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Les guêpes ­— séries 3 & 4

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Même en frappant, un père est toujours père.

Le Dieu me foudroie, mais il affranchit son tonnerre.

image d’une guêpe Voici comment parla le dieu Cheneau: «Que les humains se souviennent que je ne suis point pour condamner les personnes égarées, mais pour les aimer.

»Les Guêpes sont les insectes qui piquent et qui pincent; si, par malheur pour elles, elles veulent piquer au-dessus de leurs facultés, elles se détruisent d’elles-mêmes.

»Je m’aperçois à l’instant que les Guêpes légères viennent de se déclarer très-faibles en logique ainsi quen conception en déclarant que la faculté de comprendre leur manquait.

»Vous n’êtes pas théologiens, laissez donc ce soin aux apprentis papes; que les Guêpes soient légères, c’est vrai, mais qu’elles apprennent que je ne suis point comme elles inconséquent avec les règles de la raison. Les Guêpes ont dit: «Nous n’analyserons pas l’ouvrage de M. Cheneau, attendu que nous n’y comprenons rien, ni lui non plus.»

»Les Guêpes sauront à l’avenir qu’elles manquent de sens en plaisantant sur mon ouvrage.»

image d’une guêpe Pardon, monsieur Cheneau, n’y a-t-il pas dans votre réponse un peu d’aigreur?—et êtes-vous bien conséquent avec votre première phrase:

«Que les humains se souviennent que je ne suis point pour condamner les personnes égarées, mais pour les aimer.»

De bonne foi, dieu Cheneau, avez-vous l’air, dans votre lettre, de m’aimer beaucoup?

«Que les humains se souviennent,» dites-vous; c’est très-bien; mais souvenez-vous-en aussi, monsieur le dieu. Continuons la lecture des tables de la loi.

«Vous avez fait connaître aux négociants et aux autres les mesures de votre esprit, monsieur Karr,:—vous vous moquez de l’Évangile.»

image d’une guêpe De votre Évangile, dieu Cheneau, n’oublions pas que c’est de votre Évangile,—quand vous dites: «En ce temps-là, je chassai les démons.

»En ce temps-là, mon bon ami saint Jean-Baptiste vint me voir avec mon autre ami Napoléon.»

image d’une guêpe «Suivez mon conseil, relisez mon ouvrage.»

Merci, monsieur Cheneau,—merci,—détournez de moi ce calice, ou plutôt permettez-moi de le détourner moi-même.

image d’une guêpe «Vous découvrirez que j’ai rendu sensible à tous les hommes le vrai principe théologique, philosophique et la religion d’amour qui est destinée à produire la foi éclairée par le raisonnement et la liberté intellectuelle.»

(Encore ici, dieu Cheneau, vous n’êtes pas conséquent, mon bon dieu: vous appelez la liberté d’examen,—et vous me maltraitez parce que j’examine votre religion.—Vous dites que vous rendez votre religion sensible à tous les hommes, et vous ajoutez que je ne la comprends pas.—Il y a un autre Dieu, Dieu l’ancien, vous savez, celui qui s’est fait homme,—mais qui, il faut l’avouer, n’avait pas songé à se faire mercier;—il avait, pour éclairer les choses et les gens, un procédé que je vous recommande;—pour les choses, «Dieu dit: Que la lumière soit,—et la lumière fut.»—Pour les hommes, il fit descendre le Saint-Esprit sur les apôtres.—Pourquoi, mon bon dieu Cheneau, ne m’éclairez-vous pas, au lieu de me reprocher ma stupidité avec autant d’amertume?)

image d’une guêpe «Vous m’avez supposé, monsieur A. Karr, que j’avais écrit sans base, cela ne prouve pas une grande profondeur d’intelligence en vous.»

image d’une guêpe (Je vous assure, dieu Cheneau, que, lorsque vous me parlez ainsi, vous n’avez pas l’air de m’aimer du tout,—malgré votre première phrase.)

image d’une guêpe «Je n’ai pas fait comme les Augustin, les Fénelon, les Bossuet, les Chateaubriand,—les Lamartine, les Victor Hugo, qui n’ont pas compris leur religion: j’écris pour que l’on comprenne.»

Vous savez que j’en excepte toujours vous et moi.

image d’une guêpe «Je me trouve donc directement en opposition avec leur avilissante doctrine et leur science honteuse; les jeunes auteurs ne pourront régénérer la littérature, la société même, qu’après avoir adopté la nouvelle religion que j’ai manifestée. Qu’ils en sonde la profondeur!»

—Pardon encore une fois, mais peut-être fallait-il ne pas donner tant de profondeur à une religion qui doit être comprise de tous.

image d’une guêpe «J’ai encore bien des choses à dire,—mais j’attendrai votre réponse pour savoir si elles sont au-dessus de votre portée.»

image d’une guêpe Ainsi fulmina le dieu.—Je mis la foudre dans ma poche,—et je me sentis touché d’un grand désir de voir M. Cheneau. Voici l’avantage d’un dieu—mercier,—c’est que la joie de voir Dieu face à face était autrefois réservée aux élus,—tandis qu’avec un dieu mercier on peut se procurer cette félicité en allant acheter chez lui pour quatre sous de n’importe quoi.

image d’une guêpe Je me transportai à l’adresse indiquée,—l’olympe du dieu Cheneau est rue Croix-des-Petits-Champs, 15, au rez-de-chaussée,—ce que je trouve un peu bas pour un ciel.

Le ciel de M. Cheneau est peint en jaune; j’aime mieux le bleu. Je lus sur la porte:

CHENEAU ET P. JOUIN.
Fournitures pour tailleurs.
Doublures, fabrique de boutons, dépôt de boutons anglais,
mercerie, soierie en gros et en détail.

Dieu l’ancien avait fait le ciel et la terre—il était réservé au dieu Cheneau de faire les boutons.

Mais qu’est-ce que P. Jouin?—N’est-il associé de M. Cheneau que pour les boutons?—n’est-il que comercier,—ou est-il en même temps codieu?—Pourquoi M. Cheneau ne parle-t-il pas de M. P. Jouin?

J’entre dans le ciel;—de chaque côté de la porte est un comptoir de noyer;—au fond est un escalier en forme de fourche, qui monte à droite et à gauche.

Pas la moindre houri dans les comptoirs.—Je crie: «A la boutique!»—Il arrive un chérubin crépu.

—Donnez-moi un écheveau de fil.

—Voilà.

—M. Cheneau est-il ici?

—Non, monsieur, il est sorti.

Le dieu va en ville.

Je me retire en pensant que si un dieu mercier a quelques avantages, il regagne l’infériorité sous d’autres points.—Dieu l’ancien est partout à la fois,—tandis que le dieu Cheneau,—quand il est sorti, n’est pas à son comptoir.—Les affaires du dieu doivent nuire à celles du mercier.—Ainsi ne soit-il pas.

image d’une guêpe Comme j’allais voir Janin, l’autre jour,—je m’arrêtai surpris au coin de la rue de Tournon.—J’étais au milieu de la rue:—deux ou trois cochers me crièrent: «Gare!»—J’allai m’adosser à une boutique pour voir si mes yeux ne m’avaient pas trompé.

Vous savez cette vieille enseigne, autrefois célèbre, de M. Pigeon? Elle représente un garde national en costume bourgeois, par-dessus lequel il a endossé la giberne et le sabre avec leurs larges courroies blanches en croix: c’est une caricature assez bien faite.

Ce qui causait ma surprise,—c’était de voir que le marchand de nouveautés avait décoré, de son autorité privée, son enseigne de la croix de Juillet et de la croix d’honneur.

Je ne suis pas partisan effréné de la garde nationale;—trente-huit volumes des Guêpes en feraient foi au besoin;—mais si j’étais préfet de police ou ministre donnant des ordres au préfet de police,—et ayant besoin de la garde nationale, je ne voudrais pas avoir signé une autorisation—pour qu’on mît ainsi au-devant d’une maison une caricature permanente contre la garde nationale.

Mais ceci n’est qu’une considération secondaire.

Certes, c’est une belle et puissante chose—que d’avoir persuadé aux hommes que les plus grands dévouements, le risque perpétuel de la vie, la perte d’un bras ou d’une jambe, étaient plus que récompensés par quelques centimètres de ruban d’une certaine couleur.

Et un gouvernement qui possède une pareille monnaie est assez bête pour l’avilir!—d’abord en la prodiguant sottement et en en payant des services honteux,—mais encore en la laissant insulter par qui le veut.

Certes, si j’écrivais aujourd’hui que le gouvernement rogne les pièces de cent sous ou mêle un tiers d’alliage aux pièces de vingt francs,—le procureur du roi exigerait une rectification ou mieux encore me ferait un procès.—«Quoi! me dirait-il, vous dépréciez la monnaie, vous cherchez à tuer la confiance, à détruire la sécurité des transactions!—mais vous faites là une mauvaise action, monsieur,—une action dangereuse.»

Et on permet à une marchande de foulards de coton de tourner en ridicule cette noble et belle monnaie avec laquelle on paye les braves sans les déshonorer!

C’est une lâcheté et une sottise.

image d’une guêpe Il est une chose honteuse, infâme, qui n’est assez flétrie ni par les tribunaux ni par l’opinion.

Je veux parler d’une sorte de vol lâche et ignoble—que les filous appellent chantage, et que l’on retrouve aujourd’hui, sans interruption, depuis les carrefours les plus mal famés jusque dans les administrations, dans les ministères,—dans les lieux les plus élevés et les plus respectés.

PREMIER EXEMPLE.—Une petite fille de quatorze ans s’introduit chez un homme, sous prétexte de lui vendre des cure-dents;—un quart d’heure après, le père et la mère,—ou un oncle,—ou un frère aîné,—arrivent en fureur,—menacent, crient, pleurent: la fille était, jusqu’ici, vertueuse;—elle n’a pas seize ans;—on va faire un procès criminel;—l’honneur de la malheureuse enfant est perdu;—toute une famille désolée ne pourra se calmer que par cent écus; on marchande la consolation de la famille,—on s’arrange à soixante francs: le tour est fait,—et la jeune innocente—va continuer ses exercices dans un autre quartier.

image d’une guêpe DEUXIÈME EXEMPLE.—Un cocher de fiacre a conduit une femme bien mise dans un quartier éloigné;—elle était pâle, troublée;—elle est restée plusieurs heures, s’est fait descendre au coin d’une rue et a payé le cocher généreusement—sans compter.

Le cocher la suit, voit où elle demeure,—apprend son nom du portier,—et le lendemain vient demander à lui parler;—il s’adresse à une femme de chambre;—la femme de chambre avertit sa maîtresse qu’une sorte d’ouvrier vêtu d’un carrick veut lui parler.

—Demandez ce qu’il veut.

—Il ne veut répondre qu’à madame.

—Alors je ne le reçois pas,—renvoyez-le.

—C’est le cocher qui a conduit madame hier.

—Ah! mon Dieu!

Elle pâlit,—s’appuie sur un meuble.

—Faites-le entrer,—bien vite,—que personne ne le voie!

La femme de chambre, étonnée, obéit.

—Madame, dit le cocher, je suis bien fâché qu’on ait dérangé madame, j’aurais aussi bien parlé à monsieur,

—Grand Dieu!—ne vous en avisez pas;—que me voulez-vous?

—C’est qu’hier madame s’est trompée d’un quart d’heure;—nous sommes restés trois heures là-bas,—et...

—Vite, combien est-ce?

—C’est à la générosité de madame.

—Tenez, voilà cent sous; allez-vous-en bien vite!

—J’ai eu bien froid à attendre madame; je suis sûr que M... aurait été plus généreux.

—Voilà vingt francs.

Le cocher s’en va:—mais de temps en temps—il vient mystérieusement trouver la femme de chambre—et demande si madame n’a rien à lui ordonner.—La malheureuse femme,—à demi morte de frayeur,—lui fait chaque fois remettre un louis.

Une fois—elle a voulu refuser cet impôt;—le cocher a alors demandé si M... y était.—Elle a envoyé le louis à l’instant même.

image d’une guêpe TROISIÈME EXEMPLE.—Un acteur va débuter,—un journal lui est apporté avec la carte du directeur.—S’il ne va pas trouver le directeur pour s’arranger avec lui,—on l’ÉREINTE,—on l’insulte, on le bafoue dans le journal—jusqu’à ce qu’il se soumette,—et alors on constate—que l’artiste, docile aux conseils de la CRITIQUE,—a fait de notables progrès, qu’il est juste d’encourager ses efforts, etc.—Le prix d’un abonnement—à quatre ou cinq billets de mille francs,—suivant la sensibilité de l’acteur et de ses appointements.

COROLLAIRE.—Quelquefois un journaliste aime une actrice:—il la maltraite jusqu’à ce qu’il ait obtenu du retour.

D’autres fois—il s’agit d’obtenir ses entrées à un théâtre:—directeur, auteurs, acteurs,—tout est insulté sans pitié jusqu’à ce que la direction se soit exécutée.

D’autres fois,—après les entrées, on exige des subventions annuelles.

image d’une guêpe QUATRIÈME EXEMPLE.—Un homme politique ou autre veut une place pour lui ou pour un de ses amis;—on attaque dans deux ou trois journaux,—et le ministre duquel elle dépend,—et le roi,—«la France marche à sa perte,—les ministres nous déshonorent,» jusqu’à obtention de la place—ou du bureau de tabac demandé.

image d’une guêpe CINQUIÈME EXEMPLE.—Une trentaine d’hommes occupent depuis douze ans les ministères,—il ne peut y en avoir que huit aux affaires à la fois.—Les vingt-deux autres les attaquent, les insultent, les calomnient—jusqu’à ce qu’ils les aient renversés;—huit des vingt-deux prennent leur place, les huit renversés se joignent alors aux quatorze qui ont fait la guerre à leurs dépens,—et on attaque, insulte et calomnie les huit nouveaux arrivés.

image d’une guêpe SIXIÈME EXEMPLE.—Il y a des gens qui ont pour profession—de savoir une anecdote ridicule,—une fantaisie vicieuse, une liaison cachée—d’un ministre ou d’un homme en place;—cette profession les fait vivre dans le luxe et les plaisirs, attendu que l’homme en place leur fait confier une mission scientifique ou accorder une pension pour services rendus à l’État, etc., etc., etc., etc.

image d’une guêpe Il serait facile de multiplier à l’infini des exemples de ce genre.

Seulement, je ne sais pourquoi les auteurs de ces faits ignominieux ne sont pas punis d’un juste et égal mépris—dans quelque classe qu’ils se trouvent,—quelque but qu’ils veuillent atteindre.

Au bas de l’échelle, la justice intervient; à mesure que l’objet de ce honteux trafic prend de l’importance, les opérateurs sont salués, reçus dans le monde, recherchés, courtisés et enviés.

image d’une guêpe DICTIONNAIRE FRANÇAIS-FRANÇAIS.BOUCHER, boucherie.—Sorte de morgue où sont étalés publiquement des cadavres sur des linges tachés de sang.—C’est là que chacun va choisir le morceau de cadavre qu’il aime le mieux pour s’en repaître le soir avec sa famille et ses amis.

image d’une guêpe BOUCON, voyez ARSENIC.

image d’une guêpe BREVET.—Un brevet est un morceau de papier ou de parchemin que tout le monde obtient moyennant une somme de sept cent cinquante ou de quinze cents francs.

Il n’y a pas de pilules inconvenantes, de pâtes obscènes, de mécanique ridicule,—qui ne commence par se munir d’un brevet;—après quoi on met dans les journaux: «A obtenu un brevet du roi.»

Ce qui a tout à fait l’air d’une approbation spéciale de Sa Majesté.—Le public achète, et se trouve volé ou empoisonné.

Il serait de la dignité du gouvernement de ne pas laisser ainsi le roi complice des marchands d’orviétan de son royaume,—et d’expliquer d’une manière formelle ce que c’est qu’un brevet;—mais il s’agit bien de dignité aujourd’hui!

Si le public savait ce que c’est qu’un brevet, il ne s’y laisserait plus prendre.—Si le public ne se laissait plus prendre à ce gluau, les charlatans ne le tendraient plus.—Conséquemment, cela ferait un certain nombre de pièces de sept cent cinquante francs et de quinze cents francs qui cesseraient de tomber dans les coffres de l’État[N].

image d’une guêpe BROUILLARD.—Interrompt toujours les dépêches télégraphiques dont le gouvernement ne veut faire connaître que la moitié.

image d’une guêpe BOUILLON.—Les savants sont des gens qui, sur la route des choses inconnues, s’embourbent un peu plus loin que les autres,—mais restent embourbés, parce qu’ils ne veulent pas avouer qu’ils le sont,—et se gardent bien de crier au secours.

Il y a vingt-cinq ans, M. Darcet imagina de faire du bouillon avec de la gélatine,—c’est-à-dire en soumettant les os dépouillés de viande à l’action de la vapeur.

Le bouillon ainsi produit était fade,—donnait des nausées, etc.; mais l’Académie—représentée par une commission—le trouva et le déclara excellent. En conséquence,—on en donna, sans réclamation, pendant quinze ans aux malades des hôpitaux.

Au bout de quinze ans,—on crut s’apercevoir de quelque chose.—On fit de nouvelles expériences sur la gélatine,—et on découvrit cette fois que la gélatine et le bouillon qui en est fait sont d’une mauvaise odeur et d’un mauvais goût, ne contiennent aucun principe alimentaire, mais chargent et fatiguent l’estomac, qui ne peut les digérer.—Un élève des hôpitaux se soumit à la gélatine pour toute nourriture, il ne put continuer ce régime que quatre jours et resta avec une gastralgie intense.

M. Gannal a essayé d’en nourrir lui et sa famille. Au bout de quelques jours, ils étaient tous malades et mourant de faim.

Eh bien! il y a dix ans de cela, et on n’a pas encore défendu l’emploi de la gélatine dans les hôpitaux.—Les malheureux malades—reçoivent encore comme bouillon—un liquide mauvais au goût, malsain et sans aucuns principes nutritifs.

Parce que M. Darcet ne veut pas s’être trompé.

Parce que l’Académie des sciences ne veut pas avouer qu’elle s’est laissé tromper.

Parce que les divers ministres qui se succèdent ont bien d’autres choses à faire.

image d’une guêpe BRUNE.—C’est le nom qu’une femme blonde donne à la maîtresse présumée de son mari.—«Il est allé voir sa brune

Une femme brune, au contraire, dit—en pareille circonstance: «Il est allé voir sa blonde

Toutes les femmes savent, par un merveilleux instinct,—que l’infidélité n’est pas pour une femme plus jolie, mieux faite ou plus spirituelle, mais simplement pour une autre femme.

Ceci devrait mettre leur amour-propre à son aise: on peut être blessée de se voir préférer une femme—pour l’esprit ou pour la figure,—mais il est en ce cas une supériorité incontestable dont on ne peut se fâcher—et à laquelle on ne peut prétendre,—c’est celle d’être une autre femme.

Janvier 1843.

image d’une guêpe JANVIER.—On sème sur couche et sous châssis les radis, la laitue et le cresson.—On continue à récolter le produit des tendresses, des soins, des bassesses semés dans la seconde quinzaine de décembre.—Arrivée de beaucoup d’oies et de très-peu de cygnes.—Ouverture de la session des Chambres.—Les avocats enrichiront le français de plusieurs barbarismes et appauvriront les Français de plusieurs millions.—On taille les pommiers et les poiriers.—Le Journal des Débats renouvellera l’avis qu’il a donné, il y a quelques années, aux pauvres, au milieu de la saison rigoureuse: il leur conseillera de mettre leurs économies à la caisse d’épargne.—M. Armand Bertin sera incommodé à la suite d’un dîner.—Vers la seconde moitié du mois, on voit cesser assez brusquement certaines tendresses, certains soins, qui avaient signalé la fin du mois de décembre.

image d’une guêpe On remarquera avec amertume que les diablotins et les papillotes continuent à marcher dans une voie de progrès.

Autrefois les devises des bonbons étaient de la plus charmante naïveté:—c’étaient d’innocents madrigaux adressés à la beauté,—des énigmes et des logogriphes proposés à tout le monde.—J’en ai gardé quelques-uns qui ne datent pas de plus de quinze ans:

Iris, voyez combien vos charmes
Me coûtent chaque jour de larmes!
AUTRE.
Voyez, à mon émotion,
Quelle est l’ardeur de ma passion.
AUTRE.
Chloé, partagez mon ardeur,
Ou je vais mourir de douleur.
AUTRE.
J’ai cinq pieds, et pourtant je ne suis qu’un oiseau,
Otez mon cœur, je suis votre premier berceau. (Serin sein.)

image d’une guêpe Tout cela n’était pas bien neuf, mais ne chargeait pas plus l’esprit que les bonbons ne chargeaient l’estomac.—Cette poésie même excitait généralement un léger sourire.—Aujourd’hui les diablotins ont entrepris de former le cœur et l’esprit:—les papillotes ont leur mission sociale.—Je vous signale surtout les pastilles de chocolat recouvertes de petites graines blanches et enfermées deux à deux dans des papiers blancs;—leur tendance est tout à fait déplorable,—elles paraissent avoir pour but de dégoûter les enfants et les femmes de l’existence.

Si les diablotins donnent à leurs lecteurs quelques pièces de Pascal et de Larochefoucauld qui montrent la fausseté et le vide des choses humaines, les pastilles de chocolat vous disent des choses dans le genre de celles-ci:

La beauté, le pouvoir, les honneurs, la richesse.
Ne peuvent éviter l’inévitable sort;
La poussière confond le crime et la sagesse,
Et le même sentier nous conduit à la mort.
BERTHELEMOT.
On ne peut éviter son sort:
Chaque année est un coup dont nous frappe la mort.
LE FIDÈLE BERGER.
Les roses de ton front seront bientôt fanées,
Belle fille, à mourir en naissant condamnée.
DUPONT-JOURNER, rue Saint-Martin.

Le gouvernement ne paraît en aucune manière s’inquiéter de cette marche inquiétante;—je suppose donc qu’il exerce une censure cachée et scrupuleuse sur les devises de bonbons, et qu’il y a quelque homme de lettres attaché spécialement à la surveillance des écarts politiques que pourraient se permettre les diablotins.

Autrement, je ne comprends pas comment ils n’arriveraient pas très-prochainement à traiter les plus graves questions politiques.—Les pralines donneraient dans l’opposition;—le chocolat abandonnerait ses lugubres méditations et ferait des théories humanitaires contre la propriété;—le roi Louis-Philippe, malgré son inviolabilité, serait personnellement attaqué par les pistaches.

image d’une guêpe Je pense que les poëtes qui faisaient autrefois, l’hiver, les devises innocentes des papillotes étaient les mêmes qui, l’été, composaient la poésie qui s’enroule autour des mirlitons;—je n’ai pas eu occasion de suivre les révolutions de cette dernière poésie—comme j’ai observé les phases de celle des bonbons,—mais tout me porte à croire qu’elles marchent d’un pas égal dans la voie du sérieux et du lamentable!

image d’une guêpe Je suppose que le gouvernement étend sur les mirlitons sa sollicitude à l’égard des papillotes.

image d’une guêpe Je suis persuadé qu’une des causes qui ont poussé les confiseurs à faire des bonbons aussi mélancoliques est une honteuse parcimonie, pour éviter de payer les droits d’auteur aux poëtes qui jusqu’ici leur avaient prêté leur concours.

Que deviendront ces malheureux poëtes?

image d’une guêpe Monsieur ***,—ex-parvenu assez insolent,—enrichi par des spéculations hasardées,—a fini par se ruiner,—par suite d’un bilan dont le passif a été fidèlement déclaré, mais l’actif scrupuleusement gardé dans sa poche; il offrira—rien pour cent à ses créanciers;—il sera un peu inquiété à ce sujet:—obligé de se cacher pendant le jour,—il vivra somptueusement la nuit.—Nous le prévenons que, pendant le mois de janvier, le soleil se couchera légalement à quatre heures trente-trois minutes et se lèvera à sept heures cinquante minutes.

image d’une guêpe FÉVRIER.—Vers la moitié de ce mois, S. M. Louis-Philippe—vendra, comme l’année précédente (20 février 1842),—les premiers haricots verts de l’année.—Fureur de M. de Rothschild, qui n’en pourra livrer au commerce que plusieurs jours après le roi des Français.—CARNAVAL, bals de l’Opéra; attendu que dix théâtres et établissements publics seront pleins chaque soir de masques, qui s’y encaqueront par milliers, et que lesdits masques dormiront le jour, les journaux de l’opposition feront remarquer qu’on ne voit pas un seul masque sur les boulevards, signe évident de la misère, des souffrances et de la tristesse du peuple.—On ne rira pas assez des grandes phrases que ces braves journaux feront sur ce thème.—Plusieurs législateurs seront mis au violon pour danses un peu trop risquées.—Quelques femmes libres également cesseront momentanément de l’être pour l’avoir été trop dans leurs attitudes.—Quelques vieilles femmes abuseront du masque pour séduire et mener à mal des jeunes gens sans expérience.

image d’une guêpe Plusieurs auront des aventures du genre que voici:

UN DOMINO. Je te connais, tu t’appelles Charles.

UN AUTRE. Je te reconnais, tu es employé au ministère des finances.

UN AUTRE. Je te connais, tu avais avant-hier un pantalon bleu.

Et le jeune homme est le plus heureux des mortels; il se dit: «Comme on m’intrigue donc! comme je suis donc connu! comme on s’occupe donc de moi!»

image d’une guêpe Un domino lui prend brusquement le bras et marche avec lui sans parler.

—Eh bien! dit le jeune homme s’arrêtant enfin dans un coin, est-ce là tout? n’as-tu rien à me dire?

—Absolument rien, répond le domino.

Et le jeune homme lève les yeux au plafond et se ronge un ongle, ce qui lui donne pour les passants l’air de dire: «Où diable a-t-elle appris tout cela? je suis le plus intrigué des hommes.»

—Je ne te connais pas, ajoute le domino, je ne t’ai jamais vu.

Et le jeune homme frappe du pied avec l’air dépité d’un homme auquel on raconterait ses aventures les plus secrètes;*—un de ses amis, voyant ses gestes, dit: «Il paraît qu’on en dit de dures à Charles.»

—Je t’ai pris le bras, continue le domino, parce que tu passais près de moi, et que c’était le seul moyen de me débarrasser d’un de mes amis qui s’était cramponné à moi et ne voulait pas me quitter,—je le remercie et je te laisse.

Le jeune homme reste seul, garde quelque temps l’air d’un homme très-préoccupé des révélations qu’on vient de lui faire.

L’ami qui l’avait observé l’aborde et lui dit:

—Eh bien, tu parais intrigué?

—Ne m’en parle pas! une femme charmante! un lutin pour l’esprit et la malice!—oh! elle ne m’a pas ménagé;—elle sait de moi des choses... et je ne puis savoir qui elle est;—je lui ai fait les questions les plus insidieuses, elle s’en est tirée avec un sang-froid, un tact, une présence d’esprit admirables!—Oh! je la connaîtrai.

—Heureux coquin! dit l’ami.

image d’une guêpe MARS.—Le 21, commence le printemps des astronomes, des almanachs et des poëtes.

Le 21, gelée.—Le 22, gelée.—Le 23, neige.—Le 24, pluie.—Le 25, bise.—Le 26, gelée.—Le 27, pluie.—Le 28, pluie.—Le 29, neige.—Le 30, gelée.—Le 31, froid.

image d’une guêpe L’homme tourne dans un cercle bizarre de désirs et de crainte;—le printemps, que nous attendons avec tant d’impatience, nous rapproche de l’hiver prochain, que nous redoutons.

image d’une guêpe AVRIL.—Semer les betteraves et les haricots,—et prendre garde aux poissons d’avril.

Un ministre renversé fera à la tribune un grand discours sur la misère du peuple; s’il veut rentrer aux affaires, s’il veut reprendre le fardeau du pouvoir, c’est uniquement dans l’intérêt du pays, etc.

Il y aura des proclamations,—des professions de foi—et une foule d’autres choses de circonstance:—les philosophes, les philanthropes, les savants,—tout le monde se moquera de vous et cherchera à vous attraper.

image d’une guêpe MAI.—Tout fleurit:—les fraisiers au pied de la haie d’épines blanches;—les papillons fleurissent dans l’air,—et cherchent, fleurs vivantes, une tige vacante parmi toutes les fleurs qu’ils visitent en voltigeant.

Les insectes cherchent, sur cette table opulente et toujours mise que la terre offre à toutes les créatures, chacun la plante qui lui est destinée.

image d’une guêpe L’air,—silencieux pendant l’hiver,—se remplit de chants d’oiseaux et de bourdonnements d’abeilles.

Partout—sur l’herbe, dans les arbres, dans l’air, dans l’eau,—sous la mousse, dans la corolle éclatante des fleurs,—tout est plein de nouvelles amours,—tout aime,—comme tout fleurit.

image d’une guêpe Mais rien ne bourgeonne,—rien ne fleurit comme le nez de M. d’Haubersaert.

image d’une guêpe C’est au commencement de ce mois que paraissent les hannetons,—c’est une nouvelle indifférente pour un siècle où il n’y a plus d’enfants;—on fume aujourd’hui à l’âge où autrefois on chantait la fameuse romance:

Hanneton, vole, vole, vole, etc.

image d’une guêpe Vers le 25, floraison des fèves de marais!

C’est un préjugé populaire—que le moment de la floraison des fèves—agit singulièrement sur le cerveau des gens;—on dit même souvent d’un homme qui fait quelque grande sottise: «Il a passé un champ de fèves en fleurs.»

Il existe à ce sujet un proverbe latin consigné dans un assez mauvais vers.

Cum faba florescit, stultorum copia erescit.

La floraison des fèves exercera cette année—une fâcheuse et remarquable influence.

M. Lherbette, député,—montera encore une fois à la tribune pour défendre les femmes de lettres—contre la tyrannie des époux—qui mettent de force dans leur existence la prose des enfants, du pot-au-feu—et de deux ou trois petits devoirs gênants et surannés.

M. Chapuys de Montlaville reprochera amèrement au roi sa mauvaise habitude de mettre des cravates blanches qui coûtent énormément cher de blanchissage,—tandis que Sa Majesté elle-même a breveté, moyennant huit cents francs, les cols en crinoline Oudinot (cinq ans de durée).

image d’une guêpe Un ministre qui ne le sera plus alors—s’inspirera, pour ressaisir le pouvoir, d’une Égérie—que l’on croit être la même qui autrefois donna de si bons conseils à Numa Pompilius,—l’an 714 avant Jésus-Christ.

image d’une guêpe La rue Laffitte, parquetée depuis un an,—sera cirée et frottée.

image d’une guêpe Les Anglais imagineront de vendre des coups de bâton.—S’apercevant au bout de quelque temps que cet article d’exportation est en souffrance, ils feront la guerre à une petite puissance du Nord.—L’Europe entière regardera sans rien dire.—La petite puissance, après avoir perdu quelques milliers d’hommes,—viendra à composition et fera un traité par lequel elle s’engagera à acheter tous les ans pour sept ou huit millions de coups de bâton.

image d’une guêpe M. de Balzac continuera à pousser les fleurs dans la voie de la révolte ouverte contre la nature.—Il naîtra dans un de ses livres—une violette de haute futaie.

Une foule de nouveaux auteurs paraîtront à l’horizon littéraire. Autrefois les gens qui avaient échoué dans leurs projets,—qui pleuraient les objets d’une grande affection,—qui avaient quelque faute à expier, entraient en religion;—ces gens-là, aujourd’hui, entrent en feuilleton.—A cette époque de la floraison des fèves, des beautés fanées, des administrateurs destitués, des femmes du monde qui auront trop voyagé avec des pianistes, encombreront de leur prose et de leurs vers les revues de journaux.

image d’une guêpe Au mois de mai,—on sème des choux de Bruxelles;—retour des bécasses, floraison du serpolet.—Le petit Martin perd sa faveur, fondée sur ce qu’il a un pouce de moins que M. Thiers,—par l’imprudence qu’il a de regagner ce pouce au moyen de bottes à talons.—Vers le 25, on sème le chanvre; il lève si bien, qu’en songeant aux belles cordes qu’on en fera et en voyant certains actes administratifs, on regrette qu’on ne pende plus.—On met des dahlias en place. Premiers melons.

image d’une guêpe JUIN.—Il faut éclaircir l’oignon et repiquer les poireaux.—Un assassin empoisonne toute une famille;—mais, comme il est établi aux débats que c’est chez lui une mauvaise habitude, puisqu’il est constant que c’est la troisième fois qu’il se livre à de pareils écarts,—le jury, reconnaissant la force irrésistible des habitudes,—admet des circonstances atténuantes, et l’accusé en est quitte pour quinze jours de prison;—tous les jurés signent un recours en grâce.—Une révolution avorte et s’appelle émeute criminelle,—attendu que ce sont les vainqueurs qui sont parrains.—On plante des pois qui doivent produire en septembre; on repique les ciboules pour l’hiver.—M. Jars, député, adresse à la tribune ses madrigaux à une actrice maigre.—Quelques fonctionnaires indépendants méritent d’être pendus.—Plusieurs villes par lesquelles passent les chemins de fer—voient les voyageurs leur tomber tout rôtis;—en effet, sur quelques rails on va fort vite, mais on arrive cuit;—sur d’autres, on arrive en bon état, mais on va un peu moins vite qu’en fiacre à l’heure.—M. Jay fait dans le Constitutionnel un article pour lequel, ainsi qu’il l’a dit dans ce carré de papier, «il trempe sa plume dans son cœur.»—Arroser abondamment et seulement le soir;—faucher les gazons et greffer les rosiers; on tond les moutons; on établira sur le lait un impôt dont on parle depuis longtemps.

image d’une guêpe M. Lesourd, directeur de l’octroi de Paris,—tombé en disgrâce,—débutera à l’Opéra.—On connaît dans le monde la magnifique voix de cet administrateur.

image d’une guêpe JUILLET.—On sème les carottes pour l’hiver.

—Anniversaire de la prise de la Bastille—et consécration des quatorze petites bastilles qui entourent Paris.

—On sème des radis, des oignons blancs et plusieurs espèces de choux.

—Une émeute réussit et s’appelle glorieuse révolution.—Vers le 15, on marcotte les œillets.—On sait que Napoléon avait bravé les œillets rouges, et que la Restauration en a eu fort peur, moins cependant que des violettes.—Une fleur se fera une mauvaise affaire avec la police.—Saison des bains et des eaux;—plus d’un dandy sans argent ira passer l’été à Saint-Denis pour raconter l’hiver suivant qu’il a perdu un argent fou à Baden-Baden.—Les femmes nagent, les hommes ne nagent plus.—Une des causes de cette bizarrerie est que les filles portent leurs cheveux nattés ou lissés en bandeau, et que les hommes se font friser;—les jeunes garçons fument et lisent les journaux,—tandis que les jeunes filles font de la gymnastique.—Avant trente ans, les hommes seront devenus à leur tour le sexe faible et timide.

image d’une guêpe AOUT.—Récolte des cornichons,—troisième labour de la vigne.—Moisson des céréales: quelles que soient la qualité et la quantité des blés cette année, les journaux ministériels diront que jamais on n’a vu une aussi belle récolte, et qu’il en faut rendre grâce au gouvernement paternel sous lequel nous avons le bonheur de vivre;—et les journaux de l’opposition, que les épis sont vides, que la moisson est misérable, et que c’est la faute du gouvernement tyrannique sous lequel nous avons le malheur de vivre.

—Jours caniculaires.—La police continuera à jeter des boulettes pour les chiens attaqués de la rage, dont le signe caractéristique est que l’animal atteint ne mange pas.—Des citoyens, voyant la patrie en danger, se réuniront chez Véfour et feront un excellent dîner;—les journaux de leur parti célébreront avec enthousiasme le courage et le généreux dévouement dont ils auront fait preuve dans cette occasion.—Ceux du parti opposé traiteront la chose de gueuleton, mais feront à leur tour une ripaille semblable, à propos de laquelle ils feront à leur tour éclater leur courage et leur généreux dévouement.

image d’une guêpe SEPTEMBRE.—Des phénomènes sans nombre viennent étonner la France: de tous côtés il naît des veaux à deux têtes—et des enfants prodigieux.—On creuse les fondations d’une maison et l’on trouve un trésor.—On rencontre une fille sauvage dans la forêt de Montmorency;—d’innombrables centenaires sont cités dans tous les départements.—Il tombe dans plusieurs localités des grêlons gros comme des melons.—Un sansonnet,—commensal d’un savetier des faubourgs, récite aux passants la Charte constitutionnelle.—Plusieurs cochers de place rapportent des bourses oubliées dans leurs voitures.—Si un mendiant meurt,—on trouve chez lui sept cent mille francs en or cachés dans une vieille chaussette.—Un chasseur tue un cygne,—il porte au cou un collier en argent,—sur lequel sont écrites plusieurs choses qui prouvent qu’il a appartenu à Charles XII, roi de Suède.—Si une femme accouche,—ce ne peut être de moins que de douze enfants,—tous bien portants et parfaitement conformés.

En un mot,—de toutes parts, on n’entend parler que de miracles et de prodiges;—tout cela parce que, la session des Chambres étant terminée,—les journaux ne savent comment remplir les deux colonnes qu’ils avaient l’habitude de consacrer au compte rendu des débats législatifs.

image d’une guêpe OCTOBRE.—Ouverture de la chasse.—Vu le prix des ports d’armes, la division des propriétés et la destruction des forêts,—il sera mangé des mésanges et des pinsons qui reviendront à l’heureux chasseur qui en aura chargé son carnier à trois francs la pièce.—Les feuilles de la vigne deviennent pourpres,—celles des poiriers oranges,—celles des ormes jaunes.—Les philanthropes inventeront un nouveau pain de sciure de bois.—M. Gannal embaumera plusieurs médecins.—La récolte de vins de M. Duchâtel sera de médiocre qualité.—Vers le 15, chute des feuilles;—plusieurs journaux de toutes couleurs seront victimes de cette époque fatale.—Le 28 octobre,—selon un vieux proverbe,—on ne trouve plus une seule mouche vivante:

A la Saint-Simon (28 octobre),
Une mouche vaut un mouton.

Nous demandons la permission d’excepter les Guêpes de cette condamnation.

image d’une guêpe NOVEMBRE.—Récolte des nèfles et des pommes d’api;—plantation des arbres fruitiers;—la régie des tabacs imaginera de vendre dix sous (cinquante centimes) de nouveaux cigares en feuilles de betteraves;—elle sollicitera du gouvernement l’autorisation pour les collégiens de fumer en classe;—cette extension augmentera considérablement ses recettes, qui se sont élevées l’année dernière à quatre-vingts millions.—On rira beaucoup d’un mot de M. de Rambuteau; voici ce mot, que le préfet de la Seine prononcera du 17 au 20 novembre:—quelqu’un lui demandera quel est l’inventeur de la régie. «C’est Tabaca, répondra M. de Rambuteau.

—Comment? que voulez-vous dire?

—Ne voyez-vous pas sur tous les bureaux: TABACA FUT MÈRE DE LA RÉGIE

C’est ainsi que M. de Rambuteau écrit et prononce ce qu’on lit en effet sur les vitres des bureaux de tabac: Tabac à fumer de la régie.

Le 25 novembre, la Sainte-Catherine, fête des filles,—comme le dit une vieille chanson:

Aucun jardin n’est resté vert;
L’amour et l’hymen, malins drilles.
Exprès, pour punir les filles,
Ont mis leur fête l’hiver.

image d’une guêpe Quand on voit une de ces belles jeunes filles au visage calme, au maintien modeste, aux cheveux lissés sur le front, aux regards doux et incertains,—l’imagination ne la sépare guère de son vêtement, il semble qu’elle ait des pieds de satin,—et que ce nuage bleu que forment autour d’elle les plis de la gaze qui descendent jusqu’à terre—soit son corps.

Mais qu’il est difficile de ne pas rompre ce charme mystérieux,—cet amour sans désir,—cet amour religieux et poétique!

Il suffit d’une mère qui vienne dire: «Ma fille est un peu malade,—elle a monté à cheval, elle a les cuisses rompues.» Ou: «Ne cours pas, on verrait tes jambes.» Ou: «Je lui ai acheté des chemises de batiste—ou des jarretières.» Et combien peu de mères savent se priver de pareilles mentions!

image d’une guêpe DÉCEMBRE.—Il semble que l’âge d’or va renaître:—les femmes aiment leurs maris, les enfants entourent leurs parents de respect, les domestiques sont empressés et laborieux, les portiers sont polis.—C’est surtout à prendre du 15 de ce mois que ces changements se font apercevoir d’une manière sensible;—toutes sortes de beaux sentiments sont tirés du cœur comme les fourrures des cartons;—les uns comme les autres secoués, brossés et remis à neuf.—En ce mois finira une année qui aura eu, comme celles qui la suivront et celles qui l’ont précédée, cinquante-deux dimanches, et aura été remplie des mêmes passions, des mêmes sottises, des mêmes craintes, des mêmes désirs;—la forme seule change un peu,—le fond reste toujours le même,—malgré les opinions contradictoires et de ceux qui se félicitent du progrès—et de ceux qui se plaignent que le monde dégénère.

image d’une guêpe FOIRES ET MARCHÉS.—Plusieurs réélections auront lieu à la Chambre des députés. Les journaux avertiront de l’époque des foires et marchés qui seront tenus à cet effet dans divers départements;—les voix y seront payées à leur valeur.—MM. les maires garantissent aide et protection aux marchands.—Une danseuse verte sera rengagée au théâtre de l’Opéra.—Un publiciste, ardent ennemi du pouvoir, sera nommé sous-préfet dans une ville du Nord.—Une jeune cantatrice enlèvera à une rivale qui a plus de talent qu’elle,—mais qui a du talent depuis longtemps, un rôle écrit pour ladite rivale dans un opéra-comique de M. Auber.—Plusieurs bureaux de tabac seront accordés à plusieurs femmes quelconques, sur la recommandation des honorables MM. ***,—***,—***, etc.—Madame Lebœuf, femme du député de ce nom, sera invitée aux bals de la cour.—Un jeune peintre sans talent,—neveu d’un député de l’opposition, recevra du ministère de l’intérieur des travaux extrêmement importants.—Il sera accordé une nouvelle direction de théâtre.—Le Journal des Débats protégera le gouvernement actuel.—Mademoiselle de ***, qui est si belle,—épousera M. ***, qui est si laid.—Des places seront données en foule à toute sorte de gens.—Des croix d’honneur seront distribuées.

image d’une guêpe ANECDOTES.—Un ancien administrateur poursuivait depuis quelques mois M. Villemain de ses demandes et de ses réclamations.—Il y a quelques jours, le ministre reçoit une dernière lettre dans laquelle l’ex-fonctionnaire annonce qu’il est désespéré,—qu’il est réduit à la plus affreuse misère, etc., etc.

M. Villemain envoie sous enveloppe une réponse consistant en un billet de cinq cents francs.

Le lendemain, il lui est remis une lettre ainsi conçue:

«Monsieur, je demandais justice,—mais je ne demandais pas l’aumône; ne croyez pas acheter mon indépendance par vos bienfaits.—Je vous renvoie votre billet de cinq cents francs, pour lequel, sans doute, vous vous êtes trompé d’adresse.—Votre serviteur, etc.»

M. Villemain admire—et tourne le feuillet pour reprendre le billet de cinq cents francs annoncé.—Il ne le voit pas; il cherche à ses pieds,—peut-être l’a-t-il fait tomber en ouvrant précipitamment la lettre:—il n’est pas à ses pieds.—Il cherche dans ses poches,—peut-être l’y a-t-il mis par distraction:—il n’est pas dans ses poches.

L’ex-fonctionnaire n’avait pas renvoyé le billet. Il s’était contenté de l’envoi de la lettre superbe—qu’il avait montrée à trente personnes.

image d’une guêpe Un jeune écrivain, le baron T***, nous contait dernièrement des particularités curieuses sur les chemins de fer aux États-Unis.—Je regrette de ne me rappeler que les choses sans me rappeler la façon dont il les disait.

Aux États-Unis on ne s’amuse pas à niveler le terrain,—à aplanir des côtes, à supprimer des montagnes;—on jette deux rails d’un endroit à un autre,—sur les montées, sur les vallons, dans l’herbe,—puis on lance les wagons sur ces rails et l’on va le plus vite possible;—les vaches et les bœufs—paissent sur le chemin;—les wagons sont précédés d’une sorte de proue qui les ramasse, qui les entraîne et les jette plus ou moins broyés à droite et à gauche.

image d’une guêpe Tout cela donne lieu à une foule d’accidents; souvent un rail se brise,—le bout brisé—alors se redresse, et dernièrement une de ces lances de fer a percé un wagon et blessé plusieurs voyageurs.

On remarquait, à ce sujet, à quel point les choses changent sous nos yeux chaque jour,—mais tout progrès n’est pas une amélioration;—pendant bien longtemps, il est vrai, les voyageurs ont traversé les chemins;—mais, quelque ami que l’on soit du changement,—on ne saurait approuver cette tendance révolutionnaire que manifestent les chemins à traverser à leur tour les voyageurs.

Lorsqu’il s’agit, à l’Académie, de distribuer les derniers prix de vertu,—un académicien, M. D***,—racontant à ses collègues—la belle conduite d’une pauvre fille qui, sur son travail, avait, pendant plusieurs années, nourri une famille à laquelle elle n’était alliée que par sa générosité,—dit par distraction: «Et cette vertueuse fille—trouvait moyen, sur son faible gain, de donner chaque jour à cette misérable famille deux kilomètres de pain.»

Tout le monde se mit à rire de ce lapsus linguæ—et à s’extasier sur cette immense tartine.—Un des confrères de l’académicien prit la parole et dit: «Messieurs, loin de rire comme vous de la distraction qui a fait dire à notre collègue kilomètres pour kilogrammes,—je le féliciterai de cette protestation contre une langue barbare imposée à l’Académie française par la police de Paris.»

image d’une guêpe André entre chez M***, qui peint dans son atelier. «Bonjour.—Bonjour.—Comment vas-tu?—Bien, et toi?—Très-bien.—Tu n’en as pas l’air.—Tu as raison,—ça va mal.—Diable! est-ce que tu es malade?—Non.»

André prend une pipe, la bourre de tabac,—l’allume, la laisse éteindre,—la rallume, fredonne un air.—Pendant ce temps, M*** continue à travailler. «Rien ne me réussit,—dit André,—je n’ai pas de travaux, je n’ai pas d’argent,—j’ai des dettes,—je voudrais être mort.» M*** alors pose son pinceau sur son chevalet,—le regarde d’un air surpris—et dit: «Ah! tu voudrais être mort!—eh bien! tu n’es pas dégoûté.»

image d’une guêpe L’enseigne du marchand de nouveautés du coin de la rue de Seine est toujours décorée de l’ordre de la Légion d’honneur.

image d’une guêpe Comme on parlait de M***,—quelqu’un demanda: «A-t-il des filles?—Non, répondit M. Romieu,—et tant mieux pour elles.»

image d’une guêpe Un journal qui a publié les portraits d’un grand nombre de célébrités contemporaines, en mettant au-dessous quelques vers souvent assez heureux,—nous a paru s’être trompé en faisant imprimer ceux-ci au-dessous du portrait de M. Étienne Arago, vaudevilliste, et frère de M. François Arago, l’astronome:

Dans la famille on sait d’avance
Comment le partage se fit:
François prit toute la science,
Étienne garda tout l’esprit.

Ce qu’il y a de remarquable en ceci, c’est que le journal en question suit une ligne politique dans laquelle l’admiration sans bornes pour M. François Arago est de rigueur.

Or, si l’on s’en rapportait aux susdits vers, M. Étienne ayant gardé tout l’esprit,—M. François n’en aurait aucun vestige;—il est vrai que, ledit M. François ayant pris toute la science, M. Étienne resterait avec la plus profonde ignorance de toutes choses;—je crois que chacun de ces deux messieurs serait en droit de se plaindre;—mais que dira M. Jacques, un troisième frère, qui fait des livres et des vaudevilles?—que lui restera-t-il? Et n’y a-t-il pas aussi un quatrième frère, M. Emmanuel, qui est avocat? quel est son lot?—et je ne sais combien d’autres, car la famille des Arago est nombreuse comme celle des Atrides,—et elle a fait autant de vaudevilles que celle des Atrides a causé de tragédies.

image d’une guêpe J’aurai, quelque jour, à vous parler longuement d’un monsieur qui sera quelqu’un de ces jours député,—et qui n’est pour le moment que membre du conseil municipal de Nîmes—et chevalier de la Légion d’honneur, comme tout le monde.

Ce monsieur a été bonnetier,—comme M. Ganneron a été fabricant de chandelles;—comme M. Ganneron, il a fait une belle fortune dans son commerce.

On raconte qu’à un voyage de quelques jours que fit à Nîmes une des princesses de la branche aînée—l’ex-bonnetier trouva moyen d’être, par le conseil municipal, nommé chevalier d’honneur de la duchesse.—Il était au comble de la joie,—il prenait tous les prétextes pour parler à voix basse à la princesse. «Mais que dit-il donc ainsi? demanda quelqu’un.—Vous le voyez, répondit-on, il parle bas

Jusqu’ici cela me serait parfaitement égal,—mais ce qui me l’est moins,—c’est que ce monsieur, qui arrivera un jour à la Chambre—comme défenseur des intérêts populaires—comme dévoué à la classe malheureuse,—loue sept francs par an à de pauvres diables le droit de ramasser des escargots dans ses bois.

image d’une guêpe A une des dernières élections—l’affaire était chaudement disputée.—Le parti de l’opposition fit boire un électeur outre mesure.

Le parti contraire s’aperçut de la chose,—et, pensant, selon toutes probabilités, que ce serait une voix gagnée pour ses adversaires,—prit sans façon l’électeur aviné, et le mit comme un paquet dans la diligence de Paris qui passait.

Le lendemain—on vote—et tout s’explique:—l’électeur envoyé à Paris devait voter pour le candidat conservateur.—Les amis du candidat de l’opposition n’avaient pas voulu le griser pour qu’il votât avec eux,—mais l’enivrer tout à fait pour qu’il ne votât pas,—n’ayant pu, par aucun moyen, le décider à passer sur leur bord.—Les conservateurs avaient donc fait, dans l’intérêt de leurs adversaires, ce que ceux-ci n’avaient pas osé faire pour eux-mêmes.

image d’une guêpe Le procès de Besson est terminé—il a été condamné à mort.

Nous avons déjà donné notre opinion sur cette scandaleuse affaire.—Besson, domestique de M. de Marcellange, est chassé par lui pour avoir menacé de le tuer;—la femme et la belle-mère de M. de Marcellange prennent Besson à leur service particulier.—M. de Marcellange est assassiné, la rumeur publique accuse Besson,—on le mêt en prison;—là, les dames de Chamblas lui envoient un lit,—et chaque jour un plat de leur table;—un témoin—plus qu’un témoin peut-être,—Marie Boudon,—a été emmenée en Suisse par les dames de Chamblas et n’a pas reparu.

Des charges tellement fortes s’élèvent, aux débats, contre les dames de Chamblas, que le procureur du roi en est atterré et se trouve presque mal à l’audience.

Cependant je ne sais quelle égide protège ces femmes,—on arrête et on condamne des témoins pour faux témoignage,—on ne surveille même pas les dames de Chamblas;—cependant Besson est condamné à mort, donc la plus grande indulgence accuse les dames de Chamblas au moins de faux témoignage,—puisqu’elles ont juré qu’il n’avait pas quitté leur maison le jour où il assassinait son maître à six lieues de là.

Les journaux de toutes parts avertissent le ministère public que les dames de Chamblas sont en fuite,—le ministère public fait la sourde oreille—le procès s’instruit de nouveau:—on ne trouve plus les dames de Chamblas,—le ministère public n’ose pas élever la voix contre elles,—l’avocat de la famille Marcellange, qui demande vengeance de la mort du malheureux assassiné,—n’ose risquer que des allusions;—enfin, vaincu par la rumeur, par l’indignation publiques,—le procureur du roi—finit par parler; mais sa pensée est entourée de nuages.

Il parle des dames de Chamblas avec une respectueuse terreur:—«Elles sont en fuite, dit-il,—elles ont une punition terrible, seule punition que le monde puisse leur infliger,—l’exil et les remords.»

Vraiment, monsieur, croyez-vous que Besson, que vous venez de faire condamner à mort; Arzac, qui est aux galères, ne s’arrangeraient pas parfaitement de cette terrible punition, l’exil et les remords?—Laissez seulement ouverte un instant la porte de leur prison, et vous verrez avec quel empressement ils se condamneront eux-mêmes aux remords et à l’exil,—cette terrible punition.

En un mot, voici le résultat de votre jugement:—je parle ici au procureur du roi, aux juges et aux jurés.

Arzac est condamné aux travaux forcés—pour avoir porté un faux témoignage en faveur de Besson.

Ce qui est prouvé aux débats,—prouvé pour vous jusqu’à l’évidence,—puisque vous avez condamné Besson à la peine de mort,—puisque pour vous Besson a assassiné M. de Marcellange,—c’est que les dames de Chamblas ont,—comme Arzac,—rendu un faux témoignage en faveur de Besson—et qu’elles ont rendu ce témoignage pour sauver l’assassin de leur gendre et de leur mari.

Je ne vous donne pas ici mon opinion,—je vous donne la vôtre,—la vôtre approuvée par un jugement terrible,—par une condamnation à mort.

Et si vous rapprochez de ce fait les autres circonstances des débats,—ne vous naît-il pas d’autres pensées dans l’esprit?—D’où vient donc que ces pensées que tout le monde a, personne,—ni au tribunal ni dans la presse, n’a osé les formuler tout haut?—Quelle puissance invisible protége donc ces deux femmes?—quel danger mystérieux court donc l’imprudent qui parlerait hautement? quel prestige vous frappe donc tous de terreur?—Ce danger, je veux le connaître,—et je vais m’y exposer pour le connaître.

Dans ma conviction, sur mon âme et sur ma conscience,—ou Besson est innocent,—ou madame de Chamblas et madame de Marcellange sont ses complices.

Par votre jugement vous avez déclaré qu’elles avaient rendu, comme Arzac, le pauvre berger qui est aux galères pour ce fait, un faux témoignage en faveur de Besson. Et quand ce faux témoignage a pour but de sauver l’assassin du gendre de l’une, du mari de l’autre,—comment l’appelez-vous?

«Ou Besson est innocent, ou les dames de Chamblas sont ses complices.»

image d’une guêpe Un homme fort petit—parlait de sa force prodigieuse devant M. Dorsay,—qui est d’une taille élevée: «Monsieur, disait-il avec ce ton haineux qu’ont les hommes de petite taille quand ils parlent des grands,—il n’y a pas un exercice de force ou d’adresse,—il n’y a rien, en un mot, que fasse un homme aussi grand que vous—que je ne m’engage à faire aussi bien que lui.»

M. Dorsay,—levant le bras,—toucha du bout du doigt le plafond du salon et lui dit: «Faites cela.»

image d’une guêpe Le dieu Cheneau prépare contre moi des foudres imprimées;—je suis entré dans le sanctuaire à deux reprises différentes: la première fois, j’avais retrouvé dans une armoire un vieux paletot auquel il manquait des boutons.—Je suis allé chez M. Cheneau,—là je n’ai vu que son co-mercier. Je dois ici faire l’éloge desdits boutons,—je serai forcé de faire mettre un paletot neuf à ces boutons-là.

La seconde fois, j’ai pénétré dans l’arrière-ciel du dieu mercier, cette partie de l’Olympe chauffée par le charbon de terre,—éclairée par le gaz,—donne par son excessive chaleur un avant-goût des peines de l’enfer.—Le dieu serait blond—s’il avait des cheveux.

image d’une guêpe C’est un métier très-couru aujourd’hui que celui de Mécène;—beaucoup de gens riches protégent les écrivains et les artistes de talent ou de réputation. Les écrivains leur font présent de leurs livres,—ou leur donnent des loges le jour qu’on représente leurs pièces; les artistes jouent gratuitement à leurs soirées.

Ah! c’est là ce que vous appelez des Mécènes; mais c’est une spéculation sordide.—Je ne vous empêche pas d’apprécier la chose comme vous l’entendez,—mais c’est comme cela.

Mademoiselle R*** est une jeune artiste qui jouit en ce moment d’une grande réputation.—Il est d’assez bon genre de l’avoir dans son salon.—Si elle se faisait payer, cela serait fort cher,—on pourrait encore ne pas la payer,—on m’a dit qu’elle ne le veut pas;—mais il faudrait lui faire de riches cadeaux.—Il faut donc la recevoir comme amie.

Mademoiselle R*** est dans une position qui l’expose à beaucoup de récits;—on accepte facilement sur elle, comme sur tous les gens en évidence, les anecdotes les plus saugrenues.—Quelques-unes sont vraies,—la plupart sont fausses;—beaucoup de gens les croient toutes.

Mais chez madame Réc*** on ne souffre pas la moindre atteinte à la renommée de la jeune actrice;—si vous l’accusiez même de la moindre légèreté, vous seriez fort mal venu.—M. de Châ***, habitué de la maison, est prêt à prendre la cuirasse et la lance contre le téméraire qui parlerait imprudemment de la vertu sans tache de mademoiselle R***: elle serait, hors de là, mère d’une nombreuse famille, qu’elle serait chez madame Réc*** vierge immaculée jusqu’à la fin de ses jours.

Parce que mademoiselle R*** lit chez madame Réc*** les vers de M. de Châ***, que si on admettait sur elle la moindre des choses, on ne pourrait plus la recevoir comme amie,—parce que, ne la recevant pas comme amie, il faudrait lui faire des cadeaux ou ne la plus avoir à ses soirées.

image d’une guêpe Dans une pièce appelée les Abeilles, que l’on a dernièrement représentée aux Variétés;—chacune des abeilles porte un nom de fleur;—la censure a fait débaptiser l’une d’elles, qui s’appelait Capucine, parce que, M. Guizot demeurant sur le boulevard des Capucines, le public, en y mettant un peu de malice, pourrait trouver dans ce nom une allusion politique.

image d’une guêpe Le Télémaque, dont nous avons parlé dans le dernier numéro des Guêpes,—est encore sous l’eau avec ses immenses richesses, y compris les millions de M. Hugo; M. Taylor, entrepreneur du sauvetage, a pris la fuite, abandonnant, sans les payer, trente-cinq ouvriers qu’il avait fait venir d’Angleterre; ces malheureux ont travaillé pendant cinq ou six mois, et restent sans pain, sans ressources et dans l’impossibilité de retourner chez eux.—On assure que le Télémaque n’a pas bougé de place et qu’il est tout aussi enterré dans le sable qu’au commencement de l’opération;—au dernier moment et pour faire prendre encore quelques actions, on aurait fait marcher quelques personnes sur un plancher soutenu entre deux eaux, en leur persuadant que c’était le pont du navire.

image d’une guêpe Il y a dans chaque administration des heures fixes pour l’ouverture et la fermeture des bureaux; messieurs les employés du ministère des finances s’enferment au verrou dix minutes ou un quart d’heure avant l’heure fixée pour la fermeture, dans la crainte que quelqu’un, arrivant à l’extrême limite de l’heure indiquée, ne vienne retarder leur départ de quelques instants;—des intérêts graves sont à chaque instant compromis par l’indépendance de ces fonctionnaires subalternes;—chaque jour, des personnes croyant pouvoir se fier au règlement affiché, arrivent cinq ou six minutes avant l’heure fatale et trouvent les portes fermées.

image d’une guêpe Comme je parlais tout à l’heure des Mécènes, j’en ai oublié un et un véritable, un homme qui rendait des services réels à des gens de lettres. Il est vrai qu’il est mort, et c’est précisément pour cela que j’ai à vous parler de lui. C’était M. A***. M. A*** protégeait les arts et quelquefois, en particulier, celui de la danse;—quelques journalistes avaient trouvé moyen de lui faire redouter une appréciation fâcheuse de cette protection.—D’autres menaçaient l’objet de la protection.—Puis, ils empruntaient de l’argent à M. A***; celui-ci consentait à prêter, mais seulement contre des lettres de change,—les lettres de change étaient enfermées au fond d’un secrétaire, et le bienfaiteur ne songeait nullement à s’en faire jamais payer: seulement, à l’échéance, il avait soin de les faire protester—et de faire de temps en temps ce qu’il fallait pour que ses titres ne fussent pas périmés, afin de conserver une garantie contre de trop fortes exigences ou contre quelques excès d’ingratitude. «La reconnaissance, disait-il, est un sentiment délicat qui a besoin d’être étayé d’un peu de crainte.» M. A*** est mort subitement; ses héritiers ont trouvé les lettres de change parfaitement en règle, et ont annoncé l’intention formelle de les faire payer,—par suite de quoi plusieurs personnes ont cru devoir passer cet hiver à la campagne.

Février 1843.

image d’une guêpe FÉVRIER.—Ce mois-là—mon cher père mourut; Gatayes alla trouver quelques-uns de mes amis et leur dit: «Nous allons faire le numéro des Guêpes.—Alphonse Karr s’en est allé au bord de la mer.»

Ce numéro fut fait par Ad. Adam.—E. d’Anglemont.—Le vicomte d’Arlincourt.—R. de Beauvoir.—H. Berthoud.—L. Desnoyers.—J. Ferrand.—Th. Gautier.—Gavarni.—L. Gozlan.—V. Hugo.—J. Janin.—A. de Lamartine.—Vicomte de Launay.—H. Lucas.—Mallefille.—Méry.—H. Monnier.—A. Soumet.—E. Sue.

Je leur renouvelle ici mes remercîments;—je ne crois pas devoir, pour cette nouvelle édition, m’emparer de ce qui me fut prêté alors et a sa place dans leurs œuvres. Je conserve seulement la notice écrite par Ad. Adam.

image d’une guêpe HENRI KARR.—Henri Karr est né vers 1780, à Deux-Ponts (Bavière); son père, maître de chapelle du duc de Bavière, était aussi son ami. Cela nous surprendra peut-être un peu, nous autres habitants d’un pays où, dit-on, règne l’égalité; mais cela paraît fort ordinaire en Allemagne, pays d’aristocratie et de préjugés, où l’on a celui de croire que par la raison que l’on est musicien on n’est pas nécessairement un imbécile et que l’on peut être bon à donner quelques conseils, fût-ce même à un prince. Celui dont nous parlons affectionnait donc particulièrement son maître de chapelle, et comme la Révolution française venait d’éclater, il le chargea d’une mission délicate auprès du gouvernement révolutionnaire et l’y envoya en qualité de légat. En ce bon temps, le respect dû aux personnages diplomatiques n’était pas la vertu dominante des favoris du pouvoir. On avait l’usage alors de vous emprisonner dès que vous étiez suspect, suspect de quoi? on l’ignorait, on l’ignore à peu près encore: quoi de plus suspect qu’un Bavarois? Le père d’Henri Karr fut donc emprisonné au palais du Luxembourg. Peu habitué à ce genre de réception, il tomba malade et ne tarda pas à succomber à une hydropisie de poitrine, à l’âge de trente-six ans.

Voici donc Henri Karr, à peine âgé de quinze ans, seul soutien de sa mère et de ses frères et sœurs, sans aucune ressource. A l’aide de son piano et de son violon, car, dans sa jeunesse, il jouait aussi très-bien de cet instrument, il combattit la mauvaise fortune; mais les affaires politiques prirent une tournure très-défavorable en Bavière, tandis qu’elles commençaient à s’améliorer en France. Henri Karr partit alors pour Paris, où il arriva à l’âge de vingt-deux ans, sans protection, ignorant même la langue du pays, et plus embarrassé dans la nouvelle patrie qu’il voulait se faire qu’il ne l’avait jamais été dans son pays natal. Heureusement il y avait, à cette époque, une providence pour les artistes: c’était la maison des frères Érard; là, la plus généreuse hospitalité accueillait les étrangers et les nationaux, il n’y avait nulle distinction, nulle étiquette, point de différence d’opinions; vous étiez artiste, donc vous étiez de la maison. Ce fut à cette porte qu’alla frapper Henri Karr; elle s’ouvrit à deux battants devant lui, et dès lors il eut une famille. Mais que pouvait-on faire pour le pauvre artiste? Ignorant notre langue, il ne pouvait donner de leçons, et il n’avait point encore essayé de composer. Les frères Érard eurent l’idée d’offrir à Karr de rester à demeure chez eux pour faire entendre leurs instruments aux étrangers qui venaient pour les acheter. Soit que cette nécessité eût développé chez leur protégé une spécialité dont ils étaient loin de se douter, soit que les qualités naturelles de l’artiste le portassent à la perfection de cette branche de l’art, toujours est-il que Karr se trouva sans rival pour faire valoir un instrument. On ne peut se faire une idée du talent qu’il déployait dans ces occasions. Je vous conterai tout à l’heure comme quoi il donna une preuve éclatante de sa supériorité. Karr resta pendant vingt ans, je crois, dans la maison Érard, autant comme ami que comme employé; mais ses ressources s’étaient accrues; dès qu’il put parler français, les leçons ne lui manquèrent plus, et puis il se mit à composer des morceaux de piano d’un style facile et à la portée des moyennes forces. Leur succès fut immense. On ne peut en expliquer la prodigieuse quantité que par l’inexplicable facilité avec laquelle il les composait. Nous l’avons vu souvent, chez les marchands de musique, achevant d’écrire, sans même l’avoir essayée, la fantaisie qu’on venait de lui commander une heure auparavant. Ces morceaux avaient une grande qualité: c’était, outre la facilité d’exécution, un naturel et une conséquence parfaite, ce qui s’explique naturellement, puisque c’était, pour ainsi dire, de l’improvisation écrite. Mais, quel que fût leur succès, Karr faisait trop voir aux éditeurs le peu de peine qu’il se donnait pour produire ces œuvres qui s’enlevaient par centaines, et on ne peut se figurer les prix fabuleux de mesquinerie avec lesquels on le rétribuait; d’ailleurs l’insouciance de Karr était telle, qu’il ne s’inquiétait jamais de la modicité de ce prix, et qu’il avait l’air de remercier l’éditeur qu’il venait d’enrichir. C’est ainsi que s’est écoulée la douce vie d’Henri Karr. Il y a peu de temps qu’il reçut la décoration de la Légion d’honneur, en même temps que Thalberg, ce favori de la fortune à qui aucun bonheur n’a manqué: talent, naissance, richesse; celui-là a eu tout en partage; et, de plus, son caractère est si aimable, qu’il ne compte que des amis. Mais revenons à Henri Karr. J’ai parlé de sa supériorité pour faire entendre un piano; je veux vous raconter une circonstance où il eut l’occasion de déployer tout son talent.

C’était en 1827. L’exposition de l’industrie avait lieu au Louvre. Érard avait fait disposer un orgue magnifique (le premier qui ait paru en France avec les mutations de jeu à la pédale) dans une des salles basses où se fait maintenant l’exhibition des travaux de sculpture. Outre l’orgue, les pianos et les harpes occupaient une partie de ce local. Karr touchait les pianos, Léon Gatayes jouait les harpes, et moi je jouais l’orgue. Te rappelles-tu, Gatayes, comme nous étions heureux alors? Et pourtant tu n’avais pas de chevaux à monter, tu courais le cachet, quand tu trouvais des leçons, et moi j’étais bien fier quand un éditeur me donnait quinze francs d’une romance et cinquante francs d’un morceau de piano: nous avons eu depuis ce temps-là presque tout ce que nous avions rêvé, et cependant nous regrettons cette époque d’insouciance et de folle vie où nous voudrions bien revenir. Nous avons bien des choses de plus aujourd’hui, mais alors nous avions seize ans de moins.

Notre concert attirait une foule immense: le Français est fou de musique gratis. Le fait est que nous faisions de fort jolies choses, et je ne sais pas s’il y a eu beaucoup d’exemples d’improvisations à trois, surtout aussi heureusement réussies. Nous avions surtout une fantaisie sur l’air: Il pleut, bergère, où chacun faisait sa variation, puis l’orgue simulait un orage avec une vérité parfaite, et nos trois instruments se réunissaient dans un finale qui n’était jamais le même, et qui avait un succès fou. Tout Paris venait nous entendre: Rossini y vint aussi, ce fut là que je le vis pour la première fois: je voulus me distinguer et je jouai d’une manière déplorable; j’étais si troublé de me sentir ce colosse sur les épaules, que je ne savais plus ce que je faisais, mes doigts barbotaient sur le clavier, mes pieds s’embarrassaient dans les pédales, c’était une cacophonie épouvantable. Jamais je ne fus si malheureux.

Le jour de la visite du jury d’exposition arriva. Les autres facteurs de pianos avaient leurs instruments exposés dans les salles du premier étage, encombrées d’étoffes et de tapis et d’une sonorité bien moins favorable que les salles basses, où étaient les pianos d’Érard. Déjà les pianos d’Érard avaient été examinés, les membres du jury étaient dans les salles du premier étage, lorsqu’un facteur de pianos, et des plus renommés, demanda que ses instruments fussent entendus à côté de ceux d’Érard et dans les mêmes conditions. On accéda à sa demande. Lorsqu’on vint proposer au père Érard de faire porter un de ses pianos au premier étage pour être comparé à ceux d’un rival, il bondit de fureur: cet homme de génie, qui, en fait de pianos, a presque tout inventé, sentait si bien sa supériorité sur ses confrères, qu’il n’en voulait reconnaître aucun; pour lui les deux mots piano Érard étaient inséparables; hors de sa maison il ne se fabriquait pas de pianos; il n’y avait que les envieux qui pussent propager un bruit si exorbitant. Il ne voulut jamais laisser emporter son instrument, et nous eûmes toutes les peines du monde à le faire consentir à laisser descendre celui de son rival. «Eh bien! s’écria-t-il, puisque vous le voulez tous, qu’il vienne; qu’on apporte son plus grand piano à queue, et je le combattrai avec un petit piano à deux cordes.»—Pour le coup nous le crûmes fou, mais il n’y eut pas moyen de le dissuader. Notre effroi pour l’honneur de la maison s’augmenta encore lorsque nous vîmes que le piano à queue du rival d’Érard allait être joué par un des plus célèbres pianistes. Pendant dix minutes, celui-ci tint ses auditeurs sous le charme de son jeu savant et harmonieux. Quand il eut fini, Érard fit un signe à Karr, qui alla se placer devant le piano à deux cordes. Gatayes et moi nous tremblions pour Érard et pour Karr: mais ni l’un ni l’autre n’avaient peur; la belle tête d’Érard avait perdu la contraction de colère qui l’agitait un instant auparavant, pour reprendre cette dignité calme qui était son expression habituelle; la bonne grosse figure de Karr était riante et narquoise; il y avait déjà du triomphe dans son malin sourire. Je ne sais ce que ce diable d’homme avait dans ses doigts, mais nul pianiste n’avait cette élégante facilité, ce charme brillant que l’on croyait venir de l’instrument et qui n’avait pas l’air d’appartenir à l’exécutant, dont il était pourtant la qualité essentielle. Il ne faisait pas de grandes difficultés, mais il surmontait la plus grande de toutes, celle de plaire, et il réussissait toujours. Le morceau qu’il improvisa n’était pas si savant que celui de son adversaire; il se serait gardé, sur ce petit instrument, d’aborder le style grandiose qui en eût démontré l’insuffisance; il fut gracieux, léger, coquet; bref, au bout d’une trentaine de mesures, il avait gagné la partie.

Érard eut encore cette année la médaille d’or; mais cette fois ce fut bien à Henri Karr qu’il la dut.

Henri Karr vient de mourir d’une attaque d’apoplexie, dans sa soixante-troisième année. Sur la fin de sa vie, tout son bonheur était dans les succès et la réputation de son fils: je ne le rencontrais pas de fois qu’il ne m’en parlât: il avait fait abnégation de sa personne et de sa réputation, il vivait tout entier dans celles d’Alphonse. Consolons-nous donc de la perte de cet artiste estimable en songeant aux jouissances qu’il a su trouver pendant ses dernières années dans les succès de celui en qui il se sentait revivre, et puisse l’hommage d’amitié que nous rendons tous au fils rejaillir encore sur la mémoire du père!

Ad. ADAM.

Mars 1843.

Le vendredi 13 janvier.—A monseigneur l’archevêque de Paris, pour les besoins de l’Église.—La grande politique et la petite politique.—Chandelle et lumière.—M. Lehoc.—Le dieu Cheneau.—Les Guêpes refoudroyées.—Messieurs les savants et mesdames leurs inventions.—M. de Lamartine et les journaux.—Sur quelques décorations.—Chiromancie.—Catholique.—M. Jouy.—M. Jay.—Ciguë.—Confiscation.

A MONSEIGNEUR L’ARCHEVÊQUE DE PARIS.

Vendredi 13 janvier.

image d’une guêpe «13.—Jésus monta à Jérusalem.

»14.—Et trouva au temple des gens qui vendaient des bœufs et des brebis et des pigeons,—et les changeurs qui y étaient assis.

»15.—Et ayant fait un fouet de cordelettes, il les jeta tous hors du temple,—et les brebis et les bœufs,—et répandit la monnaie des changeurs, et renversa les tables.

»16.—Et dit à ceux qui vendaient des pigeons: Otez ces choses d’ici et ne faites pas de la maison de mon Père un lieu de marché.» (Évangile selon saint Jean.)

Monseigneur, le vendredi—treize janvier de cette année, un fils suivait avec quelques amis le corps de son père, le cortége s’arrêta rue Saint-Louis, vis-à-vis l’église de Saint-Denis-du-Saint-Sacrement, et on porta le corps dans l’église.

Des menuisiers travaillaient dans l’église, sciaient des planches et enfonçaient des clous à coup de marteau;—il ne se trouva personne pour leur imposer silence; il y avait bien là un homme, mais il offrait de l’eau bénite et tendait la main; il y avait bien là une femme, mais elle passait dans les rangs des chaises, et tendait la main. Un des amis du mort alla trouver les ouvriers et ne put leur faire suspendre leur travail qu’en leur donnant de l’argent. Le suisse vint chercher le fils du mort et un de ses amis et les mena à la sacristie.—La sacristie leur parut répondre à ce qu’on appelle les coulisses dans les théâtres.—En effet, il y avait là deux hommes dont l’un s’habillait et revêtait le costume du rôle qu’il avait à jouer.—L’autre, qui avait fini le sien, remettait l’habit bourgeois.

Un vieux prêtre—faisait au fils du mort—quelques questions dont il inscrivait les réponses sur un registre;—pendant ce temps les deux hommes qui changeaient de vêtement causaient et riaient tout haut.—Je remarquai surtout celui qui allait entrer en scène;—c’était un grand drôle—déguisé en prêtre;—il avait des cheveux noirs huilés—prétentieusement aplatis sur les tempes;—il riait et parlait comme personne de bien élevé n’oserait rire et parler dans un endroit où il y a quelqu’un qui fait des questions et quelqu’un qui répond. Je ne parle ni de la solennité du lieu,—ni de la solennité de la cérémonie; et pendant ce temps—le fils, arraché à son profond recueillement, sentait dans son âme la douleur s’aigrir en colère et en haine.—Son ami l’entraîna—à la triste stalle—où il devait assister à cette représentation.—En effet, la chose commença.

Le personnage aux cheveux huilés ne tarda pas à faire son entrée; il avait revêtu avec la chasuble—un air contrit, humble et béat; il tenait les yeux modestement baissés à terre;—il portait à la main une bourse—et allait à chaque personne demander quelques sous—en faisant des révérences;—il ne riait plus, car c’était le moment sérieux de la cérémonie,—le moment de la recette.—Quelque riche que soit devenue l’Église, elle n’a pas pour cela cessé d’être humble, et, pour montrer cette humilité, elle ne laisse jamais passer une occasion de demander l’aumône. Le drôle aux cheveux huilés,—d’une voix cauteleuse et caressante,—bien différente de sa voix de la sacristie,—accompagnait chacune de ses révérences de ces mots: «Pour les besoins de l’église, s’il vous plaît.»

Ces paroles m’ont frappé, monseigneur, et j’ai songé que l’Église est dans une mauvaise voie.

Ce n’est pas des quelques gros sous—que cet homme recueille dans sa bourse—que l’Église a besoin,—pensai-je alors,—mais c’est de croyance et de foi dans son propre sein.

Quoi! monseigneur, c’est au moment où un fils et des amis brisés par la douleur vont demander à l’Église et à la religion des consolations pour eux et des prières pour leur père et leur ami,—qu’ils ne trouvent que de mauvais comédiens qui ne prennent pas la peine de savoir leur rôle—et de le jouer décemment!

Il y avait là des poëtes, des musiciens, des soldats,—et tout ce monde-là était décent et recueilli,—tous, excepté les prêtres, monseigneur.

Tout le monde priait pour le mort,—excepté les prêtres, qui l’insultaient.

Tout le monde avait l’air de croire et d’espérer en Dieu,—tout le monde...—excepté les prêtres.

Jamais, dans mes écrits et dans mes paroles, je ne me suis mêlé aux attaques vulgaires contre la religion du pays—et contre l’Église;—loin de là, j’ai souvent élevé la voix contre leurs ennemis;—mais jamais l’Église et la religion n’ont eu d’ennemis aussi dangereux que de semblables ministres;—jamais l’impiété ne leur a porté d’aussi terribles coups que de pareils prêtres.

Pour les besoins de l’Église, monseigneur,—je vous demande justice.

Pour les besoins de l’Église, monseigneur, je vous demande un désaveu de semblables choses et de semblables gens.

Pour les besoins de l’Église, monseigneur, que les prêtres aient l’air de croire en Dieu.

Pour les besoins de l’Église, si ce sont des comédiens, qu’ils apprennent leur rôle; qu’ils respectent leur public—et qu’ils ne laissent personne dans les coulisses.

Pour les besoins de l’Église, déguisez mieux les marchands que Jésus-Christ a chassés du temple, qui y sont rentrés et en ont fait une boutique—où ils ne vendent, il est vrai, ni bœufs, ni brebis, ni pigeons,—mais des prières qui ne partent que des lèvres.

J’aimais mieux ceux qui vendaient des bœufs et des brebis et des pigeons: ils n’étaient que marchands;—ceux-ci sont marchands—et voleurs.

Pour les besoins de l’Église,—monseigneur,—montrez que vous ne voulez pas que les prêtres agissent ainsi;—montrez que l’Église peut être un asile sûr pour la douleur,—et qu’elle n’y doit pas rencontrer l’insulte et le mépris.

Pour les besoins de l’Église,—faites, comme Jésus-Christ votre Maître, un fouet de cordelettes—et chassez ceux-ci du temple—pour qu’on n’abatte pas un jour le temple lui-même sur vous tous.

Pour le fils du mort,—il est allé pleurer et prier,—loin de là dans la campagne—au bord de la mer,—là—où tout parle de Dieu,—sous la voûte bleue de cette belle et grande église—qui est toute la nature,—là où il n’y a pas de prêtres impies et sacriléges.

image d’une guêpe Il se dit depuis quelque temps des choses plus qu’étranges—à propos du droit de visite,—sur lequel les Guêpes se sont expliquées assez clairement.

On a un peu parlé de dignité nationale, d’honneur et de fierté légitime.—A quoi un pair d’abord, puis tous les partisans et tous les journaux du ministère ont dit:—«Ce sont des préoccupations étrangères à la grande politique.»

Ce mot m’a expliqué bien des choses qui se sont passées sous mes yeux, et que je n’avais pas parfaitement comprises en leur temps.

De brusques revirements d’opinions,—des principes défendus aujourd’hui et attaqués demain, des personnes vénérées et adulées d’abord, puis ensuite traînées dans la boue.

Des haines irréconciliables se terminent par des alliances honteuses au profit d’autres haines communes.

Le mensonge,—la mauvaise foi,—l’injustice,—tout cela, c’est de la grande politique.

Au contraire,—ne se vendre ni aux avantages d’un parti ni aux promesses d’un autre,—petite politique.

Juger d’après sa conscience et parler d’après son jugement,—petite politique.

Dire la vérité à tout le monde, sur tout le monde et sur toute chose,—petite politique.

N’admettre ni la fourberie ni la lâcheté,—petite politique.

Dieu nous délivre de ces grands Machiavels de comptoir et de leur grande politique—et de leurs grandes phrases, et de leurs grandes sottises, et de leurs grandes apostasies,—et de leurs grandes lâchetés.

image d’une guêpe Sur messieurs les savants et sur mesdames leurs inventions.—Nous avons à plusieurs reprises signalé certains progrès de la science qu’il nous a paru utile de dénoncer à la prudence publique.

La gélatine moins nourrissante que l’eau claire, mais plus malsaine,—que l’on continue à donner aux malades dans les hôpitaux.

Une nouvelle pomme de terre—grosse comme un pois.

Un cerfeuil nouveau, mais vénéneux, etc.

Voici quelque chose d’aussi nouveau,—mais de plus inquiétant.

Les moutons et les bœufs sont sujets à la pleurésie; on a imaginé depuis quelque temps de leur faire avaler, quand ils en sont atteints,—une once d’arsenic.

C’est-à-dire de quoi empoisonner cinquante personnes.

Les moutons et les bœufs guérissent,—mais ceux qui les mangent ensuite courent le plus grand risque d’être empoisonnés et de mourir.

On ne peut plus se fier aux côtelettes de mouton, ni aux biftecks.

De bonnes gens qui ont passé toute leur vie à se priver de champignons—dans la crainte d’un accident—se trouveront empoisonnés par la soupe et le bouilli,—cette nourriture considérée jusqu’ici comme au moins assez innocente.

Ce n’était pas assez que M. Gannal et ses disciples—eussent trouvé le moyen d’empailler le rosbif,—d’embaumer les rognons de mouton—et de nous faire manger des côtelettes qui sont nos aînées—et des œufs frais—dont les poulets auraient quarante ans;

Il faut qu’on empoisonne la viande.

Cette découverte des savants serait réputée une infamie si quelqu’un l’exerçait même à la guerre contre ses ennemis.

image d’une guêpe Le parti conservateur qui est arrivé aux affaires—a horreur de toute supériorité d’un de ses membres: il veut que les choses restent ce qu’elles sont;—tout homme d’action et de puissance le gêne, l’embarrasse et lui inspire de l’ombrage.

L’opposition, au contraire,—qui veut arriver,—accepte volontiers des recrues,—sauf à faire plus tard,—en cas de succès,—précisément ce que font aujourd’hui les conservateurs.

Toujours est-il que lorsque M. de Lamartine vint apporter aux conservateurs l’appui d’un nom célèbre, d’un beau talent, d’un beau caractère,—il fut accueilli d’abord assez froidement,—puis ensuite, l’objet de la jalousie et de la malveillance de son parti, qui ne le trouvait pas assez médiocre, et dans lequel il voyait plus d’adversaires réels que dans l’opposition qu’il combattait avec eux.

Il a abandonné solennellement ce parti et s’est rangé dans l’opposition.

L’opposition l’a laissé se placer à sa tête,—à côté de ses chefs les plus prônés.

Ce qu’il y a d’assez singulier en ceci, c’est de rapprocher ce que disent aujourd’hui les journaux de l’opposition sur M. de Lamartine de ce qu’ils en disaient alors.

«Il se perdait dans les nuages...., il ferait mieux de chanter Elvire.—..... On l’avertissait de reprendre sa harpe ou son téorbe,» etc., etc.

Aujourd’hui,—c’est un concert d’éloges mérités: «M. de Lamartine est un homme—sérieux,—éloquent.»

Le vendredi,—3 mars 1843, M. Chambolle a dit dans le journal le Siècle:

«M. de Lamartine a parlé,—il ne faut pas prétendre à analyser ce majestueux tableau de la situation de la France vis-à-vis de l’Europe; il ne faut point tenter de reproduire les élans, les images de cette parole souveraine.

»M. de Lamartine serait notre adversaire que nous payerions à son talent le même tribut d’éloges; ce talent laissera après lui une trace lumineuse, éclatante, et honorera à jamais notre pays.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

»Les nobles intérêts qu’il sait si bien comprendre,» etc.

Nous aimons à voir cette impartialité dans un député et dans un journaliste;—c’est comprendre et exercer convenablement et la dignité de la presse, et celle de la représentation nationale.

«Nous payerions LE MÊME tribut d’éloges à M. de Lamartine—quand il serait notre adversaire

A la bonne heure, ce n’est plus là cet aveuglement, cette mauvaise foi de l’esprit de parti—qui accordent tout le talent, toutes les lumières, toutes les vertus, aux gens dont on se sert,—et qui accablent d’injures les gens qu’on rencontre dans un parti opposé au sien.—Voilà comment des hommes à conviction font une guerre loyale et honnête,—voilà des sentiments qui font plaisir à entendre professer.—M. de Lamartine serait l’adversaire de M. Chambolle, que M. Chambolle lui payerait le même tribut d’éloges.

Félicitons M. Chambolle—.....

PADOCKE. Ah çà! maître, à quoi pensez-vous? que faites-vous?

LE MAITRE DES GUÊPES.—Ce que je fais, Padocke, je fais comme ferait M. Chambolle, je rends justice à un homme dont je ne partage pas les idées.—M. Chambolle payerait à M. de Lamartine le même tribut d’éloges, quand même M. de Lamartine serait son adversaire.

Je paye à M. Chambolle un tribut d’éloges...

PADOCKE. Pardon, maître, mais vous n’avez pas de mémoire. Ouvrez le numéro des Guêpes qui a paru le 1er septembre 1840.

LE MAITRE DES GUÊPES. Pourquoi faire, Padocke?

PADOCKE. Ouvrez-le,—vous verrez.

LE MAITRE DES GUÊPES.—Le voici ouvert, Padocke.

PADOCKE. Cherchez à la page 365.

LE MAITRE DES GUÊPES. Page 365,—nous y voici!

PADOCKE. Très-bien!... lisez...

LE MAITRE DES GUÊPES. «25 août.—Il est arrivé un grand malheur à ce pauvre M. Chambolle,—député et rédacteur en chef du journal le Siècle.

«Ledit M. Chambolle, dans le numéro du Siècle d’aujourd’hui 25 août 1840,—numéro tiré à soixante-douze mille exemplaires,—ainsi que le journal l’affirme lui-même,—M. Chambolle a imprimé que... «M. de Lamartine est un niais.»—Ce pauvre M. Chambolle,—je prends la plus grande part à l’accident qui lui arrive,—et je le prie d’agréer favorablement mes compliments de condoléance.»

PADOCKE. Eh bien! maître?

LE MAITRE DES GUÊPES. Eh bien! Padocke!

PADOCKE. Eh bien! maître, M. de Lamartine était alors l’adversaire de M. Chambolle, et il me semble que M. Chambolle ne lui payait pas tout à fait le même tribut d’éloges.

image d’une guêpe Le dieu Cheneau vient de fulminer contre moi une seconde lettre.—La foudre du dieu, cette fois, n’est pas tirée à un seul exemplaire, comme le dernier tonnerre.—Ce céleste carreau—a pris la forme d’une brochure de trente-deux pages,—format in-8º,—imprimée chez Paul Dupont, rue de Grenelle-Saint-Honoré, 53.

Jamais mortel n’a été aussi complétement réduit en poudre—que celui qui fut l’auteur des Guêpes;—laissons fulminer le dieu:

«Je ne donnerai pas de nouveaux développements—pour me faire comprendre de M. A. Karr; je vois bien que la faculté de comprendre manque aux Guêpes.—Les Guêpes sont légères,—tellement légères, qu’elles ne peuvent, à ce qu’il paraît, changer leur nature;—pourquoi se cassent-elles le nez elles-mêmes! Ces insectes ne font que produire la douleur et le désordre.—Pauvres Guêpes, vous vous servez encore de plumes d’oie pour écrire.—Les Guêpes n’ont vraiment reçu que le baptême d’eau,—je ne saurais trop le répéter.

»Oui, monsieur A. Karr,—je suis mercier;—si j’étais Dieu, comme vous le dites, je ne serais pas le Dieu des Guêpes;—j’emploierais mieux mon loisir!

»Je me sens la force de soutenir les hostilités des Guêpes, car je défie même les corbeaux.

»Votre réponse du mois dernier ne se conservera pas, je vous en préviens!...

»J’espère que vous serez pardonné, vu votre manque de conception.

»Je vous plains de ne pas comprendre.—M. Jouin, sur lequel vous demandez des renseignements, n’est pas à Paris;—laissez les absents tranquilles.

»Depuis longtemps le monde est la dupe de prétendus savants qui, comme vous, se posent sur le premier piédestal venu pour juger la faculté de chacun,—comme s’ils en avaient les capacités;—ils déblatèrent,—ils battent la campagne;—ils sifflent comme des serpents.

»Il est temps que l’on brise ces fausses muses qui produisent la démence—dans le jugement,—dans l’entendement humain;—que les Guêpes restent Guêpes.

»Si M. A. Karr se fût annoncé quand il est venu chez moi, je me serais procuré le plaisir de le recevoir.—CHENEAU

«AVIS.—Toute critique qui ne me sera pas adressée sera considérée comme critique honteuse.—CHENEAU

Une autre brochure,—cette fois en vers, m’appelle: «atroce frelon.»

Un troisième monsieur—a découvert dans les livres hébreux—que Beelzebuth—veut dire roi des mouches,—et il en tire la conséquence que je suis Beelzebuth.

image d’une guêpe Un M. Prosper Lehoc,—épicier, propriétaire et fils unique de feu M. Lehoc,—décédé notaire royal,—a publié récemment deux ouvrages;—l’un est un Traité de l’Épicerie avec un Traité spécial de la chandelle en forme d’appendice.

L’autre ouvrage est un Traité du véritable gouvernement représentatif, basé sur la force, la prudence et la justice.

«Mon travail, dit M. Prosper Lehoc, a eu pour but de faire des peuples de la terre un seul et même peuple de frères.—Je pense y être parvenu.»

Des deux livres de M. Lehoc, l’un est consacré à la chandelle,—l’autre aux lumières.

Il répand à la fois la clarté—dans les appartements et dans les âmes;—il épure le suif et les lois.

M. Lehoc nous permettra cependant de nous étonner un peu de voir le gouvernement actuel,—le gouvernement représentatif dont nous jouissons,—nié et sapé dans sa base par un épicier.—Que peuvent donc encore demander les épiciers,—aujourd’hui que leur règne est arrivé,—aujourd’hui qu’ils se sont emparés du royaume de la terre en échange du royaume des cieux, qui semblait leur avoir été spécialement réservé?

Pour la préparation de la graisse, M. Lehoc ne se sert pas de l’huile de vitriol,—comme on fait à Rouen.

UN LECTEUR. Ah çà! que voulez-vous dire,—Grimalkin?

GRIMALKIN. Je parle du Traité de la chandelle de M. Lehoc.

LE LECTEUR. Ah! je croyais que nous en étions au Traité du gouvernement représentatif.

GRIMALKIN. Aimez-vous mieux parler du gouvernement représentatif?—parlons du gouvernement représentatif.

Nous disions donc que M. Lehoc ne veut plus du gouvernement représentatif tel qu’il est aujourd’hui;—il n’en veut pas plus que de l’huile de vitriol pour préparer la graisse de ses chandelles.

M. Lehoc est pour l’extension illimitée du vote électoral—«Un rayon de la divinité constitue le sentiment et la conscience de chaque citoyen (épicier ou autre); c’est ce qui fait que les hommes doivent nécessairement tous concourir à la représentation nationale.»

On ouvre la porte,—le vent emporte la brochure de M. Lehoc,—Où en étais-je?...—Ah! m’y voici.

«La théorie que j’ai écrite est pour l’instruction des jeunes gens qui se destinent à cette carrière.—Ma méthode est simple et empêche la chandelle de couler...»

Ah! me voici encore à la chandelle!—il me semblait cependant que j’en étais à une phrase pareille dans la partie politique des œuvres de M. Lehoc.

Ah! la voici:

«C’est spécialement pour servir de guide aux électeurs que j’ai composé cet ouvrage.

»Tel est en peu de mots, ce que l’on s’empresse d’offrir à tous les États.»

De la chandelle?

Non, le gouvernement représentatif, le véritable gouvernement représentatif,—le gouvernement représentatif de M. Lehoc.

«Le gouvernement représentatif (le vrai, celui de M. Lehoc), met infiniment d’ordre et d’économie dans sa trésorerie (pourquoi pas dans son comptoir!);—il règle la dépense sur la modicité des revenus,» etc.

Cette fois, je crois que c’est M. Lehoc qui a confondu la chandelle et le gouvernement représentatif. Ces préceptes, mêlés, par erreur à la partie politique, appartiennent sans aucun doute—à l’épicerie en demi-gros et en détail.

image d’une guêpe Certes, jamais à aucune époque les hommes n’ont eu autant de chefs pour les conduire, autant de philosophes pour les réformer,—autant de rois disponibles pour les gouverner, autant de dieux et de prophètes—pour recevoir leur encens ou leur moquerie.

Ce qui manque aujourd’hui,—ce sont des hommes qui veuillent bien être gouvernés,—c’est une place à prendre, une spécialité à occuper.

image d’une guêpe On voit de temps à autre dans les journaux que différents citoyens ont reçu d’un ministre des médailles—pour avoir, au péril de leur vie, sauvé celle d’autres citoyens.—Ces citoyens sont toujours des hommes du peuple—et des ouvriers.

Le cœur et le bon sens disent que, de toutes les décorations, ces médailles sont sans contredit les plus honorables.

En effet,—les mieux méritées d’entre les autres croix ont été données pour des traits de courage et de dévouement,—qu’il est juste de récompenser par des honneurs;—mais ce n’est pas trop que de demander qu’on traite aussi bien l’homme qui a exposé sa vie pour en sauver un autre—que celui qui a mis la sienne au hasard—pour en tuer trois ou quatre.

J’ai parlé plus d’une fois de la sottise et de l’infamie qui ont récompensé tant de fois des services honteux—du même signe que d’autres ont payé de vingt blessures et de mille dangers.

Je ne parle aujourd’hui que des médailles d’honneur;—comme il faut nécessairement les mériter pour les obtenir, comme on ne peut les obtenir que d’une seule manière,—comme il est écrit dessus la cause pour laquelle on les donne,—comme elles ne sont guère gagnées, ainsi que je le disais tout à l’heure, que par des gens du peuple et des ouvriers,—comme on n’en peut récompenser aucune infamie, le pouvoir les donne avec une négligence et un dédain honteux.

Le ruban qui les attache n’est pas même un ruban qui leur soit spécialement affecté,—c’est un ruban tricolore—que tout le monde a le droit de porter,—aussi bien que les femmes portent des rubans roses et lilas.

Chez les Romains, qui donnaient des couronnes pour récompenses honorifiques,—la couronne civique, qui était une couronne de chêne,—était particulièrement estimée.—Cicéron eut soin de la demander après avoir découvert la conspiration de Catilina,—et Auguste fut si fier de l’obtenir, qu’il fit graver une médaille sur laquelle il était représenté couronné de chêne avec ces mots:

Ob cives servatos. (Pour avoir sauvé des citoyens.)

Il n’y avait que deux couronnes qui fussent mises au-dessus de celle-là:—c’était la couronne obsidionale, qu’on obtenait pour avoir délivré une armée romaine assiégée,—et la couronne triomphale,—qui était, pour un général en chef, le prix d’une victoire complète en bataille rangée.

Toutes les autres étaient au-dessous;—la couronne de chêne avait même certains priviléges et certains honneurs qu’on ne rendait à aucune des autres.

En général, on ne fait pas grand cas de la croix d’honneur tant qu’on ne voit pas pour soi des chances de l’obtenir;—mais vous voyez tout doucement les journalistes qui en ont le plus médit s’abstenir ou en parler avec plus de respect à mesure qu’ils s’approchent d’une position qui leur permet d’y aspirer.

Il est singulier, de notre temps, de savoir qu’au même instant, à la même minute, un soldat s’expose au feu ennemi,—se précipite à travers les dangers et affronte la mort en Afrique;

Tandis qu’à Paris un monsieur—vend sa voix ou sa plume à un ministre,—ou l’accable de basses adulations,—et que tous deux sont également récompensés par une même et identique croix d’honneur. Pour ce qui est des médailles dont nous parlons, elles sont toujours l’objet du dédain, parce que, je le répète, on ne peut compter ni sur un hasard, ni sur une lâcheté, pour les obtenir.

Je connais un homme qui a été l’objet, depuis quinze ans, de cent brocards et de mille lazzi, et dans le monde et dans les journaux,—parce qu’il porte quelquefois une médaille de ce genre, même de la part de gens qui seraient plus qu’embarrassés s’il leur fallait écrire sur leur croix,—comme c’est écrit sur les médailles,—la cause qui la leur a fait obtenir.

Je n’ai jamais pu découvrir le côté plaisant de la chose.

Je pense qu’il serait du bon sens, de la justice, de la philosophie,—et je dirais de la philanthropie, si les spéculateurs n’avaient rendu ce mot ridicule,—de ne pas montrer de dédain officiel pour cette décoration;—serait-ce trop demander que d’abord on cessât de l’attacher au ruban tricolore,—qui appartient à la politique,—et ensuite qu’on lui affectât un ruban particulier?

Je suis assez curieux de savoir ce que répondra à cette demande le ministre dans les attributions duquel se trouve la chose, et auquel je vais faire adresser cette réclamation.

image d’une guêpe DICTIONNAIRE FRANÇAIS-FRANÇAIS.BOURSE.—On a institué dans les colléges royaux—des bourses et des demi-bourses—au moyen desquelles les enfants de vieux soldats ou de vieux fonctionnaires qui ont servi l’État avec distinction et sont restés pauvres—peuvent être élevés gratuitement.

Ce bienfait était également destiné à permettre de faire leurs études à des enfants de parents pauvres, mais dont l’intelligence promettait des citoyens utiles.

Je prie M. Villemain, ministre de l’instruction publique, de me démentir si je me trompe en affirmant—que la moitié des bourses est donnée uniquement, sur la demande des députés,—à des enfants qui ne sont dans aucun des cas ci-dessus mentionnés,—à des enfants même dont souvent les parents sont riches,—et dont quelques-uns ont cinquante mille livres de rente.—Une bourse est donnée, non pas à un enfant pour qu’il fasse ses études, mais à un électeur ou à un député, pour qu’il donne sa voix.

image d’une guêpe CABALE.—Un auteur appelle cabale tout public qui siffle;—eût-il rempli la salle de gens salariés ou d’amis furibonds; eût-on insulté et un peu rossé les vrais spectateurs, l’auteur appelle alors les souteneurs de sa muse—un public éclairé.—(Voir ce mot.)

image d’une guêpe CABARET.—Nos ancêtres allaient dîner au cabaret.—Les cabarets étaient des asiles fort décents présidés par d’excellents cuisiniers et où ils causaient librement.—On dîne aujourd’hui dans des temples de mauvais goût, remplis de dorures et de glaces,—où tout est si cher que les pauvres gens qui les fréquentent affectent des goûts bizarres ou des maladies plus que fâcheuses—pour y restreindre convenablement leur écot: l’un adore le bœuf bouilli,—un autre n’aime plus que les choux;—la plupart, par raison de santé, ne boivent que de l’eau.—On allait au cabaret pour dîner; on va au Café Anglais ou au Café de Paris pour être vu y dîner.

image d’une guêpe CADMUS.—Le Phénicien Cadmus a inventé la guerre civile et l’alphabet.—Son alphabet se composait seulement de seize lettres; il serait curieux de calculer combien de sottises on écrit tous les jours rien qu’avec les huit lettres que les modernes y ont ajoutées.

image d’une guêpe CADRAN.—Il n’y a rien de si faux que les heures du cadran et ses divisions; le temps ne peut avoir jamais qu’une durée relative.—Un jour peut se traîner plus lentement qu’un mois,—un mois échapper plus rapide qu’un jour.—Le temps doit se jauger et non se mesurer, c’est-à-dire non s’apprécier par ses dimensions extérieures, mais par ce qu’il contient.—Il y a telle année qui, si on l’épluchait comme une noix,—si l’on en retranchait les cartilages et les pellicules amères, tiendrait à l’aise dans certains jours.—Il y a une heure dans notre vie pendant laquelle nous avons plus vécu que dans le reste de nos jours.

Le cadran encore met de la préméditation dans toute la vie.—C’est un tyran qui vous prescrit la faim, la soif, le sommeil.—C’est aussi un reproche perpétuel.—Jamais je n’ai regardé un cadran sans m’apercevoir que j’étais en retard pour quelque chose.

image d’une guêpe CALOMNIE.—Quand vous avez passé toute votre vie dans une perpétuelle surveillance sur vous-même, pour ne pas donner prise à la médisance, vous n’avez atteint qu’un seul but, c’est de forcer les gens à vous calomnier.

image d’une guêpe CONDAMNATION.—Pour avoir donné un soufflet à Paul, Pierre est condamné à payer une amende.

—Qui reçoit cette amende? Paul, sans doute?

—Non, c’est S. M. Louis-Philippe Ier, roi des Français.

—Comment! est-ce toujours ainsi?

—Oui... à moins cependant que ce ne soit Paul qui paye l’amende.

—Paul... qui a reçu le soufflet?

—Cela arrive quelquefois.

image d’une guêpe CHEVALIER.—Un chevalier était autrefois un homme d’armes couvert d’acier,—à la démarche noble et puissante,—au poignet de fer, à la poitrine large,—prêt à affronter les périls les plus extravagants pour sa dame et pour son roi.

Aujourd’hui on ne peut entrer dans un salon—sans voir une vingtaine d’hommes vêtus de noir,—maigres, chauves, chétifs,—et qui sont des chevaliers.—M. Sainte-Beuve est chevalier.

image d’une guêpe CAFÉ.—Endroit où, sous prétexte de prendre du café à la crème, on va tous les matins apprendre les sottises, les niaiseries et les calomnies qu’on répétera toute la journée.

image d’une guêpe CATHOLIQUE.—Certains carrés de papier,—le Constitutionel], par exemple,—si célèbre par sa crédulité—en excepte la religion du pays,—il protége de son égide—tout ce qui s’élève contre elle:—l’abbé Chatel, sacré par un épicier,—l’abbé Auzou, ancien comédien, ont droit à ses éloges;—il est protestant, il est mahométan, il est guèbre,—il est tout, excepté catholique;—il demande la liberté des cultes pour les autres religions,—mais il ne veut pas l’accorder à la religion de la majorité des Français;—si l’on fait une procession à l’époque de la Fête-Dieu,—il dénonce Dieu à la police—et signale ses tendances contre-révolutionnaires.

Mais—à l’époque où le duc d’Orléans épousa une princesse luthérienne,—tous les journaux de cette couleur jetèrent feu et flammes,—ils invoquèrent la religion du pays,—et peu s’en faillut que MM. Jay et Jouy ne prissent les croix des croisés.

image d’une guêpe CIGUE.—Autrefois, quand un homme s’élevait au-dessus de la foule—et excitait l’envie et la haine de ses concitoyens, il arrivait quelquefois qu’on l’exilait ou qu’on lui faisait boire la ciguë;—ce sort, dont il n’y a que des exemples peu nombreux,—est aujourd’hui non-seulement fréquent, mais inévitable.

Aussitôt qu’un homme se manifeste au public par quelque talent,—tout le monde se rue sur lui en fureur,—on le tire par les pieds et par les vêtements pour le remettre au niveau de la foule,—si toutefois on ne peut le renverser sous les pieds et l’écraser;—puis chaque jour, au moyen des journaux,—on lui fait boire quelques gorgées d’injures et de calomnies;—le public qui, sans s’en rendre bien compte,—n’est pas fâché de voir le grand homme amené aux proportions humaines,—croit alors tout ce qu’on lui raconte, sans examen et sans restriction.

image d’une guêpe CONFISCATION.—Il n’y a plus de confiscation;—seulement on peut condamner n’importe qui à des amendes et à des frais dépassant dix fois la valeur de ce qu’il possède,—et que la justice fait vendre. C’est absolument—comme l’abolition de la conscription, si heureusement remplacée par le recrutement;—c’est absolument comme ce mot qu’on a prêté à un roi: Plus de hallebardes.—En effet, le roi est escorté par des hommes armés de sabres et de carabines,—ce qui, du reste, est à peine suffisant.

Avril 1843.

A. M. Arago (François).—Le dieu Cheneau.—M. de Balza.—Quirinus. Un mot.—Une ordonnance du ministre de la guerre.—A M. le rédacteur en chef du journal l’Univers religieux.

image d’une guêpe A. M. ARAGO (François).—Je me proposais, monsieur, de vous taquiner un peu sur cette comète—que vous n’avez pas vue,—et qui me donnait beau jeu—pour dire une fois de plus à quoi s’exposent les astronomes qui s’occupent trop des choses de la terre. La Fontaine a gourmandé l’astrologue qui ne regarde pas assez à ses pieds;—je vous ai souvent reproché de regarder trop aux vôtres,—et d’être plus sensible à la fumée et au bruit de ce monde où nous sommes qu’il ne paraît convenir à un homme auquel la science permet de vivre au ciel.

Mais vous avez soutenu à la Chambre des députés, sur une chose terrestre,—une thèse que je dirais parfaitement juste et raisonnable,—avec des mots plus ambitieux que ceux que j’emploie,—si les Guêpes n’avaient à diverses reprises soutenu la même thèse depuis quatre ans,—à savoir le ridicule profond qu’il y a à faire passer dix ans aux jeunes gens à apprendre les deux seules langues qui ne se parlent pas; j’ai de plus prouvé que ces langues seraient inutiles au plus grand nombre si on les savait,—mais qu’on ne les sait pas après les avoir apprises pendant dix ans;—à savoir—la sottise qu’il y a à donner à tout un pays une éducation littéraire et républicaine.

image d’une guêpe Éducation dont la première moitié conduit à l’hôpital,—et la seconde au mont Saint-Michel,—quelquefois aux galères,—quelquefois à l’échafaud.

image d’une guêpe Éducation qui, si elle réussissait, ferait de la France un pays de poëtes,—et qui, ne réussissant pas, en fait un pays d’avocats—et d’ambitieux mécontents,—un pays de gens dont personne ne se trouve bien à sa place,—de gens qui tous ont des désirs et des besoins impossibles à satisfaire.

image d’une guêpe Vous avez eu raison et mille fois raison,—monsieur,—et vous avez eu raison avec esprit.—Il y a bien des gens auprès desquels cela a dû faire tort à vous et à votre opinion.

L’homme en général n’aime et ne respecte que ce qui fait un peu de mal.—Il y a longtemps déjà que j’ai retourné le vieux et faux proverbe: «Qui aime bien châtie bien» en celui-ci: «Aime bien qui est bien châtié.»

Il n’y a de grandes passions que les passions malheureuses.—L’homme n’aime pas d’ordinaire la femme dont il est aimé.—Ses vœux, ses désirs, ses soumissions, sont presque toujours pour celle qui le maltraite, l’humilie,—le sacrifie et l’insulte.—Les anciens adoraient les furies,—la guerre,—la peste,—la fièvre,—la mort, et autres divinités peu aimables.—Les modernes rendent un culte semblable à l’ennui,—qui est pis que toutes les autres ensemble.

Ce dieu infernal—a sur la terre des temples qui sont toujours pleins,—et des ministres qui sont entre tous vénérés, écoutés, engraissés et enrichis.—Presque toutes les places, les dignités, les honneurs, reviennent de droit aux gens qui ennuient leurs contemporains, aux gens qui débitent de longs discours, qui écrivent de gros livres—également ennuyeux,—qu’on aime mieux admirer que de les écouter ou de les lire.—Ceux-là seuls paraissent avoir raison,—et sont écoutés;—on a respecté en eux—le dieu—le dieu terrible—dont ils prononcent les oracles et dont ils célèbrent les sacrés mystères.

Mais si on s’avise de mêler quelque enjouement à la raison;—si l’on combat le faux, l’absurde et le mauvais avec les armes légères et terribles de l’ironie et du sarcasme,—les gens sourient,—vous trouvent très-drôle,—vous lisent ou vous écoutent volontiers,—mais prennent tout ce que vous dites ou tout ce que vous écrivez pour des calembours et des coq-à-l’âne.

Ils vous mettent au nombre des bouffons et des jocrisses,—de Brunet, ou d’Arnal, ou d’Alcide Touzet.

Ces braves gens—ne se représentent le bon sens et la raison—qu’avec l’air refrogné—et de mauvaise humeur; si vous souriez, tout est perdu.

image d’une guêpe Vous avez eu raison,—monsieur,—et vous avez eu l’imprudence d’avoir raison avec esprit,—et d’employer l’ironie—contre une chose plus ridicule qu’aucune qui ait jamais succombé sous les coups du bon sens. Quelle est donc, en effet, cette langue, ce latin,—qui jouit de tant de priviléges?—il n’est pas de sottises et de saletés qui ne soient admises, religieusement apprises et admirées,—si elles sont écrites en latin:—en latin on livre aux jeunes gens la fameuse églogue de Virgile:—Formosum pastor Corydon.

image d’une guêpe En latin,—on apprend que les abeilles naissent de la corruption d’un animal mort.

image d’une guêpe En latin,—on apprend par cœur toutes les faussetés sur la physique, sur la chimie.

L’églogue Formosum est une chose infâme,—ainsi que celle du bel Yolas; le livre d’Aristée et des abeilles—est une sottise insigne.

Mais c’est écrit en latin,—c’est écrit en beaux vers!

Étonnez-vous donc ensuite si vous faites une nation de bavards et d’avocats;—plus tard—on apprend si on peut,—et combien en ont le temps—puisque le latin prend toute la première jeunesse—et vous conduit aux portes de la vie civile et sérieuse?—on apprend—quelques-uns, du moins, un sur trois cents,—que les abeilles ne viennent pas de bœuf pourri.

Absolument comme les gens qui font apprendre deux langues aux enfants:—l’une, composée de mots ainsi faits: Maman,—nanan,—dada,—papa,—dodo,—lolo, etc.;—l’autre, qui dit les mots: Mère,—friandise,—cheval,—père,—lit,—lait, etc.

Certes,—et je puis parler ici sans qu’on m’accuse de ressembler au renard qui avait perdu sa queue dans un piége,—j’ai été ce qu’on appelle un élève distingué dans l’Université,—j’ai ensuite professé le latin et le grec,—j’ai rendu, sous ce prétexte,—à de pauvres enfants que je retrouve hommes aujourd’hui éparpillés dans les diverses conditions de la vie,—je leur ai rendu une partie de l’ennui que m’avaient donné mes professeurs;—je serais fâché de ne pas savoir ces langues,—qui, de temps en temps, me permettent de lire de belles pensées écrites en beau style.

Mais si c’est une des choses les plus agréables qu’on puisse savoir,—c’est une des moins utiles—dans les besoins et les nécessités de la vie.

Sur soixante élèves qui composent d’ordinaire une classe de collége, c’est un grand malheur s’il doit y avoir un poëte.—Eh bien! toute l’éducation pendant dix ans n’est faite que pour ce poëte.

Les autres—qui seront—notaires,—ou ferblantiers,—médecins—ou droguistes,—suivent les mêmes cours,—et passent, entre autres choses, trois ans à apprendre à faire des vers latins, et quels vers, bon Dieu!

J’aimerais autant les voir jouer à la balle pendant dix ans,—au moins cela ne leur donnerait pas d’idées fausses—et serait tout aussi utile aux diverses professions qu’ils doivent embrasser.

Quoi!—on passe dix ans à apprendre,—que dis-je? à ne pas apprendre le latin.

En effet,—demandez à vous-même, demandez à ceux que vous connaissez: «Êtes-vous capable de lire Martial en latin?—êtes-vous capable d’écrire une lettre en latin?» Trouvez-moi dix hommes de quarante ans—qui fassent sans faute un thème—qu’on donnerait à des élèves de cinquième,—et qui obtiendraient la première place dans une composition avec des enfants de dix à douze ans!

On passe dix ans—à ne pas apprendre le latin.

Et on ne connaît pas—les lois de son pays;—on entre dans la vie sans savoir ni ses droits, ni ses devoirs en rien.

Mais on sait,—non, je veux dire, on a appris le latin.

Et c’est avec ce bagage—qu’on vous lâche les jeunes gens à même la vie.

Ne perdez pas courage,—monsieur,—ceci est plus grand que de renverser un ministre;—ceci doit renverser une sottise funeste.

Pour moi,—monsieur,—je ne vous dirai rien de la fameuse comète,—vous ne l’avez pas vue,—mais vous avez découvert une grosse bêtise sur la terre.

La comète continue sa route absolument comme si vous l’aviez vue.—J’ai peur que la grosse bêtise ne poursuive la sienne absolument comme si vous ne l’aviez pas vue.

Néanmoins, monsieur, vos paroles ne seront pas perdues,—de même que je n’ai pas regretté celles que j’ai laissé échapper sur ce sujet—depuis quelques années.

Il est bon de dire de temps en temps aux pédants qu’ils sont des pédants,—aux sots qu’ils sont des sots, quand ce ne serait que pour que la sottise n’invoque pas un jour le bénéfice de la prescription contre la logique et le bon sens.

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