Le Baiser en Grèce
Le baiser bestial
Lucius, métamorphosé en âne, conte ses aventures.
La dame, restée seule avec moi, d’abord allume une grande lampe dont la lueur éclairait partout. Puis debout près de cette lampe s’étant dépouillée toute nue, elle prit de l’essence d’une certaine fiole, en versa sur soi, s’en oignit, et à moi aussi me parfuma le corps et le museau surtout d’une suave odeur ; puis me baisa et me caressait avec pareil langage et toute belle façon comme si j’eusse été son amant. Enfin me prenant par ma longe, elle m’entraîne sur le lit. Je n’avais nulle envie de me faire prier, la voyant belle de tout point, avec ce que la bonne chère, et le vin vieux que je venais de boire, me rendaient assez disposé à la satisfaire ; mais je ne savais comment m’y prendre, n’ayant touché femelle depuis ma métamorphose. Une chose encore me troublait ; j’avais peur de la déchirer, vu la disproportion qui existait entre nous deux. Mais l’expérience me fit voir que je m’abusais, car emportée par ses désirs, elle s’étendit sous moi comme sous un homme et de ses bras, me tirant à soi et se soulevant du corps, me mit dedans tout entier. Moi pauvre, je craignais encore et me retirais bellement pour la ménager. Mais elle, tant plus je reculais, tant plus me serrait et s’enferrait de tout ce que je lui dérobais. A la fin donc pour lui complaire (aussi que je pensais valoir bien, tout âne que j’étais, l’amant de Pasiphaé), la voulant servir à gré, je fus ébahi que je me trouvai petitement outillé pour la demoiselle, et connus que j’avais eu tort d’y faire tant de façons. J’eus assez affaire toute la nuit à la contenter, tant elle était amoureuse et infatigable au déduit.
Lucien.
La Luciade ou l’Ane
(traduction de Paul-Louis Courier.)