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Les guêpes ­— séries 3 & 4

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Le mieux renté de tous les beaux esprits,

de même le roi Louis-Philippe ne reconnaît d’écrivain moderne que M. Casimir Delavigne.—Sa Majesté pousse si loin ce dédain pour la littérature contemporaine, que, dans un dîner où se trouvait invité M. de Lamartine comme député de Mâcon, le roi fit semblant d’ignorer qu’il eût jamais écrit, lui parla de choses indifférentes,—mais ne prononça pas un mot qui eût trait à la littérature ni à la poésie.

image d’une guêpe On cite un mot assez singulier de la reine Christine.—Quelques-uns disent que c’est fort spirituel; d’autres, que c’est fort naïf.—M. Aimé Martin, admis à la faveur de lui être présenté, lui offrit obligeamment ses ouvrages: «Merci, monsieur, dit-elle; je ne veux pas vous en priver.»

image d’une guêpe A propos des phares—dont je parlais tout à l’heure,—quelqu’un que je ne nommerai pas, mais qui ne demeure pas loin de là, avait pris à la fois un cheval et un domestique.—Il s’ensuivait que le domestique avait un cheval, et que le cheval avait un domestique; mais lui n’avait ni domestique ni cheval.

Un jour, le cheval et le domestique disparurent pendant quatre heures. Au retour, le maître, fâché, demanda au domestique:

—Ah ça! qu’as-tu fait et d’où viens-tu?

—Monsieur, répondit tranquillement celui-ci, cette pauvre bête... je l’ai menée voir les phares.

image d’une guêpe Voici un résumé plus curieux qu’il n’en a l’air:

Sous le règne de Henri IV, le sucre se vendait à l’once chez les apothicaires. En 1700, la consommation du sucre s’éleva, en France, à un million de kilogrammes.—La population était alors de seize millions d’hommes.—Cela faisait pour l’année, par personne, à peu près deux onces.—En 1815, on en consomma seize millions de kilogrammes.—Et, en 1841, cette consommation s’est élevée à plus de cent millions de kilogrammes.

Ceci peut donner le secret des embarras de la position actuelle.—Le sucre n’est pas la seule friandise dont l’usage se soit ainsi répandu.—Tout le monde veut être quelque chose dans l’État, comme tout le monde veut manger du sucre.

Il faut, à chaque période politique, trouver moyen de multiplier les parts de bonbons;—les anciennes grosses parts en sont fort diminuées.—Ceux qui les possédaient autrefois se contentent aujourd’hui d’avoir de gros cornets dans lesquels il n’y a presque rien; on les a vidés pour faire de petites parts à presque tout le monde.

En effet, il n’est aujourd’hui presque personne qui n’ait, sous un titre quelconque,—un petit morceau du sucre du pouvoir,—député,—électeur,—juré,—garde national,—membre de tel ou tel conseil,—de tel ou tel comité,—rédacteur de tel ou tel journal, etc.

Eh bien! il y a encore des gens qui n’ont pas leur part et qui crient,—qui demandent une réforme électorale;—ceux qui ont les grosses parts, tirées du cornet de la puissance royale,—ont peur qu’on ne tire de leur cornet pour faire de nouvelles petites parts:—comment faire?

On a déjà usé, en fait de pouvoir, de tous les expédients dont on a usé en fait de sucre pour égaliser la production et la consommation;—on a imaginé des équivalents au sucre de betteraves, au sucre brut,—à la cassonade et à la mélasse.

Mais tout le monde veut du sucre blanc;—mais tout le monde en veut beaucoup:—les nouveaux cornets se ferment avec frénésie, le cornet royal est vide ou peu s’en faut.

Comment faire?

image d’une guêpe J’avais remarqué déjà la négligence de l’autorité qui permet au monsieur chargé d’inscrire les noms des rues de Paris aux coins d’icelles, de retrancher certains de au bénéfice probablement des opinions politiques dudit monsieur peintre en lettres;—j’ai cité, je crois, la rue Rohan, la rue Grammont et quelques autres;—mais on m’a fait observer que cette suppression, loin d’être blâmable, provenait au contraire d’un louable sentiment d’économie de la part des administrateurs des deniers publics.—On sait, en effet, que ces inscriptions se payent à tant la lettre,—et que toutes celles qu’on peut retrancher sont un bénéfice net pour l’État.

Je m’étais expliqué de même la désignation d’avenue Gabrielle donnée à cette allée des Champs-Élysées, dédiée jadis par la duchesse de Berry à la belle Gabrielle d’Estrées,—qui, certes, n’avait rien en son temps de l’existence incorporelle des archanges.

Mais je ne peux plus appliquer la même excuse à une transposition de lettres sans bénéfice, comme celle qu’on a fait subir sur l’arc de l’Étoile au glorieux nom d’Eckmuhl,—que l’on a écrit Eckmulh,—mais heureusement à une hauteur inaccessible à l’œil nu.

Mais comment expliquer surtout qu’on ait fait présent d’une lettre à l’historique famille de Beauvau, et que l’on ait écrit place Beauveau;—passe encore si l’on avait écrit Bovo,—l’économie justifiait la hardiesse;—mais Beauveau,—cette lettre n’a rien d’agréable et coûte de l’argent.

Je soumets cette nouvelle observation comme la première, et avec le même respect, à l’autorité compétente.

image d’une guêpe Le mois d’avril, qui vient de finir, a vu mourir M. le ministre des finances Humann; M. le maréchal Moncey; M. le maréchal Clauzel; M. le général Castex; M. le général Heymès; M. Bertin de Vaux, pair de France; M. de Rigny, conseiller d’État; M. le comte de Mesnard, premier écuyer de la duchesse de Berry; M. Bouilly, doyen des auteurs dramatiques; M. l’abbé Boyer, directeur du séminaire Saint-Sulpice; M. Aguado, marquis de las Marismas, M. Boursault, membre de la Convention; M. le comte de Sesmaisons; madame la baronne Virginie de Gazan, fille de Bernardin de Saint-Pierre; madame la comtesse de Balby; madame la marquise de Boisgelin; madame la comtesse de Sallaberry; madame Wanlerberghe, mère de madame Jacqueminot et grand’mère de madame Duchâtel; M. de Lur Saluces, ancien député; M. Beaupré, ancien danseur de l’Opéra; M. Wilhem, inspecteur des écoles de chant; Antonio Espartero, frère du régent d’Espagne, etc., etc.

Je ne cite que les personnages très-connus.

En général, on ne se rend pas bien compte de la mort même ou plutôt surtout de la sienne.—J’ai vu mourir, ces jours derniers, une pauvre fille qui souffrait beaucoup et qui disait: je serai bien contente quand ça sera fini.»

Je lis en même temps,—dans le testament du roi Gústave de Suède, mort il y a cinquante ans: «Si quelque auteur veut écrire des anecdotes concernant l’histoire de mon règne, je le verrai avec plaisir

image d’une guêpe Un jour du printemps dernier, comme j’allais à Versailles déjeuner avec quelques amis, je pris place dans un waggon du chemin de fer.—Assis à côté de moi, se trouvait un vieillard d’une belle figure avec de longs cheveux blancs,—coiffé d’une toque de velours noir et vêtu d’une douillette violette,—un domestique était en face de nous et tenait sur ses genoux une petite plante que mon voisin ne quittait pas des yeux;—bientôt même, craignant quelque maladresse, il la prit et la garda entre ses mains.

—Vous avez là, lui dis-je, un rhododendron qui n’est pas encore dans le commerce.

—C’est vrai, me répondit le vieillard; est-ce que vous êtes jardinier?

—Un peu, lui dis-je.

Notre connaissance se trouva faite.—Nous regardâmes ensemble les cerisiers qui étaient encore en fleurs sur la route. Comme nous étions près d’arriver, il me dit:

—J’ai de beaux rhododendrons en fleurs,—voulez-vous les venir voir?

—Volontiers, repris-je?

Je lui offris le bras pour descendre du waggon.

—Je vous remercie de votre politesse, me dit-il, mais je n’en ai pas encore besoin.

En effet, il était leste et dispos;—il remit le petit rhododendron au domestique, nous prîmes une sorte de fiacre dont le cocher le connaissait sans doute, car il ne demanda pas où il fallait le conduire.—Au bout d’un quart d’heure, on nous descendit devant une fort jolie maison;—je dis au cocher de m’attendre, et j’entrai avec l’inconnu dans un magnifique jardin.—Nous nous mîmes alors à parcourir de grandes et nombreuses serres remplies de plantes précieuses et parfaitement soignées;—chemin faisant, nous parlions de fleurs;—quelquefois il me racontait une anecdote curieuse de la Révolution.—Toujours est-il qu’il vint un moment où il me dit:

—Il est tard, voulez-vous déjeuner avec moi?

—Non,—répondis-je,—car vous me rappelez en ce moment—que l’on m’attend pour déjeuner depuis plus de deux heures—et que je suis sans doute l’homme le plus maudit du monde.

—Eh bien! me dit-il, venez me voir rue Blanche, à Paris,—nous reparlerons des fleurs, et, puisque vous avez un jardin,—je vous ferai quelques cadeaux;—je m’appelle Boursault.

Je le saluai et lui donnai ma carte.

—Oh bien! dit-il en la lisant, cela se trouve bien, je suis abonné aux Guêpes et j’avais envie de vous connaître.

Je ne l’ai jamais revu—depuis ce temps. J’ai si peu resté en place, que je n’ai pas trouvé le moment de lui faire ma visite. Il est au nombre des morts du mois d’avril.

image d’une guêpe Lors d’un des derniers retours du duc de Joinville,—sa sœur, la princesse Clémentine, lui fit de vifs reproches de n’avoir pas rapporté quelque costume de femme des pays qu’il avait visités.

—J’aurais aimé,—dit-elle,—à en essayer un.

—Rien n’est plus facile,—ma sœur,—répondit le jeune prince,—car vos reproches sont injustes, et j’ai précisément acheté le costume complet d’une reine sauvage,—qui était à peu près de votre taille.

—Voyons-le.

—Je vous le ferai apporter demain.

Le lendemain,—le prince arrive et dit à sa sœur:

—Je n’ai pas oublié ma promesse,—me voici!

—Et le costume?

Le duc de Joinville, sans répondre,—tire de sa poche un collier fort bizarre formé d’un rang de graines rouges mêlées de morceaux de verre bleu.

La princesse Clémentine le regarde avec attention, le trouve assez joli malgré sa simplicité,—puis le place sur un meuble et attend.

Mais le prince s’occupe à regarder un tableau.

—Mais, Joinville, lui dit-elle,—à quoi pensez-vous?

—Pourquoi cette question, ma sœur?

—C’est parce que vous savez bien que j’attends.

—Et qu’attendez-vous?

—Le costume.

—Est-ce que je ne vous ai pas donné...

—Un collier.

—Eh bien?

—Eh bien! j’attends le reste.

—Mais il n’y a pas de reste.

—Comment?

—Je vous jure que c’est le costume complet,—et que la reine dont je vous parle ne portait rien de plus.

image d’une guêpe M. Humann—mort, on a mis à sa place M. Lacave-Laplagne.—M. Royer-Collard, en apprenant cette nomination,—a parodié un mot connu, et a dit: «Il n’y a rien de changé, ce n’est qu’un gascon de plus.»

image d’une guêpe Je vous ai quelquefois parlé de la quatrième page des journaux,—vous savez, celle où on met tout ce qu’on veut, cette sorte de mur où on affiche librement—et contre lequel il n’est défendu de déposer quoi que ce soit.—Eh bien!—le Journal des Débats a, le 10 avril dernier, admis,—en gros caractères,—une annonce dont je n’oserais à aucun prix écrire ici le premier mot. (Voir le Journal des Débats dudit jour.)

image d’une guêpe Un autre journal a imaginé une forme assez heureuse de critique pour les ouvrages modernes.

«AVIS IMPORTANT.—Au milieu de cette inondation de livres de tous genres, dont beaucoup sont inutiles ou dangereux, il est de la dernière importance d’en signaler un qui mérite les plus grands éloges et qui intéresse au plus haut degré une immense quantité de personnes.

»Les auteurs, hommes du métier, sans aucun charlatanisme, avec une conscience et une modestie qui devraient faire la règle de tous les écrivains, enseignent dans cet ouvrage si éminemment utile:

»A obtenir à la fonte du suif en rame une plus grande quantité de suif que par l’ancien procédé.»

En effet, qu’apprend-on dans nos romans?—lisez-en tant que vous voudrez,—Balzac, Hugo, Dumas, madame Sand,—que saurez-vous après cela? vous y brûlerez quelques bougies,—mais vous n’en ferez pas mieux une chandelle.

image d’une guêpe On lit dans un nouveau roman de M. d’Arlincourt, un roman inutile comme nous disions tout à l’heure,—un dialogue qui rappelle celui de l’ancien mélodrame dans ses beaux jours.

—Un meurtre!!!

—Il a été mérité!

—Un prêtre!!

—Il n’en avait que l’habit.

—Lui! pas plus ministre du ciel...

—Que je ne suis religieux.

Dans ce genre de dialogue, il faut qu’il y ait eu plusieurs répétitions et que celui qui parle le premier sache parfaitement ce que lui répondra son interlocuteur.

Car jamais un homme ne s’aviserait de dire: «Lui! pas plus ministre du ciel...» si on ne lui a promis par les plus grands serments et sous les plus certaines garanties d’ajouter immédiatement: «Que je ne suis religieux;» sans cela la phrase serait absurde.

image d’une guêpe L’autre jour, dans un procès en adultère, deux avocats dont je regrette de ne pas savoir le nom, ont donné un nouvel exemple de l’audace de ces messieurs.

Il s’agissait d’un escalier et du nombre de marches dont il est composé:—l’un l’évaluait à trente et l’autre à quatre-vingt-deux.—Tous deux ont affirmé les avoir comptées.

image d’une guêpe Il existe dans la hiérarchie ecclésiastique de grands abus à l’encontre des petits, c’est-à-dire des curés et des pauvres desservants de campagne,—de la part de messeigneurs les évêques, et surtout,—comme cela ne manque jamais,—de la part des grandeurs subalternes, c’est-à-dire de M.M les vicaires généraux;—une guêpe est spécialement chargée en ce moment—de recueillir sur les tracasseries subies par ces pauvres curés, sur ces fleurs amères de leur vie,—quelque chose qui ressemblera moins au miel qu’à l’absinthe.

En attendant mieux, voici un fait récent—qui ne manque pas d’une certaine bouffonnerie.

Le desservant d’une pauvre commune qui ressort de l’archevêché de Rouen—s’est vu brusquement suspendu de ses fonctions,—sans qu’on lui en fît connaître la cause.

Les interprétations n’ont pas manqué,—et naturellement on n’a examiné les versions diverses que strictement le temps nécessaire pour adopter exclusivement les plus fâcheuses,—en quoi les gens se sont montrés fort ignorants de la discipline ecclésiastique.

Car ce n’est pas l’oubli des devoirs ni des serments que l’Église punit le plus sévèrement dans ses ministres, c’est l’indiscipline,—tout autre péché, quelque gros qu’il soit,—n’est qu’un péché véniel.

Les commandements de Dieu passent après les ordres de l’Église.

Il n’y a rien dans ce que je dis ici qui ait la moindre exagération;—ceux qui ont lu les Guêpes depuis bientôt trois ans,—et mes autres écrits depuis douze ans, savent que je n’ai jamais mêlé ma voix aux criailleries si à la mode contre les prêtres.

Notre desservant donc, lassé de voir son malheur aggravé de toutes sortes d’interprétations peu bienveillantes, s’est avisé de demander à l’archevêché une sorte de certificat de bonnes vie et mœurs;—il a paru désagréable et embarrassant aux vicaires de monseigneur de Croy d’avoir à donner un certificat favorable;—ils n’ont pas répondu;—le curé a insisté pour que son certificat lui fût envoyé ou pour qu’on lui accordât un refus motivé.

Enfin on s’est décidé, et voilà ce qu’il a reçu.

«Nous, soussigné, prêtre vicaire général de S. A. E. le cardinal prince de Croy, archevêque de Rouen, certifions que M*** a exercé pendant à peu près l’espace de douze ans les fonctions du ministère ecclésiastique en différents endroits et en différentes qualités, et que, pendant ce temps, il n’a jamais été accusé de mauvaises mœurs, ni connu pour avoir une conduite scandaleuse; le présent certificat lui a été accordé conforme à sa demande—pour lui servir et valoir ce que de droit.

«Rouen..... 1842.

«Signé SURGIS, vic. génér.»

Le desservant était après cette lettre plus blanc que neige,—il n’avait pas même été accusé; c’était la vertu poussée au degré que César exigeait de sa femme.

Mais le malheureux curé, innocent aux yeux du monde, devenait par cela même coupable aux yeux de ses supérieurs—qui considèrent comme une rébellion ouverte son audace de demander un certificat d’innocence précisément au moment où on le punissait;—aussi M. Surgis, le même vicaire général, joignit-il au certificat la lettre que voici:

«Monsieur, le temps jusqu’à ce moment m’a à peu près manqué pour vous envoyer la pièce que vous avez demandée à S. A. E.; j’éprouve aussi quelque embarras, ne sachant trop comment formuler le certificat objet de vos désirs. Enfin, je vous l’envoie aujourd’hui et je souhaite qu’il remplisse vos vues.

»Je suppose que votre départ devant avoir lieu incessamment, et ne vous comptant plus vous-même comme faisant partie du clergé du diocèse de Rouen, vous avez déjà cessé toute espèce de fonctions ecclésiastiques, même de célébrer les saints mystères. Vous sentez qu’un certificat aussi extraordinaire que celui que vous sollicitez vous étant accordé, S. A. E. ne peut plus que vous plaindre et vous regarder comme étranger au sacerdoce,—et vous ne pouvez plus désormais dire la messe dans son diocèse.—Vous trouverez ci-inclus le certificat, comme j’ai cru devoir le faire pour suivre vos intentions.

»Recevez l’assurance, etc.

«Signé SURGIS

Ces deux pièces sont authentiques,—je les tiens dans les mains et je les copie.

M. le vicaire général Surgis me permettra de trouver sa lettre beaucoup plus extraordinaire que le certificat qui lui cause tant d’étonnement.

En effet, quel est ce certificat après lequel celui qui l’obtient ne peut plus dire la messe—ni faire partie du clergé du diocèse,—et cela d’une manière si évidente, que M. Surgis ne croit pas avoir à en donner de raison,—qu’il se contente de dire: «Vous sentez que vous devenez par ce certificat étranger au sacerdoce?»

Tout ce certificat est incompatible avec la prêtrise; ce certificat est un certificat de vie honnête et de mœurs décentes.

Savez-vous, monsieur le vicaire général, qu’on pourrait tirer de là de singulières conséquences pour le clergé;—car enfin, monsieur Surgis, vous ne pouvez échapper à ce raisonnement: si ce prêtre auquel on accorde ce certificat extraordinaire (un certificat de bonne vie et de bonnes mœurs), par cela même devient étranger au sacerdoce, ne peut plus célébrer les saints mystères (c’est tout simplement une excommunication), les qualités nécessaires et habituelles pour faire partie du clergé sont les contraires de celles (énoncées en cet extraordinaire certificat) et qui entraînent nécessairement et évidemment l’exclusion, l’anathème et l’excommunication.

image d’une guêpe Pendant le carême, les églises de Paris étaient curieuses à observer;—les jours où un prédicateur plus ou moins célèbre devait travailler, on disposait les places comme au théâtre.—On se rappelle, du reste, la fameuse annonce: M. LACORDAIRE PRÊCHERA EN COSTUME DE DOMINICAN. Il y avait des places où on voyait et où on entendait,—d’autres où on entendait sans voir,—d’autres où on voyait sans entendre,—enfin un quatrième ordre de places où on ne voyait ni n’entendait absolument rien;—pour faire le service de ces diverses places, il y avait des contrôleurs, des ouvreuses, etc., qui faisaient valoir les meilleures.

image d’une guêpe Les lois sont faites par des avocats;—on ne le saurait pas, qu’on s’en douterait à la façon dont ils se sont ménagés: ils se sont bien gardés de se placer dans la catégorie des patentés, dans laquelle ils ont rangé les médecins;—on serait probablement embarrassé d’en trouver une bonne raison. Le médecin, avant d’obtenir son diplôme, a à faire des études bien plus chères, bien plus dangereuses, il gagne beaucoup moins,—et n’a d’avenir que dans ses économies;—l’avocat, au contraire, n’est en rapport qu’avec des gens qui ont quelque chose; d’ailleurs ils se sont prudemment interdit tout recours judiciaire pour leurs honoraires, pour avoir un prétexte honnête de se faire payer d’avance. Quand ils vieillissent ils se transforment en ce qu’ils veulent, magistrats,—députés,—que sais-je? ils ne payent pas patente.

image d’une guêpe Un pauvre malade demande son admission dans un hôpital,—on lui dit: «Présentez-vous au bureau central, parvis Notre-Dame.» Comme il ne peut pas marcher, il prend une voiture. Arrivé, il attend deux heures, quelquefois quatre heures, son tour de visite,—bien heureux lorsque l’encombrement de la salle d’attente—ne le force pas de se tenir debout sur la place, exposé aux injures du temps.

Enfin son tour arrive, et le médecin lui dit qu’il n’y a pas de place ou qu’il n’est pas assez malade,—ou bien encore, ce qui vous paraîtra plus singulier, qu’il est trop malade.

En effet, les affections chroniques sont exclues des hôpitaux:—qu’un pauvre phthisique se présente, aucun hôpital ne s’ouvrira pour lui;—le malade refusé prend une seconde voiture et rentre dans son triste logis, plus malade, plus pauvre et surtout plus découragé.

Pendant ce temps-là, vingt sociétés—mangent, boivent, parlent, parlent surtout, car c’est la manie de ce temps-ci,—tout cela sous prétexte de philanthropie.

image d’une guêpe Les journaux les plus indépendants,—je n’en excepte pas un, ne se font aucun scrupule de se rendre complices des mensonges et du charlatanisme de tous les marchands de n’importe quoi,—complicité honteuse, puisqu’elle se fait en partageant les bénéfices de ces industriels.—Un de ces journaux, obligé de faire l’éloge d’un tailleur, n’a trouvé à dire sur son compte que ceci: «Ses redingotes sont plus que jamais à deux rangs de boutons.»

image d’une guêpe Voici une épigramme échappée à M. Nodier.

Comme il se trouvait l’autre jour avec M. Flourens, son collègue à l’Académie,—il lui dit:

—Ah ça! M. de Balzac se présente.

—Je ne crois pas, répondit M. Flourens; il n’a pas fait de visites.

—Pardon, il est venu me voir.

—Moi, je ne l’ai pas vu.

—C’est que peut-être il ne vous croit pas de l’Académie.

image d’une guêpe Au moment de la saison des bains, il me revient à l’esprit une anecdote assez édifiante à ce sujet.

L’acteur Perlet était triste et malade;—quelques personnes lui conseillèrent les eaux d’Enghien. Perlet alla trouver le docteur Bouland, médecin des eaux, et lui exposa piteusement sa situation en lui demandant franchement son avis.

—Croyez-vous, lui dit-il, que vos eaux me donneront un peu d’embonpoint?

—Certainement, monsieur, certainement;—baignez-vous, et vous engraisserez.

Perlet se baigne, se baigne, et n’engraisse pas; il se plaint au docteur.

—Oh! mais, monsieur Perlet, il faut de la persévérance, il faut un peu de temps;—baignez-vous, monsieur, baignez-vous, et vous engraisserez.

Mais un jour que, conformément aux conseils du docteur Bouland, Perlet était dans sa baignoire,—il entend parler dans le cabinet voisin et reconnaît la voix du docteur.

—Certainement, monsieur, disait le docteur.

—Mais, répondait l’interlocuteur,—j’ai beau me baigner, je ne maigris pas.—Je crois que je suis plus énorme encore qu’à mon arrivée.

—Ah! mais, monsieur, il faut de la persévérance, il faut du temps;—baignez-vous, et vous maigrirez.

Perlet se leva effrayé, jeta un regard sur lui-même.—Il lui sembla qu’il était maigri.—Il se précipita hors de son bain, et s’enfuit.

image d’une guêpe Un ancien administré de M. Romieu est venu le voir un de ces jours,—et il lui racontait ce qu’il avait vu à Paris.

—A propos, dit-il, j’ai été au Théâtre-Français.

—Et qu’avez-vous vu?

—Ma foi, une fort belle pièce;—ça peut bien durer de cinq quarts d’heure à une heure et demie.

—Mais quelle pièce?

—Je vous dis... une très-belle pièce, mais je ne sais plus le nom;—tout ce que je peux vous dire, c’est que mademoiselle Rachel en joue.

—Qu’est-ce qu’on dit dans cette pièce?

—Je ne sais pas trop... je me rappelle seulement qu’il y a un vieux, au commencement, à qui on donne un soufflet.

—Ah! c’est le Cid.

—Oui, ça peut bien être ça... comment dites-vous? le Cid!—Pardon, avez-vous un morceau de papier, que j’écrive ça.—C—i—d—le Cid,—c’est bien ça.

image d’une guêpe L’éditeur d’une série d’ouvrages, sur divers sujets, a publié dans les journaux une annonce dans laquelle il proclame et les titres des ouvrages qu’il met en vente, et les noms des auteurs qui les ont composés;—ces noms sont au nombre de vingt ou vingt-cinq, et tous, moins un, sont écrits sans le M. dont on se sert pour les simples hommes.—Paul de Kock, Maurice Alhoy, Deyeux, Marco Saint Hilaire,—monsieur de Balzac,—etc.

M. de Balzac est, du reste, accoutumé à de pareilles distinctions.—Je me rappelle qu’il y a une huitaine d’années l’éditeur Werdet, avec lequel je me trouvais en relations,—m’annonça que M. de Balzac lui faisait l’honneur de dîner chez lui,—et voulut bien m’inviter à prendre ma part du festin et du spectacle de ce célèbre écrivain;—j’acceptai volontiers, et je trouvai là, en outre, Jules Sandeau et Michel Masson, qui étaient de mes amis, et M. Paul de Kock, que je ne connaissais pas plus que je ne connaissais alors l’auteur de la Vieille fille et d’Eugénie Grandet.

On était tous sur des chaises.—M. de Balzac seul, faute d’un trône, que probablement M. Werdet ne possédait pas dans son mobilier, était assis sur un fauteuil élevé—et mangeait dans un couvert de vermeil,—tandis que les autres n’avaient que des couverts d’argent. M. de Balzac ne manifesta ni le moindre étonnement ni le moindre embarras.

image d’une guêpe On lit dans le Moniteur:

«Dans le mois dernier, le ministre de la marine a alloué aux auteurs de DIVERS actes de sauvetage des gratifications, montant en totalité à DEUX CENT QUARANTE FRANCS

Je l’ai déjà remarqué,—les hommes n’ont de respect, de vénération, que pour ceux qui leur font du mal.—Une croix d’honneur, je parle de celles qui sont bien gagnées, est le prix de quelques têtes fendues;—on accorde à celui qui en est porteur toutes sortes d’honneurs et de considération,—au contraire, celui qui sauve la vie d’un homme au péril de la sienne est traité avec un remarquable dédain.—On appelle son action—acte de sauvetage.—Cette formule s’applique également à celui qui repêche des barriques ou des morceaux de bois,—au courant de l’eau.

Gratification est le terme dont on use à l’égard des expéditionnaires des bureaux dont on veut récompenser l’écriture propre et soignée; du reste, il en a toujours été ainsi.

Sous Louis XVI,—le pilote Boussard, de Dieppe, sauva seul huit hommes sur dix, qui périssaient sur un bâtiment naufragé.—On lui donna une pension de trois cents francs.

image d’une guêpe Il a été arrêté à l’Académie qu’on inviterait les académiciens à se rendre aux séances en costume.—Il y a bien longtemps que les Guêpes ont provoqué cette mesure;—il est douteux qu’elles obtiennent le même succès auprès des députés.

image d’une guêpe Il y a à Paris, sur le boulevard, un petit théâtre qui fait d’excellentes affaires, sous la direction de M. Mourier: c’est le théâtre des Folies-Dramatiques.—Voici une économie que l’on n’aurait pas imaginée.—Les contrôleurs qui reçoivent les billets au commencement du spectacle sont des acteurs dont la présence est nécessaire ensuite sur ce théâtre.

L’autre jour,—M. Roger de Beauvoir—s’avisa de se présenter vers neuf heures;—il prit un billet au bureau et se présenta au contrôle, où il ne trouva qu’un énorme chien qui voulut le manger.

image d’une guêpe Le vieux prince T***, usé, contrefait, et ayant l’air d’être tombé sur la tête d’un troisième étage,—se promenait à pieds dans les Champs-Élysées, péniblement soutenu par un domestique;—il rencontra un de ses amis qui lui dit:

—Eh bien! que faites-vous de G***?

(Madame G*** est une maîtresse fort connue du prince en question.)

—Ma foi, mon cher, répond le prince en toussant,—son règne est passé, le cœur n’y est plus pour rien, il n’y a plus entre nous que l’amour physique.

image d’une guêpe On a essayé dernièrement de répandre le bruit que M. Victor Hugo avait éprouvé une attaque de folie.—Ce n’est pas la première édition de cette plaisanterie.

On se rappelle encore le bruit qui avait eu lieu à la première représentation du Roi s’amuse: on chanta la Marseillaise,—on hurla le Chant du Départ, on demanda deux ou trois têtes et plusieurs perruques.—Le lendemain, la pièce fut défendue.—M. Hugo fit un procès, et, dans le cours de ce procès, fut peu bienveillant pour M. d’Argout, qui n’a laissé au ministère d’autre souvenir que celui de son nez plus qu’humain, ce dont M. d’Argout conserve encore un vif ressentiment.

Plus tard, on représenta Lucrèce Borgia.—Le lendemain de la représentation, un grand nombre d’amis de M. Hugo vinrent le féliciter de son succès.—Au nombre des visiteurs était un jeune poëte,—fils d’un imprimeur et compositeur dans l’imprimerie de son père;—ledit père, qui est mort aujourd’hui, imprimait un journal ayant pour titre: le Télégraphe des départements.

Après être resté une heure chez M. Hugo, le jeune homme le quitta pour aller composer le journal;—il se met à l’ouvrage; mais quel est son étonnement lorsque, dans la part de manuscrit qui lui est échue, il voit cette phrase:

«M. Victor Hugo vient d’être attaqué d’une folie furieuse; sa famille a dû le faire transporter à Charenton.»

Il laissa cette phrase sans la composer, et chargea le prote de l’avertir quand M. ***, rédacteur du journal et secrétaire de M. d’Argout, viendrait ce qu’on appelle corriger les épreuves.

En effet, ce monsieur arrive, il va le trouver et lui dit qu’il n’avait pas composé la phrase parce que le renseignement était faux, qu’il quittait M. Hugo à l’instant même, etc., etc.

M. *** lui répondit qu’il eût à garder ses avis pour quand on les lui demanderait, qu’il s’occupât de son ouvrage, et eût la bonté de ne pas se mêler du reste.

Le jeune homme s’y refuse et va trouver son père.

Le père répond majestueusement que cela ne le regarde pas; que, s’il lui fallait s’assurer de la vérité de ce que les journaux lui donnaient à imprimer, le papier sortirait souvent de chez lui plus blanc qu’il n’y était entré.

Enfin la nouvelle fut insérée et copiée les jours suivants par tous les journaux de départements.

Je l’ai déjà fait remarquer,—si on vous dit: «L’épicier du coin a battu sa femme,» vous direz: «En êtes-vous bien sûr?» Mais si l’on vous dit qu’un homme célèbre par son talent est devenu enragé et a mordu trois personnes, vous dites: «Il paraît que le grand poëte un tel a mangé beaucoup de monde dans un accès d’hydrophobie.»—Il est si doux pour les envieux de rabaisser par quelque côté celui qui s’élève au-dessus d’eux,—qu’ils ne s’avisent jamais de prendre la moindre information: la chose n’aurait qu’à ne pas être vraie!

image d’une guêpe L’autre jour il me tomba sous les yeux un article de M. Delecluse, qui est chargé dans le Journal des Débats de la critique d’art.

Je parcourus cet article et je vis avec chagrin que je ne me trouvais d’accord presque en rien dans mes jugements sur le Salon de cette année avec le révérend M. Delecluse.

L’article commençait par un grand éloge de M. Bidault, dont je vous ai signalé le tableau à propos de l’exposition de peinture,—et par une attaque violente contre la nature.

En effet, selon M. Delecluse, le plus grand tort des paysagistes, c’est de s’asservir à l’imitation servile de la nature;—ceux qui font le contraire et qui ne se préoccupent pas trop de ladite nature ont, aux yeux de M. Delecluse, par cela même un avantage unique et un mérite inestimable.

En effet—et je suis honteux de mon erreur,—il n’y a pas trop de dédain possible pour ces peintures timides et sans génie—qui s’asservissent ainsi à l’imitation de la nature au lieu de lutter avec elle, et d’inventer un autre soleil.—M. Delecluse n’est pas content de la nature: je ne sais s’il a à se plaindre d’elle, je n’ai jamais vu cet écrivain;—toujours est-il qu’il veut qu’on lui fasse mieux que cela.

image d’une guêpe Parlez-moi de M. Bidault—à la bonne heure—et de M. Victor Bertin, et de M. Édouard Bertin, et de M. Aligny.—Voilà des hommes! Croyez-vous qu’ils s’amusent à copier servilement un arbre—un de ces mauvais vieux arbres communs comme la nature, cette vieille radoteuse, en met partout?—Regardez les paysages de ces messieurs,—je veux mourir si j’ai jamais vu d’arbres comme les leurs—et les montagnes—et les hommes—et les chevaux—et la lumière,—voilà qui n’est pas copié servilement!—voilà qui est une création!—voilà qui n’appartient qu’à ces grands peintres! voilà où la nature n’a rien à réclamer!—Vous ne verrez pas là de ces chevaux vivants, souples, bondissant dans les prairies—de ces chevaux comme on en voit partout.—Fi donc!

Vous ne verrez pas des hommes ayant les bras attachés aux épaules—et la tête sur le cou.—C’est trop commun.

Vous ne verrez pas là de ces arbres qui balancent dans l’air leurs beaux panaches pleins d’oiseaux, pleins de chants et pleins d’amours—allons donc!—on ne voit que ça au mois de mai.

Vous ne verrez pas dans les tableaux de ces grands peintres selon le cœur de M. Delecluse cette lumière commune qui donne aux objets leurs couleurs diverses—fi donc! la lumière de M. Bidault est grise;—celle de M. E. Bertin est brune, chacun a la sienne.

Parlez-moi donc auprès de cela de rapins comme Brascassat, qui vous fait honteusement de l’herbe qu’un mouton viendrait brouter, et des moutons sur lesquels se jetterait un loup.

Parlez-moi de malheureux comme M. Wickemberg qui vous fait de la glace devant laquelle on a froid—et de vrais enfants comme vous en avez vu sur la place du Louvre avant d’entrer.

Et ce pauvre M. Béranger avec son lièvre et sa perdrix,—quelle misérable et servile imitation de la nature!—c’est à s’y méprendre;—et cet autre,—j’ose à peine le nommer, Meissonnier—avec son fumeur! Comment le jury admet-il de semblables choses au Salon?

image d’une guêpe Le jury se montre cependant tous les ans bien digne de comprendre et d’appliquer la théorie de M. Delecluse, belle et ravissante théorie! En effet, qu’est-ce que l’imitation de la nature dans le paysage?—c’est aussi méprisable que la ressemblance dans un portrait.

Ah! monsieur Delecluse,—vous venez de publier un roman qui s’appelle Olympia,—vite qu’on m’envoie Olympia,—que je lise Olympia! j’espère bien ne pas trouver là de ces serviles imitations de la nature,—de ces communes études du cœur humain;—au nom du ciel, que l’on m’envoie bien vite Olympia!

image d’une guêpe M. R*** vient, dit-on, de faire un riche héritage; sur ce, il a invité un certain nombre de ses anciens amis à un dîner au Rocher de Cancale.—Le choix du lieu,—la renommée gastronomique de l’amphitryon, sa nouvelle position financière,—tout avait alléché les amis;—mais quel ne fut pas leur triste étonnement quand ils virent que le festin se composait d’une soupe à l’oignon,—de veau aux carottes! Les figures se sont allongées,—et même, à un des bouts de la table, un des amis désappointés se mit à dire: «R*** a passé la première moitié de sa vie à cacher sa misère; il va passer la seconde moitié à cacher sa fortune.»—Heureusement que le vin de Champagne, qui fut servi à profusion, vint égayer la fin du dîner.

image d’une guêpe Quand on lit l’histoire avec un peu d’attention, on voit qu’elle se compose en général d’événements imprévus et impossibles,—que le plus hardi romancier n’oserait admettre dans ses livres.

S. M. Louis-Philippe est aujourd’hui roi des Français;—voici une petite anecdote que je trouve dans un bouquin de 1780, et qui constate à quel point cela paraissait impossible alors: «M. le duc de Chartres[D] étant allé, suivant l’usage, prendre les ordres du roi[E] au sujet de son intention d’instituer gouverneur de ses enfants[F] madame la comtesse de Genlis,—Sa Majesté a fait un moment de réflexion, puis a dit: «J’ai un dauphin[G]; Madame[H] pourrait être grosse.—Le comte d’Artois[I] a plusieurs princes[J], vous pouvez faire ce que vous voudrez.»

image d’une guêpe Voici, dans le même bouquin,—des phrases assez singulières:

«Les Parisiens, qui devraient s’indigner de se voir insensiblement constitués prisonniers et renverser cette muraille extravagante, ne font qu’en rire; elle leur sert de spectacle et de but de promenade; ils s’amusent à la voir croître par degrés.»

Remarquez qu’il ne s’agit ni des forts, ni de l’enceinte continue,—on veut parler de la muraille et des barrières de Paris, construites en 1780.

image d’une guêpe Le droit de visite, dont abuse si étrangement l’Angleterre et que tolère plus étrangement encore le gouvernement français,—est une question plus sérieuse qu’on ne pense.

J’ai été le premier à attaquer par le ridicule—les besoins que les journaux prêtaient au peuple,—la réforme électorale,—et autres marrons qu’on voulait lui faire tirer du feu;—mais ici ce n’est plus le cas de plaisanter:—le peuple français est orgueilleux,—cet orgueil est un arbre dont sortent deux branches:—l’une produit les vaudevilles,—où il écoute et applaudit avec fureur l’éloge de sa propre bravoure;—elle produit le rappel à l’ordre d’un député qui ose dire à la Chambre que les Français ont quelquefois été vaincus.

Mais l’autre donne pour fruits les traits d’héroïsme et de dévouement des guerres de la Révolution et de l’Empire,—et les belles actions qu’on a admirées dans les récentes campagnes d’Afrique.

C’est un arbre qu’il faut laisser debout.

Il ne faut pas attaquer les Français dans leur vanité.

Jusqu’au fond des boutiques et des campagnes, on voit des épiciers et des paysans humiliés, tristes, furieux,—des affaires du Marabout et de la Sénégambie.

L’opposition au recensement était une sottise,—c’était du bruit pour du bruit;—mais dans l’affaire du droit de visite, l’orgueil national est blessé,—car, il faut le redire, c’est une lâcheté.

image d’une guêpe Je dénonce à l’admiration des contemporains une nouvelle femme de lettres, mademoiselle Godin. Cette muse annonce à la fois une épître en vers et du chocolat.—On trouve les deux objets à la même adresse.—L’épître se vend à la livre, et le chocolat au cent.—Peut-être, cependant, est-ce le chocolat qui se vend à la livre.—Du reste, voici l’annonce telle qu’elle est faite:

«Demoiselle GODIN, rue..... CORRESPONDANCE AMOUREUSE, en vers, d’un Pêcheur picard avec une cuisinière de la rue Saint-Honoré; 25 c. Par la poste, 30 c.; le cent 15 fr.—CHOCOLAT fin, 1 fr.; surfin, 2 fr. 40 c.; Caraque, 3 fr.; praliné, le plus exquis des bonbons, 4 fr.»

image d’une guêpe Une académie propose un prix pour la destruction de la pyrale, insecte qui attaque la vigne, au vigneron qui aura découvert le meilleur moyen.

Or, quel est ce prix? Un ouvrage du savant M. Audoin sur la pyrale.

Si l’ouvrage est bon, pourquoi mettre au concours des moyens préférables à ceux qu’il indique?

Si l’on a besoin d’autres moyens, si ceux donnés par M. Audoin sont insuffisants—que sera-ce pour le vigneron qu’un prix consistant en un ouvrage inférieur à celui qu’on demande de lui sur le même sujet?

Est-ce que par hasard cela ne serait pas absurde?

image d’une guêpe Voici un exemple frappant des excès auxquels peut se porter un homme qui a de l’huile à vendre.—La plupart des journaux ont reproduit (un franc la ligne) l’annonce que voici.

L’homme qui a de l’huile à vendre commence par des conseils sévères et d’amers reproches au gouvernement de son pays. Il met son huile dans l’opposition; je copie textuellement:

«La tolérance du gouvernement, qui après avoir reconnu que la religion catholique était celle de la majorité des Français, et qui néanmoins par son indifférence et surtout par son exemple, en faisant travailler aux édifices publics les dimanches et les fêtes solennelles de l’année, est cause que cette interdiction est sur ce point généralement transgressée; cette infraction au troisième commandement de Dieu, loin d’ébranler nos croyances, les raffermit plus que jamais. Comme il ne suffit pas de rendre à César ce qui appartient à César, et qu’il faut aussi rendre à Dieu ce qui est à Dieu, nous sommes fier de résister à un entraînement qui n’est imité par aucun autre gouvernement, attendu qu’ils savent tous très-bien que, quand Dieu n’a plus d’empire sur les hommes, les gouvernements n’ont plus d’action sur les esprits.

«Pour nous, ajoute l’homme qui a de l’huile à vendre, conséquent avec nos croyances, fidèle à la ligne que nos pères nous ont tracée, nous nous interdisons toute œuvre servile le dimanche.

«Nous sommes resté stationnaire malgré l’entraînement des siècles.»

L’homme qui a de l’huile à vendre se jette dans d’amers regrets du passé. «Les usages du bon vieux temps, dit-il, étaient en harmonie avec les usages de nos pères, qui, plus sages que nous, apportaient dans leurs relations, intimes ou commerciales, une franchise et une urbanité, qui malheureusement se sont éloignées de nos mœurs.—Mais le goût ancien reprend dans les objets matériels, dans les ameublements, les constructions et les édifices publics.»

L’homme qui a de l’huile à vendre—entrevoit de flatteuses espérances pour l’avenir de sa patrie. «Les nobles et antiques usages du bon vieux temps renaîtront aussi dans la morale publique;—et déjà ne voyez-vous pas un retour aux mœurs de nos pères dans la direction d’un établissement où, tout en s’abstenant scrupuleusement de travailler le dimanche,—la vieille loyauté, les croyances religieuses et les principes de son fondateur forment une puissante garantie, et lui font un commandement de ne livrer aux consommateurs en huile à manger que celles provenant uniquement de l’olivier!»

Voilà l’huile annoncée!—Cela se fait un peu plus attendre que le chapon de Petit-Jean;—mais nous n’y perdons pas;—certes, il est un des héros de comédie auquel Molière n’aurait pas prêté un meilleur langage, si Tartufe avait eu de l’huile à vendre.

image d’une guêpe Je suis sûr que M. Aymès se consolera de cette remarque innocente, en songeant que les Guêpes lui font en même temps une annonce,—et une annonce qui ne lui coûte rien.

1er mai.

image d’une guêpe Comme il fait beau dans la campagne!—Les pommiers sont couverts de leurs fleurs blanches et roses;—les fauvettes chantent dans les feuilles,—les insectes bourdonnent dans les fleurs.—Comment dire tout ce qui s’épanouit,—tout ce qui chante dans le cœur?—Le soir, les yeux quittent la terre et les fleurs,—et contemplent le ciel et les étoiles;—mais les campagnes sont désertes;—il y a fête à la ville; c’est la fête du roi;—et le peuple se soucie bien des étoiles et des parfums du soir quand il peut voir des lampions et respirer l’odeur du suif.

FIN DU TROISIÉME VOLUME.

TABLE DES MATIERES

 
1841
 

JUILLET.—A Victor Hugo.—Le rossignol et les oies.—1.—40.—450.—33,000,000.—M. Conte.—Les lettres et la poste.—Les harpies.—M. Martin (du Nord).—Nouvelles de la prétendue gaieté française.—La queue de la poêle.—Un trait d’esprit du préfet de police.—Les chiens enragés.—Les journaux.—Renseignement utile aux gens d’Avignon.—Où est le tableau de M. Gudin.—M. Quenson dénoncé.—A monseigneur l’archevêque de Paris.—Mots nouveaux.—Victoria à Rachel.—Les esclaves et les domestiques.—L’Opéra.—Le Cirque-Olympique.—Le duc d’Orléans.—Le maréchal Soult.—Nouvelles frontières de la France.—Les vivants et les morts.—M. de Lamartine.—La postérité.—M. Hello accusé de meurtre.—La Fête-Dieu.—Giselle.—M. Ancelot.—M. de Pongerville.—Les vautours.—M. Villemain.—Une voix.—M. Garnier-Pagès.—Un oncle.—Le charbon de terre et les propriétaires de forêts

1

AOUT.—Les anniversaires.—Paris et Toulouse.—Les trois journées de Toulouse.—M. Floret.—M. Plougoulm.—M. Mahul.—M. de Saint-Michel.—Ce qu’en pensent Pascal, Rabelais et M. Royer-Collard.—Un quatrain.—Le peuple et l’armée.—Les Anglais.—Un pensionnat à la mode.—Les maîtres d’agrément.—A monseigneur l’archevêque de Paris.—Un projet de révolution.—Un baptême.—Une lettre de M. Dugabé.—Le berceau du gouvernement représentatif.—En faveur d’un ancien usage, excepté M. Gannal.—Parlons un peu de M. Ingres.—Un chat et quatre cents souris.—Le roi et les archevêques redevenus cousins.—A M. le vicomte de Cormenin.—M. Thiers en Hollande.—Contre l’eau.—MM. Mareschal et Souchon.—Les savants et le temps qu’il fait.—Les citoyens les plus honorables de Lévignac, selon M. Chambolle.—Triste sort d’un prix de vertu.—De l’héroïsme.—La science et la philanthropie.—Les médailles des peintres.—Les ordonnances de M. Humann.—De l’homicide légal.—AM RAUCHEN sur le bonheur

31

SEPTEMBRE.—Diverses réponses.—L’auteur rassure plusieurs personnes.—M. Molé.—M. Guizot.—M. Doublet de Bois-Thibault.—La vérité sur plusieurs choses.—Les protestations.—Les adresses.—Les troubles.—Ce que c’est qu’une foule et une masse.—Le peuple des théâtres et le peuple des journaux.—L’évêque d’Évreux et l’archevêque de Paris.—Dénonciation contre les savants.—M. Montain.—En quoi M. Duchâtel ressemble à Chilpéric.—Le suffrage universel.—Naïveté.—La pudeur d’eau douce et la pudeur d’eau salée.—Les fêtes de Juillet.—Apparition de plusieurs phénomènes.—Toujours la même chose.—Les banquets.—M Duteil et M. Champollion.—Voyage du duc d’Aumale.—Est-ce une pipe ou un cigare?—Histoire d’un député.—Sur quelques noms.—Les bureaux de tabac.—A M. Villemain.—A M. Rossi.—En faveur de M. Ledru-Rollin.—Les Parias.—Madame O’Donnell

61

OCTOBRE.—A M. Augustin, du café Lyonnais.—BILAN de la royauté.— M. Partarrieu-Lafosse.—La charte constitutionnelle.—L’article 12 et l’article 13.—Moyen nouveau de dégoûter les princes de la flatterie.—BILAN de la bourgeoisie.—M. Ganneron.—M***.—L’orgie et la mascarade.—Madame J. de Rots...—La chatte métamorphosée en femme.—BILAN de la pairie.—BILAN de la députation.—Une tombola.—Ce que demandent soixante-dix-sept députés.—Ce qu’obtiennent quarante-deux députés.—M. Ganneron.—BILAN des ministères.—M. Molé.—M. Buloz.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Thiers.—M. Guizot.—Angelo, tyran de Padoue.—Un œuf à la coque.—M. Passy.—M. Dufaure.—M. Martin (du Nord).—BILAN de l’administration.—Les synonymes.—Bilan de la justice.—BILAN de la littérature.—Les Louis XVII.—La parade.—Louis XIV et les propriétaires de journaux.—M. Dumas et M. de Balzac.—BILAN de la police.—Facéties des enfants de Paris.—Trois minutes de pouvoir.—BILAN de l’Église.—Les bons curés.—M. Ollivier.—M. Châtel.—M. Auzou.—BILAN de l’armée.—BILAN du peuple.—Frédéric le Grand.—Le pays.—BILAN de la presse.—Dieu ou champignon.—La sainte ampoule et les écrouelles.—BILAN de l’auteur

94

NOVEMBRE.—Les papiers brûlés.—Service rendu à la postérité.—Une phrase du Courrier français.—PREMIÈRE OBSERVATION.—De la rente.—DEUXIÈME OBSERVATION.—L’infanterie et la cavalerie.—TROISIÈME OBSERVATION.—Les que.—QUATRIÈME OBSERVATION.—Une épitaphe.—CINQUIÈME OBSERVATION.—Réponse à plusieurs lettres.—M. de Cassagnac et le mal de mer.—De la solitude.—M. Lautour-Mézeray.—Abdalonyme.—M. Eugène Sue.—M. Véry.—Louis XIII.—M. Thiers et M. Boilay.—Deux mots de M. Thiers.—Un rédacteur entre deux journaux.—Encore le roi et ses maraîchers.—M. Cuvillier-Fleury.—M. Trognon.—M. de Latour.—Charlemagne.—La Salpêtrière.—La police et les cochers.—Les cigares de Manille.—Sagacité d’un carré de papier.—SIXIÈME OBSERVATION.SEPTIÈME OBSERVATION.HUITIÈME OBSERVATION.—Sur l’égalité.—Un blanc domestique d’un noir.—Caisse d’Épargne.—Les mendiants.—Aperçu du Journal des Débats.—Arbor sancta, nouveau chou colossal.—NEUVIÈME OBSERVATION.—Jules Janin, poëte latin.—Une caisse.—Éducation des enfants.—DIXIÈME OBSERVATION.—La vérité sur Anacréon et sur ses sectateurs.—Une élection.—ONZIÈME OBSERVATION.DOUZIÈME OBSERVATION.—Post-scriptum.

123

DÉCEMBRE.—Les tombeaux de l’empereur.—M. Marochetti.—M. Visconti.—M. Duret.—M. Lemaire.—M. Pradier.—Un nouveau métier.—L’arbre de la rue Laffitte.—Les annonces.—Les réclames.—Un rhume de cerveau.—Un menu du Constitutionnel.—D’un acte de bienfaisance qui aurait pu être fait.—Les départements vertueux et les départements corrompus.—M. Ledru-Rollin.—Un nouveau noble.—M. Ingres et M. le duc d’Orléans.—Les prévenus.—L’opinion publique.—Suite des commentaires sur l’œuvre du Courrier français.—M. Esquiros.—Le secret de la paresse.

163
 
1842
 

JANVIER.—Règlement de comptes.—Un pèlerinage.—M. Aimé Martin—M. Lebœuf et une trompette.—Un colonel et un triangle.—Jugement d’un jugement.—Le colin-maillard.—Les cantonniers des Tuileries à la place Louis XVI.—Les nouveaux pairs.—M. de Balzac et une petite chose.—La quatrième page des journaux et les brevets du roi.—M. Cherubini.—Le général Bugeaud.—A quoi ressemble la guerre d’Afrique.—Une bonne intention du duc d’Orléans.—La Chambre des députés.—Consolations à une veuve.—Un joli métier.—Aménités d’un carré de papier.—Une besogne sérieuse.—Correspondance.—Un secret d’influence.—Les écoles gratuites de dessin.

188

FÉVRIER.—Les fleurs de M. de Balzac.—Mémoires de deux jeunes mariées.—Les ananas.—La balançoire des tours Notre-Dame.—A monseigneur l’archevêque de Paris.—Un mot de M. Villemain.—Un conseil à M. Thiers, relativement à l’habit noir de l’ancien ministre.—Une annonce.—Un député justifié.—Sur quelques Nisards.—M. Michelet et Jeanne d’Arc.—M. Victor Hugo archevêque.—M. Boilay à Charenton.—Une lettre de M. Jean-Pierre Lutandu.—Une nouvelle invention.—Seulement...—Une croix d’honneur et une rose jaune.—Les Glanes de mademoiselle Bertin.—MM. Ancelot, Pasquier, Ballanche, de Vigny, Sainte-Beuve, A. Dumas, Vatout, Patin, de Balzac, l’évêque de Maroc.—Question d’Orient.—Le roi de Bohême.—M. Nodier.—M. Jaubert.—M. Liadières.—M. Joly.—M. Duvergier de Hauranne Grand-Orient.—Le général Hugo.—Naïveté de deux ministres.—M. Aimé Martin et la Rochefoucauld.—Pensées et maximes de M. Aimé Martin.—Éloge de M. Aimé Martin.—Au revoir

209

MARS.—Les bals de l’Opéra.—Une rupture.—M. Thiers et les Guêpes.—Le bal du duc d’Orléans.—Plusieurs adultères.—Grosse scélérate.—Une gamine.—Sur quelques Nisards (suite).—Les capacités.—M. Ducos.—M. Pelletier-Dulas.—A. M. Guizot.—L’acarus du pouvoir.—Grattez-vous.—M. Ballanche.—M. de Vigny.—M. Vatout.—M. Patin.—Le droit de visite.—M. de Salvandy et M. de Lamartine.—Les chaises du jardin des Tuileries.—Une prompte fuite à Waterloo.—Le capitaine Bonnardin.—M. Gannal au beurre d’anchois.—A M. E. de Girardin.—M. Dumas.—M. Ballanche.—M. Pasquier.—M. Dubignac

233

AVRIL.—Une pension de mille écus et M. Hébert.—Longchamps.—M. de Vigny.—M. Patin.—M. Royer-Collard.—Remède contre le froid aux pieds.—M. C. Bonjour, le roi Louis-Philippe, M. Rudder et M. Cayeux.—EXPOSITION DU LOUVRE: M. Hébert à propos du portrait de la reine.—Louis XVIII et un suisse d’église.—M. Vickemberg et M. Biard.—M. Meissonnier et M. Béranger.—M. Gudin.—Le lion de M. Fragonard.—M. Affre.—Monseigneur de Chartres.—M. Olivier et une dinde truffée.—La Vierge de Bouchot.—Les ânes peints par eux-mêmes.—Question des sucres.—Un tailleur à façon.—Lorenzino de M. Al. Dumas.—Un vendeur de beau temps.—M. Listz.—Le cancan, la béquillade, la chaloupe, dansés par M. de B., au dernier bal de madame la duchesse de M...—M. Dubignac sur Napoléon, les femmes et l’amour, etc., etc.—Succès pour le commerce français, obtenu sur la plaidoirie de Me Ledru-Rollin

259

MAI.—Le roi Louis-Philippe et le jardinier de Monceaux.—Un concurrent à M. Emile Marco de Saint-Hilaire.—Propos légers d’une Dame.—M. de Lamartine au château.—M. Aimé Martin et la reine d’Espagne.—Le sucre.—Les rues de Paris.—Les morts d’avril.—M. Boursault.—Le duc de Joinville.—Un costume complet.—M. Lacave-Laplagne et M. Royer-Collard.—Un bon livre.—Dialogue de M. d’Arlincourt.—Un vicaire général et un curé.—M. Surgis.—Éloge d’un tailleur.—M. Nodier et M. Flourens.—Les eaux.—M. Perlet.—M. Romieu et le Cid.—Un triomphe de M. de Balzac.—M. Roger de Beauvoir au contrôle des Folies-Dramatiques.—Un bruit sur M. Hugo.—De M. Delecluse.—Comme quoi il est brouillé avec la nature.—Un souvenir historique.—Opinion d’un journaliste de 1780 sur les fortifications de Paris.—Encore le droit de visite.—Une nouvelle muse.—Bévue d’une Académie.—Un homme qui a de l’huile à vendre.—Le 1er mai.

286

FIN DE LA TABLE DU TROISIÈME VOLUME.

      Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.      

LES
GUÊPES

ŒUVRES
D’ALPHONSE KARR
Format grand in-18.
LES FEMMES1 vol.
AGATHE ET CÉCILE1 —
PROMENADES HORS DE MON JARDIN1 —
SOUS LES TILLEULS1 —
LES FLEURS1 —
SOUS LES ORANGERS1 —
VOYAGE AUTOUR DE MON JARDIN1 —
UNE POIGNÉE DE VÉRITÉS1 —
LA PÉNÉLOPE NORMANDE1 —
ENCORE LES FEMMES1 —
MENUS PROPOS1 —
LES SOIRÉES DE SAINTE-ADRESSE1 —
TROIS CENTS PAGES1 —
LES GUÊPES6 —

En attendant que le bon sens ait adopté cette loi en un article, «la propriété littéraire est une propriété,» l’auteur, pour le principe, se réserve tous droits de reproduction et de traduction, sous quelque forme que ce soit.

      Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.      

LES

GUÊPES

PAR

ALPHONSE KARR

—QUATRIÈME SÉRIE—

NOUVELLE ÉDITION


colophon

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS

1859
Reproduction et traduction réservées

LES GUÊPES

Juin 1842.

Un feuilleton de M. Jars, membre de la Chambre des députés.—Les vieilles phrases et les vieux décors.—Les enseignements du théâtre.—Un nouveau cerfeuil.—Les circonstances atténuantes.—M. Jasmin.—Un peintre de portraits.—La refonte des monnaies.—M. Lerminier.—M. Ganneron.—M. Dosne.—M. l’Herbette.—M. Ingres.—M. Boilay.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Étienne.—M. Enfantin.—M. Enouf.—M. Rossi.—Le droit de pétition.—M. l’Hérault.—M. Taschereau.—M. d’Haubersaert.—M. Bazin de Raucou.—Madame Dauriat.—Les tailleurs.—M. Flourens.—Le Journal des Débats, Fourier et Saint-Simon.—Pétition de M. Arago.—Le droit de visite.—Un éloge.

image d’une guêpe On a trouvé d’assez mauvais goût un feuilleton fait par M. Jars à la Chambre des députés;—ce feuilleton, outre des compliments à mademoiselle Georges—et une déclaration d’amour à mademoiselle Rachel, renferme une particularité assez curieuse.—Selon M. Jars, les directeurs des théâtres vont chaque matin chez les auteurs, et leur disent: Voici de l’or! travaillez pour nous, travaillez vite!

M. Jars—adresse ensuite quelques reproches et quelques conseils aux auteurs.

Quand on a à porter un nom comme celui de M. Jars, on devrait, ce nous semble,—l’exposer beaucoup moins aux hasards du calembour.

image d’une guêpe Il est, selon nous, à la fois odieux et ridicule de voir cette même Chambre, qui traite si légèrement tant d’autres choses,—accorder chaque année une si grotesque importance aux divers tréteaux comiques et tragiques de Paris.

image d’une guêpe M. Auguis a demandé une chose presque raisonnable,—à savoir: que la ville de Paris fût chargée de payer les subventions des théâtres qui la divertissent plus ou moins.—N’est-il pas en effet singulier que le pauvre paysan breton ou alsacien—soit obligé de payer sa part de la subvention accordée à l’Opéra, au Théâtre-Français, à l’Opéra-Comique—de Paris!

image d’une guêpe Du reste, je signalerai ici une tactique assez habile de la part de la direction de l’Opéra.

Beaucoup de MM. les députés et de MM. les journalistes jouissent d’une entrée gratuite à l’Opéra.

Il y a un article du règlement qui défend d’accorder ces entrées. Or, au moment où la Chambre arrive à ce qu’on appelle ussion de la subvention de l’Opéra,—pour que les députés et les journalistes qui ont promis de l’appuyer n’oublient pas leur engagement, pour que les autres aient au moins le soin de rester neutres et muets,—la direction de l’Opéra—fait mettre dans tous les journaux une note qui rappelle la prohibition de l’article tant du règlement—et invite les personnes ayant droit aux entrées à faire établir ce droit sous bref délai.

Ce qui, pour les privilégiés, veut dire: «Vous voyez que vous n’avez aucun droit à la faveur dont vous jouissez; vous voyez qu’il nous est même défendu de vous l’accorder;—une faveur surtout gratuite ne peut pas se donner pour rien;—ayez donc soin de la mériter et faites votre devoir.»

image d’une guêpe Et alors, députés et journalistes sortent d’une des cases de leur cervelle cinq ou six phrases vermoulues consacrées à cette question,—absolument comme on sort de temps en temps du magasin les vieux décors de la Vestale et de Fernand Cortez. «L’Opéra est une gloire nationale;—le Théâtre-Français est l’école des mœurs;—la comédie est le miroir des vices: castigat ridendo mores; c’est l’utile dulci d’Horace; c’est la morale embellie par les grâces; c’est un magasin de hauts enseignements,» etc., etc.

image d’une guêpe Cette fois-ci, je résolus de savoir ce qu’il en était—et de m’assurer par moi-même des heureux effets que produit le théâtre sur la morale publique.

A cet effet, j’allai me mêler aux groupes qui, à la sortie du spectacle, se pressent autour de la statue de Voltaire, sous le péristyle du Théâtre-Français,—pour surprendre les impressions que venaient de recevoir les spectateurs des hauts enseignements qui leur étaient présentés.

ENSEIGNEMENT DU THÉÂTRE.

Premier groupe.

—Je ne comprends pas que mademoiselle *** mette une robe verte avec des rubans bleus.

—Quel âge peut bien avoir ***?

—Vous croyez....

—J’ai vu ses débuts....

—Il est changé.

Deuxième groupe.

J’aimerais bien mademoiselle ***.

—Elle a un amant,

—Est-il riche?

—C’est lui qui a donné les diamants qu’elle portait ce soir.

—Ah! ah!—ils sont fort beaux.

—Ce gaillard-là ne laisse aux autres que la ressource d’être aimés pour rien.

Troisième groupe.

—Quand je pense que je demeure sur le carré de cet homme-là et qu’il est si tranquille!

—Vous ne l’entendez jamais déclamer?

—Non. Il est toujours à cultiver ses œillets.

Quatrième groupe.

—Où allez-vous, demain matin?

—J’irai au bois de Boulogne.

—A cheval?

—Non!—en voiture.—Et vous?

—Moi je comptais aller à cheval,—mais si vous voulez me donner une place, prenez-moi en passant,

—Avez-vous encore de ces cigares?...

—Oui!—j’en apporterai.

Cinquième groupe.

—Au nom du ciel, ne m’envoyez plus de bouquets, mon mari s’en inquiète.

—A quelle heure serez-vous...

—Chut!—le voilà.

Sixième groupe.

—Mais, monsieur, pourquoi me poussez-vous comme cela?

—Monsieur, je vous demande mille pardons.

—Monsieur, il n’y a pas de quoi.

—Ah! mon Dieu! le coquin avait de bonnes raisons pour me pousser, il m’a volé ma montre.

Septième groupe.

—Certainement, je ne m’en irai pas à pied.

—Mais, ma bonne, il fait un temps superbe,

—C’est égal, je suis fatiguée.

Huitième groupe.

—Mademoiselle *** est faite comme un ange.

—Elle n’a pas de gorge.

—Il m’a semblé, cependant...

—Je te dis que je sais à quoi m’en tenir.

Neuvième groupe.

—Croiriez-vous qu’on ne m’a envoyé qu’une stalle d’orchestre!

—C’est comme à moi,

—Je vais joliment éreinter la pièce.

—Et moi donc!

—Avec ça que le cinquième acte est trop long.

—Et puis cela traîne partout.

—Je vais faire mon article tout de suite.

Dixième groupe.

—Les banquettes sont furieusement dures.

—On peut dire qu’elles sont rembourrées avec des noyaux de pêches.

—Hi! hi! hi!

image d’une guêpe Le péristyle se désemplissait peu à peu;—dans le dernier flot de foule qui sortait une femme jeta un cri;—son mari, qui lui donnait le bras,—lui demanda ce qu’elle avait.

—Ce n’est rien, mon ami.

—Tu n’aurais pas crié pour rien.

—C’est quelqu’un qui m’a poussée.

Le mari jette autour de lui un regard menaçant.

Un homme qui était derrière eux a déjà disparu.

Je savais à quoi m’en tenir sur les hauts enseignements de cette école des mœurs.—J’allumai un cigare et je rentrai chez moi.

image d’une guêpe Laquelle est-ce de vous, mes guêpes,—que j’ai chargée de la surveillance de messieurs les savants et de mesdames leurs inventions?

—C’est vous, Grimalkin...—N’avez-vous rien à me dire?

—Si, vraiment, maître;—M. Lissa a envoyé à la Société royale d’horticulture de Paris des graines de cerfeuil bulbeux,—plante qu’il a introduite en France—et dont il enrichit nos jardins.

—C’est donc un fameux cerfeuil, Grimalkin?

—Je le crois bien, maître.—On l’appelle chacrophyllum bulbosum.

—Et qu’a dit la Société royale d’horticulture?

—Elle a reçu avec plaisir et reconnaissance...

—Mais enfin quels avantages présente ce cerfeuil?

—Je ne sais pas, maître.

—Vous me direz au moins quelle différence?

—Oh! il y en a une:—le rédacteur des Annales de la Société, tout en conseillant de le cultiver, conseille de n’en pas trop manger, parce que plusieurs raisons lui font penser qu’il pourrait bien être vénéneux.

«Il faut le semer en automne—ou en février au plus tard.»

—A moins qu’on ne le sème pas du tout, Grimalkin.

image d’une guêpe Le jury et les circonstances atténuantes vont toujours leur train.

DÉPARTEMENTS (Isère).—Pont-de-Beauvoisin.—Une accusation de parricide accompagnée de circonstances horribles était portée aux assises de l’Isère contre Jean Boudrier, de Pont-de-Beauvoisin, accusé d’avoir mis le feu à une grange où dormait son père, vieillard octogénaire et paralytique. A peine si le lendemain, dans les décombres de l’incendie, on a retrouvé quelques ossements humains calcinés.

Les péripéties de ce drame, qui s’est terminé par une scène aussi terrible, duraient depuis quinze ans, époque à laquelle Jean Boudrier, fuyant la maison paternelle, avait proféré pour dernier adieu ces atroces paroles: «Je voudrais voir rôtir mon père comme un crapaud sur une pelle.»

Le jury a reconnu Jean Boudrier coupable du crime dont il était accusé, mais avec des circonstances atténuantes. En conséquence, Jean Boudrier a été condamné aux travaux forcés à perpétuité.

image d’une guêpe Je vous le disais bien, il y a un an,—que vous seriez honteux d’avoir soutenu les fortifications:—et vous, monsieur Barrot, qui les attaquez maintenant à la tribune,—et vous journalistes qui les invectivez dans vos feuilles,

image d’une guêpe M. Jasmin, coiffeur et poëte, est arrivé à Paris où il a dîné avec le roi Louis-Philippe, et avec MM. les coiffeurs de la capitale;—il a été invité et reçu dans plusieurs maisons du faubourg Saint-Germain.

Rapprochez ceci de ce que je vous ai dit de ce dîner où le roi fit semblant de ne pas savoir que M. de Lamartine fait des vers, et vous en tirerez pour conséquence ce que je vous ai répété déjà bien des fois.

O poëtes,—vous serez toujours méprisés et dédaignés.—La presse est arrivée aux affaires, aux honneurs (quels honneurs!) mais la presse n’est pas plus la poésie, que les Cosaques ne sont l’armée russe.

Les ravages qu’a causés la presse sur son passage—n’ont fait qu’ajouter un peu de haine au mépris que l’on avait pour vous.

On n’accueillerait pas ainsi au château un poëte qui ne serait pas en même temps perruquier.

Peut-être,—par suite de cette affaire,—quelques poëtes vont se faire coiffeurs,—et je n’y verrai pas grand mal;—mais je suis sûr que depuis huit jours les jeunes coiffeurs inoccupés ont fait plus de trois millions de vers.

image d’une guêpe Voici ce qui arrive à un peintre qui fait un portrait, sauf les nuances qu’apportent nécessairement la position sociale et l’éducation du modèle.

—Monsieur, suis-je bien ainsi?

—Madame, je ne saurais trop vous recommander de prendre une position naturelle.

—Mais, monsieur, je ne crois pas me maniérer.

—Ce n’est pas ce que je veux dire, madame; je veux simplement vous engager à prendre la pose qui vous est la plus habituelle; je ne puis peindre que ce que je vois, et il faut avant tout que la personne que l’on peint tâche de se ressembler à elle-même.

La femme considère cette observation comme non avenue: elle garde une pose prétentieuse et maniérée; elle lève les yeux au ciel, ou les ferme languissamment; elle serre les lèvres pour se rapetisser la bouche; elle est naturellement enjouée, elle prend un air majestueux.

Le peintre fait son esquisse.

—Dites-moi, monsieur, ne serais-je pas mieux ainsi?

—Je ne pense pas.

—Cependant, je pense que cela fera mieux.

Elle prend une pose toute différente de la première, sans être pour cela moins affectée.

Le peintre efface son esquisse. Comme il va en commencer uns autre:

—Décidément, vous aviez raison, la première pose valait mieux.

Et le malheureux artiste recommence ce qu’il a effacé.

—Je vous recommanderai la couleur de mes yeux; j’ai la faiblesse d’y tenir. Cela est excusable quand on a si peu de chose de bien.

—Madame est trop modeste; car au contraire...

Pendant ce temps, elle a encore changé de position.

—Voudriez-vous avoir la bonté, madame, de reprendre la position où vous étiez tout à l’heure?

—C’est qu’elle me gêne un peu.

—Alors, madame, prenez-en une que vous puissiez garder, car il me faut recommencer mon ouvrage chaque fois que vous remuez.

—Alors je vais reprendre celle de tout à l’heure. Suis-je bien comme cela?

—Très-bien, si vous y restez.

—Bérénice!

Entre la femme de chambre, laquelle est aussi la cuisinière.

—Bérénice, apportez-moi mon écrin.

Écrin est un mot qui n’est pas d’un usage habituel entre la maîtresse et la domestique, et dont on ne se sert que pour le peintre et pour lui donner une brillante idée de sa distinction.

—Comment dit madame?

—Ma boîte à bijoux, imbécile.

Bérénice apporte une boîte.

—Dites-moi, monsieur, quel collier et quels pendants d’oreilles me conseillez-vous de mettre?

—Ceux qui vous plairont le mieux, madame.

—Mais il me semble qu’un peintre doit avoir là-dessus des idées?

—J’aimerais assez le corail.

—Cependant, ce sont ordinairement les femmes brunes qui affectionnent le corail, et, si j’ai quelque chose de passable, c’est la blancheur de la peau.

—Je n’en ai jamais vu de plus belle.

—Je vais mettre des diamants.

—Bérénice!

—Madame?

—Avez-vous pensé à prévenir le coiffeur pour ce soir?

—Non, madame.

—A quoi sert-il alors que je vous parle? allez-y tout de suite.

—Ah! monsieur, on est bien malheureux d’avoir des domestiques; je me surprends quelquefois à envier la position d’un artiste: au moins vous êtes indépendant, vous faites vos affaires vous-même.

—Hélas! madame, je suis forcé de vous ôter cette illusion: je ne suis pas assez heureux pour cirer mes bottes moi-même;—mais je vous supplierai de tourner la tête un peu plus à droite, comme vous étiez tout à l’heure.

—Mon Dieu! monsieur, je ne sais pourquoi on n’a jamais pu me faire ressemblante; j’ai deux portraits de moi, ce sont deux horreurs. Sur le dernier, j’ai une bouche qui n’en finit pas; je vous recommanderai la bouche, ce n’est pas que j’y tienne. Quand on a une grande fille de six ans... (La fille en a neuf.)—quand on a une grande fille de six ans, il faut renoncer à toutes les prétentions; mon mari aime beaucoup ma bouche, et il serait désolé de la voir trop grande sur le portrait.

—Je vous la ferai aussi petite que vous voudrez, madame.

—Surtout, monsieur, je ne veux pas être flattée; je ne suis pas comme ces femmes qui exigent qu’on donne à leurs portraits tous les charmes qui leur manquent.—Je fais demander le coiffeur pour une soirée, pour un bal où je vais ce soir. Je n’aime guère le monde, mais on ne peut se dérober aux exigences et aux devoirs de la société. Et puis mon mari veut que je sorte un peu de la solitude, qui me plaît infiniment. Je ne sais comment m’habiller ce soir, car il ne faut pas faire peur.

—Certainement, madame...

—Pensez-vous que je ferai bien de mettre du bleu?

—Le bleu doit vous aller à ravir.

—Cependant, toutes réflexions faites, je mettrai une robe de crêpe rose.—Remarquez, s’il vous plaît, que j’ai le nez assez délicat; c’est même tout ce que j’ai de remarquable dans la figure.

—Ah! madame!

—Permettez que je voie.

—Il n’y a presque rien de fait.

—C’est égal, c’est très-joli; mais pourquoi ai-je ainsi le cou noir et bleu?

—Ce sont des ombres indiquées.

—Mais c’est que je passe au contraire pour avoir le cou très-blanc, je vous avouerai même que c’est ma prétention.

—Je vois mieux que personne, madame, que vous avez le cou d’une blancheur éblouissante; mais j’ai eu l’honneur de vous dire que ce sont des ombres que j’indique; d’ailleurs, cela ne restera pas ainsi.

—A la bonne heure.

—Voulez-vous, madame, vous remettre en place?

—Très-volontiers: suis-je bien ainsi?

—Vous êtes charmante de toutes les manières, madame; mais, si vous préférez maintenant cette pose, il va falloir que j’efface tout pour recommencer.—La tête un peu à droite,—baissez les yeux un peu plus.

—Est-ce que je n’avais pas les yeux au ciel?

—Non, madame.

—C’est singulier! c’est que c’est un mouvement qui m’est très-familier.

—Il est alors facile de changer le mouvement des yeux.

Entre un monsieur; ce monsieur est un courtier marron que madame décore du titre d’agent de change.

—Tenez, monsieur T***, mon mari veut que je me fasse peindre encore une fois.

—On ne saurait trop reproduire un aussi charmant visage.

—Voyons, T***, vous savez que j’ai horreur des compliments. Trouvez-vous que je sois ressemblante?

—Certainement, la peinture de monsieur est fort bien; je dirai plus... elle est... fort bien; mais vous êtes plus jolie que cela.

Le peintre se retourne avec l’intention de faire observer au connaisseur que le portrait n’est qu’ébauché; mais il s’arrête, et sa pensée se dessine sur ses lèvres en un sourire ironique. Le connaisseur continue:

—Il y a, ou plutôt il n’y a pas... un je ne sais quoi; enfin, monsieur, je voudrais voir ici, dans les yeux, plus de... vous comprenez, et aussi quelque chose dans le front.

—Et, dit la femme, ne trouvez-vous pas aussi que le cou est un peu noir?

—J’ai eu l’honneur, dit le peintre un peu impatienté, de dire à madame que, si je ne marque pas d’ombres, elle aura la figure plate comme une silhouette; avec plus d’attention, madame apercevrait ces ombres sur la nature.

—Ah! pour cela, dit le connaisseur, monsieur a raison: ce sont les ombres;—on ne peut chicaner les peintres là-dessus; c’est une imperfection, mais ils ne peuvent faire autrement; l’art a ses limites. Les madones de Raphaël ont peut-être un peu moins d’ombres que le portrait que fait monsieur, mais elles en ont cependant.

Le peintre, pour cette fois, se lève et annonce qu’il reviendra le lendemain. Le lendemain, on le fait attendre une heure; plus, on ne veut plus mettre de diamants, et la coiffure a été changée.

Toujours préoccupée des ombres de son cou, la dame a clandestinement enlevé et jeté ce que le peintre avait mis de bleu sur la palette.

image d’une guêpe Au moment où on s’occupe de la refonte des monnaies, M. Anténor Joly a adressé au gouvernement un mémoire dans lequel il propose un système qui a reçu l’approbation d’une grande partie des journaux.—D’après ce système,—on échapperait à la monotonie de voir sans cesse sur les gros sous la même figure de roi d’un côté, et de l’autre l’invariable couronne de chêne.

On se rappelle ce paysan qui exilait Aristide seulement parce que cela l’ennuyait de l’entendre appeler le Juste. Qui sait si les révolutions n’ont pas pour principe l’ennui de voir toujours la même figure sur les pièces de monnaie?

Selon le nouveau système, nos sous seraient frappés aux diverses effigies des grands hommes:—d’un côté le visage,—de l’autre les vertus et belles actions.—De même qu’on dit un louis,—un napoléon,—un philippe,—on dirait un martin,—un chambolle,—un lerminier.—J’aurais bien quelques objections à faire à cette innovation:

1º Nous avons beaucoup de grands hommes fort laids;—l’aspect trop fréquent de leur figure pourrait diminuer sensiblement le respect que méritent leurs actes.

2º Ce serait donner au pouvoir un nouveau et terrible moyen de corruption;—tant de gens échangent volontiers l’honneur contre les honneurs;—que ne fera-t-on pas pour devenir gros sou! Quelle gloire d’être gros sous, et devant quelle infamie reculera-t-on si elle aide à y parvenir?

3º Ne serait-ce pas donner à la fois un nouvel aliment et un nouveau prétexte à l’amour de l’argent?

4º N’a-t-on pas à craindre un fâcheux agiotage,—une dépréciation de certains gros sous et un enchérissement de quelques autres;—tandis qu’un système monétaire bien établi doit être fondé sur un rapport quelconque entre le signe et la valeur représentée?—Ne verra-t-on pas,—et cela—à l’arbitraire des goûts, des sympathies et des caprices,—donner trois ledru pour un jars,—et vice versa?

Néanmoins,—et malgré ces objections et plusieurs autres encore qu’il serait facile de faire,—nous donnons un spécimen de quelques-unes des nouvelles monnaies qui proviendraient de l’application de ce système.—Je prends une pièce au hasard;—pour savoir de quel côté je la présenterai à mes lecteurs,—je la jette en l’air:

—Pile ou face?

La pièce tombe pile:—c’est le côté des vertus et des belles actions.

M. LERMINIER.

1830 Démocrate assez farouche.
1840 Dévoué à la dynastie, nommé professeur.
1841 On lui jette des pommes cuites.
1842 Idem crues.
Dieu protége la France.

M. GANNERON.

1820 Épicier. Apporte à la chandelle de notables perfectionnements.
1832 Député, colonel de la deuxième légion.
1840 Écrit: «Plusieurs compagnies ont ouverTES des souscriptions.»
1841 Danse avec les filles du roi.
1842 Est mécontent.
Dieu protége la France.

M. JARS.

Est envoyé à la Chambre pour le maintien des droits et des
libertés de la France.

—Monte à la tribune et dit des douceurs à mademoiselle
Rachel.

—Le Moniteur est chargé de porter le poulet.
Dieu protége la France.


M. DOSNE.

1825 Reçoit gratuitement une charge d’agent de change de la
duchesse d’Angoulême.

1840 Parie à la Bourse contre la politique de son gendre.—S’en
retourne à Lille.
Dieu protége la France.

M. L’HERBETTE.

1839 Se coupe les cheveux en brosse.

1840 Demande à la Chambre des députés que les femmes de
lettres puissent écrire malgré leurs maris.
Dieu protége la France.

M. INGRES.

1828 Supprime le rouge.

1832 Nettoie sa palette du jaune.

1841 Ne sait pas où Dieu avait la tête quand il a mis tant de
vert dans la nature.
Dieu protége la France.

M. BOILAY.

1839 Est inventé par M. Thiers.
1841 Passe à M. Guizot.
1842 Est mis à Charenton.
Dieu protége la France.

M. DUVERGIER DE HAURANNE.

1828 Fait des vaudevilles.

1829 La fameuse chanson de la redingote; après la révolution
de Juillet, se donne à M. Guizot.

1840 Passe à M. Thiers.
Dieu protége la France.


M. DE RAMBUTEAU.

1837 Prononce le fameux discours: «Les habitants de Paris
sont mes enfants.—C’est les pauvres qu’est les aînés.»

1838 Reprononce le fameux discours.

1839 Prononce le discours où il appelle donataire celui qui
donne.

1840-41-42 Fait paver la rue Vivienne perpétuellement.
Dieu protége la France.

M. CHAMBOLLE.

1840 S’en va-t-en guerre.—Le 25 août 1840,—imprime
que M. de Lamartine est un niais.
Dieu protége la France.

M. ÉTIENNE.

Fait des vaudevilles et des chansons bachiques; est reçu
membre du Caveau et de plusieurs sociétés buvantes et chantantes.

Est nommé pair de France.

Trouve mauvais qu’un poëte (M. de Lamartine) se mêle de
politique.

Écrit: «C’est avec une plume trempée dans notre cœur.»
Dieu protége la France.

M. COUSIN.

1815 Baise la botte de l’empereur de Russie.

Dit à M. Molé, à la Chambre des pairs: «Je vous donne
un démenti.»

1840 Cire les souliers de M. Thiers.

Se lave les mains.

Laisse tomber la littérature en quenouille.

1841 Refuse un titre vain.
Dieu protége la France.


M. DUPIN L’AINÉ.

1830 A très-peur.

1835 Insulte M. Clauzel.—M. Clauzel demande raison.—Me
Dupin s’excuse.—Fait trois discours contre le
duel.

Est très-audacieux.—Son audace n’effraye que lui.—Il
va le soir en demander pardon au château.
Dieu protége la France.

M. ENFANTIN.

1827 Invente un nouveau bleu pour le billard.

1828 Rend un point au garçon de billard du Grand-Balcon.

1830 Se déclare dieu.

1840 Découvre un nouveau crapaud.
Dieu protége la France.

M. ENOUF.

1826 Elève des veaux à Carentan.

1838 Fait à la Chambre une proposition hardie qui n’est pas
appuyée;—à savoir: de ne parler pas plus de quatre
à la fois.
Dieu protége la France.

M. VIVIEN.

1828 Ecrit le Code des théâtres et le Mercure des salons,—journal
des modes.

—Est ministre après la révolution de Juillet.
Dieu protége la France.

M. AUGUIS.

1832 Fait mettre une paire de manches à son habit vert.

1833 Fait retourner ledit habit.

1835 Le donne à son portier.

1837 Le reprend à son portier pour ses étrennes.


1840 Y fait mettre des pans neufs.

1841 Y fait mettre des boutons.
Dieu protége la France.

M. ROSSI.

En 17»» naît Autrichien.

En 1808 devient Français.

En 1812—Italien.

1814—Napolitain.

1820—Genevois.

1830—Refrançais.
Dieu protége la France.

M. ARAGO.

18»» Annonce que des étoiles fileront, les étoiles ne filent pas.

1840 Dîne beaucoup à Perpignan.
Dieu protége la France.

DROIT DE PÉTITION.

1828 Les garçons de bureau vendent les pétitions à la livre.

1842 Les garçons de bureau vendent les pétitions au kilogramme.
Dieu protége la France.

M. L’HÉRAULT.

Est envoyé à la Chambre pour le maintien des droits et des
libertés de la France.

Il porte une redingote gris-crapaud.
Dieu protége la France.

JOURNAL DES DÉBATS.

Epouse successivement et non sans dot les intérêts de tous les
gouvernements, prouve qu’il n’a jamais varié dans ses opinions
et qu’il a été de tout temps pour le gouvernement actuel.

Conseille aux pauvres de mettre à la Caisse d’épargne.
Dieu protége la France.


M. DE BALZAC.

Se livre à diverses incarnations comme Vichnou.

—Imprimeur.

—Viellerglé.

—Horace de Saint-Aubin.

—Balzac.

—De Balzac.

—Le plus fécond de nos romanciers.

—Cultive des ananas.

—Défend Peytel, qui lui pardonne en mourant.

—Tombe du théâtre, et se remet à faire de beaux romans.
Dieu protége la France.

M. TASCHEREAU.

1839 Dit: «Oh! oh!»

1840 «Allons donc!»

1841 «La clôture!»

1842 «L’appel nominal!!!»
Dieu protége la France.

M. TROGNON.

Est nommé professeur du duc de Joinville.

1833 Son élève le force de s’habiller en Turc.

1840 Le fait mettre à terre à l’île de Wight, parce que sa figure
attristait un bal que le prince donnait sur son
vaisseau.
Dieu protége la France.

M. D’HAUBERSAERT.

1830 Il avait le nez couleur cerise.

1833 cramoisi.

1835 ponceau.

1840 écarlate.

1842 Beaucoup plus rouge qu’en 1840.
Dieu protége la France.

M. BAZIN DE ROCOU.

Manifeste l’intention d’écrire plusieurs ouvrages.

Est nommé par le roi chevalier de la Légion d’honneur.

Dieu protége la France.

M. LEDRU-ROLLIN.

—Achète un privilége trois cent trente mille francs.

—Fait un discours contre les priviléges.

1840 Se présente comme candidat dynastique.

1842 Se présente comme candidat républicain.
Dieu protége la France.

M. AMILHAU.

1820 Conspire.

1840 Juge les conspirateurs.
Dieu protége la France.

M. CHAPUYS DE MONTLAVILLE.

1840 Ne salue pas la reine.

1841 Fait son grand discours contre les épingles de la duchesse
d’Orléans.

—Demande une réduction de huit cent mille francs sur un
article de cent quarante mille.

1842 Découvre qu’un greffier de justice de paix grève le Trésor
de cinquante francs par an.

Dieu protége la France.

S. M. LOUIS-PHILIPPE.

1842, 20 février. Vend les premiers haricots verts de l’année.
Dieu protége la France.

M. COULMAN.

—Se présente aux Tuileries fort mal vêtu.


Demande si on le prend pour un marquis.
Dieu protége la France.

LE PETIT MARTIN.

Origine de sa grandeur.—Il a un pouce de moins que
M. Thiers.

Il fait les commissions.

Il entre au conseil d’Etat.
Dieu protége la France.

LE DANDYSME.

Enrichit la langue française des mots: «deat heat,—stagss
hund,—joal stalkes,—comfort,—stud book,—new betting
room stakes,—two years old stakes,—sport,—sportmen,—sportwomen,—gentlemen
riders,—turf,—sport,—steeple
chase, etc.»

—En 1839 invente les gilets trop courts.
Dieu protége la France.

MADAME DAURIAT.

A neuf ans commence à fumer des cigares.

A quarante ans se déclare contre un gouvernement sous lequel
on n’est plus jeune.

Prêche publiquement la liberté de la femme.

Demande à être députée.

Laisse croître sa barbe.
Dieu protége la France.

M. LEBŒUF.

Fait la banque à Fontainebleau.—Donne sa voix en échange
d’une invitation aux bals de la cour pour madame Lebœuf.
Dieu protége la France.

LES TAILLEURS.

1831 Demandent des droits politiques.


1838 Se prononcent pour le sans-culottisme avec une touchante
abnégation.

1840 Veulent fumer en travaillant.
Dieu protége la France.

M. GANNAL.

Veut empailler les cendres de l’empereur.

—Écrit clandestinement sur les pierres tumulaires à la suite
des vertus des défunts: «Empaillé par M. Gannal.»

—Un de ses élèves empaille les côtelettes et les petits pois—qui
seront mangés par nos descendants.—Nous pouvons
aujourd’hui faire à dîner pour nos arrière-neveux.
Dieu protége la France.

LE COURRIER FRANÇAIS.

1840 Veut qu’on chasse à coups de pieds le roi de Sardaigne.

1842 Pense que le roi de Sardaigne est un grand prince,—puisqu’il
a su apprécier mademoiselle Fitz-James.
Dieu protége la France.

LA SCIENCE.

On s’obstine à nourrir de gélatine les malades des hôpitaux
qui s’obstinent à en mourir de faim.

On découvre un nouveau cerfeuil vénéneux.

On attaque la pyrale, insecte qui nuit à la vigne, au moyen
d’une composition qui détruit les ceps—et brûle les mains qui
l’emploient.

Le gaz éclate.

Les chemins de fer causent d’horribles catastrophes.

On propose d’employer la vapeur et les rails à marcher plus
lentement qu’un fiacre sur le pavé.
Dieu protége la France.

JUSTICE.

Une douzaine d’empoisonneurs, d’assassins, de parricides,
éprouvent chaque année l’indulgence du jury.


Ces encouragements réussissent autant qu’on devait s’y attendre.
Dieu protége la France.

M. FLOURENS.

Élève des canards.

Est élu membre de l’Académie française.
Dieu protége la France.

On voit que, malgré quelques inconvénients, ce système monétaire n’est pas sans agréments.—Je joins ma voix à celle de la plupart des journaux pour conseiller au ministère d’en user; on dit que cela coûtera cher et que chaque pièce de deux sous reviendra à cinq cents francs.—Mais cela fera une galerie curieuse, et il faudrait, pour s’en priver, n’avoir pas une centaine de millions dans la poche des autres.

image d’une guêpe Le Journal des Débats avait à rendre compte d’un ouvrage où il est question de quelques dieux qui se sont révélés à la France dans ces dernières années,—entre autres de Fourier et du père Enfantin,—le Journal des Débats s’est trouvé un peu embarrassé;—il a attaché à sa rédaction trois ou quatre saint-simoniens;—qu’est-il arrivé de là?—Fourier, qui n’aurait eu que six colonnes tout au plus d’amertumes et de sarcasmes sur les douze colonnes du feuilleton, a empoché en outre la part de facéties et de reproches à laquelle avait droit le saint-simonisme, dont l’article ne dit pas un mot.

image d’une guêpe Dans plusieurs départements, le ciel s’est fait d’airain, les nuages ne laissent pas échapper une goutte d’eau;—quelques personnes,—frappées du bouleversement qui a eu lieu depuis quelques années dans l’ordre des saisons,—veulent s’en prendre à M. Arago.

Voici leurs raisons:

Il y a des artisans qui mettent sur leur enseigne: fait tout ce qui concerne son état.

Il serait à désirer que ce principe,—et la négation qui en est le corollaire obligé, reçût son application dans toutes les positions sociales.—On verrait beaucoup mieux aller l’état particulier dont chacun s’occuperait, et ainsi l’état en général, dont chacun ne s’occuperait pas.

Malheureusement beaucoup de gens semblent avoir adopté aujourd’hui une enseigne contraire:

FAIT TOUT CE QUI CONCERNE L’ÉTAT DES AUTRES.

On en voit surtout de fréquents exemples à la Chambre des députés.

Entre autres, M. Arago.—M. Arago est un savant célèbre; pendant longtemps, on s’est habitué à n’avoir chaud ou froid en France que sur l’avis de M. Arago. Les journaux considéraient M. Arago comme un capucin hygromètre; on disait: M. Arago a ôté ou a remis son capuchon,—c’est-à-dire il fait beau ou il pleut.

En ce temps-là, les affaires du ciel allaient on ne peut mieux.—La nuit succédait au jour régulièrement et le jour à la nuit,—et l’on savait gré à M. Arago;—l’année avait ses cinquante-deux dimanches, et l’on disait: «Cet excellent M. Arago!»

Pour les affaires de la terre, elles allaient comme elles ont toujours été et comme elles iront toujours:—fort mal pour le plus grand nombre,—au bénéfice de quelques-uns.

Mais voici qu’un jour M. Arago se laissa choir dans le puits des affaires politiques,—qu’il se fit député et grand citoyen.

De ce jour, les affaires de la terre se mirent à aller absolument comme elles allaient auparavant;—pour les affaires du ciel, ce fut autre chose: l’anarchie se mit dans les astres;—la voix même de M. Arago ne fut plus écoutée:—M. Arago avait dit: «Les étoiles fileront.»

Et les étoiles ne filèrent pas:—il y eut au ciel des étoiles intelligentes,—comme sur terre des baïonnettes intelligentes;—il pleut l’hiver, il ne pleut pas l’été;—il fait chaud en février et froid en mai; enfin, on s’attend à voir arriver, d’un moment à l’autre, la fameuse semaine des trois jeudis, tant prédite par les prophètes.

Voilà sur quoi se fondent les personnes qui veulent s’en prendre à M. Arago de ce qu’il ne pleut pas.

image d’une guêpe A force de récriminations, il est et il demeure avéré que tous les ministres que nous avons eus depuis douze ans—se sont au moins laissé jouer par l’Angleterre, et que quelques-uns en vue de la traite,—d’autres en vue de l’alliance anglaise,—quelques autres par pusillanimité,—tous ont plus ou moins consenti au droit de visite qui institue les Anglais commissaires de police des mers. Le soin que les ministres, ceux d’aujourd’hui et ceux qui les ont précédés, prennent de se rejeter la chose les uns sur les autres, montre au moins qu’ils reconnaissent unanimement que l’état de choses actuel ne peut durer,—que ratifier le traité serait une lâcheté,—que, si la France ne veut pas que les vaisseaux fassent la traite, c’est elle seule qui surveillera l’exécution des lois qu’elle s’impose à elle-même et qu’elle seule a le droit de s’imposer.

Je vous l’ai déjà dit: il ne faut pas jouer avec l’orgueil national; la Chambre des députés a voté un supplément de fonds pour la marine,—c’est une bonne et sage manifestation;—tenez-vous pour avertis,—car cette guerre que vous redoutez trop,—vous l’aurez par les moyens mêmes que vous employez pour l’éviter; peut-être, au moment où j’écris ces lignes, commence-t-elle par un coup de poing entre deux matelots.

Juillet 1842.

Dédicace à la reine Pomaré.—Dissertation sur les tabatières.—La cuisine électorale.—Am Rauchen.

image d’une guêpe Pourquoi et comment ce numéro est offert et dédié à la reine Pomaré, et ce que c’est que la reine Pomaré.—Une digression peu étendue au sujet de MM. Hatstard, Piati, Mamoi, Priter et Tate.—A une date récente, on lit dans le Journal d’Anvers—que S. M. Pomaré, reine d’Otaïti,—par l’organe de ses ministres;

Hatstard, président du conseil et ministre des relations extérieures;

Piati, secrétaire d’État au département de l’instruction publique;

Mamoi, ministre de la justice et des cultes;

Priter, ministre de la guerre;

Et Tate, ministre de l’intérieur,

Reconnaît à S. M. Louis-Philippe et à la nation française la souveraineté sur son pays.—On ne donne pas le nom du ministre des finances,—parce qu’il n’y a pas de finances à Otaïti, ou parce que le secrétaire d’État qui en est chargé—est quelque Gouin ou quelque Passy,—ou quelque autre ministre de remplissage,—quelque cheville comme en met M. de Pongerville dans ses vers hexamètres,—auxquels on n’a cependant jamais fait le reproche de ne pas être assez longs.

image d’une guêpe DÉDICACE A S. M. LA REINE POMARÉ, SOUVERAINE DE L’ILE D’OTAÏTI.—«Madame, j’ignore ce que vous avez l’habitude de donner pour les dédicaces.—Autrefois, en France, le roi donnait une tabatière enrichie de diamants;—il y avait des poëtes qui avaient ainsi un revenu fixe de quatre ou cinq tabatières de rente.—On ne s’informait pas si l’auteur de la dédicace prenait ou non du tabac, parce qu’on était sûr que, ne prît-il pas de tabac, il prendrait néanmoins volontiers des tabatières—enrichies de diamants.

»La tabatière est ici tombée en désuétude;—la dédicace aussi;—les académies en province, qui proposent,—pour de magnifiques prix de trois cents francs,—tant de questions saugrenues à résoudre, devraient bien encourager à des recherches ayant pour but de fixer l’histoire du cœur humain sur ce point: «a-t-on cessé de donner des tabatières après qu’on a cessé de faire des dédicaces, ou a-t-on cessé de faire des dédicaces aux rois depuis qu’ils ne donnent plus de tabatières—enrichies de diamants

»Il ne faut pas croire cependant que la source des faveurs royales soit tout à fait tarie et desséchée.

»Le public,—le peuple roi,—est jaloux des autres rois;—par ses trente-trois millions de mains, il donne plus,—chacune ne donnât-elle qu’un liard,—que ne peut donner le prince le plus magnifique.

»Il n’y a donc plus que quelques poëtes, mal avec ledit public,—qui risquent de temps en temps la dédicace.

»Non pas au roi,—ce serait trop hardi.

»Autrefois, pour insulter le roi de France, on allait un peu pourrir à la Bastille;—mais aujourd’hui, pour ne pas l’insulter,—le public vous condamne à mourir de faim.

»C’est pourquoi les plus audacieux—cherchent des objets pour les dédicaces à l’ombre du trône;—M. Fouinet a dédié, il y a quelques années, quelque chose au fils du duc d’Orléans; la duchesse lui a envoyé un porte-crayon en or.—La portière de la maison qu’habite M. Fouinet, à laquelle madame Fouinet a montré le porte-crayon, m’a assuré que le porte-crayon était contrôlé par la Monnaie.

»Le porte-crayon est le présent ordinaire de la duchesse d’Orléans.

»La reine de France—donne des épingles.

»La duchesse de Nemours ne donne rien.

»Personne ne donne de tabatière;—la tabatière est une forme réservée à la munificence personnelle du roi,—lequel n’en donne jamais[K].

»Quelques autres,—comme M. Nisard,—je ne sais, princesse, si vous connaissez M. Nisard,—dédient leurs ouvrages à des princes étrangers, au roi Léopold, par exemple, qui leur donne en échange—son innocente contrefaçon de la croix d’honneur française.

»J’ignore, princesse, quelle forme prendra votre munificence pour répondre à la dédicace que je lui fais de ce volume in-32;—je n’ose espérer votre portrait en pied:—c’est une faveur par trop intime, si, comme l’assurent plusieurs navigateurs, vous ne portez pour vêtement qu’une paire de boucles d’oreilles.

»Je crois donc devoir avertir Votre Majesté que je serais certainement flatté d’une décoration—quoique la vôtre se compose d’un clou de girofle comme on sait:—cela se met dans la sauce, il est vrai, mais c’est un sort commun avec le laurier des poëtes.

»Je serais donc flatté—d’être grand girofle,—à moins cependant que vous n’aimiez autant m’envoyer un peu de bon tabac[L].

»De progrès en progrès, de liberté en liberté, nous en sommes arrivés à ce point que le gouvernement ne permet d’acheter ni de vendre du tabac que dans ses propres boutiques, dans lesquelles il entasse avec soin toutes sortes d’herbes âcres et nauséabondes qu’il nous vend fort cher.

»Vous voulez, grande reine, donner vous et vos États au roi des Français et à la nation française[M].—Vous voulez prendre votre part des bienfaits du régime constitutionnel.—Permettez-moi de vous détailler quelques-uns de ces bienfaits,—et de vous donner ainsi un avant-goût des félicités auxquelles vous et vos sujets vous vous dévouez avec tant d’empressement.

»J’ai l’honneur d’être, madame, de Votre Majesté, etc.

»A. K.»

NOTES SUR LA DÉDICACE.

1 Il faut dire cependant—que j’ai eu une fois dans ma vie l’occasion de demander quelque chose à la famille royale,—c’était pour de pauvres pêcheurs de mes amis,—pour un village entier que le ciel et la mer avaient ruiné;—deux jours après, j’avais reçu des secours pour mes amis.

Tandis que plusieurs amis du peuple auxquels je m’étais adressé en même temps n’avaient pas jugé à propos de me répondre.

2 Le tabac que vend le gouvernement est tellement mauvais, que les fils du roi fument du tabac de contrebande, qu’ils achètent pas bien loin de la rue Vivienne, à Paris.

3 A dire le vrai, je ne suis pas fâché que le peuple français—se trouve un peu roi—et roi constitutionnel, je désire qu’il reçoive à son tour, pendant quelque temps, toutes les avanies qu’il prodigue aux siens depuis une vingtaine d’années.

Il est bon que les épiciers, bonnetiers, marchands d’allumettes chimiques, cessent un moment d’être tyrans pour devenir rois constitutionnels, et trempent un peu leurs grosses lèvres dans les breuvages amers qu’ils font boire à leurs rois.

Mihi demandatis rationem quare
Opium facit dormire,
A cela respondeo
Quia est in eo
Virtus dormitiva.
MOLIÈRE.

Je commencerai, madame, par vous parler d’une invention qui a produit le gouvernement constitutionnel.

Vos sujets ont été bien étonnés la première fois qu’ils ont entendu un coup de fusil et qu’ils en ont vu les résultats.—Leur étonnement n’a pas diminué—quand ils ont vu que ce bruit et cette mort soudaine—se produisaient—en mettant dans un tube une ou deux pincées d’une petite graine noire ressemblant fort à la graine de pavots;—que cette graine, au lieu de germer et de produire des feuilles et des fleurs,—éclatait et allait tuer les gens à de grandes distances,—ressemblant encore en cela à la graine de pavots, qui endort de certaine façon, mais l’emportant de beaucoup sur les qualités de cette graine, en cela que le sommeil qu’elle procure est éternel.

Eh bien, l’invention de cette graine noire,—qui a donné au nombre, à la lâcheté et à l’adresse,—un avantage invincible sur la force et le courage,—cette invention n’est rien en comparaison de celle dont j’ai à vous entretenir.

La première se fait avec du charbon et du salpêtre.—Voici comment on use de la seconde:

Plusieurs milliers d’hommes vont chercher aux coins des bornes, dans les tas d’ordures,—dans les endroits les plus boueux,—tout ce qu’il y a de chiffons misérables, de lambeaux infects, de haillons pourris.—On les entasse dans des caves, on les fait pourrir encore,—puis on en fait une pâte que l’on étale et que l’on fait sécher en feuilles minces.

image d’une guêpe D’un autre côté,—on concasse un poison violent que l’on appelle noix de galle;—on y mêle un peu d’un autre poison qu’on nomme vitriol,—et on en fait un liquide d’une couleur triste et funeste, de la couleur du deuil et de la mort.

D’autre part, on a rassemblé curieusement les plumes d’un animal, emblème de la sottise, et dont le nom est devenu une injure;—on les taille en forme de dard.—Quand cela est fait,—des milliers de gens—s’établissent sur les tables et se livrent au singulier exercice que voici.

image d’une guêpe Cette liqueur noire, composée du mélange de deux poisons, est dans un petit vase,—devant eux; ils s’arment de leur harpon de plume d’oie,—et ils se livrent à la pêche de vingt-quatre petits signes qu’ils mettent sécher, à mesure qu’ils les ont pêchés, l’un après l’autre sur les feuilles minces provenant des pourritures diverses dont je vous parlais tout à l’heure,—c’est-à-dire, pour parler plus clairement, que de leur plume d’oie, trempée dans ce poison noir,—ils dessinent sur leur papier vingt-quatre petits dessins, toujours les mêmes, mais dans un ordre différent,—mettant l’un avant l’autre, ou celui-ci après celui-là.

C’est par ce moyen qu’on détruit les religions, qu’on renverse les rois,—qu’on déshonore ou ridiculise les particuliers, qu’on excite les haines, qu’on allume les guerres, qu’on engendre des flots de bile,—et qu’on fait répandre des flots de sang.

C’est bien pis que les caractères magiques, que les signes cabalistiques des sorciers.

Vous voyez un homme qui vit calme, heureux, sans désirs, dans la retraite, à cent lieues de vous;—vous tracez deux ou trois douzaines de ces signes choisis entre les vingt-quatre:—cet homme pâlit, ses yeux s’animent d’un feu sombre; il repousse les caresses de ses enfants,—il cesse d’arroser son jardin, ses fleurs sont flétries,—son dîner est empoisonné, les mets qu’il aime ne lui inspirent plus que le dégoût,—son oreiller est rembourré d’épines;—il est sous des arbres frais, il ne goûte plus la fraîcheur,—il ne sent plus les parfums du chèvrefeuille,—il n’entend plus la voix de la fauvette cachée dans les feuilles;—son chien vient le flatter, il repousse le chien d’un coup de pied;—il n’oserait sortir, tout le monde rirait sur sa route;—il avait commencé un ouvrage avec ardeur, il y avait déposé ses plus doux souvenirs, ses plus fraîches sensations, il jette l’ouvrage au feu;—tout cela parce que vous avez tracé ces maudits signes dans tel ou tel ordre.

Maintenant, regardez ailleurs, à cent lieues d’un autre côté: un pauvre jeune homme, dans une mansarde sans meubles, grignotte quelques mauvaises croûtes de pain;—quelques grosses larmes roulent dans ses yeux,—rougis par les veilles et par la misère;—il n’oserait sortir de chez lui,—il est timide,—de cette timidité des orgueilleux;—il lui semble que tout le monde voit sa misère et y insulte;—d’ailleurs, il trouve qu’on a raison, il est découragé, il ne se sent ni talent ni esprit,—il n’est bon à rien, il ne fera rien.

Prenez alors les mêmes signes dont vous vous êtes servis tout à l’heure:—mettez celui-ci avant celui-là,—bien;—ôtez celui-là d’où il est, rapportez-le ici,—très-bien;—changez de place ces deux autres,—c’est bien cela;—mettez au commencement celui-là qui est à la fin,—mettez à la fin celui-là qui est au milieu,—séparez ces deux-ci par celui-là, mettez cet autre à côté:—on ne peut mieux,—eh bien!

image d’une guêpe Voyez,—il relève la tête;—les couleurs de la santé, de la vie, de l’espoir, reviennent sur son visage;—il lève les yeux au ciel;—son sang coule à pleine veine, il se sent fort,—il sait qu’il arrivera à son but;—toutes les misères du passé et du présent sont effacées, il ne voit que les gloires et les joies de l’avenir;—son pain dur est plus savoureux que le meilleur salmis de bécasses;—son lit de sangle—devient un moelleux divan recouvert des étoffes les plus riches;—l’eau de sa cruche se change en vin du Rhin;—les belles filles qu’il n’osait regarder dans la rue sont maintenant à lui;—son ouvrage, il le continue avec confiance;—il sort pour qu’on le voie, pour qu’on le salue, pour qu’on l’admire, et il baisse la tête en passant sous la porte cochère, tant il se sent grandi.—Il se baisserait sous le ciel pour ne pas décrocher quelques étoiles.

Voilà, madame, avec quoi et comment on gouverne aujourd’hui le pays.—Il y a beaucoup d’écoles où on apprend aux enfants à tremper des plumes d’oie dans le poison en question et à tracer les vingt-quatre signes;—avec ces vingt-quatre signes,—que tous savent tracer,—on s’attaque, on se fait maigrir, on se blesse les uns les autres,—on renverse et on détruit tout.

Nous allons parler un peu de l’éducation des enfants.

image d’une guêpe On renferme les enfants au nombre de soixante dans une chambre; on les empêche de jouer à la balle ou à la toupie—jeux de leur âge—pour leur faire apprendre les belles-lettres, qui sont les récréations de l’âge mûr.

On leur fait passer huit années d’ennui, de chagrin, de pleurs, de privations,—pour leur apprendre une langue que personne ne parle plus sur toute la surface de la terre.

De telle sorte que le but de l’éducation, le résultat de ces années de tristesse et de travail—est de se trouver à vingt ans beaucoup moins habile que ne l’était un jeune Romain à six ans.

On a trouvé singulier que Caton s’avisât d’apprendre le grec dans un âge avancé.—Il est, selon moi, bien plus singulier qu’on force de pauvres petits enfants à apprendre le latin.—Caton apprenait le grec parce qu’il avait envie de le savoir—et d’ailleurs il y avait encore des Grecs.

L’éducation consiste tout entière dans le langage;—on récompensera l’enfant qui dépeindra la débauche en beau style; celui qui exprimerait, avec des solécismes, les plus nobles et les plus purs sentiments, aurait nécessairement des pensums et serait mis en retenue.

On vous fait traduire toutes les vertus républicaines;—on ne vous parle pendant huit ans que de république;—on vous fait admirer Mucius Scævola. D’autre part—on ne vous apprend qu’à écrire de belle prose et à faire des vers.

Après quoi, ceux qui sont trop poëtes meurent de faim dans les greniers; ceux qui sont trop républicains meurent dans les rues—en prison ou au bagne:—aussi, parmi ces enfants devenus hommes,—tout ne consiste-t-il qu’en paroles.

Qu’un procureur du roi passe dix ans—à envoyer le plus possible les gens au bagne ou à l’échafaud, que pendant dix ans il s’efforce de faire condamner trois innocents contre deux coupables, et cela avec la même ardeur,—il n’en sera pas moins considéré;—mais qu’il s’avise d’écrire homme sans homme,—il est perdu, il ne peut plus se montrer,—on le désigne du doigt,—il faut qu’il change de nom et qu’il quitte la ville;—il vaut mieux, pour sa fortune et sa considération, qu’il fasse couper la tête à un homme sur l’échafaud—que de lui retrancher une lettre sur le papier.

image d’une guêpe Parlons un peu, madame, du gouvernement.

Un droguiste qui voudrait se faire bonnetier ferait hausser les épaules à tous les bonnetiers de son quartier. «Eh? s’écrierait-on de toutes parts, où a-t-il appris notre état? quand s’en est-il occupé,—et comment veut-il le faire s’il ne l’a pas appris?»

Mais qu’un droguiste ou qu’un bonnetier ait amassé une fortune suffisante—dans les raccourcissantes préoccupations du commerce qui consistent à payer les choses au-dessous de leur valeur et à les revendre au-dessus,—il aspire à gouverner son pays, et personne ne le trouve mauvais.

Notez qu’il ne s’avise de cela qu’à l’âge où ses facultés s’effacent au point qu’il n’est plus capable de tenir sa maison comme par le passé.—Ses enfants alors et ses gendres craignent qu’il ne patauge d’une manière désastreuse dans ses affaires, et ils lui font venir l’idée d’être député.—Peu leur importe qu’il aille porter sa part de sottises dans l’administration du pays,—pourvu qu’il ne fasse plus de fautes dans l’achat et la vente du coton.

Certes, si un homme de cinquante ans était venu trouver M. Ganneron ou M. Cunin-Gridaine—et avait dit à l’un: «Je veux être épicier,»—ou à l’autre: «Je me destine à la fabrication des draps,»—M. Ganneron ou M. Gridaine aurait dit à cet homme:

—Mon bon ami, vous êtes-vous occupé de la partie?

—Non, monsieur, aurait-il répondu.

—Alors, mon bon ami, vous êtes fou.

image d’une guêpe Eh bien, M. Ganneron et M. Cunin ont passé leur jeunesse et une bonne moitié de leur âge mûr dans les préoccupations de l’épicerie et de la fabrication des draps.—Après quoi un jour ils se sont mis dans le gouvernement,—l’un comme député, l’autre comme ministre.

Il n’y a pas un seul métier pour lequel on n’exige un apprentissage:—un maçon,—un coiffeur,—un cordonnier,—apprennent leur état.—Mais le Français qui, autrefois, se contentait de naître malin,—naît aujourd’hui profond politique et parfaitement capable de gouverner son pays,—ce talent lui vient si bien tout seul, qu’en attendant les occasions de l’exercer il fait comme les chevaux qu’on va lancer sur l’hippodrome, il s’amuse à galoper en sens contraire du chemin qu’il a à parcourir.

Il s’occupe en attendant l’âge ou le cens,—de toutes les choses qui n’ont aucun rapport avec la politique.

On ne tient aucun compte des connaissances spéciales, tel ministre passe de l’intérieur aux affaires étrangères ou aux finances.—M. Thiers n’a pas été bien loin de prendre le portefeuille de la guerre, et c’est parce qu’on n’a pas voulu le lui confier qu’il n’a pas eu celui des finances.

La Chambre des députés—c’est-à-dire le véritable gouvernement du pays—se compose donc, pour les deux tiers, d’épiciers retirés, de bonnetiers fatigués, de rôtisseurs fourbus, d’étuvistes édentés, de marchands de vin usés;—l’autre tiers, à très-peu d’exceptions près, est formé d’avocats—accoutumés à plaider sur tous les sujets le pour ou le contre, souvent même le pour et le contre.

Mais en ce moment, madame, la France vous présente un aspect assez curieux:—on prépare des élections générales;—il s’agit, pour les uns, de se faire réélire; pour les autres, d’arriver à la députation.

Certes, à voir la quatrième page de tous les journaux sans cesse remplie de remèdes pour les maladies les plus horribles,—on pourrait croire que la France est un pays particulièrement malsain, qui ne produit que des êtres chétifs et livrés aux maux les plus variés, aux affections les plus déplorables et les plus dégoûtantes.—Mais, quand on lit les autres pages, on est bien consolé, en voyant les professions de foi des candidats,—de quel fervent amour de la patrie tout le monde est ici possédé,—avec quel désintéressement, quelle abnégation—on se résigne à la députation!

C’est partout le même langage et les mêmes vertus,—à proprement parler, il n’y a, pour tous les candidats, qu’une seule et même profession de foi.

C’est celle exactement—que font sur les places publiques les arracheurs de dents,—les extirpateurs de cors, les destructeurs de punaises.

«Ce n’est pas leur intérêt particulier qui les attire sur cette place; non, messieurs, c’est l’amour de l’humanité, c’est l’amour de la patrie!—c’est pour faire profiter leurs compatriotes de ce précieux citoyen,—qui va ramener l’âge d’or, proscrire les abus,—diminuer les impôts, etc.

«Et combien le vends-tu?—Je ne le vends pas vingt sous—je ne le vends pas dix sous, messieurs,—je ne le vends pas, je le donne.»

Que l’antiquité vienne donc encore nous parler de son Décius,—qui se jette à cheval dans un gouffre pour sauver la république;—nous avons en ce moment sept ou huit cents Décius—qui, pour sauver la France,—se pressent, se bousculent, se battent comme des crocheteurs aux bords du gouffre—où leur patriotisme et leur dévouement les précipitent;—mais l’ardeur de tous est la même,—et comme le gouffre ne peut contenir qu’un nombre fixe de victimes,—il n’est pas de moyen qu’on n’emploie pour supplanter les autres qui veulent aussi se dévouer,—les crocs-en-jambe,—les coups portés par derrière,—etc.—Heureuse France!

image d’une guêpe Je me rappelle un bal masqué où il se trouva vingt-deux polichinelles;—c’est un peu l’aspect que présentent les candidats;—ils ont tous pris le même costume,—la robe blanche et sans tache des candidats de l’antiquité;—les mêmes paroles,—le même masque;—tous les intérêts particuliers se transforment en intérêts du pays;—c’est bien l’histoire de mes vingt-deux polichinelles. Celui-ci, cependant, veut être député pour quitter sa province et son ménage;—celui-là veut avoir la croix;—cet autre une place:—tout cela s’appelle, pour l’instant, dévouement et intérêt du pays. Vingt-deux polichinelles!

Les électeurs sont comme le public des théâtres;—il leur faut du commun;—il faut que le candidat ressemble à un type de candidat qu’ils ont dans la tête.

Quelque chose d’indépendant en paroles,—quelque chose qui fasse de l’opposition,—mais sans succès,—parce que l’électeur ne veut pas de révolution ni d’émeute.—Il aime la provocation, mais il n’aime pas le combat.

Aussi les républicains, dans leurs professions de foi, se font doux comme des moutons;—leur drapeau n’est plus rouge, il est rose.

Les candidats du ministère mettent au contraire leur chapeau sur l’oreille et font les crânes et les tapageurs;—ils ont de grandes cannes—et font la grosse voix.

Le ministère a permis à ses candidats de s’élever contre le droit de visite;—l’opposition a autorisé les siens à ne pas s’élever contre le recensement, dont elle a tant fait de bruit.

La profession de foi est ce qui se crie sur les toits, ce qui s’imprime;—mais les candidats sont loin de se fier à ce programme de leurs vertus,—ils ont soin de caresser tout bas les vices de leurs commettants.—Ils achètent les voix une à une, l’opposition par des promesses et des menaces,—le ministère par des promesses et des à-compte. Une fois ces marchés passés à voix basse,—on met tout haut la chose aux enchères;—les professions de foi servent alors de prétexte;—celui qui a obtenu une bourse dans un collége pour son fils, ou un bureau de tabac pour lui-même, ne peut pas dire que c’est pour cela qu’il vote de telle ou telle manière. Il choisit dans la profession de foi de son candidat la phrase la plus ronflante—et il dit «Voilà pourquoi je vote pour lui.»

image d’une guêpe Un spectacle qui ne manque pas non plus de gaieté, c’est l’attitude des journaux au moment des élections.

Les professions de foi de tous les candidats sont identiquement les mêmes.

UN JOURNAL DE L’OPPOSITIONS:

«Voici, vous dit-il,—la profession de foi du candidat de l’opposition, de M. Évariste Bavoux:

«Nous voulons au dedans la sage répartition des impôts,—le règne des lois et le progrès.

»Au dehors, la force et la dignité.»

»Ces nobles paroles, ajoute le journal, sont une garantie plus que suffisante,—tous les patriotes doivent voter pour M. Bavoux.»—Voici maintenant ce que dit M. Chevalier;—comparez et jugez:

«Nous voulons au dedans la sage répartition des impôts,—le règne des lois et le progrès.

»Au dehors, la force et la dignité.»

«Certes, si c’est avec de telles paroles, respirant le servilisme et le dévouement au ministère, que M. Michel Chevalier croit abuser les électeurs, il est dans une erreur dont nous devons l’avertir.—Les électeurs comprennent à demi-mot et traduisent la profession de foi de M. Michel Chevalier par soutenir le ministère de l’étranger,—l’aider à augmenter encore les impôts—et voter pour le droit de visite.

»M. Chevalier n’est pas pour M. Bavoux un concurrent sérieux.»

UN JOURNAL MINISTÉRIEL:

«Nous donnons la profession de foi de M. Michel Chevalier;—ce sont de nobles paroles.—L’élection de M. Chevalier est certaine.

«Nous voulons, dit M. Michel Chevalier,—au dedans, la sage répartition des impôts,—le règne des lois et le progrès.

»Au dehors, la force et la dignité.»

»On s’expliquera facilement l’échec assuré de M. Bavoux en comparant sa profession de foi à celle de M. Michel Chevalier.

»La voici:

«Nous voulons, au dedans, la sage répartition des impôts,—le règne des lois et le progrès.

»Au dehors, la force et la dignité.»

»C’est le langage audacieux du désordre et de l’anarchie.—Les électeurs en feront justice.»

Quelques personnes désœuvrées se rassemblent dans diverses salles de concert,—chez M. Herz, chez M. Érard,—non pour y entendre ou y faire de la musique,—mais pour y proposer divers rébus aux candidats.—C’est, pour le candidat, une situation analogue à celle d’Œdipe devant l’énigme du sphinx; s’il ne devine pas, il est mis en pièces.

image d’une guêpe Cependant, les phénomènes que j’ai déjà signalés reparaissent dans les journaux—qui ont à remplir à quelque prix que ce soit—la place réservée d’ordinaire aux débats des Chambres.—On attribue à divers cochers de fiacre contemporains certaines actions que nous avons autrefois vues en thème attribuées à Épaminondas ou à Périclès.

On rend compte de livres envoyés au journal il y a sept ou huit mois.

On annonce un concert qui a eu lieu l’hiver dernier—et dont le bénéficiaire n’a jamais pu obtenir une mention en temps utile, comme on dit au Palais.

Voici encore deux de ces histoires qu’on peut retrouver tous les ans dans les journaux à la même époque:

«Une femme de trente-huit ans est accouchée à Caen, le 14 mai, de son vingtième enfant, en second mariage. Sa fille aînée a épousé le frère de son second mari; elle se trouve donc la belle-sœur de sa fille, qui a un enfant de trois ans; l’accouchée est la grand’mère et la tante de l’enfant, sa fille devient la tante de son frère, et le nouveau-né devient oncle de sa tante et frère de son cousin germain.»

«EURE.—Dernièrement, un enfant de trois ans est tombé dans l’Avre, éloigné de tout secours. Fort heureusement, un chien qui était avec lui se précipite à l’eau et ramène sur la rive ce pauvre enfant. L’animal avait mis une telle prudence dans cet acte instinctif, qu’on n’a pas même retrouvé l’indice de ses crocs sur le bras de l’enfant, qu’il avait saisi pour le retirer de la rivière.»

N. B.—L’année passée, l’enfant était tombé dans la Marne.

Nous conseillons la Nièvre pour l’année prochaine: c’est une rivière encore vierge de belles actions.

image d’une guêpe Il n’est pas de recueil de vers de jeune homme—Premières rimes, Fleurs d’Avril, Premiers élans, etc., etc.,—premiers essais si méprisés, d’ordinaire, dans les bureaux de journaux, qui n’obtienne en ce moment une mention honorable.

C’est la belle saison pour se livrer fructueusement à des actions recommandables.—En temps ordinaire, les journaux n’en disent mot;—mais pour le moment, sauvez la vie à une mouche qui se noie;—dites à un passant: «Monsieur, vous allez perdre votre foulard;»—avertissez une femme que le cordon de son soulier est dénoué,—vous voyez votre nom en toutes lettres dans les feuilles publiques avec le récit de votre belle action et un convenable éloge d’icelle.

Les journaux se sentent pris d’un goût subit pour les sciences,—pour l’agriculture,—pour tout ce qu’on trouve dans les recueils spéciaux et qui fournit des lignes.

Voici, par exemple, une histoire qui reparaît tous les ans à la même époque, c’est-à-dire dans l’intervalle d’une session à l’autre,—en même temps que les centenaires, les veaux à deux têtes,—les détails circonstanciés d’incendies dans des pays qui n’existent pas, etc.

«Un monsieur qui est en ce moment à Bruxelles, et qui s’appelle le baron Frédéric d’A..., a l’honneur d’exposer au public qu’étant doué d’un talent de conversation fort distingué, nourri d’études solides (ce qui devient de plus en plus rare), ayant recueilli dans ses nombreux voyages une foule d’observations instructives et intéressantes, il met son temps au service des maîtres et maîtresses de maison, ainsi que des personnes qui s’ennuieraient de ne savoir avec qui causer agréablement.

»Le baron Frédéric d’A... fait la conversation en ville et chez lui. Son salon, ouvert aux abonnés deux fois par jour, est le rendez-vous d’une société choisie (vingt-cinq francs par mois). Trois heures de ses journées sont consacrées à une causerie instructive, mais aimable. Les nouvelles, les sujets littéraires et d’arts, des observations de mœurs où domine une malice sans aigreur, quelques discussions polies sur divers sujets, toujours étrangers à la politique, font les frais des séances du soir.

»Les séances de conversation en ville se règlent à raison de dix francs l’heure. M. le baron Frédéric d’A... n’accepte que trois invitations par semaine, à vingt francs (sans la soirée). L’esprit de sa causerie est gradué selon les services. (Les calembourgs et jeux de mots sont l’objet d’arrangements particuliers.)

»M. le baron Frédéric d’A... se charge de fournir des causeurs convenablement vêtus pour soutenir et varier la conversation, dans le cas où les personnes qui l’emploieraient ne voudraient pas avoir l’embarras des répliques, observations ou réponses. Il les offre également comme amis aux étrangers et aux particuliers peu répandus dans la société.»

Cette plaisanterie a été inventée il y a six ans par Gérard, l’auteur de la traduction de Faust,—un jour que nous mangions ensemble du macaroni fait par Théophile Gautier.

image d’une guêpe Je n’ai pas encore vu cette année le serpent de mer,—mais il ne peut tarder à faire son apparition annuelle;—le serpent de mer a été imaginé par Léon Gozlan, je crois, il y a treize ou quatorze ans.—Depuis ce temps, les journaux en ont annoncé une nouvelle apparition chaque année,—toujours entre deux sessions.

Pour en revenir aux élections,—selon les journaux de l’opposition, toutes les candidatures hostiles au gouvernement sont assurées;—les amis du ministère n’ont aucune espèce de chance;—d’après les journaux ministériels, les candidats de l’opposition n’ont aucun succès à attendre, et ne sont pas même des rivaux sérieux pour les conservateurs.

On appelle conservateurs—ceux qui sont aux affaires, qui tiennent les places et l’argent et voudraient les conserver:—cela, dans les journaux du parti, est représenté comme une vertu civique.

On appelle indépendants ceux qui voudraient les places et l’argent,—qui attaquent les places, les abus, l’argent, les sinécures, non pour les détruire, mais pour les conquérir, et qui, à mesure qu’ils arrivent, deviennent les conservateurs les plus énergiques et les plus féroces.

Selon les journaux ministériels, tous les candidats de l’opposition sont des anarchistes, des gens sans portée, des brouillons,—en un mot, tout ce qu’étaient, sous la Restauration, les gens appelés aujourd’hui conservateurs.

Selon les journaux de l’opposition, tous les candidats conservateurs sont des gens gorgés d’or, abreuvés de la sueur du peuple et ignorant complètement l’orthographe.

Or, conservateurs ou indépendants,—les journaux de toutes les couleurs, de toutes les nuances, sont d’accord sur ceci: c’est que la presse a toujours raison.

Il n’y a pas un journal cependant dont un autre journal ne dise,—ou qu’il est vendu au pouvoir,—ou qu’il veut rétablir la guillotine en permanence.

La presse en général ne souffre pas d’appel de ses décisions, comment cependant de tant de journaux vendus, absurdes, féroces (d’après ses propres paroles), former une presse noble, indépendante, courageuse,—désintéressée,—amie de la nation, qu’elle prétend être?—Comment faire un édifice de marbre avec de la boue et du sable?—C’est une observation que je leur soumets.

image d’une guêpe Il se fait en ce moment pour les élections une alliance qu’il m’est impossible de ne pas trouver singulière:—c’est celle des républicains et des légitimistes.

C’est une alliance bizarre et fondée sur ceci: le parti qui est le plus fort est évidemment le parti conservateur.—Le parti légitimiste, livré à ses propres forces, ne peut espérer le renverser;—le parti républicain est dans la même situation,—mais tous deux réunis peuvent l’emporter sur le parti conservateur.—Le parti conservateur une fois abattu, les deux partis alliés se sépareront, prendront du champ et se battront entre eux.

Ils ne se réunissent provisoirement que pour conquérir le champ de bataille où chacun des deux alliés espère écraser l’autre.

Quel que soit le résultat des élections,—tous les candidats, dont les deux tiers à peu près n’ont pour but que de renverser le roi Louis-Philippe,—sont prêts à lui prêter le serment de fidélité exigé par la loi.

image d’une guêpe Il n’y a donc d’aucun côté—ni bonne foi, ni probité, ni convictions sérieuses.

Sans parler des ruses, des perfidies, des intrigues de toutes sortes,—sans parler de la corruption qu’emploient tous les partis.

C’est la plus sale cuisine qu’on puisse imaginer;—pendant ce temps le pays est encore plus embarrassé que celui qui tient la queue de la poêle,—car c’est lui qu’on fait frire.

Et—des gens m’écrivent chaque mois pour me reprocher de ne pas prendre de couleur, de n’appartenir à aucun parti;—montrez-m’en un qui soit honnête—et nous verrons.

Les couleurs politiques sont comme les couleurs du peintre, elles n’ont qu’une surface mince, et cachent toutes la même toile.

En peinture,—grattez le rouge,—le blanc,—le vert,—le bleu: vous trouverez la toile—et la même toile.

En politique,—grattez les rouges,—les verts,—les bleus,—vous trouverez des ambitieux, des vaniteux, des avides.

Il s’imprime en ce moment—assez et plus qu’assez de journaux, de brochures, de revues, de pamphlets, de circulaires, de comptes rendus, de lettres, de professions de foi, etc., etc.

Tout cela est au service des ambitions, des orgueils, des avidités dont je vous parle,

Il n’y a que ce petit livre qui vous dise la vérité.

Mais on ne le reconnaîtra que plus tard, quand une autre folie aura remplacé celle d’aujourd’hui et permettra de la juger.

Continuez,—reine Pomaré,—à demander pour votre peuple et pour vous—les bienfaits du gouvernement constitutionnel.

Pour moi, je vous ai avertie,—il ne me reste qu’à me dire itérativement de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.

image d’une guêpe Certes,—on a bien dit des choses contre certains musiciens et certains instruments,—contre la clarinette, qui rend sourds ceux qui l’entendent et aveugles ceux qui en jouent, contre les trompes de chasse—qui se disent de l’une à l’autre,—depuis si longtemps, que le roi Dagobert a mis sa culotte à l’envers,—ce qui a nécessairement donné à M. Sudre l’idée première de son télégraphe musical.

Contre l’orgue de Barbarie, dans lequel on a l’air de moudre un air—comme on moud du café;—mais je ne sais rien de plus terrible contre les instruments de cuivre que ce qu’on trouve dans un journal anglais:

«On vient d’imaginer, pour les régiments, un instrument pour la marque

Cet instrument, substitué au fer brûlant, est en cuivre, et représente la lettre D. Cette lettre est percée d’une multitude de trous, à travers chacun desquels le mouvement d’un ressort fait sortir autant d’aiguilles acérées.

Après avoir appliqué l’instrument sur le bras ou dans le creux de la main du déserteur, selon que le porte la sentence, on fait, à l’aide d’une pression, sortir des pointes qui pénètrent dans l’épidermie à la profondeur requise, et y tracent l’empreinte sanglante de la lettre D. Pour rendre la marque indélébile, on frotte la plaie avec une brosse imbibée d’indigo en poudre et d’encre de la Chine délayée dans une quantité d’eau suffisante.

D’après le règlement, la marque ne peut être infligée qu’en présence de la troupe rassemblée sous les armes, et sous les yeux du chirurgien, par le trompette-major pour la cavalerie, et par le musicien qui joue du cor dans l’infanterie.

Les joueurs de cor—et de trompette remplacent le bourreau!

image d’une guêpe Cette année sera tristement célèbre par les grandes catastrophes et les accidents sans nombre qui ont frappé tous les pays. Mais, au milieu des massacres, des incendies, des orages, des tempêtes et des tremblements de terre, les trois derniers jours de la première semaine du mois de mai doivent marquer parmi les jours néfastes, parce qu’ils rappellent les trois plus grands malheurs de l’année: 6 mai, l’incendie de Hambourg laisse sans asile vingt-deux mille habitants; le 7 mai, le tremblement de Saint-Domingue écrase dans la ville du Cap dix mille personnes sur une population de quinze mille; et le 8 mai, l’événement du chemin de fer de Versailles jette dans le deuil deux cents familles, et porte l’effroi et l’inquiétude dans toutes les provinces. On trouverait difficilement le triste pendant de ces trois journées.

image d’une guêpe Un des prétextes sous lesquels on m’écrit le plus habituellement des injures,—c’est qu’il m’arrive parfois de parler un peu de moi. J’ai essayé de prendre ce reproche en considération—et de suivre le conseil qu’on me donnait en même temps,—c’est-à-dire d’en laisser parler les autres;—j’avouerai franchement que je ne suis pas parfaitement satisfait de l’épreuve.

En effet, sans parler de ceux qui ne m’aiment pas—et qui m’appellent «ami du château,» je n’ai pas fort à me louer de ceux qui n’ont pour moi que des sentiments de bienveillance.—L’éditeur Souverain—a fait imprimer une fois à la quatrième page des journaux une annonce dans laquelle j’étais traité d’arc-en-ciel.

Un autre éditeur—y fait dire (toujours à la quatrième page) que je suis médisant, cancanier et un peu venimeux.

Il y a un brave homme qui gagne sa vie à vendre mes petits livres, et qui fait mieux que cela encore.

Si je suis éloigné de Paris,—si je pêche des maquereaux à Étretat ou des sardines à Sainte-Adresse, si le volume arrive un peu trop tard,—ce pauvre homme s’inquiète, conçoit contre moi une vive malveillance,—et commence à dire à tout venant que les Guêpes ne paraissent plus,—que l’on ne sait pas où je suis, etc., etc.

Cela ne le console que pendant les deux ou trois premiers jours de retard;—au quatrième, il dit aux gens qu’il rencontre: «Il paraît que les Guêpes se sont arrangées avec le ministère.» Le lendemain, il sait le chiffre de ma honte: «l’auteur reçoit trois mille francs par an.»

—Ah! ah!

—Oui, c’est M. Cavé qui a arrangé l’affaire.

—Mais cependant je ne vois pas qu’il soit bien complaisant pour le ministère...

—Aussi on a suspendu la pension.

—Alors il s’est vendu pour l’honneur?—c’est singulier!

—Vous savez qu’il est très-bizarre.

Le surlendemain,—ce n’est plus trois mille, mais six mille francs que je reçois par an.—Ce mois-ci,—diverses circonstances retardent l’envoi du manuscrit, je suis persuadé que ma subvention, que le prix de mon infamie, est monté à un chiffre qui pourrait me tenter.

Les gens qui ont lu les différentes sottises que quelques journaux ont écrites contre moi—seraient bien désappointés si, par hasard, ils me rencontraient.

Comment reconnaître en effet un ami du château,—un familier du duc d’Orléans,—un écrivain vendu au pouvoir, dans un homme qui vit seul au bord de la mer,—qui a le visage brûlé par le soleil, les mains durcies par la bêche et par la rame,—que l’on trouverait mêlé avec les autres pêcheurs,—vêtu comme eux,—les aidant à mettre les bateaux à la mer,—ou à virer au cabestan—pour les monter sur la terre,—quand la mer est en colère.

Dans le plus dur pêcheur de crevettes de la commune.

Dans un homme qui, si on lui demandait ses papiers,—n’aurait à présenter que celui dont voici la copie exacte:

FRANCE.

POLICE DE NAVIGATION.

Nom du navire,              n. 7.

L’ARSELIN.                    Tonnage,

Nom du patron,              »95/100.

ALPHONSE KARR.

Congé valable pour un an.

LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS, à tous ceux qui les présentes verront, salut.

«Vu les articles 2-4-5-11 et 22 de la loi du 27 vendémiaire an XI,—et l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 1838;

»Nous déclarons qu’il est donné congé au sieur Alphonse Karr de sortir du port avec le bateau nommé l’Arselin,—à charge par ledit sieur de se conformer aux lois et règlements de l’État;—ledit navire a été reconnu du tonnage de—»tonneaux—quatre-vingt-quinze centièmes,—non ponté,—deux mâts,—et il est actuellement attaché au port de Fécamp.

»Prions et requérons tous souverains, États, amis et alliés de la France et leurs subordonnés, mandons à tous fonctionnaires publics, aux commandants des bâtiments de l’État, et à tous autres qu’il appartiendra,—de le laisser sûrement et librement passer avec son bâtiment,—sans lui faire ni souffrir qu’il lui soit fait aucun trouble ni empêchement quelconque,—mais, au contraire, de lui donner toute faveur, secours et assistance partout où besoin sera.

»Reçu soixante-quinze centimes.»

Certes, voilà qui n’est pas cher! protégé par tant d’États, de souverains, d’officiers publics, de fonctionnaires—et vaisseaux de l’État pour soixante-quinze centimes.

Je donnerais volontiers soixante-quinze autres centimes pour être protégé comme écrivain aussi bien que je le suis comme pêcheur;—malheureusement il n’en est pas ainsi,—j’en raconterai une autre fois—une preuve convaincante.

image d’une guêpe AM RAUCHEN.—L’amour est comme ces arbres à l’ombre desquels meurt toute végétation.—L’homme qui aime une femme, non-seulement n’aime rien autre chose, mais finit par ne rien haïr non plus; c’est en vain qu’il cherche dans les replis de son cœur toutes les préférences, toutes les sympathies, toutes les répugnances, tout cela est mort, mort d’indifférence.

image d’une guêpe Il faut qu’un jeune homme—jette ses gourmes,—qu’il fasse un poëme épique en seconde.

Qu’il porte des souliers lacés, dissimulés par des sous-pieds très-tirés, des éperons si longs qu’on devrait, pour la sûreté des passants, y attacher de petites lanternes et crier: «Gare!»—qu’il s’écrive à lui-même des lettres de comtesse et se les envoie par la poste;—qu’il ait pour ami un acteur de mélodrame et le tutoie très-haut dans la rue;—qu’il mette un œillet rouge à sa boutonnière pour simuler à vingt pas le ruban de la croix d’honneur; qu’il parle de créanciers et de dettes qu’il n’a pas; qu’il plaisante beaucoup sur les femmes et sur l’amour, tandis que le moindre geste de la femme de chambre de sa mère le fait pâlir ou devenir cramoisi, et que le son de sa voix le fait frissonner;—qu’il appelle, en parlant d’eux, tous les hommes remarquables de l’époque simplement par leur nom sans y joindre le monsieur;—qu’il se dise désillusionné quand il n’a encore rien vu de la vie;—qu’il parle avec dédain de l’amour, de l’amitié, de la vertu, à cette riche époque de l’existence où le cœur, gonflé de bienveillance et d’exaltation, laisse déborder toutes les tendresses et tous les beaux sentiments;—qu’il prétende fumer avec le glus grand plaisir des cigares violents qui lui font vomir, dans une allée écartée du jardin, jusqu’aux clous de ses souliers;—qu’il parle avec un enthousiasme grotesque des choses à la mode qu’il ne sent pas, et cache avec soin les beaux et vertueux enthousiasmes de son âge;—qu’il vole dans les maisons des cartes de visite de personnages qu’il n’a jamais vus—et les accroche à sa propre glace, pour donner à son portier et à sa femme de ménage—une haute opinion de ses relations;—qu’il parle tout haut avec un ami qu’il rencontre au théâtre ou à la promenade,—et ne lui dise rien qui l’intéresse,—toute la conversation n’ayant d’autre but que d’être entendu des promeneurs et des spectateurs sur lesquels on veut faire de l’effet;—qu’il porte un lorgnon avec des yeux excellents;—qu’en parlant de ses parents, il les appelle ganaches, quand, le matin même, trouvant dans la chambre de sa mère un de ses vêtements tombé sur un tapis, il l’a baisé en le ramassant précieusement;

Toutes choses dont les gens les plus sensés, les meilleurs, les plus spirituels, trouveront quelques-unes dans leurs souvenirs.

Je ne parle pas de ceux qui recommencent ces sottises toute leur vie;—ce ne sont plus des gourmes: c’est la teigne.

image d’une guêpe Il n’y a rien d’égal à la petitesse de l’homme, si ce n’est sa vanité.—Il a jugé à propos de se créer un Dieu;—de lui imposer ses passions,—de le mêler à ses querelles,—de lui donner sa sotte figure,—de l’affubler de vêtements roses et bleus;—il existe des discussions écrites où deux auteurs soutiennent deux opinions touchant la chevelure de Dieu.—L’un, dont j’ai oublié le nom, prétend qu’elle est rousse;—l’autre, l’historien Josèphe, soutient qu’elle est couleur noisette.

Il y a des hommes qui ont protégé Dieu—contre d’autres hommes,—et qui les ont brûlés pour les forcer de croire.

Mais ce qui me semble le plus singulier, c’est quand un homme croit avoir offensé Dieu.

L’homme qui ne peut anéantir ni une goutte d’eau ni un grain de poussière,—lui, toujours enfermé dans les mêmes passions, dans les mêmes joies, dans les mêmes douleurs.

O homme! mon pauvre ami, avec quelles armes penses-tu offenser Dieu,—et quelle est donc sa partie vulnérable? a-t-il, comme Achille, quelque bout de talon qu’il ait négligé de rendre éternel?

O homme! Dieu est tout ce qui est; Dieu est la mer, le ciel, et les étoiles;—Dieu est la terre et l’herbe qui la couvre;—Dieu est à la fois les forêts et le feu qui dévore les forêts;—Dieu est l’amour qui rend les tigres caressants, et qui force les papillons à se poursuivre dans les luzernes,—et l’amour des fleurs qui se fécondent en mêlant leurs parfums;—Dieu est les hommes qui pourrissent dans la terre et les violettes qui tirent leurs couleurs et leurs parfums de la putréfaction des hommes;—Dieu est l’air bleu, les nuages, le soleil,—les hautes montagnes—et les insectes qui vivent huit cents dans une goutte d’eau.

Et tu crois offenser Dieu! tu crois offenser Dieu! mais regarde celui qui, selon toi, a le plus offensé Dieu,—le soleil cesse-t-il de caresser son front?—les parfums des fleurs deviennent-ils fétides pour lui?—l’eau des fleuves recule-t-elle devant ses lèvres sèches?—les fruits deviennent-ils de la cendre dans sa bouche?—l’herbe jaunit-elle sous ses pieds? Non, pas que je sache.

Dieu t’a jeté dans la vie et t’a renfermé dans des limites infranchissables;—ta chaîne te permet de cueillir quelques fleurs à droite et à gauche et de te piquer les doigts à leurs épines, mais il ne t’en faut pas moins parcourir la même route que ceux qui t’ont précédé et ceux qui te suivront;—il te faut mettre tes pieds dans l’empreinte de leurs pieds.

Toi-même tu es en Dieu,—mais tu es moins que n’est un grain de sable dans la mer.

Et cependant te figures-tu ce que serait la révolte d’un grain de sable—dans les profondeurs de l’Océan?

image d’une guêpe Les femmes n’aiment réellement que les hommes qui sont plus forts qu’elles.

Car, si leur plaisir le plus vif est de plaire et de commander,—leur bonheur est d’aimer et d’obéir.

En général, les rêveries des femmes ne sortent guère des espaces réels;—il faut que toute idée puisse se traduire à leurs yeux par une forme visible.—Pour les conduire au ciel, Dieu doit faire la moitié du chemin;—leur religion est l’amour pour un Dieu fait homme.

Il ne faut croire l’indulgence des gens que lorsqu’elle s’exerce dans les choses qui leur sont personnelles.—Tel homme se prend de pitié pour un empoisonneur,—pour un assassin,—vous le croyez indulgent;—attendez pour le juger qu’on lui marche sur le pied dans une foule,—ou qu’on casse par maladresse—une de ses tasses du Japon.

image d’une guêpe La lune montait au ciel derrière les peupliers,—un rossignol fit entendre ces trois sons graves et pleins sur la même note,—prélude ordinaire de son hymne à la nuit et à l’amour.

LE ROSSIGNOL. La lune monte au ciel en silence,—le travail,—l’ambition,—l’avidité, sont endormis,—ne les réveillons pas;—ils ont pris tout le jour, mais la nuit est à nous.

Beaux acacias dont les panaches verts s’étendent sur nos têtes, secouez vos grappes de fleurs blanches, arrosez la terre de vos douces odeurs.

Brunes violettes, roses éclatantes, le parfum que vous ne dépensiez le jour qu’avec avarice,—exhalez-le de vos corolles, comme les âmes exhalent leur parfum, qui est l’amour.

Les lucioles se cherchent dans l’herbe, ils semblent voir des amours d’étoiles tombées du ciel.

LA CHOUETTE. Il n’y a dans l’année que quelques nuits comme celle-ci. Il n’y a que quelques étés dans la jeunesse. Il n’y a qu’un amour dans le cœur.

Tout est envieux de l’amour, et le ciel lui-même, car il n’a pas de félicités égales à donner à ses élus.

Le malheur veille et cherche;—cachez votre bonheur, soyez heureux tout bas.

Tout bonheur se compose de deux sensations tristes: le souvenir de la privation dans le passé, et la crainte de perdre dans l’avenir.

LE ROSSIGNOL. Beaux acacias, dont les panaches verts s’étendent sur nos têtes, secouez vos grappes de fleurs blanches, arrosez la terre de vos douces odeurs.

Chèvrefeuilles, jasmins, cachez sous vos enlacements les amants qui vous ont demandé asile. Faites-leur des nids de fleurs et de parfums.

LA CHOUETTE. Le malheur veille et cherche, cachez votre bonheur, soyez heureux tout bas.

Et toi, l’amoureux, tes yeux auront perdu leur éclat.

Soyez heureux bien vite, car toi, la belle fille, bientôt le duvet de pêche de tes joues sera remplacé par des rides.

LE ROSSIGNOL. Qu’est-ce que le passé, qu’est-ce que l’avenir? les rudes épreuves de la vie ne payent pas trop cher une heure d’amour.

Mille ans de supplice pour un baiser,

LA CHOUETTE. Cette existence qui déborde de vos âmes, vous en deviendrez avares,—et vous la cacherez dans votre cœur comme si vous enfouissiez de l’or.

Vos mains sèches se toucheront, sans faire tressaillir votre cœur,—vous ne vous rappellerez cette nuit d’aujourd’hui, si vous vous la rappelez jamais, que comme une folie, une imprudence, et vous frémirez de l’idée que vous auriez pu vous enrhumer,—puis vous mourrez.

LE ROSSIGNOL. Oui, nous mourrons, mais la mort n’est qu’une transformation.

Nous ressortirons de la terre fécondée par nos corps—tubéreuses, roses, jasmins—et nous exhalerons nos parfums toujours dans de belles nuits comme celle-ci.

Et toi, chouette, n’es-tu pas aussi amoureuse, et n’échanges-tu pas de tristes caresses dans les ruines et les tombeaux?

Beaux acacias, dont les panaches verts s’étendent sur nos têtes, secouez vos grappes de fleurs blanches,—arrosez la terre de vos douces odeurs.

Août 1842.

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