Histoire littéraire des Fous
PREMIERE SECTION.
EPIGRAPHE.
“Notre esprit est un outil vagabond, dangereux et téméraire; il est malaisé d'y joindre l'ordre et la mesure, c'est un outrageux glaive à son possesseur mesme, que l'esprit, à qui ne sait s'en armer discrètement.”—Essais de Montaigne.
THEOLOGIE.
Les idées religieuses, dans leurs aberrations, différent des autres en plusieurs points essentiels. Elles ont pour objets les émotions, les passions, et les impulsions instinctives de l'âme. Un horison sans borne se présente à l'esprit religieux, où les conjectures, les espérances, et les craintes prennent toutes les formes que l'imagination veut bien lui prêter, dans ses paroxysmes. Les réalités de l'existence matérielle disparaissent pour le fanatique ou fou par religion, non par suite d'un raisonnement, comme dans certains systèmes philosophiques, mais parce qu'il croit de son devoir de les anéantir dans l'intérêt de son âme. Son existence toute entière s'absorbe dans cette pensée qui non seulement exerce une immense influence sur sa folie, comme cause, mais encore modifie toutes les phases des manifestations extérieures de son esprit. Ses conjectures chimériques n'ont aucune limite, et le raisonnement pourrait nous convaincre, a priori, que les doctrines, opinions, et théories théologiques, ne sont pas la partie la moins curieuse, ni la moins féconde de l'histoire littéraire de la folie.
Nous ne nous arrêterons pas aux ouvrages où l'exaltation a remplacé le jugement. Ainsi nous passons à regret ces élucubrations grotesques d'une dévotion fanatique,—telles entr'autres que les ouvrages singuliers composés en l'honneur de la Vierge, dont G. Peignot préparait une bibliographie. Dans La dévote salutation aux membres sacrés de la glorieuse Vierge, par le Rev. Père J. H. Capucin, les oreilles, la bouche, les mamelles, le ventre, les genoux, &c. ne sont pas oubliés. Dans Le livre de la toute belle sans pair, où est escripte la formosité spirituelle, à la similité de la spéciosité corporelle, petit in 8o, il est question “de la méditation du nez de la Vierge Marie, et des deux narines; de la modérée grosseur de ses lèvres; comment sa bouche doit estre de moyenne ouverture; méditation aux cuisses qui sont force, espérance,” &c.
Citons encore La Seringue Spirituelle pour les âmes constipées en dévotion; La tabatière spirituelle pour faire éternuer les ames dévotes; ouvrages d'extravagants fort sérieux, non par la forme, mais par le but et par le fond. L'Angleterre n'est pas restée en arrière en ce genre, et Hooks and Eyes for Believers' Breeches, Sermon par Baxter, en fournit un exemple entre cent. Quantité d'autres de ces drôleries, mystiques, séraphiques, extatiques, seraient fort amusantes; mais revenons à notre sujet.
Durant le moyen âge, Thomas d'Acquin excita une grande admiration parmi les théologiens, par sa doctrine et ses opinions sur la Prédestination et le Libre Arbitre, considérées comme des chefs d'œuvre de dialectique. Ses ouvrages furent l'objet d'une composition des plus bizarres, par un Jésuite dont l'esprit s'était dérangé depuis plusieurs années, par suite de ses rudes travaux de missionaire dans l'Amérique du Sud. Cet infortuné, nommé Paoletti, qui avait été enfermé depuis cinq ans, lorsqu'il écrivit son livre contre Thomas d'Acquin et ses doctrines, cherchait à prouver que Dieu employait les instruments symboliques du culte Juif, pour déterminer qui recevrait ou ne recevrait pas la faveur divine. Il dessina un tableau ou diagramme des diverses manières dont on employait les ustensiles sacrés dans le Tabernacle, pour déterminer la condition future des fils d'Adam, relativement à la Prédestination. Une gravure accompagne l'ouvrage, dans laquelle Dieu est représenté, entouré d'anges, et présidant à la manipulation de ces ustensiles symboliques: la volonté divine et la volonté humaine figurent sous la forme de deux boules se mouvant dans une direction circulaire opposée, mais qui cependant finissent par se rencontrer dans un centre commun. Paoletti écrivit un autre traité durant sa folie, où il montrait que les aborigènes de l'Amérique étaient les descendants directs du diable et d'une des filles de Noé, conséquemment qu'ils sont dans l'impossibilité absolu d'obtenir ni le salut, ni la grâce.
Le 16me et le 17me siècle ont vu paraître le plus grand nombre peut être de grands esprits que les idées théologiques ont rendu fous. Au premier rang peut se placer Guillaume Postel.[6] Sa vie fut des plus agitées; tour-à-tour Jésuite, et renvoyé de l'ordre par St. Ignace, à cause de ses bizarres idées, emprisonné à Rome, durant plusieurs années, réfugié à Venise, accusé d'hérésie devant l'inquisition, déclaré innocent, mais fou, il alla pour la seconde fois visiter Constantinople et Jérusalem.
[6] A consulter entr'autres, sur les détails de sa vie, un ouvrage curieux du P. Desbillons, ainsi que Sallengre.
Il mourut, en 1581, au Monastère de St. Martin des Champs, laissant après lui de nombreux ouvrages, dont une partie est consacrée aux rêveries qui l'obsédaient. Il s'infatua à Rome d'une vieille fille, que quelques uns traitent de courtisane et qu'il appelait sa Grand'mère Jeanne. Il soutenait que Jésus Christ n'avait racheté que les hommes seuls, et qu'ainsi les femmes devaient être rachetées, et le seraient par la Mère Jeanne.
Un ouvrage en Italien intitulé La Vergine Veneta, et un autre en Français,[7] tendaient à prouver cette thèse. Il prétendait que l'ange Gabriel lui avait révélé divers mystères, et mêlant à sa folie les songes de Pythagore, il voulut persuader qu'en lui était transfusée l'âme de St. Jean Baptiste.
[7] Imprimé à Paris sous ce titre: Les très merveilleuses Victoires des femmes du Nouveau Monde, et comme elles doivent à tout le monde par raison commander, et même à ceux qui auront la Monarchie du Monde Vieil.
Postel avait une telle conviction qu'il était divinement inspiré, que dans son ouvrage De Nativitate Mediatoris il déclare que l'esprit même de Jésus Christ en est l'auteur, et qu'il n'en était que le copiste. Il fut condamné à être brûlé vif, par arrêt du Parlement de Toulouse.
L'article sur Postel dans les Mémoires de Littérature de Sallengre, cite presque tous les auteurs qui se sont occupés de ce visionnaire, et leur nombre est considérable.
Vers la même époque Geoffroy Vallée se fit remarquer par une folie de la même nature, et d'autant plus incurable qu'il se montra monomane dès sa jeunesse.
Il avait, dit-on, autant de chemises qu'il y a de jour dans l'année, et il les envoyait laver en Flandre, à une source fameuse par la limpidité de ses eaux.
Jeté au milieu de Paris, dans les excès d'une vie de dissipation, sa raison commença à s'altérer, et sa famille le mit en curatelle. Il commença alors à composer un livre dont le titre seul dénote la folie de l'auteur, et qui le fit condamner comme athée, quoiqu'en vérité, cela n'en valait guère la peine, car ce n'est qu'un tissu de confusion, d'obscurité, et de non-sens.
L'édition de ce livre fut brûlée, avec l'auteur, le 9 Février, 1574, et il n'en existe plus qu'un exemplaire unique, celui au moyen duquel on instruisit le procès de Vallée.[8]
[8] On peut voir de plus amples détails et des extraits de l'ouvrage, dans le Bulletin du Bibliophile, dixième série, page 613.
Il fut constaté au procès même, qu'il ne jouissait pas de la plénitude de sa raison, car on l'interrogea en présence du médecin.
Voici le titre de son livre lardé d'anagrammes vraiment barbares:—
Le Béatitude des Chrétiens ou le Fléo de la foy, par Geoffroy Vallée, fils de feu Geoffroy Vallée et de Girarde le Berruyer, ausquels noms de père et mère assemblez il s'y treuve: Lere, geru, vrey fléo de la foy bygarrée, et au nom du filz: va fléo règle foy, aultrement guere la fole foy.
Il paraît qu'il fut loin de s'amender en mourant, car le Journal de l'Etoile dit que conduit au supplice, il criait tout haut que ceux de Paris fesaient mourir leur dieu en terre, mais qu'ils s'en repentiraient.
Antoine Fuzy ou Fusi a droit à trouver une place dans cette section de notre Essai, comme docteur en théologie de l'université de Louvain. Il se fit recevoir docteur de Sorbonne à Paris, et il prend, dans un de ses ouvrages, les titres de Protonotaire apostolique, de prédicateur et confesseur de la maison du Roi.
Il serait difficile de trouver un galimatias plus extravagant et plus inintelligible que son pamphlet publié en 1609 contre le marguillier Vivian, qui le fit condamner à un emprisonnement de cinq ans. Son Mastigophore ou précurseur du Zodiaque est une défense de la découverte physico-médicale, qu'il croyait avoir faite, que le sang menstruel des femmes avait la propriété d'éteindre le feu. Toutes les langues vivantes ou mortes, tous les patois français, tous les argots populaires servent à exprimer la colère de l'auteur contre Nicolas Vivian, que Fuzy nomme par anagramme Juvien Solanic. Le marquis du Roure, dans son Analectabiblion, donne plusieurs extraits de cette diatribe, où brille souvent, dit-il, de la verve, une gaîté mordante et une imagination satanique. Le Franc Archer de la Vrai Eglise, contre les abus et énormités de la fausse, Paris, 1619, n'est pas moins bizarre de style, que l'ouvrage précédent. C'est une violente satire contre l'église Romaine.
Fuzy se réfugia à Genève, au sortir de prison, renonça à la religion catholique et embrassa le Calvinisme. Il est impossible de ne pas reconnaître un cerveau tout-à-fait dérangé dans ses ouvrages. Le P. Niceron lui accorde une mention particulière au tome 34 de ses Mémoires.
Autant Fuzy avait d'instruction et de connaissances, autant Simon Morin qui fut brûlé en place de Grève, le 14 Mars, 1663, était ignorant et sans lettres. Les erreurs des illuminés qui régnaient alors à Paris, enflammèrent son imagination.
Il voulut être chef de secte, et se mit à prêcher sa doctrine, qu'il publia en 1647, sous le titre de Pensées de Morin, dédiées au Roi.
Ce n'est qu'un tissu de rêveries, d'ignorances, et d'erreurs condamnées depuis dans les Quiétistes.
Le parlement le fit arrêter et le condamna à être envoyé aux Petites maisons pour le reste de ses jours; jugement aussi équitable que profondément sage, auquel Morin aurait bien fait de se tenir.
Il y échappa par une abjuration; mais, convaincu d'un prétendu second règne du fils de l'homme, il composa, en 1661, un écrit intitulé Témoignage du second avènement du fils de l'homme, où il assurait que ce n'était autre que lui-même.[9]
[9] Au catalogue de Nodier de 1829, No 66, on fait mention d'un ouvrage ayant pour titre: Avertissement véritable et assuré au nom de Dieu, 1827, in 32o dans lequel un autre illuminé se dit aussi Le fils de l'homme, et promet de ressusciter au bout de trois jours, après s'être fait jeter dans l'eau à Marseille, attaché avec des chaînes de fer, à une grosse pierre. Ce livre est un exemplaire unique, sur papier de chine.
Conduit au Châtelet, on lui fit son procès où l'on voit qu'en commençant par l'esprit avec les filles et les femmes qu'il séduisait, il allait ensuite beaucoup plus loin.
Il fut condamné en 1662, à être brûlé vif, avec ses livres, et ses cendres jetées au vent.
Le Président de Lamoignon lui ayant demandé s'il était écrit quelque part que le nouveau Messie passerait par le feu, Morin répondit qu'oui, et que c'était de lui que le Prophète a voulu parler au verset 4 du XVIe Pseaume où il est dit: “igne me examinasti, et non est inventa in me iniquitas.”
Il avait promit de ressusciter le troisième jour, et une multitude de sots s'assemblèrent, pour voir ce miracle, à l'endroit où il fut brûlé.
Morin, dit quelque part Michelet, est un homme du moyen âge, égaré dans le 17me siècle. Ses Pensées contiennent beaucoup de choses originales et éloquentes; il s'y trouve entr'autre, ce beau vers:—
François Dosche se rendit parfaitement digne d'être l'un des adhérents de Morin, par le désordre de ses idées et l'extravagance de son style. Le titre suivant d'un de ses opuscules suffit pour juger et de l'un et de l'autre:—
“Abrégé de l'arsenal de la foy, qui est contenu en ceste copie, de la conclusion d'une lettre d'un secretaire de Sainct Innocent, par luy escrite à sa sœur, sur la detraction de la foy d'autruy, lequel n'ayant de quoy la faire imprimer toute entière, il a commencé par la fin à la mettre en lumière, estant en peine d'enfanter la vérité de Dieu en luy, comme une femme enceinte, de mettre son enfant au monde.”
Les querelles religieuses, et les discussions théologiques qui agitèrent le 17me siècle, amenèrent en Allemagne et en Angleterre, les mêmes résultats qu'en France.
John Mason est un des exemples les plus frappants de la folie religieuse, par sa conviction inaltérable, jusqu'à la mort, et son enthousiasme calme et grave.
Les mystères de la théologie de Calvin et du Millenium, avaient égaré sa raison.
Il était persuadé et avait persuadé à une masse de personnes, qu'il avait mission de proclamer le règne visible du Christ qui devait établir son trône temporel à Water-stratford près de Buckingham.
Il parlait bien et sensément sur tout, excepté sur ce qui avait rapport à ses extravagantes idées religieuses. Aussitôt qu'il s'agissait de Religion révélée, il devenait immédiatement fou. Il mourut en 1695, dans la persuasion ferme et arrêtée qu'il avait reçu peu auparavant la visite du Sauveur du monde, et qu'il était réellement prédestiné à une mission divine.
Sa vie et son caractère ont été décrits par H. Maurice, recteur de Tyringham, dans un pamphlet en 4o publié l'année même de sa mort.
Jean P. Parizot égala, s'il ne surpassa point, l'extravagance du précédent. La monomanie de ce fou théologue consistait à voir clairement annoncé dans la Génèse et dans l'évangile de Saint Jean, que les trois éléments de la Trinité se trouvaient dans la nature. Le sel, générateur des choses, répond à Dieu le père, le mercure, dans son extrême fluidité, représente Dieu le fils, répandu dans tout l'univers, et le souffre par sa propriété de joindre et d'unir le sel au mercure, figure le Saint Esprit.
Les divagations inintelligibles de Parizot, sous le titre de La Foy dévoilée par la Raison, dans la connaissance de Dieu, de ses mystères et de la nature, fut dédié d'abord à Dieu, puis au Roi, et soumis au Pape, avant l'impression. Le Saint Père fit répondre que la cour de Rome avait lu son livre avec plaisir, qu'il était plein d'esprit et digne de louanges.
Là dessus le malheureux fait imprimer son travail, qui est condamné comme impie et brûlé, ce qu'il méritait bien d'ailleurs, non à cause de son impiété, mais à cause des folies qui y sont débitées.
Il est probable que Peignot en parle sans l'avoir lu, puisqu'il avance, dans son dictionnaire des livres condamnés au feu, qu'on connait peu d'ouvrages aussi licencieux. Ceci est plus qu'une exagération, si ce mot est pris dans l'acception commune, et nous ne lui en connaissons point d'autre.
Il ne serait pas difficile de citer un bon nombre d'autres écrivains, dont la théologie renversa la raison, antérieurement à notre siècle, mais ceux que nous avons cités suffiront pour cette première section, que nous terminerons par un exemple ou deux pris dans notre époque.
On a de la peine à se persuader, en lisant les pamphlets de J. A. Soubira, qu'il appartienne au 19me siècle. Ce fou fanatique s'intitulait: Apôtre d'Israel, Messie de l'univers, Poète d'Israel, Lion de Jacob, &c. &c.
Les titres seuls de ses nombreuses publications que donnent La France Littéraire et La Littérature Française Contemporaine, sont une preuve suffisante de la folie de ce malheureux, par leur incroyable extravagance. En voici quelques échantillons: Le second Messie, à Tout l'univers (1818, in 8o); Avis à toutes les puissances de la terre (1822, in 8o); La fin du monde prédite par Soubira, son époque fixe, celle de la venue du Messie d'Israel, et du premier jour de l'âge d'or, ou du nouveau Paradis Terrestre (in 8o); Le Juif errant à ses banquiers, in 8o de deux pages; Le Messie va paraître, in 8o de 4 pages; A tous les habitans du globe terrestre, in 8o de 4 pages; Gog et Magog, in 8o de 4 pages; L'Eternité du globe terrestre, in 8o de 4 pages, &c. &c.; “666” (1824, in 8o). Soubira avait trouvé une puissance extraordinaire dans ce nombre. Il publia en 1828, in 8o un autre pamphlet avec ce seul titre: “666.”[10]
[10] Par une coincidence assez singulière, on réimprima en Angleterre, en la même année et à la même époque, les idées saugrenues d'un nommé Francis Potter, sous le titre de: “An interpretation of the Number 666, wherein is shown that this number is an exquisite and perfect character, truly, exactly, and essentially describing that state of government to which all other notes of Antichrist do agree.”
L'auteur consacre 29 chapitres à prouver sa thèse, et commence le dernier en disant: “All objections are answered, and all difficulties cleared, even to such who have no knowledge in arithmetic.” Nous croyons le livre assez rare.
Le premier de ces deux opuscules se compose de neuf quatrains, précédés de plus de deux cents pages de prose, où l'auteur donne une clef de son alphabet numérique; le second a dix huit couplets ou stances de cinq vers; le nombre 666 est mis à la fin de chaque vers de chaque couplet. Voici le premier couplet, et tous sont de la même absurdité:—
| “ | Les banquiers de la France | 666 |
| Des organistes de la foi | 666 | |
| Et des concerts de la cadence | 666 | |
| Vont accomplir la loi | 666 | |
| Et contreminer l'alliance | 666.” |
Peut-être qu'un jour tous ces pamphlets seront aussi difficiles à trouver réunis, que les écrits de Bluet d'Arbères, avec lequel Soubira a une certaine ressemblance.
En 1840, un respectable négociant de Mennetout sur Cher, nommé Cheneau, persuadé qu'il avait une mission divine de réformer toutes les religions, se mit à publier des pamphlets fort bizarres.
“Les Augustin (dit Saint Augustin), les Bossuet, et autres hautes intelligences,” dit-il, “ont cultivé l'erreur, le fanatisme, et les préjugés, la preuve c'est qu'ils ont reconnu une autorité humaine au dessus de leur intelligence,” &c.
Il publie d'abord des Etrennes de vie, puis des Instructions pour avoir des enfants sains d'esprit et de corps, et aussi parfaits qu'on peut l'être.
Enfin, avant de lancer dans le monde ce qu'il appelle “la nouvelle base religieuse et son mode d'organisation, où tous reconnaîtront la puissance divine,” il publie en brochure, et fait afficher sur les murs de Paris, une protestation contre tous les oppresseurs, sous le titre de La volonté de Jehovah en Jésus le Christ, seul Dieu, manifestée par son serviteur Cheneau, Négociant.
On y lit: “J'ai dit à l'Eternel, moi son serviteur: Je préfère la malédiction des hommes à leurs bénédictions. Alors l'Eternel me dit: Marche avec la force que tu as, parle à tous les peuples de la terre… Tous ceux qui se sont dits pasteurs et les représentants de Dieu, n'importe leur base religieuse, n'ont point été reconnus par Dieu, ni les uns ni les autres… Jean Baptiste prêcha dans le désert, mais Moi je sème dans la bonne terre, c'est l'ordre que j'ai reçu.
“Je ne viens pas parler sans raisonnement à tous les peuples de la terre. J'en appelle à témoins la voix des journaux,—La Gazette de France du 27; La Quotidienne du 28 Janvier dernier; Le Constitutionnel du 8; Le Siècle du 11, et le Courrier Français du 27 février dernier, &c., voir leurs réflexions. Alors vous verrez que tous ont reconnu l'utilité et la nécessité de propager la nouvelle base religieuse, que j'ai démontrée dans un opuscule intitulé: Instructions pour avoir des enfants sains d'esprit et de corps.”
Pauvre Cheneau!
Dans le No 4, année 1855 du Neuer Anzeiger für Bibliographie und Bibliothek Wissenschaft, un auteur allemand, qui promettait l'analyse d'une bibliothèque de la bêtise et de la folie, mais nous ignorons s'il l'a continuée, cite trois livres écrits en allemand, au nom et par ordre de Dieu lui-même, par un certain Busch, et qui ont été publiés en 1855-56, à Misnie, Royaume de Saxe.
Joseph O'Donnelly fit imprimer à Bruxelles en 1854 un livre où il prétend avoir découvert la langue originelle, et son style donne la preuve la plus satisfaisante que les hommes ont oublié l'idiôme que parlait Adam.[11] Il y a en lui quelque chose du mysticisme de Bluet d'Arbères lorsqu'il dit: “Il faut que la volonté du seigneur soit faite; il donna à son serviteur (c'est-à-dire à lui, l'auteur) la clef de toutes les sciences, soit dans le ciel, soit sur la terre, accompagnée de l'équerre avec lequel il a taillé la création, comme s'il disait: Va, passe cela sur les montagnes et sur les vallées, sur la terre et sur la mer, pour que mon peuple puisse, en reconnaissant la trace de mes mains, être ramené à mes lumières.”
[11] Bulletin du Bibliophile Belge, tome 10, page 443.
On peut croire aisément qu'un pays aussi religieux que l'Angleterre n'a pas manqué de mystiques hallucinés. Un des plus curieux exemples de notre époque est la nommée Elisabeth Cottle, de Kirstall Lodge, Clapham Park. Cette inspirée est toute prête à mettre fin à toutes les petites difficultés politiques et sociales de notre époque, et à régénérer le genre humain. Dans ce but, elle a adressé successivement des mémoires à la plupart des Ministres de l'Angleterre et aux principaux souverains de l'Europe. La Reine et le Prince Albert ont également reçu de ses effusions prophétiques. Au commencement de cette année, elle envoya une lettre imprimée à Mr Bright, le membre du parlement, pour l'informer, en style apocalyptique, qu'elle était devenue son adversaire, parce qu'il voulait trop étendre le droit de voter.
Peut-être la plus curieuses des pièces de ce genre est son adresse à l'Empereur des Français et au Roi de Sardaigne, après la dernière campagne d'Italie. Elisabeth Cottle, qui se donne elle-même la qualification d'Ange, ne voulant pas, sans doute, que ses conseils soient mal interprétés, a eu soin d'envoyer des duplicata de cette adresse à Lord Palmerston et à un Ministre de Prusse.
Le fait rapporté dans l'Evangile que St Pierre en prison était gardé par quatre centurions, est d'après elle une allusion à la quadruple alliance de 1815, et au quadrilatère de fortresses autrichiennes en Italie.
Pour donner une idée de sa manière d'énoncer ses pensées, nous présenterons aux lecteurs un extrait de cette pièce:—“Revelat. VII. verse 10. When they (the allied armies of France and Sardinia) were passed the first and second ward (by crossing the Ticino, after the battle of Magenta) they came to the iron gate (of the iron crown of Lombardy) that leadeth into the city (of Milan), which opened to them of his (the Mayor's) own accord, and they went out (of Milan to the battle of Melegnano) and passed on (to Mantua) through one street (one line of victory of Montebello and Solferino, and the meeting of) the two (Imperial) soldiers (at Villafranca). Psalm LXXXV. verse 10-13. And forthwith the Angel (the Emperor of France) departed from them (at the Court of Turin, to receive the Italian army at Paris), and the Italians were left to work out their own salvation,” &c. &c.
Avec l'assistance d'un ecclésiastique, qu'elle prétend être un nouveau St Pierre, cette illuminée veut établir une nouvelle église; et il paraît qu'elle a déjà plus d'une centaine d'adhérents.
Le Docteur Calmeil, dans son ouvrage sur la Folie, déjà cité, fait observer que la théomanie, ou cette aberration d'esprit qui se rapporte à la mysticité, aux anges, à la prédiction des événements, &c. a parfois attaqué des populations entières, et il en donne plusieurs exemples.
Cette nature épidémique de la monomanie religieuse, toute exceptionnelle, et dont la cause est inconnue, peut seule expliquer comment il est possible d'inspirer d'autre sentiment qu'une profonde pitié, lorsqu'on écrit des épîtres dans le goût de celle qui suit, et que nous avons choisie entre plusieurs, toutes plus bizarres l'une que l'autre:[12]
[12] Il est à remarquer que toutes ces pièces sont imprimées, distribuées au public, et même souvent adressées per Mrs Cottle aux membres du Parlement.
To the Reverend John Scott and the churchwardens and congregation of All Saints' Church, in this New Park Road.
“Matt. xviii. 20; Judges i. 11. And there came (after the opening of this new church, in this New Park Road, in the autumn of 1858) an angel (Elizabeth Cottle) of the Lord (Jesus—Rev. xxii. 16), and sat (‘in the mercy-seat,’ No. 62) under an oak (roof in this All Saints' Church) which was in Ophrah (a city—which Clapham Park was near, the New Jerusalem—London—of the new name of Cottle—Rev. iii. 11-13), that pertained (Rom. ix. 4) unto Joash (the orthodox body that despairs, or that burns, or is on fire).
“The Abi-ezrite (the Father of help, or my Father is my help), and his (Trinitarian) Son Gideon (the Rev. John Scott) threshed (Isa. xxviii. 28; xli. 15, 16) wheat (Jews—worked for the Society for the Conversion of the Jews) by the wine-press (sacramental table), to hide it (the truth of his Father, God, in the mystery of the Trinity—Ps. xxvii. 5) from the Midianites (the Trinitarians). Midian—judgment, habit, covering; Gideon—he that bruises and breaks the bruised reed or sceptre, by cutting off iniquity; Trinity Gods. Isa. xlii. 3, 4; liii. 5-10; Matt. xii. 10; Heb. xi. 32-34, 39, 40.”
Cette extravagance rappelle celle de Jeanne Southcote, cette hallucinée laide, vieille et ignorante, rêvant le bonheur de la maternité; et persuadant qu'elle avait reçu une mission divine à de nombreux sectaires qui préparaient, dans leur enthousiasme inexplicable, un berceau et de magnifiques habits pour leur nouveau Messie.