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La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes

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M. A. COMTE.


Qu'était-ce que M. Auguste Comte, mort en septembre 1857?

Pour résoudre cette question, il faut préalablement partager l'homme en deux, non pas comme l'entendait le sage roi Salomon au sujet de l'enfant contesté par deux mères, mais par la pensée, en en faisant deux hommes distincts: un philosophe et un révélateur.

M. Comte qui a renié et insulté son maître Saint-Simon, n'est que le vulgarisateur de ses travaux, récemment édités: voilà pour l'aspect rationnel.

Ce qu'il a en propre, c'est une organisation socio-religieuse qui ne peut être l'œuvre d'un esprit sain.

Ce qu'il a en propre, c'est un style lourd, sec, insulteur, orgueilleux au point d'en être révoltant; chargé et surchargé d'adjectifs et d'adverbes.

Ce qu'il a en propre, c'est d'avoir noyé quelques idées dans des volumes qui n'ont pas moins de 750 à 800 pages, petit caractère. Je ne vous conseille pas de les lire, lecteurs, à moins que, en votre âme et conscience, vous ne croyiez avoir mérité un grand nombre d'années de purgatoire et que vous ne préfériez les faire sur la terre que..... je ne sais s'il faut dire en haut ou en bas, puisque l'astronomie a bouleversé toutes les situations du monde matériel et spirituel.

Les disciples de M. Comte se divisent en deux écoles: celle des Philosophes Positivistes et celle des Sacerdotes.

Les premiers repoussent l'organisation religieuse de M. Comte, et ne sont en réalité que les enfants de la Philosophie moderne, et de très estimables adversaires de cette chose nébuleuse qu'on nomme la Métaphysique. Nous ne pouvons donc les avoir en vue dans cet article: ainsi, que M. Littré et ses honorables amis ne froncent point le sourcil en nous lisant: nous n'avons maille à partir qu'avec le grand prêtre et ses sacerdotes.

La doctrine de M. Comte sur la femme tenant à l'ensemble de son système social, disons d'abord un mot de ce système.

Il n'y a pas de Dieu; il n'y a pas d'âme: ce que nous devons adorer, c'est l'Humanité, représentée par les meilleurs de notre espèce.....

Il y a trois éléments sociaux: la femme, le prêtre et l'homme.

La femme est la providence morale, la gardienne des mœurs.

Sans l'amour tout mystique, je veux bien le croire, que M. Comte eut pour madame Clotilde de Vaux, il est probable que la femme n'eût pas été la Providence morale; grâce à cet amour, elle n'est rien moins que cela. On va voir qu'elle n'en est pas plus avancée.

De nature supérieure à celle de l'homme (au dire de M. Comte), elle n'en est pas moins soumise à lui, en conséquence d'un paradoxe philosophique que nous n'avons point à réfuter dans cet ouvrage.

La fonction de la femme est de moraliser l'homme, tâche qu'elle ne peut bien remplir que dans la vie privée; donc toutes les fonctions sociales et sacerdotales lui sont interdites.

Elle doit être préservée du travail, renoncer à la dot et à l'héritage; l'homme est chargé de la nourrir; fille, elle est à la charge de son père ou de ses frères; épouse, à celle de son mari; veuve, à celle de ses fils. A défaut de ses soutiens naturels, l'État, sur la demande du sacerdoce, subvient à ses besoins.

Le mariage est institué pour le perfectionnement des époux, surtout pour celui de l'homme: la reproduction de l'espèce en est si peu le but, qu'un jour, le progrès des sciences en permet l'espoir, la femme pourra reproduire seule l'humanité, de manière à réaliser et à généraliser l'hypothèse de la Vierge Mère. Alors on pourra réglementer la production humaine en ne confiant qu'aux plus dignes femmes la tâche de concevoir et de mettre au jour les enfants, surtout les membres du sacerdoce.

Le divorce n'est pas permis et le veuvage est éternel pour les deux sexes.

Tel est, en résumé, la doctrine Comtiste en ce qui concerne la femme, le mariage et la procréation. Comme le lecteur pourrait nous soupçonner d'exagération malicieuse, prions le de lire attentivement les pages suivantes, émanées de la plume de l'inventeur du système.

Selon lui, les femmes n'ont jamais demandé leur émancipation; les hommes qui la réclament pour elles, ne sont, dans le style plein d'aménité de M. Comte, que des utopistes corrompus des rétrogrades. «Tous les âges de transition, dit-il, ont suscité comme le nôtre des aberrations sophistiques sur la condition sociale des femmes. Mais la loi naturelle qui assigne au sexe effectif une existence essentiellement domestique, n'a jamais été gravement altérée..... Les femmes étaient alors (dans l'antiquité) trop abaissées pour repousser dignement, même par leur silence, les doctorales aberrations de leurs prétendus défenseurs..... Mais chez les modernes, l'heureuse liberté des femmes occidentales, leur permet de manifester des répugnances décisives, qui suffisent, à défaut de ratification rationnelle, pour neutraliser ces divagations de l'esprit, inspirées par le déréglement du cœur (Politique positive, t. Ier, p. 244 et 245).

«Sans discuter de vaines utopies rétrogrades, il importe de sentir, pour mieux apprécier l'ordre réel, que si les femmes obtenaient jamais cette égalité temporelle que demandent, sans leur aveu, leurs prétendus défenseurs, leurs garanties sociales en souffriraient autant que leur caractère moral. Car elles se trouveraient ainsi assujéties, dans la plupart des carrières, à une active concurrence journalière qu'elles ne pourraient soutenir, en même temps que la rivalité pratique corromprait les principales sources de l'affection mutuelle..... L'homme doit nourrir la femme, telle est la loi naturelle de notre espèce (Id. p. 248).

«Il faut concevoir la juste indépendance du sexe affectif comme fondée sur deux conditions connexes, son affranchissement universel du travail extérieur et sa libre renonciation à toute richesse.....

«(Les femmes) prêtresses domestiques de l'humanité, nées pour modifier par l'affection le règne nécessaire de la force, elles doivent fuir, comme radicalement dégradante, toute participation au commandement (Politique posit., tome IV, p. 69).

«La dégradation morale m'a paru plus grande encore, quand la femme s'enrichit par son propre travail. L'âpreté continue du gain lui fait perdre alors jusqu'à cette bienveillance spontanée que conserve l'autre type au milieu de ses dissipations.

«Il ne peut exister de pires chefs industriels que les femmes (Caté. Pos. p. 286).»

Ainsi, mesdames, qui préférez le travail à la prostitution, qui passez jours et nuits pour subvenir aux besoins de votre famille, il est bien entendu que vous vous dégradez; une femme ne doit rien faire; respect et gloire à la paresse.

Vous, Victoria d'Angleterre, Isabelle d'Espagne, vous commandez, donc vous vous dégradez radicalement.

M. Comte prétend que la supériorité masculine est incontestable en tout ce qui concerne le caractère proprement dit «source du commandement..... que l'intelligence de l'homme est plus forte, plus étendue que celle de la femme (Cat. Pos., p. 277).

«Une saine appréciation de l'ordre universel fera comprendre au sexe affectif combien la soumission importe à la dignité (Id., p. 70).

«Le sacerdoce fera sentir aux femmes le mérite de la soumission, en développant cette admirable maxime d'Aristote: la principale force de la femme consiste à surmonter la difficulté d'obéir; leur éducation les aura préparées à comprendre que toute domination, loin de les élever réellement, les dégrade nécessairement, en altérant leur principale valeur, pour attendre de la force l'ascendant qui n'est dû qu'à l'amour (Cat. Pos., p. 287).»

Voici quelques pages du système de Politique Positive, t. IV: elles sont trop curieuses pour ne pas intéresser le lecteur.

«Afin de mieux caractériser l'indépendance féminine, je crois devoir introduire une hypothèse hardie, que le progrès humain réalisera peut-être, quoique je ne doive examiner ni quand ni comment.

«Si l'appareil masculin ne contribue à notre génération que d'après une simple excitation, dérivée de sa destination organique, on conçoit la possibilité de remplacer ce stimulant par un ou plusieurs autres dont la femme disposerait librement. L'absence d'une telle faculté chez les espèces voisines ne saurait suffire pour l'interdire à la race la plus éminente et la plus modifiable.....

«Si l'indépendance féminine peut jamais atteindre cette limite, d'après l'ensemble du progrès moral, intellectuel et même matériel, la fonction sociale du sexe affectif se trouvera notablement perfectionnée. Alors cesserait toute fluctuation entre la brutale appréciation qui prévaut encore, et la noble doctrine systématisée par le positivisme. La production la plus essentielle (celle de notre espèce) deviendrait indépendante des caprices d'un instinct perturbateur, dont la répression normale constitue jusqu'ici le principal écueil de la discipline humaine. Une telle attribution se trouverait naturellement transférée, avec une responsabilité complète, à ses meilleurs organes, seuls capables de s'y préserver d'un vicieux entraînement, afin d'y réaliser toutes les améliorations qu'il comporte» (p. 68 et 69).»

Ce qui veut dire en bon français, lectrices, que viendra peut-être le temps où vous ferez des enfants sans le concours de ces messieurs; que cette fonction sera confiée à celles d'entre vous qui en seront le plus digne, et qu'elles seront rendues responsables de l'imperfection du produit.

«Dès lors, reprend l'auteur, l'utopie de la Vierge-Mère deviendra pour les plus pures et les plus éminentes, une limite idéale, directement propre à résumer le perfectionnement humain, ainsi poussé jusqu'à systématiser la procréation en l'anoblissant..... Le succès devant surtout dépendre du développement général des relations entre l'âme et le corps, sa recherche permanente (celle du problème de la virginité féconde) instituera dignement l'étude systématique de l'harmonie vitale, en lui procurant à la fois le but le plus noble et les meilleurs organes (p. 241).»

Traduisons: l'étude des relations du cerveau avec le corps nous conduira à découvrir le moyen de procréer des enfants sans le concours de l'homme; c'est le but le plus noble de cette étude; comme la faculté d'être vierge-mère, doit être l'idéal que se proposeront d'atteindre les femmes les plus pures et les plus éminentes.

«Voilà, poursuit M. Comte, comment je suis conduit à représenter l'utopie de la Vierge-Mère comme le résumé synthétique de la religion positive, dont elle combine tous les aspects (p. 76).»

Traduction: Procréer des enfants sans le concours de l'homme, résume la religion positive et en combine tous les aspects.

Cela peut être fort beau, mais rationnel et positif..... qu'en pensez vous, lecteurs?

«La rationalité du problème, ajoute l'auteur, est fondée sur la détermination du véritable office de l'appareil masculin, destiné surtout à fournir au sang un fluide excitateur, capable de fortifier toutes les opérations vitales, tant animales qu'organiques. Comparativement à ce service général, la stimulation fécondante devient un cas particulier, de plus en plus secondaire, à mesure que l'organisme s'élève. On conçoit ainsi que chez la plus noble espèce, ce liquide cesse d'être indispensable à l'éveil du germe, qui pourrait artificiellement résulter de plusieurs autres sources, même matérielles, surtout d'une meilleure réaction du système nerveux sur le système vasculaire (p. 276).»

Tout cela serait possible, j'en conviens, si le fluide dont vous parlez, Grand-Prêtre, avait surtout la fonction générale que vous lui attribuez;

Si la reproduction de notre espèce par le concours des deux sexes, n'était pas une loi;

Si l'on pouvait conserver une espèce en détruisant sa loi;

Si les faits ne contredisaient pas la possibilité de l'hypothèse.

Or mettre un si devant une loi naturelle et les phénomènes qui en sont l'expression, n'est qu'une grosse absurdité: on explique les lois, on ne les réforme pas sans modifier profondément l'être qu'elles régissent; on ne les détruit pas sans détruire cet être: car l'être individuel est la loi en forme.

L'auteur s'arrête ainsi sur les conséquences de l'hypothèse absurde.

«Dès lors on conçoit que la civilisation, non seulement dispose l'homme à mieux apprécier la femme, mais augmente la participation de ce sexe à la reproduction humaine qui doit, à la limite, émaner uniquement de lui.

«Personnellement envisagée, une telle modification doit améliorer la constitution cérébrale et corporelle des deux sexes, en y développant la chasteté continue dont l'importance fut de plus en plus pressentie par l'instinct universel, même pendant les déréglements (p. 277).

«Domestiquement considérée, cette transformation rendrait la constitution de la famille humaine plus conforme à l'esprit général de la sociocratie, en complétant la juste émancipation de la femme, ainsi devenue indépendante de l'homme, même physiquement. L'ascendant normal du sexe affectif ne serait plus contestable envers des enfants exclusivement émanés de lui.

«Mais le principal résultat consisterait à perfectionner l'institution fondamentale du mariage (Amélioration des époux sans motif sexuel) dont la théorie positive deviendrait alors irrécusable. Ainsi purifié, le lien conjugal éprouverait une amélioration aussi prononcée que quand la Monogamie y remplaça la Polygamie; car on généraliserait l'utopie du Moyen Age, où la Maternité se conciliait avec la Virginité.

«Appréciée civiquement, cette institution permet seule de régler la plus importante des productions, qui ne saurait devenir assez systématisable, tant qu'elle s'accomplira dans le délire et sans responsabilité.

«Réservée à ses meilleurs organes, cette fonction perfectionnerait la race humaine en déterminant mieux la transmission des améliorations dues à l'ensemble des influences extérieures tant sociales que personnelles..... La procréation systématique devant demeurer plus ou moins concentrée chez les meilleurs types, la comparaison des deux cas susciterait, outre de précieuses lumières, une importante institution qui procurerait à la Sociocratie le principal avantage de la Théocratie. Car le développement du nouveau mode ferait bientôt surgir une caste sans hérédité, mieux adaptée que la population vulgaire au recrutement des chefs spirituels et même temporels, dont l'autorité reposerait alors sur une origine vraiment supérieure qui ne fuirait pas l'examen.

«L'ensemble de ces indications suffit pour faire apprécier l'utopie de la Vierge-Mère, destinée à procurer au Positivisme un résumé synthétique, équivalant à celui que l'institution de l'Eucharistie fournit au Catholicisme (p. 278 et 279).»

Il est fort à craindre, hélas! que les disciples du grand homme, quelqu'ardents chercheurs d'harmonie vitale qu'ils puissent être, ne trouvent jamais le résumé synthétique du Positivisme, l'équivalent de l'Eucharistie: et ce sera grand dommage: commander des enfants comme on commande des chaussures, et les laisser pour compte aux mères qui les auraient mal réussis, eût été fort commode.

Et que feront, je vous le demande, les futurs conducteurs de l'humanité, s'ils n'obtiennent le respect et l'obéissance qu'à la condition de prouver qu'ils sont fils de vierges?

Mais ne plaisantons pas avec un aussi grave personnage que le Grand-Prêtre de l'Humanité; disons seulement en passant, que jamais on ne vit athée se montrer plus profondément chrétien que lui par le mépris de l'œuvre de chair. Écoutons-le à la page 286 de l'ouvrage précité.

«Inutile à la conservation individuelle, l'instinct sexuel ne concourt que d'une manière accessoire et même équivoque à la propagation de l'espèce. Les philosophes vraiement dégagés de toute superstition, doivent de plus en plus le regarder comme tendant surtout à troubler la destination principale du fluide vivifiant. Mais sans attendre que l'utopie féminine se trouve réalisée, on peut déterminer, sinon l'atrophie, du moins l'inertie de cette superfétation cérébrale, avec plus de facilité que ne l'indiquent les efforts insuffisants du théologisme. Outre que l'éducation positive fera partout sentir les vices d'un tel instinct, et suscitera l'espoir continu de sa désuétude, l'ensemble du régime final doit naturellement instituer à son égard, un traitement révulsif plus efficace que les austérités catholiques. Car l'essor universel de l'existence domestique et de la vie publique développera tellement les affections sympathiques, que le sentiment, l'intelligence et l'activité concourront toujours à flétrir et à réprimer le plus perturbateur des penchants égoïstes.»

Malgré tout cet essor et toutes ces flétrissures, défiez-vous, Grand-Prêtre! Croyez-moi, employez le camphre, beaucoup de camphre; mettez-en partout comme certain amphitryon mettait de la muscade.

C'est en prévision des excommunications lancées par vous contre ce vil instinct, cet instinct inutile, que la nature a prodigué du camphre.

En somme vous voyez, lectrices, que si M. Comte nous croit moins fortes que l'homme de corps, d'esprit, de caractère, en revanche il nous croit meilleures que lui.

Nous sommes la providence morale, des anges gardiens: il rêve pour nous l'affranchissement par le renversement d'une loi naturelle.

Mais en attendant il nous place sous le joug de l'homme en nous dispensant du travail;

Il rive nos fers, en nous engageant patelinement à nous dépouiller de notre avoir;

Il nous dit de la plus douce voix du monde: ne commandez jamais: cela vous dégraderait;

Votre grande force est d'obéir à celui que votre destinée est de diriger.

Vous ne serez rien dans le temple, rien dans l'État;

Dans la famille vous êtes prêtresses domestiques, les auxiliaires du sacerdoce.

Trois sacrements sur neuf vous sont refusés: celui de la destination parce que, pour vous, il se confond avec celui du mariage; celui de la retraite, parce que vous n'avez pas de profession; enfin celui de l'incorporation, parce qu'une femme ne peut, par elle-même, mériter une apothéose personnelle et publique.

Si vous avez été de dignes auxiliaires, vous serez enterrées près de ceux que vous aurez influencés, comme leurs autres auxiliaires utiles: le chien, le cheval, le bœuf et l'âne; et l'on fera mention de vous lorsqu'on honorera le membre de l'humanité auquel vous aurez appartenu.

Réfuterons-nous de telles doctrines? Non. Ce que nous aurions à en dire, sera plus utilement placé dans l'article consacré à M. Proudhon qui a largement puisé dans la doctrine de M. Comte.

Quand aux sacerdotes qui continuent les enseignements de leur maître, contentons-nous de les renvoyer à ce que je disais à M. Comte dans la Revue Philosophique de décembre 1855.

Les femmes d'aujourd'hui sont, en général, intelligentes, parce qu'elles reçoivent une éducation supérieure à celle que recevaient leurs mères. La plupart d'entre elles se livrent à l'existence active soit dans les arts, soit dans l'industrie; les hommes les y reconnaissent leurs émules, et avouent même qu'elles leur sont supérieures dans l'administration. Aucun homme, digne de ce nom, n'oserait contester que la femme ne soit son égale, et que bientôt arrivera le jour de son émancipation civile.

Les femmes, de leur côté, plus indépendantes, plus dignes, sans qu'elles aient rien perdu de leur grâce et de leur douceur, ne comprennent plus votre fameux axiome: l'homme doit nourrir la femme; elle comprendraient encore moins votre admirable maxime d'Aristote, bonne pour les esclaves du Gynécée. Soyez bien convaincu que toute vraie femme rira du vêtement de nuages que vous prétendez lui donner, de l'encens dont vous voulez l'asphyxier; car elle ne se soucie plus d'adoration, elle veut du respect, de l'égalité; elle veut porter sans entraves son intelligence et son activité dans les sphères propres à ses aptitudes; elle veut aider l'homme, son frère, à défricher le champ de la théorie, le domaine de la pratique; elle prétend que chaque être humain est juge de ses aptitudes; elle ne reconnaît à aucun homme, à aucune doctrine le droit de fixer sa place et de jalonner sa route. C'est par le travail de la guerre que le patriciat s'est constitué, c'est par le travail pacifique que le servage s'est émancipé, c'est aussi par le travail que la femme prétend conquérir ses droits civils.

Voilà, monsieur, ce que sont, ce que veulent être beaucoup de femmes aujourd'hui: voyez si ce n'est pas folie de vouloir ressusciter le gynécée et l'atrium pour ces femmes imprégnées des idées du XVIIIe siècle, travaillées par les idées de 89 et des réformateurs modernes. Dire à de telles femmes qu'elles ne seront rien ni dans l'État, ni dans le mariage, ni dans la science, ni dans l'art, ni dans l'industrie, ni même dans votre paradis subjectif, est quelque chose de tellement énorme que je ne conçois pas, pour mon compte, que l'aberration puisse aller aussi loin.

Vous ne trouveriez plus une interlocutrice vous disant: «qu'une femme ne peut presque jamais mériter une apothéose personnelle et publique... que des vues qui supposent l'expérience la plus complète et la réflexion la plus profonde sont naturellement interdites au sexe dont les contemplations ne sauraient guère dépasser avec succès l'enceinte de la vie privée... que la dégradation morale de la femme est encore plus grande quand elle s'enrichit par son propre travail... qu'il n'y a pas de pires chefs industriels que les femmes...» Et si quelque femme arriérée avait l'imbécillité et l'impudeur de tenir un semblable langage, les hommes de quelque valeur n'auraient pour elle que du dédain.

Mais vous, monsieur, qui voulez annihiler la femme, de quel principe tirez-vous une semblable conséquence? De ce qu'elle est, dites-vous, puissance affective.... oui, mais à ce compte l'homme l'est aussi; et est-ce que la femme, aussi bien que lui, n'est pas également intelligence et activité? Est-ce sur une prédominance tout accidentelle que l'on peut reléguer une moitié de l'espèce humaine par delà les nuages de la sentimentalité? Et toute discipline sérieuse ne doit-elle pas tendre à développer, non pas une face de l'être, mais la pondération, l'harmonie de toutes ses faces. La désharmonie est la source du désordre, du laid. La femme sentimentale seulement commet d'irréparables écarts, l'homme rationnel seulement est une sorte de monstre, et celui chez lequel prédomine l'activité n'est qu'une brute. Puisque vous croyez en Gall et Spurzheim, vous savez que l'encéphale des deux sexes se ressemble, qu'il est modifiable chez l'un comme chez l'autre, que toute l'éducation est fondée sur cette modificabilité: comment ne vous est-il point venu à l'esprit que si l'homme est en masse plus rationnel que la femme, c'est parce qu'éducation, lois et mœurs développent chez lui les lobes antérieurs du cerveau; tandis que chez la femme l'éducation, les lois, les mœurs développent surtout les lobes postérieurs de cet organe; et comment, ayant constaté ces faits, n'avez-vous pas été conduit à conclure que, puisque les organes ne se développent qu'en conséquence des excitants qui leur sont adressés, il est probable que l'homme et la femme, soumis aux mêmes excitants cérébraux, se développeront de la même manière avec les nuances propres à chaque individualité; et que si la femme se développe harmoniquement sous ses trois aspects, il faut qu'elle se manifeste socialement sous trois aspects. Songez-y, monsieur, votre principe est trois fois faux, trois fois en contradiction avec la science, avec la raison; en présence de la physiologie du cerveau toutes les théories de classement tombent: les femmes sont les égales des hommes devant le système nerveux: elles ne pouvaient leur être inférieures que devant la suprématie musculaire attaquée par l'invention de la poudre et que va réduire en poussière le triomphe de la mécanique.

Que de choses j'aurais encore à vous dire, monsieur, si cette ébauche de critique n'était déjà trop longue; mais, quelque mauvaise qu'elle soit, comme elle n'a dans mon esprit que le sens d'une protestation de femme contre vos doctrines, je crois pouvoir m'en tenir là.

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