire, tellement qu'il faut necessairement que ce soient deux rivieres distinctes, & non une seule, puis que toutes deux se rendent & se perdent dans le mesme fleuve S. Laurens, il est vray, qu'il y a de la distance, d'un lieu à l'autre prés de 200 lieuës, c'est pourquoy je n'asseure nullement de rien puis mesmes que nous changeames si souvent de chemin, allans & revenans des Hurons à Kebec, que cela m'a fait perdre l'entière certitude & la vraye cognoissance du droit chemin & de la situation des lieux, autrement je l'aurois mieux observée.
Nous laissames le chemin de main gauche qui conduit en la Province du Saguenay, & prismes celuy qui est à droite pour Kebec, mais il me resouvient encore de l'estonnement admirable que causoit en nos yeux ce meslange de rivieres, car nous fismes plus de 6 ou 7 lieuës de chemin, que je ne pouvois encore sortir de l'opinion (ce qui ne pouvoit estre) que nous allions contre mont-l'eau, & ce qui me mit en cet erreur, sur la grande difficulté que nous eumes à doubler la pointe, & que le long de la riviere jusqu au saut, l'eau se souslevoit, s'enfloit, tournoyoit & bouillonnoit par tout comme une chaudiere sur un grand feu, puis, des raports & traisnées d'eau qui nous venoient à la rencontre un fort long espace de temps, & avec tant de vitesse, que si nous n'eussions esté habiles de nous en destourner avec la mesme promptitude, nous estions pour nous y perdre & submerger. Je demanday à mes Sauvages que c'estoit, & d'où cela pouvoit proceder, ils me respondirent que c'estoit un oeuvre du diable ou le diable mesme.
Approchant du saut, en un tres-mauvais & dangereux endroit, nous receumes des grands coups de vagues dans nostre canot, & encor en danger de pis, si les Sauvages n'eussent esté stilez & habiles à la conduite d'iceluy, pour leur particulier ils se soucioient assez-peu d'estre mouilliez, car ils n'avoient point d'habits sur le dos qui les empeschat de dormir à sec, mais pour moy cela m'estoit un peu plus incommode, & craignois fort pour nos livres particulièrement, mais cette crainte, ne m'empeschoit pas d'estre bien mouillé, & de me lever le matin sans estre seiché.
Nous nous trouvasmes un jour bien empesché dans des grands bourbiers, & profondes fanges, approchant d'un lac, où il nous fallut passer avec des peines nompareilles, & si subtilement & legerement du pied, que nous pensions à toute heure enfoncer jusques par dessus la teste au profond du lac, qui portoit en partie cette grande estendue de terre noire & fangeuse: car en effet tout trembloit sous nous.
De là nous allasmes prendre nostre giste en une ancre de terre, où desja estoient cabanez depuis quatre jours un bon vieillard Huron, avec deux jeunes garçons, qui estoient là attendans compagnie, pour passer à la traite par le pays de Honqueronons; car ils n'y osoient passer seuls, pour ce que ce peuple est malicieux jusques là, que de ne laisser passer par leurs terres au temps de le traite, un ou deux canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, & passent tous à la fois, pour avoir leurs bleds & farines à meilleur prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.
Le lendemain matin arriverent encor deux autres canots Hurons, qui cabanerent auprés de nous; mais pour cela personne n'osoit encore se hasarder de passer peur d'un affront. A la fin mes hommes qui n'estoient pas en resolution de faire là un si long sejour, me supplierent d'accepter la charge de Capitaine de leurs canots, & d'avouer pour miennes toutes leurs marchandises, bleds & farines, ce que je fis par charité, & pour leur conservation, car sans cette invention ils n'eussent pas ozé passer, & passants ils eussent peut-estre esté aussi mal traittez de ce peuple superbe, que deux autres canots Hurons, qui n'estoient point de nostre bande, & voulurent tenter la fortune, contre nostre advis, mais à leur despens, car leurs marchandises leur furent ostées, & en partie vollées, & le reste payé à vil prix.
Des Honqueronons ou Sauvages de l'Isle, & de leur humeur, & d'un lac couvert de papillons.
CHAPITRE VIII.
NOus partismes donc de cette ancre de terre, mais ayans à peine advancé une demie heure de chemin, nous apperceumes deux cabanes que nous creumes estre de l'Isle, dressées en un cul de sac, en lieu eminent, d'où on pouvoit descouvrir de loing tous ceux qui entroienr dans leurs terres. Mes Sauvages les voyans eurent opinion que c'estoient sentinelles posées pour leur en empecher le passage, & qu'il estoit necessaire de les aller recognoistre, & sçavoir d'eux si c'estoit à nous à qui ils en vouloient, & là dessus me prierent de me cacher dans le canot, afin que n'estant apperceu d'eux, je peusse estre tesmoin auriculaire de leur discourtoisie & dispute, pour leur en faire aprés une reprimande, & qu'ils n'auroient garde car disoient-ils, s'ils vous appercevoient avant de nous parler, ils n'auroient garde de nous gourmander, & par ainsi vous seriez en doute de leur malice, & de nostre juste apprehension.
Nous approchames de ces deux cabanes en la posture qu'ils desirerent, & leur par lames un assez long-temps, mais ces pauvres gens ne songeoient à rien moins qu'à nous, & ne s'estoient là cabanez que pour la pesche, & la chasse, à quoy ils s'occupoient pour vivre, & par ainsi nous reprismes promptement nostre routte, & allames passer par un lac assez grand, & de là par la riviere qui conduit au village, laissant à main gauche le droit chemin de Kebec, d'où on comptoit de là environ cent quatre vingts lieuës.
Je loue mon Dieu de toutes choses, & le prie que ma peine & mon travail luy soient agreables, mais il est vray que nous pensames perir ce jour là en deux tres-mauvais endroits proche la cheute du lac dans la riviere, où l'eau par ses soudains souslevemens, & ses ondes inopinées, nous penserent engloutir & coulera fond.
Ces perils passez, nous fusmes descendre dans un petit bois taillis, tout couvert de fraizes, desquelles nous fismes nostre meilleur repas, & reprimes nouvelles forces pour passer jusques à nos Quieunontateronons, où nous arrivames ce jour là mesme, après avoir faict vingt lieues & plus de chemin.
Ce village estoit placé sur le bord de la riviere dans une belle pleine, d'où nous fumes apperceus à plus d'une lieuë du port, où presque tous les Sauvages se rendirent avec de grandes huées, & des bruits qui nous estourdissoient, car on n'entendoit par tout qu'une voix, ou par complimens, ou pour se mocquer nous, qui nous rengions à leur mercy, je croy neantmoins le premier par une raison qu'ils esperoient profiter de nos; vivres, car à mesme temps que nous eumes mis pied à terre, ils sauterent dans notre canot, & se saisirent de nos bleds, & farines pour les eschanger à leur devotion, contre des pelleteries qu'ils ont à foison, mais comme la charité bien ordonnée commence soy-mesme, sçachans que nos vivres nous faisoient besoin, j'y mis le hola, (car mes gens n'osoient dire mot,) & par ce moyen tout nous fut conservé, & porté au lieu que choisimes pour cabaner, un petit jet de pierre esloigné du village, pour eviter leurs trop fréquentes visites.
Il ne faut point douter neantmoins, que ces Honqueronons ne vissent bien (comme ils nous en firent quelque reproches) que les bleds & farines n'estoient point à moy, & que ce que ie m'en disois le maistre, estoit de l'invention de mes gens qui m'en avoient prié, pour les conserver, & s'exempter de leur violence & importunité, mais il leur fallut avoir patience, & mortifier leur sentiment, car ils n'osoient m'attaquer, ou me faire du desplaisir, peur du retour à la traite de Kebec, où ils ont accoustumé d'aller, tous les ans faire leur emploite & rapporter des marchandises.
Ce peuple est (à mon advis) le plus reveche, le plus superbe & le moins courtois de tous ceux que j'ay jamais conversé en toutes les terres du Canada, du moins me l'a il semblé, pour le peu que je les aye pratiqué, mais aussi est il le mieux couverte, le mieux matachié, & le plus jolivement paré de tous, comme si à la braverie estoit inseparablement atachée la superbe, & la vanité, comme nous voyons en quelque parens de nos Religieux, lesquels semblent avoir honte de s'advouer pour tels, pour les voir pauvrement habillez, maltraitez, mesprisez des gens de neant, crottez, mal chaussez; & mandier par les rues avec la besace, comme pauvres de Jesus-Christ. O siecle perverty, o vanité deplorable, vous mesprisez ceux qui ont choisi la bassesse pour l'amour de Jesus-Christ, mais ce sera à vostre confusion, car ils seront un jour vos juges & condamneront vostre mespris, car pourquoy en faites vous moins d'estat que s'ils estoient seculier.
Les jeunes femmes, & filles sembloient des Nymphes, tant elles estoient bien ajustées, & des Comediennes, tant elles estoient legeres du pied, vous les voyez la teste levée par le village, couvertes de matachias, sauter, courir, & se resjouir plaisamment, comme si elles eussent esté asseurées d'une eternelle felicité, ainsi au vray dire elle n'ont pas peur d'un Enfer, ny de perdre un Paradis, qu'elles ayent quelque chose à manger, les voyla contentes, si elles n'ont rien elles ont la patience.
Nous passames tout le reste du jour, dans nostre cabane, & encore le suivant, pour la venue du Truchement Bruslé, puis nous troussames bagage, dés le lendemain matin, car nous mourions là de faim sans pouvoir obtenir un seul morceau de poisson qu'à prix desraisonnable, peut estre par un ressentiment de ne leur avoir laissé nos bleds & farines à l'abandon, comme ils s'estoient promis. Ils ne lassoient pourtant de nous venir voir en nostre cabane, mais plustost pour nous observer que pour s'instruire de leur salut, & nous faire offre de leur service.
Au partir de ce village, nous allames cabaner en un lieu tres-propre pour la pesche, d'où nous eumes du poisson de diverses especes plus que suffisamment pour tout ce jour là; nous en fismes de rostis, & du bouillis, sans autre sauce que du bon appétit, mais mes gens qui n'escailloient point celuy qu'ils deminssoient dans le brouet, non plus que celuy qui se mangeoit en autre façon (telle estant leur coustume) estoit la cause qu'à chaque cueillerée de sagamité qu'on prenoit, il en falloit cracher une partie dehors & pour une autre incivilité, s'ils avoient un morceau de viande à deminsser, ils se servoient de leur pieds crottez pour la tenir, & d'un meschant cousteau pour la couper.
Les grands orages qu'il fit ce jour là, & qui durèrent jusques au lendemain matin, nous firent loger fort incommodement dans un marets, ou d'avanture nous trouvames un chien égaré, que mes Sauvages prirent, & tuèrent à coups de haches, puis le firent bouillir pour nostre soupper. Comme au chef ils me presenterent la teste, mais je vous asseure que sa grand'gueule beante la rendoit si hideuse, & de mauvaise grace, que je n'eus pas assez de courage pour en manger, & me contentay d'un morceau de la cuisse, que je trouvay tres-bonne.
Ces bons Sauvages me desnichoient parfois des aigles, mais comme ce sont oyseaux tres lourds, quand j'estois las de les porter, nous en faisions chaudieres, & nous servoient de pitance, excepté d'une qu'ils ne voulurent point manger, je ne sçay par quelle superstition, car comme j'estois occupé hors de la cabane avec quelque Sauvages, ils luy tordirent le col pour avoir ses cousteaux, & la jetterent au loing, me donnant à entendre qu'elle estoit morte d'elle mesme, & qu'ils n'y avoient pas cooperé, ce que je ne pû croire & pour preuve je leur monstray le col rompu, & neantmoins ils n'en voulurent jamais manger, ny prendre la peine de la faire cuire, peut-estre pour avoir esté estouffée.
Le jour ensuivant, aprés avoir tout porté à cinq ou six sauts, & passé par des lieux tres-perilleux, nous primes giste en un petit hameau d'Algoumequins, sur le bord de la riviere, qui a en cet endroit plus d'une bonne lieuë de large, je fus visiter tout ce peu de cabanes qu'il y avoit là, faites en rond, & desquelles l'entrée estoit fort estroite, bouchée d'une petite peau d'eslan, mais si pauvres au dedans, qu'elles me sembloient voir les hermitages des anciens Peres hermites de la Thebayde, selon qu'on les despeint.
Le lieu estoit aussi pauvre & sterile comme les maisons, car ce n'estoit qu'un rocher couvert d'un peu de sable par endroits, & de quelque petits arbrisseaux qui servoient de retraite aux oyseaux, je fus par tout chercher des fraizes, & des bluëts, mais tout estoit desja dissipé, car comme ces petits fruicts servent de manne aux Algoumequins, ils les amassent soigneusement pour en faire seicherie. Le truchement Bruslé qui nous suivoit de prés, nous y vint trouver & s'y logea, mais aussi incommodement que nous.
Le matin venu nous batimes aux champs sans tambour, car il n'y avoit point de plaisir en lieu si miserable, & vismes environ midy deux Arcs-en-Ciel, fort visibles & apparens, qui tenoient devant nous les deux bords du fleuve, comme deux arcades, sous lesquelles il sembloit à tout moment que deussions passer. Il y a eu de certains peuples qui l'ont eu en telle veneration: Que s'ils le voyoient paroistre en l'air, ils fermoient la bouche aussi-tost, & y portoient la main devant, pour ce qu'ils s'imaginoient que s'ils l'ouvroient tant soit peu, leurs dents en seroient pourries & gastées. Je n'ay point veu pratiquer cette sottise entre nos Hurons, mais ils en croyent bien d'autres, qui ne vaillent guère mieux.
Le soir arrivé, mes Sauvages mangerent un aigle, de laquelle je ne mangeay pas seulement du bottillon, & encor moins de la chair, car il estoit jour de Vendredy, ces pauvres gens m'en demanderent la raison, car ils sçavoient bien ma necessité, & le peu que nous avions pris le matin avant partir, & ayant sceu que je le faisois pour l'amour du bon Jesus, ils en resterent fort edifiez & contens, car comme ils sont exactes observateurs de leurs ceremonies, ils trouvoient aussi tres-bon que nous fissions selon nostre croyance, & eussent trouvé mauvais qu'eussions fait du contraire pour aucun respect.
Si tost qu'il commença à faire jour nous nous mismes sur l'eau, couvertes par tout d'un nombre presque infiny de papillons, en l'estenduë de plus de trois heures de chemin, & la riviere qui sembloit un lac en cette espace, large de plus de demye lieuë estoit de mesme par tout couverte de ces petits animaux, de sorte que j'eusse auparavant douté, s'il y en auroit bien eu autant en tout le reste du Canada, comme il s'y en estoit noyé dans cette seule riviere. De dire quel vent les avoit là amenez, & comme il s'y en est pu trouver un si grand nombre en un seul endroit, c'est ce que je sçay moins que des mosquites, & cousins, qui sont engendrez de la pourriture des bois.
Passé cette mer de papillons, nous trouvames une cheute d'eau dans laquelle un François nommé la Montagne, pensa tomber avec tous ses Sauvages, d'où ils ne se fussent jamais retirez que morts & brisez des rochers. Leur imprudence les avoit mis dans ce danger, pour n'avoir pas assez tost pris terre, & s'ils ne se fussent promptement jettez dans l'eau, le courant les jettoit infailliblement dans le précipice, & de là à la mort, qu'estoit la fin de leur voyage.
Du saut de la chaudiere, de la petite Nation, & de la difficulté que nous eumes avec les Algoumequins, & Montagnais, du tresor publique des Hurons, & la suitte de nostre voyage jusques à Kebec.
CHAPITRE IX.
NOus avons cy devant fait mention de plusieurs cheutes d'eau, & de quantité de sauts très-dangereux, mais en comparaison de tous ceux-là, celuy de la chaudiere, que nous trouvames demie heure de chemin après celuy de la montagne est le plus admirable, & le plus perilleux de tous: Car, outre le grand bruit que cause sa cheute de plus de sept ou huict brasses de haut entre des rochers, qui se fait entendre de plus de deux lieuës loin, il est large d'un grand quart de lieuë, traversé de quantité de petites Isles, qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts en partie de meschants petits bois, le tout entrecoupé de concavitez & precipices, que ces bouillons & cheutes ont fait à succession temps, & particulierement à un certain endroict où l'eau tombe de telle impetuosité sur un rocher au milieu de la riviere, qu'il s'y est cavé un large & profond bassin; si bien que l'eau courant là dedans circulairement y faict de tres-violans & puissans bouillons, qui envoyent en l'air de telles fumées du poudrin de l'eau, qu'elles obscurcissent par tout l'air où elles passent.
Il y a encore un autre semblable bassin, ou chaudiere plus à l'autre bord de la riviere, presque aussi large, impetueux & furieux que le premier, & de mesme, rend ses eauës en des grands précipices, & cheutes de plusieurs toises de haut. Les Montagnais, & Canadiens, à raison de ces deux grandes concavitez qui bouillonnent, & rendent ces grandes fumées, ont donné à ce saut le nom Asticou, & les Hurons, Anoö, qui veut dire chaudière en l'une, & en l'autre langue.
Or commme je m'amusois à contempler toutes ces cheutes & precipices pendant, que mes Sauvages deschargeoient le canot, & portoient les pacquets au delà du saut, je me prins garde que ces rochers, où je marchois sembloient tous couverts de petits limas de pierre, & n'en peux donner autre raison, sinon que c'est, ou de la nature de la pierre mesme, ou que le poudrin de l'eau qui donne jusques là dessus, peut avoir causé tous ces effects, ou comme il y a quelque apparence, qu'une quantité de limas estans venus là mourir, (comme cette infinie multitude de papillons que je vis noyez dans la riviere) se soient convertis en pierre, par le continuel arrousement de la fraicheur, ou froideur de ce poudrin, & ce qui m'en donne quelque croyance est d'avoir veu & manié autrefois des poires, & un morceau de pain convertis en pierre ce qui ne se peut neantmoins qu'avec une grande longueur de temps, & en des lieux particulieres & fraiz, comme sont les quarrieres, où les poires, & le pain avoient esté metamorphosez, au rapport du Matematicien du Roy, qui me les fit voir environ l'an 1604.
Ce fut aussi en ces contrées où je trouvay des plantes de lys incarnats, ils n'avoient que deux fleurs au coupeau de chacune tige, mais elles estoient ravissantes, de plus curieux que moy en eussent apporté en France, mais je me contentay de louer Dieu en les admirans, & de les laisser pour l'amour du mesme Dieu.
Mes Sauvages arrivans à ce saut, me firent point les ceremonies ordinaires, ou, pour avoir trop de haste, ou à raison que je les avois reprist de semblables superstitions, lesquelles sont telles, selon que nous l'avons appris du sieur de Champlain. Apres que les Hurons, & Sauvages ont porté tous leurs pacquets, & les canots au bas du saut, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois, va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petun. La queste faite, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dancent à l'entour en chantans à leur mode; puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que des long-temps ils ont accoustumé de faire une telle offrande, & que par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qui les attendent souvent au passage, & qu'autrement il leur arriveroit du desplaisir.
Cela fait je harangueur prend le plat, & va jetter le petun au milieu de la chaudière, du dessus les rochers, puis tous d'une voix, font un grand cry & acclamation, en finissant la ceremonie.
A une petite lieue de là, nous passames à main droite devant un autre saut, ou cheute d'eau admirable, d'une riviere qui vient du costé du Su, laquelle, tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses de haut dans la riviere où nous estions, qu'elle fait deux arcades, qui ont de largeur prés de deux ou trois cens pas. Les jeunes hommes Sauvages se donnent quelquefois le plaisir de passer avec leurs canots par dessous la plus large, & ne se mouillent que du poudrin de l'eau, mais je vous asseure qu'ils font en cela un acte de grand folie & temerité, pour le danger qu'il y a assez eminent: & puis à quel propos s'exposer sans profit dans un sujet qui leur peut causer un juste repentir, & attirer sur eux la risée & moquerie de tous les autres.
Autrefois les Hiroquois venoient jusques là surprendre nos Hurons, allans à la traite, mais à present ils ont comme, desisté d'y plus aller, jusques en l'an 1632 qu'ils firent des courses jusques à Kebec, pensans surprendre de nos François, & Montagnais au despourveu, & l'année suivante le second jour de Juin, furent aux trois rivieres, où ils tuerent deux François à coups de haches, & en blesserent cinq autres à coups de fleches dont l'un mourut bientost aprés. Ils eurent bien la hardiesse d'aborder encore la chalouppe avec leurs canots, & sans qu'un François les coucha en joue avec son harquebuze, où il ny avoit ny balle, ny poudre, il est croyable que pas un n'en fut eschappé, & qu'ils se fussent rendus maistres de la chalouppe, & de tout l'equipage des François.
Le sieur Goua qui commandoit à la barque à demye lieue de là, ayant ouy les cris du combat, despescha aussi-tost une chalouppe au secours, & luy mesme suivit aprés avec sa barque, mais trop tard, car quand ils arriverent là, les Hiroquois avoient desja fait leur coup, & faisoient leur retraite, dedans les bois, où aucun François n'eust ozé les suivre pour aucun commandement de leur Chef, s'excusant sur le danger trop eminent, & par ainsi ces Hiroquois nous ayans bravé & battus jusques dans nos terres, s'en retournerent glorieux avec les testes des meurtris.
On peut admirer en cecy la hardiesse de ces Sauvages, d'avoir ozé, sans crainte des espées ny des mousquets, traverser tant de pays, & de forests, & attaquer de nos François és contrées de l'habitation, sans que jamais on en aye pû tirer de revanche, & puis il y en a qui veulent dire qu'ayans leur harquebuze chargée, ils tiendraient teste à dix Sauvages, ce seroit bien assez à deux bien deliberez, car ils sont prompts de l'oeil & du pied pour s'esquiver, & grandement adroits de l'arc pour vous tirer, & puis gard les surprises.
Mes Hurons à tout evenement se tindrent tousjours sur leur garde, peur de surprise, & s'allerent cabaner hors du danger, & comme nous souffrimes les grandes ardeurs du Soleil pendant le jour, il nous fallut de mesme endurer les orages, les grands bruits du tonnere, & les pluyes continuelles pendant la nuict, jusques au lendemain matin qu'elle nous perça jusques aux os.
Qui fut alors bien empesché de sa contenance ce fut moy, car je ne sçavois mesme comment me gouverner dans nostre habit trempé, qui m'estoit fort lourd, & froid sur les espaules où il fut deux jours à seicher, dont je m'estonne que je n'en tombé malade, mais Dieu tres-bon me fortifioit tousjours au plus fort de mes peines & labeurs.
Un surcroy d'affliction nous arriva dans nos incommoditez de deux Algoumequins, lesquels nous estans venus voir aprés la pluye passée, nous firent croire du moins à mes gens, que la flotte Françoise estoit perie en mer, & que c'estoit perdre temps de vouloir passer outre, mes Hurons furent vivement touchez de cette mauvaise nouvelle & moy d'abord avec eux, mais ayant un peu ruminé à par moy & consideré ce qui en pouvoit estre, je me doutay incontinant de la malice des Algoumequins, qui avoient controuvé ce mensonge pour nous faire rebrousser chemin & en suitte persuader à tous nos Hurons de n'aller point à la traicte, pour en avoir eux mesmes tout le profit, ce que je fis sçavoir à mes gens qui reprirent courage, & continuerent leur voyage, avec esperance de bon succés.
De là nous allames cabaner à la petite Nation que nos Hurons appellent Quieunontateronons, ou nous eumes à peine pris terre, & dressé nostre cabane, que les députez du village nous vindrent visiter, & supplierent nos gens d'essuyer les larmes de 15 ou 20 pauvres femmes vefves, qui avoient perdu leur marys l'Hyver passé; les uns par la faim, & les autres de diverses maladies.
Voyant mes hommes un peu trop retenus à faire plaisir à ces estrangers, je les priay de ne les point esconduire & que tout ne consistoit qu'à quelque petit present qu'il falloit faire à ces pauvres vefves, comme il se pratiquoit mesme entr'eux pour semblables occasions. Ils en firent en effect leur petit devoir & leur donnerent une quantité de bled d'Inde, & de farine qui les resjouyt fort & en sus moy mesme bien ayse, tant elles me faisoient compassion & puis c'est une Nation si honneste, douce & accommodante d'humeur, que je m'en trouvay fort edifié, & satisfaict.
Ce fut icy où je trouvay dans les bois, à un petit quart de lieuë du village, ce pauvre Sauvage malade, enfermé dans une cabane ronde, couché de son long auprès d'un petit feu, duquel j'ay faict mention cy-devant au chapitre des malades.
Me promenant par le village de cabane en cabane pour mon divertissement, un jeune garçon me fit present d'un petit rat musqué, pour lequel je luy donnay en eschange un autre petit present duquel il fist autant d'estat, que moy de ce petit animal.
Le Truchement Bruslé, qui s'estoit là venu cabaner avec nous, traicta un chien, duquel nous fismes festin le lendemain matin en compagnie de quelque François, puis nous partimes encores dans de nouveaux, doutes de la perte des Navires de France, que les Algoumequins nous asseuroient indubitable, comme en effet il y avoit pour lors, quelque apparence, en ce qu'ils tardoient à venir beaucoup plus qu'à l'ordinaire, je tenois neantmoins tousjours bonne mine à mes gens & les asseurois; du contraire peur qu'ils s'en retournassent, comme ils en faisoient souvent le semblant.
Passans au saut S. Louys, long d'une bonne lieue & tres-furieux en plusieurs endroits, mes Sauvages ne voulurent pas tousjours tenir la terre, comme on a accoustumé, mais aux endroits moins dangereux, ils remettoient leur canot dans l'eau, où nostre Seigneur me preserva d'un precipice & cheute d'eau, où je m'en allois tomber infailliblement: car comme mes Sauvages en des eaux basses conduisoient le canot à la main, estant moy seul dedans, pour ce que je ne les pouvois suivre dans les eaux à cause de mon habit, ny par terre où les rives estoient trop hautes & embarassées de bois & de rochers, la violence du courant leur ayant faict echapper des mains, je me jettay fort à propos (aydé de Dieu), sur un petit rocher en passant, puis en mesme temps le canot tomba par une cheute d'eau dans un precipice, parmy les bouillons & les rochers d'où ils le retirerent fort blessé avec la longue corde que (prevoyans le danger) ils y avoient attachée, & après ils le racommoderent avec des pièces d'escorces qu'ils cherchèrent dans le bois & me vindrent requerir sur mon rocher.
Depuis nous souffrimes encores plusieurs petites disgraces & des coups d'eau dans nostre canot, avec des grandes, hautes & perilleuses elevations, qui faisoient dancer, hausser & baisser nostre vaisseau d'une merveilleuse façon, pendant que je m'y tenois couché & racourcy, pour ne point empecher mes Sauvages de bien gouverner, & voir de quel bord ils devoient prendre.
De là nous allames cabaner assez incommodement dans une sapiniere au pied dudit saut, d'où nous partimes le lendemain matin, encore tout mouillez & cotinuames nostre chemin entre deux Isles, par le lac dans lequel se descharge ledit saut, & de ce lac par la riviere des prairies autrement des Algoumequins, d'où il y a jusqu'au lac des Bisserinys, plus de 80 saut à passer tant grands que petits, dont les uns sont tres-dangereux principalement à descendre, car à monter cela ne se peut sinon à bien peu par le moyen d'une corde, attachée au canot.
Nous avions esté fort mal couchez la nuict passée, mais nous ne fumes pas mieux la suivante, car il nous la fallut passer à deux lieuës du Cap de victoire, sous un arbre bien peu à couverts des pluyes, qui durerent jusques au lendemain matin, que nous nous rendimes audit Cap, où des-ja estoit arrivé depuis deux jours le truchement Bruslé, avec deux ou trois canots Hurons, duquel j'appris la deffence que les Montagnais & Algoumequins leur avoient faites de passer outre, voulans à toute force qu'ils attendissent là avec eux, les barques de la traicte, & qu'ayans pensé leur resister ils s'estoient mis en hazard d'estre tous assommez, particulierement luy Truchement Bruslé, qui en avoit esté pour son sac à petun, & craignoit encore un autre plus mauvais party, s'y on n'y apportoit quelque remede.
Je trouvay ce procédé fort mauvais & en fis quelque reproches à ces mutins qui me dirent pour excuses que si personne ne descendoit, les barques seroient contrainctes de les venir trouver là, sans avoir la peine de trainer leurs femmes & leurs enfans jusques à Kebec où il n'y avoit dequoy disner pour eux. Je leur dis que j'y avois necessairement affaire, & que je desirois d'y descendre & que pour eux qu'ils en fissent comme ils voudroient, cette resolution ne les contenta pas beaucoup, neantmoins ils ne voulurent pas me violenter comme ils avoient faict le Truchement, mais ils trouverent une autre invention plus favorable pour intimider nos Hurons & tirer d'eux quelque petit present.
Ils firent donc semer un faux bruit qu'ils venoient de recevoir vingt colliers de pourceleines des Ignierhonons (ennemis mortels des Hurons) & à la charge de les envoyer advertir à l'instant de l'arrivée desdits Hurons, pour les venir tous mettre à mort, & qu'en bref ils seroient icy.
Nos gens vainement espouventez de cette mauvaise nouvelle, tindrent conseil là dessus, un peu à l'écart dans le bois où je fus appellé avec le Truchement qui estoit d'aussi légère croyance qu'eux, & pour conclusion ils se cottizerent tous, qui de rets, qui de petun, bled, farine Se autres choses, qu'ils donnerent aux Capitaines des Montagnais & Algoumequins, pour estre protegez contre leurs ennemis. Il n'y eut que mes Sauvages qui ne donnerenr rien, car m'ayant demandé d'y contribuer, je leur dis que je ne fournissois rien pour authoriser un mensonge, & qu'asseurement les Canadiens avoient inventé cette fourbe pour avoir part à leur commoditez & les empescher de descendre, comme il estoit vrays.
Mais puis que nous sommes à parler des presens des Sauvages, avant que passer outre, nous en dirons les particularitez, & d'où ils tirent principalement ceux qu'ils font en commun, afin qu'un chacun sçache qu'ils ne sont pas tout à fait denuez de police.
En toutes les villes, bourgs & villages de nos Hurons, ils font un certain amas de colliers de pourceleine, rassades, haches, cousteaux, & generalement de tout ce qu'ils gaignent & obtiennent pour le publique, soit à la guerre, traicté de paix, rachapt de prisonniers, peages des Nations qui passent sur leurs terres, & par toute autre voye & maniere d'où ils ont accousturmé tirer quelque profit.
Or est-il que toutes ces choses sont mises, & deposées entre les mains & en la garde de l'un des Capitaines du lieu, à ce destiné, comme Thresorier de la République: & lors qu'il est question de faire quelque present pour le bien & salut commun de tous, ou pour s'exempter de guerre, pour la paix, ou pour autre service qui concerne le publique, ils assemblent le conseil auquel, après avoir deduit la necessité urgente qui les oblige de puiser dans le thresor, & arresté le nombre & les qualités des marchandises qui en doivent estre tirées, on advise le Thresorier de fouiller dans les coffres de l'espargne, & d'en apporter tout ce qui a esté ordonné, & s'il se trouve espuisé de finances, pour lors chacun se cottise librement de ce qu'il peut, & sans violence aucune donne de ses moyens selon sa commodité & bonne volonté; jusques à la concurrence des choses necessaires & Ordonnées, qui ne manquent point d'estre trouvées.
Pour suivre le dessein que j'avois de partir du Cap de victoire pour Kebec, nonobstant la contradiction de nos Algoumequins & Montagnais, je fis jetter nostre canot en l'eau dés le lendemain de grand matin que tout le monde dormoit encore, & n'esveillay que le Truchement pour me suivre, comme il fist au mesme instant, & fismes telle diligence, favorisez du courant de l'eau, que nous fismes 24 lieues ce jour là, nonobstant quelques heures de pluyes & cabanames au lieu qu'on dit estre le milieu du chemin de Kebec au Cap de victoire, où nous trouvames une barque à laquelle on nous donna la collation, puis des poix & des prunes, pour faire chaudière entre nos Sauvages, lesquels d'ayse, me dirent alors que j'estois un vray Capitaine, & qu'ils ne s'estoient point trompez en la croyance qu'ils en avoient tousjours eue, veu la reverence & le respect que me portoient tous les François, & les presens qu'ils m'avoient faits, qui estoient ces poix & ces pruneaux, desquels ils firent bonne expedition à l'heure du souper, ou plustost disner, car nous n'avions encore beu ny mangé de tout le jour, tant nous avions peur que les Canadiens nous suivissent à mauvais dessein, pour avoir passé contre leur volonté.
Je diray que le respect que les François nous ont quelquesfois tesmoigné en la presence des Sauvages, nous a de beaucoup servy & donné de l'authorité envers ces barbares qui sçavent faire estat de ceux que les François honorent lequel honneur redonne au mérite des mesmes François.
Le lendemain dés le grand matin, nous partismes de là, & en peu d'heures trouvasmes une autre barque, qui n'avoit encore levé l'anchre faute d'un vent favorable, & aprés y avoir salué celuy qui y commandait, avec le reste de l'equipage & fait un peu de collation, nous passames outre en diligence, pour pouvoir arriver à Kebec ce jour là mesme, comme nous fismes avec la grace du bon Dieu.
Sur l'heure du midy mes Sauvages cacherent sous du sable un peu de bled d'Inde à l'ordinaire, & firent festin de farine cuite, arrousée, de suif d'eslan: mais j'en mangeay tres-peu pour lors, (sous l'esperance de mieux au soir:) car comme je ressentois des-ja l'air de Kebec, ces viandes incipides & de mauvais goust, ne me sembloient si bonnes qu'auparavant, particulierement ce suif fondu, qui sembloit proprement à celuy de nos chandelles fondues, lequel seroit là mangé en guyse d'huyle ou de beure frais, & eussions esté trop heureux d'en avoir quelquefois pour nostre pauvre potage, au païs des Hurons où aucune douceur ne nous envisageoit sinon le contentement de l'esprit.
A une bonne lieuë ou deux de Kebec, nous passames assez proche d'un village de Montagnais, dressé sur le bord de la riviere, dans une sapiniere, le Capitaine duquel avec plusieurs autres de sa bande, nous vindrent à la rencontre dans un canot, & vouloient à toute force contraindre mes Sauvages de leur donner une partie de leur bled & farine, comme estant deu (disoient ils) à leur Capitaine pour le passage & entrée dans leurs terres; mais les François qui là avoient esté envoyez exprès dans une chalouppe pour empescher ces insolences, leur firent lascher prise, & nous donnerent liberté, tellement que mes gens n'en furent de rien incommodez que du reste de nostre sagamité du disner, laquelle ces Montagnais mangèrent à pleine main toute froide, sans autre ceremonie, & la trouverent tres-bonne, comme n'en ayans pas souvent de telles.