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Les guêpes ­— séries 3 & 4

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Mort du duc d’Orléans.—La Régence.—Le duc de Nemours et la duchesse d’Orléans.—M. Guizot.—Un curé de trop.—Humbles remontrances à monseigneur Blancart de Bailleul.—Un violon de Stra, dit Varius.—Fragilité des douleurs humaines.—Sur les domestiques.—Correspondance.—M. Dormeuil.—Une foule d’autres choses.—M. Simonet.—Une Société en commandite.—Quelques annonces.—M. Trognon. M. Barbet.—M. Martin.—M. Poulle.—M. Pierrot.—M. Lebœuf.—M. Michel (de Bourges).—M. Dupont (de l’Eure).—M. Boulay (de la Meurthe).—M. Martin (du Nord), etc.—Am Rauchen.Wergiss-mein-nicht.

Le 13 juillet 1842, le duc d’Orléans allant à Neuilly—a été jeté hors de sa voiture par des chevaux emportés.—Il est tombé sur les pavés de la route—qui lui ont brisé la tête en plusieurs parties. Il est mort à quatre heures du soir,—sans avoir repris connaissance, dans une pauvre boutique d’épicier.—Le roi et la reine, qui étaient accourus, ont suivi le corps de leur fils porté par les soldats, sur un brancard.

Toute la France a compris cette immense douleur et l’a respectée.—Tout le monde a été frappé à la fois de compassion et de respect—en voyant que, de toutes les grandeurs qui séparent des autres la famille royale, il n’y en a qu’une seule qu’on lui ait laissée;—qu’elle ne dépasse aujourd’hui le commun des hommes que par la grandeur de ses misères et de son affliction.

Beaucoup de gens ne se souciaient guère des attaques au trône, à la couronne, à la pourpre,—et à cent autres métaphores, qui ont senti ce coup qui s’adressait au cœur—et qui en ont tressailli.—Un roi avait paru quelque chose d’autre qu’eux-mêmes, qui n’a ni les mêmes joies, ni les mêmes douleurs; mais alors, en pensant au roi, à la reine, à la duchesse d’Orléans, on a dit: «Pauvre père! pauvre mère! pauvre femme!» et on a compris, et on a pleuré avec eux.

On parlait surtout de la reine, qui avait à creuser dans son cœur une nouvelle tombe à côté de celle de sa fille Marie;—de la reine—qui, dans la partie politique qui se joue depuis tant d’années, a vu mettre en jeu si souvent déjà la vie de tous ceux qu’elle aime,—et qui croyait les avoir regagnés et rachetés, tant elle avait craint, pleuré et prié pour eux.—On a compté les épines qui forment les fleurons de sa couronne royale.

Puis, quand le duc d’Orléans a été mort—tout le monde a vu ce que presque personne n’avait songé à remarquer auparavant: c’est que c’était un des hommes les plus distingués de ce temps-ci; on a vu qu’il tenait, par des liens qu’on n’a sentis que lorsqu’ils se sont rompus, à tout ce qui a de la vie, de la force et de la jeunesse en France.

On a vu que son absence laissait un vide, et, en regardant autour de soi parmi les grands hommes que les journaux inventent et annoncent pêle-mêle avec les pommades pour teindre les cheveux, et l’eau pour détruire les punaises,—on a vu que parmi ces héros de réclame—il n’y avait personne pour remplacer le prince mort.

Puis ensuite on a songé aux conséquences politiques de ce triste événement.

On a vu que le roi Louis-Philippe a soixante-dix ans et que son successeur n’a pas encore quatre ans.

Et on a compté tout ce qu’entre ces deux règnes il peut tenir de troubles, de désordres et de malheurs.

Après ce moment de stupeur—les avidités, les rapacités ardentes des partis se sont ranimées.—Le duc d’Orléans n’était pas encore enterré—que chaque parti a voulu tirer avantage de sa mort.

image d’une guêpe L’opposition s’en est servie d’argument contre M. Guizot:—M. Guizot s’en est servi d’argument contre l’opposition.

M. Guizot a fait venir le roi à la Chambre des députés;—il ne lui a pas laissé le temps d’être père quelques jours au milieu de sa famille; et l’a forcé de reprendre son rôle de roi; il était trop tôt;—cet homme,—éprouvé par des fortunes si diverses, auquel ses ennemis les plus acharnés n’ont pu refuser le courage et la fermeté,—n’a pu jouer, au bénéfice de M. Guizot, son rôle jusqu’au bout; il a pleuré devant les envoyés de la nation.

Les uns ont dit: «Le duc d’Orléans est mort, donc il faut renvoyer M. Guizot.»

Les autres: «Le duc d’Orléans est mort, donc il faut garder M. Guizot.»

Le raisonnement des uns était aussi insolemment absurde que celui des autres.

Puis vint la question de la régence.—Les journaux de l’opposition demandèrent une loi spéciale, personnelle et provisoire,—c’est-à-dire un petit nid à débats, à troubles et à émeutes.

image d’une guêpe Les journaux du ministère commencèrent à demander, de leur côté, la régence pour M. le duc de Nemours.

C’était justement tomber dans l’écueil où voulaient les amener leurs ennemis.

Ils se ravisèrent et demandèrent la régence pour le plus proche parent ascendant mâle du roi mineur,—c’est encore le duc Nemours;—mais c’est en même temps un principe et une loi fondamentale.—Il est déjà assez honteux pour quatre cent cinquante législateurs de n’avoir pas prévu le cas d’une minorité et d’une régence, sans que lesdits quatre cent cinquante législateurs hésitent à en faire une quand la nécessité le commande.

Les journaux de l’opposition avaient crié très-fort quand le duc d’Orléans avait épousé une luthérienne,—ce qui ne les avait pas empêchés dans le temps de soutenir l’élection de M. Fould par cette raison remarquable qu’il fallait bien avoir un juif à la Chambre,—ce qui amènerait un jour à dire: «Il faut bien qu’il y ait un ferblantier au Palais-Bourbon,» s’il n’y en avait déjà plusieurs.

Lesdits journaux demandèrent alors la régence pour la duchesse d’Orléans.

image d’une guêpe Cette tendresse subite ne voulait pas dire autre chose que l’espoir de voir des troubles plus faciles sous l’administration d’une femme.

image d’une guêpe C’est un procès qui peut honnêtement se plaider,—car les raisons pour chacun des deux prétendants peuvent se balancer.

On peut dire pour le duc de Nemours—qu’il s’est bien battu en Afrique,—que c’est un caractère ferme et froid,—que la régence est une royauté provisoire, qu’une des lois fondamentales du royaume exclut les femmes du trône,—que d’ailleurs, à l’époque où nous vivons, il peut arriver qu’il y ait besoin, chez le régent, des qualités que la plus noble des femmes n’est pas forcée d’avoir.

On peut dire pour la duchesse d’Orléans—que, à tort ou à raison,—le duc de Nemours n’est pas populaire,—que cette impopularité vient en partie de cette malheureuse dotation qu’on a eu la sottise de demander pour lui,—ce qui est cause qu’il s’est répandu dans le public plusieurs centaines de phrases toutes faites contre lui.

image d’une guêpe Et on ne sait pas avec quelle facilité le gros du public adopte d’abord les phrases, puis ensuite les sentiments qu’elles expriment.

image d’une guêpe On pourrait dire—qu’il ne serait peut-être pas d’une mauvaise politique—que le régent fût dans une position à ne pouvoir être roi dans aucun cas; de telle façon que le roi mineur fût pour lui un pupille et non une barrière.

image d’une guêpe On pourrait encore faire une longue énumération des brillantes et solides qualités que reconnaissent à la duchesse d’Orléans—ceux qui l’ont approchée.

Pour moi, j’ai sur la régence l’opinion que j’ai sur la royauté: nommez n’importe qui,—pourvu que ce soit d’une manière stable;—faites une loi sérieuse,—une loi fondamentale que vous n’ayez pas besoin de rapiécer, de ressemeler à chaque événement imprévu,—et réellement je trouve qu’il ne devrait pas y avoir autant d’événements imprévus pour près de cinq cents que vous êtes qui devez les prévoir.

image d’une guêpe «M. le général Rulhières,—commandant la dixième division militaire, était dans son appartement lorsque, le pied lui ayant glissé sur le parquet,—il est tombé et s’est grièvement blessé au genou.»

Je saisis cette occasion pour remarquer une fois tout haut qu’il n’existe dans aucun pays sauvage,—dans aucun pays de la Nouvelle-Zélande,—un usage aussi barbare, aussi saugrenu,—aussi grotesque, aussi bête,—que celui qui consiste à rendre laborieusement—les appartements et les escaliers glissants.—En les cirant et en les frottant, les gens auxquels il m’est arrivé de dire cela—m’ont répondu: «C’est plus propre.»

Ces gens qui exposent eux et leurs connaissances à se rompre la colonne vertébrale sous prétexte de propreté—regarderaient à deux fois à se laver les mains l’hiver, s’ils ne pouvaient avoir d’eau chaude.

On rit beaucoup en France des sauvages qui se peignent les oreilles en rouge,—pourquoi? Parce qu’en France—on se peint les sourcils en noir,—et que ce n’est que sur les joues qu’on met du rouge.—On rit des Hottentots tatoués,—quoique la moitié de nos soldats et les deux tiers de nos serruriers portent sur les bras, peints en bleu ineffaçable,—des cœurs percés—et des Napoléons.

image d’une guêpe Mais on rirait bien plus si un voyageur venait d’un pays récemment découvert—et nous disait:

«Les naturels—ont un usage dont il est difficile de s’expliquer la raison.

»Au moyen de certaines préparations, ils rendent le plancher de leurs habitations tellement glissant, qu’il est impossible d’y faire un pas sans tomber, à moins d’une grande habitude et d’une extrême attention.

»Leurs escaliers, qui, par leur forme et leur disposition, présentent déjà assez de chances pour des chutes graves,—sont également enduits de la même façon,—pour rendre les accidents inévitables, de fréquents qu’ils seraient seulement sans cette précaution.

»Nous avons tâché de découvrir le but secret de cette préparation,—mais ils gardent à ce sujet un secret impénétrable;—quelqu’un de nous avait pensé d’abord que cette habitude singulière avait le même but que celui qu’ont adopté les Chinois de ferrer et de déformer les pieds de leurs femmes au point de leur en rendre l’usage impossible;—mais nous n’avons pu admettre cette explication,—parce que les hommes, chez nos naturels, ne sont pas moins exposés que les femmes aux accidents qui résultent fréquemment de cette coutume.

»La seule explication un peu plausible que nous avons pu trouver est qu’ils attachent probablement quelque idée superstitieuse aux chutes imprévues,—de même qu’en France les bonnes femmes prennent pour un heureux présage le hasard qui leur fait mettre un de leurs bas à l’envers.—Peut-être les naturels dont nous parlons, considérant comme d’un favorable augure les chutes violentes, ont-ils cru ne devoir négliger aucun moyen de les rendre fréquentes et dangereuses.»

image d’une guêpe La douleur que cause la mort d’une personne aimée est tellement profonde,—que la Providence a mis l’oubli le plus près possible, par pitié pour l’homme, qui ne pourrait supporter longtemps ce désespoir à un égal degré.

image d’une guêpe On fêtait l’autre jour un des saints du mois de juillet chez un de nos peintres les plus connus;—un de nos amis se trouvait parmi les convives bruyants—qui sablaient, comme on disait jadis, le vin de Champagne dans la chambre à coucher du peintre, transformée pour la circonstance en salle à manger.

Mon ami était à la droite de la maîtresse de la maison,—seconde femme du peintre en question,—remarié depuis quelques mois seulement. Il avait en face de lui le maître de la maison, derrière lequel s’élevait un beau dressoir gothique en bois sculpté,—chargé de porcelaines de Chine—et surmonté de quelque chose comme une urne funéraire de très-mauvais goût.

Les verres et les paroles s’entre-choquaient, la gaieté était à son comble,—le maître de la maison surtout paraissait en proie à une hilarité indicible;—le contentement de soi et le bonheur de vivre se lisaient sur ses traits:—il souriait à ses amis—et paraissait fier de sa femme, dont la beauté, la grâce et l’enjouement—faisaient du reste le plus bel ornement de cette étourdie et étourdissante assemblée.

Tout à coup,—mon ami lève les yeux par hasard, probablement en suivant le vol d’une mouche—et, apercevant cette urne de mauvais goût, dont je vous ai parlé,—s’écrie: «Ah mon Dieu!—qu’est-ce que c’est donc que cet abominable machin que vous avez là-haut?»

Heureusement le bruit des verres et des conversations couvrit la question, qui ne fut entendue que de la maîtresse de la maison; elle se pencha à l’oreille de mon ami, et lui dit: «Taisez-vous donc! c’est le cœur de la première femme.»

image d’une guêpe Monseigneur Blancart de Bailleul, évêque de Versailles, se trouve en ce moment dans un grand embarras:—voici l’histoire:

Il y a dans une commune de Seine-et-Oise—appelée Santeny,—un vieux curé—qui dessert la commune, je crois, depuis une trentaine d’années. C’est un bon vieux prêtre, qui a pris au sérieux le vœu de pauvreté,—qui ne possède rien au monde—et qui met tous ses plaisirs mondains—à faire pousser dans le jardin du presbytère des petits pois qu’à force de soins—il réussit presque toujours à voir en cosses avant tous ceux du pays,—et il met alors sa joie à en faire de petits présents.

Il y a quelque temps, un jeune prêtre allemand se présente au presbytère—et demande à parler à M. le curé,—M. le curé était à table—se lève, le force à prendre place, et l’oblige à dîner avec lui—en affirmant qu’il ne l’écoutera pas sans cela.

—Vous êtes ici pour quelques jours?

—Mais... oui, répond le jeune prêtre avec embarras.

—Marianne, dit le curé à sa vieille servante,—il faut faire un bon lit à monsieur, vous le bassinerez,—car il doit être fatigué.—A propos, Marianne, donnez-moi cette bouteille de vin—que l’on nous a envoyée.

Le jeune prêtre se repent amèrement d’avoir cédé aux instances du curé—et de s’être ainsi exposé à cet excellent accueil;—comment lui dire qu’il ne vient pas lui faire une de ces visites que se font les prêtres entre eux, mais qu’il se présente—de par monseigneur Blancart de Bailleul, pour le remplacer.

D’ailleurs—le vieux curé cause avec tant d’abandon,—tant de bonté!—Le jeune homme remet au lendemain à déclarer l’objet de sa visite. Ils font ensemble la prière du soir, le curé conduit son hôte à sa chambre,—l’hôte ne tarde pas à s’endormir.

Le lendemain matin, il découvre en se levant qu’il a occupé le seul lit de la maison—et que le curé a passé la nuit sur un vieux canapé;—il se sent touché,—il veut partir sans rien dire,—et de quelque autre maison envoyer au bonhomme la dure nouvelle qu’il n’ose lui dire de vive voix.

Mais le déjeuner est prêt,—le bon curé a cueilli lui-même le dernier plat de ses petits pois;—il aborde son hôte avec tant de bienveillance, il lui serre la main avec tant de bonhomie, que l’autre n’ose refuser;—il s’assied;—le bonhomme parle des trente ans qu’il a passés dans sa cure,—de l’amitié qu’il a pour ses paroissiens et de celle qu’il pense leur avoir inspirée:—il est heureux, mille fois plus heureux qu’il ne peut le dire;—il aime sa maison, il aime son jardin—qui est si heureusement exposé, où les petits pois viennent si bien et sont si précoces!—le puits a une eau excellente et n’est pas profond:—c’est si commode pour arroser!

Comment précipiter le bon curé de tout ce bonheur-là?—comment lui arracher tous ses trésors d’un seul mot? Le jeune prêtre remet au tantôt à faire sa révélation; mais à dîner le vieux lui dit: «Vous ne m’avez pas encore dit ce que vous venez faire ici.—Je ne vous le demande pas; mais, voyez-vous,—je parie que vous n’êtes pas riche;—eh bien! vous pouvez rester ici tant que vous voudrez;—regardez cette maison comme la vôtre;—l’ordinaire n’est pas somptueux, mais il y a assez pour nous deux et pour Marianne.»

Comment prendre brutalement à un homme qui offre tout de si bon cœur?

Toujours est-il que huit jours se passent ainsi,—au bout desquels—le jeune prêtre se trouve mille fois plus embarrassé que le premier.—Enfin il prend le parti qu’il avait imaginé le premier jour;—il quitte sans rien dire le presbytère, et envoie au curé une lettre dans laquelle—il lui raconte—et la cause de son arrivée—et son embarras et son chagrin.

Le vieux curé relit la lettre à plusieurs reprises;—n’en peut croire ses lunettes, se la fait relire par Marianne,—des pleurs s’échappent de ses yeux.—Il fait chercher le jeune homme et lui dit:

—Qu’ai-je fait à monseigneur?—on ne déloge plus à mon âge que pour prendre son dernier logement;—je suis vieux,—il ne pouvait donc pas attendre un peu?—Où veut-il que j’aille?

—Je n’en sais rien, répondit le jeune homme;—mais les ordres sont formels, et les voici.

—Mon Dieu! s’écria le curé,—comment y a-t-il tant de dureté dans le cœur des chefs de votre Église!—Que veut-on que je devienne,—vieux et pauvre comme je suis?—Mais obéir, ce serait un suicide, et je n’obéirai pas.—Monsieur, dit-il au jeune prêtre,—allez dire à monseigneur de Bailleul que je n’abandonnerai pas mon église;—que, si l’on veut m’en arracher, il faudra qu’on emploie la violence.

Voici un schisme à Santeny.

Le jeune curé in partibus—va loger chez le charpentier de l’endroit.

L’ancien curé reste au presbytère—et refuse les clefs du tabernacle et le calice,—dont il continue à faire usage.—Le jeune dit aussi la messe,—mais avec des ornements loués ou empruntés.

Que va faire monseigneur Blancart de Bailleul?—Va-t-il révoquer ses ordres,—ou les faire exécuter en employant la force?

Peut-être monseigneur, distrait par d’autres préoccupations, ne sait-il pas qu’il y a en France beaucoup de villages qui n’ont pas de curé,—ce qui ne rend nullement nécessaire d’en mettre deux à Santeny.

image d’une guêpe On rapporta dernièrement à deux hommes bien placés dans l’administration que M. Passy avait dit, en parlant d’eux: «L’un est un fou, l’autre est un voleur.»

—Cela ne se passera pas ainsi! s’écria M. ***.

—Et comment voulez-vous donc que ça se passe?—lui demanda son compagnon d’infortune.

—J’obtiendrai raison de M. Passy;—je me battrai avec lui.

—Il refusera de se battre avec son subordonné.

—Oui, eh bien! je vais donner ma démission.

—Vous êtes fou!

—Comment dites-vous?

—Allons, allez-vous me chercher querelle aussi à moi?

—Non, je veux savoir ce que vous m’avez dit.

—Je vous ai dit: «Vous êtes fou.»

—Alors, je suis content, et je ne demanderai rien à M. Passy.

—Comment? que voulez-vous dire?

—M. Passy a dit de nous deux—«l’un est un fou, l’autre est un voleur.»—Vous dites que c’est moi le fou,—donc c’est vous qui êtes... l’autre; c’est à vous à vous fâcher.

image d’une guêpe M. ***,—commissaire-priseur,—a, l’autre jour, mis sur la table, comme on dit à l’hôtel de la place de la Bourse, un violon de Stradivarius,—avec toutes les attestations nécessaires à l’authenticité de son origine.—M. *** l’a ainsi nommé: «Un violon de Stra, dit VARIUS

image d’une guêpe Comme on présentait à M. Guizot pour une place de consul qui se trouvait vacante un homme qui réunissait les deux conditions principales de l’ancienneté et de la capacité,—M. Guizot répondit: «C’est vrai, mais que voulez-vous, il faut avant tout obéir aux exigences parlementaires; dites à votre candidat de se faire appuyer par des députés de l’opposition.

image d’une guêpe On trouve à la quatrième page des journaux une annonce ainsi conçue:

MAISON SUSSE.

ENCRE ROYALE DE JOHNSON.

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Cette encre préserve les plumes métalliques de l’oxydation, quand elles sont de bonne qualité comme celles de Bookman.

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PLUMES ROYALES DE BOOKMAN.

Ces plumes sont inoxydables.

C’est-à-dire que les plumes royales de Bookman sont inoxydables dans une encre qui préserve de l’oxydation, comme l’encre royale de Johnson.

Et que, de son côté, l’encre royale de Johnson préserve de l’oxydation—les plumes qui sont inoxydables,—comme les plumes royales de Bookman.

image d’une guêpe On trouve encore à la quatrième page des mêmes journaux une autre annonce qui n’est pas indigne de l’attention:

LOTION DE GOWLAUW.

«Le célèbre inventeur de cette lotion, le docteur Gowlauw, médecin du prince de GALLES en 1755,—rencontra dans l’exercice de ses fonctions élevées des circonstances particulières qui exigèrent qu’il dévouât longtemps ses talents à l’étude des maladies de la peau

Je l’ai dit,—l’annonce ne respecte rien;—la voilà qui jette sur la mémoire du prince qui fut depuis roi d’Angleterre—une dégoûtante insinuation.—Mais ce qu’on ne saurait trop admirer,—c’est le sérieux et l’industrie de celui qui imagine que le médecin du prince de Galles a dû, plus que tout autre, avoir à s’occuper des maladies de la peau.

image d’une guêpe Voici un aperçu de M. Vivien—qui n’a pas semblé heureux.—Il était question de l’élection de M. Pauwels,—élection qui a été ajournée—parce qu’il y a eu deux bulletins signés qui ont été comptés à M. Pauwels contrairement à l’intention de la loi, qui veut que les votes soient secrets.

D’autre part, M. Pauwels est accusé d’avoir amené deux électeurs en voiture.

Là-dessus—M. Vivien s’écrie—contre M. Pauwels:

«Messieurs, le fait des deux bulletins signés est grave, mais ce n’est pas tout; et, à propos de ce fait, un rapprochement me frappe: il y a eu deux bulletins signés, et M. Pauwels avoue avoir été chercher deux électeurs.»

Il ne s’est trouvé personne—pas même M. Pauwels, pour dire à M. Vivien: «Mais, monsieur, tout le monde sait que la loi défend de voter avec des bulletins signés; donc M. Pauwels serait allé chercher exprès, en voiture, les deux électeurs qui devaient entacher son élection d’illégalité et en faire prononcer au moins l’ajournement.»

image d’une guêpe Les quatre-vingt-six départements de la France—envoient à Paris quatre cent cinquante-neuf députés—qui ouvrent la session—en faisant un serment qui n’est pas formulé en français.

«Je jure fidélité... etc... et de me conduire en bon et loyal député.»

Il faudrait dire: «Je jure d’être fidèle,»—ou répéter «je jure»—au second membre de la phrase.

image d’une guêpe Tous les partis se sont accusés mutuellement d’avoir corrompu des électeurs pour faire nommer leurs candidats,—cela me paraît un terrible argument contre le suffrage universel et l’abaissement du cens électoral.—En effet, s’il est si facile de corrompre des gens qui sont riches, puisqu’un électeur doit payer deux cents francs de contributions directes,—qu’adviendra-t-il quand vous admettrez au scrutin des hommes pauvres et besogneux,—sinon ce que je vous ai annoncé déjà plusieurs fois,—c’est-à-dire des électeurs à trois francs,—à deux francs cinquante centimes, si on prend une certaine quantité, avec le treizième en sus?

image d’une guêpe Un député a été accusé d’avoir fait boire deux électeurs; la chose était attestée par une protestation signée de plusieurs électeurs;—c’est une jolie chose que le gouvernement représentatif, si les représentants du pays pensent eux-mêmes qu’on peut obtenir les suffrages de ses concitoyens au moyen de quelques verres de vin.—Toujours est-il que le député accusé a apporté à la Chambre un certificat de ses deux électeurs, qui affirment sur l’honneur qu’ils étaient un peu gais, mais nullement ivres au point de n’avoir pas su ce qu’ils faisaient.

image d’une guêpe M. Pauwels a été convaincu d’avoir emmené deux électeurs dans sa voiture;

Conséquemment de les avoir corrompus.

Ah ça! messieurs les députés, sérieusement, c’est donc en France une chose déjà bien avancée et bien faisandée que la masse électorale,—puisqu’elle n’attend qu’un aussi futile prétexte pour se corrompre?

Parlez-moi de l’Angleterre,—où une élection coûte pour le moins un demi-million;—à la bonne heure,—mais en France, c’est honteux:—un litre de vin ou une promenade en voiture.

image d’une guêpe Qui osera maintenant saluer un électeur,—ou sa femme, ou sa nièce, si l’électeur est chose si fragile qu’on ne puisse le rencontrer sans risquer de le corrompre!

Les divers partis qui composent la Chambre se sont reproché, avec preuves à l’appui,—une foule de manœuvres peu honorables.—Le ministère n’a pu nier que maladroitement certaines munificences qu’un hasard malheureux a placées quelques jours avant les élections.—Le parti de la République et le tiers-parti—se sont, de leur côté, fort mal défendus de leur alliance avec les légitimistes.—M. Barrot, entre autres, a remarquablement pataugé à ce sujet.

image d’une guêpe Mais,—au nom du ciel,—que prouve tout ceci?—que les hommes sont avides et rapaces.—Ne le savions-nous pas déjà?—Commencez donc par être une fois tous d’accord pour décréter—le désintéressement, le patriotisme, l’abnégation; jusque-là ce sera la plus laide et la plus sotte chose du monde que votre gouvernement représentatif.

image d’une guêpe Le Siècle a eu dernièrement à soutenir un procès—parce qu’un de ses rédacteurs s’était permis quelques critiques à l’égard des produits d’une madame H...,—marchande de modes,—je crois,—ou de quelque chose d’analogue.

Plusieurs procès de ce genre avaient déjà été jugés en faveur des marchands contre les journalistes.

Cette fois, cependant, le tribunal a pensé sagement—qu’il ne fallait pas punir les rares effets des remords qui peuvent s’emparer des journalistes à l’occasion de leur complicité quotidienne avec les marchands de n’importe quoi. Le jugement qui a acquitté le Siècle—est d’autant plus remarquable, que cent exemples dans un an viennent démontrer que les tribunaux, qui ne reconnaissent pas en fait la propriété littéraire,—n’appliquent les lois que contre les écrivains—et point pour eux.

En effet, une marchande de modes a cru pouvoir intenter un procès à un journal, parce que ledit journal avait trouvé qu’elle faisait pencher ses plumes un peu trop à gauche,—ou que ses capotes n’avaient pas tout à fait aussi bon air que celles de mademoiselle une telle.

Et en cela elle était encouragée par des précédents nombreux de procès ainsi intentés et gagnés.

Mais qu’un écrivain pâlisse sur un ouvrage, qu’il y consacre de longues veilles, qu’il y mette les études et les souffrances de toute sa vie;

Le moindre grimaud,—le petit jeune homme auquel on confie des articles d’essai pour son admission à un journal, dit impunément que le livre est mauvais, que l’auteur n’a pas le sens commun, etc., etc.

image d’une guêpe Un tribunal rirait beaucoup,—et croirait qu’on lui apporte une cause grasse,—si un auteur s’avisait de lui déférer une plainte relativement à un fait de ce genre.

Et cependant—c’est assez quelquefois pour influencer un grand nombre de lecteurs,—pour empêcher l’auteur de trouver un libraire, c’est assez pour le ruiner.

Mais la justice ne reconnaît que la propriété des choses matérielles.—M. Hugo et M. de Lamartine, s’ils veulent être pris par elle au sérieux, devront se faire marchands d’allumettes chimiques ou fabricants de cirage podophile.

En énumérant le mois passé tout ce que j’avais obtenu de protection de la part des rois, d’États, de vaisseaux, pour la somme de soixante-quinze centimes, je disais que je donnerais volontiers soixante-quinze autres centimes pour trouver comme écrivain la protection dont je jouis comme pêcheur.—Voilà un exemple de ce que j’avançais:

Il y a environ deux mois, j’appris, par deux feuilletons de Janin et de Théophile Gautier, que trois ou quatre messieurs avaient bien voulu prendre dans un petit roman de moi, qui s’appelle Hortense,—le sujet d’une pièce jouée sur le théâtre du Vaudeville.

Quelques jours après je vis, dans un autre journal, l’analyse d’une autre pièce jouée sur le théâtre du Palais-Royal,—et intitulée: Dans une armoire. Cette pièce est entièrement prise dans un petit conte qui a été imprimé sous le titre de: Histoire de tant de charmes ou de la Vertu même.

Je ne fais pas partie de la Société des gens de lettres,—d’aucune autre société.—Je n’aime pas qu’un musicien ou poëte puisse aller prendre au collet un homme qui fredonne dans la rue une romance de lui,—en lui disant: «C’est trois francs.»

Je me contentai donc d’écrire à M. Dormeuil,—directeur du théâtre du Palais-Royal,—et le soir accessoirement père noble et jouant les rôles à canne, les utilités, etc.

Je disais à ce M. Dormeuil—que je ne venais pas inquiéter ses auteurs—dans leurs droits et recettes, mais que, sachant peu leur nom,—et pas du tout leur adresse, je le priais de me rendre, d’accord avec eux, une justice qui ne leur coûterait rien.

Le même sujet, avec les mêmes détails, paraissant à la fois sur le théâtre du Palais-Royal—et dans un livre de moi,—je ne voulais pas que le public,—qui ne s’amuserait pas à consulter les dates,—m’accusât d’avoir pris l’ouvrage de MM. Laurencin et... je ne sais qui...

Il me semblait donc qu’il serait honnête à ces messieurs de mettre sur l’affiche que leur pièce était tirée d’un ouvrage de moi.

M. Dormeuil ne crut pas devoir me répondre.

Sur ces entrefaites j’arrivai à Paris, et j’allai, avec un de mes amis, demander une réponse à M. Dormeuil; j’eus beaucoup de peine à rencontrer cet acteur,—qui s’excusa de ne pas m’avoir répondu, et m’affirma qu’il avait cru en être dispensé parce qu’il avait fait droit à ma réclamation immédiatement en mettant sur l’affiche la note que j’avais demandée.

«Du reste, me dit-il, la pièce n’a pas eu grand succès, elle est mal écrite,—comme tout ce que fait M. Laurencin.»

Je me retirai—et ne pensai plus à la chose.

Mais voilà que j’apprends que M. Dormeuil—n’a point mis sur ses affiches ce qu’il m’a dit y avoir mis.

Pour moi je suis assez embarrassé;—que puis-je faire à M. Dormeuil pour le punir de jouer le jour des Scapins, les Lafleur, les rôles les plus honteux du répertoire comique? Rien, sinon de le siffler en plein jour et en pleine rue,—quand je le rencontrerai, comme si j’avais encore dix-huit ans.

Ce n’est pas par une semblable conduite que messieurs les comédiens plaideront avec succès contre le préjugé qui les sépare de la société, et dont ils se plaignent si amèrement.

Je me défie beaucoup des grands hommes, des héros de désintéressement et de dévouement à la patrie, dont les organes de certains partis veulent aujourd’hui nous imposer l’admiration et le joug,—quand je relis dans les journaux et les brochures; publiés il y a treize ou quatorze ans,—précisément les mêmes éloges pour des gens à l’égard desquels ils ne trouvent pas aujourd’hui assez d’injures.

image d’une guêpe Voici quelques lignes prises au hasard dans un gros livre publié sous les auspices de ce qu’on appelait alors le Comité directeur,—sous le titre de BIOGRAPHIE DES DÉPUTÉS.

Session de 1828.

Imprimerie de Anthelme Boucher,—rue des Bons-Enfants, 34.

«L’opposition d’aujourd’hui (1828) peut être regardée comme le type d’une véritable représentation nationale; elle renferme l’élite de la France.»

N. B. C’est cette opposition qui est aujourd’hui aux affaires.—Le langage des journaux et des brochures a un peu changé à leur égard.

image d’une guêpe M. de Chantelauze est un homme de courage et de patriotisme qui ne cédera jamais aux suggestions de l’autorité.»

image d’une guêpe Un des hommes sur lesquels, depuis dix ans, il a tombé l’averse la plus drue d’injures et de quolibets, est M. Etienne.—Le journal le plus bafoué est sans contredit le Constitutionnel.—Lisez:

«ÉTIENNE (Meuse, candidat libéral). C’est un député dont le nom seul vaut la biographie la plus étendue. Homme de lettres distingué, rédacteur du Constitutionnel et de la Minerve, ses titres à la députation sont bien connus de tous les amis des libertés publiques. Comme littérateur, M. Étienne, ancien membre de l’Institut, éliminé par M. de Vaublanc, a fait ses preuves de telle manière, qu’il serait puéril de les rappeler: comme publiciste, il a assuré à la Minerve le succès de vogue qu’elle a obtenu, par les délicieuses lettres sur Paris dont il a enrichi cet important ouvrage. Il a également assuré le succès du Constitutionnel, répandu aujourd’hui dans les quatre parties du monde. Comme député, il a soutenu les intérêts de ses concitoyens avec autant d’énergie que de talent. On se rappelle surtout sa belle et touchante improvisation en faveur de son honorable collègue et ami Manuel, expulsé, par l’arbitraire et la tyrannie, d’un poste où il avait été porté par la volonté libre du peuple français. M. Étienne n’a pas fait partie de la Chambre septennale. Il viendra jeter une nouvelle lumière sur la nouvelle Assemblée, chère à tant de titres aux véritables libéraux.»

image d’une guêpe Et M. Jacques Lefebvre,—qu’on appelle aujourd’hui loup-cervier,—Fesse-Mathieu,—gorgé des sueurs du peuple, etc., voici son article:

«M. Jacques Lefebvre (ferme libéral):

»Ce banquier est connu depuis longtemps pour un des membres les plus éclairés du commerce français.

»Les opinions politiques de M. J. Lefebvre ne sont pas douteuses: indépendant par sa position comme par son caractère, il sera l’un des plus fermes défenseurs de la monarchie constitutionnelle.

»Mandataire exact et scrupuleux dans les transactions privées, M. J. Lefebvre s’acquittera avec la même fidélité de la grande mission qui lui est confiée. Il sera un de ces hommes nouveaux, libres de tous fâcheux antécédents et destinés à faire revivre parmi nous la probité politique, vertu si nécessaire pour mettre fin aux agitations de notre patrie.»

Et M. Sébastiani,—comment le traitent aujourd’hui ceux qui disaient alors de lui:

«Nous devons nous borner à remercier les électeurs de l’Aisne. La France leur doit la nomination d’un des plus illustres et des plus généreux défenseurs de ses droits, etc.»

D’où dérive naturellement ce petit raisonnement:—ou messieurs les publicistes se sont étrangement trompés à cette époque,—et nous ne sommes pas obligés de nous en rapporter aujourd’hui à leur clairvoyance;

Ou ils étaient simplement les compères de leurs grands hommes d’alors,—et leur grande colère vient de ce que les compères, au jour de la curée, n’ont pas voulu partager la recette.

Ce qui fait qu’ils recommencent le même jeu,—avec les mêmes paroles,—absolument comme aux parades des escamoteurs;—dans l’un et l’autre cas, qu’ils soient dupes ou complices,—on a aujourd’hui le droit d’avoir quelque défiance et de s’en servir.

image d’une guêpe Qu’est devenu l’ancien serviteur dont le type se retrouve si fréquemment dans les romans et dans les comédies?—ce domestique vertueux, sensible et désintéressé, qui pleure des chagrins de ses maîtres, qui pleure de leur joie,—qui pleure en embrassant l’enfant de la maison,—qui pleure en conduisant le grand-père au cimetière,—qui pleure en suivant la petite-fille à l’autel?

Où est-il, ce domestique,—presque toujours un vieillard à cheveux blancs, qui, lorsque la fortune de ses maîtres vient à s’écrouler, pleure encore, pour qu’on lui permette de servir sans gages,—et vient, avec des larmes de joie, offrir le résultat de ses petites économies?

Sans parler des assassinats assez fréquents de maîtres par leurs domestiques dont sont remplies les colonnes de la Gazette des Tribunaux,—les domestiques n’introduisent-ils pas avec eux dans les maisons toutes sortes de dangers—et par leurs petits pillages habituels et par leurs trahisons—et par leurs complaisances intéressées, etc.?

Pourquoi la police n’impose-t-elle pas aux domestiques des livrets, comme elle en impose aux ouvriers?

Il est peut-être utile que les ouvriers présentent cette garantie, mais elle est indispensable pour les domestiques.

On introduit et on enferme avec soi dans sa maison,—dans sa famille, au milieu de sa femme et de ses enfants,—dans son intérieur, dans ses secrets,—des gens qui ne sont sous aucune surveillance spéciale,—qui ne vous donnent comme garantie que de vagues certificats arrachés le plus souvent par l’importunité à l’égoïsme et à l’insouciance,—certificats tellement insignifiants, que la plupart des maîtres ne les demandent plus et s’en rapportent au hasard.

J’ai vu une lettre d’un homme qui écrivait à un de ses amis:

«Envoyez-moi un domestique qui s’appelle Pierre.»

Un autre qui a une riche livrée disait: «Trouvez-moi un laquais qui ait: hauteur, cinq pieds quatre pouces;—épaisseur, trois pouces six lignes,—afin qu’il puisse entrer dans les habits que j’avais fait faire pour son prédécesseur.»

image d’une guêpe Beaucoup d’esprits poétiques et un peu superficiels se sont laissé séduire par tout ce que présente de gracieux le gouvernement d’une femme; ils ont rêvé une cour brillante et chevaleresque,—un nouveau règne pour les arts, pour les lettres, pour les plaisirs.—Non, non, le règne des marchands, des avocats et des bourgeois n’est pas fini, il faut qu’il ait son cours.—C’est une dynastie qui doit avoir sa durée.—Vous l’avez voulue, mes braves gens, vous l’aurez, vous la subirez, vous la garderez.—Vous savez l’histoire des grenouilles de la Fontaine;—vous avez été plus heureux qu’elles,—vous avez obtenu du premier coup des soliveaux qui vous mangent.

image d’une guêpe Faites une cour bien galante avec des noms tels que Lebœuf,—Poulle,—Martin,—Barbet,—Pierrot!

Et M. Trognon, le trouvez-vous joli? Je sais que, parodiant un mot de Sylla, on a dit de lui: Je vois dans Trognon plusieurs pépins.

Mais voulait-on parler de Pépin le Bref ou de Pépin l’auteur de un,—deux,—trois,—quatre, etc., ans de règne, qui est au contraire fort long.

Il est vrai qu’en prévision de tout ceci—M. Barbet, maire de Rouen,—est en instance près du garde des sceaux pour se faire appeler de Valmont.

Et M. Pierrot—prend tout doucement le nom de Selligny.

image d’une guêpe Les journaux de l’opposition se sont beaucoup moqués de ces changements de noms, et ils ont eu raison; mais, pendant qu’ils y étaient, ils auraient pu faire justice—de quelques dynasties bourgeoises,—qui usurpent certaines villes,—certaines rivières,—certains départements:—MM. Martin, de Strasbourg,—idem, du Nord,—Michel, de Bourges,—Dupont, de l’Eure,—David, d’Angers,—Boulay, de la Meurthe, etc.

Pendant quelque temps on a renfermé la ville ou le département conquis dans une parenthèse; quelques-uns ont déjà supprimé la parenthèse, les autres suivent sans bruit leur exemple.

Ainsi, quand on avait l’air de crier si fort, si longtemps, contre les préjugés, contre les castes, contre les noms, contre tout, ce n’était pas contre les choses qu’on était réellement si fort en colère, c’était contre ceux qui les possédaient.

Aussi, après avoir renversé les gens,—les a-t-on dépouillés le plus promptement possible et les dépouille-t-on tous les jours.

Les vainqueurs s’arrachent entre eux les lambeaux conquis—et se font de bizarres ornements des morceaux qu’ils peuvent s’approprier.

image d’une guêpe La curée qui a lieu depuis douze ans de places, d’honneurs, de titres, ressemble tout à fait à un tableau que fait le capitaine Cook d’une horde sauvage qui a surpris et massacré l’équipage d’un navire.—L’un passe ses jambes dans les manches d’un habit,—un autre, tout nu, se revêt d’une perruque et d’un chapeau;—un autre met des lunettes—ceux-ci s’attachent au nez les boutons de cuivre des habits des matelots.

Puis ils se croient bien mis,—et se promènent avec fierté.

image d’une guêpe Une régente, bon Dieu! c’était bon quand les Français étaient polis et bien élevés.—Est-ce qu’il n’y a pas deux députés, dont j’ai consigné le nom dans quelque volume des Guêpes, qui ont refusé de saluer la reine!—Une régente!—livrez donc une pauvre femme aux insultes de certains journaux et à la protection de certains autres!—Une régente!—Dieu vous en garde, pauvre princesse, déjà assez éprouvée!

image d’une guêpe Une régence et une régente!—on vous en donnera,—roués d’arrière-boutiques,—talons rouges de comptoir,—raffinés d’estaminet!

AM RAUCHEN. Celui qui n’est rien—est l’égal de tout le monde.

image d’une guêpe Tous les hommes aiment le repos.

—Vous me permettrez d’en excepter quelques-uns.

—Lesquels?

—Ceux qui le possèdent.

—Pour que je ne trouve pas la discussion une chose ridicule, il faudrait qu’on me montrât un seul homme—depuis l’origine du monde, que la discussion eût fait changer d’opinion.

image d’une guêpe Souvent, par une matinée d’automne, alors qu’il fait si bon de flâner par les plaines, un fusil sur l’épaule, vous avez aperçu à l’horizon un lac immense; vous avez continué votre route, et, arrivé au point où vous aviez vu le lac, vous marchez sur l’herbe et vous ne voyez que des vapeurs qui s’exhalaient de la terre;—plus loin, vous vous êtes retourné et vous avez revu le lac avec sa surface unie.

Telle est la vie; on mourrait de désespoir quand on découvre que ce qu’on avait pris pour but de ses pensées, de ses désirs, de ses rêves, n’existe pas, ou n’est qu’un brouillard auquel la distance donne des formes gigantesques.—Mais, comme il faut marcher, entraîné que l’on est par la vie, il vient un moment où, en se retournant, on voit les mêmes prestiges, et jusqu’au bout de la route on jette de temps à autre un regard d’adieu à ce qu’on croit avoir possédé; la vie est toute dans ce qui n’est pas encore et dans ce qui n’est plus:—désirs et regrets.

Aussi, avec quelle ténacité nous nous rattachons aux moindres souvenirs! Quelle influence gardent sur nous une mélodie quelquefois sans couleur pour tous,—certains aspects du ciel,—la fleur que d’autres foulent aux pieds avec indifférence!

C’est pour cela—que je me suis laissé plus d’une fois reprocher de parler trop souvent d’une petite fleur bleue—que les Suisses appellent herbe aux perles—et les botanistes mosotipioïdes.

Voici pourquoi les Allemands les ont appelées vergissmeinnicht, c’est-à-dire ne m’oubliez pas.

Dussions-nous nuire à l’intérêt de notre histoire, nous dirons que c’est une des traditions les plus intéressantes que nous ayons jamais entendues.

Il y a un tombeau à Mayence;—comme le nom que l’on y avait gravé a été effacé, le tombeau est à la disposition du premier venu d’entre les morts; mais, attendu qu’il est simple, et qu’aucune famille ne pourrait s’enorgueillir de l’attribuer à un de ses membres morts, l’opinion générale le laisse à un poëte, dont on n’a pas même conservé le nom de famille.

image d’une guêpe Il s’appelait Henreich; et comme ses vers, dont nous ne croyons pas qu’il soit rien resté, étaient tous à la louange des femmes, et surtout à celle de Marie, on l’appelait Henreich Frauenlob, c’est-à-dire le poëte des femmes.

Quand il était parti pauvre pour courir l’Allemagne et chercher fortune au moyen de ses romances et de son talent, Henreich avait laissé à Mayence une fille qui attendait son retour, s’éveillait pâle, dans les nuits d’orage, et priait pour lui.

Après trois ans, il revint riche et renommé. Longtemps avant son retour, Marie avait entendu son nom mêlé à la louange et à l’admiration; et, par une noble confiance, elle savait que ni la louange ni l’admiration n’avaient donné à son amant autant de bonheur et d’orgueil que lui en donnerait le premier regard de la jeune fille qui l’attendait depuis si longtemps.

Quand Henreich vit de loin la fumée des maisons de Mayence, il s’arrêta oppressé, s’assit sur un tertre d’herbe verte, et fit entendre un chant simple et mélancolique—comme le bonheur.

Le lendemain, vers le coucher du soleil, les cloches tintèrent pour annoncer le mariage de Henreich et de Marie à la première aurore.

A ce moment, tous deux se promenaient seuls sur l’allée qui s’étend le long du Rhin.

Ils s’assirent l’un près de l’autre sur un tapis de mousse, et passèrent de longs et fugitifs instants à se regarder, à se serrer les mains sans rien dire,—tant ce qui remplissait leurs âmes était intraduisible par des paroles.

La teinte de pourpre que le soleil avait laissée à l’horizon était devenue d’un jaune pâle, et l’ombre s’avançait sur le ciel, du levant au couchant.

Tous deux comprirent qu’il fallait se quitter: Marie voulut fixer le souvenir de cette belle soirée, et montra de la main à Henreich des fleurs bleues sur le bord du fleuve.

Henreich la comprit et cueillit les fleurs, mais son pied glissa, il disparut sous l’eau; deux fois l’eau s’agita, et il reparut, se débattant, écumant, les yeux hors de la tête,—mais deux fois elle ressaisit sa proie.

Il voulut crier; mais l’eau le suffoquait. A la seconde fois qu’il reparut, il tourna un dernier regard vers la rive où était Marie, et, sortant un bras, il lui jeta les fleurs bleues qu’une contraction nerveuse avait retenues dans sa main; main ce mouvement le fit enfoncer: il disparut, l’eau reprit son cours, et le fleuve resta uni comme une glace. Ainsi mourut Henreich Frauenlob.

Pour Marie, elle mourut fille, dans une communauté religieuse.

On a traduit l’éloquent adieu de Henreich, et on a appelé la fleur bleue: vergissmeinnicht, c’est-à-dire ne m’oubliez pas.

Septembre 1842.

La justice.—Ce qu’elle coûte.—Et pour combien nous en avons.—De quelques gargotiers faussement désignés sous d’autres noms.—Un directeur des postes.—Un gendarme et un voyageur.—Sur les chiens enragés.—La Régence.—Le duc de Nemours.—La Chambre des pairs.—M. Thiers.—M. de Lamartine.—Crime d’un carré de papier.—La Tour de François 1er et le Journal du Commerce.—Une montagne.

image d’une guêpe SEPTEMBRE.—Il m’est arrivé quelquefois de soutenir que nous marchions en rond—comme les chevaux de manége—et de nier le progrès. Je suis obligé de me rétracter—quand je vois, d’après le rapport de M. le garde des sceaux, que nous n’avions eu que pour trois millions quatre cent trente-quatre mille trois cent quatre-vingt-trois francs de justice en 1831.

Tandis qu’aujourd’hui on nous en donne pour quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs.

image d’une guêpe Que vouliez-vous qu’on nous donnât de justice pour trois millions, quand pour les quatre millions que nous en avons aujourd’hui—il resterait encore bien des petites choses à dire?

image d’une guêpe Disons quelques-unes de ces petites choses.

image d’une guêpe D’abord parlons des prévenus,—des accusés.

Un prévenu est peut-être innocent:—si même vous comptez combien il y a de condamnés sur un certain nombre de prévenus, vous serez presque forcé de dire, qu’un prévenu est probablement innocent;—en effet, parmi les accusés il y en a beaucoup plus d’acquittés que de condamnés.

Un prévenu est donc peut-être un homme innocent,—auquel, par erreur, vous faites subir une situation plus que fâcheuse.—Vous l’enlevez à sa famille, à ses affaires—pendant plusieurs mois; pendant plusieurs mois vous faites peser sur lui un soupçon de déshonneur;—pendant plusieurs mois vous le condamnez à toutes les angoisses de l’imagination.

Un magistrat disait que, s’il était par hasard accusé d’avoir volé les tours de Notre-Dame,—il commencerait par prendre la fuite.

Et, d’autre part, pas mal de gens rompus, guillotinés, roués, marqués par erreur,—ont laissé leur triste histoire pour montrer que la justice peut quelquefois se tromper.

Il me semble que c’est bien assez pour le pauvre diable de prévenu.

Loin de là,—vous le traitez précisément comme s’il était condamné;—vous le mettez dans la même prison où il sera renfermé s’il est reconnu coupable; il reçoit la même nourriture et les mêmes brutalités.

Cependant vient le jour du jugement:—trois prévenus sur cinq sont ordinairement acquittés.—Notre homme est du nombre; au premier moment,—il se réjouit,—il embrasse avec joie sa femme, ses enfants, ses amis;—ses amis... je me trompe, la plupart se sont retirés.—Il rentre chez lui,—ses voisins l’évitent,—on a associé pendant quatre mois son nom à l’idée du crime dont il était accusé,—et pendant quatre heures le procureur du roi s’est efforcé d’entasser tous les arguments possibles pour prouver sa culpabilité.—Quelques-uns le croient plus heureux qu’innocent—le voilà dans son logement avec sa femme et ses enfants: «Où est donc la pendule—et la petite montre,—et nos deux couverts d’argent, tout ce que nous avions acheté à force d’économie?

—Hélas! il a fallu vendre tout cela,—comment aurions-nous vécu, tes enfants et moi pendant ta détention?

—C’est vrai; mais me voilà libre,—je vais travailler, nous allons réparer cela.»

Mais le lendemain—ceux qui lui donnaient de l’ouvrage l’ont remplacé;—il faut chercher, attendre, souffrir, faire des dettes,—et ce n’est peut-être qu’au bout de plusieurs années qu’il aura réparé le mal que lui a fait la justice.

Il me semble que voilà cependant un homme auquel on devrait la plus grande et la plus solennelle réparation.—Nullement.—Le président psalmodie d’un ton monotone:—«Ordonne que le prévenu sera mis en liberté, s’il n’est détenu pour autre cause.»

Et on le renvoie avec son honneur compromis par une accusation flétrissante,—sa tête fatiguée par l’instruction et l’anxiété, son corps malade par la prison, sa fortune et son industrie perdues par les dépenses et les pertes qui accompagnent nécessairement une accusation criminelle.

Et le procureur du roi ne lui dit pas seulement: «Pardon de vous avoir dérangé.»

Et il n’y a pour lui aucune réparation à attendre de tant de malheurs.

image d’une guêpe Je voudrais qu’on fît à ce sujet deux choses:

1º Que l’on donnât à l’acquittement, autant que possible, la publicité et l’éclat de l’accusation;—que le procureur du roi ou le président des assises—demandât pardon à l’accusé innocent, au nom de la société et de la justice;—que tous les journaux sans exception fussent chargés de dire: «Un tel, injustement accusé—de tel crime,—a été reconnu innocent.»

2º Qu’une caisse publique fût établie, sur laquelle les tribunaux décerneraient, suivant l’exigence des cas,—des indemnités à ceux qui, après une longue prévention, seraient reconnus innocents.

Eh quoi! me direz-vous? vous en parlez à votre aise. Une caisse! et avec quel argent, s’il vous plaît?

—Je vais vous le dire: tous les jours les tribunaux prononcent des amendes sur les biens des condamnés.—N’est-il pas juste que cet argent dont bénéficie le trésor soit consacré à indemniser, autant que possible,—les malheureux injustement accusés, emprisonnés et ruinés?

image d’une guêpe Mais il paraît que la justice est fort chère,—puisque malgré ces choses et bien d’autres qu’on pourrait lui reprocher, et les circonstances atténuantes du jury, et tous ces crimes à propos desquels on nous dit: «La justice informe,» après quoi il n’en est plus jamais question, pas plus que du meurtre d’Abel par Caïn, etc.;—puisque le peu que nous en avons revient à quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs. Il n’y a pas moyen de nous en donner davantage pour ce prix-là: le gouvernement y perdrait.

image d’une guêpe Il est vrai de dire que le garde des sceaux—accuse les huissiers de dévorer pour leur part plus d’un tiers des quatre millions en question,—au moyen de toutes sortes d’abus, inventés par leur ingénieuse avidité.

image d’une guêpe Il est fâcheux de voir ainsi plus qu’écorner cette pauvre somme de quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs.—Sans cela, bien des choses ne se passeraient pas comme elles se passent,—mais la France n’a pas le moyen.

image d’une guêpe EXEMPLE.—A*** un M. de Marcellange, vivant avec sa femme et sa belle-mère,—comme on vit avec une femme et une belle-mère,—c’est-à-dire assez mal,—se plaint qu’un de ses domestiques a voulu l’assassiner et le chasse.—Sa belle-mère et sa femme prennent immédiatement le domestique à leur service particulier; quelque temps après, ce domestique, Jacques Besson, tue en effet M. de Marcellange d’un coup de fusil;—il est accusé et mis en prison.—La femme de M. Marcellange envoie à ce pauvre Besson, dans la prison, un lit pour qu’il ne soit pas trop mal couché,—et un dîner par jour.

Aux débats, il est établi qu’une femme de chambre, témoin important et de plus accusée de quelques peccadilles à l’endroit de M. de Marcellange, entre autres de l’avoir un peu empoisonné, a été emmenée en Savoie et laissée là par la belle-mère.

En outre, des propos plus que singuliers sont prêtés à ces dames par plusieurs témoins.

Eh bien!—ces malheureuses femmes restent sous le coup d’une fâcheuse impression, parce que le ministère public ne leur donne pas l’occasion de se justifier et d’expliquer des apparences fatales—en les accusant directement—comme c’était son devoir.

image d’une guêpe Probablement à cause que la justice, qui n’a que quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs à consacrer à ses menus frais,—n’a pas le moyen—d’entrer plus avant dans la question.

image d’une guêpe AUTRE EXEMPLE.—On veut supprimer le duel;—bien!—mais—voici un M. Herpin qui reçoit un soufflet d’un M. Dissard,—affaires d’élections.

M. Dissard est condamné à six jours de prison.

image d’une guêpe Ah! j’oubliais; il y a aussi seize francs d’amende.

—Au bénéfice de M. Herpin?

—Non! au bénéfice de S. M. Louis-Phifippe.

—Comment! Est-ce que c’est Sa Majesté?...

—Non!—c’est M. Herpin.

—Eh bien! alors, comment se fait-il que ce soit S. M. Louis-Philippe qui reçoive les seize francs.

image d’une guêpe L’homme qui reçoit un soufflet—est en proie à deux impressions:—1º il est en colère et il veut se venger;—2º il songe qu’il a été convenu, je ne sais pourquoi ni comment,—qu’un homme qui a reçu un soufflet doit s’exposer, en outre, à recevoir un coup d’épée,—sans quoi il serait déshonoré.

Il serait possible que le souffleté fît le sacrifice de son impression nº 2,—s’il était parfaitement satisfait sur l’impression nº 1.

D’ailleurs, avec le raisonnement le plus vulgaire, il est évident que si l’on veut proscrire le duel—il faut punir avec plus de rigueur que le duel lui-même—une insulte qui rend le duel nécessaire pour l’insulté, sous peine de déshonneur.

Il faudrait qu’un homme qui donne un soufflet à un autre—fût traduit en cour d’assises—sous prévention de tentative d’homicide.

Vous ne le ferez pas.—Eh bien! vous ne proscrirez le duel—qu’entre gens qui ne se battraient pas,—même sans votre défense.

Il est vrai que, pour traduire l’insulteur en cour d’assises, cela entraînerait quelques frais; et, je vous l’ai dit, la justice n’a que quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs à dépenser;—elle est forcée d’avoir de l’ordre.

Je me suis expliqué, il y a longtemps,—dans les Guêpes,—sur cette prohibition du duel par les avocats.

image d’une guêpe Voici une anecdote qui montre en son jour l’empire des préjugés:

M ***, bien connu à la Bourse, va trouver un de ses amis, et lui dit:

—Va chez M. B...—il m’a hier donné un soufflet:—il faut qu’il m’en rende raison.

L’ami se met en route, et trouve M. B...—qui déjeunait avec quelqu’un.

—Monsieur, je désirerais avoir avec vous quelques instants d’entretien?

—Monsieur,—monsieur qui déjeune avec moi est mon ami, vous pouvez parler devant lui.

—Monsieur, je viens de la part de ***.

—Ah! c’est vrai, nous nous sommes querellés hier soir;—j’espère qu’il n’y pense plus.—Moi, j’ai tout oublié!

—Au contraire, il y pense,—et je viens vous demander à quelle heure il pourrait vous rencontrer aujourd’hui à Vincennes.

—Comment! comment!

—Il a naturellement le choix des armes;—il prendra le pistolet.

—Mais pardon, monsieur, nous ne nous entendons pas du tout.

—Je crois pourtant être clair, monsieur; vous avez hier insulté M ***, et il vous en demande aujourd’hui réparation.

—Mais c’est que je ne l’ai pas du tout insulté!

—Allons donc! monsieur!

—Parole d’honneur!

—Allons donc! ce n’est pas là une de ces insultes arbitraires qui peuvent se discuter;—celle que vous avez faite à *** est telle, qu’il est convenu de tout temps qu’elle ne peut se laver que dans le sang.

—Mais que voulez-vous dire?—Quelle insulte?

—Mon Dieu! monsieur,—vous tenez donc bien à me faire dire le mot?—Vous lui avez donné un soufflet!

—Moi! j’en suis incapable.

—Monsieur, avoir reçu un soufflet n’est pas une chose dont on se vante pour son plaisir, c’est un genre de fatuité qu’on n’a pas encore inventé; c’est M. *** qui m’envoie vous demander raison d’un soufflet qu’il a reçu de vous hier.

—Monsieur, je ne lui ai pas donné de soufflet, je ne lui ai donné QU’un coup de poing sur le visage, je vous en donne ma parole d’honneur, et je vous le ferai attester par dix témoins.

—Alors c’est bien différent, je vais aller le retrouver et prendre de nouvelles instructions.

—Avez-vous une voiture?

—Oui.

—Eh bien, mon ami et moi nous allons aller avec vous.

On part,—on arrive chez M. ***.—M. B... va à lui et lui répète ce qu’il a dit à son témoin:

—Mon cher ami, je ne vous ai pas donné de soufflet, mais un coup de poing.

—Au fait, cela m’a cassé deux dents!

—Qu’est-ce que je disais! un soufflet ne casse pas deux dents.

—Il faut que ce soit un coup de poing, et un bon coup de poing!

—C’est possible,—j’étais en colère.

Pendant ce temps, les deux témoins confèrent dans l’embrasure d’une fenêtre;—il est établi que M. *** n’a pas reçu un soufflet, mais un simple coup de poing.—Donc il n’y a pas de mal.—B...—fait quelques excuses, et tout est fini.

image d’une guêpe Revenons à la justice.

image d’une guêpe AUTRE EXEMPLE.—A Dieppe, le sieur Leteurtre, boulanger, chargé par l’administration municipale de fournir le pain qui devait être distribué aux pauvres de la ville—est convaincu d’avoir volé les pauvres en fournissant du pain de mauvaise qualité.

Il est condamné à trois jours de prison.

Chaque jour, à Paris, de semblables délits sont punis par de semblables peines,—ce qui est loin de les réprimer:—les boulangers qui vendent le pain à faux poids—en sont quittes pour cinq francs d’amende—et un ou deux jours de prison,—tandis que le malheureux qui,—poussé par la faim,—leur déroberait, la nuit, un pain d’un sou en cassant un carreau,—pourrait être condamné au moins à un an de prison.

Il semble nécessaire—de revenir sur un pareil ordre de choses.—Le vol du boulanger doit être puni au moins comme tout autre vol.

Pourquoi—ne ferait-on pas peindre sur l’enseigne du boulanger pris en fraude, au-dessus de sa boutique,—pendant un temps fixé par le tribunal, selon la gravité du délit, au lieu de: «Un tel, boulanger,

«UN TEL, VOLEUR

Ou, encore, pourquoi ne fermerait-on pas sa boutique pendant quelques jours,—en faisant écrire sur les volets fermés: «Boutique fermée pour tant de jours—pour vol—et vente à faux poids

Ah! si la justice n’était pas forcée de se renfermer dans ses pauvres quatre millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs!

image d’une guêpe AUTRE EXEMPLE.—A Tulle, un directeur des postes et un gendarme arrêtent un voyageur,—lui prennent de force son portefeuille—pour y chercher des lettres,—sous prétexte qu’il est en contravention à la loi sur le transport des lettres.

Le voyageur est traduit en justice;—le tribunal déclare que la saisie faite sur lui est illégale—et le renvoie de la plainte.

—Oh! très-bien!

—Et le directeur de la poste,—que lui fait-on?

—Rien.

—Ah!—Et le gendarme, que lui fait-on?

—Rien.

—Cependant, si le voyageur avait été condamné,—ç’aurait été pour contravention à la loi, qui protége le directeur de la poste;—est-ce qu’il n’y a pas quelque part quelque bout de loi—qui protége les citoyens et les voyageurs?

—Il y en a plusieurs.

—Comment se fait-il alors qu’on n’ait pas mis en jugement le directeur de la poste et le gendarme, quand on y mettait un homme faussement accusé d’attentat à un privilége fiscal, eux qui violaient ouvertement la plus respectable, la plus sainte des choses humaines: la liberté d’un citoyen?

—Ah! c’est que cela coûterait de l’argent.

—N’importe!

—Je voudrais vous y voir, si vous n’aviez que quatre mauvais millions cinq cent soixante et onze mille trois cent vingt-cinq francs!

image d’une guêpe Dans les années précédentes des Guêpes,—j’ai adressé à M. Cousin et à M. Villemain, tour à tour ministres de l’instruction publique,—de respectueuses remontrances au sujet des choses peu vraies qu’ils ont débitées à la distribution des prix du concours général.

Il y a une de ces choses peu vraies dont je n’ai pas parlé;—c’est la tendresse mutuelle qu’éprouvent les maîtres et les élèves.

C’est une chose qu’on dit tous les ans—pour terminer dignement douze mois de guerre acharnée, de luttes, de ruses ourdies et déjouées, de perfidie et de vengeance.

Je me rappelle, à ce sujet, la petite anecdote que voici: Victor Hugo habitait avec une charmante famille le quartier des Champs-Élysées.—Un jour il descendit, le matin, l’escalier de sa maison pour aller faire une promenade et respirer sous les arbres.

Il entend un grand bruit au bas de l’escalier,—il reconnaît le bruit de ses deux petits enfants, comme une femme reconnaît le pas de son amant;—cependant ils ne reviennent ordinairement de l’école voisine qu’à quatre heures de l’après-midi et il n’est que neuf heures du matin.—Ce sont cependant bien eux,—ils se tiennent par la main, et ils montent bruyamment l’escalier—en chantant sur une sorte d’air de leur invention, sur une espèce de ton de psalmodie, les paroles suivantes:

«Le maître est mort; il n’y a pas d’école,—il n’y a pas d’école; le maître est mort,—le maître est mort, il n’y a pas d’école.»

image d’une guêpe A peine les députés partis,—les centenaires reparaissent dans les journaux,—et comme d’ordinaire,—ils lisent sans lunettes.

C’est à ce moment que les journaux, si incrédules d’ordinaire, croient à tout ce qui peut remplir leurs colonnes.—Un plaisant s’avise d’écrire à un journal (le Commerce, je crois)—qu’un navire entrant dans le port du Havre a coulé bas en frappant la tour de François Ier,—et a démoli une partie de la tour.

Tous les journaux répètent la nouvelle.

J’étais alors à une demi-lieue du Havre:—c’était une grande marée, et je pêchais des limandes.—Tout en pêchant je m’étonnais, parce que l’événement était assez singulier pour qu’on en parlât un peu au Havre et dans les environs.

Un journal du Havre reproche alors aux journaux de Paris leur crédulité et leur explique que la tour de François Ier, démolie par un navire,—était une nouvelle de la force de celle-ci:

«Un fiacre ayant accroché l’arc de triomphe de l’Étoile, l’a en partie démoli.»

Si j’en avais eu le temps, j’aurais fait dessiner et graver pour les Guêpes—un dessin représentant la tour de François Ier renversée par une de ces galiotes de papier que font les enfants.—La galiote eût été faite d’un morceau d’un des journaux qui ont répandu la nouvelle.—Je livre le sujet à Daumier.

image d’une guêpe Depuis le 1er septembre dernier,—on a imprimé en France un peu plus de trois millions de volumes.—Il y a des montagnes qui ne sont pas si grosses.

image d’une guêpe Plusieurs fonctionnaires indépendants ont donné dans diverses branches de l’administration des preuves d’indépendance malheureusement prévues par plusieurs codes,—et malhonnêtement qualifiées par iceux.

image d’une guêpe Tu disais donc tout à l’heure, Théophile, que tu es amoureux?

—Hélas oui!—ô Gérard!

—Et à quoi vois-tu donc que tu es amoureux? ô Théophile!

—Parbleu! cela est bien facile à reconnaître,—et je n’ai pas eu de peine à en être convaincu, attendu le symptôme grave qui s’est manifesté ces jours passés.

—Et quel est ce symptôme? ô Théophile!

—O Gérard! j’ai senti le besoin de m’acheter un chapeau neuf.

image d’une guêpe Un artiste, l’un des plus connus de ce temps-ci,—est adressé à M. de Rambuteau,—préfet de la Seine,—par quelqu’un de sa famille, pour avoir part aux travaux de l’Hôtel de Ville. Il arrive avec la lettre autographe de M. de Rambuteau, qui désigne le jour d’audience. M. de Rambuteau le reçoit comme un écolier.—L’artiste est très-embarrassé et visiblement au supplice. Il voudrait pour tout au monde renoncer aux travaux, et n’être pas venu là. M. de Rambuteau—lui répétait sans cesse ces deux phrases sans attendre de réponse,—et prenait à peine le temps de respirer: «Monsieur, êtes-vous élève de l’école de Rome? Il faut être bien connu pour être connu de moi;—je ne connais que ce qui est très-connu.—Il paraît, monsieur, que vous n’êtes pas un grand prix de Rome, etc.»

L’artiste veut répliquer et parler un peu à M. le préfet de ses travaux que tout Paris connaît.—M. de Rambuteau lui coupe la parole en répétant les deux phrases ci-dessus.

Alors l’artiste exaspéré lui dit:

—En vérité, monsieur, vous m’obligez à relever une grande erreur dans ce que vous dites.—Vous prétendez ne connaître que ce qui est très-connu!—il y a pourtant, monsieur, quelque chose de bien connu que vous ne connaissez pas.

—Quelle chose?

—L’orthographe, monsieur,—et voici votre lettre.

image d’une guêpe Il y a différentes espèces de restaurateurs et de marchands de soupe, depuis le hasard de la fourchette, où, pour un sou, on plonge un trident dans une marmite de laquelle on retire, selon sa chance, un morceau de viande, un oignon, ou rien, jusqu’au Café anglais; c’est une longue échelle qui a tous ses échelons.

Il faut signaler entre ces divers restaurants le maître de pension, le chef d’institution; si vous aimez mieux, celui auquel vous confiez votre fils pour lui faire donner la ridicule éducation que je vous ai déjà plus d’une fois signalée.

M. Villemain disait à un homme d’esprit, qui s’était ruiné dans une exploitation de ce genre:

—Mon cher, votre malheur m’afflige sans m’étonner; vous avez cru qu’un maître de pension est un instituteur qui accessoirement nourrit ses élèves; vous ne seriez pas ruiné si vous aviez compris, au contraire: un maître de pension est un restaurateur qui, entre les repas, fait copier à ses élèves la Cigale et la Fourmi, de la Fontaine, et le récit de Théramène, de Racine.

C’est sur la soupe, sur le beurre qu’on peut y épargner,—sur le prix de la viande et des légumes,—sur le choix d’un vin qui supporte beaucoup d’eau, que devait se baser votre spéculation, que devaient se porter vos soins et vos études; vous avez fait un accessoire de ce qui est le principal,—et vous êtes ruiné.

image d’une guêpe Je ferai quelqu’un de ces jours—un petit livre sur l’éducation;—je vous dirai une bonne fois,—mes braves gens,—ce que c’est que l’éducation que vous faites donner à vos petits.

En attendant,

Les susdits marchands de soupe s’y prennent de toutes les manières pour achalander leurs établissements:—à la manière de ces escamoteurs des boulevards, qui essayent de détourner votre attention de leurs mains—par des paroles pressées,—tandis qu’ils font disparaître la muscade.

Les marchands de soupe,—dits maîtres de pension,—tâchent de vous occuper des lettres et des sciences, dont ils ne se soucient pas, pour détourner votre attention de l’affreux potage, qui est le véritable but de leur spéculation.

Ils ont, depuis quelques années, inventé de faire imprimer dans les annonces des journaux les noms de ceux de leurs innocentes victimes qui ont obtenu un prix de thème ou un accessit de vers latins,—ces deux choses ridicules auxquelles on consacre tristement plusieurs années de la vie des enfants.

Les pauvres enfants voient leurs noms imprimés—entre les annonces honteuses du docteur Charles Albert—et la pommade mélaïnocome.

Il y a des parents qui trouvent cela charmant.

image d’une guêpe J’entends chaque jour parler avec terreur de toutes sortes de dangers—métaphoriques:—les chaînes de la tyrannie et l’hydre de l’anarchie sont tour à tour déclarées imminentes;—on parle,—on écrit, on dispute pour les prévenir.

Je ne sais pourquoi, au milieu de ce bruit,—je réserve mes craintes pour des dangers plus immédiats;—de même que je n’aime pas à me laisser prendre à des espérances trop lointaines,—ayant depuis longtemps remarqué qu’il en est des bonheurs comme des perdrix: quand on les vise de trop loin, on court grand risque de ne pas les atteindre.

Cet été a été d’une âpre sécheresse;—le nombre des chiens enragés s’est singulièrement accru. On a pris à Paris quelques précautions insuffisantes;—hors de Paris, on en a pris de moins en moins à proportion de la distance,—à dix lieues de Paris on n’en prend aucune.

Je demanderai pourtant aux gens de bonne foi s’il est quelque chose de plus horrible à l’imagination que le danger d’être mordu par un chien hydrophobe?—On frémit aux récits des voyageurs qui racontent qu’ils ont, au détour d’un chemin, rencontré un ours ou un tigre,—et cependant contre ces animaux on peut se défendre, on peut combattre.—Il est des exemples qui peuvent faire espérer la victoire; dans le cas contraire, la mort est cruelle, mais elle n’excite que la compassion, et d’ailleurs elle est mêlée d’une sorte de grandeur et de noblesse—qui, sans la rendre moins terrible—la rend moins hideuse à envisager.

Mais si vous êtes attaqué par un chien enragé,—la force, le courage, l’adresse,—le sang-froid,—rien ne peut vous sauver;—vous êtes vainqueur, vous avez tué l’animal; mais il vous a, de ses dents, effleuré l’épiderme.—Eh bien! vous êtes perdu,—et vous mourez dans d’affreuses convulsions, répandant par la bouche—une écume contagieuse,—objet d’horreur, d’épouvante et de dégoût pour votre femme, pour vos enfants, pour vos amis;—un délire de bête féroce s’empare de vous,—vous mordez,—vous devenez presque un chien enragé vous-même.

C’est la mort la plus désespérée, la plus horrible de toutes les morts.

Eh bien!—chaque jour,—à chaque heure, à chaque instant vous vous exposez à ce sort épouvantable.—L’animal qui, par un funeste privilége, est, avec le loup, la seule espèce chez laquelle la rage puisse se déclarer spontanément,—cet animal,—on le donne pour jouet aux enfants,—on le laisse vaquer par la ville et par les chemins,—on le laisse se multiplier sans mesure,—on n’exige aucune responsabilité de la part de ceux qui ont des chiens.

Si l’on vous disait, cependant, qu’il court par les rues un animal dont le contact peut vous donner la fièvre, vous jetteriez les hauts cris.

S’il se répand—faussement le bruit d’une maladie contagieuse et épidémique—vous êtes frappé de terreur.

Et tous les ans—un grand nombre de personnes sont mordues par des chiens enragés, deviennent elles-mêmes hydrophobes, et meurent de la plus funeste mort.

Et on n’y fait aucune attention.

Ah! pardon:

La police fait répandre des boulettes empoisonnées dans les tas d’ordures.

INCONVÉNIENTS DE CE SYSTÈME:—1º On en fait payer à la police beaucoup plus qu’on n’en jette;

2º Les boueux enlèvent chaque matin les ordures et les boulettes;

3º Un des symptômes de la rage étant que l’animal ne veut plus manger,—les chiens enragés sont précisément les seuls à l’abri des boulettes.

Ensuite,—au milieu de cette destruction des chiens errants que la police prétend faire,—allez-vous-en sur la place du Louvre,—sur celle de la Concorde,—sur celle de la Bastille,—et je vous promets que vous en verrez quarante,—de ceux auxquels il serait aussi difficile d’assigner un maître qu’une espèce.

Qui de vous,—et je m’adresse aux plus braves,—qui de vous se soucierait d’habiter une ville où on laisserait errer librement trente ou quarante mille tigres?—qui de vous n’aimerait mieux dix mille fois cependant rencontrer un tigre qu’un chien enragé.

Tout homme qui a un cabriolet—prend un numéro—et est responsable de tous les accidents qui peuvent résulter de son cabriolet.—En effet, on ne peut être exposé sans garantie à une maladresse ou à une imprudence qui peut vous renverser sur le pavé et vous blesser grièvement.

Mais, par exemple, on s’expose très-bien à être mordu par un chien hydrophobe:—on n’a aucun moyen de reconnaître le maître du chien;—peut-être d’ailleurs est-il sans maître,—et personne n’est responsable.

Et cependant—j’appuierai encore sur ce point:—est-il une maladie,—est-il une mort plus épouvantable que celle à laquelle vous vous exposer à chaque coin de rue?

Chaque fois que vous sortez de chez vous—vous ne pouvez pas être sûr que cet horrible accident ne vous arrivera pas sur la route.

Plusieurs accidents de ce genre arrivent chaque année à Paris.

On ne saurait compter ceux qui arrivent dans les campagnes.

Si j’écrivais ici que le gouvernement menace l’indépendance d’un commis surnuméraire dans l’administration des tabacs,—on ferait attention à ma réclamation;—les journaux s’en empareraient—et feraient beaucoup de tapage,—tandis que ce sera grand hasard si quelqu’un s’avise de lire ces pages.

image d’une guêpe Il faudrait cependant prendre une mesure universelle et énergique.

Il faudrait d’abord dans chaque ville, comme dans chaque bourg,—qu’on fixât—un espace de temps (une semaine ou davantage si c’est nécessaire)—pendant lequel les propriétaires de chiens seraient tenus de les renfermer chez eux.—On profiterait de cet espace pour faire abattre sans exception tous ceux qu’on trouverait dehors.

Ensuite,—on exigerait de ceux qui veulent garder des chiens d’en faire une déclaration à la police et de leur mettre au cou—un collier poinçonné portant leur nom et leur adresse.

Tout propriétaire de chien aurait ainsi une responsabilité qu’il ne pourrait éluder, si l’on prenait cependant deux précautions.

La première, de ne pas punir l’infraction à l’ordonnance de cinq on de dix francs d’amende,—comme on fait en d’autres cas, mais de cinq cents à mille francs,—en y ajoutant un emprisonnement de trois à six mois.

La seconde, de condamner à une peine très-forte et très-redoutable—tout propriétaire de chien—qui, devenant hydrophobe,—causerait des accidents.

Aucun chien,—sans exception,—par aucun temps, ne devrait être rencontré dehors sans être muselé.

Je sais qu’il existe dans les ordonnances de police certaines dispositions qui ont quelque rapport avec quelques-unes de celles que je propose ici;—mais on ne les fait pas observer,—et le risque que l’on court à ne pas les observer est tellement faible, qu’il n’oblige personne.

En ne supposant qu’un chien par vingt personnes dans une ville comme Paris, où presque tout le monde en a,—et en supposant que tous les chiens ont des maîtres,—chez chacun desquels il ne faut que la réunion de deux ou trois petites circonstances très-ordinaires pour faire déclarer l’hydrophobie;—je voudrais bien savoir si l’on découvrira quelque jour que cela mérite qu’on s’en occupe.

image d’une guêpe Ajoutons que, si l’on voulait remplacer par un impôt sur les chiens—quelques-uns de ceux qui pèsent si cruellement sur les objets de première consommation, cet impôt serait un gros revenu,—et dégrèverait des objets qu’il est odieux d’imposer.—En Angleterre, un impôt de ce genre rapporte par an plus de quarante millions.

image d’une guêpe Le duc d’Orléans mort,—une nuée de corbeaux s’est abattue sur lui,—puis chacun de ces oiseaux a tiré une plume de son aile noire,—et s’est mis à dessiner, à écrire,—et surtout à vendre.

Il y a tant de gens qui ne voient dans un naufrage que les épaves.

M. Gannal a élevé la voix; il a accusé les médecins qui avaient embaumé le prince mort de l’avoir mal embaumé,—il les a accusés d’avoir dérobé des organes.

image d’une guêpe La quantité innombrable de mauvais vers dont la mort du duc d’Orléans a été le prétexte—nous rappelle la prudente épitaphe que fit pour lui-même le poëte Passerat—et qui finissait par ces deux vers:

Pour que rien ne pèse à ma cendre et à mes os,
Amis, de mauvais vers ne chargez pas ma tombe.

image d’une guêpe Le 26 juin dernier,—vers une heure et demie de l’après-midi,—Sophie Ollivier, jeune fille de dix-sept ans, journalière à Faumont, prés de Douai,—partit de chez elle pour aller voir une de ses sœurs à quelques lieues de là.—Un misérable, appelé Mogren,—la rencontre dans le bois de Faumont,—lui adresse des propositions insultantes,—et, sur son refus,—se précipite sur elle,—la renverse,—la saisit par les cheveux et lui coupe le cou avec une serpe;—elle est morte, il la déshabille,—et s’enfuit en emportant jusqu’aux souliers de la malheureuse Sophie Ollivier.

Le criminel, arrêté,—est reconnu coupable d’assassinat et de vol par le jury des assises du Nord;—mais le jury reconnaît en sa faveur des circonstances atténuantes.

On dit que le ridicule tue en France;—il faut croire qu’il ne tue pas vite,—peut-être ce qu’a de ridicule la fréquence de pareils jugements est-il atténué par ce qu’ils ont d’horrible et de dangereux.

image d’une guêpe Un malheureux est traduit en police correctionnelle sous la prévention d’avoir volé une tabatière.

M. le président le tance vertement—avant de prononcer sa condamnation.—Entre autres choses remarquables que renfermait la petite harangue du président, j’ai remarqué spécialement celle-ci:

«Prévenu, quand vous avez été arrêté, on a trouvé sur vous UNE SOMME de un franc vingt-cinq centimes; vous ne direz DONC pas que c’est la misère qui vous a poussé à commettre ce délit.»

En effet, comme cette somme de un franc vingt-cinq centimes vous met un homme au-dessus de la misère!—Pourquoi, en effet, ne plaçait-il pas son franc vingt-cinq centimes pour vivre avec les intérêts de ladite SOMME?

Ajoutez que le prévenu était un pauvre diable d’Italien arrivé depuis peu à Paris de Parme, son pays natal.—Il avait fait la route à pied—et n’avait pas d’ailleurs de mauvais antécédents.

A propos de pauvres,—rappelons-nous ici—que le Journal des Débats a un jour conseillé aux pauvres de mettre leurs économies à la caisse d’épargne.

C’est dommage que l’abonnèment un peu cher au Journal des Débats—prive les pauvres de puiser dans sa lecture d’aussi utiles conseils.

Il est vrai de dire que cette recette contre la misère avait pu être inspirée au Journal des Débats par une ordonnance de police que l’on a vue placardée sur tous les murs de Paris à l’époque du choléra.

M. le préfet de police recommandait au peuple de manger de bonne viande et de boire du vin de Bordeaux.

image d’une guêpe A propos de la loi de régence, on a fait à la loi de régence des objections que les Guêpes avaient prévues.—M. de Lamartine s’est séparé du parti conservateur—et s’est prononcé contre la loi.—Il a dit que, dans l’histoire des régences, sur vingt-huit régences d’hommes, il y a eu vingt-trois usurpations.—Le parti de l’opposition avait bien besoin de cette conquête pour se consoler un peu de sa défaite et de ses maladresses.—Quelques-uns veulent que M. de Lamartine ait abandonné les conservateurs par mauvaise humeur de ce qu’il n’avait pas été soutenu par eux lorsqu’il s’était laissé porter à la présidence de la Chambre par ses amis;—d’autres ont dit que, comme Caton, il s’était mis par une sorte de courage—du parti des vaincus.

Victrix causa Diis placuit—sed victa Catoni.

image d’une guêpe M. Thiers, lui, a abandonné l’opposition et a voté avec les conservateurs en faveur de la loi de régence.

C’était une position difficile;—mais M. Thiers l’a attaquée hardiment.

Il se résignait à peu près de bonne grâce à se voir presque impossible pour le présent,—mais il comptait sur le règne suivant;—la mort du duc d’Orléans et la loi de régence, qui en est la conséquence,—venaient l’embarrasser;—pour rester dans l’opposition, il fallait voter contre la loi de la régence—et s’aliéner le futur régent.

M. Thiers a reconquis d’un seul vote et d’une seule palinodie—le présent et l’avenir.

image d’une guêpe C’est un peu honteux, mais cela s’oublie vite de ce temps-ci, et ne nuit à personne;—que je voie.

image d’une guêpe Les journaux de l’opposition,—qui renvoyaient d’ordinaire M. de Lamartine à sa lyre, à sa barque, à Elvire, quand il ’n’était pas de leur avis,—l’ont déclaré grand poëte et homme d’État distingué.

En quoi ils ont assez raison.—La position de M. de Lamartine à la Chambre est belle et grande, et elle ne peut manquer de prendre dans l’avenir une plus grande importance encore,—s’il sait la conserver intacte;—il ne reconnaît de drapeau que celui de la raison et des intérêts nobles du pays;—il n’appartient à aucun parti, mais cependant—j’ai trouvé un peu d’exagération dans ses coquetteries à M. Odilon Barrot.

image d’une guêpe Les conservateurs ont, de leur côté,—loué la haute raison de M. Thiers,—ils savent mieux que personne à quoi s’en tenir sur les mobiles de la politique du Mirabeau-mouche.

image d’une guêpe M. Fulchiron a dit: «M. de Lamartine nous quitte,—mais M. Thiers nous revient, c’est une fiche de consolation.—Vous voulez dire, reprit M. Vatry,—c’est une fichue consolation.»

image d’une guêpe Le parti des conservateurs est victorieux; s’il veut garder sa victoire et en profiter, il faut qu’il marche, il faut qu’il lève, comme faisaient ses adversaires, le drapeau du progrès, mais d’un progrès réel, raisonnable; qu’il fasse des choses et pas de métaphores, des améliorations et pas de bouleversements; qu’il s’occupe de questions sociales et pas de questions de portefeuilles.

On a traité dans toute cette affaire la Chambre des pairs avec le dédain le plus insultant, avec l’inconvenance la plus révoltante.

Une fois la loi votée par la Chambre basse,—on a envoyé par le télégraphe et par les journaux la nouvelle que la loi était votée;—les autorités ont harangué le duc de Nemours—en l’appelant régent de France.

Les pairs ont paru peu sensibles à cet affront: ils ont voté la loi—comme un clerc d’huissier copie un acte.

image d’une guêpe Le Journal des Débats a commencé à enregistrer les harangues faites au duc de Nemours et les réponses du prince.

Il a dit que le prince avait parfaitement réussi à Strasbourg.

On s’est élevé avec raison contre l’inconvenance choquante de cette expression.

Outre l’inconvenance, cela avait un inconvénient dont on n’a pas tardé à s’apercevoir.

On a invité le Journal des Débats—à modérer ou à mieux diriger son zèle.

Le Journal des Débats, subitement calmé,—s’est contenté de dire: «Le prince est entré dans telle ville,»—et de relater les discours.

Alors les journaux de l’opposition ont dit: «Le prince n’a donc pas réussi,—il a donc eu du désagrément?»

On nous disait qu’il avait réussi à Strasbourg,—et les journaux du ministère ne nous disent rien des autres villes. Il faut qu’il n’ait pas réussi.—Et on tirait de là une foule de conséquences et d’hypothèses—extrêmement fâcheuses.

image d’une guêpe Au moment où les divers restaurateurs et gargotiers, se disant maîtres de pension,—remplissent les journaux d’annonces et de réclames dans lesquelles ils font figurer de pauvres enfants qui n’en peuvent mais, je crois leur être agréable en leur donnant un remarquable modèle en ce genre.

L’Indicateur pour la ville de Strasbourg, imprimé en ladite ville par Daunbach,—contient les lignes que voici:

image d’une guêpe M. V. Hugo a un barbier—qui cause beaucoup;—entre autres sujets de discours, il parle fréquemment de sa femme—et ne manque jamais de dire: Mon épouse.

Un jour, M. V. Hugo, impatienté, lui dit: «Pourquoi donc appelez-vous toujours ainsi madame ***?—Comment voulez-vous donc que j’appelle ma femme?» répondit le barbier.

image d’une guêpe Le même barbier fut fort effrayé lorsqu’il apprit, en 1839,—des commères de son quartier que le monde allait finir.

Tout en rasant M. V. Hugo, il lui fit part de ses terreurs.

—Ah! mon Dieu! disait-il,—on assure que l’année prochaine le monde va finir.—Le deux janvier les bêtes mourront, et le quatre ce sera le tour des hommes.

—Vous m’effrayez, dit M. V. Hugo; qui donc alors me rasera le trois?

image d’une guêpe Madame Louise Dauriat, qui a figuré en effigie dans les Guêpes,—a eu la bonté de m’adresser d’avance une lettre—qu’elle se propose de publier. Je crois pouvoir considérer cette déclaration comme une permission tacite de citer quelques fragments de la lettre de madame Dauriat. C’est d’ailleurs une justice, puisque madame Dauriat me l’a écrite dans l’intention de rectifier ce que j’ai avancé sur elle.

FRAGMENTS D’UNE LETTRE DE MADAME LOUISE DAURIAT.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ainsi, vous dites: «Madame Dauriat à neuf ans commence à fumer des cigares, à quarante ans se déclare contre un gouvernement sous lequel on n’est plus jeune; prêche publiquement la liberté de la femme, demande à être députée, laisse croître sa barbe.—Dieu protége la France.»

Eh bien! cette transformation en partie d’une femme en un homme, notamment quand il s’agit de cigares et de longues barbes, est tout l’opposé de mes principes: il faut mettre au rang de mes antipathies la fumée de tabac et les barbes longues et touffues, toujours fort sales, et donnant aux hommes une figure semblable à celle de la brute des forêts. On se fait la barbe comme on se coupe les ongles; cela est un indice de civilisation.

Je ne veux rien qui ne soit selon la nature et l’équité: j’ai donc raison de prêcher publiquement la liberté de la femme, que l’on n’a pas le droit de lui ôter.

Vous trouvez qu’une femme n’est plus jeune à quarante ans; on ne voit pas quel gouvernement la déclare vieille à cet âge, en aurait-elle même quarante-cinq. Quant à moi, je ne m’en cache pas, je suis en plein automne; et il est des automnes qui valent mieux que de certains étés. Et les femmes de cet âge sont plus jeunes que messieurs les hommes, comme les appelle un de mes amis, qui y sont arrivés. Ils sont la plupart tout gris, tout chauves; ils n’ont plus de dents qu’en petit nombre: leur démarche est pesante; et nous autres femmes, à cet âge, nous nous coiffons encore de notre chevelure; notre bouche est encore fraîche et meublée. Nous sommes vives, alertes, et toujours prêtes à nous donner bien du mal pour secourir, assister la race masculine, que la moindre maladie abat, qu’un rien déconcerte, anéantit. Qui osera nier cela? Il y a bien d’autres choses qu’il ne faut pas nier!

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LOUISE DAURIAT.

image d’une guêpe Au commencement du mois de septembre a eu lieu, à la mer, une des grandes marées de cette année.—La mer s’est retirée à un quart de lieue de nos côtes, laissant à découvert des roches au-dessus desquelles il y a d’ordinaire plus de trente pieds d’eau,—et montrant des prairies d’herbes marines, d’algues et de varechs d’un vert sombre presque noir,—et des mousses d’un beau rouge de pourpre,—les herbes et les mousses aussi variées que celles que nous voyons sur la terre.

Nous étions sur ces roches au moins une soixantaine de pêcheurs, occupés à chercher et à prendre quelques huîtres, quelques poissons négligents, et aussi, au risque de se faire vigoureusement pincer les doigts,—des étrilles,—sorte de crabes qui en diffèrent cependant par cette nuance—que les hommes mangent les étrilles, et que les crabes mangent les hommes.

Le soleil se couchait derrière de gros nuages qui semblaient se reposer sur la mer comme s’ils eussent été fatigués de leurs courses de la journée.—Les bords de ces nuages, plus minces que le centre,—étaient transparents—et semblaient une frange d’or, de pourpre et de feu.—Du soleil jusqu’à nos pieds,—un sillon de feu s’étendait sur la mer.

Je suspendis un peu la pêche pour contempler ces magnificences,—et je m’assis sur une roche;—je rétablis en pensée le niveau de la mer,—tel qu’il allait se refaire deux ou trois heures plus tard,—et je me figurai resté sur ces prairies, où reviendraient alors les gros poissons;—je me figurai les navires au-dessus de ma tête, sillonnant la mer en tous sens.

Nos yeux s’arrêtèrent par hasard sur quelque chose qui me parut être un fragment de roche d’une forme singulière; c’était la moitié d’une boule creuse.—Je l’examinai de plus près, et je reconnus la moitié d’une bombe,—une de ces gentillesses imaginées par les hommes pour s’entre-détruire avec le plus de facilité.

Il serait difficile de dire depuis combien de temps cette bombe est là, au fond de la mer.—Les Anglais en ont tiré un assez grand nombre sur le Havre du temps de l’Empire, avec l’intention de brûler les vaisseaux,—et ils n’ont réussi qu’à abattre quelques maisons.—On a dû leur en renvoyer quelques-unes.

J’examinai la bombe;—plusieurs sortes de petites plantes marines végétaient entre les fentes du fer;—une entre autres était rude, granuleuse,—rose,—et semblait au moins autant un très petit polype dans le genre du corail qu’une plante réelle.

Mais ce qui me frappa le plus,—ce fut de voir appliquée, contre la paroi intérieure de la bombe,—une huître,—une véritable huître,—parfaitement vivante,—qui y avait élu son domicile, qui y demeurait,—qui y bâillait,—qui s’y engraissait depuis longtemps.

Ce n’était pas la première fois que j’avais occasion de remarquer l’indifférence profonde de la nature à l’endroit de l’homme et de ses passions.

L’homme qui meurt,—et la feuille jaunie qui tombe ont précisément la même importance.—Dans la nature, la mort n’est pas une chose triste plus que la naissance;—c’est un des pas du cercle perpétuel que font les choses créées.—Tout meurt pour que tout vive:—la mort n’est que l’engrais de la vie.—Mais je fus cependant, cette fois, particulièrement surpris de ce que je voyais.

Certes, il n’est pas de la colère humaine une plus terrible expression qu’une bombe.—Cette horrible boîte dans laquelle l’homme renferme mille cruelles blessures et la mort,—qui vient à travers les airs,—et, arrivée à sa destination, s’ouvre et vomit la destruction.—Eh bien,—il a suffi de quelques années,—et ceux qui ont tué les autres ont été tués par le temps,—par la vie;—car la vie est le poison qui tue le plus inévitablement de tous quand il est pris à grandes doses.

Sur cet horrible instrument de destruction—ont poussé des herbes innocentes,—et une huître,—une sorte de caillou un peu vivant,—de toutes les choses vivantes, celle qui l’est le moins,—l’emblème du calme, de l’apathie,—y a fixé son domicile.

C’est une grande et belle ironie.

C’est une chose bizarre que de voir les inventions variées qu’ont eues les hommes pour s’entre-tuer.—C’est une dépense de génie que je trouve exorbitante pour des gens implacablement condamnés à mort par le fait de leur naissance.

La vie renferme le germe de la mort,—et la mort le germe de la vie,—comme la graine renferme une fleur, laquelle renferme une graine à son tour. C’est un cercle fatal et inévitable.

image d’une guêpe Un crime a été commis il y a deux ans.—Deux accusés étaient, il y a huit jours, sur les bancs de la cour d’assises.—Un des deux seul est coupable;—il est condamné à mort par les juges.—L’autre est acquitté;—mais, quand on va les chercher pour leur lire leur arrêt, l’innocent est trouvé étendu par terre,—frappé subitement d’une attaque d’apoplexie.—Le condamné vivra donc huit jours de plus que celui qui a été acquitté.

Mais supposez qu’il en eût été autrement.—Attendez une cinquantaine d’années,—et l’innocent, les juges, les spectateurs, le bourreau, vous et moi,—nous serons précisément aussi morts que le condamné.—C’est ce qui frappe, quand on lit dans l’histoire le récit de quelque combat fameux.—Que d’adresse, que de sang-froid déployés pour tuer et ne pas être tué!—Ah! voici le combat fini,—en voilà un de tué; et l’autre, le vainqueur?—Oh! il est mort il y a cent ans.

On se plaint de la brièveté de la vie.—Mais prenez un mort illustre;—supposez que François Ier ait vécu trois cents ans:—quelle serait la différence aujourd’hui avec celui qui n’aurait vécu que jusqu’aux limites ordinaires?

image d’une guêpe Mais à qui est-ce que je raconte cela? Il meurt sur la terre un homme par seconde, c’est-à-dire trois mille par heure. La journée n’est pas terminée, et depuis que j’écris ce volume quatre-vingt-six mille quatre cents des hommes qui vivaient quand je l’ai commencé ne sont déjà plus au monde.—Quand il sera imprimé,—quand vous l’aurez entre les mains,—près de quatre cent mille de ceux auxquels je m’adressais en le commençant auront cessé d’exister.

Octobre 1842.

image d’une guêpe OCTOBRE.—Voici l’hiver,—mes chers petits oiseaux d’or,—les feuilles jaunes des poiriers, les feuilles rouges de la vigne s’en vont au souffle du vent aigre d’octobre.—Voici les fleurs qui meurent de froid.—Vous allez quitter la campagne et vos douces paresses;—vous allez rentrer dans cette immense ruche, dans ce grand bourdonnement de Paris.

On se plaint de vous,—mes petits soldats ailés;—rassemblez-vous autour de moi,—que je vous répète ces plaintes.—Allons, Padocke,—venez donc; que faites-vous dans cette austère violette sans parfum?—Et vous, Grimalkin, quittez ce chrysanthème qui sent la pommade:—abandonnez sans regrets ces tristes et dernières fleurs.

On se plaint de vous;—il ne s’agit pas ici des plaintes de vos ennemis:—je sais que vous vous en souciez médiocrement.

Mais ce sont, cette fois, vos amis qui se plaignent,—et cela mérite attention.—Il est bien de ne craindre personne,—excepté cependant ceux qui nous aiment et ceux que nous aimons.

On vous trouve assez peu disciplinées,—chères filles de l’air;—on croit que, tout en combattant les saugrenuités de ce temps,—vous avez cependant adopté sur l’indépendance certaines idées exagérées. Quand on a besoin de vous, on ne sait où vous êtes;—on vous attend à Paris,—et vous bourdonnez dans les fleurs jaunes des ajoncs de la Normandie,—ou dans les fleurs roses des bruyères de la Bretagne;—vous vous jouez dans l’écume de la mer,—ou vous vous endormez dans le fond du nénufar, ce beau lis des étangs.

Il n’en peut plus être ainsi;—il faut que je ramène la discipline parmi vous;—il faut qu’à l’heure où je sonne la retraite chacune de vous, sans tarder, arrive à tire-d’aile avec son butin.

Vous ne devez pas fâcher vos amis;—vos amis sont les gens qui aiment la vérité, le bon sens, la loyauté;—vos amis sont des gens qu’on doit respecter.—Vous devez arriver quand ils vous attendent—et ne pas leur manquer de parole,—comme vous le faites si souvent.

Vous arrivez encore ce mois-ci,—je ne sais comment,—je ne sais quand,—je ne sais d’où.—C’est pour la dernière fois, mes petits archers,—que je tolère de semblables incartades.

image d’une guêpe Le roi Louis-Philippe, qui, lorsqu’il invite M. de Lamartine à dîner comme député,—feint d’ignorer que M. de Lamartine fait des vers,—ignore également l’existence de M. Scribe.

Il est difficile de s’expliquer de semblables faiblesses de la part d’un homme aussi habile que le roi.—Un gouvernement fort,—je dirai plus, un gouvernement réel,—se compose ou doit se composer—de toutes les supériorités, de toutes les puissances, de toutes les influences du pays.—De semblables maladresses mettent sinon dans l’opposition, du moins dans l’indifférence, beaucoup de gens qui par leur talent exercent une influence extrêmement grande sur les esprits.

Charles IX, qui n’était pas un roi constitutionnel, me semble avoir mieux compris les choses de ce genre.—On connaît les vers qu’il adresse à Ronsard:

Ta muse, qui ravit par de si doux accords,
Te donne les esprits dont je n’ai que les corps.

Autrefois,—quand le roi de France faisait la guerre,—il appelait à lui ses barons.

Chaque baron arrivait avec ses vassaux marchant sous son étendard et avec son cri de guerre.

Il y a une guerre incessante aujourd’hui qu’a à soutenir le roi de France:—c’est une guerre contre les idées.

image d’une guêpe Ce ne sont plus des barons couverts de fer et armés de lances et de haches d’armes—que le roi doit appeler autour de lui,—ce sont d’autres barons et d’autres suzerains,—ce sont tous les hommes qui, par leur talent, ont trouvé moyen de rassembler sous leur drapeau,—quelque petit qu’il soit,—ne fût-ce qu’un simple guidon,—un certain nombre de gens.

Mais,—je l’ai déjà dit,—ce n’est pas par la corruption qu’il faut les avoir;—la corruption tue à la fois l’homme, le talent et l’influence.—Il faut les avoir pour associés et non pour domestiques.

image d’une guêpe Il faut avoir plusieurs cordes à son arc.

M. Duchâtel,—ministre de l’intérieur,—vient de joindre à cette industrie celle de marchand de vins.

Il a acheté,—moyennant huit cent mille francs,—un vignoble appelé Lagrange.—Cette propriété, située du côté de Médoc,—tire de ce voisinage des prétentions peu justifiées par un vin de cinquième cru.

image d’une guêpe Nous avons parlé récemment des divers cris que font entendre dans les journaux les maîtres de pension, à l’instar de ceux que font entendre dans les rues les marchands de salade et les marchands de cages, pour annoncer leurs marchandises.

En voici un qui mérite, entre tous, une mention honorable.

On trouve à la quatrième page de la plupart des carrés de papier,—se disant les organes de l’opinion publique, l’annonce que voici (un franc vingt-cinq centimes la ligne en nonpareille,—un franc cinquante centimes en mignonne):

«L’institution J. Dillon, faubourg Poissonnière, 105, a fait sa rentrée le 1er octobre.—Le directeur de cet établissement, jaloux de mériter de plus en plus la confiance publique,—s’est entouré d’hommes spéciaux

Voyons un peu,—monsieur J. Dillon,—je ne veux rien vous dire de désagréable,—mais il ressort de vos propres paroles une chose incontestable.

Vous vous êtes entouré d’hommes spéciaux pour mériter de plus en plus la confiance publique.

C’est-à-dire que vous aviez déjà obtenu cette confiance avant de vous être entouré d’hommes spéciaux.

C’est-à-dire que, l’année dernière, vous n’aviez pas, pour instruire vos élèves, songé à vous entourer d’hommes spéciaux.

C’est-à-dire que, pendant les vacances,—vous vous êtes dit: «Tiens! une idée. Je vais m’entourer d’hommes spéciaux;—c’est-à-dire—j’aurai, pour montrer les mathématiques, un mathématicien,—un latiniste pour enseigner le latin.»

C’est-à-dire que, l’année dernière,—vous aviez peut-être pour professeur de latin—un marchand de briquets phosphoriques;

Pour maître de dessin, un frotteur;

Pour maître de musique, un ébéniste;

Pour professeur d’histoire, un coiffeur.

Réellement,—monsieur J. Dillon,—vous avez eu là une excellente idée;—il est malheureux qu’elle ne vous soit pas venue plus tôt.

Nous avons signalé déjà—une variété d’indépendance politique extrêmement curieuse.

Un certain carré de papier aime une danseuse maigre;—de temps à autre, il faut faire rengager ladite danseuse.

La chose ne se fait pas toute seule.—M. le directeur du théâtre—ni le public ne s’en souvient;—il faut que le gouvernement intervienne:—voici comment s’exécute le tour.

Lorsque l’engagement précédemment obtenu est sur sa fin,—ledit carré de papier fronce le sourcil—et devient très-rigide, il s’aperçoit que le ministère trahit la France; il découvre que le gouvernement nous avilit aux yeux de l’étranger;—le pays penche vers sa ruine.—Toutes nos libertés sont audacieusement attaquées;—les courtisans envahissent le pouvoir et boivent la sueur du peuple;—on a oublié les promesses de Juillet et le programme,—le fameux programme de l’Hôtel de Ville, etc.—Tout cela ne suffirait peut-être pas; on ajoute quelques attaques contre tel ami ou telle amie de tel ministre.—L’ami a reçu un pot-de-vin:—l’amie a trois fausses dents.

L’ami ou l’amie vient se plaindre au ministre, et lui dit, sous forme de conseil, que le carré de papier fait un grand tort au gouvernement;—qu’il faut l’apaiser, etc.

On entame les conférences.—Le carré de papier est d’une férocité croissante;—il ne peut rien accorder.—On insiste; il laisse échapper—que, dans l’intérêt de l’art, on devrait rengager mademoiselle Trois-Étoiles.

On fait chercher le directeur,—on le force de rengager ladite demoiselle.

Or, l’écrivain recommandable—qui protége ainsi les arts n’a dans le carré de papier en question qu’une portion d’influence. On lui permet bien de vendre le journal,—mais on ne lui permet pas de le livrer.—Or, comme le bruit du rengagement de la danseuse peut transpirer, comme la malveillance en pourrait tirer de fâcheuses inductions relativement à l’indépendance de la feuille,—cette indépendance doit se manifester et se manifeste par l’injure à l’endroit du gouvernement.

La dernière fois que ce tour a été exécuté,—la danseuse a été rengagée pour quinze ans;—le lendemain, on citait dans le carré de papier, comme proverbiale, la stupidité de M. de Gasparin.

image d’une guêpe STATISTIQUE.—D’après le docteur Julius, qui s’est livré à un volumineux travail sur les aveugles et les établissements qui leur sont destinés, on compte:

En Prusse,1aveugle sur1,600habitants.
En France,1 1,650 
En Belgique,1 1,009 
En Danemark,1 738 
En Angleterre,1 800 
En Autriche,1 800 
Aux États-Unis,1 1,200 

D’après beaucoup de choses qui se passent, on ne devinerait pas que la France est le pays d’Europe où il y a le moins d’aveugles.

image d’une guêpe Plusieurs journaux reprochent amèrement à M. Duchâtel le refus qu’il a fait de donner à M. Rubini, chanteur, la croix d’honneur qu’il demandait pour reparaître au Théâtre-Italien.—Comme on parlait de ce refus devant M. de Rémusat, on vint à lui demander si, à la place de M. de Duchâtel, il eût agi comme lui. «Non, répondit M. de Rémusat,—j’aurais fait tout le contraire; j’aurais donné deux croix à M. Rubini, en exigeant qu’il les portât toujours toutes deux, l’une à gauche, l’autre à droite de la poitrine.»

image d’une guêpe Quelques-uns des plus gros traitements du ministère des finances—sont industriellement gonflés par des indemnités,—des gratifications,—des faux frais,—des suppléments pour pertes et erreurs, etc., etc.

Ainsi, on assure que le caissier central du Trésor—reçoit une indemnité de quarante mille francs pour couvrir les erreurs que peuvent commettre les garçons de caisse chargés des payements et des recettes.

Les garçons, en effet, se trompent quelquefois (le cas est cependant extrêmement rare).—Toutefois, le cas échéant, M. le caissier fait appeler le garçon en défaut, le prévient qu’il s’est trompé, que son erreur est de... tout,—et que, par conséquent, cette somme lui sera retenue sur ses appointements; et ceci n’est pas une menace, la retenue s’effectue réellement; et, au bout de l’année, M. le caissier a touché quatorze mille francs en sus de son traitement.

Si je commets une erreur, je prie M. le caissier de m’en avertir, avec preuves à l’appui.

image d’une guêpe De ce temps-ci, toutes les professions sont encombrées,—même la profession de Dieu. Les Guêpes en ont déjà signalé quelques-unes.—Voici venir un homme plus modeste—qui se contente d’être prophète.—On ne saurait trop louer une semblable abnégation.

Cet homme s’appelle M. Cheneau ou Chaînon, lui-même paraît incertain sur le meilleur de ces deux noms;—il les offre tous deux à la vénération publique. On est libre de l’invoquer sous les deux noms; chacun là-dessus peut s’en rapporter à son goût. Il est prophète et négociant. Il publie en ce moment la Troisième et dernière alliance du ciel avec sa créature (4 vol. grand in-8º). Ainsi, pour la troisième et dernière fois, le ciel ne le répétera plus:—Voulez-vous, oui ou non, vous allier avec lui?

«J’ai reçu, dit M. Cheneau ou Chaînon,—j’ai reçu du ciel le pouvoir d’édifier la vérité; le Seigneur m’a dit: «Établis le baptême spirituel, enseigne la religion d’amour, que je t’ai révélée pour former mon alliance éternelle avec mes enfants; accomplis ta mission; heureux celui qui la gravera dans son cœur.»

Gravons dans notre cœur la mission de M. Chaînon ou Cheneau,—sans nous arrêter au langage peu correct du ciel.

M. Chaînon ou Cheneau—a deux amis qui le visitent—familièrement: l’empereur Napoléon, qui lui a encore fait visite, dit-il, en janvier 1841 (page 295), et saint Jean-Baptiste qu’il appelle «son ami sincère.»

M. Chaînon ou Cheneau—raconte ensuite que c’est à Lyon, en février 1838,—à l’Hôtel du Nord,—chambre 32,—de six heures et demie du soir jusqu’à six heures trois quarts du matin qu’il a combattu et vaincu toute l’armée infernale et Satan lui-même.

«J’ai promis,—dit-il à l’Éternel, de désarmer tous ceux qui combattent contre la vérité;—l’on attentera à mes jours, et une somme sera offerte pour me faire détruire, mais tous leurs projets seront détruits,—et le serpent viendra m’offrir lui-même sa langue pour que je l’arrache.»

Nous n’analysons pas la nouvelle religion proposée par M. Cheneau ou Chaînon,—attendu que nous n’y comprenons rien,—ni lui non plus; nous ne reproduirons que quelques conseils donnés aux femmes, et qui pourront paraître à nos lectrices de quelque utilité.

CONSEILS AUX FEMMES. «Sachez vous servir des faveurs que le ciel vous a confiées, vous rendrez doux et aimable l’homme méchant et irraisonnable.

»Observez si votre époux est travailleur, courageux, préparez-lui quelques agréables distractions et contrariez-le un jour sur vingt, afin que son cœur ne devienne point insensible à vos intentions.

»Prodiguez-lui les moyens de consolation qui vous sont spécialement confiés par le Créateur.

»Je répandrai de mon esprit sur toutes sortes de personnes.»

Gare de dessous!

On lit dans un gros livre de M. A. Pépin que l’auteur de Lélia porte sur son cœur des cheveux d’un des assassins de Louis-Philippe. Le livre de M. A. Pépin, qui est fait, du reste, avec courage, a été peu lu.—Sans doute madame Sand ignore ce passage qui la concerne.

image d’une guêpe Je n’ai pas voulu m’en rapporter, à propos des essais de pavage en bois,—aux réclames des journaux, à un franc la ligne,—j’ai consulté cinq ou six cochers de cabriolets, qui m’ont affirmé que par un temps de pluie, il est impossible aux chevaux de tenir pied sur ce nouveau pavé.

image d’une guêpe Voici un mot que je ne raconte qu’à cause de son authenticité:

Au sujet d’une nouvelle fournée de pairs,—qui va, assure-t-on, se faire prochainement,—beaucoup de candidats se remuent outre mesure. On cite entre autres le maire d’un des plus nombreux arrondissements de Paris,—ancien député conservateur, tristement repoussé aux dernières élections. Comme il causait avec M. Sauzet sur ses bonnes et ses mauvaises chances:

—Hélas! mon cher monsieur, reprit le président, comment voulez-vous qu’on vous fasse pair?—La chose, quant à moi, me semble tout à fait impossible.

—Comment cela? impossible! et pourquoi?

—Parce que, répondit le facétieux M. Sauzet, vous ne pouvez pas être à la fois pair et maire.

M. de Rambuteau, qui se trouvait là,—c’est chez lui que la conversation avait lieu,—réfléchit un instant, et dit: «Au fait, c’est vrai.»

image d’une guêpe PARENTHÈSE RELATIVEMENT AU TIMBRE.—(Il y a d’honnêtes gens qui ont imaginé d’acheter des numéros des Guêpes,—d’arracher la page sur laquelle est le timbre,—et d’envoyer à la direction ces exemplaires ainsi mutilés.

La direction n’est pas fâchée de prendre les Guêpes en défaut,—et dresse un procès-verbal,—pour absence de timbre.

On a prouvé à la direction du timbre,—par les reçus du timbre, par les livres de l’imprimeur, par les livres de l’éditeur, par ceux du marchand de papier,—qu’il n’a jamais, à aucune époque, été imprimé un exemplaire de plus qu’il n’y a eu de feuilles timbrées.

La direction a maintenu son procès-verbal,—on a appelé de ce jugement au ministre;—le ministre a confirmé.

Les Guêpes viennent encore une fois d’être condamnées à une amende assez forte au profit du Trésor.

L’auteur des Guêpes ne croyait pas devoir se soumettre au timbre, il a plaidé il y a deux ans contre l’administration,—et a perdu son procès. Il s’est contenté de protester contre la sotte obstination de l’administration, qui veut absolument mettre sur de petits livres—une tache d’encre égale, en grosseur,—au timbre qu’on met sur les cabriolets,—tandis qu’un poinçon, quelque petit qu’il fût, atteindrait parfaitement le but.

Mais—en même temps il a formellement interdit à son éditeur—d’essayer contre l’administration aucune de ces fraudes que font presque tous les journaux.

L’auteur des Guêpes a agi loyalement;—il ne pense pas que ni l’administration ni le ministre aient suivi son exemple—en maintenant des amendes—contre les preuves sans réplique qui leur étaient fournies;—l’administration du timbre—a plusieurs fois fait demander à l’auteur des Guêpes—la suppression de la petite phrase qui accompagne depuis deux ans la sale tache d’encre qu’elle a imposée à ses petits livres;—l’administration a cru devoir lui fournir une occasion de la remplacer—par la dénonciation de ses petites persécutions.)

image d’une guêpe De 1791 à 1794, il y a eu en France les aristocrates, les monarchiens, les constitutionnels, les républicains, les démocrates, les hommes du 14 juillet, les fayettistes, les orléanistes, les cordeliers, les jacobins, les feuillants, les maratistes, les chevaliers du poignard, les septembriseurs, les égorgeurs, les girondins, les brissotins, les fédéralistes, les modérés, les suspects, les hommes d’État, les membres de la plaine, les crapauds du Marais, les montagnards, les accapareurs, les alarmistes, les apitoyeurs, les endormeurs, les dantonistes, les hébertistes, les sans-culottes, les habitants de la Crète, les terroristes, les patriotes de 89, les thermidoriens, une jeunesse dorée, etc., etc.

Sous l’Empire, les bourbonistes, les émigrés, les jacobins, les idéologues, les hommes de 89, les nopoléonistes, les fédérés, etc.

Sous la Restauration nous avons eu les bonapartistes, les royalistes, les libéraux, les blancs et les bleus, un côté gauche, un côté droit, un centre gauche, un centre droit, les ventrus, les absolutistes, les ultra, les révolutionnaires, le parti de la défection, les constitutionnels, les carbonari, la société Aide-toi, le Ciel t’aidera, etc., etc.

Depuis la Révolution de juillet, nous avons eu des carlistes, des légitimistes, des philippistes, des henriquinquistes, des impérialistes, des hommes du mouvement, des hommes de la résistance, le parti de l’avenir, des républicains de 93, des républicains à l’américaine, des saint-simoniens, des fouriéristes, des phalanstériens, des humanitaires, des bousingots, des radicaux, des patriotes, des hommes du progrès, des juste-milieu, des modérés, des politiques, des doctrinaires, des amis de l’ordre, des hommes du tiers-parti, un côté gauche, un côté droit, un centre droit, un centre gauche, des monarchistes, des amis du peuple, des anarchistes, des réformistes, des jeunes-France, la société des Droits de l’Homme, la société des Familles, des réactionnaires, les conservateurs, le parti social, etc., etc.

image d’une guêpe Beaucoup de gens font semblant de prendre les Guêpes pour une facétie sans but.

Voici un grand journal—qui imprimait avant-hier quelques lignes dans lesquelles il demande que l’impôt pèse sur les objets de luxe et cesse d’augmenter le prix des objets de première nécessité.

Il y a trois ans que les Guêpes ont, pour la première fois, émis le même vœu.

Ce journal est un de ceux qui appelaient si plaisamment l’auteur des Guêpes—ami du château, et qui s’intitulent eux-mêmes, mais plus plaisamment, amis du peuple.

image d’une guêpe Il vient de mourir à Paris un homme d’un grand talent;—le public, après avoir suffisamment cuvé son admiration frénétique pour Paganini, en était revenu à dire: «Eh bien, j’aime mieux le violon de Baillot.»—Baillot est mort à soixante-onze ans. En 1821, Baillot avait été nommé premier violon solo à l’Académie royale de musique; dix ans après, quand l’Opéra devint une spéculation particulière,—Baillot parut un luxe trop cher;—depuis cette époque on ne l’entendit plus que rarement,—et depuis plus d’une année il avait cessé de toucher à son violon.

Tout le monde connaissait son talent, mais voici une petite anecdote—qui montre mieux que du talent,—qui montre du désintéressement et de la noblesse.

Baillot avait une pension sur la liste civile de Charles X,—après 1830,—on avisa par toutes sortes de moyens à soulager ces pauvres pensionnaires ruinés.—Un jour Baillot reçut une lettre des commissaires de l’ancienne liste civile, qui l’invitaient à venir toucher une partie de sa pension.—Baillot se présente et demande si tout le monde est payé.

—Tant s’en faut, lui répond-on,—nous donnons seulement quelques à-compte.

—Oh! alors,—répond noblement l’artiste,—le grand artiste,—ne me donnez rien, les autres ont plus besoin que moi.

—Mais, monsieur Baillot,—vous n’êtes pas riche.

—C’est égal, je travaille et je gagne de l’argent.

image d’une guêpe On lit dans les journaux:

«M. le ministre de l’intérieur, ayant appris que feu Baillot laisse une veuve et une fille sans autres ressources qu’une pension de huit cents francs, vient d’ACCORDER—une indemnité annuelle de douze cents francs à madame veuve Baillot.»

Je ne parlerai pas de cette indemnité annuelle qui n’est pas même une pension—et qui s’élève majestueusement à la somme de douze cents francs pour la veuve—d’un des plus grands artistes de ce temps-ci.

Le gouvernement est pauvre,—il faut faire des engagements de quinze ans et de quinze mille francs par an à des danseuses maigres—pour se concilier la bienveillance douteuse d’écrivains sans talent qui les protégent.

Mais il aurait été plus décent, sans que cela coûtât un sou de plus—de faire mettre dans les journaux: «Monsieur le ministre de l’intérieur vient de prier madame veuve Baillot d’accepter une pension de douze cents francs.»

image d’une guêpe Un célèbre vaudevilliste vient de se marier—presque à la même époque que J. Janin, le fléau des vaudevilles;—tous deux ont fini comme tous les vaudevilles que l’un a faits, que l’autre a critiqués.

On a beaucoup parlé de ce mariage;—j’ai recueilli deux versions différentes.

Voici la première:

M. ***, il y a sept ou huit ans, rencontra chez son notaire une jeune dame dont la figure et les manières l’intéressaient:—il demande qui elle est.

—C’est la femme d’un négociant en vins, son mari est embarrassé,—elle cherche de l’argent.

—Serait-ce un placement sûr?

—Oui, sans doute.

—J’ai des capitaux disponibles; je prête l’argent.

De temps en temps, M. *** s’informait de la dame;—un jour il apprend qu’elle est veuve.—Cette fois ce n’est plus de l’argent, mais sa personne, son cœur et sa fortune, qu’il fait offrir,—il est accepté,—et les rideaux tombent.

image d’une guêpe Voici la seconde version:

M. *** aimait les femmes.—Que diable aimerait-on?—il en aimait plusieurs,—je ne m’aviserai pas de le défendre sur ce point.—Un jour après dîner, il va voir une de ces dames. «Ah! vous êtes le bienvenu, vous allez me mener voir les Pilules du Diable.—Volontiers.»

Le lendemain, il était chez une autre.

—Je vous attendais, j’ai fait retenir une loge, nous allons au spectacle.

—Ah!—et où?

—Franconi.

—Qu’est-ce qu’on donne?

—Les Pilules du Diable.

—Diable!

—Pourquoi?

M. *** comprend qu’il faut s’exécuter; s’il dit qu’il a vu la veille les maudites pilules,—on lui demandera avec qui.

—Seul.

—Vous pouviez bien venir me chercher.

Il se contente de dire: «Je vous accompagnerai avec plaisir.»

Le lendemain, troisième dame,—troisième invitation.

—J’aurais bien voulu vous voir hier.

—Vous êtes trop bonne.

—Oh! c’était intéressé:—j’avais besoin de vous.

—Il m’a été impossible de venir, j’ai travaillé toute la soirée.

—C’est égal,—aujourd’hui est aussi bon; je veux aller voir les Pilules du Diable.

M. *** frémit.—Mais il vient de dire qu’il a passé la soirée à travailler, il ne peut plus dire qu’il était aux Pilules,—et d’ailleurs,—avec qui?

Il s’ennuya tellement,—qu’il passa la nuit à énumérer tous les inconvénients de la vie qu’il menait,—il vit qu’il y avait dans la vie de garçon et d’homme à bonnes fortunes par trop de choses à faire trois fois;—un mois après il était marié.

image d’une guêpe M. Gannal a de nouveau paru sur la place, et je crois être agréable à la fois au public et à lui—en contribuant, pour ma part, à donner la publicité à une brochure qu’il vient de mettre au jour.

M. Gannal commence par dire pourquoi il prend la parole.

C’est parce que tant de personnes sont étonnées qu’il n’ait pas embaumé le prince royal,—qu’il croit devoir leur expliquer le mauvais vouloir qui lui a ôté à lui, M. Gannal, cette consolation.

image d’une guêpe M. Gannal en est d’autant plus affligé, qu’il savait à part lui—que le prince royal désirait vivement être embaumé par lui.

Consolation est une expression toute nouvelle, appliquée à l’industrie, et qui ne pouvait manquer de faire fortune.

Les marchands fashionables disent déjà, à l’imitation de M. Gannal: «Permettez, monsieur, que j’aie la consolation de vous vendre cette paire de bas.»

«Ne me refusez pas la consolation de vous vendre ce briquet phosphorique.»

«Madame, je ne puis céder ce châle au prix que vous m’en offrez, je renoncerais plutôt à la consolation de vous le vendre.»

Il faut dire que M. Gannal et M. le docteur Pasquier, chirurgien du duc d’Orléans, s’étaient rencontrés lorsque M. Gannal a embaumé le maréchal Moncey.

C’est ce qui fait le sujet de la lettre ou plutôt des lettres adressées à M. le docteur Pasquier par M. Gannal,—doctores ambo.

Remarquons en passant—une tendance de notre époque qui ne peut tarder à diminuer singulièrement les revenus de la poste aux lettres.—Autrefois quand on avait une communication à faire à quelqu’un qui se trouvait éloigné,—on lui écrivait une petite lettre que l’on pliait proprement,—on l’enfermait dans une enveloppe,—on la cachetait,—on mettait dessus le nom et l’adresse de la personne à laquelle on avait à faire,—et on jetait le tout à la boîte d’un bureau de poste.

Il n’en est plus ainsi aujourd’hui:—on fait imprimer sa lettre à mille exemplaires,—on la répand dans Paris et la province,—on la fait annoncer dans les journaux,—et un jour ou un autre celui auquel la lettre est adressée—rencontre un de ses amis qui lui dit:

—Eh bien! M. un tel vous a écrit?

—Ah!

—Oui, j’ai lu la lettre hier au café.

Où s’arrêtera ce besoin de notre époque de tout faire ainsi en public?

image d’une guêpe Nous allons maintenant citer des fragments de la lettre de M. Gannal;—nous mettrons entre parenthèses les quelques petites observations qui nous paraîtront indispensables pour éclaircir le texte.

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