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Le Baiser en Grèce

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Le combat d’amour

Palestre, sitôt qu’elle eut mis dormir sa maîtresse, s’en vint devers moi sans tarder ; et lors ce fut à nous de boire et de faire débauche de vin ensemble et de baisers ; par où nous étant confortés et préparés au déduit, Palestre se lève et me dit : songe, jeune homme, comme je m’appelle, et te souvienne que tu as affaire à Palestre. Or sus, on va voir en cette joute ce que tu sais faire, et si tu es appris aux armes comme gentil compagnon. — J’accepte ton défi, lui dis-je, et me dure mille ans que nous ne soyons aux prises. Déshabille-toi ; fais tôt… Lors elle : C’est moi qui suis le maître d’exercices et qui vais éprouver ton adresse et ta force en divers tours de lutte ; toi, fais devoir d’obéir et d’exécuter à point ce que je commanderai. — Commande, lui dis-je. — Cependant elle se déshabillait, et quand elle fut toute nue : Dépouille-toi, jouvenceau, et te frotte de cette huile. Allons, ferme, bon pied, bon œil. Accole ton adversaire, et d’un croc en jambe le renverse. Bon, bras à bras, corps à corps, flanc contre flanc ; appuie et toujours tiens le dessus. Çà, sous les reins cette main, l’autre sous la cuisse ; lève haut, donne la saccade, redouble, serre, sacque, choque, boute, coup sur coup ; point de relâche ; dès que tu sens mollir, étreins ; là, là, bellement ; allons ! au but ! te voilà quitte.

Au bout d’un instant, elle se lève en pieds ; et après s’être un peu soignée : Voyons, dit-elle, si tu es champion à l’épreuve en toutes joutes et combats jusqu’à outrance. Puis tombant à genoux sur le lit : Maintenant nous allons combattre à fer émoulu. Elle tombe aussitôt sur ses genoux en s’arrangeant sur le lit, et me tourne le dos. Çà, beau lutteur, me dit-elle vous voilà en présence, préparez-vous au combat, avancez ; portez-vous encore plus avant. Vous voyez votre adversaire nu, ne l’épargnez pas ; et d’abord il est à propos de l’enlacer fortement ; ensuite il faut le pencher, fondre sur lui, tenir ferme, et ne laisser aucun intervalle entre vous deux. S’il commence à lâcher prise, ne perdez pas un moment, enlevez-le et tenez-le en l’air en le couvrant de votre corps et continuant de le harceler ; mais surtout ne vous retirez pas en arrière avant que vous en ayez reçu l’ordre ; courbez son dos en voûte, contenez-le par dessous ; donnez-lui de nouveau le croc en jambe, afin qu’il ne vous échappe pas ; tenez-le bien et pressez vos mouvements : lâchez-le, le voilà terrassé, il est tout en nage. Je partis d’un grand éclat de rire, puis je repris : Mon maître, il me prend fantaisie de te prescrire à mon tour quelque petit exercice. Songe à m’obéir ponctuellement. Relève-toi et demeure assise ; avance une main officieuse ; caresse-moi légèrement, et promène-la sur moi ; enlace-moi bien, et fais-moi tomber dans les bras du sommeil.

Lucien.
La Luciade ou l’Ane
(Traduction Paul-Luis Courrier et Belin de Ballu.)

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