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La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes

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M. ERNEST LEGOUVÉ


Héritier d'un nom qui oblige, M. Ernest Legouvé, écrivain élégant, éloquent, plein de passion, a fait une Histoire morale des femmes, d'où s'exhale un parfum d'honnêteté et d'amour du Progrès qui fait du bien au cœur et rassérène l'esprit.

Dans chacune des pages de ce livre, on surprend l'élan d'un cœur bon, d'un esprit élevé, que révoltent l'injustice, l'oppression, la laideur morale. L'auteur a bien mérité des femmes, et c'est avec bonheur que je saisis l'occasion de le remercier au nom de celles qui, en divers pays, luttent à l'heure qu'il est pour l'émancipation de la moitié du genre humain.

J'ai déjà vulgarisé en Italie les données générales du livre de M. Legouvé. Cet ouvrage est tellement connu parmi nous, qu'une analyse m'en paraîtrait superflue, si je ne croyais que, dans un livre où il est question des droits de la femme, on ne peut légitimement se dispenser de parler de M. Legouvé et de rappeler la sympathie dont nous honorait son père.

Voici donc le compte-rendu que j'ai fait de l'Histoire morale des femmes dans la Ragione de Turin, numéros du 16 août, du 6 et du 20 septembre 1856.

Quel est l'objet de l'ouvrage de M. Legouvé? Laissons-le lui-même le dire.

«L'objet de ce livre se résume par ces mots: réclamer la liberté féminine au nom des deux principes mêmes des adversaires de cette liberté: la tradition et la différence (des sexes); c'est à dire, montrer dans la tradition le progrès, et dans la différence l'égalité.

«Dieu a créé l'espèce humaine double, nous n'en utilisons que la moitié; la nature dit deux, nous disons un: il faut dire comme la nature. L'unité elle-même, au lieu d'y périr, sera seulement alors l'unité véritable, c'est à dire non pas l'absorption stérile d'un des deux termes au profit de l'autre, mais la fusion vivante de deux individualités fraternelles, accroissant la puissance commune de toute la force de leur développement particulier.

«L'esprit féminin est étouffé, mais il n'est pas mort..... Nous ne pouvons pas confisquer à notre gré une force créée par Dieu, éteindre un flambeau allumé de sa main, seulement détourné de son but; cette force, au lieu de créer, détruit; ce flambeau consume au lieu d'éclairer.

«Ouvrons donc à larges portes l'entrée du monde à cet élément nouveau, nous en avons besoin.»

Puis, examinant la situation des femmes, l'auteur ajoute: «Aucune histoire ne présente, nous le croyons, plus de préjugés iniques à combattre, plus de blessures secrètes à guérir.

«Parlerons-nous du présent? Filles, pas d'éducation publique pour elles, pas d'enseignement professionnel, pas de vie possible sans mariage, pas de mariage sans dot. Épouses, elles ne possèdent pas légalement leurs biens, elles ne possèdent pas leurs personnes, elles ne peuvent pas donner, elles ne peuvent pas recevoir, elles sont sous le coup d'un interdit éternel. Mères, elles n'ont pas le droit légal de diriger l'éducation de leurs enfants, elles ne peuvent ni les marier ni les empêcher de se marier, ni les éloigner de la maison paternelle, ni les y retenir. Membres de la cité, elles ne peuvent ni être tutrices d'un orphelin, autre que leur fils ou leur petit-fils, ni faire partie d'un conseil de famille, ni témoigner dans un testament; elles n'ont pas le droit d'attester à l'état civil la naissance d'un enfant! Parmi les ouvriers, quelle classe est la plus misérable? Les femmes. Qui est-ce qui gagne seize sous, dix-huit sous pour douze heures de travail? Les femmes. Sur qui tombent toutes les charges des enfants naturels? Sur les femmes. Qui supporte toute la honte des fautes commises par la passion? Les femmes.»

Puis, après avoir montré la position des femmes riches, il continue: «Et ainsi, esclaves partout, esclaves de la misère, esclaves de la richesse, esclaves de l'ignorance, elles ne peuvent se maintenir grandes et pures qu'à force de noblesse native et de vertu presque surhumaine. Une telle domination peut-elle durer? Évidemment non. Elle tombe forcément devant le principe de l'équité naturelle; et le moment est venu de réclamer, pour les femmes, leur part de droits et surtout de devoirs; de faire sentir tout ce que l'assujettissement leur enlève et tout ce qu'une juste liberté leur rendra; de montrer enfin le bien qu'elles ne font pas, et le bien qu'elles peuvent faire.»

Le passé nous montre la femme de plus en plus opprimée à mesure que l'on remonte le cours des siècles: «La révolution française (elle-même), qui a tout renouvelé afin d'affranchir les hommes, n'a, pour ainsi dire, rien fait pour l'émancipation des femmes..... 91 a respecté presque toutes les servitudes féminines de 88, et le Consulat les a consacrées dans le Code civil.»

Ce fut, selon M. Legouvé, la faute de la philosophie du XVIIIe siècle, car: «La femme est, selon Diderot, une courtisane; selon Montesquieu, un enfant agréable; selon Rousseau, un objet de plaisir pour l'homme; selon Voltaire, rien..... Condorcet et Sieyès demandaient même l'émancipation politique des femmes; mais leurs protestations furent étouffées par les voix puissantes des trois grands continuateurs du XVIIIe siècle, Mirabeau, Danton, Robespierre.»

Sous le Consulat, «la liberté féminine n'eut pas d'adversaire plus décidé (que Bonaparte): homme du Midi, le spiritualisme de la femme lui échappe; homme de guerre, il voit dans la famille un camp, et y veut avant tout la discipline; despote, il y voit un état, et y veut avant tout l'obéissance. C'est lui qui termina une discussion au Conseil par ces mots: il y a une chose qui n'est pas française, c'est qu'une femme puisse faire ce qui lui plaît..... Toujours l'homme (dans la pensée de Bonaparte); toujours l'honneur de l'homme! Quant au bonheur de la femme, il n'en est pas question une seule fois (dans le Code civil).»

C'est au nom de la faiblesse des femmes, au nom de la tradition, qui les montre toujours subalternes, c'est au nom de leurs fonctions ménagères, que les adversaires de l'émancipation des femmes s'y opposent: «Les instruire c'est les déparer, dit ironiquement M. Legouvé; et ils ne veulent pas qu'on leur gâte leurs jouets.» Puis il continue sérieusement: «Que nous importe la tradition? Que nous importe l'histoire? Il est une autorité plus forte, que le consentement du genre humain, c'est le droit. Quand mille autres siècles de servitude viendraient s'ajouter à tous ceux qui sont déjà passés, leur accord ne pourrait abolir le droit primordial qui domine tout, le droit absolu de perfectionnement que chaque être a reçu, par cela seul qu'il a été créé.»

A ceux qui basent leur opposition sur les fonctions domestiques de la femme, il répond: «Si là (dans le ménage) est leur royaume, elles doivent donc y être reines; leurs facultés propres leur y assurent l'autorité, et leurs adversaires sont forcés, par leurs propres principes, de les émanciper comme filles, comme épouses, comme mères. Ou, au contraire, on veut étendre leur sphère d'influence, leur donner un rôle dans l'État; et nous croyons qu'il leur en faut un; eh bien! c'est, encore dans cette dissemblance (entre les deux sexes) qu'il convient de le chercher. Lorsque deux êtres se valent, c'est presque toujours parce qu'ils diffèrent, non parce qu'ils se ressemblent. Loin de déposséder les hommes, la mission des femmes sera donc de faire ce que les hommes ne font pas, d'aspirer aux places vides, de représenter enfin dans la cité l'esprit de la femme.»

Comme on le voit, M. Legouvé réclame l'émancipation civile des femmes au nom du droit éternel, au nom du bonheur de la famille, au nom de la cité; leur oppression séculaire est un fait inique, et il jette une parole de blâme à tous ceux qui l'ont perpétuée. Cette parole d'homme de cœur et de justice aura peut-être quelque poids auprès des femmes, qui se sont accoutumées si bien à l'esclavage qu'elles n'en rougissent pas, qu'elles ne le sentent même plus!

Dans son premier livre, La Fille, divisé en sept chapitres, M. Legouvé prend l'enfant à sa naissance; il la montre infériorisée dans les religions et les législations anciennes par Manou, par Moïse, à Rome, à Sparte, à Athènes, sous le régime féodal; et il se demande pourquoi, de nos jours encore, une sorte de défaveur est jetée sur la naissance de la fille? C'est, dit-il, parce qu'elle ne continuera ni l'œuvre ni le nom de son père; c'est parce que son avenir fait naître mille inquiétudes. «La vie est si rude et si incertaine pour une fille! Pauvre, que de chances de misère! Riche, que de chances de douleurs morales! Si elle ne doit avoir que son travail pour soutien, comment lui donner un état qui la nourrisse, dans une société où les femmes gagnent à peine de quoi ne pas mourir? Si elle n'a pas de dot, comment la marier, dans ce monde où la femme, ne représentant jamais qu'un passif, est forcée d'acheter son mari?..... Dès ce début, et dans ce berceau d'enfant..... nous avons trouvé et entrevu toutes les chaînes qui attendent les femmes: insuffisance de l'éducation pour la fille riche; insuffisance du salaire pour la fille pauvre; exclusion de la plupart des professions; subalternité dans la maison conjugale.»

Dans le chapitre 2me l'auteur montre par quelles phases la fille, privée du droit d'hériter, est arrivée de nos jours à partager également avec ses frères; puis, passant au droit d'éducation (chap. 3me), il répond à ceux qui prétendent, que donner une forte éducation à la femme, ce serait la gâter et porter atteinte à la famille: «La diversité de leur nature (de l'homme et de la femme) se développant par l'identité de leurs objets d'études, on peut dire, que les femmes seront d'autant plus femmes, qu'elles seront plus virilement élevées.

«Eh bien, c'est au nom de la famille, au nom du salut de la famille, au nom de la maternité, du mariage, du ménage, qu'il faut réclamer pour les filles une forte et sérieuse éducation... Sans savoir, pas de mère complétement mère; sans savoir, pas d'épouse vraiment épouse. Il ne s'agit pas, en découvrant à l'intelligence féminine les lois de la nature, de faire de toutes nos filles des astronomes et des physiciennes: voit-on, que les hommes deviennent des latinistes pour avoir employé dix ans de leur vie à l'étude du latin? Il s'agit de tremper vigoureusement leur pensée par le commerce de la science; et de les préparer à entrer en partage de toutes les idées de leurs maris, de toutes les études de leurs enfants... L'ignorance amène mille défauts, mille égarements pour l'épouse..... Tel mari qui se moque de la science, eût été sauvé par elle du déshonneur.»

Insistant sur le droit de la femme, l'auteur ajoute: «Eh bien! comme telle (comme créature de Dieu), elle a le droit au développement le plus complet de son esprit et de son cœur. Loin donc de nous ces vaines objections tirées de nos lois d'un jour! C'est au nom de l'éternité que vous lui devez la lumière.» Et plus loin s'indignant il s'écrie: «Quoi! l'état paie une université pour les hommes, une école polytechnique pour les hommes, des conservatoires d'arts et métiers pour les hommes, des écoles d'agriculture pour les hommes..... et pour les femmes, que fonde-t-il: Des écoles primaires! Encore n'est-ce pas même lui qui les a créées, c'est la commune.... Aucune inégalité n'est plus blessante. Il y a des tribunaux et des prisons pour les femmes, il doit y avoir une éducation publique pour les femmes; vous n'avez pas le droit de punir celles que vous n'instruisez pas!» M. Legouvé demande, en conséquence, l'éducation publique pour les filles dans des athénées «qui, par un enseignement approfondi de la France, de ses lois, de ses annales, de sa poésie, feront de nos femmes des françaises. La patrie seule peut enseigner l'amour de la patrie.»

Les religions et les législations anciennes punissaient gravement les délits et les crimes contre la pureté des femmes (établit M. Legouvé dans son 4me chapitre). Notre code, profondément immoral, ne punit pas la séduction, ne punit que dérisoirement la corruption, et qu'insuffisamment le viol. Déclarer nulle la promesse de mariage est une effrayante immoralité; ne point permettre la recherche de la paternité, et admettre celle de la maternité, est aussi cruel qu'immoral. Si l'on compare la sollicitude du législateur pour la propriété avec sa sollicitude pour la pureté, on reconnaîtra combien la loi se soucie peu de cette dernière. «La loi n'admet comme coupable qu'un seul rapt d'honneur, le viol, mais elle définit, poursuit et châtie deux manières de dérober l'argent: le vol et le dol; il y a des filous d'écus, il n'y a pas de filous de chasteté.»

Qu'un homme ait séduit une fille de 15 ans par une promesse de mariage, il a «le droit de venir dire à la justice: voici ma signature, cela est vrai; mais je la renie; une dette de cœur est nulle devant la loi.»

L'auteur indigné s'écrie plus loin: «Ainsi donc de toutes parts, dans la pratique et dans la théorie, dans le monde et dans la loi, pour les classes riches comme pour les classes pauvres, abandon de la pureté publique, bride sur le cou à tous les désirs effrénés ou dépravateurs... Des manufacturiers séduisent leurs travailleuses, des chefs d'atelier chassent les jeunes filles qui ne veulent pas s'abandonner à eux, des maîtres corrompent leurs servantes. Sur 5083 filles perdues que comptait le grave Parent-Duchâtelet, à Paris, en 1830, il y avait 285 domestiques séduites par leurs maîtres et renvoyées. Des commis marchands, des officiers, des étudiants dépravent de pauvres filles de province ou de campagne, les entraînent à Paris où ils les abandonnent, et où la prostitution les recueille..... Dans tous les grands centres d'industrie, à Rheims, à Lille, il se trouve des compagnies organisées pour le recrutement des maisons de débauche de Paris.»

M. Legouvé dans son indignation d'honnête homme, ajoute: «Qu'on châtie la jeune fille coupable, soit; mais châtiez aussi l'homme. Elle est déjà punie, elle, punie par l'abandon, punie par le déshonneur, punie par les remords, punie par neuf mois de souffrances, punie par la charge d'un enfant à élever: qu'il soit donc frappé à son tour; si non, ce n'est pas la pudeur publique que vous défendez, ainsi que vous le dites, c'est la suzeraineté masculine dans ce qu'elle a de plus vil, le droit du Seigneur!

«L'impunité assurée aux hommes double le nombre des enfants naturels. L'impunité nourrit le libertinage; or le libertinage énerve la race, bouleverse les fortunes, et flétrit les enfants. L'impunité alimente la prostitution; or la prostitution détruit la santé publique, et fait un métier de la paresse et de la licence. L'impunité, enfin, livre la moitié de la nation en proie aux vices de l'autre: sa condamnation est dans ce seul mot.»

Dans le chapitre 5me l'auteur trouvant, avec raison, qu'on marie les filles trop jeunes, voudrait ne les voir entrer en ménage qu'à 22 ans; les œuvres de charité, les études solides, les plaisirs innocents, et la notion du véritable amour, suffiraient à les conserver pures jusqu'à cet âge. «Si donc, dit-il, la jeune fille apprend, que rien n'est plus mortel à ce sentiment divin (l'amour) que les caprices éphémères qui osent s'appeler de son nom; si elle l'entrevoit tel qu'un de ces rares trésors qu'on n'acquiert qu'en les conquérant, qu'on ne garde qu'en les méritant; si elle sait que le cœur, qui veut être digne de le recevoir, doit se purifier comme un sanctuaire, et s'agrandir comme un temple; alors, soyez en sûr, cet idéal sublime, gravé en elle, la dégoûtera par sa seule beauté des vaines images qui le profanent ou le parodient; on n'adore pas les idoles quand on connaît Dieu.»

«Qu'est-ce que le mariage?» se demande M. Legouvé. (Chap. 6.)

«C'est l'union de deux créatures libres, s'associant pour se perfectionner par l'amour.» L'antiquité, ni le moyen âge ne le considéraient ainsi. Le père de l'antiquité transmettait au mari le droit de propriété qu'il avait sur sa fille moyennant une somme de..... A Athènes la fille, même mariée, faisait partie de la succession paternelle, et devait quitter son mari pour épouser l'héritier. A Rome le père, après avoir marié sa fille, pouvait la reprendre et la faire épouser à un autre. Chez les barbares elle appartenait à celui qui payait le mundium à son père. Sous la féodalité l'on disposait également de la fille sans son consentement. La révolution française l'a émancipée sous ce rapport: il faut qu'elle consente à son mariage; mais les mœurs lui ôtent le bénéfice de cette émancipation; on la marie trop jeune, elle ne sait pas ce qu'elle fait; c'est l'intérêt, presque toujours, qui détermine les parents à la marier. Pour que la femme profite de son émancipation légale, il faut qu'elle ait au moins vingt-deux ans, qu'elle choisisse librement, que les parents se contentent d'éloigner d'elle ceux qu'elle ne doit pas choisir, qu'ils se bornent à l'éclairer, à la conseiller; car de l'amour des époux dépend le bonheur et la vertu de la femme. L'auteur voudrait aussi la suppression des actes respectueux, qui sont un attentat à la majesté paternelle.

Examinant ensuite (chap. 7) l'origine du douaire, la transformation de la dot, les fiançailles et le mariage, M. Legouvé montre le mundium payé d'abord au père ou au frère; puis, plus tard, à la jeune fille, devenir, avec les autres dons nuptiaux, l'origine du douaire, qu'il voudrait voir obligatoire de nos jours. Passant à la dot, il établit que, lentement constituée dans le monde romain, elle fut d'abord la propriété du mari; puis, par le progrès, devint la propriété de la femme. Notre code a parfaitement protégé la dot; mais la loi devrait contraindre les parents riches à doter leurs filles pour qu'elles puissent se marier. Autrefois une jeune fille était fiancée par l'engagement de son père et de l'homme qui la demandait; plus tard les arrhes données au père le furent à la fille, et les lois intervinrent pour rendre obligatoires les promesses de mariage. Aujourd'hui, en France, il n'y a plus de fiancés, il n'y a que des futurs.

Dans le livre 2e l'auteur distingue l'amante de la maîtresse, le culte de l'amour pur de celui de l'amour sensuel; le premier produit l'amour du bien, le patriotisme, le respect pour la femme; le second ne la considère que comme un objet de plaisir et de dédain. L'antiquité n'a pas connu l'amour pur; le moyen âge, qui le connaissait, s'est partagé entre lui et l'amour sensuel; aujourd'hui l'on comprend que les deux amours doivent être réunis; que l'amante et la maîtresse ne doivent faire qu'une dans la personne de l'épouse.

Le troisième livre, l'Épouse, est divisé en sept chapitres.

La subordination de la femme dans le mariage (chap. 1er), le dédain pour la mère venaient de deux idées fausses: l'infériorité de sa nature; sa passivité dans la reproduction de l'espèce, où elle remplissait le rôle de la terre, à l'égard d'un germe quelconque. La science moderne est venue détruire ces bases d'infériorisation, en démontrant: 1o Que le germe humain, avant d'avoir sa forme définitive, passe, dans le sein de sa mère, par des degrés progressifs d'animalité; 2o que dans toutes les espèces, animales et végétales, les femelles sont conservatrices de la race et la ramènent à leur type propre.

Chez les Romains (chap. 2) deux sortes de mariages mettaient la femme, âme, corps et biens, dans la main de son mari; une troisième espèce, la laissant dans la famille de son père, elle recevait une dot, héritait, administrait son bien. Les barbares et la féodalité firent de la femme une pupille, du mari un administrateur, et l'on fit un pas vers l'égalité des époux par l'institution des acquêts. Aujourd'hui la jeune fille se marie sous le régime dotal, sous celui de la séparation de biens rarement, et sous celui de la communauté principalement. Ce dernier, qui est la règle, permet au mari de disposer des biens de sa conjointe, de vendre le mobilier, de s'emparer même des bijoux de sa femme pour en parer sa maîtresse. «Ainsi, délicatesse, dignité, cette loi ne respecte rien,» dit M. Legouvé. L'omnipotence du mari est un crime de la loi à tous les points de vue: elle viole manifestement le principe moderne, qui exige que toute autorité soit bornée et surveillée. «Livrer au mari la fortune de la femme, c'est la condamner elle-même à une éternelle minorité morale, c'est le créer, lui, maître absolu des actions et presque de l'âme de sa compagne.» Puis l'auteur, s'adressant à ceux qui prétendent justifier l'omnipotence maritale au nom de l'incapacité de la femme: «En vain les faits protestent-ils contre cette prétendue incapacité; en vain la réalité dit-elle: A qui est due la prospérité de la plupart des maisons de commerce? Aux femmes. Qui établit, qui gouverne les mille magasins de modes et d'objets de goût? Les femmes. Par qui se soutiennent les maisons d'éducation, les fermes, souvent même les manufactures? Par les femmes. N'importe, le code refuse à l'épouse la prévoyance qui conserve, l'intelligence qui administre, jusqu'à la tendresse maternelle qui économise, et la charte conjugale devient l'expression de cette phrase dédaigneuse: la femme la plus raisonnable n'atteint jamais au bon sens d'un garçon de quatorze ans.» Comment faudrait-il s'y prendre pour remédier à cet état de choses inique et honteux? Il faudrait faire trois parts des biens des conjoints: une pour la femme; elle lui serait remise après cinq ans de mariage: une pour le mari: une troisième commune, qui serait administrée par l'homme sous surveillance d'un conseil de famille, lequel conseil, en cas d'incapacité ou de dilapidation, aurait droit de lui enlever provisoirement cette gestion pour la confier à la femme.

S'il est une chose inique (chap. 3), révoltante, c'est le pouvoir du mari sur la personne, les actions de sa femme; c'est le droit de correction sur elle, encore toléré de nos jours. Il faut un pouvoir directeur dans le ménage, il faut que le mari soit dépositaire de ce pouvoir, qui doit être limité, contrôlé par le conseil de famille. L'omnipotence légale démoralise le mari, qui finit par croire à la légitimité de son despotisme. On dit que les mœurs établissent précisément le contraire de ce que prescrivent les lois: c'est généralement vrai; mais c'est aux dépens du caractère de la femme, obligée d'avoir recours à la ruse. «Rendons aux femmes la liberté, dit M. Legouvé, puisque la liberté est la vérité! Ce sera du même coup affranchir les hommes. Une servitude crée toujours deux esclaves: celui qui tient la chaîne et celui qui la porte.»

L'antiquité (chap. 4), le moyen âge, des siècles plus près de nous ont puni sévèrement, cruellement même l'adultère de la femme, et n'ont pas admis que l'homme pût se rendre coupable de ce délit à l'égard de sa conjointe. Notre code actuel reconnaît bien que le mari peut commettre l'adultère, mais seulement dans le cas où il entretient sa maîtresse sous le toit conjugal; la femme est adultère partout, et elle est sévèrement punie; quant au mari, la peine dont on le frappe est dérisoire. «Une telle impunité, dit M. Legouvé, ne blesse pas seulement l'ordre, c'est une insulte à la morale publique, c'est une leçon de débauche donnée par la loi elle-même.» Si, par l'adultère, la femme blesse le cœur d'un honnête homme, introduit de faux héritiers dans la famille, au moins elle ne peut rien distraire de la fortune, tandis que le mari, dans le même cas, étant maître de tout, peut ruiner la maison, tout en augmentant le nombre des enfants naturels, et en provoquant les torts de sa femme par son abandon et sa brutalité. Le mari d'ailleurs est plus coupable que la femme, car il va au devant de l'adultère, tandis qu'au contraire il vient à la femme sous mille formes attrayantes. Cependant l'adultère de la femme mérite une plus grande punition que celui de l'homme..... Ah! M. Legouvé, est-ce logique!.....

L'épouse orientale (chap. 5) était et est encore une esclave, une génératrice; l'épouse romaine était quelque peu de plus; celle du moyen âge devait son corps à son mari, mais les cours d'amour avaient décidé que ses affections pouvaient, devaient même appartenir à un autre. Aujourd'hui l'idéal du mariage a grandi: on comprend qu'il est la fusion de deux âmes, une école de perfectionnement mutuel, et que les deux époux doivent être tout entiers l'un à l'autre.

Ce qui nous a conduit à cet idéal nouveau de l'union conjugale (chap. 6) ce sont les luttes civilisatrices de l'Église contre le divorce et la répudiation. De sa nature le mariage est indissoluble; mais dans l'état actuel des choses, où l'idéal ne se réalise que très exceptionnellement, le législateur a dû rendre possible la séparation des époux: cette mesure est immorale et malheureuse autant pour les conjoints que pour leurs enfants. Le seul remède aux désordres des ménages, c'est le divorce, question dans laquelle l'Église n'a pas à intervenir.

Tout le dernier chapitre de ce troisième livre est une condamnation du changement en amour, une affirmation de l'indissolubilité du mariage et de la sainteté du lien conjugal.

Le quatrième livre, la mère, comprend six chapitres.

Jusqu'à ces derniers temps (chap. 1er) on a cru que la femme n'était qu'une terre, où l'homme, créateur de l'espèce, déposait le germe humain. La science moderne est venue renverser cette fausse doctrine et relever la femme en démontrant ces trois faits incontestables: 1o Qu'à partir du moment de la conception le germe humain passe par des degrés successifs d'animalité jusqu'à ce qu'il acquière sa forme propre; 2o que le sexe féminin est conservateur des races, puisqu'il les ramène toujours à son type, aussi bien dans notre espèce que dans les espèces animales et végétales; 3o que la femme est physiologiquement d'une nature supérieure à l'homme, parce qu'il est aujourd'hui démontré que plus l'appareil respiratoire est placé haut dans l'organisme, plus l'espèce est élevée dans l'échelle des êtres; et que la femme respire par la partie supérieure, et l'homme par la partie inférieure des poumons.

La maternité (chap. 2) ne donna pas aux femmes des droits sur leurs enfants, mais contribua cependant à leur émancipation; ainsi dans l'Inde on ne pouvait répudier une femme qui avait des fils, et à Rome ce fut à la maternité que les femmes durent leur sortie de tutelle.

C'est une iniquité (chap. 3) que de donner au père seul l'autorité paternelle; la mère doit avoir un droit égal à lui sur ses enfants. La direction suprême appartient bien au père, mais il faut qu'un conseil de famille limite, surveille cette direction et la puisse transporter à la mère en cas d'indignité de son conjoint.

L'éducation des enfants (chap. 4) appartient de droit à la mère, parce qu'elle les connaît mieux, et qu'il faut qu'elle puisse acquérir sur ses fils toute l'influence dont elle aura besoin plus tard pour les conseiller et les consoler. L'éducation publique ne peut convenir aux garçons que quand ils ont atteint leur douzième année; lorsqu'ils sont plus jeunes elle a de mauvais résultats pour leur caractère. L'auteur demande qu'on n'infériorise pas le grand-père et la grand'mère maternels dans la tutelle, comme la loi le fait aujourd'hui; et il considère comme une impiété de ne point donner à la mère un droit égal à celui du père au sujet de leur consentement au mariage de leurs enfants.

La maternité légitime (chap. 5) est un bonheur pour la femme riche; la misère, souvent le chagrin pour la femme pauvre. La maternité illégitime est pour les femmes de tous les rangs une source de douleurs, de honte et de crimes. Pour la fille riche, c'est le déshonneur, un empêchement éternel au mariage; pour la fille pauvre, c'est la misère, la honte, si elle garde son enfant; c'est le crime, si elle le détruit. Et la loi ose prononcer l'impunité contre le corrupteur, contre le séducteur, contre l'homme qui n'a pas hésité de sacrifier à un moment de passion tout l'avenir d'une femme, tout l'avenir d'un enfant! L'État doit venir en aide à toutes les mères pauvres, parce qu'il est dans son intérêt que la génération soit forte, vigoureuse, et que ce sont les mères qui sont conservatrices de la race. Que le génie des femmes se mette à l'œuvre; que l'on fonde sur tous les points de la France des crèches et des salles d'asile.

La veuve indienne (chap. 6) se brûlait, la veuve juive était tenue de se remarier à certains hommes désignés par la loi; la veuve grecque et la veuve barbare passaient sous la tutelle de leurs fils, et cette dernière même ne pouvait se remarier sans sa permission; la veuve chrétienne était condamnée à la réclusion: aucune de ces femmes n'avait de droit sur ses enfants. Le code français rend à la veuve sa liberté tout entière, la fait rentrer dans son droit de majorité, la nomme tutrice et directrice de ses enfants; c'est un acheminement à la liberté dans le mariage.

Le cinquième livre, la Femme, se divise en 5 chapitres.

L'antiquité tout entière a opprimé la femme, quoiqu'elle reconnût en elle quelque chose de supérieur, et en fît une prophétesse et une prêtresse. La femme chrétienne des premiers siècles, qui seule put détrôner la femme païenne, non seulement savait subir le martyre aussi courageusement que l'homme, mais se distinguait par son immense charité, par la pureté et la lucidité de doctrine qui la rendait conseillère des docteurs. On ne sait en réalité jusqu'où peut aller la femme; on ne peut la juger d'après ce qu'elle est aujourd'hui, puisqu'elle est l'œuvre de l'éternelle oppression de l'homme: «Qui nous dit qu'un grand nombre des maux qui déchirent notre monde, et des problèmes insolubles qui le travaillent, n'ont pas en partie pour cause l'annihilation d'une des deux forces de la création, la mise en interdit du génie féminin? Avons-nous le droit de dire à la moitié du genre humain: vous n'aurez pas votre part dans la vie et dans l'état? N'est-ce pas leur dénier (aux femmes) leur titre de créatures humaines? N'est-ce pas déshériter l'état même? Oui, la femme doit avoir sa place dans la vie civile,» conclut M. Legouvé.

La femme et l'homme sont égaux (chap. 2), mais différents. A l'homme la synthèse, la supériorité dans tout ce qui demande des vues d'ensemble, le génie, la force musculaire; à la femme l'esprit d'analyse, la connaissance de l'individuel, l'imagination, la tendresse, la grâce. L'homme a plus de force de raison et de corps, la femme a plus de force de cœur, et une merveilleuse perspicacité à laquelle l'homme n'atteindra jamais. Le partage ainsi fixé, que doit faire la femme?

Dans la famille, la tâche de la femme (chap. 3) est le gouvernement de l'intérieur, l'éducation des enfants, la consolation du mari dont elle doit être l'inspiratrice. A côté de l'homme éminent, et dans l'ombre, il y a toujours une femme; cette carrière d'utilité cachée, et de dévouement modeste, est ce qui convient le mieux aux femmes. Dans la vie civile elles peuvent parcourir avec succès plusieurs carrières: l'art, la littérature, l'enseignement, l'administration, la médecine. «La pudeur même exige qu'on appelle les femmes comme médecins, non pas auprès des hommes, mais auprès des femmes; car il y a un outrage éternel à toute pureté, c'est que leur ignorance livre forcément à l'inquisition masculine, le mystère des souffrances de leurs sœurs..... Les maladies nerveuses surtout, trouveraient dans le génie féminin le seul adversaire, qui puisse les saisir et les combattre.» L'auteur dit qu'il est du devoir de la société de veiller à ce que les femmes pauvres n'aient pas un salaire de deux tiers ou de trois quarts plus faible que celui des hommes; à ce que dans les manufactures, elles n'aient pas les travaux les plus dangereux et les moins rétribués.» Parent-Duchâtelet, dit-il, atteste que sur trois mille créatures perdues, 35 seulement avaient un état qui pouvait les nourrir, et que 1,400 avaient été précipitées dans cette horrible vie par la misère! Une d'elles, quand elle s'y résolut, n'avait pas mangé depuis trois jours.» M. Legouvé trouve honteux que les hommes fassent concurrence aux femmes dans les industries qui ont pour objet les choses de toilette et de goût.

Dans son dernier chapitre (chap. 5) l'auteur reconnaît la capacité remarquable des femmes dans l'administration, et en cite de nombreux exemples. Il demande qu'elles aient celles des prisons de femmes, des hospices, des bureaux de bienfaisance, la tutelle légale des enfants trouvés, enfin le maniement de tout ce qui concerne la charité sociale, parce qu'elles s'en acquitteront infiniment mieux que les hommes. Mais il leur refuse toute participation aux actes politiques et à ce qui touche au gouvernement, parce qu'elles n'ont pas d'aptitude pour ces choses. Enfin il termine ainsi: «Notre tâche est achevée; nous avons examiné les principales phases de la vie des femmes dans leurs rôles de filles, d'épouses, de mères, de femmes, en comparant le présent au passé, et en cherchant à indiquer l'avenir, c'est à dire en signalant le mal, constatant le mieux, cherchant le bien.

«Quel principe nous a servi de guide? L'égalité dans la différence.

«Au nom de ce principe, quelles améliorations avons-nous demandées dans les lois et dans les mœurs?

«Pour les filles:

«Réforme de l'éducation.

«Loi sur la séduction.

«Éloignement de l'âge du mariage.

«Intervention réelle des fiancés dans la rédaction de leur contrat.

«Abolition des sommations respectueuses, qui pèsent sur les pères comme une injure, sur les enfants comme une injustice.

«Pour les épouses:

«Une majorité.

«Administration et droit de disposer d'une partie de leurs biens particuliers.

«Droit de paraître en justice sans le consentement de leur mari.

«Limitation du pouvoir du mari sur la personne de la femme.

«Création d'un conseil de famille, chargé de contrôler cette part de pouvoir.

«Pour les mères:

«Droit de direction.

«Droit d'éducation.

«Droit de consentement au mariage de leurs enfants.

«Loi sur la recherche de la paternité.

«Création d'un conseil de famille pour juger les dissentiments graves entre le père et la mère.

«Pour les femmes:

«Admission à la tutelle et au conseil de famille.

«Admission aux professions privées.

«Admission, dans les limites de leurs qualités et de leurs devoirs, aux professions sociales.»

On le voit, M. Legouvé n'a qu'un but, celui de faire avancer d'un pas l'émancipation des femmes; il ne demande pas tout ce qu'il croit juste, mais tout ce qui lui paraît mûr et possible.

Nous devons le remercier de sa prudence: il a ramené bien des hommes à notre cause, et les a préparés à entendre la voix de la femme, parlant haut et ferme de son droit comme épouse et comme créature humaine; comme travailleuse et comme membre du corps social.

A côté de M. Legouvé, en dehors des écoles sociales, se place une phalange d'hommes justes et généreux qui ont écrit en notre faveur. Nous les remercions tous de leur bonne parole.

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