Les guêpes — séries 3 & 4
«Monsieur Alphonce Karr, je me vois forcé de faire ressortir
la différance de vos habitudes. Je remarque à l’instant que votre
critique de jenvier dernier contre moi dégénère en compliments,
je vous avoue que j’attache peu de prix aux éloges que vous faites
de mes boutons; j’aime mieux votre critique: jusqu’à ce que vous
fassiez usage de votre conception (1)!
»Puis-je être estimé des écrivains de notre époque? moi je ne les flattes pas: mais je leur dit de cruelles vérités! je ne leur ressemble ni en style (2) ni en principe; ils sarrêtent à la forme, et moi au fond (3). Je n’écrit pas pour flatter, pour plaire, ni pour faire un trafic (4): ma plume ne s’exerce pas à tracés (5) des choses légères ou futiles: excepté quand je m’y trouve forcé, par exemple, pour me faire comprendre des Guêpes, je ne pui (6) m’en dispenser.
»Monsieur Alphonce Karr, vous êtes venu chez moi, vous m’avez parlé sans vous faire connaître: rougissez-vous de prononcer votre nom? Pourquoi gardez-vous l’incognito? C’est s’introduire dans les maisons comme le font les Guêpes, etc. Quel mérite, monsieur A. Karr, vous êtes-vous reconnus en avouant vos démarches honteuses (7)?
»Vos émules je le sai ne se promènent pas toujour couvertes de chapeaux à trois cornes (8); d’après vous, si le dieu Cheneau ou Chaînon avait des cheveux, il serait blond (9).
»Les Guêpes avaient sans doute formé le projet, de me saisir ou de mattaquer par ma partie supérieur, car vous annoncez monsieur A. Karr que je nai pas de cheveux. C’est encore une nouvelle métode pour adesser des compliments. On voit par les paroles ci-dessus que M. A. Karr se résigne à son sort, et son introduction incognito chez moi la conduit à prévoir et à déclarer qu’il n’avait pas prise sur ma partie supérieur, en disant que je n’ai pas de cheveux.
»Je ne désespère pas de vous monsieur Car dans cette pensée il y a du sel.
»Mais puisque vous vous introduisez en secret, je suis étonné que vous nayez pas parlé au public (10) de...
»Si je parle ainsi c’est que je crois utile de me mettre à la porté des Guêpes.
»Au revoir monsieur Alphonse Karr.
»CHENEAU, 15, rue Croix-des-Petits-Champs.»
4 mars 1843.
(1) Vous avez tort, dieu Cheneau;—vous n’avez fait, que je sache,
ni le soleil, ni la lune,—ni le ciel, ni la terre:—vous faites des
boutons, je ne puis parler que de vos boutons.
(2) En effet, dieu Cheneau, j’avais remarqué déjà que vous
n’écriviez ni comme Hugo, ni comme Lamartine.—Hugo ne met pas d’s à
je flatte, et Lamartine ne met pas de t à je dis.
(3) Que ne vous arrêtez-vous à votre fonds de boutonnier?
(4) Il est vrai que votre libraire M.*** met vos livres dans un
grenier,—et a répondu à quelqu’un, qui est allé les demander de ma
part,—qu’il n’avait pas le temps de monter là-haut et de chercher
ça.—En effet, ça n’a pas trop l’air d’un trafic;—pour le second
point,—vos livres plaisent plus aux lecteurs des Guêpes que vous ne
l’imaginez.
(5) Madame de Girardin écrit l’infinitif tracer avec un r.
(6) J’ai ici une lettre de M. Eugène Sue, un autre écrivain de
notre époque;—il écrit:—je ne peux.—Décidément vous avez raison,
vous n’écrivez pas comme eux.
(7) Démarche honteuse! J’allais acheter des boutons—et un peu dans
son temple adorer l’Éternel,—mais accessoirement, et pouvais-je croire
votre puissance aussi bornée, dieu Cheneau, que de supposer que j’avais
besoin de vous dire mon nom? D’ailleurs—je venais d’être foudroyé par
la poste,—et je n’étais pas trop rassuré en votre présence. Je vous ai
parlé,—mais pour vous dire timidement: «Deux douzaines de boutons,
combien?» Et, dieu Cheneau,—à l’exemple des rois mages,—je vous ai
offert L’OR;—pardonnez-moi de n’avoir pas joint l’encens et la
myrrhe.—Vous m’avez rendu ma monnaie,—tout est dans l’ordre. Je ne me
suis reconnu là aucun mérite,—seulement quelques personnes me
paraissent avoir la bonté de m’en reconnaître un peu plus depuis que
j’ai remplacé les vieux boutons de mon paletot par les deux douzaines
que j’ai achetées chez vous.
(8) Je crois, Dieu me pardonne (pas le dieu Cheneau,—l’autre), je
crois que le dieu Cheneau m’appelle mouchard.
(9) Ah! voilà où le dieu est blessé.—Achille était invulnérable
partout, excepté au talon.—Mais il avait un talon:—le dieu Cheneau est
vulnérable aux cheveux qu’il n’a pas.
Samson avait sa force dans ses cheveux;—c’est au contraire dans les cheveux—qu’il n’a pas—que le dieu Cheneau a toute sa faiblesse.
(10) Ici je suis obligé d’effacer deux lignes pleines de gros
mots;—le dieu se laisse aller à une colère d’un genre tout particulier,
et dont je ne trouve d’analogie dans aucuns souvenirs.
Prométhée fut attaché à un rocher, et condamné à être le souper immortel d’un vautour.—Les paysans qui se moquèrent de Latone furent changés en grenouilles.—Apollon écorcha Marsyas.—Jupiter se servait de la foudre, Hercule d’une massue, Diane de ses flèches; Saturne avait une faux, Neptune un trident.
La foudre, l’arme vengeresse du dieu Cheneau,—n’a aucun rapport avec toutes celles-là. Je suis plus qu’embarrassé pour la désigner,—de même que la vengeance qu’il tire de moi. Je ne puis vous le dire, et il faut pourtant que je vous le fasse comprendre. Je voudrais trouver quelque analogie.
Phaëton fut précipité dans le Pô.
La vengeance rêvée par le dieu Cheneau contre moi est toute contraire: sa foudre est de celles qu’on est exposé à recevoir sur la tête le soir quand on rentre tard et qu’on passe trop près des maisons;—mais comme le dieu Cheneau fait de temps en temps imprimer en brochures les lettres qu’il m’écrit,—on pourra voir quelque jour—ce qu’il m’est impossible d’écrire et de faire imprimer,—à savoir les menaces du dieu:
AVRIL 1843.—Il faut que je fasse amende honorable à M. de Balzac[O].
J’avais fait prier Janin de m’envoyer—un écrit récent de M. de Balzac.—Janin,—par oubli—ou pour ménager ma sensibilité,—m’avait envoyé la chose moins quatre feuillets:—ces quatre feuillets qu’on m’envoie parlent de moi;—les paragraphes y sont séparés par huit portraits,—c’est-à-dire quelque chose comme ma tête avec un corps de guêpe.—Cette plaisanterie a été imaginée il y a un an par un dessinateur appelé M. Benjamin.
Ce qui est entre les portraits est copié sur une plaisanterie faite sur les Guêpes par le Charivari, il y a deux ans.
Décidément,—mon pauvre monsieur de Balzac, votre muse est réellement fille de mémoire,—vous n’inventez que ce que vous vous rappelez.
La plaisanterie du Charivari était bonne; j’avais raconté un voyage bien innocent que j’avais fait avec Gatayes, et où il n’était question que de la mer,—de l’herbe,—du soleil,—et des premières fleurs des cerisiers.—La parodie de ce voyage fut rapprochée de mon épigraphe,—que je crois avoir plus d’une fois justifiée depuis quatre ans.
«Ces petits livres contiendront l’expression franche et inexorable de ma pensée sur les hommes et sur les choses, en dehors de toute idée d’ambition, de toute influence de parti.
»Il n’y a pas un seul journal qui oserait faire imprimer mes petits livres.»
La plaisanterie,—dis-je,—était bonne comme plaisanterie,—et j’en ai ri en son temps.
Mais, répétée par M. de Balzac, et répétée sérieusement, elle exige une réponse.
Voici ce que dit M. de Balzac:
«Aussitôt dix ou douze soldats ont levé la bannière de l’in-32, en imitant l’inventeur,—dont l’invention consistait à tâcher d’avoir de l’esprit tous les mois.—Ce fut une épidémie,» etc.
Voilà ce que dit M. de Balzac.
Or, ce n’est pas douze, mais vingt-huit in-32 qui ont surgi après
les Guêpes.—Le second était fait par M. de Balzac,—lequel n’a pu en
faire que trois.
Il manquait à M. de Balzac plusieurs choses pour réussir.
Les Guêpes ont été une publication honorable;—elles n’ont jamais
rien attaqué—ni rien loué pour aucun intérêt.
Elles ont dit à tous ce qu’elles ont cru la vérité sur tout et sur tous.
Rien ne les a fait reculer quand elles ont cru soutenir ce qui était juste et vrai.
Elles n’ont jamais hésité à rectifier les quelques erreurs dans lesquelles elles sont tombées.
Le National et le Journal du Peuple, journaux démocratiques,*—ont avoué qu’elles avaient été plus loin qu’eux dans l’appréciation sévère de certains faits politiques.
Tous les partis les ont citées ou attaquées tour à tour,—parce qu’elles n’appartenaient qu’à un seul parti,—à celui du grand, du juste et du vrai,—et qu’elles rendaient justice à tout le monde.
Elles n’ont à se reprocher que d’avoir été un peu trop indulgentes
pour certaines extravagances de M. de Balzac,—dont elles aiment le
talent; ce qui fut cause qu’à une époque où le directeur de la Revue de
Paris plaidant contre M. de Balzac—pour un prétendu abus que celui-ci
faisait d’un ouvrage vendu à la Revue,—pria la plupart des écrivains
contemporains de signer un blâme formel contre M. de Balzac,—l’auteur
des Guêpes fut, je crois, le seul qui refusa sa signature.
Or,—quand M. de Balzac fit sous le nom de Petite Revue parisienne—une imitation des Guêpes,—c’était tout simplement, comme il ne s’en cachait pas, dans l’intention bénigne d’écraser ma publication sous la sienne.
Mais, comme je l’ai dit,—il manquait à M. de Balzac plusieurs choses pour réussir. La fin prématurée de la Petite Revue parisienne—peut en faire soupçonner quelques-unes. Voici quelle fut cette fin.
M. Roger de Beauvoir, attaqué gratuitement et violemment dans le deuxième numéro de la Petite Revue, envoya deux amis à M. de Balzac. Deux amis de M. de Balzac convinrent avec ceux de M. de Beauvoir—que M. de Balzac mettrait une rectification dans son prochain numéro, qui était le troisième.—Ce numéro parut sans la rectification imposée et promise.—Les amis de M. de Beauvoir revinrent à la charge;—ceux de M. de Balzac refusèrent de l’assister après son manque de parole.
Deux autres témoins s’engagèrent à une nouvelle rectification: la Petite Revue cessa de paraître.
M. de Balzac a donc tort de parler avec tant de dédain d’une
publication—que, quelle qu’elle soit, il a essayé d’imiter.
Malgré les sages avertissements que les Guêpes avaient donnés à
la reine Pomaré,—en lui décrivant exactement les bienfaits du
gouvernement constitutionnel,—cette souveraine sauvage—a décidément
donné elle et son royaume à la France;—les grands journaux l’annoncent
un an après les Guêpes.
Quirinus by Felix out of dam.—Of Hercule. Ce doit être un
cheval, mais je ne suis pas sportman. Eh bien! Quirinus est un cheval
d’assez noble origine, mais mal élevé, c’est-à-dire qu’il est arrivé à
cinq ans sans avoir été dressé, exercé, ni éprouvé, et de plus qu’il a
été soumis toute sa vie à un système aussi débilitant qu’économique;
foin, un peu; eau et air, à discrétion; avoine, il a pu en entendre
parler. Cet animal, de formes fantastiques, d’un caractère atroce de
sauvagerie, en un mot de l’extérieur le plus repoussant, fut exhibé il y
a quelques mois à une vente publique, pour la plus grande délectation de
la gent maquigonne et de la jeunesse dorée. Un jeune étranger faillit
être expulsé du Jockey-Club, pour en avoir voulu donner mille francs.
Heureux d’en être quitte pour mille brocards.
Eh bien! ce Quirinus, qui, malgré tout cela, est de pur sang,
vient d’être acheté comme étalon par l’administration des haras.
Combien?—Nous l’ignorons.—Si c’est plus de mille francs, pourquoi ne
pas l’avoir poussé à la vente coram populo? Si moins, doit-on donner
aux éleveurs de pareils étalons, et notez qu’un très-beau et très-bon
cheval, mieux né et mieux élevé, Pourceaugnac, a été refusé en vertu
d’un règlement qui ordonne que tout cheval de pur sang doit, avant de se
reproduire, faire ses preuves parce que noblesse oblige. Pourquoi donc
refuser Pourceaugnac, bon en apparence, et prendre Quirinus, mauvais
en apparence; tous deux sans preuves? Ah! voilà.
Quirinus sort du haras de Viroflay, acquisition récente de M. Talabot, gendre du ministre du commerce.
On se rappelle quelle indignation on excita, dans le temps, contre
la malheureuse reine Marie-Antoinette—en faisant courir le bruit—que,
entendant dire que le peuple était malheureux et qu’il n’avait pas de
pain,—elle avait répondu: «Eh bien! qu’il mange de la brioche.» Le
hasard m’a fait un de ces jours derniers rencontrer un livre daté de
1760—où on raconte le même mot d’une duchesse de Toscane,—ce qui me
paraît prouver à peu près que le mot n’a pas été dit par
Marie-Antoinette, mais retrouvé et mis en circulation contre elle.
Il est impossible d’avoir une idée plus malheureuse et plus
inopportune que celle qu’a eue récemment le maréchal Soult en faisant
couper les moustaches de l’armée,—on sait la peine qu’eut
Napoléon,—qui était Napoléon,—à faire couper les tresses de ses
soldats:—la moustache est une coquetterie qui sied bien au soldat.—Je
suis fort partisan d’une discipline sévère, mais je trouve ridicule et
odieux de faire aussi inutilement sentir le joug aux militaires par des
ennuis et des tracasseries qui n’ont aucun but utile, même en apparence.
Quelques personnes croient que M. Soult a été poussé à cette exécution
par une raison, et cette raison la voici: on avait remarqué souvent que
chaque ministère de M. Soult était signalé par des révolutions dans les
armes et dans les costumes de l’armée.—Chaque changement donne lieu à
des fournitures, chaque fourniture à des marchés,—chaque marché à des
tripotages; on en médisait.—M. le maréchal aura voulu faire passer
quelque changement de ce genre à la faveur d’un changement sur lequel il
n’y a rien à gagner pour personne.
Une lettre signée: un membre du clergé de
Saint-Denis-du-Saint-Sacrement—a été accueillie par plusieurs journaux.
Cette lettre, qui a la prétention d’être une réponse à celle que j’ai
adressée dans le dernier numéro des Guêpes—à l’archevêque de Paris,
est pleine d’invectives grossières contre moi.—Les jupes, quel que soit
le sexe qui les porte,—sont censées désigner la faiblesse,—laquelle
abuse souvent même de l’abri.—Voici donc la seule réponse que j’y
puisse faire, et que j’invite à publier les journaux qui ont inséré
cette lettre.
«Monsieur, vous avez admis dans votre journal—une lettre signée: un membre du clergé de Saint-Denis-du-Saint-Sacrement.—Je compte sur la sagacité de vos lecteurs—pour leur faire comprendre combien les invectives que m’adresse l’auteur de cette lettre—répondent peu victorieusement à la juste plainte que j’ai élevée; cependant il est trois points sur lesquels j’ai quelques mots à dire;—je vous prie,—et au besoin je vous somme de publier dans un prochain numéro—la réponse que je vous envoie,—et qui est nécessitée par le reproche de calomnie qui m’est adressé.
»1º Votre correspondant ne nie pas que des ouvriers aient bruyamment travaillé pendant une cérémonie funèbre;
»2º Il ne nie pas non plus que,—à la sacristie, pendant que le fils du mort donnait des explications nécessaires,—un sacristain et un autre homme habillé en prêtre—se soient livrés à des excès de gaieté plus qu’indécents.
»3º La grotesque provinciale du membre du clergé de l’église de Saint-Denis-du-Saint-Sacrement me menace du procureur du roi,—et moi, monsieur, je maintiens la vérité de ce que j’ai avancé.—Je défie votre correspondant, et avec lui les certains paroissiens dont il parle,—de m’attaquer en justice sur la lettre que j’ai adressée à l’archevêque de Paris.—De nombreux témoins sont prêts à proclamer la vérité.
»Je ne ferai aucune remarque sur les phrases dans lesquelles ce pauvre homme se plaint avec tant de cynisme et de colère qu’on ait donné peu d’argent à l’église, et avoue si naïvement—que, de recueillement et de décence, on n’en pouvait pas faire davantage pour le prix.
»Le fils du mort n’avait pas vu dans cette circonstance douloureuse une occasion de faste;—il n’avait fait demander qu’une simple présentation à l’église. Un de ses amis avait pris ce soin et avait payé pour lui ce que l’église avait demandé.—Il ne savait pas,—comme le membre du clergé de Saint-Denis-du-Saint-Sacrement nous l’apprend aujourd’hui, qu’il fallait payer à part pour que le mort ne fût pas insulté—et que cela était l’objet d’un tarif particulier.
»Agréez, monsieur, etc.»
Mai
Exécution de Besson.—Un rouleau d’or sauvé.—Invitation à déjeuner noblement refusée.—La Trappe.—Saint Philippe et saint Jacques.—Une idée érotique du préfet de police.—Discours de l’archevêque de Paris et réponse du roi.—Le peuple et les badauds.—M. Pasquier et M. Séguier.—D’un voleur qui voit la mauvaise société.—Une profession nouvelle.—Un député aimable.—M. Arago a rompu avec les comètes.—L’enquête de la Chambre sur les élections de Langres, d’Embrun et de Carpentras.—Le député de Langres et le député de Saint-Pons.
Je crois avoir démontré d’une manière inattaquable—que, dans le
procès qui a suivi l’assassinat de M. de Marcellange,—si Besson était
l’auteur du meurtre, les dames de Chamblas en étaient les
complices.—Besson a été condamné, comme on sait.—Les dames de Chamblas
continuent, selon la remarquable expression du ministère public,—à être
condamnées à des remords perpétuels,—Besson a été guillotiné
également à perpétuité.
M. de C*** voyageait, il y a quelques jours, avec sa femme et un
domestique.—Ils sont arrêtés par des voleurs et aussi dépouillés qu’on
le peut être.—On ne leur laisse que leurs chevaux, leur voiture et leur
domestique,—probablement faute d’un moyen sûr de s’en défaire
avantageusement. «Qu’allons-nous faire maintenant? dit M. de C***, il
y a loin d’ici à une ville d’où je puisse écrire à Paris pour me faire
envoyer de l’argent.—Monsieur, dit madame de C***,—j’ai sauvé un
petit rouleau d’or.—Vraiment, ma chère amie? vous avez fort bien
agi;—mais comment avez-vous fait pour le dérober à la curiosité plus
qu’impertinente de ces messieurs? Je vous avouerai que, même comme mari,
j’ai été fort contrarié de la minutie de leurs investigations sur votre
personne.—Oh! j’avais bien caché mon or,—dit madame de C*** en
devenant fort rouge.—Il paraît que vous l’aviez bien caché; mais,
enfin, ce devait être quelque part, et ils m’ont paru chercher
partout.—Oh! partout!...» Et madame de C*** devint encore beaucoup
plus rouge. «Mais, oui, ma chère amie, partout;—c’est du moins ce qu’il
m’a semblé.»
M. de C*** insiste encore beaucoup, malgré l’embarras de sa femme;—enfin, après une réponse qui probablement l’éclaire, il lui dit: «Diable! pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela, je vous aurais priée de cacher aussi ma tabatière, que je regrette infiniment.»
Nouvelle lettre du dieu Cheneau,—qui me déclare «qu’il est forcé,
dans ses épîtres, de descendre à la hauteur de ma conception;»—que «je
ferais bien d’employer toutes mes facultés, attendu que je n’en ai déjà
pas trop.»
Le dieu Cheneau ajoute que «mes inspirations sont froides et stupides;»—si je trouve «quelques partisans, c’est parce que—un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.»
Après quoi M. Cheneau—me dit «qu’il n’y a pas de fiel dans son cœur, et qu’il ne m’en veut pas le moins du monde.»
En effet, M. Cheneau termine sa lettre de la façon la plus paternelle.
«Je vous autorise à venir avec un de vos amis me demander à déjeuner; je m’arrangerai pour que vous soyez plus satisfait de ma table que de mes réponses.»
Voilà ce que j’appelle se conduire en dieu.
Mille remercîments, dieu Cheneau; mais j’ai peu de confiance dans les festins donnés par le ciel;—ceux qui sont restés dans la mémoire des hommes ne sont pas, vous l’avouerez, encourageants, sans parler des divers festins dont je ne parle pas par respect, tels que la manne du désert,—nourriture purgative.
Cinq pains et deux poissons pour cinq mille hommes;
La célèbre tartine d’Ézéchiel,—les noces de Cana où on fait du vin avec de l’eau;
Les pains apportés par un corbeau à un autre prophète.
Je rappellerai Saturne—mangeant des pierres;—Proserpine condamnée à l’enfer pour un grain de grenade;—Tantale qui ne mange pas du tout—et Prométhée qui est mangé!—Permettez-moi, dieu Cheneau, de ne pas accepter votre nectar et votre ambroisie, et de me contenter de vos réponses.
On lit dans plusieurs journaux l’anecdote que voici:
«Un Anglais de distinction visitait le couvent de la Trappe. L’abbé lui présenta successivement tous les religieux condamnés à un silence perpétuel. Arrivé près de l’un d’eux, il dit: «Vous voyez ici, milord, un malheureux soldat qui, ayant eu grand’peur du canon à la journée de Waterloo, déserta le champ de bataille, et vint ensuite, désespérant de son honneur, se jeter dans notre ordre.» A ces mots, le frère changea de couleur, le combat terrible qu’il éprouvait dans son âme se peignait sur ses traits altérés; mais, fixant tout à coup le crucifix, il joignit les mains, tomba humblement à genoux devant l’abbé, et se retira pâle et silencieux de la salle.
»L’Anglais, ému de cette scène, demanda à l’abbé pourquoi il avait si durement accusé ce malheureux. «Milord, répondit l’abbé, je l’ai fait pour vous prouver l’empire que la religion peut exercer sur l’homme. Ce frère a été un des plus braves officiers de l’armée; il a fait des prodiges de valeur dans cette bataille; vous avez vu le combat qu’a excité en lui ma fausse accusation; mais, en même temps, vous avez été témoin de sa résignation et de son humilité.»
Il n’y a à tout cela qu’un petit inconvénient,—c’est qu’il n’est pas vrai que les trappistes soient condamnés à un silence perpétuel.—Je suis allé à la Trappe,—et j’ai été reçu par un frère qui cause fort bien; je lui ai demandé si, en qualité de frère hospitalier chargé de recevoir les voyageurs, il avait une permission spéciale pour rompre le silence auquel les trappistes sont soumis.—Il sourit et me dit: «Je sais qu’on fait sur nous d’étranges histoires dans le monde;—notre silence consiste à ne pas avoir entre nous de conversations futiles,—à ne pas parler en traversant l’église,—ou le cimetière,—ou d’autres lieux consacrés,—ou pendant certaines prières.—Ne dit-on pas aussi, ajouta-t-il en souriant de nouveau, que nous creusons nous-mêmes notre tombe, et qu’en nous rencontrant nous nous disons l’un à l’autre: «Frère, il faut mourir!»—Vous pouvez voir par vous-même qu’il n’en est rien.»
S. M. le roi Louis-Philippe ayant découvert qu’il y avait encore
une trentaine de Français qui ne portaient pas la croix d’honneur,—a
réparé cette omission involontaire et a daigné l’envoyer à quinze
proviseurs de colléges de province et à quinze substituts et
procureurs—à l’occasion de sa fête.
La Saint-Jacques tombe le même jour que la Saint-Philippe;—les
almanachs, obligés de mettre la Saint-Philippe en lettres
majuscules,—ont supprimé saint Jacques,—mis à la porte ainsi du
calendrier.—La Saint-Jacques est la fête de M. Laffitte.
Le préfet de police—a imaginé un singulier moyen de célébrer la fête du roi;—il a accordé amnistie pleine et entière à cent cinquante filles publiques détenues à Saint-Lazare—pour avoir aimé hors des heures permises par la police.—Ces cent cinquante demoiselles, rendues aux félicités publiques,—ont pris une part active à la fête,—et quelques-unes ont orné le soir le carré Marigny, aux Champs-Élysées, de danses un peu risquées.
Monseigneur Affre—a tenu au roi un discours un peu
entortillé,—dont le vrai sens est qu’il conseille à Sa Majesté de
rétablir les colléges de jésuites;—à quoi Sa Majesté a répondu par un
discours non moins entortillé qu’elle priait monseigneur Affre de se
tenir tranquille et de se mêler de ses affaires.
Certains journaux traitent un peu le peuple en comparses
d’opéra-comique.—On lit dans le National:—«Il y avait aux
Champs-Élysées un débordement de badauds.»
Je prendrai la liberté de demander au National—si ces badauds—ne sont pas les mêmes figurants qu’il intitule le grand peuple et le pays dans d’autres circonstances.
Dans les discours que MM. Pasquier et Séguier ont adressés au roi à
l’occasion de sa fête,—quelques personnes ont paru regretter que ces
messieurs n’aient pas trouvé moyen de mettre dans ces discours un peu de
la variété qu’ils ont mise dans leurs serments et dans leur dévouement
depuis trente ans.
Un homme accusé de vol est interrogé par le président sur l’emploi
de son temps; il répond qu’il a passé quelques heures dans un estaminet
du boulevard du Temple. «Voilà un joli endroit et une belle société!»
dit le président!
Nous demanderons à M. le président s’il a jamais invité ce pauvre diable à venir passer la soirée chez lui—et s’il pense qu’il ait le choix d’une société plus relevée.
Un voleur, interrogé sur ses moyens d’existence, répond qu’il
joue la poule au billard et qu’il est heureux;—c’est un état tout
nouveau:—heureux au billard.
Un électeur a avoué qu’il s’était décidé à nommer M. Pauwels, parce
qu’on lui avait dit que c’était le plus aimable.—Il y a tant de
choses représentées à la Chambre—qu’on ne saurait trop se féliciter de
voir un député élu comme aimable.
M. Arago a annoncé qu’un de ses élèves venait de découvrir une
nouvelle comète.—M. Arago, fâché contre les comètes, ne daigne plus
s’en occuper lui-même.—Cela rappelle un peu M. Willaume, qui mariait
les gens et annonçait en post-scriptum dans les journaux que son
secrétaire plaçait les domestiques.
Lors de la présentation des tableaux devant le jury de
l’exposition, un des membres de cet aréopage juste et éclairé, M.
Bidault, s’absenta pendant quelques instants.—Pendant son absence, cinq
de ses paysages furent étourdiment refusés.—A son retour, il trouva la
besogne fort avancée. «Ah! ah! dit-il, vous avez fini les paysages! eh
bien, j’espère que vous êtes contents de moi cette année.» Les juges
comprirent qu’ils venaient de faire une sottise en repoussant par
mégarde les œuvres d’un de leurs complices.—Sur un signe
d’intelligence, le gardien alla prendre dans le tas refusé les cinq
tableaux Bidault et les glissa avec ceux acceptés.
A la bonne heure,—nous y voilà;—je suis un peu comme la plupart
de nos amis et de nos parents,—qui trouvent une douce consolation pour
les malheurs qui nous frappent—dans la joie de les avoir prédits et de
nous l’avoir bien dit.
L’enquête sur les élections contestées,—livrée à l’impression par la Chambre des députés,—nous donne déjà un avant-goût de ce que deviendra la vie privée en France,—où tout le monde veut arriver à la vie politique.—Une partie de la Chambre s’est épouvantée de ce quelle avait fait elle-même;—la commission a émis le vœu qu’on ne fît plus d’enquêtes de ce genre;—la moitié de la Chambre a gémi sur une publicité qu’elle avait autorisée elle-même;—les coulisses de la ville de Carpentras et autres lieux ont été ouvertes au public,—qui a pu y voir plusieurs autres petites pièces,—non destinées à la représentation.
Beaucoup de députés se sont récriés contre une publicité à laquelle chacun d’eux servira de pâture.
Ah! vous voulez du gouvernement représentatif, messieurs! ah! vous voulez qu’on vous envoie à la Chambre pour discuter tous les intérêts du pays!—Vous voulez qu’on mette entre vos mains la fortune publique et l’honneur du pays,—et vous ne voulez pas qu’on examine si les moyens qui vous ont fait envoyer à la Chambre ne sont pas précisément ceux qui vous devraient faire exclure de toute participation au gouvernement du pays.
Vous voulez faire dire dans les journaux qui vous poussent que vous avez toutes les vertus—et vous ne songez pas que c’est autoriser d’autres journaux à faire observer qu’il vous en manque quelques-unes et à dire lesquelles!—Vous n’êtes pas encore au bout, messieurs.—Vous en verrez bien d’autres.
Attendez un peu,—et l’on voudra savoir à quelle époque chacun de vous mange des pois verts,—et à quelle femme du monde ou d’ailleurs il adresse des hommages,—et s’il est aimé pour lui-même;—et, dans le cas où il achèterait son bonheur,—quel est le prix qu’il y met.—On voudra savoir où vous allez le soir—ou d’où vous sortez le matin;—on le dira,—on l’imprimera, et l’on aura raison.
Quoi!—messieurs,—de temps en temps—un homme inconnu,—ayant fait une fortune dont on ne connaît pas plus le chiffre que les éléments,—viendra prendre sa part du gouvernement du pays,—et la seule chose dont vous voulez qu’on s’enquière, c’est combien il y a de portes, combien il y a de fenêtres à sa maison!
Vous voulez qu’on dise: «Monsieur un tel possède trois portes cochères,—deux bâtardes,—vingt-cinq fenêtres;—qu’il gouverne la France: dignus est intrare.—Vive M. un tel! soumettons-nous à ses lois!» Vous voulez que l’on se contente d’être gouverné par le plus grand nombre des portes—et par la majorité des fenêtres.
Toute autre investigation qui ne porte pas sur vos portes et fenêtres vous semble indiscrète—et de mauvais goût.
Pardon, messieurs, il n’en peut être ainsi.—Vous voulez à la fois les bénéfices et les splendeurs de la vie politique et les douceurs secrètes de la vie privée.
Non, messieurs, les vertus politiques ne consistent pas seulement dans l’entêtement aveugle à suivre telle ou telle bannière,—il y a encore deux ou trois petites choses accessoires dont il est prudent de s’informer, et on s’en informera.
Je sais bien, messieurs, que c’est désagréable—pour des bourgeois,—encore hier marchands de n’importe quoi, de voir ainsi produire au grand jour—des détails, des habitudes, des mœurs qu’on n’a pas préparés pour le public à une époque où on ne savait pas qu’on deviendrait gouvernement.—Mais soyez de bonne foi,—vous direz qu’il n’en peut être autrement.
Voyons,—monsieur Ganneron,—quand vous vendiez des lumières des huit à vos concitoyens,—auriez-vous fait un long crédit à un épicier qui vous eût paru faire des dépenses au-dessus de sa fortune, ou qui vous eût semblé inepte,—ou peu exact,—et auriez-vous refusé de savoir ce qu’il en était?
Non, certes, monsieur Ganneron.
Et vous,—monsieur Cunin-Gridaine,—auriez-vous confié une partie de draps un peu forte—à un commis voyageur qu’on vous aurait assuré seulement jouer un peu trop aux dominos?
Et ne pensez-vous pas que les denrées que vous confie la France à tous sont un peu plus précieuses que celles vous débitiez au compte de vos commettants?
Ce n’est pas ma faute,—messieurs,—si vous avez pensé que l’art de gouverner les hommes et les pays—fût le seul qu’il n’y eût pas besoin d’apprendre,—et pour lequel il n’y eût pas de nécessité de préparer sa vie.—Restez dans la vie privée,—vous qui aimez la vie privée,—personne ne vous force d’entrer dans la vie politique.
Pour ce qui est des enquêtes de la Chambre, du reste,—cela ne servira à rien,—si ce n’est à produire de temps à autres quelques scandales.
Les hommes sont les mêmes partout et toujours,—tous à vendre,—seulement pour différents prix,—payables en diverses monnaies.—Mais, si vous ne voulez plus d’enquête,—ô représentants du pays! ou si vous voulez que vos enquêtes, servent à quelque chose, rendez un décret—par lequel—l’avidité et l’avarice sont abolies, ainsi que la vanité et l’ambition.—Ordonnez que tous les Français soient également vertueux, probes, désintéressés.—Ordonnez que personne ne vende son suffrage—ni pour de l’argent, ni pour des honneurs (des honneurs au prix de l’honneur), ni pour aucun intérêt.—Et ensuite vous n’aurez plus à craindre qu’on achète des suffrages,—quand il n’y en aura plus à vendre. La difficulté est seulement de réussir sur le premier point.—En attendant,—voici quelques-unes des plus innocentes révélations amenées par l’enquête.
M. de Cajoc, sous-préfet,—a écrit une lettre dont voici un extrait: «Je ne veux pas qu’on mette tous les préfets à la porte, il y en a de bons, mais je demande seulement qu’on m’en trouve une petite.»—Probablement une préfecture.
Madame de Cajoc—a écrit: «Les ministres ne veulent que des
assassins et des gueux pour agents.»
ÉLECTION DE CARPENTRAS.—«Le sieur Rosty a constamment soutenu que,
le jour du scrutin de ballottage, M. le sous-préfet de Carpentras,
l’ayant pris à part, lui avait témoigné des doutes sur son vote, et
avait voulu exiger de lui, sous peine de destitution, qu’il mît une
marque particulière sur son bulletin.»
Ce n’est pas tout à fait conforme au vœu de la loi, qui exige le secret des votes.
«Le sieur Roubaud, électeur, nous a dit que, le 12 juillet au matin, le sieur Rosty fils, notaire, lui avait offert la somme de deux cents francs s’il voulait consentir à donner sa voix à M. Floret.»
Voici un notaire qui fait là un joli trafic!—et c’est une charmante chose à faire par-devant notaire qu’un marché de ce genre.
«Les partisans de M. Floret imputent, au contraire, à ceux de M. de
Gérente d’avoir acheté pour cinquante francs le vote de Roubaud.»
M. Floret a offert deux cents francs à Roubaud—et M. de Gérente seulement cinquante francs.—Il y a bien du risque que M. de Gérente soit innocent de la corruption.—Roubaud a dû préférer être corrompu par M. Floret,—attendu qu’on ne se fait pas corrompre pour l’honneur.
«Le sieur Bonnet aurait répondu qu’il s’était engagé à voter pour
M. Floret, parce que celui-ci lui avait promis la veille une place de
douze cents francs pour son neveu, dont il désirait se débarrasser.»
Quelque coquin de neveu probablement—comme on en voit tant.—M. Bonnet, j’en suis sûr, n’aurait rien accepté pour lui-même,—mais pour son neveu, qui ne sera plus à sa charge et qui l’embarrasse,—c’est bien différent!
«Si l’élection de Carpentras est validée, ce n’est pas parce que
cette élection a été exempte de manœuvres, mais uniquement parce que
les griefs les plus graves ne sont pas imputables au candidat élu. Et la
meilleure manière d’atteindre ce but, ne serait-elle pas de proposer à
la Chambre, en même temps qu’elle admet le député, d’infliger un blâme à
ces manœuvres?»
Pardon, messieurs de la commission,—c’est-à-dire que ce n’est pas le meilleur, mais le moins mauvais qui est élu;—ce n’est pas celui qui n’a pas fait le moins—qui est déclaré honorable;—disons donc l’honorable M. Floret.
ÉLECTION D’EMBRUN.—«L’élection d’Embrun présente deux caractères
bien marqués: tentatives de corruption pécuniaire de la part de M.
Ardoin; essai d’intimidation et violation du secret des votes de la part
des amis de M. Allier.»
C’est gentil;—voyons un peu lequel sera déclaré honorable de ces deux messieurs.
«Il s’est élevé, de l’ensemble des témoignages recueillis, la
preuve morale des tentatives de corruption auxquelles avaient eu
malheureusement recours les amis de M. Allier, et peut-être ce
concurrent lui-même. Nous produirons, à cet égard, des déclarations et
des aveux déplorables.»
Ce sera peut-être M. Ardoin.
«Le secret des votes a-t-il été violé par les désignations qui
accompagnaient, sur la plupart des bulletins, les noms des deux
candidats? Car ce procédé a été employé par les deux partis, c’est le
procès-verbal de l’élection qui le déclare: «Le bureau (y est-il dit),
après en avoir délibéré, a, en effet, remarqué que, de part et d’autre,
les désignations inscrites sur les bulletins des électeurs porteraient
atteinte au secret des votes et pourraient être contraires au vœu de
la loi.»
La chose redevient douteuse.
«Vous avez sous les yeux les dépositions des témoins; ils ne sont
pas d’accord sur le nombre des bulletins avec des désignations. M.
Bertrand de Rémollon a dit que tous les bulletins pour M. Allier, ou
presque tous, soixante-dix-sept sur soixante-dix-huit, portaient des
désignations. M. Janneau-Lagrave a dit qu’il y en avait un quart ou un
tiers du côté de M. Allier. M. Achille Fourrat: les trois quarts des
bulletins à peu près, dont cinquante environ du côté de M. Allier, et
peut-être quarante-cinq pour M. Ardoin. M. Cézanne un tiers, et pour les
deux candidats. M. Didier: des deux côtés à peu près en nombre égal.»
M. Ardoin a des chances pour être honorable; mais il n’en a guère de plus que M. Allier.—Voyons encore:
«Le sieur Bonaffoux père a eu à déplorer des propos inconvenants et
des coups de son fils; le fils était dans un état d’ivresse complet, et
ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que les témoins qui ont
reproduit les griefs de Bonaffoux ont déclaré, les uns, qu’il leur avait
dit que son fils l’avait menacé pour arracher son vote en faveur de M.
Ardoin; les autres, en faveur de M. Allier, d’où résulte une grande
incertitude sur les faits en eux-mêmes, et par conséquent sur la valeur
des témoignages et sur l’intention des plaintes.»
Bonaffoux a battu son père;—mais pour qui et pourquoi a-t-il battu son père?—en général, quand on bat son père, c’est pour quelqu’un ou pour quelque chose.
«Cet arrêt déclare simulés les actes en vertu desquels ces sept
électeurs auraient acquis, en mars et avril 1841, de M. Ardoin,
candidat, l’usufruit, pendant neuf années, de pièces de terre situées à
Saint-Ouen et à Clichy, et reconnaît fausses et contradictoires les
explications données par eux.»
Oh! diable, ceci est laid;—c’est, je crois, maintenant,—M. Allier qui est le plus honorable de ces deux messieurs.
«On disait que M. Ardoin était venu de Paris avec deux cent mille
francs pour gagner les électeurs; et l’un d’eux, en effet, était venu
chez Jouve lui demander trois mille francs sur cette somme. J’en veux
ma part, aurait-il dit naïvement.
«Chevalier, adjoint. Celui-ci avait reçu en prêt, de M. Ardoin, une
somme de huit cents francs pour trois ans, sans intérêts. Il vota, le
premier jour, pour M. de Bellegarde, que les amis de M. Allier portaient
à la présidence du collége. Il paraîtrait qu’on avait donné à cet
électeur un mot d’ordre qui ne se serait pas retrouvé dans les bulletins
énoncés. Aux reproches de M. Jouve, le sieur Chevalier aurait répondu:
«Je ne voterai pour M. Ardoin que si, au lieu d’un prêt de huit cents
francs, on le convertit en don, en déchirant mon obligation.»
»Chevalier aurait raconté ce fait en présence de cinq à six témoins. Et l’obligation a été déchirée. Chevalier aurait même ajouté: «Je dois mille francs à M. Julien, et j’aurais voulu acquitter cette dette.» Il a voté le deuxième jour pour M. Ardoin.»
Les parts ne sont pas égales,—nous avons vu tout à l’heure un électeur qui demande trois mille francs. M. Chevalier fait la chose pour huit cents francs.—C’est un gâte-métier.
«Si M. Ardoin ne faisait rien par lui-même, il laissait faire des
agents dévoués. Le nommé Martin, repris de justice; le nommé Trinquier,
sous le coup des réserves du ministère public pour altération de
signature, allaient l’un et l’autre offrant de l’argent à qui voudrait
en recevoir.»
C’est peut-être la première fois que ces deux messieurs offraient de l’argent au monde,—leurs antécédents judiciaires semblent, en effet, annoncer des exercices tout opposés.
«Ces personnes ont ajouté: «Si nous ne votions pas pour M. Ardoin,
dès le lendemain même de l’élection nous serions poursuivis à
outrance.»
Il est bon de se faire corrompre, mais il faut être honnête.—Vous avez promis de vous déshonorer; un honnête homme n’a que sa parole,—si vous y manquez et que ça tourne mal,—tant pis pour vous.
M. Ardoin lui-même s’en est expliqué devant nous en ces termes:
«Les électeurs qui votaient pour moi étaient hébergés chez Gauthier et
chez Bellotte. Il y avait table ouverte pour dîner et pour déjeuner, à
mes frais. C’était connu, je ne m’en suis pas caché. On peut bien
traiter ses amis. Le préfet m’a fait une affaire en 1839, parce que
j’avais amené mon cuisinier. Je crois que je le ferai encore.» M. Ardoin
a ajouté qu’il avait habité l’Angleterre, et que là on faisait bien
autre chose.»
Attendez un peu,—nous ne faisons que commencer,—et nous commençons bien;—l’Angleterre n’est pas arrivée du premier coup où elle en est.
«Il n’a pu s’élever d’hésitation dès lors parmi les membres de la
commission d’enquête que sur la manière de caractériser ces actes, et
l’intention qui les avait inspirés. Les uns ont voulu les qualifier de
manœuvres coupables, les autres de tentatives de corruption. La
majorité de la commission a adopté une expression générale, qui comprend
cette double pensée, et les a déclarés faits de corruption
électorale.»
Cette pauvre commission a dû, en effet, se trouver bien embarrassée;—il paraît que ce que ces messieurs ont fait ne constitue pas des manœuvres coupables,—ni des tentatives de corruption.—Quel bonheur que la commission ait enfin trouvé—le mot,—le vrai mot,—le seul mot qui rende exactement la chose!—Cependant cette phrase rappelle un peu la fameuse distinction d’Odry entre les chiquenaudes, les pichenettes et les croquignoles.
«La minorité a dit qu’elle désapprouvait hautement, comme la
majorité, les faits à la charge du concurrent de M. Allier (ah! c’est
M. Ardoin qui ne sera pas honorable), mais qu’il lui était impossible de
ne pas voir des actes d’intimidation dans l’ensemble des faits qui
avaient caractérisé l’élection, notamment les actes relatifs à Ardoin de
Briançon, à Bonnaffoux et à Chevalier. Ces actes ont été en quelque
sorte avoués par M. de Bellegarde et par Joubert (M. Ardoin redevient
honorable). La minorité a ajouté qu’il résultait de l’enquête qu’un
grand nombre de bulletins, portant des désignations particulières,
avaient été écrits en faveur de M. Allier; et que si on n’avait pas
découvert la preuve matérielle d’un concert, d’un registre et d’un
contrôle, tout portait à croire que ce concert et ce contrôle avaient
existé, particulièrement de la part des trois membres composant le
comité électoral de M. Allier, placés tous trois auprès du bureau du
président du collége, au moment du dépouillement du scrutin, de manière
à pouvoir lire tous les bulletins qui portaient des désignations et à
constater leur origine. (M. Ardoin continue à redevenir honorable.)
Cette circonstance, réunie à d’autres indices, fortifiait la minorité
dans la conviction où elle était qu’une atteinte sérieuse avait été
portée au secret des votes, à la liberté de l’élection; et que, pour
mettre un terme à l’abus possible des bulletins avec des désignations,
par une sanction sérieuse, elle était d’avis d’annuler l’élection de M.
Allier. (Honorable M. Ardoin!)
»La majorité, au contraire, est d’avis que l’élection a été libre et pure, et vous propose l’admission de M. Allier.»
Oh! mon Dieu!—voilà M. Ardoin qui n’est plus honorable du tout;—c’est maintenant M. Allier,—qui, du reste, a bien manqué de ne l’être pas.
On a trouvé généralement cette conclusion de la commission: l’élection a été libre et pure,—un peu facétieuse.
ÉLECTION DE LANGRES.—Parlez-moi de Langres, à la bonne
heure,—voilà un endroit où les choses se passent beaucoup mieux.
«Une multitude d’agents parcoururent la ville et les campagnes, obsédant les électeurs de promesses, de menaces, offrant des voitures pour se rendre à l’élection, et leur indiquant les auberges et les cafés où ils devaient être défrayés, et, de plus, dénigrant les compétiteurs de M. Pauwels, en les qualifiant d’aristocrates et de gentilshommes voulant la ruine du pays.
»La veille de l’élection on avait accaparé toutes les voitures et les chevaux de louage du chef-lieu pour amener, dès le matin, tous les électeurs de la campagne dont on redoutait l’indépendance du vote; et ensuite, placés dans les maisons et auberges où ils étaient gardés à vue, on les extrayait de leur retraite dans un état voisin de l’ivresse, et on les accompagnait ainsi au bureau de l’élection.»
M. Ardoin et M. Allier hébergeaient les électeurs d’Embrun;—mais M. Pauwels fait mieux: il grise les électeurs de Langres.
«M. Chauchart, membre du conseil général, a déclaré devant la
commission qu’il avait vu dans le sein du collége un sieur Carbillet,
chef d’instruction, amenant un électeur qu’il soutenait, attendu qu’il
ne pouvait presque plus marcher. M. Beguinot de Montrol en a vu un tout
à fait ivre, dont le billet a été écrit par un autre électeur. M.
Renard, substitut du procureur du roi à Vassy, nous a dit: «Les
électeurs dont M. Abreuveux écrivait les billets n’étaient pas ivres,
mais ils étaient appesantis par le vin.»
Distinguons:—regardez un peu comme on est méchant dans les petits endroits;—on disait avoir vu ivres de pauvres électeurs qui n’étaient qu’appesantis par le vin;—ce serait honteux d’avoir été exercer ivre un droit aussi sérieux.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.—«Treizième question. M. de Gérante
a-t-il demandé et obtenu une demi-bourse dans un collége royal pour
l’enfant de Raspail, petit-fils d’un électeur, et une autre pour
l’enfant de Guillaume Siffrein, électeur?—R. Oui, à l’unanimité.
»Quatorzième question. Ces démarches ont-elles eu lieu en vue de l’élection, et faut-il exprimer un regret que le candidat les ait faites?—R. Non, sept voix contre deux. Il ne doit pas même être exprimé un blâme implicite.
»La majorité demande que le rapport énonce une crainte générale, et sans application aux faits actuels, qu’il ne soit fait abus des demi-bourses.»
Sans application aux faits actuels est un joli mot.—En effet; qui est-ce qui pourrait voir là le moindre rapport?—Les Guêpes ont récemment parlé des bourses de collége; à la commission la gloire d’avoir parlé des demi-bourses.—Est-ce qu’elle croit qu’on ne pourrait pas abuser un peu aussi des bourses entières?
«Dix-neuvième question. M. Floret a-t-il, le 11 juillet, déclaré
à l’électeur Fabry qu’il donnerait des garanties, par écrit, des
promesses qu’il lui ferait si cet électeur voulait voter pour lui?—R.
Non, six voix contre trois. Exprimer un regret à raison de la démarche
de M. Floret dans cette circonstance. A l’unanimité.»
Exprimer un regret que M. Floret ait fait une démarche que vous déclarez qu’il n’a pas faite;—commission, ma mie, ceci n’est pas bien clair.
«Quatrième question. Des électeurs ont-ils été défrayés à l’auberge, pendant l’élection, par le même candidat? Est-ce là une manœuvre électorale?—R. Oui, à l’unanimité.»
J’espère bien que MM. les députés, surtout les membres de la commission, n’accepteront pendant la session aucun dîner, ni chez le roi, ni chez aucun ministre;—c’est une belle chose que l’indépendance,—mais qui ne résiste pas à un dîner,—selon la commission.
FAITS DE VIOLENCE IMPUTÉS A DES PERSONNES DU PARTI
ALLIER.—Sixième question. L’électeur Bonnaffoux, de Caleyères, a-t-il
été menacé et battu par son fils parce qu’il annonçait devoir voter pour
M. Allier? Au contraire, les violences dont il s’est plaint
avaient-elles pour objet de le forcer à voter pour M. Ardoin?—R.
Quatre voix sont d’avis que, d’après l’enquête, des violences ont eu
lieu parce que Bonnaffoux voulait voter pour M. Ardoin. Cinq voix, qu’il
n’est pas prouvé dans quelle intention des violences ont été exercées.»
Décidément, Bonnaffoux fils n’a battu Bonnaffoux père que pour le battre.
CONCLUSION.—«Dixième question. Faut-il proposer à la Chambre
d’annuler l’élection d’Embrun?—R. Non, cinq voix contre quatre.»
En effet, pourquoi annuler l’élection d’Embrun?—Est-ce qu’elle n’est pas pure?—Qu’est-ce qu’on demande à une élection?—D’être libre et pure.—Est-il rien d’aussi pur que l’élection d’Embrun?
«M. Pauwels et ses amis cherchent en vain à couvrir ces abus du
prétexte des usages du pays: «On n’y fait pas un marché, nous a dit M.
Pauwels, sans que cela se passe au cabaret.» Nous pensions, nous, qu’il
n’en est que plus nécessaire d’apprendre aux électeurs qu’on ne se
prépare pas ainsi à l’accomplissement d’un devoir civique aussi sérieux
que l’exercice du droit électoral.»
Ah! prenez garde, messieurs, il y a alors bien des gens qui ne viendront pas aux élections.
«Ce qui caractérise l’intimidation, c’est l’absence forcée des
électeurs, empêchés, par une terreur répandue à dessein, de venir
exercer leur droit; et l’élection d’Embrun présente, moins que toute
autre, ce caractère, puisque quatre électeurs seulement se sont
abstenus, et que leur absence a été justifiée.»
Est-ce que messieurs de la commission n’appellent pas intimidation—l’action d’obliger un employé par la peur de perdre sa place;—un débiteur par la peur des poursuites, à voter autrement qu’ils ne veulent?—vrai, je ne suis pas satisfait de cette définition de l’intimidation.
«Là se borne, messieurs, l’examen des quatre griefs imputés par M.
Floret à l’administration, dans une des séances du mois d’août dernier.
Passons à la discussion des trois faits reprochés à M. Floret dans la
même séance, en réponse à ses accusations.»
Comme nous l’avions remarqué,—quatre faits contre l’administration, trois faits seulement contre M. Floret.—M. Floret est vertueux; mais voici quelque chose à quoi, j’en suis sûr, personne ne s’attend, c’est qu’après le développement des jolies choses que je viens de vous dire en abrégé,—la commission ravie—s’écrie en finissant:
«Conservons précieusement cet esprit constitutionnel; il y va de tout notre avenir.»
Voilà de ces choses qu’on n’oserait pas inventer.
Le lendemain, la Chambre n’a pas été de l’avis de la
commission,—elle a, il est vrai, annulé l’élection de M. Pauwels,—mais
elle a également mis à néant celle de M. Floret.—Au moment où nous
mettons sous presse, on ne sait pas encore ce qu’il sera fait de M.
Allier.
Très-bien, messieurs, voici la Chambre purifiée.—Deux élections
annulées d’un coup.—Maintenant, il ne reste pas à la Chambre un seul
député qui ait employé la moindre brigue,—la moindre promesse,—pour se
faire élire;—tous, sans exception, ont été violemment arrachés de la
charrue ou de leur maison des champs.
Tous, sans exception, ont quitté avec regret la vie privée et les
douceurs de la famille;—tous ont été élevés malgré eux à une dignité
dont ils gémissent;—tous ont accepté ce mandat uniquement dans
l’intérêt du pays et de leurs concitoyens.
Une chose seulement paraît un peu singulière;—voilà M. Pauwels
exclu de la Chambre—comme corrupteur des électeurs, comme auteur de
manœuvres coupables:—Très-bien, mais M. Pauwels était à la fois élu
à Langres et à Saint-Pons.—L’élection de Langres est annulée;—mais
celle de Saint-Pons est maintenue.—Disons ce que nous voulons de l’élu
indigne de Langres;—mais respect à l’honorable député de Saint-Pons.
Juin 1843.
Le déluge.—On demande une famille honnête.—Suppression du mois de mai.—La rançon du mois de mai.—Plus de mal de mer!—Opinion de madame Ancelot sur une pièce de madame Ancelot.—Les douaniers de M. Greterin.—Utilité de la langue latine pour une profession.—M. le préfet de police faisant de la popularité.—La liste civile.—Les hommes du pouvoir et le peuple.—Le jury.—Les circonstances atténuantes.—Le bagne.—Brest.—Le duc d’Aumale.—Noble impartialité des journaux.—De la liberté des cultes en France.—M. Fould.
SAINTE-ADRESSE.—NORMANDIE.—Au moment où j’écris ces lignes,—une
chose paraît complètement évidente;—c’est que le ciel veut, par un
nouveau déluge, en finir encore une fois avec le genre humain.—Si la
chose ne va pas plus vite, c’est que Dieu n’a pas encore pu trouver une
famille de justes à préserver—une famille de justes comme celle de
Noé;—une famille de quatre justes dont un gredin.
La composition de l’arche sera cette fois soumise à des
modifications;—il est parfaitement inutile d’y mettre un
cheval,—espèce prochainement inutile et tombée en désuétude,—et dont
le nom seul restera comme mesure de puissance pour exprimer la force des
machines—en attendant que de nouveaux perfectionnements apportés à la
vapeur et aux machines fassent éprouver le même sort à l’homme,—ce qui
est déjà fort bien commencé en Angleterre et promet de s’établir en
France.
En effet, qu’est-ce qu’un ouvrier aujourd’hui? une machine qui
n’est pas même de la force d’un cheval, et qu’il faut alimenter avec du
pain, avec du vin, avec de la viande,—tandis qu’on a de si bonnes
machines qui ont la force de trois cents—de quatre cents, de mille
chevaux, et qui ne mangent que de la tourbe!—L’homme avant peu
deviendra un simple encombrement,—un préjugé.
Dieu, instruit par son premier déluge,—se gardera bien cette fois
d’ordonner à la famille préservée de faire entrer dans l’arche un couple
de tout ce qui existe.
Ce que, du reste, Noé ne fit pas autrefois, malgré l’ordre qu’il en avait reçu.
Ainsi que l’ont prouvé les savants qui ont retrouvé dans la terre des ossements d’animaux antédiluviens—qu’on n’a jamais vus vivants depuis le déluge,—ce qui prouve que Noé ne les avait pas fait entrer dans l’arche,—et il n’a pas l’excuse de les avoir oubliés par mégarde ou de ne pas les avoir vus,—attendu que quelques-uns de ces fossiles sont un peu plus grands que des éléphants.
Nous espérons pour les peuples de l’avenir que, dans ce nouveau déluge, plusieurs espèces aujourd’hui existantes seront perdues et supprimées;
Et qu’un jour viendra où on ne verra plus ces espèces que dans les musées et les cabinets d’histoire naturelle, à mesure qu’on les découvrira dans les couches de terre glaise;
Comme j’ai vu l’été dernier l’excellent et savant M. Lesueur—chercher,—trouver et reconstruire,—dans nos falaises de Normandie,—os à os, vertèbre à vertèbre,—une sorte de crocodile bizarre, appelée, je crois, ichtyosaurus.
Les peuples qui seront créés après ce déluge—reconstruiront
ainsi,—morceaux par morceaux,—une foule d’espèces aujourd’hui vivantes
et régnantes et alors fossiles et antédiluviennes,—qui, j’espère bien
pour eux, ne seront pas admises dans la nouvelle arche d’alliance.
Alors on ira voir le dimanche, dans quelque muséum, un avocat
antédiluvien—parfaitement conservé, donné au cabinet par M. ***; un
colonel de la garde nationale fossile:—ce morceau curieux n’est pas
complet,—il lui manque la partie de la tête connue sous le nom de
bonnet à poil, etc., et autres icthyosaurus.
Mais peut-être serons-nous sauvés d’un nouveau déluge, faute de
pouvoir trouver la famille des justes en question:—quatre justes dont
un gredin.
En attendant, Dieu nous a supprimé le mois de mai.
Le mois de mai autrefois mois de soleil,—de fleurs, de parfums, d’amour et de rêveries, maintenant mois de pluie et de boue—et de froid—et de giboulées.
Les fleurs—se sont ouvertes sans s’épanouir, pâles, tristes,—affaissées, sans éclat et sans parfum,—les abeilles ont été noyées dans le nectaire vide des fleurs,—et aussi toutes ces charmantes fleurs qui, en même temps que celles de la terre, s’épanouissent dans le cœur au retour du printemps—elles n’ont pas fleuri faute de soleil.
Dieu nous a supprimé le mois de mai—le mois de mai! Le
printemps—un de ses plus précieux dons—les fleurs! à la fois les
pierreries et les parfums du pauvre.
Les fleurs—la fête de la vue,—comme disaient les Grecs.
Les fleurs, qui exhalent avec leurs odeurs tant de si douces
pensées, de si charmantes rêveries—les fleurs pleines d’un nectar qu’on
respire et qui enivre d’une ivresse calme et heureuse;—Dieu nous a
caché le ciel bleu—et les étoiles.
Dieu a mis un voile de nuages sur son soleil, et un voile de
tristesse sur nos cœurs.
Comme j’ai fait une triste litanie de toutes les fleurs qui
devaient fleurir dans le mois de mai—et qui se sont misérablement
entr’ouvertes—sur la terre boueuse.
Nous étions trop riches, à ce que disaient les journaux et les hommes politiques.
Notre siècle, si fécond en progrès—selon eux, avait trop acquis et
trop gagné;—il avait toujours, selon eux, trop d’avantages sur les
siècles précédents.
Il avait trop de lumières et trop de grands hommes; il fallait expier tout cela.
Il fallait, comme le tyran de Syracuse, jeter à la mer notre plus
belle bague;—le malheur est un usurier et un créancier intraitable.—Ce
que nous ne lui payons pas porte intérêt, et c’est un capital qui
s’accroît.
O mon Dieu! parmi les bienfaits dont vous nous avez comblés dans
ces derniers temps,—n’auriez-vous pu nous reprendre autre chose que le
mois de mai?—Sans compter que voici le mois de juin, le mois des
roses,—qui commence par des pluies diluviennes.
O mon Dieu! rendez-nous le mois de mai—et reprenez-nous en place
tout autre bienfait de la Providence—comme qui dirait, par exemple,—la
pondération des trois pouvoirs.
Mon Dieu, rendez-nous le soleil—et reprenez-nous M. Ganneron.
Rendez-nous les fleurs et reprenez les philanthropes qui ont
inventé le régime cellulaire et le mutisme dans les prisons.
Rendez-nous les parfums des fleurs, et reprenez-nous le jury avec
ses circonstances atténuantes.
Mon Dieu, rendez-nous le muguet avec ses perles embaumées, et
reprenez-nous M. Chambolle.
Rendez-nous les pivoines, ces roses géantes,—dont la pluie a,
cette année, dispersé les pétales de pourpre,—et reprenez-nous les
pièces de théâtre de M. Empis, représentées par autorité de la liste
civile.
Rendez-nous les iris dont le vent a brisé les tiges et déchiré les
fleurs violettes, et reprenez-nous—M. Edmond Blanc,—cet intègre
administrateur.
Rendez-nous notre mois de mai,—mon Dieu! Rendez-nous notre beau mois de mai,—et reprenez-nous quelques autres choses entre les plus précieuses que nous ayons.—Rendez-nous les glaïeuls aux fleurs roses et blanches, au port si gracieux, et reprenez-nous, si vous voulez, le dieu Cheneau avec son culte et ses boutons, avec son fil, ses aiguilles et son Évangile.
Rendez-nous ces belles juliennes aux rameaux blancs si parfumés le
soir,—et reprenez-nous M. Cousin.
Rendez-nous nos beaux rhododendrons, et nos chèvrefeuilles;—et,
s’il faut une rançon,—reprenez-nous, mon Dieu! M. Dosne, le grand
financier dont la France est si fière.
Rendez-nous nos azalées—qui grimpent et tapissent les maisons dans
les romans de M. de Balzac,—mais qui, ici, se contentent de se charger
humblement, à trois pieds du sol,—de belles fleurs jaunes, rouges,
roses ou blanches,—et, reprenez-nous, mon Dieu! M. Dupin et ses
pasquinades sans courage.
Rendez-nous, mon Dieu! les amours des oiseaux dans les feuilles—et
reprenez-nous le prêtre haineux,—si fort sur la mythologie des Persans,
si faible sur les devoirs et les croyances du christianisme.
Mon Dieu! rendez-nous nos seringats,—qui sont les orangers des
pauvres jardins, et reprenez-nous les bedeaux frénétiques et les
sacristains convulsionnaires qui rédigent le journal religieux
l’Univers.
Mon Dieu! rendez-nous les digitales, les marguerites blanches et
les boutons d’or,—et reprenez toutes ces belles choses,—les
baïonnettes intelligentes, les fonctionnaires indépendants, les
monarchies entourées d’institutions républicaines, etc., etc.
Rendez-nous les beaux thyrses blancs des marronniers et les haies
d’aubépine,—et resserrez dans votre trésor M. Fulchiron, qui a
découvert le mousson—que, jusqu’à lui, on avait appelé la mousson.
Rendez-nous les grappes d’or des ébéniers—et reprenez-nous M.
Partarrieu-Lafosse,—le malencontreux défenseur du roi Louis-Philippe
dans l’affaire dite des lettres attribuées au roi.
Rendez-nous, mon Dieu!—les vers luisants dans l’herbe,—et
reprenez-nous M. Aimé Martin, qui ne luit nulle part, et a fait sur la
Rochefoucauld le beau commentaire dont les Guêpes ont fait une
appréciation convenable.
Je guettais avec tant d’anxiété et de joie—la première rose d’un
charmant rosier-noisette, qui me donne chaque année la première
fleur!—Eh bien, la pluie a détruit le bouton encore fermé. Que ne
donnerais-je pas des splendeurs de ce temps-ci—pour racheter ma pauvre
petite rose!
Rendez-nous, mon Dieu! les premières roses, les roses de mai,—et reprenez-nous les différents accapareurs de consonnes—que les journaux appellent de grands, célèbres, d’illustres pianistes,—et qui consentent à se faire entendre si souvent chaque hiver.
Pour ma petite rose, mon Dieu!—je donnerais M. Delessert, cet
ingénieux préfet de police que vous savez;—je donnerais cette belle
galerie de bois que l’on a accrochée au flanc du Louvre!—je donnerais
les comédies de M. Bonjour—et l’institution de la garde nationale, et
les fortifications de Paris.—Je ne sais ce que je donnerais pour ma
petite rose.—Reprenez tout cela, mon Dieu!—et rendez-nous les roses
de mai.
Pourvu que vous ne nous supprimiez pas les roses de juin!
Mon Dieu! rendez-nous le printemps,—rendez-nous le ciel bleu,—le
soleil,—les nuits parfumées et les étoiles.—Rendez-nous ces éternelles
magnificences,—et reprenez-nous les deux tiers au moins de nos grands
citoyens,—de nos illustres, de nos célèbres, etc., etc., etc.
Les journaux font à l’envi depuis deux ans l’éloge le plus pompeux
des bonbons de Malte contre le mal de mer,—le mal de mer n’existe
plus.—M. Granier de Cassagnac—qui en a fait une peinture si
énergique,—qui en a tant souffert, et qui n’a eu que le tort d’affirmer
que les anciens n’en avaient jamais parlé,—à quoi les Guêpes en ce
temps-là—lui ont cité des passages de divers anciens qui s’en
plaignaient amèrement,—M. Cassagnac lui-même ne peut voyager impunément
sur mer.
Ton baume est merveilleux;—mais combien le vends-tu?
Je ne le vends pas, je le donne, car c’est le donner que de ne vendre que trois francs des bonbons aussi miraculeux;—trois francs, messieurs—rien que trois francs! tous les journaux de tous les partis, de toutes les couleurs, sont unanimes sur ce point:—le mal de mer, que M. Granier de Cassagnac croit une découverte moderne comme l’imprimerie,—le mal de mer n’existe plus:—tous les journaux le disent en chœur tous les matins—comme des paysans ou des guerriers d’opéra-comique.—Plus de mal de mer! il faudrait n’avoir pas trois francs dans la poche pour avoir le mal de mer aujourd’hui:—ouvrez un journal au hasard,—ouvrez-les tous, vous les verrez tous dire—de leur plus grosse voix—c’est-à-dire en lettres d’un demi-pouce:—«PLUS DE MAL DE MER.»—Il n’y a plus que les pauvres diables, les gens de peu,—qui vomissent.
Vous avez le mal de mer:—donc vous n’avez pas trois francs;—donc
vous êtes un va-nu-pieds.
Les hommes au-dessous de trois francs sont les seuls aujourd’hui qui aient le mal de mer. On ne vomit plus qu’aux secondes places—sur l’avant du bateau.
Opinion de madame Ancelot sur une pièce de madame Ancelot.
«... Hermance ou un an trop tard,—drame ou comédie, car cet intéressant ouvrage participe de l’un et de l’autre genre.—Madame Ancelot s’y livre, avec la finesse d’observation et avec la grâce du style qui la distinguent, à la peinture vraie et animée de la société,—c’est une admirable investigation de tous les mystères de l’âme;—c’est, en un mot, un ouvrage de longue et haute portée, etc.
Voilà bien des fois qu’on élève des plaintes sérieuses et légitimes
sur certaines façons des subordonnés de M. Greterin, directeur des
douanes, à l’endroit des voyageurs et surtout des voyageuses.
On prétend que les femmes sont soumises, sur quelques points de la frontière, à des visites minutieuses sur leurs personnes—et... (je cherche des mots pour dire décemment ce que font les employés de M. Greterin) à ces plaintes, il a répondu froidement que ces visites sont faites par des femmes.
Il me paraît que M. Greterin ne considère la pudeur des femmes que comme une coquetterie—qui n’existe qu’à l’égard des hommes—et qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que des femmes portent les mains les plus hardies sur d’autres femmes.—M. Greterin se trompe: ces façons d’agir sont odieuses—et dignes d’un peuple sauvage.
J’avais tort, dernièrement, et j’avais tort avec M. Arago, lorsque
pour la centième fois je parlais avec irrévérence de cette éducation
exclusivement littéraire donnée à tout un peuple, et de ces deux
langues, les deux seules qui ne se parlent pas.—Les plus forts
hellénistes ne comprennent pas un mot du grec moderne;—et le latin
d’église,—et le latin des savants, ne sont que deux variétés de cette
langue connue sous le nom de latin de cuisine.—J’avais tort quand je
demandais à quoi servait cette éducation.
On écrit de Presbourg, à la date du 20 mai: «L’empereur a ouvert aujourd’hui la diète de Hongrie par un discours en latin.
»L’assemblée était très-nombreuse et très-brillante.—presque tous les ambassadeurs résidant à Vienne avaient suivi l’empereur à Presbourg pour assister à cette solennité.»
Cette étude du latin pendant huit ans, contre laquelle je me suis imprudemment élevé,—sous prétexte qu’aucun professeur,—pas même M. le ministre de l’instruction publique,—n’oserait affirmer qu’il y a huit hommes sur cent qui sachent le latin après l’avoir appris huit ans,—sous prétexte encore que pour les quatre-vingt-douze autres il ne servirait absolument à rien s’ils l’apprenaient;—cette étude de latin, je dois le reconnaître aujourd’hui, est utile pour une profession de quelque importance:—elle est indispensable pour être empereur d’Autriche.—Si la couronne d’Autriche venait à manquer d’héritiers,—on la donnerait pour prix d’une composition en thème, et elle reviendrait de droit—optimo—au plus fort en thème.
J’ai d’abord failli ajouter que le latin était également utile pour
la profession d’ambassadeur.—Mais, après quelques instants de
réflexion, j’ai pensé qu’il faudrait connaître le discours de S. M.
l’empereur pour décider si les ambassadeurs résidant à Vienne se sont
plus ennuyés en ne comprenant pas ce que disait le prince—qu’ils ne se
seraient ennuyés en comprenant son discours.
Néanmoins, les ambassadeurs devaient faire une bonne figure,—à peu près celle que font aux distributions des prix aux concours de la Sorbonne—les parents des lauréats, qui écoutent attentivement le discours latin d’usage, dont ils ne comprennent pas un mot,—sourient ou balancent la tête aux beaux endroits et applaudissent à la fin.
Comme l’autre jour j’entendais parler avec indignation de la liste
civile—et du peuple écrasé par elle,—je ne fus pas fâché de savoir à
quoi m’en tenir quant à moi,—et bien établir ce que me coûte le roi—et
si je suis écrasé.
Parce que, dans le cas où je serais écrasé,—je joindrais naturellement ma voix aux cris qui se font entendre à ce sujet.
Or, voici mon compte exact avec le roi:—je paye mon trente-deux millionième des douze millions de sa liste civile, c’est-à-dire à peu près neuf sous par an.
D’autre part, comme abonné aux Guêpes, le roi me donne douze francs, sur lesquels,—après que j’ai payé—le papier, l’impression, le timbre, la poste, etc., etc., quand les libraires ont prélevé leur remise, etc., etc.,—il me revient pour ma part la somme de trois francs.
Le roi me coûte neuf sous par an et me donne trois francs,—c’est cinquante et un sous de bénéfice net pour moi.
Je ne puis, en conscience, joindre ma voix aux cris qui se font entendre à propos de la liste civile.
S’il est quelque chose dont on ait abusé de ce temps-ci, c’est sans contredit le peuple.
A entendre les gens,—tant ceux du pouvoir que ceux de l’opposition,—tant ceux qui ne veulent pas lâcher les places et l’argent que ceux qui voudraient s’en emparer,—rien ne se fait que pour le peuple.
Ces pauvres gens ne veulent rien pour eux,—ils n’ont besoin de rien, ils n’accepteraient rien;—s’ils font tant de bruit, tant d’intrigues, tant de lâchetés, tant d’infamies, tant de trahisons, tant de mensonges,—ne croyez pas qu’ils en espèrent tirer le moindre bénéfice;—vous ne les connaissez pas:—c’est pour le peuple.
Certes, on en doit croire sur parole tant d’honorables personnages,—et je ne m’aviserais pas d’aller éplucher leurs actions pour voir si elles sont en tout conformes à leurs paroles. Mais un hasard m’a cependant forcé de faire une observation.
Je lisais, en même temps que cinq ou six autres badauds,—l’affiche qui indique les prix du chemin de fer de Paris à Rouen, et je ne pus m’empêcher de remarquer—que—le prix des dernières places, fixé à dix francs, est déjà trop élevé, attendu qu’il est à peu près égal à celui que prenaient les messageries,—et supérieur à celui que prennent aujourd’hui certaines administrations;—de plus, les waggons affectés à ces dernières places ne partent qu’à certains voyages et pas à d’autres, et cela, je crois, dans la proportion de deux voyages sur six ou sept.
Un assassin nommé Caffin vient d’être condamné par la cour
d’assises de la Seine;—mais, le jury ayant reconnu en sa faveur des
circonstances atténuantes, il n’a été condamné qu’aux travaux forcés.
Il serait à désirer que MM. les jurés trouvassent moyen d’appliquer également les circonstances atténuantes aux victimes aussi bien qu’aux assassins.
La peine de mort est supprimée à peu près généralement pour MM. les assassins, par l’omnipotence du jury.
J’ai déjà expliqué qu’il en devait être ainsi dans un temps où la justice criminelle est rendue en très-grande partie par des marchands.—Le vol est devenu le crime le plus grave de tous et est relativement puni aujourd’hui bien plus sévèrement en France que l’assassinat.
C’est cependant le seul cas pour lequel il ne soit pas possible de
demander l’abolition de la peine de mort.
En effet,—la loi, en fait de vol, ne se contente pas à beaucoup près de la peine du talion,—par exemple, de prendre sur les biens du voleur une somme égale à la somme dérobée par lui:—elle le frappe d’emprisonnement et de travaux forcés.
Mais, quand il s’agit d’assassinat,—il se trouve que le criminel, pris, convaincu, condamné,—trois chances que beaucoup évitent et qui sont les plus mauvaises qu’ils aient à redouter,—le criminel,—grâce aux circonstances atténuantes,—si fréquemment, disons plus, si généralement appliquées aujourd’hui, subit une peine beaucoup moindre que celle qu’il a infligée à sa victime innocente.
Beaucoup de gens, il est vrai, disent qu’ils aimeraient mieux la mort que le bagne, etc., etc.
C’est une phrase toute faite,—et on sait l’avantage des phrases faites;—la plupart des gens ne se font pas une opinion à eux, mais choisissent entre deux ou trois opinions des autres.
Quoique beaucoup de ceux qui répètent cette phrase n’hésitassent
pas à changer d’avis s’il leur fallait sérieusement choisir entre le
bagne et l’échafaud,—je veux bien admettre que, pour eux, la mort
paraisse et soit préférable aux travaux forcés; mais je veux une fois
leur montrer la chose de son véritable point de vue,—qui n’est pas le
leur,—à beaucoup près.
Certes, pour vous, monsieur, issu d’une famille honorable, jouissant de la considération générale,—accoutumé aux manières d’une certaine société,—habitué à certaines aisances, à certaines délicatesses, plaçant non-seulement votre honneur, mais aussi votre crédit, c’est-à-dire le principal instrument de votre fortune,—dans votre réputation et dans l’estime que font de vous les honnêtes gens,—certes, ce serait cruel—d’être, par jugement public, condamné aux travaux forcés et affublé de la chemise rouge et du bonnet vert.
Mais telle n’est pas la chute que fait le condamné ordinaire.—Avant sa condamnation,—en général,—il avait déjà eu quelques démêlés avec la justice et fait au moins une légère connaissance avec les prisons.—Sa société se composait de voleurs et de bandits comme lui, qui n’accordent leur considération qu’aux voleurs et aux bandits plus habiles ou plus hardis qu’eux.
Pour ses habitudes d’existence, il couchait dans quelque horrible rue de la Cité, à deux sous la nuit, sur quelque grabat dont il n’avait que la moitié;—l’objet de ses amours était quelque courtisane du plus bas étage,—qui lui donnait sa part du revenu de sa prostitution—en échange d’une part dans ses vols; il était poursuivi, traqué par la police.
Il ne faut donc pas lui attribuer l’horreur morale que l’idée du bagne vous inspire.—Il ne faut voir que le changement arrivé dans sa condition physique.—Eh bien, au bagne, il est logé, habillé, nourri;—au bagne, il retrouve précisément la société qu’il choisissait lorsqu’il était libre;—au bagne, lui, qui n’a ni honte ni repentir, il a, assurés, les avantages que conquièrent péniblement le tiers au moins des ouvriers honnêtes,—et il travaille beaucoup moins qu’eux.
Ceux qui sont à la tâche ont fini leur journée entre midi et une
heure;—il n’y a pas un ouvrier, quelle que soit sa profession, qui
puisse vivre en ne travaillant pas davantage;—passé cette heure, le
forçat dort, se repose—ou travaille à tous ces petits ouvrages dont
l’argent sert à lui acheter du tabac, du vin, de l’eau-de-vie—et à lui
former une masse qu’on lui remettra à l’expiration de sa peine.
Ceux qui ne sont pas à la tâche passent les deux tiers de la
journée à regarder l’eau,—à causer entre eux,—à exécuter lentement et
mollement des travaux insignifiants.—Au commencement du mois de
mai,—comme je me trouvais à Brest, j’allai voir dans le port lancer une
frégate;—il y avait là une grande affluence de monde:—au premier rang,
parmi les spectateurs les mieux placés, étaient les forçats—assis sur
des bateaux ou sur le quai—et échangeant entre eux et avec les
gardes-chiourmes des plaisanteries qui n’étaient pas toujours du
meilleur goût.
Personne ne travaillait;—je crus un moment qu’à cause de la fête on avait donné aux condamnés une sorte de relâche et de congé;—je le demandai à un garde-chiourme,—qui me répondit froidement que non,—sans me donner de raison de l’inaction de ces hommes, à laquelle sans doute il est accoutumé.
Du reste,—je ne connais rien de triste et de mort à l’égal du port de Brest;—tout y dort, tout y languit,—les travaux qui s’y exécutent sont conduits avec mollesse et lenteur;—un ouvrier passe la journée—et la moindre journée d’ouvrier est de trente-deux sous—à raboter un manche de gaffe,—qui coûte ainsi trente-deux sous de façon—et n’a, le bois compris, que six sous de valeur réelle.
Le duc d’Aumale vient d’être très-brave et très-heureux en
Afrique;—il a envoyé à M. Bugeaud une relation de l’affaire dans
laquelle il a remporté, dit-on, des avantages très-importants.—Cette
relation publiée n’a pu éviter la critique.—On lui a reproché un peu
d’emphase.—Certes, l’emphase était permise à un jeune homme qui ne dit
pas un mot de lui et ne parle que de ses compagnons d’armes.—Mais un
pareil reproche sied bien aux journaux—de trouver qu’on parle avec
emphase d’un combat livré avec une audace qui, sans le succès, aurait
été de la témérité,—d’une victoire disputée avec acharnement,
Quand eux ne publient pas un numéro sans pousser au delà des
limites du ridicule la plus monstrueuse hyperbole—pour leurs amis et
leurs alliés pendant trois pages,—pour ceux qui les payent, tout le
long et tout le large de la quatrième.
Qu’un député,—aussi innocent que vous voudrez le supposer, ait prononcé un oh! oh! ou un ah! ah!—favorable à la cause que plaide un journal,—ou ait toussé pendant qu’un député d’un parti contraire était à la tribune, les noms de grand citoyen, de courageux défenseur des libertés publiques, ne sont bientôt plus assez bons pour lui.
Que n’importe quel écrivain spécialement chargé de découper les
faits Paris dans les autres journaux,—et d’y ajouter, selon la
couleur du journal, ou: «On peut voir ici la mauvaise foi de
l’opposition,—ou: «Que répondront à de pareils faits les soutiens
honteux du ministère?»—que ce publiciste s’avise de publier un recueil
de vers saugrenus,—il passe à l’état de grand poëte et de gloire de la
littérature contemporaine.
Qu’un mauvais musicien,—portant les cheveux d’une façon destinée à
renverser le gouvernement, tape pendant deux heures sur un mauvais
piano,—dans quelque bouge, devant trente personnes assourdies, «l’élite
de la société parisienne assistait à cette solennité;—la belle salle de
M. M *** ne pouvait contenir la foule accourue pour admirer notre
grand pianiste n’importe qui, etc.»—Et à la quatrième page: «S’il est
une renommée légitime et bien acquise, c’est celle d’un tel, giletier.»
«La science n’avait jamais fait une découverte aussi précieuse que
celle de la pommade de n’importe quoi, qui empêche les cheveux de
tomber.»
Il n’est pas de meuble bizarre, de bonbon honteux, de pâte
suspecte,—qui ne rencontre là des éloges poussés jusqu’à la
frénésie,—sans oublier les formules qui ne permettent pas de croire que
c’est le marchand qui parle lui-même:
«Nous ne saurions trop recommander à nos abonnés;—Nous nous faisons un devoir d’indiquer...»
Et ces vertueux carrés de papier parlent d’emphase!
DE LA LIBERTÉ DES CULTES EN FRANCE.—Exemple: Il a été défendu
aux habitants de Senneville de se réunir pour célébrer leur religion,
qui est le culte protestant,—ils ont objecté que la charte établissait
la liberté des cultes,—on leur a répondu par l’article 291 du Code
pénal et la loi de 1834 sur les associations.
C’est-à-dire—que les cultes sont libres—pourvu qu’ils n’entraînent pas une réunion de plus de vingt personnes,—ce qui ne peut guère s’appliquer qu’aux petites religions dans le genre de celle du dieu Cheneau, qui n’a encore pour disciples que ses deux commis et sa femme de ménage, et qui refuse jusqu’ici, même dans les brochures dont il m’a accablé, de me dire si son associé—P. Jouin—est ou non son codieu.
J’avais cru jusqu’ici que la police n’avait pour but que de prêter
force et appui à l’exécution des lois,—et que les ordonnances qui lui
sont spécialement relatives ne devaient en conséquence jamais la faire
agir à l’encontre desdites lois.
Une ordonnance de police défend les associations et les rassemblements de plus de vingt personnes sans une autorisation spéciale;—mais la loi qui a établi le libre exercice des cultes doit être respectée par la police.
La cour de cassation, qui, dans une circonstance parfaitement identique, avait jugé que les associations pour l’exercice d’un culte autorisé par l’État—n’étaient pas sous le coup de l’article 291,—déclare aujourd’hui précisément le contraire.
Dans ce même numéro où je viens d’écrire quelques mots en faveur de
la liberté des cultes, je crois devoir dire également que les cultes
autrefois persécutés,—puis tolérés,—puis autorisés,—ne doivent pas se
faire persécuteurs et intolérants.
Le culte juif, par exemple, me paraît aller trop vite dans la réaction. Est-il de bon goût que M. Fould donne par dérision à ses chevaux des noms qui sont une moquerie—et une insulte pour les chrétiens et pour le culte catholique?
M. Fould a dans ses écuries: Contrition, Repentir, Péché-mortel.
Juillet 1843.
La rançon acceptée.—Une nouvelle fleur.—Suppression de l’homme. Les défenseurs de la veuve et de l’orphelin.—Jugement de Salomon.—Une conspiration.—Le Napoléon—Les anciens et les modernes.—MM. Ponsard, Hugo, Dumas, etc.—Lucrèce.—M. Odilon Barrot.—Les oiseaux sinistres.—M. Villemain.—Honneurs clandestins.—Trouville.—Une annonce.—Les circonstances atténuantes.—Le dieu Cheneau.—Une invitation.
JUILLET.—Tout va un peu mieux que je ne l’avais espéré:—le soleil
est venu rendre à tout la vie, la joie et la lumière,—mon jardin est
plein de parfums et de fleurs. Il paraît que le ciel a accepté la rançon
de l’été que je lui avais offerte au nom de la France, et que les beaux
jours nous sont rendus.
Et, pour tout dire, nous n’avons rien perdu pour attendre—non-seulement nous avons vu fleurir toutes les fleurs aimées,—mais une nouvelle fleur s’est épanouie au bas du journal le National.—M. Rolle s’est livré à une comparaison entre la pâquerette et le camellia: «Tantôt, dit-il, le camellia l’emporte par son parfum enivrant, tantôt la pâquerette par son odeur innocente et champêtre.»
Le camellia à odeur enivrante de M. Rolle, espèce jusqu’ici
inconnue, manque à la collection des fleurs fantastiques de M. de
Balzac,—le camellia à odeur enivrante est le digne pendant de
l’azalée grimpante de l’auteur de la Petite Revue parisienne.
Est-ce que par hasard les temps prédits par les poëtes seraient
arrivés?
Virgile, dans l’églogue adressée à Pollion—sur la naissance de son fils: «Des chênes, dit-il, il coulera du miel,—on verra dans les prairies des moutons rouges et des moutons jaunes.
. . . . . . . . . .
Nec varios discet mentiri lana colores
Ipse sed in pratis aries jam suave rubenti,
Murice, jam croceo mutabit vellera luto...
Nous avons déjà—le camellia à odeur enivrante de M. Rolle et l’azalée grimpante de M. de Balzac,—nous en verrons bien d’autres.
Quand je disais dernièrement que, les chevaux abolis,—on allait
bientôt s’occuper de supprimer l’homme et de le remplacer par des
machines, je ne sais si j’étais prophète ou si j’ai ouvert une idée à
quelqu’un.
Toujours est-il que je vois depuis quelques jours dans tous les journaux une annonce ainsi conçue:
LE COMPTEUR MÉCANIQUE,—adopté par tous les ministères,—au moyen duquel on peut faire tous les calculs possibles sans le secours de la plume ni de l’intelligence.
Voici les employés des ministères remplacés déjà par une mécanique simple et peu coûteuse.
Je ne désespère pas de voir, d’ici à peu de temps, tout le gouvernement représentatif—fonctionner au moyen d’une seule et unique machine,—surtout si l’on accepte définitivement le principe de M. Thiers, si bien adopté par une partie de la Chambre et par une partie des journaux: «Le roi règne et ne gouverne pas.»—Ce ne sera certes pas le roi qui embarrassera beaucoup le mécanicien.
Je ne sais vraiment pas comment on est assez hardi en France pour
ne pas être de l’opposition.
L’opposition accepte tous ceux qui se donnent à elle, les prône, les loue, les pousse autant qu’elle peut.—Il s’agit pour elle de combattre et de conquérir:—elle veut des soldats; ceux qui n’ont pas une grande valeur, elle tâche de leur en donner une.
Les conservateurs, au contraire, possèdent;—ceux qui se donnent ou se sont donnés à eux leur semblent des associés qui veulent partager les dividendes.
De sorte que ceux qui s’allient aux conservateurs—reçoivent à la fois les injures de l’opposition et les mauvais procédés de leurs amis.
Les Guêpes se félicitent de se trouver si parfaitement d’accord
avec M. de Kératry,—dans le fond et dans la forme de la pensée.
Les Guêpes ont dit, il y a deux ou trois ans,—à propos de la prétention qu’ont les avocats d’être les défenseurs de la veuve et de l’orphelin:
«Il n’y aurait pas besoin d’avocats pour défendre la veuve et l’orphelin, s’il n’y avait pas d’abord d’avocats qui les attaquent.»
M. de Kératry a dit ces jours passés dans la Presse:
«Je suis tenté de sourire de pitié quand ces messieurs s’arrogent fastueusement le titre de défenseurs de la veuve et de l’orphelin, qui pourraient se dispenser de recourir à cette tutelle parfois assez onéreuse, si d’autres avocats, pour un même salaire, n’avaient auparavant fait irruption dans le champ de cette même veuve et de ce même orphelin.»
Voici encore un fait analogue à un que j’ai cité il y a quelques
mois:—J. Boulard, rencontré par trois hommes ivres, est attaqué et
rudement battu,—par suite de quoi il passe cinq jours au lit et dépose
une plainte contre ses agresseurs;—ceux-ci, amenés devant le tribunal,
ne nient pas le fait et cherchent à s’excuser en rejetant leurs torts
sur le vin.—Le tribunal, usant d’indulgence,—écarte la prison et les
condamne chacun à cent francs d’amende.
—Au profit de J. Boulard, sans doute?
—Non,—au profit du trésor,—au profit du gouvernement,—faible consolation encore pour un gouvernement vraiment paternel qui a eu la douleur de voir battre ainsi brutalement un de ses enfants dans la personne de Jean Boulard.
Il était question depuis quelque temps d’une grande fête
chevaleresque et d’un magnifique tournoi qui devaient avoir lieu dans le
Champ de Mars.—M. le préfet de police a refusé son autorisation;—nous
nous permettrons de trouver que cette mesure de M. Delessert n’est pas
adroite.—Les gouvernements ne peuvent que gagner à ce que le peuple
s’amuse,—surtout,—comme dit l’héroïne de je ne sais quelle chanson
bouffone,—surtout quand il n’en coûte rien.
A moins que M. le préfet,—jaloux de ses droits, ne veuille contribuer seul et exclusivement aux plaisirs et à l’amusement des Parisiens.
On raconte cependant que M. Delessert avait été, dans cette circonstance, victime d’une mystification.
On aurait fait croire ce qui suit à M. le préfet de police:
Ce tournoi, où des chevaliers armés de toutes pièces devaient
jouter devant les dames,—selon les us et coutumes de l’ancien
temps,—cachait des desseins plus sérieux.—Un chevalier mystérieux
devait être au nombre des tenants,—vêtu d’une cotte de mailles et la
visière sévèrement baissée, absolument comme Richard Cœur-de-Lion
dans l’Ivanhoé de Walter Scott.—Sur son bouclier aurait été écrite la
devise—Déshérité.
Après que le jeune prince aurait eu vaincu tous les champions qui se seraient exposés à ses coups redoutables, tous, par un coup de théâtre, se rangeant sous ses ordres, il aurait levé la visière de son casque, et laissé voir aux spectateurs assemblés le duc de Bordeaux.
Alors, à la tête de ses fidèles chevaliers, il se serait porté sur le château des Tuileries,—en essayant de soulever le peuple.
C’est ce que, assure-t-on, on a fait croire à M. Delessert.
La mer commençait à remonter;—le soleil couchant colorait de
teintes rouges et violettes le sable humide de la plage;—la mer unie et
calme,—blanchie seulement sur ses bords par la marée
montante,—semblait un grand manteau couleur d’aigue-marine avec une
frange d’argent,—mais que signifient de pareilles comparaisons?—A quoi
comparer la mer qui ne soit plus petit et moins beau qu’elle?—Elle
était d’un bleu pâle et verdâtre,—du soleil à mes yeux, s’étendait sur
l’eau un large sillon d’un jaune lumineux.
Le ciel,—au couchant,—entre des bandes de nuages, était du vert de certaines turquoises,—les falaises se découpaient en noir sur la mer et sur l’horizon.
Tout à coup,—au détour de la hève,—parut un bâtiment d’une forme noble et majestueuse:—c’était le Napoléon, qui revenait au Havre.
Le Napoléon,—c’est-à-dire le bateau à vapeur à hélice,—le bateau à vapeur sans ces roues incommodes qui ont rendu jusqu’ici les bâtiments à vapeur impropres à la guerre;—le bateau à vapeur—qui marche à la voile, quand le vent lui est favorable, aussi vite qu’un autre navire, et qui continue sa marche avec son charbon et ses hélices sans se ralentir quand le vent devient contraire,—en un mot, la réalisation d’un problème longtemps nié et traité d’absurdité et de folie.
On lisait le lendemain dans plusieurs journaux:
«Le bateau à vapeur, nouveau modèle, le Napoléon, construit au Havre, pour le compte de l’État, par M. Normand, est arrivé du Havre à Cherbourg mercredi 21, dans l’après-midi, pour éprouver sa marche et ses machines; il a fait ce trajet en sept heures. On sait que c’est le premier bâtiment français auquel est appliqué le nouveau système de propulsion consistant en une vis ou hélice mue par la vapeur, et qui, placée à l’arrière et immergée, tourne dans l’eau avec une vitesse considérable, de manière à faire filer au navire dix à onze nœuds en temps favorable. La force de cette hélice équivaut à un appareil ordinaire de cent vingt chevaux.
»Il y avait à bord du Napoléon, pour constater le résultat des expériences, une commission présidée par M. Conte, directeur général des postes, et composée de MM. de la Gatinerie, chef du service de la marine au Havre; Moissard, ingénieur des constructions navales et agent général du service des paquebots de la Méditerranée; Allix, sous-ingénieur; Bellanger, capitaine de corvette; Normand, constructeur, et Conte fils, secrétaire.
»Le bâtiment a parcouru trois fois notre rade dans toute sa longueur. MM. l’amiral préfet maritime, le sous-préfet de l’arrondissement, les chefs de service du port, les ingénieurs des constructions navales, et plusieurs officiers de la marine militaire et administrative, ont assisté à ces essais. Le sillage a été de onze nœuds. Cette grande vitesse témoigne assurément en faveur du nouveau propulseur.
»Le steamer le Napoléon, après avoir touché à Cherbourg et y avoir pris quelques pièces d’artillerie, s’est rendu devant Portsmouth et Southampton, où il a salué les forts. Ses saluts lui ont été rendus, et, après avoir fait l’admiration des nombreux visiteurs qu’il a reçus à son bord, il devait retourner au Havre, où il est attendu ce soir.»
Il y avait un homme qui n’était pas sur le Napoléon,—un homme qui n’avait pas été admis à prendre sa part de cette promenade triomphale,—un homme que les journaux ne nomment pas.
Cet homme était tout simplement Sauvage, l’inventeur des hélices;—Sauvage, qui, depuis treize ans, travaille et lutte: [mot illisible] deux ans, d’abord, pour trouver et appliquer son hélice; ensuite, onze ans contre l’incrédulité, l’envie et la malveillance.
C’était Sauvage,—l’homme qui, depuis treize ans, a dépensé tout l’argent qu’il avait,—toute la santé qu’il avait,—pour arriver à son but.
D’abord, en construisant le Napoléon, on avait essayé, à grands frais, de perfectionner l’hélice de Sauvage,—perfectionner, c’est-à-dire dépouiller l’inventeur;—c’est-à-dire faire en sorte—que son brevet, qui n’a plus que quelques années à courir,—ne lui eût rapporté que la ruine et les avanies de toutes sortes,—tandis que le triomphe et l’argent seraient pour d’autres.
De perfectionnements en perfectionnements—on en est arrivé précisément au point de départ, c’est-à-dire à l’hélice de Sauvage,—à l’hélice du Napoléon.
J’eus en ce moment une des impressions les plus tristes que j’aie ressenties de ma vie.
Je savais que Sauvage—était enfermé dans la prison du Havre pour une misérable dette, contractée, sans doute, pour l’hélice, alors niée et aujourd’hui triomphante.
On regardait avec fierté rentrer le Napoléon,—et personne, excepté moi, peut-être, ne pensait à l’inventeur.
Le lendemain, les journaux disaient ce que je viens de copier plus haut.
J’allai voir Sauvage dans sa prison;—il s’était parfaitement installé,—seulement, comme il étouffe dans une chambre fermée,—il laissait ouverte, la nuit, la fenêtre de sa cellule;—mais les chiens de la prison—aboyaient avec fureur contre cette fenêtre ouverte et troublaient le repos de tous les prisonniers.—On lui enjoignit de fermer sa fenêtre: il essaya d’obéir, mais en vain, à chaque instant, se sentant suffoqué,—il se levait, ouvrait sa fenêtre, et les molosses recommençaient leur vacarme.
Il prit un couteau et un morceau de bois,—et fit une machine qui, lançant de très-loin aux chiens de l’eau et des boulettes de terre, les obligea à se réfugier dans leur niche et les réduisit au silence.—Il était heureux comme un roi de ce triomphe.
Depuis qu’il est en prison,—il joue du violon,—et il met de côté
les cordes qui se cassent—pour en faire toutes sortes de machines
ingénieuses.—Je trouvai sur sa fenêtre un bassin fait par lui avec une
feuille de zinc.—Dans ce bassin était un bateau construit avec un
couteau. Il avait trouvé tout simplement un moyen de diminuer et de
réduire à presque rien le poids d’un bâtiment à remorquer.
Sur des bouteilles—était un modèle d’hélices appliquées à l’air pour faire un moulin;—l’une était en papier noirci; l’autre était formée avec les plumes d’oiseaux qu’il avait attrapés sur le toit de la prison.
Et je le trouvai là ne se plaignant que d’une chose,—que le Napoléon—ne répondît pas encore à ses espérances et à ce qu’il veut de son hélice.
Quoi! M. Conte est venu au Havre et a monté le bateau à hélice, et il n’a pas demandé où était l’inventeur de l’hélice!
Quoi! il ne s’est trouvé personne parmi tous ces hommes riches qui étaient fiers d’aller montrer aux Anglais cette invention française, qui allât demander à Sauvage la permission de lui prêter la somme nécessaire pour sa mise en liberté!—Quoi! le ministre de la marine,—quoi! le roi de France,—le laissent en prison depuis deux mois!
Est-ce donc ainsi qu’on récompense, en France, le génie et le dévouement à une idée féconde?
C’est une tache pour un pays,—c’est une tache pour une époque,—c’est une tache pour un règne.
Lorsque Molière, Boileau, Racine, Corneille écrivaient,—on les
comparait à Térence, à Juvénal, à Euripide et à Sophocle;—puis on
établissait clair comme le jour—qu’on n’avait jamais eu de bon sens
qu’en grec,—que toutes les idées grandes et nobles avaient été
exprimées en latin;—que, depuis la mort des auteurs anciens, le genre
humain était complètement idiot,—qu’il était incapable, désormais, de
faire une phrase de son cru—et que la seule chose qu’il pût essayer
était, à l’avenir, de traduire, de copier, d’imiter—les anciens.
Non pas que cette décadence eût été annoncée par quelque prodige;—le soleil continuait à faire épanouir les fleurs,—à mûrir les fruits des arbres;—l’intelligence humaine était seule arrêtée dans sa séve—et ne produisait plus que des fleurs pâles et sans parfum, des fruits âpres ou sans saveur.
Sous certains rapports, cependant,—on avait moins de modestie;—en effet, on essayait bien parfois de rabaisser un peintre, en le comparant à Apelles;—d’écraser un sculpteur avec Praxitèle,—mais cette tentative ne réussissait que médiocrement.
On racontait bien des prodiges—de la flûte de roseaux de Marsyas, de l’écaille de tortue à trois cordes (testudo), qui servait de lyre à Orphée;
Des brins d’avoine (avena) et des tiges de ciguë (cicuta) sur lesquels les anciens faisaient de si belle musique.
Mais cela n’avait que peu de succès,—les violons d’alors ne s’en inquiétaient pas plus que les pianistes d’aujourd’hui; on se croyait en progrès pour la musique;
Et ainsi pour l’art militaire,—et ainsi pour l’industrie et ainsi pour les sciences.
Mais pour la poésie,—pour la littérature,—les modernes (Racine, Molière, Corneille) n’étaient que tout au plus dignes d’imiter les anciens,—ou d’expliquer leurs beautés.
Racine,—Molière,—Boileau,—Corneille, sont morts,—ils ont passé à l’état d’anciens,—c’est-à-dire d’hommes qui ne prennent pas de part de soleil, de gloire, ni d’argent;—ils servent aujourd’hui—précisément à ce que servaient contre eux les anciens.
L’admiration exclamée pour les morts—n’est qu’un déguisement ordinaire de la haine pour les vivants.
Un autre procédé qu’emploie quelquefois l’envie,—mais dont elle use sobrement à cause qu’il est dangereux,—consiste à prendre un inconnu et à l’élever contre ceux dont l’éclat l’offusque et l’irrite.
Le succès de M. Ponsard et de sa Lucrèce—a été fait beaucoup moins pour lui que contre MM. Hugo, Dumas, etc.
Le procédé, comme je le disais, était dangereux—parce que M. Ponsard a du talent.
Aussi l’envie a-t-elle d’avance attaché des cordes à son idole pour abattre plus tard la statue qu’elle était forcée d’élever.
On n’a pas fait le succès de M. Ponsard seulement avec son talent;—pas si imprudente! l’envie veut bien détruire quelqu’un, et pour cela rien ne lui coûte, même de donner des louanges à un autre;—mais son instrument d’aujourd’hui deviendra plus tard son ennemi, si, vu la gravité des circonstances,—elle s’est crue forcée de se servir d’un homme de quelque valeur, ce qu’elle évite dans les cas ordinaires.—Les plus grands apologistes de la nouvelle Lucrèce—ont donc attribué une partie du succès au choix du sujet, aux sentiments vertueux, à l’imitation religieuse de Corneille;—de sorte que plus tard,—si M. Ponsard s’avise de vouloir prendre tout de bon la place à laquelle on l’élève aujourd’hui, on saura bien l’abattre au moyen de ses réserves prudentes.
Je respecte tous les bonheurs;—je fais un détour dans la rue pour
ne pas déranger les enfants qui jouent aux billes;—dans la campagne,
pour ne pas effaroucher un oiseau qui a trouvé deux grains de chènevis.
C’est pourquoi j’ai hésité à dire ce que je pense de la pièce de M. Ponsard.—Les hommes de talent se découragent facilement et on doit les flatter.—Les ravissantes choses qu’ils ont conçues,—les rêves brillants de leur imagination—sont toujours une critique assez terrible de ce qu’ils ont écrit—pour qu’on puisse sans grand danger leur en épargner d’autre;—ils savent assez—et ils sentent avec désespoir—combien l’exécution d’une œuvre d’imagination reste au-dessous de sa conception.
Telle une femme, après avoir conçu dans des extases célestes, enfante avec douleur un enfant quelquefois assez laid;—et certes je me serais tu, si l’on avait simplement proclamé M. Ponsard un des hommes de talent de ce temps-ci.
Mais, loin de là, on a voulu dresser au nouveau venu une statue faite des débris des statues brisées des dieux contemporains,—au lieu de la lui tailler simplement dans un bloc neuf.
Je dirai donc ce qu’il me semble de la Lucrèce de M. Ponsard.
La pièce manque totalement d’intérêt;—l’histoire de Lucrèce, trop de fois prodiguée en thème à notre jeunesse, ne permet ni craintes ni hésitations;—on sait parfaitement comment cela finira en prenant son billet au bureau.
Je ne ferai pas à l’auteur une grande chicane sur ce défaut, qui appartient à son sujet;—mais n’a-t-il pas contribué lui-même à perdre les chances d’intérêt qui pouvaient rester à sa pièce—en mettant les principaux personnages et le public dans la confidence de la feinte folie de Brutus?—n’a-t-il pas renoncé volontairement à l’effet qu’eut produit cette révélation, si,—la sibylle la faisant seulement soupçonner quand elle lui dit:
elle n’avait lieu qu’à la dernière scène?
Pour ce qui est du style,—je ne déteste pas ces latinismes que l’on a trop reprochés à l’auteur;—cela a une force et une grâce particulières.—Le vers de M. Ponsard, un peu traînant, a néanmoins une sorte de noblesse et d’élégance bourgeoise qui ne s’élèvent pas au-dessus d’un certain degré, mais qui ne descendent pas non plus au-dessous.—Le sens est généralement clair.—Quelques pensées, les unes spirituelles, les autres raisonnables et nettement exprimées,—m’ont, avec quelques autres indices, laissé l’impression que, si la pièce de M. Ponsard est loin de mériter l’enthousiasme dont elle a été l’objet,—M. Ponsard a beaucoup plus de talent qu’il n’en a mis dans son ouvrage, qui reste cependant une œuvre estimable sous beaucoup de rapports,—et je serai bien étonné si M. Ponsard ne joue pas à l’envie, qui a cru se servir de lui comme d’un instrument, le petit désagrément d’avoir bientôt à chercher des instruments contre lui.
Il n’y avait rien de touchant comme d’entendre les gens de ce
temps-ci, qui donnent de si charmants exemples,—s’écrier que le
principal mérite de la tragédie nouvelle était dans les sentiments
d’honnêteté et de vertu qu’elle renferme.
Je ne crois pas qu’il y ait au théâtre une seule tragédie qui ne soit fondée sur l’opposition du vice et de la vertu.—Les pièces de ce temps réputées les plus immorales ont leurs personnages honnêtes et leurs phrases vertueuses.—L’Auberge des Adrets n’a-t-elle pas la femme de Robert Macaire et son fils,—qui, avec le bon M. Germeuil,—offrent l’ensemble de toutes les vertus sans en excepter une seule?
Si vous voulez ne voir dans cette pièce que Robert Macaire et
Bertrand,—reprochez alors à l’auteur de Lucrèce le personnage de
Sextus Tarquin et celui de Tullie.
De tout temps la vertu a été au théâtre un emploi—et il y a eu des acteurs engagés exprès pour les rôles vertueux—tant ils sont un des éléments nécessaires et habituels du drame;—certes, les drames de la Porte-Saint-Martin, tant décriés sous ce rapport,—ont produit plus d’effet que l’on n’en attend d’ordinaire de bons exemples et surtout de bons préceptes,—M. Moëssard,—ce bon M. Germeuil,—a tant joué de rôles honnêtes dans les plus terribles mélodrames,—qu’il a fini par mériter à la ville un prix Montyon pour des actes très-sérieusement honorables.
Je profiterai de la circonstance pour dire une fois dans ma vie ce
que je pense de Lucrèce,—comme femme,—après avoir dit ce que j’en
pense comme tragédie.
Cet exemple éternel de la chasteté antique me paraît aussi mal choisi que possible.
Sextus Tarquin menaçait Lucrèce, si elle résistait à ses désirs,—de la tuer, et de tuer ensuite et de mettre auprès d’elle un esclave qu’il assurerait avoir surpris dans ses bras; c’est à cette menace que céda la femme de Collatin.
C’est-à-dire que Lucrèce sacrifia la chasteté à la réputation,—la vertu à la vanité; qu’elle aima mieux être souillée que de passer pour l’être.
Je reviens un moment aux sentiments vertueux étalés, sous prétexte de Lucrèce, par nos contemporains.—La Chambre des députés a été plus loin;—elle s’est élevée contre un roman de M. E. Sue, publié dans le Journal des Débats;—elle qui venait de nous offrir une foule d’honnêtes exemples dans les élections de Langres, de Carpentras, etc.; c’est, du reste, aux époques d’égoïsme et de corruption qu’on a vu de tout temps afficher la pruderie féroce—et la vertu tigresse.
Au moment du malheur qui vient de frapper M. Odilon Barrot,—il m’a
été fait des révélations que j’ai recueillies avec empressement:—j’ai
vu pleurer sur ce pauvre père et prier pour lui en même temps que pour
sa fille Marie—des gens pour lesquels il a été bon et généreux dans
l’ombre et dans le silence.—S’il était des consolations pour une
pareille douleur, c’en seraient de plus sérieuses que celles qu’ont
voulu lui offrir quelques journaux dans les débats creux, dans les
luttes verbeuses de la tribune.
On assure que le roi a eu le bon goût et le bon cœur d’envoyer porter des paroles de sympathie à ce père accablé—au sujet de la mort de cette autre Marie,—qui laisse, comme la première, tant de regrets après elle.
Il y a des sortes d’oiseaux sinistres qui ne sont pas, à mon gré,
poursuivis d’assez de haine et de mépris.
Chaque année, si des pluies inopportunes, si des chaleurs trop ardentes viennent inspirer quelques craintes sur la récolte prochaine,—ils espèrent une disette,—même peut-être une famine.—Mais ils n’ont pas la patience de l’attendre,—ils accaparent les grains,—et, par toutes sortes de ruses et de moyens honteux de leur part,—aidés de la sottise publique—et de l’incurie de l’administration,—ils trouvent moyen de donner tout de suite au peuple un avant-goût de misère et de jeûne.
Quoi!—parce que le blé de cette année n’est pas encore en fleurs,—parce que les pluies font craindre qu’il ne fleurisse pas bien,—cela augmente la rareté et le prix du blé récolté il y a un an!
Comment ne recherche-t-on pas,—comment ne poursuit-on pas avec persévérance les coupables auteurs de ces infâmes manœuvres, pour les livrer à des peines sévères et méritées?
M. Villemain a dit: «Les professeurs de l’Université ne manquent
jamais une occasion de rappeler aux élèves ce qu’ils doivent à Dieu,—à
leurs parents,—au roi et à leur pays.»
M. Villemain sait bien que ce n’est pas vrai. En septième, on traduit l’Epitome historiæ græcæ, et l’on fait des pensums;—en sixième, le de Viris illustribus,—et l’on fait des pensums;—en cinquième, Cornelius Nepos,—et le Selectæ e profanis scriptoribus historiæ,—et l’on fait des pensums, etc., etc.—Mais de morale,—mais de devoirs, mais de raison, pas un mot.—On appelle devoirs, au collége, les thèmes et les versions,—et on n’en connaît pas d’autres.
Il est une alliance d’idées monstrueuses,—qu’il était réservé à
notre époque d’oser faire,—je veux parler d’honneurs clandestins.
Les Guêpes ont déjà parlé de la manière honteuse dont on distribue aujourd’hui les médailles après l’exposition de peinture.—Autrefois, le roi lui-même—les distribuait publiquement,—et le Moniteur—imprimait les noms heureux.—Aujourd’hui on apprend de temps en temps, tantôt par un journal, tantôt par un autre, que M. un tel ou madame trois étoiles a reçu une médaille d’or pour un tableau remarqué à l’exposition.
On ne saurait croire combien d’images grotesques sont ainsi honorées d’une récompense que l’on déshonore. Quelques médailles méritées—sont données par je ne sais quel subalterne, qui écrit au peintre désigné de venir chercher sa médaille chez lui. Si le peintre n’a pas d’amis dans quelque journal,—personne ne sait rien du prix qu’il a obtenu.
Il en est de même de la croix d’honneur.—Il arrive à chaque instant qu’on la voit si grotesquement figurer à certaines boutonnières,—qu’on n’ose pas même féliciter les nouveaux décorés, qu’on suppose embarrassés de leur première sortie. On en est venu au point, cependant, d’être un peu honteux d’une semblable prostitution;—beaucoup de noms de légionnaires ne sont pas inscrits au Moniteur. Mais cet effet de la honte tourne au profit de l’audace. C’est par pudeur que l’on évite le contrôle qu’amènerait la publicité. Mais une fois ce contrôle évité, on n’a plus besoin de se gêner. Et on ne se gêne plus.
M. Donatien-Marquis et M. Lherbette, députés, ont demandé hautement à la Chambre la suppression de ces honneurs honteux et clandestins,—et l’insertion au Moniteur de tous les noms des légionnaires.—La Chambre n’a tenu aucun compte de cette proposition.
Pendant qu’on imprime les Guêpes, je remarque que le National est revenu avec une honorable humilité sur ce qu’il avait dit au sujet du malheur arrivé à M. Lacave-Laplagne.
Les journaux annoncent que Trouville fait construire un
théâtre;—je ne crois pas que Trouville ait raison. Ce qu’on va voir à
Trouville, c’est la mer, c’est le départ et l’arrivée des
pêcheurs;—c’est la Touque, cette jolie petite rivière qui tombe dans la
mer; c’est la belle plage découverte à la marée basse, et placée si
admirablement pour voir coucher le soleil.—Mais que voulez-vous que
fassent les Parisiens d’une troupe de comédiens de huitième ordre que
vous rassemblerez avec grande peine?
Savez-vous ce qui a fait depuis dix ans la fortune de Trouville? C’est son isolement, c’est son aspect calme, c’est tout ce que vous vous efforcez de lui faire perdre.—C’est que ce n’étaient pas des bains de mer.
Trouville est déjà loin d’avoir le charme que nous y trouvions il y a une douzaine d’années,—à l’époque où nous découvrions Trouville et Étretat,—sans compter que tout y est maintenant aussi cher qu’à Dieppe ou au Havre.—Le conseil municipal de Trouville semble avoir en vue ce que disait une femme du monde en traversant une grande forêt;—on lui en faisait admirer la fraîcheur, le calme et le silence; on lui faisait admirer les dômes de verdure d’où tombaient des chants d’oiseaux.
—Oui, dit-elle, c’est très-joli; j’aime, comme vous, les forêts et les rivages;—mais quel malheur que ces choses-là ne se rencontrent qu’à la campagne!
Comme on ne peut guère amener la mer à Paris, on cherche à mettre au bord de la mer tout ce qu’on peut de Paris.
Il est remarquable que, dans un siècle où l’on se pique
d’incrédulité, les journaux publient l’annonce qu’on va lire—et que la
profession de pythonisse soit encore une profession lucrative.
«Madame Declaire-Alzin, phrénologue-nécromancienne,—telle rue, tel numéro, reçoit depuis neuf heures du matin jusqu’à sept heures du soir;—prix modérés.»
Les circonstances atténuantes vont leur train.
André Petit frappe son père à plusieurs reprises—et le menace de le tuer devant de nombreux témoins.—Le jury, ayant égard à ce que si l’accusé a frappé et menacé un homme—cet homme est son père,—et que ce sont des affaires de famille, et, en outre, considérant qu’André Petit a déjà été deux fois condamné pour vol; que c’est un très-mauvais sujet;—qu’on ne peut attendre d’un voleur obstiné et d’un mauvais sujet des actions bien vertueuses,—et qu’il serait même injuste de les exiger de lui;—le jury s’empresse d’admettre en sa faveur des circonstances atténuantes.
Une fille a volé une montre,—ce n’est pas le besoin qui l’a poussée à cette action coupable.—Le jury eût sans doute été sévère;—un vol commis par pauvreté, par besoin, peut se renouveler souvent;—mais cette pauvre fille n’a pris la montre que parce qu’elle était si belle;—ce n’est donc qu’un caprice,—qu’un vol isolé qui n’aura plus lieu;—on admet en conséquence des circonstances atténuantes.
Il est à regretter que la cour, se joignant à la manière du jury, n’ait pas ordonné que l’accusée garderait la montre.
Auprès de Tulle,—Chassague offre à son ami Mathieu-Basile de l’accompagner dans une course nocturne;—ils arrivent dans un endroit désert;—Chassague renverse son ami à coups de bâton,—lui écrase la poitrine avec une pierre énorme,—croit devoir ajouter quelques coups de pied sur la tête,—après quoi il porte son ami dans un ruisseau—et lui enfonce la tête dans la vase à coups de botte.
On doit être bien malheureux d’avoir agi ainsi à l’égard d’un ami.—Le 17 juin, le jury, prenant en considération les regrets que doit éprouver l’infortuné Chassague,—regrets d’autant plus violents qu’il les dissimule,—admet en sa faveur des circonstances atténuantes.
Cour d’assises de la Seine.—(Audience du 1er juillet.
Présidence de M. Montmerqué.)—Annette Boulet est accusée de plusieurs
vols domestiques.—Le jury, tenant compte de ce que la fréquence des
larcins reprochés à l’accusée établit clairement que le vol est devenu
une habitude;—que l’empire de l’habitude est irrésistible sur beaucoup
de personnes;—admet, en faveur d’Annette Boulet, des circonstances
atténuantes.
Cour d’assises de la Loire:—Damiens Grangeon, admis à l’hospice de Saint-Bonnet-le-Château,—achète des allumettes phosphoriques et croit devoir mettre le feu à l’hôpital.—Le jury, appréciant que le feu mis avec des allumettes phosphoriques, qui s’allument avec une promptitude aussi grande que celle de la pensée,—ne suppose pas la préméditation dont on pourrait accuser Grangeon s’il avait mis le feu à l’hospice au moyen de l’ancien briquet, qui donne le temps de la réflexion,—en conséquence,—admet des circonstances atténuantes.
Ces faits divers ne sont ni inventés—ni cherchés avec soin, je les extrais de DEUX numéros de la Gazette des Tribunaux,—et ils ne sont pas les seuls.
«Monsieur, j’ai l’honneur de vous inviter à une réunion qui aura
lieu chez moi dimanche prochain; l’heure est fixée à midi. Je donnerai
des explications et développerai ces mots: Effort, Action,
Providence; je crois pouvoir rendre sensible à chacun la loi immuable
des minéraux, des végétaux, des animaux, des hommes et de Dieu lui-même.
»Votre serviteur compte sur vous pour la satisfaction de tous ses amis.
»Votre frère en Jésus-Christ, seul Dieu du ciel et de la terre.
»CHENEAU, C., rue Montesquieu, 2.»
Telle est la lettre que j’ai reçue de M. Cheneau et Ce, seul dieu du ciel et de la terre, comme il nous l’apprend.
Je regrettai de ne pouvoir contribuer par ma présence à la satisfaction des amis du dieu.
D’autres auraient craint d’être invités là comme une sorte d’agneau pascal,—sous les espèces duquel le dieu Cheneau se proposait de communier avec ses amis;—je sais que l’on attribuera mon absence à cette terreur; je sais qu’on m’accusera de lâcheté, mais j’ai pour moi ma conscience.
Heureusement que Grimalkin voltigeait par là, de sorte que j’ai su ce qui s’est passé dans le ciel Cheneau.
C’est le dieu lui-même qui ouvre la porte; au milieu de quelques assistants étaient deux chérubins—que Grimalkin a reconnus pour les deux commis qui sur la terre,—c’est-à-dire à la boutique, servent de commis à la maison Cheneau et P. Jouin.—Au milieu de la pièce était une belle table avec un tapis rouge,—un chérubin apporte une Bible;—le chérubin est jugé laid.—Le ciel Cheneau est tapissé de papier collé,—à peu près comme les chambres ordinaires.—Grimalkin frémit en voyant une porte murée,—le plâtre était encore frais.—Est-ce là l’enfer où le dieu Cheneau jette ceux qui doutent?—Le dieu Cheneau reparaît au bout d’un quart d’heure, et dit: «Fiat lux.»—Les chérubins ouvrirent les rideaux, les fenêtres et les jalousies,—et la lumière fut faite.—Elle ressemble beaucoup à celle faite par Dieu—l’ancien;—le dieu Cheneau ne paraît pas y avoir apporté de perfectionnement.
Voici celles des choses dites par le dieu auxquelles Grimalkin a cru trouver un sens:
«Dieu ayant reconnu qu’il ne serait pas convenable qu’il chantât ses louanges lui-même,—a créé les hommes pour cet usage.—Si l’homme était parfait, il n’y aurait ni maladies,—ni tremblements de terre, ni orages.—Les apôtres ont annoncé un nouvel avénement, une nouvelle manifestation;—cet avénement, cette manifestation, c’est le dieu Cheneau.—Nous ne recevrons pas l’esprit de Dieu directement,—cet esprit tombe de Dieu sur une région supérieure à nous,—d’où, sur un degré angélique;—enfin, de chute en chute, jusqu’à un troisième degré qui est la tombe,—lequel en fait ce qu’il peut.»
Dieu en trois personnes est une monstruosité.—Si Dieu le Fils a un père qui est Dieu, nous ne dirons pas: Notre père, mais grand papa.—Au reste, la parole par laquelle le dieu Cheneau se manifesta a quelques légères variantes avec celle que nous employons; ainsi il dit: «Un ac (acte),—ce qui fut fé,—voér (voir),—onl’l’a,—r’pondre (répondre)—l’euspril,—euspérituilement,—etc.
Des hommes sont assis ou plutôt couchés sur des coussins aux deux
coins d’une cheminée. Ils fument dans de longues pipes turques et
boivent de la bière.
—Qu’as-tu, Alfred, que tu ne dis rien?
—Moi?—rien; j’attends que tu parles.
—Alors cela pourrait durer longtemps.
—Je pense à une ravissante aventure.
—Penses-y tout haut.
—Je le voudrais bien, mais c’est que j’y joue un rôle un peu trop brillant et que cela t’humiliera.
—Raconte toujours, je n’en croirai que la moitié.
—Il y a huit jours, je reçus une invitation à une soirée,—ou plutôt à un bal modestement annoncé par ce post-scriptum: «On dansera.» Le nom de la personne m’était inconnu;—j’allumai ma pipe avec l’invitation... Mais attends un peu que je remette du tabac dans celle-ci.
—Bien.
—A quelques jours de là, j’étais triste et ennuyé, il me prit des idées mondaines. «Ma foi, dis-je, je serais bien allé à ce bal.» Puis, un peu après,—je me dis: «J’irais bien à ce bal. Tiens,—mais c’est aujourd’hui! Est-ce bien aujourd’hui?—Oui, ma foi. Parbleu! je vais y aller.» Je m’habille; ceci était le plus difficile; une fois moi habillé, le reste allait tout seul; je m’habille, je fais demander un fiacre par le portier, j’arrive à la maison indiquée, tu sais une belle maison rue ***, qui a deux magnifiques statues de Coysevox, je m’étais arrêté cent fois devant cette maison; on m’annonce, mon nom produit le plus grand effet, je vais saluer la maîtresse de la maison, qui rougit et paraît embarrassée. Un moment je me trouve seul avec elle, elle me dit: «C’est M. Ernest qui vous a amené, ne l’oubliez pas.» Puis elle me quitte et s’occupe d’une femme qui entre. Ah! c’est M. Ernest qui m’a amené, et qui est ce M. Ernest, et pourquoi m’a-t-il amené? Un gros homme vient à moi et me dit: «Vous ne prenez rien? il y a un buffet.» Je m’incline; il ajoute: «Où est donc Ernest? je veux le remercier de vous avoir amené.—Monsieur, c’est moi au contraire qui lui dois mille remercîments.—Eh bien, savez-vous où en est son affaire!—Quelle affaire?—Eh! la grande affaire!—Ah! la grande affaire...? elle va bien.—Tant mieux!—Avez-vous salué ma femme?—J’ai eu cet honneur.—Dites donc,—êtes-vous comme Ernest, vous!» Me voici, cette fois, bien embarrassé; comment est Ernest? c’est égal, une réponse évasive: «Hum, hum, c’est selon.—C’est qu’il n’est bon à rien, il ne joue pas, il ne danse pas.—Je danserais volontiers, et, si je ne craignais d’arriver trop tard, j’inviterais la maîtresse de la maison.—En effet, son carnet doit être plein; mais elle se réserve toujours quelques contredanses pour les retardataires qu’elle veut favoriser; venez.» Il me conduit auprès de la maîtresse de la maison, qui me dit: «N’oubliez pas que je vous ai promis la seconde contredanse.—Mais que me disiez-vous? dit le gros homme.—J’avais engagé madame, mais elle m’avait quitté tout à coup pour aller au-devant d’une femme qui entrait, et je pensais qu’elle ne m’avait pas entendu.—Eh bien! sans moi, vous auriez fait une jolie chose; vous voilà maintenant occupé, je vous quitte: si vous retrouvez Ernest, dites-lui que j’ai à lui parler.» Me voilà seul au milieu de ce monde, je cherche à mettre un peu d’ordre dans mes idées. Tout le monde me connaît ici et je ne connais personne. La maîtresse de la maison veut me ménager un entretien avec elle; que va-t-elle me dire?—Je le saurai bientôt; mais moi, que vais-je dire? Si je connaissais Ernest seulement! La musique annonce qu’on va recommencer à danser. Je vais prendre la main de la maîtresse de la maison: c’est une femme de trente ans, jolie et bien faite, nous faisons la première figure sans parler; pendant que les autres dansent à leur tour, elle me dit: «Pour mon mari, il n’y a pas de danger; mais méfiez-vous d’Ernest: il ne sait rien, comme vous pouvez bien penser, c’est un ami, un véritable ami, mais devant lequel je rougirais trop; d’ailleurs, il ne se serait prêté à rien; il fallait cependant que nous eussions une explication; parlez maintenant.» Heureusement qu’il—faut faire l’été; nous dansons; quand nous nous arrêtons, elle a heureusement oublié que nous en étions resté à une question qu’elle me faisait et elle me dit: «D’abord je veux vous rendre vos lettres.» Mon Dieu! pensais-je; mais je n’ai pas écrit de lettres, que je sache! Elle continua: «Il n’y a rien de si imprudent que d’écrire ainsi, je ne reçois pas une lettre, c’est par un grand hasard que je n’ai pas donné les deux vôtres à mon mari avant de les lire; je n’ai pas voulu vous répondre; j’ai pensé qu’il valait mieux vous parler; mais seule, je ne l’aurais jamais osé; dans un salon, au milieu du monde, je suis plus hardie; il ne faut plus m’écrire, il ne faut plus passer des heures entières devant ma porte, c’est à me perdre.» Ah! mon Dieu! moi qui n’étais là que pour regarder la porte!—voilà un singulier quiproquo; c’est égal, je réponds effrontément que maintenant que je puis me présenter chez elle, je n’ai plus de raison de rester devant la porte; que je veux bien ne plus lui écrire, si elle me permet de lui parler.—La pastourelle! «Non, écoutez, il vaut mieux ne plus nous voir;—je suis mariée... vous le savez... j’aime et je respecte mes devoirs.» (Ah! très-bien;—dès qu’une femme appelle cela ses devoirs,—il n’y a pas à se décourager pour l’amour.) «Quoi, madame, ne plus vous revoir, après que depuis si longtemps ma vie entière vous est consacrée, après que je me suis accoutumé à mettre en vous toutes mes pensées, toutes mes espérances; non jamais! Si vous ne voulez pas que je vous dise que je vous aime, je vous l’écrirai dix fois par jour; si vous ne voulez pas que je vienne vous voir chez vous, je m’installerai en face de votre porte, dans une échoppe d’écrivain public, et je n’en sortirai pas.—Vous m’effrayez!—Eh quoi! est-ce le sentiment que je devrais m’attendre à vous inspirer en échange de tant d’amour et de tant de respect?—Qui vous dit que ce soit le seul que j’éprouve? Mais ce que je puis vous dire, c’est que c’est le seul qu’il me convienne de montrer.» Après la contredanse, je la reconduis à sa place, je lui dis: «Pensez à l’échoppe.» Elle sourit, et je me perds dans la foule. Je cherche à deviner ce qui se passe, et ce dont je me fais l’effet d’être le héros. Quel rôle joue cet Ernest, et qui est-il lui-même? Quoi qu’il en soit, je ne vois dans tout cela rien que de fort agréable, et je vais aller jusqu’à ce qu’on m’arrête. On m’a dit qu’on danserait avec moi après trois contredanses consacrées à tout le monde. Nous reprenons notre conversation «Je pense beaucoup à mon échoppe, madame.—Et moi aussi, monsieur, mais vous me faites peur.—Défendez-moi de la faire, madame.—Oui, certes, je vous le défends bien.—Je vous remercie, madame.—De quoi donc, monsieur?—De la permission que vous me donnez de vous venir voir souvent.—Au fait, vous pouvez bien venir comme vingt autres hommes qui viennent chez moi; mais renouvelez-moi le serment que vous m’avez fait dans votre dernière lettre.» Me voici plus embarrassé que jamais: quel serment ai-je fait? N’importe, il ne faut pas hésiter. «Je le jure, madame, sur mon amour.» Elle rit. «Voilà une jolie manière de m’inspirer de la confiance!—Comment cela! je jure sur ce que j’ai de plus précieux.—C’est sur votre amour que vous jurez de ne me jamais parler d’amour!» (Ah! c’est là ce que j’avais juré!) «Écoutez, madame, je ne veux pas vous tromper, je dirai ce que vous voudrez, je vous entretiendrai de ce qu’il vous plaira, mais rappelez-vous que tout ce que je vous dirai, sur quelque sujet que ce soit, voudra dire: Je vous aime.—Mais comment ferons-nous pour Ernest?—Et que m’importe Ernest?—Il m’importe beaucoup à moi, il faut le ménager.—Oh! je le ménagerai tant que vous voudrez.—A la bonne heure!—Oui, mais je ne le connais pas.—Comment! vous ne le connaissez pas! il n’a pas été vous porter une invitation?—On m’a remis l’invitation sans me dire qui l’avait apportée.—Il m’avait dit qu’il vous connaissait beaucoup.—Je ne connais personne qui s’appelle Ernest.» Enfin, mon cher ami,—à force de causer, j’apprends une partie du mystère et je devine l’autre. Madame de*** m’avait vu sept ou huit fois arrêté devant sa porte, occupé à regarder les statues; elle a reçu deux lettres renfermant des déclarations d’amour où il y avait cette phrase banale: «Les instants les plus doux de ma vie sont ceux que je passe à contempler les lieux où vous êtes.» Elle me soupçonnait amoureux d’elle, elle m’a attribué des lettres. A quelques jours de là, comme elle sortait en voiture avec une femme, sa compagne m’a vu et a dit: «Tiens! M. Alfred de Bussault!—Qui! ce jeune homme?—Oui, vous ne le connaissez pas?—Non, vous le connaissez?—Oui, un jeune artiste,—un homme de talent.—Une figure noble et intéressante.»
—Ohé! monsieur Alfred, interrompit ici l’auditoire, qui vous a rapporté ce dialogue?
—Personne, cela fait partie de ce que je devine.
—Ah! très-bien, je comprends.
—On ne veut pas répondre par écrit; comme on me l’a dit, on sera plus hardie en plein salon; il faut m’inviter à une soirée; mais comment faire? A quelques jours de là, on amène la conversation sur les jeunes artistes; on dit qu’on a entendu dire de moi le plus grand bien. M. Ernest,—sorte de sigisbée, de patito, dont on accepte l’amour, les soins et les corvées, sans lui rien rendre, mais qui, étant toujours là, finira peut-être par trouver un moment, M. Ernest a une manie, c’est de se dire lié avec toutes les personnes qui jouissent de quelque réputation, pour se donner du relief, il dit: «Ah! Bussault, je le connais beaucoup.—Amenez-le donc à une de nos soirées; mais prenez la chose sur vous auprès de mon mari: je lui ai refusé d’inviter quelques personnes, et je ne tiens pas assez à voir M. Bussault pour m’exposer à ce que monseigneur m’impose des conditions.—Très-bien, je vous l’amènerai;—je demanderai à votre mari une invitation pour un de mes amis.» Or, il arrive que M. Ernest, qui ne me connaît pas, a mis simplement la lettre d’invitation chez moi, se proposant de trouver quelqu’un qui me le présente avant le jour du bal. Une affaire de famille l’a obligé de quitter Paris pour quelques jours. Enfin, j’ai obtenu, pour ce soir, la permission d’aller passer un quart d’heure, rien qu’un quart d’heure, auprès de madame de ***, qui est souffrante et fermera sa porte. Charmante soirée!
—Je comprends alors ta préoccupation; mais tout me paraît un peu bien invraisemblable. Franchement, découds la broderie, et dis-moi ce qu’il y a de vrai au fond de ton histoire.
—Je le veux bien; voici l’exacte vérité, sans broderie, sans le moindre ornement. Je pensais, en fumant, à une lettre d’invitation que j’ai reçue pour une soirée chez madame de ***, que je ne connais pas, ce qui m’a étonné. La soirée était pour avant-hier, et ce que je viens de te dire est ce que je pensais qui serait peut-être arrivé si j’avais eu un habit noir, et si, par conséquent, j’avais pu y aller.
TABLE DES MATIERES
| 1842 | |
|---|---|
JUIN.—Un feuilleton de M. Jars, membre de la Chambre des députés.—Les vieilles phrases et les vieux décors.—Les enseignements du théâtre.—Un nouveau cerfeuil.—Les circonstances atténuantes.—M. Jasmin.—Un peintre de portraits.—La refonte des monnaies.—M. Lerminier.—M. Ganneron.—M. Dosne.—M. l’Herbette.—M. Ingres.—M. Boilay.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Étienne.—M. Enfantin.—M. Enouf.—M. Rossi.—Le droit de pétition.—M. l’Hérault.—M. Taschereau.—M. d’Haubersaert.—M. Bazin de Raucou.—Madame Dauriat.—Les tailleurs.—M. Flourens.—Le Journal des Débats, Fourier et Saint-Simon.—Pétition de M. Arago.—Le droit de visite.—Un éloge. | 1 |
JUILLET.—Dédicace à la reine Pomaré.—Dissertation sur les tabatières.—La cuisine électorale.—Am Rauchen | 26 |
AOUT.—Mort du duc d’Orléans.—La Régence.—Le duc de Nemours et la duchesse d’Orléans.—M. Guizot.—Un curé de trop.—Humbles remontrances à monseigneur Blancart de Bailleul.—Un violon de Stra, dit Varius.—Fragilité des douleurs humaines.—Sur les domestiques.—Correspondance.—M. Dormeuil.—Une foule d’autres choses.—M. Simonet.—Une Société en commandite.—Quelques annonces.—M. Trognon. M. Barbet.—M. Martin.—M. Poulle.—M. Pierrot.—M. Lebœuf.—M. Michel (de Bourges).—M. Dupont (de l’Eure).—M. Boulay (de la Meurthe).—M. Martin (du Nord), etc.—Am Rauchen.—Wergiss-mein-nicht. | 54 |
SEPTEMBRE.—La justice.—Ce qu’elle coûte.—Et pour combien nous en avons.—De quelques gargotiers faussement désignés sous d’autres noms.—Un directeur des postes.—Un gendarme et un voyageur.—Sur les chiens enragés.—La Régence.—Le duc de Nemours.—La Chambre des pairs.—M. Thiers.—M. de Lamartine.—Crime d’un carré de papier.—La Tour de François 1er et le Journal du Commerce.—Une montagne. | 79 |
OCTOBRE. | 107 |
NOVEMBRE.—Les inondés d’Étretat, d’Yport et de Vaucotte.—Le roi Louis-Philippe et M. Poultier, de l’Opéra.—Un philosophe moderne.—Les femmes et les lapins.—Une mesure inqualifiable.—M. Lestiboudois.—M. de Saint-Aignan.—Un dictionnaire.—Le véritable sens de plusieurs mots.—A. et B. | 137 |
DÉCEMBRE.—Économie de bouts de chandelles.—Les alinéa.—Une lettre de faire part.—Qui est le mort?—Le Télémaque et M. Victor Hugo.—Le procès Hourdequin.—M. Froidefond de Farge.—Un poëte.—Les philanthropes et les prisonniers de Loos.—M. Dumas, M. Jadin, et Milord.—Une lettre de M. Gannal.—M. Gannal et la gélatine.—Une récompense.—Le privilége de M. Ancelot.—Amours.—Les chemins de fer.—L’auteur des GUÊPES excommunié.—Un Dieu-mercier.—Ciel dudit.—Un marchand de nouveautés donne la croix d’honneur à son enseigne.—Le chantage.—Histoire d’une innocente.—Histoire d’une femme du monde et d’un cocher.—Dictionnaire français-français.—Suite de la lettre B. | 169 |
| 1843 | |
JANVIER. | 201 |
FÉVRIER. | 224 |
MARS.—Le vendredi 13 janvier.—A monseigneur l’archevêque de Paris, pour les besoins de l’Église.—La grande politique et la petite politique.—Chandelle et lumière.—M. Lehoc.—Le dieu Cheneau.—Les Guêpes refroudroyées.—Messieurs les savants et mesdames leurs inventions.—M. de Lamartine et les journaux.—Sur quelques décorations.—Chiromancie.—Catholique.—M. Jouy.—Ciguë.—Confiscation. | 230 |
AVRIL.—A M. Arago (François).—Le dieu Cheneau.—M. de Balzac.—Quirinus.—Un mot.—Une ordonnance du ministre de la guerre.—A M. le rédacteur en chef du journal l’Univers religieux. | 248 |
MAI.—Exécution de Besson.—Un rouleau d’or sauvé.—Invitation à déjeuner noblement refusée.—La Trappe.—Saint Philippe et saint Jacques.—Une idée érotique du préfet de police.—Discours de l’archevêque de Paris et réponse du roi.—Le peuple et les badauds.—M. Pasquier et M. Seguier.—D’un voleur qui voit la mauvaise société.—Une profession nouvelle.—Un député aimable.—M. Arago a rompu avec les comètes.—L’enquête de la Chambre sur les élections de Langres, d’Embrun et de Carpentras.—Le député de Langres et le député de Saint-Pons. | 262 |
JUIN.—Le déluge.—On demande une famille honnête.—Suppression du mois de mai.—La rançon du mois de mai.—Plus de mal de mer!—Opinion de madame Ancelot sur une pièce de madame Ancelot.—Les douaniers de M. Gréterin.—Utilité de la langue latine pour une profession.—M. le préfet de police faisant de la popularité.—La liste civile.—Les hommes du pouvoir et le peuple.—Le jury.—Les circonstances atténuantes.—Le bagne.—Brest.—Le duc d’Aumale.—Noble impartialité des journaux.—De la liberté des cultes en France.—M. Fould. | 281 |
JUILLET.—La rançon acceptée.—Une nouvelle fleur.—Suppression de l’homme.—Les défenseurs de la veuve et de l’orphelin.—Jugement de Salomon.—Une conspiration.—Le Napoléon.—Les anciens et les modernes.—MM. Ponsard, Hugo, Dumas, etc.—Lucrèce.—M. Odilon Barrot.—Les oiseaux sinistres.—M. Villemain.—Honneurs clandestins.—Trouville.—Une annonce.—Les circonstances atténuantes.—Le dieu Cheneau.—Une invitation. | 297 |
FIN DE LA TABLE DU QUATRIÈME VOLUME.
Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.