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Histoire littéraire des Fous

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SIR THOMAS AMES GEVAEFT.

On vit paraître en Belgique, en 1839, un volume des œuvres d'un écrivain dont le nom inscrit au titre, paraît être un pseudonyme, mais dont les idées, quel qu'il fût, avaient un cachet évident de folie. Nous croyons ce volume très peu connu, et comme il rentre tout-à-fait dans notre cadre, nous en donnerons une courte analyse.

L'auteur commence par une préface où il adresse au peuple Belge un avis sur les droits d'auteur. “Plusieurs des principaux articles de votre belle constitution sont sortis de ma plume, dit-il, et quoique jusqu'ici, je n'aie reçu de récompense des éminents services que j'ai rendus à la cause des Belges, malgré tous les titres que j'ai fait valoir au gouvernement, je ne puis contempler mon ouvrage sans ressentir ce noble sentiment d'orgueil, connu seulement aux hommes savants et vertueux.”

“L'impression de mes beaux poèmes, tous dédiés à des têtes couronnées, et dont le manuscrit est déposé, est le prélude de celle de mes œuvres complettes, et ce, en ma triple qualité d'historien, de Jurisconsulte et de poète Anglo-Français.”

Ces beaux poèmes sont d'abord des méditations sur le tombeau de Saint Louis, dédiées Au Saint Père Grégoire XVI, Pontife Suprême; puis vient La Création, Poème dédié à sa Majesté Louise, Reine des Belges; en troisième lieu: Le dernier Jugement, dédié à sa Majesté Louis Philippe I, Roi des Français. Le quatrième poème, écrit en Anglais est intitulé: The Shipwreck, et dédié à sa Majesté Léopold I, Roi des Belges.

Viennent enfin plusieurs morceaux plus courts ayant pour titres: La Vertu; La Vérité; Le Patriotisme, et trois esquisses en anglais et en prose, sur le caractère de la poésie de Jérémie, d'Isaïe et de David.

Notre auteur a les idées les plus excentriques sur la versification française qu'il décrit à sa façon: “Les vers alexandrins, dit-il, n'admettent à la rigueur que douze syllabes ou six pieds, mais le poète d'un génie supérieur ne se laisse pas dominer par de pareilles entraves. Se trouvant dans les champs si vastes de la poésie, il dédaigne la rigoureuse sévérité susdite, sévérité qu'il sacrifie à ses sublimes conceptions qui, semblables à un torrent impétueux, renversent tous les obstacles qui s'y opposent. L'homme qui a écrit sur un sujet aussi vaste (que ceux que traite notre poète) doit posséder à peu près toutes les connaissances humaines; il doit avoir acquis par une grande expérience, l'autorité nécessaire à faire adopter ses opinions par tous ceux qui se distinguent dans les connaissances susdites: Cet homme, c'est le fils de l'écriture Sainte; cet homme, c'est moi, et alors même que je n'en eusse d'autres preuves, mes œuvres le prouvent, et par mes œuvres je veux que l'histoire me juge. Partant de ces principes et en vertu de mes droits, j'ai introduit dans la langue française plusieurs nouvelles expressions, inconnues à elle jusqu'à ce jour, et sauf à les expliquer moi-même; je déclare en même temps loin de moi toute vanité, loin de moi toute crainte de faire usage d'un droit, dont la postérité, peut-être même mes contemporains, me tiendra, me tiendront, compte un jour.

“La langue de l'écriture Sainte fourmille de tant de beautés de toutes espèces, qu'il est juste que les cinq langues dont les Pères de l'Eglise ont fait et feront toujours usage, s'entraident, surtout dans les compositions élevées.”

“J'ose espérer, dit l'auteur, en terminant sa préface, qu'un public éclairé et impartial saura apprécier les difficultés qui entourent les compositions de ce genre, qui ont le bien-être de l'humanité pour but, et qu'il me rendra justice avec la loyauté, l'impartialité et la bonne foi qui caractérisent les nations civilisées de l'Europe.”

Dans son adresse au Pape Grégoire XVI, il donne quelques détails sur lui-même. Nous en citerons quatre strophes qui serviront en même temps de spécimen de sa versification:—

Le Créateur même daigna jeter sur moi
Thomas Ames HMC HAZ, fils de la Croix
Ses yeux célestes et pleins de miséricorde,
Afin que je suivisse de ses préceptes l'ordre;
Et afin que je fusse connu de tous sous les cieux,
Il imprima les signes célestes dans mes yeux.
A l'âge de treize ans, âge encore bien tendre
Je reçus des mains mêmes du Primat de Londres
Guillaume Pointer, digne vicaire de mon Père
Pius Septimus Heipha[52] de Jesus Christ le Vicaire,
La première dignité dont m'investit l'Eglise,
Qui me donna plus tard le beau titre de fils.

[52] Heipha. Expression hébraïque qui signifie l'Ecriture Sainte, et quelquefois même le céleste séjour. Elle résume également les cinq langues de l'Ecriture Sainte, l'Hébreu, le Grec, le Latin, le Français et l'Anglais, mais cette partie seulement des langues Française et Anglaise qui a pour base l'histoire et les trois langues Savantes de l'antiquité. (Cette note appartient à notre auteur.)

A l'âge de vingt ans, moins quelques mois,
Par ordre du Saint Pere gardien de la Foi,
Je reçus de mes grades et titres plein droit
De prendre place en la famille des Rois;[53]
Ce choix, ratifié d'avance per omnes Chefæ,
Fut accepté comme gage de bonheur et de paix.

[53] Vide l'almanach de Gotha. (Note de l'auteur.)

Hail,[54] father Pius! Hail, Pontife suprême!
Hail, illustre Père du dévoué Thommæ CM!
Salve ad te, Pater Heipha, Père de la foi!
Tes cendres sont bénies jusqu'à la Sainte Croix!
Le ciel se réjouit de ce choix digne de toi,
Et la couronne céleste relève la Tiare!

[54] Cette belle salutation de l'Eglise Catholique dérive non du Saxon ainsi que les auteurs et même les lexicographes Anglais le prétendent; mais de la belle salutation hébraïque Hallelujah; salutation composée des attributs célestes, et dont les saints mêmes sont fiers! (Note de l'auteur.)

Hail! Ave! Salve!
Ad Sir Ilius Gregorius XVI. MG.
En foi de quoi et en vertu de mes droits,
Je Signe
Ego Sir Thomas Ames Gevaeft, &c.,
Primus Jurisconsultus,
Primus Doctor,
Primus Professoris,
Oig.
In Heipha. Dies script. A. D. Oig, plus trois!
Resurrexit Roma, Mater Mea!

Une lueur de raison laisse toutefois apercevoir à Sir Thomas Ames que ses vers Alexandrins, ainsi qu'il les qualifie, sont passablement défectueux, mais il pense que cela ne fait qu'ajouter à leur beauté. “Quoique la mesure métrique, dit-il, ou quantité soit parfois dépassée, il n'en est pas moins vrai que le temps y fait ample compensation, et la cadence variée et vive qui en est la conséquence naturelle, loin de fatiguer l'oreille, relève la monotonie qui existe si souvent dans les compositions poétiques françaises de quelqu'étendue.”

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