La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes
M. Louis de Tourreil, révélateur du Fusionisme, est un homme qu'on ne peut voir sans sympathie, ni entendre sans plaisir, parce qu'il est bienveillant, parle bien, et que ses idées sont très logiquement enchaînées: une fois ses principes admis, on est contraint de le suivre jusqu'au bout.
M. de Tourreil s'exprime ainsi dans la Revue philosophique de mai 1856, au sujet de la femme et de ses droits:
«La nature se réduit à trois grands principes co-éternels ou agents producteurs de toutes choses. Ces principes sont:
«Le principe femelle ou passif,
«Le principe mâle ou actif,
«Et le principe mixte ou unificatif, participant des deux, que l'on appelle Amour.
«Dieu est donc Femelle, Mâle et Androgyne dans son unité trinaire.
«Il est simultanément de toute éternité Mère, Père et Amour, au lieu d'être, comme les théologiens le disent, Père, Fils et Saint-Esprit, trois agents de même séve, incapables de rien produire.....
«Vous concevrez facilement, mon cher frère, que si dans la trinité divine, le sexe féminin et le sexe masculin sont sur la même ligne, ils se trouveront également sur la même ligne dans l'humanité. Le rôle que la femme divine joue au Ciel, la femme humaine le jouera sur la terre.....
«Est-il (Dieu) seulement du sexe masculin, les hommes diront que le sexe masculin est le seul noble, et que la femme n'a été créée que pour le service de l'homme, comme l'homme est créé pour Dieu. L'on mettra même en doute si elle a une âme, et l'on croira lui faire une grâce en l'admettant dans la vie comme quelque chose.»
Suivent dans le texte les enseignements de l'apôtre Paul sur la femme et le mariage; puis l'auteur continue:
«Voilà, mon cher frère, le rôle que le christianisme assigne à la femme. Si cette doctrine était donc suivie de point en point, et si elle ne devait pas être remplacée par une autre supérieure, la femme se trouverait à perpétuité condamnée à une subalternisation humiliante pour elle.
«Mais le Fusionisme qui est la doctrine du salut pour tous, ne permet à aucun d'être sacrifié, c'est pourquoi la femme est l'égale de l'homme, et l'homme est l'égal de la femme, comme en Dieu, la Mère éternelle est l'égale du Père éternel, et le Père éternel est l'égal de la Mère éternelle.»
M. de Tourreil croit que la Mère donne la forme, et le Père, la vie, deux choses aussi nécessaires l'une que l'autre pour constituer l'être.
«Puisque la femme est l'égale de l'homme en principe absolu, continue-t-il, et qu'elle lui est co-éternelle, il y a injustice à la subalterniser à l'homme dans le relatif, et la Genèse commet une erreur grossière en la faisant procéder de l'homme.
«Si l'un des deux pouvait être avant l'autre, ce serait la femme; car à la rigueur on pourrait concevoir l'être sans la vie, mais il serait bien impossible de concevoir la vie sans l'être.
«L'être sans la vie serait un être mort, mais que serait la vie sans l'être? Ce serait une vie qui n'existerait pas, la négation, l'absence de la vie, le néant. Donc, dans l'ordre logique, la femme est la première.....
«Non seulement la femme doit être l'égale de l'homme, d'après ce que nous avons vu, mais dans l'énonciation et le classement, elle doit être nommée et classée la première.
«La femme est le moule qui perfectionne ou déprave l'espèce, selon que ce moule est bien ou mal. Le sort de l'humanité dépend donc de la femme, puisqu'elle a une action toute puissante sur le fruit qu'elle porte dans son sein.
«Pure, bonne, intelligente, elle produira des êtres sains, intelligents et bons.
«Impure, bornée et méchante, elle produira des êtres malsains, inintelligents et méchants.
«En un mot, l'enfant sera ce que sera sa mère, parce que nul ne peut donner que ce qu'il a.
«Il importe donc que la femme soit développée comme l'homme, que son éducation soit universelle, que sa personne soit honorée, respectée, entourée de sollicitude, afin que rien dans le milieu social ne vienne la modifier en mal.
«Destinée par l'Être Suprême à former de sa chair, de son sang et de son âme l'être humain, destinée à le nourrir de son lait et à faire sa première éducation, deux actes qui ont la plus grande influence sur la vie individuelle, la femme doit être considérée comme l'agent principal de perfectionnement. Ce rôle la classe naturellement à un rang très élevé dans la société, et exige d'elle des perfections supérieures.
«Aussi sera-t-elle dans l'avenir l'image de la sagesse divine sur la terre, comme l'homme en représentera la puissance.
«A l'homme reviendra plus particulièrement l'action; à la femme, le conseil.
«L'homme aura l'initiative des entreprises difficiles; la femme en modérera ou en excitera l'ardeur.
«L'homme domptera la planète; la femme l'embellira.
«L'homme symbolisera la science et l'industrie; la femme symbolisera la poésie et l'art.
«Toujours l'un aura besoin de l'autre; ils marcheront parallèlement ensemble, et se compléteront réciproquement l'un par l'autre.
«Voilà, mon cher frère, d'une façon raccourcie, l'idée que l'on doit se faire de la femme. L'homme et la femme ne sont pas deux êtres radicalement séparés; ils ne font à eux deux qu'un seul être. Subalterniser la femme à l'homme, ou l'homme à la femme, c'est donc mutiler l'être humain et mal comprendre son intérêt. Pour que l'humanité soit heureuse, il ne faut pas que l'une de ses deux moitiés souffre. Et comment ne souffrirait-elle pas si elle est asservie, opprimée par l'autre!
«Notre destinée sur la terre, c'est de constituer l'être collectif dans sa conscience propre. Pour cela, il faut réaliser l'androgyne humanitaire. Or, l'androgyne humanitaire nécessite auparavant l'androgyne individuel, lequel ne peut être constitué que par le mariage harmonique.
«Le mariage est donc la grande loi formatrice ou déformatrice de l'être collectif, selon qu'il est conçu par le législateur d'une manière conforme ou contraire à la destinée humaine.
«C'est dans le mariage que se trouve la source du bien et du mal; savez-vous pourquoi?
«C'est parce que dans l'acte qui unit l'homme à la femme, et où le couple ne forme plus qu'un corps, les deux âmes se fusionnent par une donation réciproque, qui fait que l'âme de l'homme et l'âme de la femme s'unissent l'une à l'autre pour l'éternité.
«En sorte que, après la conjonction, l'âme de la femme adhère à l'âme de l'homme et l'accompagne partout, pendant que l'âme de l'homme adhère à l'âme de la femme et ne la quitte plus.
«D'où il suit que si l'âme de l'homme est dépravée, elle déprave la femme à laquelle elle est unie, en exerçant sur elle une action continue, même à distance. Comme aussi, la dépravation de la femme unie à un homme, déprave celui-ci à son insu, par une action occulte et permanente.
«Les âmes de deux êtres dépravés peuvent donc être conjointes inséparablement, sans pour cela constituer l'androgyne individuel, qui est le but divin du mariage ou de l'union des sexes.
«L'androgyne individuel n'est possible qu'à la condition de l'unité. Mais l'unité ne saurait être constituée par le mal.
«Il n'y a que le bien, le vrai, le parfait, qui réunissent les conditions de l'unité. Le mal, le faux, l'imparfait, sont essentiellement divers de leur nature.
«Deux êtres méchants, sans sincérité, pleins de vices, ne produiront par leur conjonction qu'une division de plus en plus grande. Ils seront unis; mais pour se tourmenter réciproquement. Jamais l'unité ne sera constituée par eux; et sans la constitution de l'unité ou de l'androgyne individuel, il ne serait pas possible de réaliser la destinée humaine.
«Pour que l'androgyne individuel existe dans le couple, il faut la communion spirituelle parfaite, c'est à dire la communauté de pensée, de sentiment et de volonté. Mais comment deux individus qui, au lieu d'être régis par la vérité, ne sont régis que par leurs passions dévoyées, pourraient-ils à eux deux n'en faire qu'un? Cela est impossible.
«Vous pouvez comprendre, mon cher frère, d'après ce peu de paroles, combien le mariage est saint, et combien il importe de ne contracter que des unions harmoniques, car souvent le malheur de la vie dépend d'une conjonction irréfléchie.»
Ayant eu occasion de me rencontrer plusieurs fois avec l'honorable M. de Tourreil, je lui demandai quelques détails précis sur la liberté de la femme et le mariage.
Voici le résumé de ceux qu'il a bien voulu me donner:
L'éducation est la même pour les deux sexes;
La femme suit librement la vocation qui lui vient de Dieu; seule elle en est juge;
Dans tous les grades et emplois de la république de Dieu, la femme est à côté de l'homme;
Depuis l'âge de cinquante ans, tout individu des deux sexes est gouvernant et prêtre;
La reproduction de l'espèce, devant être l'œuvre de l'amour de personnes saines d'esprit et de corps, avant d'y procéder, l'épouse sera engagée à se confesser à la prêtresse et l'époux au prêtre, afin d'être éclairés sur l'opportunité ou les inconvénients d'un rapprochement.
Il n'y a qu'un seul cas de dissolution du mariage: c'est quand les époux sont arrivés à la fusion complète, c'est à dire à se sentir, à se savoir réciproquement, à ne plus rien avoir à échanger. Alors il devient nécessaire de changer de liens, et de travailler chacun de son côté à se fusionner avec un autre conjoint. Dans l'état actuel de l'humanité, cette fusion ne peut avoir lieu; mais plus tard, quand nous serons plus parfaits, elle deviendra possible plusieurs fois dans la vie.
Le Fusionisme est, comme on le voit, un socialisme mystique.
Ses sectateurs sont des gens doux et bons, et très tolérants envers ceux qui ne pensent pas comme eux.