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J’étais engagée chez un Allemand, qui peignait des petits tableaux de genre pour vivre, et entre temps travaillait à une grande toile, comme œuvre sérieuse. Je posais pour les petits tableaux. Une jeune fille, en robe rose ou bleu ciel, les boucles blondes sur le dos, était assise sur une dune et regardait la mer, ou rêvait dans une bergère, ou écrivait un nom sur le sable avec la pointe de son ombrelle ; c’était moi, la jeune fille.

Un matin, j’arrivai tellement trempée que, lorsque j’ôtai mon corsage, le peintre poussa une exclamation : ma peau était toute violette, du corsage mouillé qui avait déteint sur moi.

— Mais tu ne peux pas poser dans cet état, « du armes Kind ! »

Il me lava, me fit endosser une chemise et un caleçon à lui ; par dessus, je revêtis la robe rose et m’assis sur un tabouret recouvert d’une grande toile jaune, qui s’étendait par terre pour donner le reflet du sable de la mer sur ma robe et sur mon cou.

Les deux jours suivants, je ne devais pas aller chez lui ; il travaillait à sa grande toile, avec un modèle habillé en Orientale. Quand je revins le vendredi, il était nerveux, et pas aimable comme d’habitude. Tout d’un coup il déposa sa palette, vint vers moi, me leva un peu rudement la tête, et me regarda longuement.

— Non, ce n’est pas vous…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— On m’a pris trois pièces d’or, qui étaient là dans ce secrétaire ouvert ; je les y ai mises lundi et hier seulement je me suis aperçu qu’elles avaient disparu… Il n’y a que vous et elle, fit-il, en montrant l’Orientale du tableau, qui soient entrées ici ; mais ce n’est certes pas vous.

— Il n’est pas dit non plus que ce soit elle : on nettoie l’atelier, on allume le feu, que sais-je ?… Mais pourquoi laisser traîner des pièces d’or sur les meubles ?

— Pourquoi ?… Cela pourrait-il te tenter ?

Mais, tout de suite, il vint vers moi.

— Non, tu ne serais pas tentée… cependant si, moi, je devais me laisser tremper, comme toi l’autre jour, il y a longtemps que je serais en prison.

— Brrr… j’aimerais mieux mourir de faim et de froid, que de commettre un acte qui pourrait me conduire en prison, car alors je me croirais irrémédiablement souillée.


Une autre fois, je m’étais rendue, par des rafales de neige, chez un Anglais qui aimait beaucoup ma tête ; il la peignait et repeignait. En arrivant, j’ôte mes bottines : il les dépose, pour les faire sécher, sur le poêle, où il n’y avait presque pas de feu. Je prends la pose… Au repos, je vis une de mes bottines qui bâillait comme une mâchoire ouverte, et l’autre avait la semelle calcinée. Je me mis à pleurer tout haut. Le peintre fut si ému qu’il me donna vingt francs pour acheter des chaussures. Je m’en achetai, naturellement, une paire de dix francs, et les autres dix francs passèrent à la maison.

Je ne me vendais plus. Cependant, les jours de famine, et quand je ne trouvais du travail nulle part, j’allais rendre visite à ce peintre anglais. Il avait vingt-quatre ans. Sans le montrer, j’avais un béguin pour lui. J’étais très à son goût. Quand je sonnais, on eût dit qu’il m’attendait, tant il dégringolait vite les escaliers pour m’ouvrir ; il me prenait comme un affamé. Au moment de partir, il me donnait sept à huit francs… de quoi manger pendant trois jours chez nous.

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