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La femme affranchie, vol. 1 of 2: Réponse à MM. Michelet, Proudhon, E. de Girardin, A. Comte et aux autres novateurs modernes

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PHALANSTÉRIENS


Le cachet de l'École Fouriériste, Sociétaire ou Phalanstérienne est le respect de la liberté individuelle, basé sur les notions suivantes:

Toute nature est bonne; elle ne se pervertit qu'en fonctionnant dans un mauvais milieu.

Personne ne ressemblant exactement aux autres, chacun doit être seul juge de ses aptitudes, et ne doit recevoir loi que de lui-même.

Les attractions sont proportionnelles aux destinées.

Si les disciples de mon compatriote Charles Fourier, ne s'expriment pas exactement ainsi, tout ce qu'ils ont écrit est empreint de ces pensées.

Fourier et ses disciples ont-ils raison de croire que la loi d'attraction passionnelle soit appelée seule à organiser le monde industriel, moral et social?

Que l'élément primordial d'une société doive être la commune Sociétaire ou Phalanstère?

Que les passions les plus opposées, les plus diverses, soient les conditions sine qua non de l'harmonie?

Que la rétribution des œuvres et du concours doive se faire selon le Travail, le Capital et le Talent?

C'est ce que nous n'avons pas à examiner ici.

La seule chose qui doive nous occuper dans cette rapide revue des opinions contemporaines, est de rechercher quels sont les sentiments et les idées de Fourier et de son école en ce qui concerne l'objet principal de ce livre. Quelques pages du chef et une analyse sommaire y suffiront.

Voici ce qu'écrit Fourier dans la Théorie des quatre Mouvements, édition de 1848, pages 146, 147 et suivantes:

«Que les anciens philosophes de la Grèce et de Rome aient dédaigné les intérêts des femmes, il n'y a rien d'étonnant à cela, puisque ces rhéteurs étaient tous des partisans outrés de la pédérastie qu'ils avaient mise en grand honneur dans la belle antiquité. Ils jetaient le ridicule sur la fréquentation des femmes: cette passion était considérée comme déshonorante.... Ces mœurs obtenaient le suffrage unanime des philosophes qui, depuis le vertueux Socrate jusqu'au délicat Anacréon, n'affichaient que l'amour sodomite et le mépris des femmes, qu'on reléguait au deuxième étage, fermées comme dans un sérail, et bannies de la société des hommes.

«Ces goûts bizarres n'ayant pas pris faveur chez les modernes, on a lieu de s'étonner que nos philosophes aient hérité de la haine que les anciens savants portaient aux femmes, et qu'ils aient continué à ravaler le sexe, au sujet de quelques astuces auxquelles la femme est forcée par l'oppression qui pèse sur elle, car on lui fait un crime de toute parole ou pensée conforme au vœu de la nature ....... (p. 146).

«Quoi de plus inconséquent que l'opinion de Diderot, qui prétend que pour écrire aux femmes, il faut tremper sa plume dans l'arc en ciel et saupoudrer l'écriture avec la poussière des ailes du papillon? Les femmes peuvent répliquer aux philosophes: votre civilisation nous persécute dès que nous obéissons à la nature; on nous oblige de prendre un caractère factice, à n'écouter que des impulsions contraires à nos désirs. Pour nous faire goûter cette doctrine, il faut bien que vous mettiez en jeu les illusions et le langage mensonger, comme vous faites à l'égard du soldat que vous bercez dans les lauriers et l'immortalité pour l'étourdir sur sa misérable condition. S'il était vraiment heureux, il pourrait accueillir un langage simple et véridique qu'on se garde bien de lui adresser. Il en est de même des femmes; si elles étaient libres et heureuses, elles seraient moins avides d'illusions et de cajoleries, et il ne serait plus nécessaire pour leur écrire, de mettre à contribution l'arc en ciel et les papillons ... (p. 146 et 147).

«Lorsqu'elle (la Philosophie) raille sur les vices des femmes, elle fait sa propre critique; c'est elle qui produit ces vices par un système social qui, comprimant leurs facultés dès l'enfance et pendant tout le cours de leur vie, les force à recourir à la fraude pour se livrer à la nature.

«Vouloir juger les femmes sur le caractère vicieux qu'elles déploient en civilisation, c'est comme si l'on voulait juger la nature de l'homme sur le caractère du paysan russe, qui n'a aucune idée d'honneur et de liberté, ou comme si l'on jugeait les castors sur l'hébêtement qu'ils montrent dans l'état domestique, tandis que dans l'état de liberté et de travail combiné ils deviennent les plus intelligents de tous les quadrupèdes. Même contraste règnera entre les femmes esclaves de la civilisation et les femmes libres de l'ordre combiné; elles surpasseront les hommes en dévouement industriel, en loyauté, en noblesse; mais hors de l'état libre et combiné, la femme devient, comme le castor domestique ou le paysan russe, un être tellement inférieur à sa destinée et à ses moyens, qu'on incline à la mépriser quand on la juge superficiellement et sur les apparences (p. 147).

«Une chose surprenante c'est que les femmes se soient montrées toujours supérieures aux hommes quand elles ont pu déployer sur le trône leurs moyens naturels, dont le diadème leur assure un libre usage. N'est-il pas certain que sur huit souveraines, libres et sans époux, il en est sept qui ont régné avec gloire, tandis que sur huit rois, on compte habituellement sept souverains faibles.... Les Élisabeth, les Catherine ne faisaient pas la guerre, mais elles savaient choisir leurs généraux, et c'est assez pour les avoir bons. Dans toute autre branche d'administration, les femmes n'ont-elles pas donné des leçons à l'homme? Quel prince a surpassé en fermeté Marie-Thérèse qui, dans un moment de désastre où la fidélité de ses sujets est chancelante, où ses ministres sont frappés de stupeur, entreprend à elle seule de retremper tous les courages? Elle sait intimider par son abord la diète de Hongrie mal disposée en sa faveur; elle harangue les Magnats en langue latine, et amène ses propres ennemis à jurer sur leurs sabres de mourir pour elle. Voilà un indice des prodiges qu'opérerait l'émulation féminine dans un ordre social qui laisserait un libre essor à ses facultés (p. 148).

«Et vous, sexe oppresseur, ne surpasseriez-vous pas les défauts reprochés aux femmes, si une éducation servile vous formait comme elles à vous croire des automates faits pour obéir aux préjugés, et pour ramper devant un maître que le hasard vous donnerait? N'a-t-on pas vu vos prétentions de supériorité confondues par Catherine qui a foulé aux pieds le sexe masculin? En instituant des favoris titrés, elle a traîné l'homme dans la boue, et prouvé qu'il peut, dans la pleine liberté, se ravaler lui-même au dessous de la femme dont l'avilissement est forcé, et par conséquent excusable. Il faudrait, pour confondre la tyrannie des hommes, qu'il existât pendant un siècle un troisième sexe, mâle et femelle et plus fort que l'homme. Ce nouveau sexe prouverait à coups de gaules que les hommes sont faits pour ses plaisirs aussi bien que les femmes; alors on entendrait les hommes réclamer contre la tyrannie du sexe hermaphrodite, et confesser que la force ne doit pas être l'unique règle du droit. Or ces priviléges, cette indépendance qu'ils réclameraient contre le troisième sexe, pourquoi refusent-ils de les accorder aux femmes (p. 148)?

«En signalant ces femmes qui ont su prendre leur essor, depuis la Virago, comme Marie-Thérèse, jusqu'à celles de nuances plus radoucies, comme les Ninon et les Sévigné, je suis fondé à dire que la femme, en état de liberté, surpassera l'homme dans toutes les fonctions de l'esprit ou du corps qui ne sont pas l'attribut de la force physique (p. 148).

«Déjà l'homme semble le pressentir; il s'indigne et s'alarme lorsque les femmes démentent le préjugé qui les accuse d'infériorité. La jalousie masculine a surtout éclaté contre les femmes auteurs; la philosophie les a écartées des honneurs académiques, et renvoyées ignominieusement au ménage ..... (p. 148).

«Quelle est aujourd'hui leur existence (celle des femmes)? Elles ne vivent que de privations, même dans l'industrie où l'homme a tout envahi, jusqu'aux minutieuses occupations de la couture et de la plume, tandis qu'on voit des femmes s'escrimer aux pénibles travaux de la campagne. N'est-il pas scandaleux de voir des athlètes de trente ans accroupis devant un bureau, et voiturant avec des bras velus une tasse de café, comme s'il manquait de femmes et d'enfants pour vaquer aux vétilleuses occupations des bureaux et du ménage (p. 159)?

«Quels sont donc les moyens de subsistance pour les femmes privées de fortune? La quenouille ou bien leurs charmes, quand elles en ont. Oui, la prostitution plus ou moins gazée, voilà leur unique ressource, que la philosophie leur conteste encore; voilà le sort abject auquel les réduit cette civilisation, cet esclavage conjugal qu'elles n'ont pas même songé à attaquer (p. 150).»

Fourier reproche amèrement aux femmes auteurs de n'avoir pas cherché les moyens de faire cesser un tel état de choses; et il ajoute avec grande raison:

«Leur indolence à cet égard est une des causes qui ont accru le mépris de l'homme. L'esclave n'est jamais plus méprisable que par une aveugle soumission qui persuade à l'oppresseur que sa victime est née pour l'esclavage (p. 150).»

Fourier a raison mais... élever les autres, c'est risquer de se perdre dans la foule; et tout le monde n'est pas capable de ce degré d'abnégation.

Mais combattre pour le droit des faibles, quand les hommes vous ont admise dans leurs rangs, c'est se préparer un rude chemin et une lourde croix.

D'abord on s'expose à la haine et à la raillerie des hommes; puis les femmes d'une demi-culture, corrodées par la jalousie, inventent mille calomnies pour vous perdre; elles feignent de se scandaliser qu'une femme ose protester contre l'infériorité et l'exploitation de son sexe; elles se liguent avec les maîtres, crient plus fort qu'eux, et pour peu que vous soyez crédules, elles vous affirmeront qu'elles ont surpris l'ennemie, un nombre incalculable de fois, en conversation..... peu édifiante avec le malin esprit.

Or, toute femme n'est pas trempée pour hausser les épaules devant cette cohue d'esprits malsains..... on aime trop la paix, on manque de courage, et l'on n'aime pas assez la justice, n'est-ce pas, mesdames?

Revenons à Fourier. On sait qu'il admet plusieurs périodes sociales. Le pivot de chacune d'elles est, selon lui, tiré de l'amour et du degré de liberté de la femme.

«En thèse générale, dit-il, les progrès sociaux et changements de période s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté, et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes (p. 132).»

Dans un autre endroit il ajoute en parlant des philosophes:

«S'ils traitent de morale, ils oublient de reconnaître et de réclamer les droits du sexe faible dont l'oppression détruit la justice dans sa base

Autre part il dit encore:

«Or, Dieu ne reconnaît pour liberté que celle qui s'étend aux deux sexes et non pas à un seul; aussi voulut-il que tous les germes des horreurs sociales, comme la sauvagerie, la barbarie, la civilisation, n'eussent d'autre pivot que l'asservissement des femmes; et que tous les germes du bien social, comme les sixième, septième, huitième période n'eussent d'autre pivot, d'autre boussole, que l'affranchissement progressif du sexe faible.»

On a reproché à Fourier d'avoir voulu l'émancipation amoureuse des femmes: rien n'est plus vrai. Mais pour le lui reprocher comme une immoralité, il faudrait que les hommes blâmassent leurs propres mœurs. Or ces messieurs se considérant comme très purs, quoique possédés de la papillonne en amour, l'infidélité et la possession simultanée de plusieurs femmes n'étant qu'un jeu pour eux, je ne vois vraiment pas ce qu'ils peuvent blâmer dans Fourier.

Ou ce qu'ils font est bien, et alors ce ne peut être un mal pour la femme.

Ou ce qu'ils font est mal: alors pourquoi le font-ils?

Fourier croyait à l'unité de la loi morale et à l'égalité des sexes; il croyait à la légitimité des mœurs de ces messieurs, moins la perfidie et l'hypocrisie; voilà pourquoi il prétend émanciper la femme en amour: il est logique.

Du reste il a toujours répété que les mœurs qu'il peignait, seraient du désordre en période civilisée; qu'elles ne pourraient s'établir que progressivement dans les périodes subséquentes. Parmi les phalanstériens beaucoup repoussent aussi bien les mœurs amoureuses de Fourier que sa Théodicée, et j'ai entendu moi-même plusieurs leçons dans lesquelles l'orateur condamnait, non seulement la fausseté dans les rapports conjugaux, mais encore la légèreté des mœurs.

Fourier et l'orthodoxie Saint-Simonienne ont commis la même erreur au sujet de l'émancipation de la femme; mais les hommes, je le répète, seraient bien audacieux de leur en faire un crime, puisqu'ils se permettent pis; quant aux femmes, soutenues et aimées par ces réformateurs, qu'elles imitent la pieuse conduite de Sem et de Japhet: on doit des égards à son père, que ce soit l'idée ou le vin qui l'ait mis en état d'ivresse.

Maintenant que nous avons cité le maître, énumérons les principaux points de la doctrine Fouriériste, en ce qui touche la liberté de la femme et l'égalité des sexes:

1o L'homme et la femme se composent des mêmes éléments physiques, intellectuels et moraux: il y a donc entre les sexes identité de nature.

2o La proportion de ces éléments diffère chez les deux sexes, et constitue la différence qui existe entre eux.

3o Cette différence est équilibrée de manière à ce que la valeur soit égale. Où l'homme est le plus fort, il prend le pas sur la femme, où celle-ci est la plus forte, elle prend le pas sur l'homme.

4o L'homme appartient au mode majeur: il l'emporte sur la femme en intellect, en logique, en grande industrie, en amitié; à lui donc de créer les sciences positives, d'enchaîner les faits, de régir les relations commerciales, de relier tous les intérêts, d'organiser les groupes et les séries. La femme apporte à toutes ces choses son aide indispensable; mais par le fait de ses aptitudes, elle n'y rend que des services secondaires.

5o La femme appartient au mode mineur: elle l'emporte sur l'homme dans l'intelligence qui applique, approprie; dans l'intuition qui met l'homme sur la piste des biens que doit atteindre la logique masculine; dans la sphère de la maternité où elle préside à l'éducation, car elle comprend mieux que l'homme les moyens à employer pour améliorer l'espèce sous tous les rapports; enfin dans la sphère de l'amour où elle a droit et pouvoir de policer, de raffiner les rapports des deux sexes, de stimuler les hommes aux conquêtes de l'intelligence, à l'amélioration des conditions physiques du globe, de l'industrie, de l'art, des relations sociales, etc.

De même que la femme intervient jusqu'à certain point dans le mode majeur, l'homme entre dans le mode mineur où son concours est indispensable.

Ainsi en général, chez l'homme prédomine la tête, chez la femme, le cœur; mais comme tous deux ont un cœur et une tête, l'homme, par son cœur, devient un aide dans le mode mineur, et la femme, par sa tête, en devient un dans le mode majeur.

6o Il y a des hommes qui sont femmes par le cœur et la tête; des femmes qui sont hommes par la tête et le cœur; dans l'humanité, ils forment 1/8 d'exception. Toute liberté et tout droit leur sont reconnus.

7o Chaque membre du phalanstère suit sa vocation, obéit à ses attractions, car les attractions sont proportionnelles aux destinées. Donc le 1/8 d'exception dans les deux sexes, ayant attraction pour des travaux qui sont plus spécialement du ressort du sexe différent, est parfaitement libre de s'y livrer.

8o Tout homme et toute femme majeurs ont un vote égal.

9o Tout est réglé par les chefs des deux sexes, choisis par le libre vote des deux sexes.

10o Toutes les charges, depuis la présidence du groupe à celle du globe, sont conjointement remplies par un homme et une femme qui divisent entre eux les détails de leur commune fonction.

11o La mère est tutrice de ses enfants: ils appartiennent à elle seule; le père n'a de droits sur eux que si la mère veut bien lui en conférer.

Tel est le sommaire de la doctrine Fouriériste sur le sujet qui nous occupe.

Si l'École Sociétaire n'est pas dans la vérité complète, au moins faut-il reconnaître qu'elle a pris le vrai chemin pour y arriver. Que sa théorie du classement et de la prédominance des facultés selon les sexes soit exacte ou non, l'erreur n'aurait pas de fâcheux résultats dans la pratique. La femme étant libre de suivre ses aptitudes, étant de moitié dans les droits et les fonctions, pourrait toujours se placer dans le 8e exceptionnel, sans craindre de rencontrer, pour la renvoyer aux soins du ménage, tels jaloux mieux organisés qu'elle pour moduler en mineur.

Je me rappelle, à ce propos, certain avocat, point du tout femmelin, professant un dédain magnifique pour le sexe auquel appartenait sa mère, digne, en un mot, d'être disciple de P. J. Proudhon. Savez-vous ce que ce monsieur avait retenu de ses leçons de droit? L'art de balayer proprement une chambre, de faire reluire les meubles, d'ourler gentiment des serviettes et des mouchoirs et de confectionner des sauces. Ne trouvez-vous pas, illustre Proudhon, qu'il eût été plus légitimement conseillé d'aller repasser des colerettes, que certaines femmes qui écrivent de bons articles de Philosophie?

Mais revenons à Fourier.

Parmi les Écoles socialistes, celle de Fourier occupe une place distinguée; elle est une de celles qui méritent le plus la reconnaissance des femmes, par les principes d'émancipation qu'elle a posés. Nous séparons ici, bien entendu, ces principes de Liberté et d'Égalité, de tout ce qui se rapporte à la question des mœurs, que nous ne pouvons résoudre de la même manière que Fourier, pas plus pour la femme que pour l'homme.

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