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Le Baiser en Grèce

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L’enchantement du baiser

A ce moment une abeille ou une guêpe vint bourdonner autour de ma tête : je portai vivement la main à mon visage, feignant d’être piqué et de ressentir une cuisante douleur. Leucippe s’approcha, écarta ma main et me demanda où j’étais piqué. « A la lèvre, lui dis-je ; mais vous, pourquoi ne pas m’expliquer le charme qui guérit des piqûres, chère Leucippe ? » Elle s’approcha davantage et plaça sa bouche près de la mienne, comme pour prononcer les paroles magiques. Pendant qu’elle les murmurait tout bas, ses lèvres effleuraient les miennes ; et moi je l’embrassais en silence, étouffant sur mes lèvres le bruit des baisers que je lui dérobais. Elle, de son côté, ouvrait et fermait les lèvres, murmurant sa douce magie et faisait de ses enchantements autant de baisers. J’osai alors la serrer dans mes bras et l’embrasser sans détour. — Que faites-vous ? me dit-elle en se retirant ; connaîtriez-vous aussi l’art des enchantements ? — Je baise le charme, lui dis-je ; car vous m’avez enlevé la douleur. Elle comprit ma pensée et sourit. Mon audace s’en accrut : « Hélas ! ma bien-aimée, lui dis-je, je sens de nouveau une blessure plus cruelle encore ; l’aiguillon a pénétré jusqu’au cœur, et réclame tous tes charmes. N’aurais-tu point une abeille sur les lèvres ? car elles sont pleines de miel, et pourtant tes baisers font de vives blessures. Je t’en supplie, charme de nouveau mes douleurs, et surtout prolonge les enchantements, de peur que la blessure ne s’envenime encore. »

Achille Tatius,
Leucippe et Clitophon (II, 7)
(traduction Ch. Zévort).

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