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La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes

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M. MICHELET.


Plusieurs femmes ont vivement critiqué le livre de l'Amour de M. Michelet. Parmi ces critiques, toutes très bonnes, une surtout, celle de Mme Angélique Arnaud, insérée dans la Gazette de Nice, nous a paru particulièrement remarquable par l'élévation des principes, la haute raison, la finesse d'esprit, la délicatesse, le charme et le fini de la forme. C'est une perle de critique.

Pourquoi ce mécontentement des femmes intelligentes contre un aussi honnête homme que M. Michelet?

C'est parce que, pour lui, la femme est une malade perpétuelle qu'on doit enfermer dans un gynécée, en compagnie d'une Jeanneton quelconque, ne trouvant pas au-dessous d'elle la société des poules et des dindons.

Or, nous, femmes de l'Occident, nous avons l'audace de prétendre que nous ne sommes point malades, et que nous avons une sainte horreur du harem et du gynécée.

La femme, selon M. Michelet, est un être de nature opposée à celle de l'homme; une créature faible, toujours blessée, très barométrique, en conséquence mauvais ouvrier.

Elle est incapable d'abstraire, de généraliser, de comprendre les œuvres de conscience; elle n'aime pas à s'occuper d'affaires, et elle est dépourvue, en partie, du sens juridique. Mais, en revanche, elle se révèle toute douceur, tout amour, tout charme, tout dévouement.

Créée pour l'homme, elle est l'autel de son cœur, son rafraîchissement, sa consolation. Auprès d'elle, il se retrempe, s'encourage, puise la force nécessaire à l'accomplissement de sa haute mission de travailleur, de créateur, d'organisateur.

Il doit l'aimer, la soigner, la nourrir; être tout à la fois son père, son amant, son instituteur, son prêtre, son médecin, sa garde-malade et sa femme de chambre.

Lorsqu'à dix-huit ans, vierge de raison, de cœur et de corps, elle est donnée à ce mari qui doit en avoir vingt-huit, ni plus ni moins, il la confine à la campagne, dans un charmant réduit, loin du monde, loin de ses parents, de ses amis, avec la rustaude dont nous parlions tout à l'heure; la Georgette de l'École des femmes, par exemple, car Dorine serait dangereuse.

Pourquoi cette séquestration en plein XIXe siècle? demandez-vous.

Parce que le mari ne peut rien sur sa femme quand elle voit le monde, et peut tout sur elle dans la solitude. Or, il faut qu'il puisse tout, puisque c'est à lui de former son cœur, de lui donner des idées, d'ébaucher en elle l'incarnation de lui-même. La femme, sachez-le, lectrices, est destinée à refléter de plus en plus son mari, jusqu'à ce que la différence dernière, celle que maintient la séparation des sexes, soit enfin effacée par la mort qui produira l'unité dans l'amour.

Au bout d'une dizaine d'années de ménage, il est permis à la femme de franchir la clôture du gynécée, et d'entrer dans le monde, qui s'appelle le grand combat de la vie. Elle y rencontrera plus d'un danger; mais elle les évitera tous, si elle tient la promesse qu'elle a jurée de se confesser à son mari..... On voit que M. Michelet respecte les droits de l'âme. Le mari qui, à cette époque, s'est spécialisé, a nécessairement baissé: de là danger pour la femme d'en aimer un autre; de s'éprendre par exemple de son jeune neveu: dans le livre, elle ne succombe pas, parce qu'elle se confesse au mari; mais il peut arriver qu'elle ait succombé, qu'elle se repente et sollicite une correction de son seigneur et maître. Celui-ci doit refuser d'abord, mais, si elle insiste, plutôt que de la désespérer, M. Michelet, qui pour rien au monde ne voudrait désespérer une femme, conseille au mari d'administrer à sa femme le châtiment que les mères font subir à leurs marmots.

Point de séparation entre l'homme et la femme; quand celle-ci s'est donnée, elle ne s'appartient plus... Elle est de plus en plus l'incarnation de l'homme qui l'a épousée; la fécondation la transforme en lui, tellement que les enfants de l'amant ou du second mari ressemblent au premier imprégnateur. L'homme ayant dix années de plus que la femme meurt le premier: l'épouse doit garder le veuvage: son rôle alors jusqu'à la mort est de féconder en elle et autour d'elle les idées qu'a laissées son mari; de rester le centre de ses amitiés; de lui créer des disciples posthumes, et de se faire tellement sienne qu'elle le rejoigne dans la mort.

Quant au mari survivant, ce qui peut arriver, l'auteur ne nous dit pas s'il doit se remarier. Il est probable que non, puisque l'amour n'existe qu'à deux..... à moins que M. Michelet, qui réprouve la polygamie pour ce monde-ci, ne l'admette comme chose morale dans la vie ultra-terrestre.

Vous le voyez, lecteurs, dans le livre de M. Michelet, la femme est créée pour l'homme; sans lui, elle ne serait rien; c'est lui qui prononce le fiat lux dans son intelligence; c'est lui qui la fait à son image comme Dieu a fait l'homme à la sienne.

En acceptant la légende biblique, nous pouvions, nous femmes, en appeler d'Adam à Dieu; car ce n'était pas Adam mais Dieu qui avait créé Ève; en admettant la Genèse selon M. Michelet, point de prétexte, point d'excuse à la désobéissance: il faut que la femme se subordonne à l'homme, qu'elle s'y soumette, car elle lui appartient comme l'œuvre à l'ouvrier, comme le vase au potier.

Le livre de M. Michelet et les deux études de M. Proudhon sur la femme ne sont que deux formes d'une même pensée. La seule différence qui existe entre ces messieurs, c'est que le premier est doux comme miel et le second amer comme absinthe.

Et cependant j'aime mieux le brutal que le poète, parce que les injures et les coups révoltent et font crier: liberté! liberté! tandis que les compliments endorment et font supporter lâchement les chaînes.

Il y aurait quelque cruauté à maltraiter M. Michelet qui se pique d'amour et de poésie, et qui, en conséquence, a l'épiderme sensible; nous ne le battrons donc que sur les épaules de M. Proudhon qu'on peut bombarder à boulet rouge, nous contentant de relever, dans le livre de M. Michelet, ce qui n'est pas dans celui de M. Proudhon.

Les deux principales colonnes du livre de l'Amour sont:

1o Que la femme est un être blessé, faible, barométrique, constamment malade.

2o Que la femme appartient à l'homme qui l'a fécondée et s'incarne en elle; proposition prouvée par la ressemblance des enfants de la femme avec le mari, quel que soit le père des enfants.

M. Michelet et ses admirateurs et disciples ne contesteront pas que la seule bonne méthode pour s'assurer de la vérité d'un principe ou de la légitimité d'une généralisation, c'est la vérification par les faits; ils ne contesteront pas davantage que généraliser des exceptions, créer des lois imaginaires et prendre ces prétendues lois pour base d'argumentation, n'appartient qu'aux aberrations du moyen âge, profondément dédaignées des esprits sérieux et d'une raison sévère. Appliquons sans ménagement ces données aux deux principales affirmations de M. Michelet.

Il est de principe en Biologie qu'aucun état physiologique n'est un état morbide; conséquemment, la crise mensuelle particulière à la femme n'est point une maladie, mais un phénomène normal dont le dérangement amène des perturbations dans la santé générale. La femme n'est donc pas une malade, parce que son sexe est soumis à une loi particulière. Peut-on dire que la femme soit une blessée, parce qu'elle a mensuellement une solution de continuité dont la cicatrisation est de quelques lignes? Pas davantage. Ce serait une dérision que de nommer blessé perpétuel un homme auquel il prendrait fantaisie de s'égratigner chaque mois le bout du doigt.

M. Michelet est trop instruit pour que je lui apprenne que l'hémorragie normale ne provient point de cette blessure de l'ovaire, dont il fait si grand bruit, mais d'une congestion de l'organe gestateur.

La femme est-elle malade à l'occasion de la loi particulière à son sexe?

Très exceptionnellement oui: mais dans les classes oisives, où des écarts de régime, une éducation physique inintelligente et mille causes que je n'ai pas à signaler ici, rendent les femmes valétudinaires.

Généralement, non. Toutes nos vigoureuses paysannes, toutes nos robustes femmes des ports et des buanderies qui ont les pieds dans l'eau en tout temps, toutes nos travailleuses, nos commerçantes, nos professeurs, nos domestiques qui vaquent allègrement à leurs affaires et à leurs plaisirs, n'éprouvent aucun malaise ou n'en éprouvent que fort peu.

Ainsi donc M. Michelet, non seulement s'est trompé en érigeant une loi physiologique en état morbide, mais encore il a péché contre la méthode rationnelle, en généralisant quelques exceptions, et en partant de cette généralisation démentie par l'immense majorité des faits, pour construire un système d'asservissement.

Si c'est de la faculté d'abstraire et de généraliser, comme il l'emploie, que M. Michelet dépouille la femme, nous n'avons qu'à féliciter cette dernière.

Non seulement la femme est malade, dit M. Michelet, par suite d'une loi biologique, mais elle est toujours malade; elle a des affections utérines, des dartres, les affections héréditaires peuvent prendre chez elle plusieurs formes effrayantes, etc.

Nous demandons à M. Michelet s'il considère son sexe comme toujours malade, parce qu'il est rongé par le cancer, défiguré par des dartres; parce que les affections héréditaires le torturent autant que nous et qu'il est bien plus décimé, affaibli que le nôtre, par les honteuses maladies fruits de ses excès.

A quoi donc pense M. Michelet de parler des maladies des femmes, en présence de celles des hommes tout aussi nombreuses?

La femme ne doit ni divorcer ni se remarier parce que l'homme l'a faite sienne. Ce qui le prouve, c'est que les enfants de l'amant ou du second mari ressemblent à l'époux premier.

S'il en est ainsi, monsieur, il n'y a pas d'enfants qui ressemblent à leur mère.

Il n'y a pas d'enfants qui ressemblent à l'un des ascendants ou des collatéraux de l'un des époux.

Tout enfant ressemble au premier qu'a connu sa mère.

Pourriez-vous alors nous expliquer pourquoi, si souvent, il ne lui ressemble pas?

Pourquoi il ressemble à un aïeul, à un oncle, à une tante, à un frère, à une sœur de l'un des conjoints?

Pourquoi dans certaines villes du sud de la France, les habitants ont conservé le type grec, attribué aux femmes, au lieu de prendre celui des pères barbares?

Pourquoi les négresses qui conçoivent d'un blanc, mettent au jour un mulâtre, le plus souvent porteur de grosses lèvres, d'un nez épaté et de cheveux laineux?

Pourquoi beaucoup d'enfants ressemblent à certains portraits qui ont frappé la mère?

Pourquoi enfin des physiologistes, impressionnés par des faits nombreux, ont cru pouvoir prononcer que la femme est conservatrice du type?

En présence de ces faits indéniables, que devient votre prétendue loi, je vous le demande à vous-même?

Elle rentre dans le domaine des chimères.

Il y a des gens qui pensent que chez la femme est une force plastique qui lui fait pétrir son fruit sur le modèle que l'amour, la haine ou la peur ont peint dans son cerveau; que l'enfant ne serait ainsi qu'une sorte de photographie d'une image cérébrale de la mère.

A l'aide de cette théorie, l'on pourrait expliquer la ressemblance de l'enfant avec le père, avec le premier mari, avec des parents ou amis vivants ou aimés et morts, avec des portraits, des statues et même des animaux; mais par elle, il serait impossible d'expliquer comment une femme peut reproduire dans son enfant les traits d'un ascendant de son mari ou d'elle, ascendant qu'elle n'a jamais vu, même en portrait; ni comment, malgré le désir qu'elle en a, l'enfant ne ressemble pas à l'un de ceux qu'elle aime, etc.

Tenons-nous dans une sage réserve: les lois de la génération et de la ressemblance ne sont pas connues. Si l'on parvient à les découvrir, ce ne sera que par de longues et patientes observations, à l'aide d'une sage critique et d'un honorable parti pris d'impartialité. L'on ne crée pas les lois, on les découvre: l'ignorance est plus saine à l'esprit que l'erreur: généraliser quelques faits, sans tenir compte de milliers de faits plus nombreux qui les contredisent, ce n'est pas faire de la science, mais de la métaphysique poétique, et cette métaphysique, quelque gracieusement drapée qu'elle soit, est l'ennemie de la raison, de la science et de la vérité.

M. Michelet me pardonnera cette petite leçon de méthode. Je ne me serais pas permis de la lui donner, si les hommes à sa suite et à celle de M. Proudhon, ne répétaient comme des perroquets bien appris: que la femme est dépouillée des hautes facultés intellectuelles, qu'elle est impropre à la science, qu'elle ne comprend rien à la méthode, et autres billevesées de cette force.

De semblables allégations mettent les femmes, sous le rapport de la politesse et de la modestie, dans une position tout exceptionnelle: elles ne doivent aucun égard à ceux qui les nient; leur plus importante affaire, à l'heure qu'il est, est de prouver aux hommes qu'ils se trompent et qu'on les trompe: qu'une femme est très capable d'apprendre aux premiers d'entre eux comment on trouve une loi, comment on en constate la réalité, comment et à quelle condition il est permis de se croire et de se dire rationnel et rationaliste.

Avant de terminer, arrêtons-nous sur quelques passages du livre de l'Amour. Je serais curieuse de savoir à quelle femme s'adresse M. Michelet lorsqu'il dit:

«Faites-moi grâce de votre grande discussion sur l'égalité des sexes. La femme n'est pas seulement notre égale, mais en bien des points supérieure. Tôt ou tard elle saura tout. Ici la question est de décider si elle doit tout savoir à son premier âge d'amour?.... Oh! qu'elle y perdrait!.... Jeunesse, fraîcheur et poésie, veut-elle, du premier coup, laisser tout cela? Est-elle si pressée d'être vieille?»

Pardon, monsieur; vous oubliez que vous avez décrété qu'il n'y a plus de vieille femme; rien ne peut donc vieillir la femme.

«Il y a savoir et savoir, dites-vous; même à tout âge la femme doit savoir autrement que l'homme. C'est moins la science qu'il lui faut, que la suprême fleur de science et son élixir vivant.»

Qu'est-ce que c'est que cette fleur et cet élixir vivant de la science, monsieur? Pouvez-vous, sans poésie, en termes précis et définis m'expliquer ce que cela veut dire?

Pouvez-vous me prouver à moi, femme, que je veux posséder la science autrement que vous?

Prenez garde! disciple de la liberté, vous n'avez pas le droit de penser et de vouloir à ma place. J'ai comme vous une intelligence et un libre arbitre que vous êtes tenu, d'après vos principes, de respecter souverainement. Or, je vous interdis de parler pour aucune femme; je vous l'interdis au nom de ce que vous appelez les droits de l'âme.

Vous ne niez point, dites-vous, «qu'une jeune femme, à la rigueur, ne puisse lire et connaître tout, traverser toutes les épreuves où passe l'esprit des hommes, et rester pourtant vertueuse. Nous soutenons seulement, ajoutez-vous, que cette âme fanée de lecture, tannée de romans, qui vit habituellement de l'alcool des spectacles, de l'eau forte des cours d'assises, sera, non pas corrompue peut-être, mais vulgarisée, commune, triviale, comme la borne publique. Cette borne est une bonne pierre, il suffirait de la casser pour voir qu'elle est blanche au dedans. Cela n'empêche pas qu'au dehors elle ne soit fort tristement sale, en tout point du même aspect que le ruisseau de la rue dont elle a les éclaboussures.

«Est-ce là, madame, l'idéal que vous réclamez pour celle qui doit rester le temple de l'homme, l'autel de son cœur, où chaque jour il reprendra la flamme de l'amour pur?»

Trève d'images et de mouvements oratoires, M. Michelet; aucune de nous ne réclame pour la femme une dégradation quelconque. Nous n'aurions besoin de rien réclamer de ce que vous blâmez, puisque c'est parfaitement autorisé et pratiqué. Je ne veux point vous accuser de mauvaise foi, d'irréflexion et de trop de tolérance morale, et cependant écartons votre manteau poétique, et traduisons votre pensée en prose: l'habit ne fera plus oublier l'idée.

Lorsqu'on réclame l'instruction pour le peuple, personne s'est-il jamais avisé de croire qu'il était question de lui faire lire des romans, d'agrandir les cours d'assises afin qu'il assistât aux débats et de multiplier les théâtres?

Non, n'est-ce pas: quels motifs vous autorisent alors à penser que ceux et celles qui réclament pour la femme une instruction solide, voulussent ce à quoi vous ne songez pas pour le peuple?

D'autre part, est-ce que vous cultivez l'intelligence de l'homme par les romans, les spectacles de cour d'assises et autres? Est-ce dans ces choses que consiste son savoir? Non, n'est-ce pas. Qu'y a-t-il alors de commun entre ce que vous blâmez et la science que nous voulons pour la femme; et pourquoi nous attribuer de sottes idées pour vous donner le plaisir de férailler contre des fantômes?

Toutes vos grandes dames se nourrissent de romans, de spectacles, d'émotions judiciaires, et elles ne sont ni vulgaires, ni triviales, ni comparables à des bornes salies par la boue: ce que vous leur dites n'est donc pas plus vrai que gracieux.

Mais si vous leur faites de mauvais compliments qu'elles ne méritent pas, en revanche vous les absolvez trop facilement. Écoutez bien, monsieur, quels sont nos principes, afin de ne plus risquer de vous montrer injuste à notre égard.

La corruption, pour nous, n'est pas seulement le défaut de chasteté, la recherche honteuse de la galanterie; mais tout mauvais sentiment habituel, tout affaiblissement du sens moral; et nous condamnons absolument tout ce qui peut diminuer le ressort de l'âme et la détourner de la pratique de la justice, de la vertu, du respect de soi-même.

En conséquence nous professons que les spectacles de cour d'assises habituent le cœur à l'insensibilité, et doivent être évités aussi bien que les exécutions.

Nous professons que la scène moderne est généralement mauvaise, puisqu'on y excite l'intérêt pour des adultères, des voleurs, des séducteurs, des prostituées; que l'âme y est dans une atmosphère malsaine et affaiblissante.

Nous professons enfin que l'on doit être très tempérant dans la lecture des romans, parce qu'en général quand ils ne corrompent pas les mœurs, ils faussent le jugement et font perdre un temps précieux.

Si nous aimons et estimons l'art, nous nous indignons du mauvais emploi qu'on en fait, et nous estimons peu ceux qui s'en servent pour égarer le cœur et pervertir le sens moral.

Nous disons aux femmes: instruisez vous, soyez dignes et chastes; la vie est chose sérieuse, employez la sérieusement.

Vous voyez, monsieur, que le femme borne sale n'est pas du tout l'idéal que nous rêvons.

Est-ce que vous, un homme de cœur, vous traiteriez de misérables et de corrompues des femmes, parce qu'elles ne veulent plus être esclaves?

Et vous aussi, penseriez vous que la liberté qui engendre dans l'homme la personnalité et la vertu, produirait dans la femme la dégradation morale?

Ah! laissez les calomnies à ceux qui n'ont pas de cœur; ce n'est pas votre fait à vous, qui pouvez-vous tromper parce que vous êtes un grand poète, mais qui ne pouvez vouloir le mal que parce que vous croirez que c'est le bien.

Les femmes qui demandent à être libres, grand poète fourvoyé, sont celles qui sentent leur dignité, le rôle véritable de leur sexe dans l'humanité; celles là veulent que les femmes qui les suivront dans la carrière du travail ne soient plus obligées de vivre de l'homme, parce que vivre de lui c'est au moins prostituer sa dignité, et presque toujours la personne entière. Elles veulent que la femme soit l'égale de l'homme pour l'aimer saintement, se dévouer sans calcul, ne plus ruser, tromper, et devienne un utile auxiliaire au lieu d'une servante, d'un jouet. Elles connaissent notre influence sur vous; esclaves, nous ne pouvons que vous abaisser; à l'heure qu'il est nous vous rendons lâches, égoïstes, improbes; nous vous lançons chaque matin comme des vautours sur la société pour fournir à nos folles dépenses, ou pour doter nos enfants: nous, femmes de l'émancipation, nous ne voulons plus que notre sexe joue cet odieux rôle et soit, par son esclavage, un instrument de démoralisation et de dissolution sociale: Est-ce vous..... Vous, M. Michelet, qui nous en feriez un crime!

Eh bien! je ne le crois pas; vous me le diriez vous-même, que je ne le croirais pas.

Vous plaçant à un point de vue déplorablement restreint, vous avez cru voir toutes les femmes dans quelques valétudinaires; et votre bon cœur s'est ému pour elles, et vous avez voulu les protéger. Si vous eussiez regardé de haut et de loin, vous auriez vu toutes les travailleuses de la pensée et des bras; vous auriez compris que l'inégalité est pour elles une source de corruption et de souffrance.

Alors de votre beau et chaleureux style, vous auriez écrit, non pas ce livre de l'Amour que repoussent toutes les femmes intelligentes et réfléchies, mais un grand et beau livre pour revendiquer le droit de la moitié du genre humain.

Le malheur, l'irréparable malheur est, qu'au lieu de monter sur les sommets pour regarder tout ce qui se meut sous le vaste horizon, vous vous êtes enfermé dans une étroite vallée où n'apercevant que de pâles violettes, vous en avez induit que toute fleur est violette pâle, tandis que la nature a créé des milliers d'espèces bien autrement fortes et vigoureuses, et qui ont, comme vous, droit à la terre, à l'air, à l'eau et au soleil.

Votre livre, quels que soient votre amour, votre bonté et vos bonnes intentions pour la femme, serait un immense danger pour la cause de sa liberté, conséquemment pour celle des grands principes de 89, si les hommes étaient d'humeur à goûter votre morale: mais ils resteront ce qu'ils sont; et la dignité de la femme, tenue en éveil par leur brutalité, leur despotisme, leur abandon, leurs sales mœurs, n'ira pas s'endormir sous l'ombrage verdoyant, frais, coquet et perfidement parfumé de ce mancenillier qu'on appelle: le livre de l'Amour.


Depuis que nous avons écrit ce qui précède, M. Michelet a publié un nouveau livre: La Femme, dans lequel à côté de bien belles pages pleines de cœur et de poésie, s'en trouvent que nous ne voulons pas qualifier pour ne pas contrister l'auteur.

M. Michelet s'est évidemment amendé; nous le montrerons tout à l'heure: les critiques de femmes ne lui ont pas été inutiles; mais pour s'en venger un peu, il prétend que leur langage a été dicté par des directeurs philosophes et autres. Nous connaissons personnellement quelques unes de ces dames, et nous pouvons affirmer à M. Michelet qu'elles n'ont aucun directeur d'aucune sorte: au contraire.

Est-ce aussi par suite de rancune que l'auteur prétend que la femme aime l'homme, non pour ce qu'il vaut, mais parce qu'il lui plaît, et qu'elle fait Dieu à son image, «un Dieu de préférence et de caprice qui sauve celui qui lui a plu?..... En théologie féminine, ajoute M. Michelet, Dieu dirait: je t'aime, car tu es pécheur; car tu n'as pas de mérite; je n'ai nulle raison de t'aimer, mais il m'est doux de faire grâce.»

Très bien, M. Michelet: ainsi votre sexe aime la femme pour ce quelle vaut; on n'entend jamais dire à un homme, épris de quelque indigne créature: que voulez-vous, je l'aime! Votre amour est toujours sage, raisonnablement donné; il n'y a que les femmes méritantes qui plaisent. Je me demande alors pourquoi tant d'honnêtes femmes sont délaissées, malheureuses, et tant de femmes impures, vicieuses, poursuivies, adorées, en possession de l'art de charmer, de ruiner et de pervertir les hommes.

Je ne sais si le Dieu de la théologie féminine serait un Dieu de préférence et de caprice, sauvant sans raison celui qui lui plaît; mais je sais bien que ce n'est pas nous qui avons inventé la grâce et la prédestination, à moins que les pères des conciles et de l'Église, les pères de la Réforme, au lieu d'appartenir au sexe sans caprice, qui aime les gens pour ce qu'ils valent, n'aient appartenu à mon sexe fantaisiste. L'histoire se serait-elle trompée?

Est-ce que saint Paul, saint Augustin, Luther, Calvin, l'auteur de l'Augustinus, les docteurs de Port-Royal etc., étaient des femmes? Je soupçonne fort que le dogme de la grâce et celui de la prédestination seraient restés inconnus de l'humanité, si les femmes eussent fait une religion.

M. Michelet déplore l'état de divorce qui s'établit entre les sexes: nous le déplorons comme lui: mais nos plaintes n'y remédieront pas. Les hommes fuient le mariage par des motifs qui ne leur font pas honneur: ils ont à discrétion les filles pauvres que la misère met à leur merci; ils fuient le mariage parce qu'ils ne veulent pas à leurs côtés une vraie femme, c'est à dire une femme autonome; la liberté, ils la veulent pour eux; pour leur femme, l'esclavage.

De leur côté, les femmes tendent à l'affranchissement, et c'est un bien pour elles, comme c'en est un pour les hommes: elles ne s'en laisseront pas détourner; d'autre part, comme les hommes sont attirés par le luxe de la toilette, qu'ils négligent les femmes simples, celles qui veulent plaire et retenir les hommes, imitent les lorettes: à qui la faute! Est-ce la nôtre qui désirons vous plaire et être aimées, ou la vôtre à qui l'on ne peut plaire que par la toilette? Si vous nous aimiez pour ce que nous valons, et non parce que nos robes et nos bijoux vous plaisent, nous ne vous ruinerions pas.

Signalons en quelques lignes les contradictions et différences qui se trouvent entre le premier et le second ouvrage de M. Michelet.

Dans tous les deux la femme est la flamme d'amour et la flamme du foyer, une religion, une harmonie, une poésie, la gardienne du foyer domestique, une ménagère dont les soins sont anoblis par l'amour: c'est à sa grâce qu'est due la civilisation: elle doit être la grâce sinon la beauté.

Dans les deux livres, le ménage doit être isolé: la femme ne doit avoir aucune amitié particulière; mère, frères et sœurs l'empêchent de s'absorber comme elle le doit dans son mari. On sait ce que nous pensons de cette absorption; nous dirons seulement ici que si les amis et parents de la femme doivent être éliminés, ceux de l'homme ne devraient pas l'être moins: la mère et les amis du mari ont plus de puissance de nuire à la femme, que ceux de cette dernière de nuire au mari: de tristes et nombreux faits le prouvent.

Dans le livre de l'Amour la femme est une réceptivité, incapable de comprendre les œuvres de conscience; elle doit tout recevoir du mari au point de vue intellectuel et moral.

Dans le livre de la Femme, elle est la moitié du couple, a la même raison que l'homme, est capable des plus hautes spéculations et s'entend parfaitement à l'administration; c'est elle qui donne à l'enfant l'éducation qui influera sur tout le reste de sa vie. «Tant que la femme, dit l'auteur, n'est pas l'associée du travail et de l'action, nous sommes serfs, nous ne pouvons rien,» elle peut même être en science médicale l'égale de l'homme: elle est une école, elle est seule éducatrice, etc.

Très bien jusque là; et sans doute M. Michelet serait conséquent, s'il ne s'était mis en tête un idéal masculin et un idéal féminin qui viennent gâter tout: il s'est dit: l'homme est un créateur, la femme une harmonie dont le but et la destination est l'amour, et, en conséquence, il nous trace pour cette dernière un plan d'éducation différant de celui qui doit développer l'homme: ce qui convient à la femme, ce sont les sciences naturelles; l'histoire ne doit lui être enseignée que pour former en elle une ferme foi morale et religieuse. Comme l'amour est sa vocation, à chaque âge de la femme doit correspondre un objet d'amour: les fleurs, la poupée, les enfants pauvres, puis l'amant, puis le mari et les enfants, puis le soin des jeunes orphelines, des prisonnières, etc.

Dans le livre de l'Amour, la femme seule semble tenue de se confesser au mari. Dans le livre de la Femme, l'obligation est réciproque.

La veuve du livre de l'Amour ne doit pas se remarier, celle du livre de la Femme peut épouser un ami de son mari, ou mieux quelqu'un que lui choisit le mourant; si elle est trop âgée, elle peut patronner un jeune homme; mais elle ferait mieux de protéger des jeunes filles, de réconcilier des ménages, de faciliter des mariages, de surveiller des prisonnières, etc.

Nous ne pousserons pas plus loin l'analyse: tout ce que nous pourrions objecter à la doctrine de l'auteur, se trouvera dans l'article Proudhon et la suite de l'ouvrage.

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