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L'Ile d'Enfer

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IX
LA FOLLE RANDONNÉE

Au matin du troisième jour, c’est la folle randonnée sur Hvitavatn à travers le désert, le désert absolu, le congloméré de cendres et de pierres rondes, sans un pouce de végétation. C’est, à perte de vue, l’immensité grise coupée par des sables rouges que le vent soulève en tourbillon.

Et le monstre apparaît derrière les bizarres montagnes crénelées que les Islandais appellent « les chapeaux du Baron ». C’est une ligne livide, imprécise encore, mais effrayante déjà : le Lonjokul, le long glacier, vers lequel nous marchons.

La Montagne Bleue nous barre la route de sa masse abrupte. Nous la contournons pendant cinq heures. Nous allons d’un train d’enfer sur un terrain abominable.

Un ravin s’ouvre, crachant une eau torrentueuse. Nous franchissons et l’eau et le ravin ; nous retrouvons la Hvita, qui coule, à notre droite, blanche dans son lit noir.

Plus on remonte vers sa source, plus elle s’élargit. Elle surgit du lac formé lui-même par le glacier.

Ici, elle a quatre cents mètres d’une rive à l’autre.

Le vent fait rage, soulevant sur les flots de véritables lames courtes, et cependant il faut passer.

Et nous passons pour retrouver le désert de pierre et de sable, puis une herbe marécageuse.


Enfin le glacier est là, prodigieux, splendide ; en face, il tombe à pic dans l’eau, tandis que, sur la gauche, il meurt en pente douce. Des crevasses bâillent, puis c’est l’étagement des glaces qui prennent à nos yeux des formes fantastiques : clochers de cathédrales, palais asiatiques, longues théories de personnages vêtus de toges, acropoles grecques et burgs allemands accrochés au rocher, colonnades de temples dans une perspective infinie…

Hélas ! nous n’avons plus les belles nuits de lumière, l’ombre descend, estompant l’horrible beauté et, tandis que nous nous endormons sous la tente, cependant que la neige tombe en rafales, nous entendons un bruit semblable à celui que feraient plusieurs batteries qui tireraient ensemble : c’est un pan de glacier, lentement miné par les eaux, qui s’écroule et que le fleuve émiette et emporte dans une longue procession.


Au matin, le brouillard a mangé la montagne. Il ne reste plus rien. La veille on a rêvé, alors ?

Non. Les bruits sinistres continuent, attestant que, dans l’ombre, la poussée du glacier se poursuit.

Et voici que, venue d’on ne sait où, une pluie de cendres tombe, fine, impalpable, mortelle.

Il ne fait pas bon s’attarder. Les chevaux effarés tremblent de tous leurs membres, le vent souffle en tempête, le sable et la cendre rouge nous fouettent le visage. Mille aiguilles trouent ma peau, mes yeux saignent ; les poneys aveuglés hennissent de douleur.

Désert, fleuve qu’on retraverse ; on file accompagné par les mauvais esprits, gardiens de ces lieux interdits…

Dans la hurlée de l’ouragan, c’est le retour sans gloire.

Au soir, près des geysers, une humble ferme nous accueille.

Je dors, assommé.

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