← Retour

L'initiation au péché et à l'amour : $b roman

16px
100%

A FRANCIS VIÉLÉ-GRIFFIN

PREMIÈRE PARTIE

I

Ce fut le jour de Noël dans l’église du village, que la mère de Marcelin sentit pour la première fois l’enfant remuer dans son ventre.

Au premier appel des cloches de la messe, la triste châtelaine était sortie ; et, accompagnée d’une femme, elle était allée à pied, à travers la campagne blanche de givre, jusqu’à l’église. Sur la route gelée, entre les rangées des arbres dépouillés, les paysans saluaient la forme noire au visage voilé, aux pas de somnambule. Elle était entrée dans l’église, et, lentement, était venue s’agenouiller dans son banc. Ayant relevé son voile, la future mère, ainsi qu’un enfant, priait ; et sa blanche figure de jeune femme, plutôt de jeune fille, amaigrie et allongée, très blanche, grave, infiniment affligée, restait à demi inclinée vers le sol.

Les gens pénétraient dans l’église, et, derrière elle, les bancs s’emplissaient ; un enfant de chœur allumait les cierges ; l’air, par les vitraux gris, était sombre. Plus forte que la prière, sa tristesse remontait en elle.

Pourquoi la délaissait-il, l’époux qui l’avait choisie et qu’elle avait accepté ? Après si peu de jours, après de si brèves noces, pourquoi l’avait-il quittée ? Était-ce vers des plaisirs anciens qu’il était retourné, l’oubliant dans ce solitaire château de Saint-Paulin d’où toute joie s’était enfuie, apparaissant à de si rares intervalles, la laissant seule et telle qu’une veuve ?

Elle se rappelait le soir nuptial, le clair soir de septembre, et quand, doucement, il avait dégrafé sa belle robe de mariée, et comme elle était tombée pâmée entre ses bras. Puis, dès la semaine suivante, peu à peu, le visage de l’époux s’était fait glacial, indifférent, hostile ; puis, le premier départ, la première absence, et, maintenant, cette éternelle absence.

Ah ! pourquoi avait-elle quitté le couvent de son adolescence, les sœurs, les amies, la vie douce et insoucieuse ? Car elle se sentait mourir, abandonnée, telle qu’une coupable, sans amour, dans l’éclosion même de ses dix-sept ans. Mais, mourante presque, un trouble nouveau était en elle ; sa chair était bouleversée ; son âme tourbillonnait dans l’incertitude, et son pauvre cœur saignait de tant de larmes à cause d’un passé qu’elle ne s’expliquait pas et d’un avenir impossible à discerner.

Et parfois, dans le banc, la jeune femme avait de soudains arrêts de pensée ; elle sentait des malaises subits, des sueurs, des froids. Quand on lui avait dit, il y avait quelques jours, que peut-être elle était enceinte, elle était restée effarée, ne sachant pas, comprenant à peine, ne cherchant pas à savoir. Maintenant, elle demeurait immobile, le regard fixe.

Les cloches sonnaient.

— Seigneur… Seigneur… murmurait-elle.

L’église était à moitié pleine ; le prêtre apparut, suivi d’un enfant de chœur qui portait un bénitier ; et tous deux commencèrent le tour de l’église.

— Asperges me Domine hyssopo et mundabor, lavabis me, et super nivem dealbabor… Vous m’aspergerez, Seigneur ! et mieux que la neige je me blanchirai…

— Miserere met, Deus secundum magnam misericordiam tuam… Ayez pitié de moi, Seigneur, selon votre grande miséricorde.

Une goutte d’eau bénite tomba sur le front de la jeune femme agenouillée.

— Amen, disait l’enfant de chœur.

A ce moment, tandis que le prêtre remontait les trois marches du chœur et, pénétrant entre les stalles, s’avançait vers l’autel, dans l’église muette encore sous le bourdon des cloches, à ce moment où une goutte d’eau bénite tombait sur son front, la jeune femme sentit au fond d’elle-même une sensation extraordinaire. Elle releva brusquement le cou, et sa tête se rejeta en arrière ; sa blanche figure d’enfant meurtri tendue vers le Christ de l’abside, ses maigres mains gantées de noir ouvertes, elle resta une seconde les yeux béants ; puis, brusquement, elle reporta ses doigts sur son ventre, où quelque chose certainement avait remué… Là, dans ses entrailles, quelque chose avait remué, quelque chose avait remué pour la première fois.

Un éclair passa dans son esprit.

— L’enfant !

Et elle défaillit ; sa tête retombait plus blanche encore, les yeux éteints ; ses bras pendaient ; elle s’affaissait, elle s’évanouissait, et son corps coulait sur le banc.

Elle se retrouva dans la sacristie, entourée des gens d’église ; une femme l’avait dégrafée et lui humectait les tempes et la gorge d’eau.

— Quelle eau avez-vous puisée ?

— De l’eau qu’on trouve dans les églises… Dans le bénitier, près de la porte, nous avons puisé l’eau bénite.

Et l’office continuait ; Noël se célébrait ; les hymnes joyeusement chantaient.

— Puer natus est nobis : filius datus est nobis… Un enfant nous est né ; un fils nous est donné.

La faible femme entendait vaguement, dans le mode triomphal des hymnes, qu’il s’agissait de célébrer la souveraine fête… Il nous est né un enfant pour le salut et pour la gloire ; un fils nous est donné, le promis, l’espéré, le tout désiré, l’éternellement attendu.

— Alleluia ! réjouissez-vous ! chantait la foule, et adorez ! un jour très saint a lui pour nous.

La créature le sentait à présent dans son ventre, et elle pleurait, et, dans son âme, elle se réjouissait de s’offrir en sacrifice pour celui qui allait venir.

Chargement de la publicité...