La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes
Les Communistes ont pour principe d'organisation sociale, non pas, comme on les en accuse par ignorance ou mauvaise foi, la loi agraire, mais la jouissance en commun de la terre, des instruments de travail et des produits: De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins, telle est la formule de la plupart d'entre eux.
Nous n'avons pas à examiner dans cet ouvrage la valeur sociale de cette doctrine, mais seulement à constater ce que le Communisme pense de la Femme et de ses Droits.
Les Communistes modernes peuvent se classer en Religieux et en Politiques.
Parmi les premiers, sont les Saint-Simoniens, les Fusioniens et les Philadelphes.
Parmi seconds, sont les Égalitaires, les Unitaires, les Icariens, etc.
Les premiers considèrent la Femme comme l'égale de l'Homme. Pour les autres elle est libre, chez quelques-uns avec une nuance de subordination.
Les Unitaires, qui ont largement puisé dans Fourier, proclament la Femme libre et leur égale.
Nous ne parlerons ici que de quelques sectes communistes, réservant pour deux articles séparés ce qui concerne les Saint-Simoniens et les Fusioniens.
Les Philadelphes, admettant Dieu et l'âme immortelle, posent ces deux principes: Dieu est le chef de l'Ordre social; la Fraternité est la loi qui régit les rapports humains.
La Religion, pour les Philadelphes, est la pratique de la Fraternité; le Progrès est un dogme, la Communauté est la loi de l'individu devant Dieu et la conscience.
En ce qui concerne les rapports des sexes et les droits de la Femme, M. Pecqueur s'exprime ainsi dans son ouvrage: La République de Dieu, aux pages 194 et 195:
«Égalité complète de l'homme et de la femme;
«Mariage monogame, intentionnellement indissoluble comme état normal; telle est la seconde conséquence pratique du dogme de la fraternité religieuse.
«1o Égalité.
«Nous ne venons pas apporter des preuves à l'évidence; celui qui n'est pas frappé de l'égalité des sexes, a la raison oblitérée par le préjugé, ou le cœur refroidi par l'égoïsme.
«Dans le milieu créé par la religion de fraternité et d'égalité, les femmes trouveront, dès leurs jeunes années, les mêmes moyens et les mêmes conditions de développement de fonction et de rémunération, enfin les MÊMES DROITS, le même but social à poursuivre, que les hommes; et à mesure que les mœurs correspondront aux fins religieuses et morales de l'union, la loi vivante déduira les conséquences pratiques de tout ordre, contenues en germe dans le dogme de l'égalité complète des sexes.
«4o Monogamie et Indissolubilité.
«Pour comprendre la légitimité du mariage monogame illimité ou indéfini, il suffit de considérer: 1o les exigences de notre nature intime, c'est à dire les caractères de l'amour; son aspiration instinctive à l'union et à la fusion des deux êtres, à la durée et à la perpétuité; le besoin de se posséder réciproquement, et d'en avoir la foi pour s'aimer; enfin l'instinct, le désir, les affections irrésistibles, universelles, et les joies de la paternité et de la famille; 2o les conditions physiologiques de la génération, qui exigent la monogamie, pour que la reproduction et la conservation bonne et progressive de l'espèce soit assurée; 3o les exigences sociales et religieuses qui veulent que les rapports de tous genres soient prédéterminés et régularisés, afin que chacun ait sécurité dans son attente et dans sa possession, et que les penchants fondamentaux de notre nature aient la possibilité de se satisfaire..... Prétendre importer la Polygamie, la promiscuité, ou le bail légal dans un tel milieu (la Société Philadelphe), c'est évidemment décréter l'égoïsme et le bon plaisir de la chair dans le même temps qu'on proclame le devoir et la dignité. On ne conçoit pas que deux être moraux, liés une fois d'un amour pur, cessent de s'aimer, de se complaire, au moins de se supporter, lorsque déjà ils sont supposés aimer indistinctement leurs frères et sœurs avec dévouement et sacrifice.
«Encore moins conçoit-on que leurs frères et sœurs songent à détourner cet amour réciproque de deux d'entre la famille à leur avantage personnel; car on appelle cela infamie.»
M. Pecqueur admet cependant que, dans des cas fort rares, le divorce puisse être prononcé pour cause d'incompatibilité d'humeur. Dans ce cas, l'époux qui aurait tort serait exclu de la république et l'autre pourrait se remarier.
Selon M. Pecqueur l'indissolubilité du mariage ne regarde pas nos sociétés antagoniques; car l'auteur dit à la page 197:
«Le Divorce est un grand malheur, non seulement pour les époux, mais pour la religion; toutefois dans le monde de César où il s'agit de pure justice, c'est encore le moindre des maux, lorsque les individus sont résolus à la séparation de fait, et à la convoitise d'autres liens. On fait clandestinement le mal; on est cause ou occasion de tentation et de chute pour les autres. Le scandale est connu quoiqu'on fasse; de telle sorte que ni la société, ni les époux, ni les enfants, ni la morale ne trouvent leur bien à la consécration de la perpétuité absolue.
«Il n'est point charitable, il est impie de forcer à rester côte à côte, deux êtres dont l'un au moins maltraite, hait, exploite ou maîtrise l'autre. Il est également odieux de leur permettre la séparation de corps sans leur permettre en même temps de se livrer à des affections chastes, lorsqu'on y répond en honnêteté et liberté.»
Ainsi donc pour les Philadelphes, expliqués par M. Pecqueur, le Mariage est monogame, indissoluble intentionnellement; le divorce est une triste nécessité du monde actuel, tandis que la séparation est une chose immorale. Enfin la femme est libre et l'égale de l'homme.
Une autre secte communiste, celle des Icariens, ne s'occupe ni de la nature, ni des droits de la Femme. Son chef, M. Cabet, ancien procureur général, était trop imbu des doctrines du Code Civil, peu élégante paraphrase de l'apôtre Paul, pour ne pas être persuadé que la femme doit rester en dehors du droit politique, et qu'elle doit se subordonner à l'homme en général, et à son mari, bon ou mauvais, en particulier.
Rendons toutefois justice aux disciples de M. Cabet: je n'en ai pas trouvé un seul de son avis sur cette grande question.
Un soir, qu'en 1848, M. Cabet présidait un club très nombreux, il fut prié par une femme de mettre aux voix cette question: La femme est-elle l'égale de l'homme devant le droit social et politique? Presque toutes les mains se levèrent pour l'affirmative; à la contre-épreuve aucune main ne se leva; aucun homme ne protesta contre cette affirmation. Une salve d'applaudissements partit des tribunes remplies de femmes; et M. Cabet fut assez déconcerté du résultat. Il semblait ignorer que le peuple, éminemment logique, n'argutie point pour éluder ou restreindre les applications du principe qu'il adopte.
Ce vote du club Cabet s'est renouvelé devant moi dans trois autres: les porteurs de paletots riaient des réclamations de la brave Jeanne Duroin, mais les porteurs de blouses n'en riaient pas
M. Dezamy, représentant d'une autre nuance communiste, s'exprime ainsi dans le Code de la Communauté, page 132: «Plus de domination maritale! Liberté des alliances! égalité parfaite entre les deux sexes! Libre divorce!»
Et à la page 266, sous ce titre: Lois de l'union des sexes, qui auront pour effet de prévenir toute discorde et toute débauche, l'auteur ajoute:
«Art. 1er. L'amour mutuel, la sympathie intime, la parité de cœur de deux êtres, forment et légitiment leur union.
Art. 2. Il y aura entre les deux sexes égalité parfaite.
Art. 3. Aucun lien que l'amour mutuel ne pourra enchaîner l'un à l'autre l'homme et la femme.
Art. 4. Rien n'empêchera les amants qui se sont séparés de s'unir de nouveau, et aussi souvent qu'ils aspireront l'un vers l'autre.»
La morale de M. Dezamy n'est pas de notre goût, nous préférons celle du communiste Pecqueur; mais nous sommes heureuse de constater que le Communisme moderne, divisé sur la question du mariage, de la famille et de la morale dans les relations des sexes, n'a qu'une voix lorsqu'il s'agit de la liberté de la femme et de l'égalité des sexes devant la loi et la Société.
En cela, le Communisme moderne est très supérieur à l'ancien; pratiqué chez plusieurs peuples, enseigné par Platon, Morelly, etc. C'est un signe des temps, que cette plus juste appréciation de la femme et l'introduction du principe de son droit dans des doctrines qui, autrefois, n'en tenaient aucun compte.
La plupart des Communistes appartiennent à la classe des travailleurs: ce qui prouve que le peuple surtout sent cette grande vérité: que la liberté de la femme est identique à celle des masses. Et ce ne sont pas MM. Proudhon, Comte, Michelet et leurs adeptes qui auront puissance de lui faire rebrousser chemin, et de jeter de la glace sur ses sentiments.