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Histoire littéraire des Fous

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DEUXIEME SECTION.

EPIGRAPHES.

“Fellow, thy words are madness.”
....... .......... ...
“No, Madam, I do but read madness.”

Shakespeare, Twelfth Night.

“… He raves; his words are loose
As heaps of sand, and scatter'd wide from sense;
So high he's mounted on his airy throne,
That now the wind has got into his head,
And turns his brains to frenzy.”

Dryden.

BELLES LETTRES.

Ici les écarts de l'esprit humain ne font qu'effleurer les objets. L'imagination ne les touche que d'un main légère. Les figures, les tropes et les analogies bizarres sont les instruments dont elle se sert. Elle galope et bondit comme un cheval sans frein, ou pirouette sur elle-même comme une toupie, qui paraît d'autant plus immobile que son mouvement est plus rapide.

Les spéculations de longue haleine font rarement partie de ces sortes d'aberrations mentales. L'esprit s'occupe d'avantage du mode et de la forme d'expression des idées, que de la nature abstraite et de la valeur de ces idées elles-mêmes. La surface des choses est tout ce qu'il peut saisir. Les émotions qu'éveille cette sorte de folie sont d'une nature générale, et produites par une très grande variété d'objets. Aussi les forces intelligentes de l'individu étant moins concentrées que dans les fous qui s'occupent d'idées philosophiques ou théologiques, l'épuisement est beaucoup moins grand.

Le premier, dans l'ordre de date, qui se présente dans cette section, est un professeur de l'université de Salamanque, nommé de Arcilla, né au milieu du seizième siècle.

Il avait déjà donné son cours d'histoire pendant deux ou trois ans, lorsqu'il tomba dans une profonde mélancolie, qui se termina bientôt en folie déclarée. Comme il était docile et doux, ses amis en prirent soin. Il employait tout son temps à écrire de nombreux essais qu'il intitulait: Programme d'histoire universelle.

Son idée fixe était que les annales telles que nous les avons, des Egyptiens, des Juifs, des Grecs et des Romains, avaient été composées par des fanatiques et des insensés, et que les hommes avaient existé de toute éternité. Dans l'espoir d'amener quelque calme dans son esprit malade, ses amis consentirent à publier un ouvrage renfermant le résumé de ses idées absurdes. Ce livre porte le titre de: Divinas Flores Historicas.

Un exemplaire s'en trouve dans la Bibliothèque Royale de Madrid.

Ici du moins le raisonnement joue encore un certain rôle, mais le dérangement du cerveau est bien plus complet dans Guillaume Dubois, sur lequel Pluquet, dans ses curiosités littéraires et Mr Edouard Frère, dans son Manuel du Bibliographe Normand, nous donnent des renseignements. Ce Dubois publia à Paris en 1606, in 12o un ouvrage à peine intelligible intitulé: “Les œuvres de Guillaume Dubois, natif de la paroisse de Pulot en Bessin, et ouvrier du métier de maçon, maistre tailleur de pierre à la ville de Caen, où il lui a été donné le don d'écrire en poésie françoise, par un ordre alphabétique, pour opposer au fantastique, comme on pourra voir en ce petit livre.” Six pièces singulières et rares sont réunies sous ce titre.

Shakespeare a dit que l'aliéné, l'amoureux et le poète

Are of imagination all compact.

C'est en Angleterre que nous trouvons la preuve vivante de cette expression poétique du dramatiste anglais, dans la personne de Nathaniel Lee, né à la fin du dix-septième siècle.

Les compositions de Lee ont été louées par Addison. Ses vers sur la passion de l'amour prouvent qu'il la comprenait comme un esprit dérangé, et ses actes nous le montrent dans un si constant état de folie, qu'un soir qu'il composait un de ses drames dans sa cellule à Bedlam, un nuage venant à passer sur la lune qui l'éclairait pour écrire, il s'écria soudain: Jupiter, mouche la lune! Jove, snuff the moon!

Dryden, dans une lettre à Dennis, raconte que Lee répondit à un mauvais poète qui lui disait qu'il était facile d'écrire comme un fou: comme un sot, oui, mais comme un fou, non, It is very difficult to write like a madman, but it is very easy to write like a fool.

Il composa treize tragédies. Lorsqu'on dut l'enfermer, jeune encore, à Bedlam, il continua à écrire dans un style des plus ampoulés, mais on rencontre assez souvent dans ses écrits des passages qui témoignent d'une imagination puissante. Malgré ces éclairs de génie, on ne peut s'empêcher en le lisant, de sourire à la description de ses caractères impossibles, de ses sentiments extravagants, et de ses héros en dehors de toute vérité. Il mourut à 34 ans.

Si nous avons assez généralement l'idée qu'il y a de certains rapports entre la folie et les élucubrations des poètes, nous ne nous figurons guère l'auteur d'un livre d'érudition, devenir fou par amour.

Ce fut le sort d'Alexandre Cruden qui perdit la raison à la suite d'une passion malheureuse pour la fille d'un ecclésiastique de la ville d'Aberdeen en Ecosse.

Il n'avait guère que vingt ans, et ne recouvra jamais complètement l'esprit. Nous donnons dans ce volume sa Biographie détaillée.

Un contraste frappant se rencontre, chez Christophe Smart, compatriote de Cruden, et qui développa une puissance poétique remarquable au milieu de sa déraison. Ayant reçu une éducation brillante à Cambridge, il fut couronné durant cinq années de suite, pour la composition du meilleur poème.

Atteint, en 1754, d'une folie qui ne permettait pas même de lui laisser la liberté, et non seulement enfermé dans une maison d'aliénés, mais privé dans sa cellule, de papier, de plume, et d'encre, il composa un poème de près de cent strophes, à la Gloire du Roi prophète David. Quelques unes ont le cachet d'un véritable poète. Ces vers, tracés à l'aide d'une clef, sur les panneaux de bois de sa chambre, doivent faire douter qu'il fut réellement fou lorsqu'il les composa.

Les pensées et le langage sont nobles et dignes, dans les strophes qui suivent:—

He sang of God—the mighty source
Of all things—the stupendous force
On which all strength depends;
From whose right arm, beneath whose eyes
All period, power, and enterprise
Commences, reigns, and ends.
Sweet is the dew that falls betimes,
And drops upon the leafy limes;
Sweet Hermon's fragrant air;
Sweet is the lily's silver bell,
And sweet the wakeful taper's smell
That watch for early prayer.
Sweeter in all the strains of love,
The language of the turtle-dove,
Pair'd to thy swelling chord;
Sweeter, with every grace endued,
The glory of thy gratitude
Respired unto the Lord.
Strong is the lion—like a coal
His eye-ball—like a bastion's mole
His chest against his foes;
Strong the gyre-eagle on his sail;
Strong against tide, the enormous whale
Emerges, as he goes.
But stronger still, in earth and air,
And in the sea, the man of prayer,
And far beneath the tide,
And in the seat to faith assign'd
Where ask is have, and seek is find,
Where knock is open wide.
Glorious the sun in mid career;
Glorious the assembled fires appear;
Glorious the comet's train;
Glorious the trumpet and alarm,
Glorious the Almighty's stretched-out arm;
Glorious the enraptured main.
Glorious—more glorious is the crown
Of Him that brought salvation down
By meekness, call'd thy Son;
Thou that stupendous truth believed,
And now the matchless deed's achieved,
Determined, dared, and done.

On croirait presque lire une des paraphrases des psaumes par J. Bte Rousseau:—

Il chanta Dieu d'abord,—Dieu, la fin et la cause,
Le pouvoir immuable, imposant, grandiose,
Eternel et toujours divers;
Dont le bras nous soutient, dont l'œil perçant nous guide,
Qui par sa volonté, d'un mot, peuple le vide.
Et qui règne sur l'Univers, &c.

Smart mourut en 1770. Il traduisit les psaumes, Phèdre, et Horace en prose. Ses poèmes furent publiés en 1791. Garrick et Johnson l'honorèrent de leur amitié, et ce dernier écrivit sa biographie. Tantum est in rebus inane!

Peut-être que si Smart, malgré ses accès de folie, eût été laissé en liberté, comme Edme Billard, dont le public Parisien s'amusait, à peu près vers la même époque, et dont nous dirons quelques mots, peut-être qu'il serait mort aussi tranquillement.

Edme Billard se croyait un génie incompris. Un jour, il se lève à l'orchestre du Théâtre Français, apostrophe le parterre, en leur racontant ses griefs contre les Comédiens, les supplia de faire jouer de force sa comédie du Suborneur, et fut conduit à Charenton. On a de lui quatre pièces: Le joyeux moribond, Genève, 1779; Voltaire apprécié, sans date; Le Pleureur malgré lui, sans date; Le Suborneur, en cinq actes, Amsterdam et Paris, 1782.

La seconde et la troisième de ces pièces ne sont pas indiquées par Quérard. Dans le Pleureur malgré lui, les personnages sont M. Parterre, Mme Loge, et M. Balcon.

Quoiqu'évidemment sorties d'un cerveau malade, ces pièces ne manquent pas d'une certaine gaîté, qui nous empêche de compatir aussi vivement à cette sorte de folie, qu'à celle de l'infortuné dont nous allons nous occuper.

Thomas Lloyd se persuadait qu'il était le plus sublime poète qui eut existé. Les annales d'aucune maison d'aliénés ne présentent peut-être un mélange plus hétérogène que celui-ci, de malice, d'orgueil, de talent, de mensonge, de vils défauts et de grandes qualités.[13]

[13] Dans les Sketches in Bedlam, or Characteristic Traits of Insanity,—London, Sherwood, 1823, in 8o pp. 30 et suiv.,—on trouve des détails sur lui et d'autres fous singuliers.

Dès qu'il pouvait se procurer un morceau de papier, il se mettait à composer des vers. Mais comme généralement ils ne lui plaisaient pas, il les jetait dans sa boisson, pour les nettoyer, disait-il. Tout ce qu'il a mis dans ses poches, ou tout ce qu'il trouve sous la main, sa manie est de le mêler ainsi à ce qu'on lui donne à manger et à boire: petits cailloux, tabac, morceaux de cuir, os, charbons, sont jetés dans son potage, et cela d'après un procédé scientifique, à ce qu'il prétend. Le cuir le clarifie, les cailloux le purifie, le charbon le minéralise; telle chose y ajoute un acide agréable, telle autre, un alkali utile, et ainsi de suite. Si l'on n'y prend pas garde, il avale le tout, avec le goût d'un Apicius.

Il proclamait en toute occasion qu'il avait une connaissance universelle des langues anciennes et modernes, que les sciences, l'histoire, la musique, lui étaient très familiers.

Plusieurs fois on le remit en liberté, mais toujours on fut obligé de l'enfermer de nouveau, après un peu de temps. Successivement il fut logé dans diverses maisons d'aliénés de Londres et des environs, et vécut au delà de soixante ans. Voici un exemple de son talent poétique, qui était parfois réellement remarquable; mais excepté la pièce dont nous citons un extrait, il est très douteux que rien ait été conservé.

....... .......... ...
When disappointment gnaws the bleeding hearts;
And mad resentment hurls her venom'd darts;
When angry noise, disgust, and uproar rude,
Damnation urge and every hope exclude;
These, dreadful though they are, can't quite repel
The aspiring mind, that bids the man excel.
....... .......... ...
To brighter mansions let us hope to pass,
And all our pains and torments end. Alas!
That fearful bourne we seldom wish to try,
We hate to live, and still we fear to die.
....... .......... ...
Pro bono publico, I do write what is true,
Nor care what others think, or say, or do.
Three-score long years' experience have I had,
Through thick and thin, and still I am not dead.
....... .......... ...
Shut up in dreary gloom, like convicts are,
In company of murd'rers! Oh! wretched fate!
If pity e'er extended through the frame,
Or sympathy's sweet cordial touch'd the heart,
Pity the wretched maniac, who knows no blame,
Absorbed in sorrow, where darkness, poverty, and every curse impart.
Methinks that still I see a brighter ray,
That bids me live, to see a happier day,
And when my sorrows, and my grief-worn spirit flies,
My Maker tells me—fear not, Lloyd,—it never dies.
This cheering hope has long supported me,
I live in hope much happier days to see…

Ces vers furent écrits vers 1817. On y trouve un sentiment de mélancolie, qui pourrait faire douter, comme dans le cas du poète Christophe Smart, si l'intelligence qui rencontre de pareilles expressions pour ses pensées, peut être absolument dérangée. L'un et l'autre néanmoins sont morts dans un état complet de folie, après une longue détention.

M. Forgues[14] nous a donné la description d'une visite à Bicêtre, où il s'est occupé des fous littéraires. Les faits qu'il rapporte font regretter qu'il n'ait pas jugé à propos de saisir cette occasion pour développer davantage ce sujet. Il cite un certain Pentecôte dont la chimère favorite consistait en ce qu'il se croyait l'inventeur d'un système infaillible pour s'emparer d'Abd-el-Kader. Il existe plusieurs de ses lettres adressées au Roi, où il revendique avec acharnement la qualité d'homme de lettres. “J'ai plusieurs ouvrages littéraires à terminer,” écrit-il à M. Deleffert. “J'ai fait en littérature de fort beaux ouvrages,” dit-il, “dans une requête à l'administration des hospices.”

[14] Revue de Paris, 3me série, tomes 25 et 26, année 1841.

Il adressa une lettre à un des aliénés qui avait voulu se donner la mort. Sans être un modèle d'éloquence, elle ne manque ni de suite ni d'onction.

M. Forgues cite encore des vers anonymes, et des titres de compositions tels que: Ma NémésisLe Fou,—Souvenirs de jeunesse, &c. Dans le morceau intitulé le Fou, on trouve cette apostrophe originale:—

Malheureux conducteur de ta machine usée.

L'auteur fait ailleurs allusion à une tentative de suicide qui fut déjouée, à ce qu'il semble: “Mon Dieu!” ajoute-t-il.

Mon Dieu vous m'avez vu chaque jour vous prier
De terminer la vie que je n'ai pu m'ôter!
Ami, qui m'empêchas, viens donc me consoler!

Ce dernier vers semble émaner d'un vrai sentiment poétique.

Un des plus féconds romanciers de l'Allemagne, Johan Carl Wezel, né en 1747, tomba à 39 ans dans un état complet d'aberration mentale après une vie laborieuse. D'abord il eut l'idée de fonder une maison de banque, pour laquelle il fabriquerait lui-même les billets. Il fuyait toute société, laissa croître ses cheveux et ses ongles, et malgré les soins du docteur Hahnemann, sa folie devint chronique. Il passa le reste de ses jours à Sondershausen, lieu de sa naissance, jusqu'en 1819, époque de sa mort.

De temps à autre quelques éclairs de raison se laissaient appercevoir, mais toute idée poëtique l'avait abandonné, et en écrivant il se croyait être dieu. On lui permit même d'imprimer quelques unes de ses élucubrations sous le titre de Opera Dei Wezelii W. S. des Gottes.

On a fait en Amérique une attention particulière aux phénomènes intellectuels que présente la folie. Dans plusieurs des journaux de ce pays ont paru, de temps à autre, des articles intéressants sur cette matière. Les bornes dans lesquelles nous devons nous renfermer, ne nous permettent pas d'entrer dans des détails qui seuls rempliraient un volume, mais nous citerons l'histoire d'un nommé Milman, qui naguère excita singulièrement l'attention dans l'état de Pensylvanie, et fut répétée par un grand nombre de journaux. Milman était un avocat d'une fortune indépendante. Le jour où allait se célébrer son mariage, et tandis que la fiancée se parait pour aller à l'autel, un violent orage éclata, et elle fut frappée par la foudre, au milieu de son appartement.

La nouvelle de ce malheur fut portée, avec tous les ménagements possibles, à l'infortuné Milman, dont l'imagination éprouva néanmoins une telle commotion, qu'il tomba évanoui. Lorsqu'il revint à lui, il éclata d'un rire insensé, et l'on vit bientôt, qu'il avait complètement perdu la raison.

Comme sa démence lui laissait de longs intervalles d'apparente tranquillité, on espéra le guérir, mais son esprit resta égaré jusqu'à sa mort, et l'on fut obligé de l'enfermer dans une maison de sûreté. Ses parens étaient riches, et sa folie, d'une nature assez paisible pour permettre que de temps à autre on lui fît faire des excursions à la campagne, pour sa santé: on le menait quelquefois pour deux ou trois jours de suite, sur les bords pittoresque de l'Hudson. De là il écrivait des lettres à ses amis, dans ses moments lucides; mais jamais on ne pouvait le laisser seul trois heures de suite, sans craindre de le voir retomber dans un accès de démence, ou dans un état de prostration stupide. Voici deux morceaux écrits durant ces intervalles,[15] l'un est la description des dispositions où il faut être, pour jouir du loisir de la campagne, l'autre la description d'un cheval échappé, que l'on finit par reprendre.

[15] Réunis, avec beaucoup d'autres dans: Records of Pennsylvania; Philadelphia, 1802, et réimprimés dans un des journaux de cette ville, en 1840.

“Nobody has any business to expect satisfaction in a pure country life for two months, unless they have a decided genius for leisure. If a man expects to live in a country, of course he must have something to do, and do it all the while. But to gather up yourself, and sit down in a plain country house, without bears and lions about it, without anything to do, but to rest, with no marvels or phenomena, but only the good, real, common country;—if you mean to be happy in this, I repeat you should have the element of leisure very full and powerful within you. You cannot be happy if you are in a hurry. You must not be in a hurry to get up or sit down; you must not be in a hurry to get up in the morning, or to retire at night; you must regard it quite the same whether you look at a tree ten minutes or thirty; if you walk out, never must you look at your watch; go till your return; if you sit down upon a breezy fence or wall, it should be a matter of indifference to you, whether it be four o'clock, or five, or six. There can be no greater impertinence than to say, ‘It is time to go!’ There is no such thing as time to a man in a summer vacation.

***** ***

“Yet amid the tranquil, dreaming, gazing life, one cannot always be quite as serene as one would. For example, this morning, while the dew was yet on the grass, word came in that Charley had got away. Now Charley is the most important member of the family, and as shrewd a horse as ever need be. Lately he had found out the difference between being harnessed by a boy and a man. Accordingly, on several occasions, as soon as the halter dropped from his head, and before the bridle could take its place, he proceeded to back boldly out of the stable, in spite of the stout boy pulling with all his might at his mane and ears. This particular morning we were to put a passenger friend on board the cars at 8.10; it was now 7.30. Out popped Charley from his stall like a cork from a bottle, and lo! some fifty acres there were in which to exercise his legs and ours, to say nothing of temper and ingenuity. First, the lady, with a measure of oats, attempted to do the thing, by bribing him genteelly. Not he! he had no objection to the oats, none to the hand, until it came near his head, then off he sprang. After one or two trials, we dropped the oats, and went at it in good earnest—called all the boys, headed him off this way, ran him out of the growing oats, drove him into the upper lot, and out of it again. We got him into a corner with great pains, and he got himself out of it without the least trouble. He would dash through a line of six or eight whooping boys, with as little resistance as if they had been as many mosquitoes! down he ran to the lower side of the lot, and down we all walked after him. Up he ran to the upper end of the lot, and up we all walked after him—too tired to run. Oh! it was glorious fun! the sun was hot. The cars were coming, and we had two miles to ride to the depôt! He did enjoy it, and we did not. We resorted to expedients—opened wide the great gate of the barn-yard, and essayed to drive him in, and we did it too, almost; for he ran close to it,—and just sailed past, with a laugh as plain on his face as ever horse had! Man is vastly superior to a horse in many respects, but running on a hot summer day, in a twenty-acre lot, is not one of them. We got him by the brook, and while he drank, oh, how leisurely! we started up and succeeded in just missing our grab at his mane. Now comes another splendid run. His head was up, his eyes flashing, his tail streamed out like a banner, and glancing his head this way and that, right and left, he allowed us to come on to the brush corner, from whence, in a few moments, he allowed us to emerge and come afoot after him, down to the barn again. But luck will not hold for ever, even with horses. He dashed down a lane, and we had him. But as soon as he saw the gate closed, and perceived the state of the case, how charmingly he behaved! allowed us to come up and bridle him without a movement of resistance, and affirmed by his whole conduct that it was the merest sport in the world, all this seeming disobedience; and to him I have no doubt it was!”

On fait observer, dans l'ouvrage dont nous extrayons ces deux morceaux, que ce qui ajoute encore à l'étrangeté du cas de Milman, c'est qu'avant sa folie, il ne montra jamais la moindre disposition pour tout ce qui tient à l'imagination; son aptitude naturelle le portait vers les sciences positives et abstraites. Mais, dès que les opérations de ses facultés intelligentes sont arrêtées dans leur marche régulière, ses idées prennent une teinte de plaisanterie et de satire.

Assez rarement il arrive que le sculpteur, le peintre ou le graveur deviennent poètes après avoir perdu la raison. C'est pourquoi nous avons un double motif en insérant ici le nom de Luc Clennell, l'élève le plus distingué du célèbre Bewick, comme dessinateur et graveur sur bois.

Clennel naquit près de Morpeth, dans le Northumberland, en 1781. Après avait terminé ses sept années d'apprentissage sous Bewick, il vint à Londres en 1804. Il excellait également dans les aquarelles, et les encouragements qu'il reçut comme peintre, l'engagèrent à s'adonner exclusivement à ce genre, et à abandonner la gravure sur bois. En 1814, le Comte de Bridgewater lui avait commandé un important travail, dont il s'occupait avec ardeur, lorsqu'en 1817 il perdit soudainement la raison. Jamais ses plus intimes camarades n'avaient aperçu précédemment le moindre symptôme de folie dans ses actes, ni dans ses paroles. Il est digne de remarque que sa femme, peu après, fut aussi frappée de folie, ainsi que le peintre E. Bird, chargé d'achever le tableau commandé par le Comte de Bridgewater.

Après avoir subi une réclusion de quatre ans environ dans un hospice d'aliénés, il devint possible de lui accorder une certaine liberté, et l'un de ses parents, qui habitait les environs de Newcastle, le prit chez lui. Il y demeura pendant plusieurs années, tranquille et doux, mais privé de raison.

Vers 1831, on fut de nouveau obligé de l'enfermer dans une maison de Santé, à cause de ses moments de violence. Dans ce lieu, comme auparavant chez son parent, il s'amusait, en ses moments de calme, à dessiner et à écrire de la poésie, et chose curieuse, ce qu'il faisait de moins mal, était les vers. Voici une des différentes pièces de sa composition que ses amis rassemblèrent.

L'ETOILE DU SOIR.

Look! what is it, with twinkling light,
That brings such joys, serenely bright,
That turns the dusk again to light?
'Tis the evening star!
What is it, with the purest ray,
That brings such peace at close of day,
That lights the traveller on his way?
'Tis the evening star!
What is it, of purest holy ray,
That brings to man the promised day,
And peace?
'Tis the evening star!

A la même époque environ, au commencement de ce siècle, la république des lettres fut surprise d'apprendre l'apparition d'un nouveau poète, simple paysan du Northamptonshire, dont la gloire était annoncée par des juges d'ordinaire très sévères, et peu livrés à l'enthousiasme du moment. Après une longue attente, et bien des délais, John Clare parvint enfin à faire publier ses vers à Londres vers 1825. Ce recueil prouva que John Clare était un poète original. La lutte visible entre la pensée et l'expression pour la représenter, amenait souvent un résultat d'une beauté inattendue. De riches et puissants protecteurs l'aidèrent momentanément, mais l'inconstance du public, et des difficultés d'argent, exercèrent une influence si fatale sur le pauvre John Clare, que sa raison l'abandonna. Des amis qui allèrent le voir il y a peu d'années, disent que sa folie était douce et tranquille. Mme Mary Russell Mitford, dans ses Mémoires, nous apprend qu'elle possède quelques pièces de ses vers, écrites au crayon, qui prouvent qu'il avait gardé tout son talent pour la facture du vers et pour le rythme.

Sa mémoire était si vive et si tenace qu'il s'assimilait absolument à ce qu'il avait lu, ou ce qu'il entendait raconter.

Il dépeignait par exemple l'exécution du Roi Charles I. comme un événement arrivé hier, et dont il prétendait avoir été un témoin oculaire. Tout était représenté avec une fidélité si parfaite et si graphique quant aux costumes et aux usages du temps, qu'il est probable qu'il n'eût pu raconter le fait aussi bien, lorsqu'il possédait toute sa raison. C'est une pareille lucidité que les partisans du magnétisme animal qualifie de Clairvoyance.

Clare vous racontait de la même manière la bataille du Nil et la mort de Nelson, s'imaginant qu'il était un des matelots témoins de l'action. Il y avait une admirable exactitude dans ses termes nautiques, quoiqu'il est probable qu'il n'avait jamais vu la mer de sa vie.

Un fou d'un autre genre, Olivier Ferrand, mort à Rouen en 1809, composa un nombre considérable de pièces de théâtre qui par le style et la conception sont de véritables parodies. Un amour propre excessif lui bouleversa le cerveau, à en juger par l'inscription placée sous son portrait dans: Les Muses éplorées, ou Gilles régisseur du Parnasse, pour servir d'apothéose au célèbre Ferrand. An IX. in 8o.

Sept villes de la Grèce ont disputé l'honneur
D'avoir donné la lumière
Au chantre d'Ilion. Et du nouveau Voltaire,
Du célèbre Ferrand et la Bouille et Honfleur
Et le Havre et Rouen, veulent être la mère.

Le Manuel du Bibliographe Normand par M. Edouard Frère nous apprend que Mme Canel et Lebreton ont écrit la vie de ce singulier personnage qui s'intitulait: Membre de l'Athénée d'Evreux et Ecuyer de Franconi (!), homme de lettre à Rouen.

Ses œuvres dramatiques sont devenues d'une grande rareté. Mr Frère en a donné la liste complète.

Si, dans ce qui précède, nous avons souvent eu l'occasion de nous étonner de l'intelligence qui se rencontre dans les compositions des fous, il est peut-être plus étonnant encore de voir les folies qui sont sorties du cerveau d'écrivains intelligens et sensés. Elles sont parfois poussées si loin, qu'on ne peut s'empêcher d'y trouver la confirmation de l'idée du Dr Gregory, déjà citée au commencement de cet essai: “Nulla datur linea accurata inter sanam mentem et vesaniam.

M. G. Desjardins publia à Paris, en 1834, sous le titre de Première Babylone, la première partie d'un vaste drame, Sémiramis la Grande, d'une originalité, pour ne rien dire de plus, tout-à-fait hors ligne.

Voulant, dit-il, dans son introduction intitulée Porte Cyclopéenne, peindre, dans un large tableau, son pays de face et les autres pays de trois quarts ou de profil, il ébaucha une immense composition trilogique, La Révolution, Napoléon, et le Monde de l'avenir.

“Projetant,” ajoute-t-il, “une longue parabole ou courbe unitaire sur ces trois grandes têtes de la Gloire Française,[16] il veut les lier entr'elles d'un nœud indissoluble, et donner à son siècle un évangile des peuples libres!”

[16] Le Monde de l'avenir qui est une tête de la gloire Française! Stupete gentes!

Il suppose alors qu'il trouve un rouleau de papyrus Egyptien de 4,000 ans de date, écrit en hiéroglyphes qu'il déchiffre ainsi:—

Sémiramis Trismegiste (trois fois grande), Journée de Dieu, en cinq coupes d'amertume.

Ces cinq actes ou cinq coupes d'amertume sont intitulés: Le Deuil, La Complicité, La Résurrection, Le Combat, Le Prêtre et la Mort. Outre la bizarrerie extraordinaire des vers et des idées, une des curiosités de ce drame, qui se compose de plus de 500 pages grand en 8o, est que plusieurs passages sont imprimés en caractères Hébreux, Persans, Arabes, Chaldéens, &c. &c.

Il s'ouvre par une description allégorique de ce que l'auteur appelle Les années climatériques du genre humain. Le style plein de grands mots pompeux, recouvre des idées généralement très incohérentes, mais qui prouve une singulière facilité dans la facture du vers.

Dans la scène intitulée: Retentissement des oracles, Ophis, Prince des Rois, écrit ce vers, avec la pointe d'une glaive, sur le trône d'Asshur:

Asshur-le-tombé, tombe, et tombe foudroyé!

Puis tous se retirent, et Asshur-le-tombé reste seul, et frappé par la lecture de ce vers, commence ainsi un long monologue:—

D'où part le trait brûlant dans mon âme envoyé,
L'éclair qui se plongeant dans mes destins moins sombres,
Pour les montrer sanglants, en dissipent les ombres?
Quoi donc? de l'action le cours impérieux
Passe-t-il en effet dans la sphère des Dieux,
Que l'orgueil indompté de mon mâle génie
Se débat sous le poids d'une force infinie?
***** ***

Dans la scène: Le retentissement des chutes de Babel, Sémiramis la Grande étant venue s'asseoir sur l'un de ses trônes, devant la cité des morts, plusieurs nations passent au fond des portiques et dialoguent entr'elles, dit l'auteur, puis s'éloignent successivement, et se voilent la tête en signe de douleur.

A cause de sa longueur, nous regrettons de ne pouvoir insérer ici, comme exemple de galimatias, l'introduction en prose, par laquelle l'auteur commence la quatrième coupe d'amertume. Dans la cinquième coupe, dont une partie est en prose et en récit, des voix innombrables et caverneuses (textuel) sortent des profondeurs de la terre, et le Prince des prophètes, Jugement-de-Dieu, leur dit:—

Levez vous! secouez d'une aile immense et lente
De trois mille ans de nuit la poussière éloquente!

et ces formidables amas de générations s'écrient toutes ensemble, du fond de leurs sépulcres:—

Par rang horizontaux, vois, nous nous levons tous!…

“Alors les rois, princes et chefs innombrables de peuples (textuel) de commencer pêle-mêle, une sorte de ronde ou de chaîne immense, appuyée par derrière des trépignements et acclamations des peuples.”

“Dans ses rangs se trouvent mêlées et entraînées, et bêtes et brutes contemporaines des vieux acteurs de cette scène apocalyptique; toute création, toute multiplication des êtres produits, reptiles, oiseaux, bêtes à quatre pieds, de toute chair, foisonnant et se mouvant; les grands lions dans les rangs des gigantesques guerriers; les dromadaires, les autruches, les girafes, les boas, élevant leurs longs cols, ou avançant en spirales, au milieu des races d'homme voyageuses; les hauts éléphants, les colossales mastodontes leurs aînés, dressant le monstreux serpent de leur trompe, au dessus des têtes et des cornes des vieilles races princières, royales et antédéluviennes. Et au dessus d'eux tous, la cigogne, l'ibis, les grands vautours déploient leur vol; tous roulent ensemble les flots épais de leur ronde, tous éclairés dans le voyage de leur chaîne tournoyante, des rayons de la face rouge et enflammée de Dieu, et grommelant, rugissant et hurlant ces paroles, chacun dans sa langue, en tournoyant:”

L'assemblée mystérieuse.

Figurons et l'orage et l'effrayant tonnerre
Qui gronde autour du Mont qui corrompit la terre!
Durant la longue horreur d'un jour de châtiment,
Imitons les rigueurs du dernier Jugement.
***** ***

La scène suivante, intitulée: Le bain de sang, est tout aussi extraordinaire, mais nous en avons assez dit pour que le lecteur puisse juger de l'œuvre, et nous avons hâte d'arriver à l'examen d'un livre dépassant de beaucoup le précédent en extravagance.

C'est un poème de 724 pages, in 8o (1858), composé par M. Paulin Gagne, avocat et auteur d'autres compositions poétiques.[17]

[17] Telles que Le Suicide, La Monopanglotte, ou langue universelle, Le Délire, L'Océan des Catastrophes.

L'Unitéide, ou la Femme-Messie, est ainsi que le dit l'auteur, un poème universel en douze chants, et en soixante actes, dont l'action se passe en l'an de grâce 2000 de l'Ere Chrétienne, et dont chaque chant forme un tout complet.

On y rencontre la plus bizarre agglomération de noms fantastiques et de vers saugrenus, que puisse inventer le cerveau humain.

La table des matières mériterait de trouver place dans un recueil de facéties.

Dans le drame on voit parler et agir tour-à-tour l'Ane-Archide,

Fille du despotisme et de la Liberté.

Demounas, le précurseur de l'Antechrist, la Panarchie, la Dive Insania, le Bœuf Apis, l'Archimonde et son illustre épouse La Presse, la Pataticulture, et vingt autres personnages tous plus extraordinaires les uns que les autres. Mais ces noms bizarres ne sont rien en comparaison de la bizarrerie des vers et des idées, qu'il serait difficile de faire comprendre, à qui n'a pas le livre sous les yeux. Essayons d'en donner une esquisse.

Tournant en anagramme les noms des réformateurs socialistes modernes, l'auteur les met en présence de l'Ane-Archide qui leur dit:—

Parlez donc;
Sans dormir, si je puis, j'écouterai vos rêves.
Parlez Pierre Xourel, Nodourp, Urdel-Nillor,
Louis Cnalb, George Nas, Narrédisnoc sans or,
Tebac, Oguh sans peur, et vous tous grands apôtres
Qui prétendez marcher sur la tête des autres.

Alors le poète expose, par leur bouche, les divers systèmes de ces Messieurs, (tels qu'il les comprend, bien entendu,) dans une série de vers incroyables.

Le premier chant se termine par l'entrée de la Femme-Messie à Paris.

Le second chant nous présente une partie des mêmes personnages, augmentés des ambassadeurs du Soleil et de la Lune, des habitans des astres, de l'Aurithéocratie, de la Ratiothéie, &c. &c. Ici l'extravagance de la mise en scène dépasse encore ce qui précède. La Comète Trouble-tout a une discussion avec la Ratiothéie. L'auteur en l'introduisant, a soin de décrire son costume: “Elle est couverte d'une immense Tullillusionine (?) qui jette des éclairs, coiffée d'une chevelure de serpents rouges, et pourvue d'une queue aux feux les plus ardents. Elle chante la chanson suivante, appelée le Galop de la Comète, sur l'air: Les défenseurs de la Religion:”—

Peuples, je viens, sonner l'heure dernière
Sur les clochers de l'immense univers!
Déjà la Mort creusant la vaste bière,
Du grand convoi fait les apprêts divers;
Peuples, tremblez, vous n'avez plus de tente,
Adressez vous le plus touchant adieu!
Peuples, tremblez devant ma queue ardente!
Peuples, roulez dans le chaos de feu!

On peut s'imaginer quelles luttes s'établissent entre les personnages, après un pareil début.

Au chant III, La Socialiforce tient un long discours à ses partisans, qu'elle termine ainsi:—

Je fonde pour toujours les âges d'or du ventre,
Dont la raison moderne élargit le doux centre;
C'est le ventre qui fait les révolutions,
Et les créations et les destructions.
Des ventres vides sont toute nuit de tonnerres;
Des ventres bien garnis sortent toutes lumières;
Enfin les ventres creux ne valent jamais rien.
Donc je veux les remplir, pour qu'ils me chantent bien.
Nous allons, chers amis, sans perdre une seconde,
Préparer des festins qu'admirera le monde.

Le chant Vme, dont la scène se passe partout où l'on voudra, dit le texte, se compose d'idées si peu décentes qu'il serait difficile d'en donner des extraits.

L'acte 38me du chant VIIIme, se développe dans un vaste champ de pommes de terre, et la Pataticulture ouvre la scène par un discours de 72 vers, d'autant plus singuliers que, comme nous le démontrerons tout-à-l'heure, ils sont écrits très sérieusement:—

Peuples et Rois, je suis la Pataticulture,
Fille de la nature et du siècle en friture;
***** ***
J'ai toujours adoré ce fruit délicieux
Que, dit-on, pour extra, mangeaient jadis les Dieux.

La tirade se termine par ce vers:—

Dans la pomme de terre est le salut de tous!

On croirait qu'il est difficile d'aller plus loin dans le grotesque; mais à l'acte suivant, dont la scène, dit le texte, se passe partout, La Carotticulture tient aux rois et aux peuples un discours qui l'emporte sur le précédent. On y trouve la parodie de la Marseillaise, intitulée la Carotte universelle, commençant par:—

Allons, Enfans de la Carotte,
Le jour de gloire est arrivé.

Et le chœur chante:—

Aux armes, Carottiers, formez vos bataillons,
Marchons, que la Carotte inonde nos sillons.

Probablement que le lecteur croira que tout ceci n'est qu'une plaisanterie; mais non seulement M. Gagne est très sérieux, en expliquant son œuvre, mais il déclare en outre, dans sa préface, que le vaste sujet de ce poème humanitaire et Chrétien, doit former la poëtique universelle de l'humanité, et l'école de la vérité, et il s'écrie, plein d'enthousiasme:—

Telle est, telle est la Sainte et nouvelle épopée
Que de mon pur amour l'âme a développée!

Ensuite Mme Elise Gagne, sa femme, ajoute un épilogue, où elle proclame qu'après les réformes indiquées dans le poème:—

L'abondance parvint à chasser la misère,
Et le bonheur des cieux habita sur la terre.

L'ensemble prouve, en un mot, que M. Gagne a employé toutes les ressources de son intelligence pour écrire ce chef-d'œuvre, et si le lecteur est tenté de rire, c'est qu'il ne comprend pas l'extrême profondeur de la pensée qui enfanta ce poème.


N'est-ce pas bien le cas de dire, avec le sieur de Longval—“Lorsque ceste Meduse (la manie) s'est une fois glissée dans le cerveau, elle sçait si bien offusquer l'imagination, pervertir les pensées, transporter l'esprit, et corrompre la raison, que par son moyen les actions et les paroles des hommes se tournent en extravagances.”


Un drame imprimé en 1811, à Londres, par un certain Thomas Bishop, présente quelqu'analogie, quant aux formes excentriques, pour ne rien dire de plus, avec le drame dont nous venons de donner une analyse. En voici le titre: Koranzzo's Feast, or the Unfair Marriage, a tragedy founded on facts, 2366 years ago, and 555 years before the birth of Christ. In five acts. Embellished with sixteen descriptive plates, by the first artists, antient and modern. Printed by Geo. Smelton, and sold by Hookham and at the author's, 22, Clarges Street.

Cette production extraordinaire qui a coûté trois années de travail à l'auteur, est divisée par lui d'une façon dont il est, dit-il, l'unique inventeur: the work consists in Prologue, Epilogue, dirge and design, solely invented by the author.

Parmi les personnages on remarque les suivants: Le Roi de Babylone, le Roi de Perse, Lord Strawberry, le Docteur Pillule, quatre Reines, Madame Hector, trois sauvages, et cinq Revenants. La préface nous apprend que l'auteur a jugé convenable de mêler des incidents des temps modernes, avec les événements antiques, afin de corriger la jeunesse, d'inspirer la terreur aux méchants, et de rappeler aux bons leur récompense. C'est la première pièce, ajoute l'auteur, dans laquelle on présente au public les caractères curieux, les décorations, les machines et armes de guerre, existant à l'époque où se passe le drame (ce n'est pas difficile à croire!).

Le sujet tout entier est traité avec autant d'extravagance que peuvent le faire supposer les détails qui précèdent. La scène finale commence par les indications suivantes: “D'un côté le théâtre représente une forêt, dont une partie est obscure. Deux sofas et l'apparence d'une pendule (the appearance of a clock). Trois sauvages dans l'éloignement.” On ne doit pas être surpris après cela, que les espérances de l'auteur de voir son drame représenté, furent déçues; mais son extrême confiance dans le mérite de la pièce lui sait attribuer le refus à quelque erreur (to some error).

Parmi les livres qui par leur contenue appartiennent à la littérature de la folie, quoiqu'écrits par des hommes que le monde considère comme très sensés, nous devons ranger le Goualana, ou, collection incomplette des œuvres prototypes de Fricandeau, in 18o de 22 pages. Il est dit dans la préface:

C'est le travail des fous d'épuiser leurs cervelles
Sur des riens fatiguans, sur quelques bagatelles.

Ce livre se compose d'une suite de non-sens dont l'exemple suivant est encore un des moins absurdes: “Mon hôtel est une des plus belles et des mieux rognées de la ville; dans ma cuisine qui est aux rats de chaussée, j'ai un four en cuir, j'ai fait contredire un petit salon fort comminatoire, au premier étage. Je compte huit pièces d'arrache-pied, avec portes d'excommunication, pièces d'autant plus faciles à accélérer, que j'ai fait placer une crampe de fer à l'escalier; au haut duquel escalier vous voyez un très joli vistembule. J'ai indécemment de cela, une salle quarrée à manger cinquante personnes, nombrissée tour-à-tour avec une tentation à personnages de bêtes. A coté est un appartement polipode orné dans le dernier gendre, où j'ai mis mon passavant de papier Chinois. Admirez ma précaution; plusieurs de mes fermiers locatis gâtent souvent (paroles ne puent pas) les latrines, et vous sentez combien cela est désagréable pour nous. Eh bien! j'en ai fait constituer à l'Anglaise, où personne ne met le nez, que ma femme et moi,” &c. &c. &c.

On apprend dans l'introduction “que le sieur Fricandeau est écuyer tranchant, député pour les Tartares, agrégé membre pour les Académies de la Daube et de Saupiquet, vérificateur de la recette d'aloyau, inspecteur aux blanquettes, dans la quatrième division potagère, chevalier de l'ordre de Sainte Menehoult, gouverneur de la crapaudine et autres lieux.”

Qui se douterait que tant de folies soient sorties de la plume de feu M. Hécart, de Valenciennes, auteur connu par plusieurs écrits pleins d'érudition et de jugement?

Il composa aussi, dans ses moments que nous ne pouvons nous empêcher de qualifier d'hallucination, l'Anagrammeana, poème en huit Chants, petit volume in 12o de 58 pages remplis d'un amphigouris inintelligible dont voici un exemple:

Le nomade a mis la madone
A la poterne de Petronne
Par son rhume il voulait l'humer,
Pour le marcher et le charmer.
Quand le grand Dacier était diacre,
Le casier cultivé du fiacre,
Faisait le lopin d'un pilon.
Pour nourrir de loin le lion…

Ces deux ouvrages sont excessivement rares et à-peu-près introuvables, l'auteur ne faisant jamais tirer qu'à dix ou douze exemplaires. Nous en devons la communication à l'extrême obligeance de M. Van De Weyer, Ministre Plénipotentiaire de Belgique, à Londres. Ils font partie, ainsi que l'opuscule dont nous allons parler, de la collection d'Ana, unique en Europe, que renferme la Bibliothèque de ce bibliophile distingué, si riche en collections de livres rares de tous genres, et dont la bienveillance à venir en aide aux hommes de lettres, dans leurs recherches, est égale à ses connaissances étendues.

Nous terminerons cette section par la mention de deux fous littéraires très peu connus cités dans un autre ouvrage de M. Hécart, Stultitiana, ou petite biographie des fous de la ville de Valenciennes, par un homme en démence, 8o, 1823.

Un nommé Lalou vivait en cette ville en 1820. Peintre, poète, musicien, calligraphe, il avait le germe de tous les talents, mais malheureusement tout cela se mêlait dans sa tête, au point que son cerveau présentait un chaos complet.

Il est fâcheux que l'on ne nous ait pas conservé quelques morceaux des écrits et des dessins qu'il distribuait si libéralement durant sa vie.

Un autre poète fou de la ville de Valenciennes fut un nommé Martorex, que Boileau a dépeint en parlant de cette classe d'auteurs:

Qui poursuit de ses vers les passants dans la rue.

Il n'y avait pas de fête qu'il ne célébrât, soit par une ode ou par un récit en vers ampoulés qu'il déclamait aux passants d'une manière ridiculement emphatique. Arrivait-il un personnage important? Sa verve est en mouvement, et bientôt il lui présente les fruits de sa muse. Du reste il n'était pas difficile, et se contentait du moindre présent. Il était fort joyeux lorsqu'il obtenait de quoi s'acheter quelques verres de genièvre. Nous ignorons quand est mort cet original.

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