Les Sources
DISCOURS
SUR LE
DEVOIR INTELLECTUEL DES CHRÉTIENS
AU XIXe SIÈCLE
ET SUR LA MISSION
DES PRÊTRES DE L’ORATOIRE
Messieurs,
Je veux vous exhorter à la pratique intellectuelle de l’Évangile.
L’Évangile, vous le savez, commence par le mot Pénitence, et finit par le sacrifice de la Croix. Pénitence, transformation, régénération, passage à Dieu et à l’amour par l’anéantissement de l’égoïsme : vie nouvelle par la pénitence, c’est-à-dire par le sacrifice de la croix, tout cela c’est même chose.
Contemplons donc aujourd’hui la lumière de cette croix du Christ, sinon d’aussi près que saint Jean et la Vierge, du moins comme ce groupe de femmes dont il est dit : « qu’elles regardaient de loin ». Contemplons le plan général de l’histoire de la Croix.
Qu’a produit la Croix dans ce monde ? Quel est le fruit de son premier triomphe ? Quels sont les dangers qui menacent aujourd’hui son règne ? Quelles sont les ressources que les fils de la Croix peuvent opposer à ces dangers ? Et quels sont dans cette lutte nos devoirs, à nous Prêtres de l’Oratoire qui vous parlons, à vous nos auditeurs ou nos amis ?
I
Voici dons Jésus-Christ en croix. Voici le signe et l’instrument du sacrifice planté, comme un arbre de vie, sur le globe. Le régénérateur ici pratique, par son sang qui coule, l’amour de Dieu et des ses frères jusqu’au sacrifice de soi-même. C’est là la nouvelle loi, c’est là l’alliance nouvelle de la créature avec Dieu. « Je vous donne un commandement nouveau, » a-t-il dit : « Aimez-vous comme je vous ai aimés. » Et parlant de ce sang que nous voyons couler, il a dit : « C’est le sang de la nouvelle et éternelle alliance. » Ce sang qui se répand sur terre est la semence d’une humanité nouvelle, humanité dont le signe et le caractère, la loi et la vie est et doit être l’amour de Dieu et des hommes jusqu’au mépris de soi. Il faut que cette humanité nouvelle croisse et se multiplie et qu’elle remplisse la terre. Mais la terre est couverte par les hommes du vieux monde dont le signe et le caractère, la loi et la vie est au contraire l’amour de soi jusqu’au mépris du genre humain et au mépris de Dieu. Ce vieux monde se défend dès qu’il comprend le sens de la vie nouvelle, qui est l’absolue opposition à la vieille vie ; il entre en lutte, et pendant trois siècles, il extermine par le fer et le feu l’humanité régénérée. Mais la création supérieure se défend à son tour pour la vertu de Dieu. Elle laisse couler son sang pour ensemencer la terre plus largement ; et, après trois siècles de lutte, l’humanité sacrifiée triomphe de l’humanité qui tue. Les victimes ont vaincu la force. La force passe aux chrétiens. César, roi du vieux monde, est chrétien : il voit la croix dans le ciel, signe de la force et de la victoire. La croix est une première fois glorifiée : elle monte sur la couronne des empereurs.
Dès ce moment, pendant quinze siècles de paix relative, voici ce qu’opère la croix. Elle engendre en effet une autre humanité, qui aujourd’hui est maîtresse du globe. Les peuples chrétiens sont rois de la terre entière, sans résistance possible de la part du vieux monde. La croix a donné la force et l’empire à ceux qui l’ont reçue. Elle absorbe la barbarie, elle retourne le paganisme, elle produit le miracle des sociétés nouvelles ; elle régénère l’élément social, la famille, selon sa légitime et primitive institution. Elle rend possible la liberté sans esclavage, sans anarchie, et l’unité sans tyrannie. Elle sème, sur les peuples, ce sel évangélique dont le Sauveur a dit : « Vous, vous êtes le sel de la terre ; » c’est-à-dire qu’elle produit le miracle des légions angéliques, qui par le sacrifice complet, par la virginité, sont, avec et après Jésus-Christ, la force qui élève la terre vers le ciel. Une intelligence plus haute est donnée aux peuples modernes avec des mœurs plus élevées. L’esprit humain régénéré contemple la nature d’un œil plus pur, plus pénétrant. Il s’en rend maître et la domine et la dirige : il saisit et gouverne les forces physiques inconnues aux anciens ; il triomphe de l’espace et du temps ; il parcourt son domaine avec la vitesse même du vent ; sa pensée traverse le globe avec la vitesse même de la lumière.
Tel est le premier triomphe de la croix, après la première lutte.
II
Mais quels sont aujourd’hui les dangers qui menacent ce règne de la croix ?
Les chrétiens sont maîtres du monde. Mais les chrétiens sont divisés. Le vieux monde ne peut rien contre eux. Il ne peut rien qu’avec eux et par eux, et en les divisant. Or, Dieu a permis que l’esprit du vieux monde pénétrât au milieu des chrétiens pour une épreuve nouvelle. L’esprit qui nie le sacrifice, qui l’abolit et le retourne, l’esprit de la cité du mal où chacun doit s’aimer contre tous et contre Dieu même, l’esprit païen a relevé la tête et trouvé des adorateurs. Dieu a permis que l’esprit ancien divisât son peuple, comme autrefois il avait permis que son peuple, maître de la terre promise, fût divisé. Dix tribus se séparaient alors de Jérusalem et du temple, et, abolissant le sacrifice, elles adoraient Astarté, Baal et le Veau d’or : Astarté, déesse de la volupté, adorée comme souverain Bien ; Baal, dieu du soleil, lumière créée, adorée comme lumière incréée, et l’Or, instrument de l’orgueil et de la volupté. Après mille ans de christianisme, la moitié du peuple chrétien, trop attachée à l’esprit du vieux monde, à sa sagesse philosophique et politique, et incapable du grand sacrifice de la virginité, s’est séparée du monde nouveau, mais sans abolition formelle du sacrifice. — Schisme oriental. — Et, depuis trois cents ans, voici le Protestantisme, et le philosophisme du dix-huitième siècle, et le sophisme contemporain, triple effort de l’esprit du vieux monde pour abolir le sacrifice !
Qu’est-ce en effet que cet esprit manifesté sous ces trois formes, esprit que les aveugles appellent esprit nouveau, quoiqu’il soit au contraire l’antique esprit païen luttant contre l’esprit nouveau ? Qu’est-ce que le protestantisme ? Le protestantisme est par essence et précisément l’abolition du sacrifice. Abolir la réalité du saint sacrifice quotidien, pour n’en plus faire qu’un pâle et stérile souvenir ; abolir le terrible et réel sacrifice de toutes les forces de l’homme par la virginité ; abolir la mortification, l’abstinence et le jeûne ; abolir la nécessité des bonnes œuvres, l’effort, la lutte et la vertu ; renfermer en un mot le sacrifice en Jésus seul, sans le laisser passer à nous ; ne plus dire comme saint Paul : « Je soufre ce qui reste à souffrir des souffrances du Sauveur. » Mais dire à Jésus crucifié : « Souffrez seul, ô Seigneur ! » voilà le protestantisme.
Oui, dire à Jésus crucifié : « Souffrez seul, ô Seigneur ! » voilà, non pas certes dans la pratique des individus, mais dans l’essence même de son dogme, voilà précisément la racine de tout le protestantisme. C’est un effort pour renverser la croix, pour l’arracher de terre, et dispenser chaque homme de la porter, sans pourtant en nier l’idée, puisque la croix de Jésus-Christ est manifestement tout l’Évangile, et que le peuple protestant se dit chrétien.
Mais la secte philosophique, qui s’élève au dix-huitième siècle, va plus loin. Elle s’attaque à l’idéal même du sacrifice ; elle s’attaque à Jésus-Christ même ; elle prétend l’écraser, et purger l’univers entier de toute trace et de toute idée de la croix, de toute pensée du sacrifice. Qu’est-ce qu’on sacrifie, lorsque l’on sacrifie ? On sacrifie la volupté, l’orgueil et l’égoïsme. Mais c’est précisément ce qu’on entend sauver, ce qu’on prétend adorer quand on retourne à l’esprit païen ; et l’on reprend avec le vieux culte, le culte de soi, le culte de l’orgueil et de la volupté. On adore de nouveau Astarté, déesse de la joie sensuelle, et Baal, lumière créée, raison humaine que l’on fait Dieu, et l’Or, dieu de toutes les passions, maître de tout.
Mais les sophistes du dix-neuvième siècle poussent à bout cette doctrine. Leur unique et continuel ennemi, c’est la croix. Abolir absolument toute idée et toute trace de la croix et du sacrifice, tout frein, toute autorité, toute subordination de l’homme à Dieu, toute loi, toute discipline, toute conscience, toute distinction du bien et du mal, c’est le but et l’idée[40].
[40] Dans la Revue des Deux-Mondes du 16 février 1861, dans un article sur l’Hégélianisme, l’auteur déclare qu’il veut dégager du système hégélien, qui est mort, « sa pensée vivante et éternelle… ses éléments permanents… les pensées élevées et profondes nous lui devons… les deux ou trois idées que l’humanité s’est appropriées… et qui suffisent à la gloire du philosophe et à celle du pays et du siècle qui l’ont vu naître… » Cela dit, voici ce qu’il trouve :
« La découverte du caractère relatif des vérités, qui est le fait capital de l’histoire de la pensée contemporaine… Les jugements absolus sont faux… Aujourd’hui, rien n’est plus pour nous vérité ni erreur, il faut inventer d’autres mots… Nous admettons jusqu’à l’identité des contraires. Nous ne connaissons plus la religion, mais des religions ; plus de morale, mais des mœurs ; plus de principes, mais des faits. Nous expliquons tout, et, comme on l’a dit, l’esprit finit par approuver tout ce qu’il explique. La vertu moderne se résume dans la tolérance… La morale, qui est l’abstrait et l’absolu, trouve mal son compte à cette indulgence… Les caractères s’affaissent pendant que les esprits s’étendent et s’assouplissent. »
Tout cela repose « sur ce principe qui s’est emparé avec force de l’esprit moderne, et qui peut être ramené à l’Hégélianisme : je veux parler du principe en vertu duquel une assertion n’est pas plus vraie que l’assertion opposée. »
Ainsi parlent ceux qui se croient les vrais représentants de la pensée contemporaine.
Pourquoi ? Précisément parce que l’homme est dieu, disent-ils. Si l’homme était dieu, toute possibilité, tout prétexte de sacrifice se trouve anéanti.
Chrétiens, voilà l’ennemi. Voilà son plan : abolition du sacrifice, renversement de la croix du Sauveur. Or, quelle est aujourd’hui la force, la position de l’ennemi ? Le voici :
Il y a aujourd’hui une force qui règne sur le monde. Il y a un gouvernail du globe. Ce n’est plus comme autrefois César. César n’est plus que la seconde des forces. Voici en effet la première, et Dieu en soit loué : c’est la parole publique, fixée pour tous les temps, multipliée pour tous les lieux par l’imprimerie.
Or, aux mains de qui est aujourd’hui cette force ? Évidemment, elle est aux mains de l’ennemi depuis un siècle. Le peuple chrétien, l’humanité nouvelle est accidentellement gouvernée par l’esprit du vieux monde. La civilisation chrétienne se trouve aujourd’hui dans l’état où se trouvait le peuple de Dieu sous le règne de Jézabel et d’Athalie. Jézabel massacrait les prophètes, abolissait le sacrifice dans Israël, c’est-à-dire dans la partie schismatique du peuple de Dieu. C’est ce qu’ont fait les hérésies.
Mais bientôt, au sein même de Juda, voici la fille de Jézabel, Athalie qui règne sur Jérusalem, qui opprime le temple de Dieu et travaille à l’abolition générale du sacrifice sur toute cette terre que Dieu avait donnée aux enfants d’Abraham. Tel paraît le philosophisme du dix-huitième siècle, et il n’est pas moins heureux qu’Athalie. Seulement, comme elle, il a aussi déjà eu son rêve, où il n’a plus trouvé
Mais cependant il règne encore. Il a un fils plus mauvais que lui, et qui prétend non plus seulement abolir le sacrifice, mais le retourner : au lieu de sacrifier la nature à Dieu, sacrifier Dieu à la nature ; ne plus se séparer de Dieu, mais l’attaquer ; ne plus seulement vider notre raison de toute donnée divine, mais adorer comme Dieu notre raison ; ne plus seulement l’isoler du ciel, mais la retourner vers l’enfer. Je ne veux pas insister ici sur ce mystère de mort. J’en ai parlé ; j’en parlerai souvent.
Ce que je vois, c’est qu’Athalie et Jézabel sont sur le trône. Elles tiennent le gouvernail. La parole publique fixée pour tous les temps, multipliée pour tous les lieux par l’imprimerie, cette irrésistible puissance est dans leurs mains. Dieu l’a permis. Armées de cette grande force, elles ruinent le christianisme. Où sont les chrétiens fidèles ? Où sont les hommes qui représentent les sept mille hommes qui n’avaient point fléchi le genou devant Baal ? Ils existent assurément et plus nombreux que les sept mille. Mais sur ces trois cent millions d’hommes qui portent le nom de chrétien, en est-il sept millions qui pratiquent ? Mettez à part les schismatiques, les hérétiques, les incrédules et les indifférents, que reste-t-il ? A Paris, il n’y a pas aujourd’hui un vingtième de la population qui suive Dieu et sa loi. Si donc, dans l’ensemble du monde chrétien, l’on compte un homme sur cent qui n’ait pas fléchi le genou devant l’ennemi, qui adore Dieu et suive sa loi, c’est beaucoup.
Voilà la position de l’ennemi et sa force : voilà le danger qui menace la croix.
III
Eh bien ! ce serait avoir peu de foi que de perdre courage à la vue de la force ennemie et du danger. Vous allez voir si nous n’avons pas de ressources. Seulement vous devrez comprendre qu’il ne faudrait pas dormir plus longtemps.
Sous Tibère et Dioclétien, il y avait une ressource, savoir : les catacombes et dans les catacombes la croix. Et la croix a en effet vaincu. Sous Athalie, il y avait une ressource, le temple, et dans le temple Joas et Joiada ; l’héritier légitime et le prêtre de Dieu. Il en est de même aujourd’hui. En présence de l’irrésistible pouvoir qui nous domine, il y a le temple de Dieu, l’Église catholique et les ministres de Jésus-Christ, et la croix, légitime héritière du trône. Oui, le sceptre et le trône, c’est la parole publique, fixée pour tous les temps, multipliée pour tous les lieux par la presse. Or, la croix est l’héritière de ce trône et de ce sceptre. Elle s’élèvera sur ce trône, comme elle s’est élevée sur la couronne de Constantin.
Dieu veut que l’humanité nouvelle, après avoir triomphé de la force et de César par le martyre ; après avoir régné d’un certain règne bien imparfait encore, mais pourtant très fécond, pendant quinze siècles, triomphe des nouveaux maîtres du monde, et commence un second règne moins imparfait et mille fois plus fécond que le premier.
Mais quels sont les maîtres du monde ? des idées, des doctrines, des esprits. Nous avons donc maintenant à dire avec saint Paul : « Notre lutte n’est plus contre la chair et le sang, elle est contre les forces intellectuelles du mal… contre les rois de ces ténèbres qui nous enveloppent. » Il nous faut conquérir le monde une seconde fois, non plus seulement ni surtout par le sang, mais par l’intelligence, par l’intelligence appuyée sur la croix comme le sang des martyrs lui-même tirait de la croix seule toute sa vertu.
C’est au nom de la science, de la raison, de la philosophie que l’on nous écrase par la presse depuis un siècle, et que le venin de la science perverse, de la philosophie menteuse atteint jusqu’aux extrémités du monde les lettrés et les illettrés, les esprits sans défense, et tous les commençants de la raison, plus faciles encore à surprendre que les enfants. Or, c’est sur ce point même que Dieu, nous l’espérons, prépare un éclatant triomphe. Il prépare une manifestation de lumière chrétienne, de science et de raison chrétienne, de sagesse catholique, laquelle certainement éclipsera ces ténébreuses lueurs qui nous séduisent et nous égarent. Voici comment :
Dieu inspire aux siens, en ce siècle, et bientôt depuis cinquante ans, l’idée d’une science d’ensemble, d’un enseignement encyclopédique, éclairé tout entier par la croix.
Rattacher tout à Jésus-Christ, les lettres, les sciences, les arts, la philosophie et l’histoire, et le droit et les lois, c’est une pensée qui fermente dans l’Église. C’est le mot de saint Paul appliqué à l’ordre intellectuel : « Rétablir tout en Jésus-Christ ; » ou, comme le porte une autre version : « Résumer tout, récapituler tout en Jésus-Christ ; » c’est-à-dire rattacher à cette tête, à ce principe, à cette source, à ce centre, tous les rayons de l’esprit humain. Et saint Paul le dit ailleurs plus clairement encore : « Je ne veux savoir qu’une seule chose : Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » Eh bien ! oui : le chrétien qui pense sait aujourd’hui que ce mot est et doit être la vraie devise de la science pleine, profonde, étendue à tout. On multiplie donc les essais, on publie des livres intitulés : Université catholique, Encyclopédie catholique. On fait plus, on fonde à Louvain une véritable université catholique qui vivifie tout un royaume. Plus tard, notre vénérable frère Newmann, fondateur de l’oratoire anglais, fonde aussi l’université catholique de Dublin.
En France, il nous sera impossible, ce semble, pendant très longtemps, de fonder un tel centre d’enseignement. Mais, au lieu de m’en plaindre, j’en veux remercier Dieu. Cette impossibilité nous donnera l’élan qui décuple la force sous la difficulté, comme on l’a dit si heureusement :
Au lieu d’un centre d’enseignement oral et local, déclarons que nous établissons nos chaires d’enseignement chrétien sur le trône même d’où l’on gouverne le monde, et que, comme tous en ont le droit, nous nous emparons, pour enseigner, de la parole publique, fixée pour tous les temps, multipliée pour tous les lieux, par la presse.
Mais c’est là même la difficulté, direz-vous ? Je le sais. Comment chasser l’ennemi de ce sommet pour nous y établir nous-mêmes ? Il nous faut donc regarder en face, fermement et attentivement, l’ensemble et le détail de la difficulté et chercher s’il n’y a pas quelque moyen, quelque chemin encore inexploré, pour parvenir à ce sommet et y dominer tout.
IV
Il y a plus de trente ans qu’un homme d’un grand sens, et qui certes n’était poussé par aucun fanatisme religieux, disait : « Le clergé catholique pourrait, s’il le voulait, prendre le sceptre de la science qui est par terre. Je ne lui demande pour cela que dix années d’efforts. » Ce mot est encore plus vrai que ne le pensait son auteur, et Dieu même en prépare l’accomplissement. Dieu dis-je, prépare, au fond de l’esprit moderne une science d’ensemble, dominée par la croix, Dieu prépare la réalisation littérale et textuelle du mot de la sainte Écriture : « Les lèvres du prêtre seront les dépositaires de la science. » Expliquons-nous.
Je parle de la science. Non pas des sciences partielles, mais de la science.
La science est la connaissance de ce qui est. Or, qu’est-ce qui est ?
« Il y a trois mondes, dit Pascal : le monde des corps, le monde des esprits et le monde de la charité, qui est surnaturel. » Aristote avait dit la même chose en des termes fort peu différents : « Il y a, dit-il, trois essences, deux naturelles, une immuable. » Il est évident qu’il y a ces trois mondes et point d’autres. Il y a les corps et les esprits créés, et puis il y a Dieu. Connaître ces trois mondes et leur rapport autant qu’il peut être donné à l’homme sur cette terre, c’est la science.
S’il en est ainsi, la science proprement dite n’a jamais été possible que de nos jours, et elle n’est devenue possible que par le christianisme. L’antiquité ne connaissait ni le monde d’en haut, ni le monde d’en bas. Elle ne connaissait pas le monde des corps, c’est un fait. Elle ne connaissait pas le monde d’en haut, parce qu’on ne peut le connaître solidement que par la foi et la révélation. L’antiquité ne connaissait donc que l’esprit de l’homme, et bien imparfaitement, puisqu’on ne peut connaître suffisamment l’un des mondes que par sa comparaison aux deux autres.
Le christianisme, la foi, la croix de Jésus-Christ sont venus révéler le monde d’en haut et ses mystères. Les Pères de l’Église et le moyen âge étaient donc en possession de deux mondes, le monde d’en haut, obscurément révélé par la foi, et le monde de l’esprit créé, illuminé par cette révélation d’où est sortie une science théologique et philosophique supérieure, sans nulle comparaison, à la science des anciens. Mais notre moyen âge lui-même ne pouvait pas encore essayer heureusement l’encyclopédie véritable, ni le commencement de la science proprement dite ; l’un des trois mondes lui manquait : le monde visible lui était inconnu à peu près autant qu’aux anciens. Mais, le temps venu, Dieu veut donner au peuple chrétien la science de ce troisième monde : il inspire, il pousse l’esprit humain à connaître enfin la nature. Il suscite des esprits pleins de force et d’élan, remplis de l’enthousiasme de la vérité : Copernic, Galilée, Kepler, Pascal, Descartes, Leibniz, qui furent les créateurs de tout le mouvement scientifique moderne, et qui firent entrer dans le monde la science de la nature visible. « Seigneur, dit Kepler, vous avez attendu six mille ans un contemplateur de vos œuvres. Soyez béni. J’ai dérobé les vases des Égyptiens ; j’en veux faire un tabernacle à mon Dieu. »
Ce tabernacle, conséquence des découvertes de Kepler, n’est achevé que de nos jours. Depuis peu, l’homme possède un certain ensemble de la grande science de la nature, non pas complet, mais suffisant pour commencer.
Aujourd’hui donc, pour la première fois, nous avons sous les yeux les trois mondes : le monde d’en haut révélé par l’Incarnation, donnée obscure, mais déjà profondément étudiée par le travail théologique de dix-huit siècles, travail immense, incomparable, dont le monde du dehors ne se doute pas. Nous avons sous les yeux le monde des corps, dont la science marche de conquête en conquête depuis trois siècles ; et nous avons la science de l’esprit humain enrichie de l’expérience de tous les siècles tant anciens que modernes.
Donc la science d’ensemble, la science proprement dite, l’encyclopédie véritable peut commencer. On peut maintenant comparer la théologie, la philosophie et les sciences. On peut comparer les trois mondes. « Attendez, disait M. de Maistre il y a quarante ans, attendez que l’affinité naturelle de la science et de la religion les réunisse ! »
Mais qui peut faire cette réunion et cette comparaison ?
Je dis qu’elle n’est possible que par la vertu de la croix : c’est là, chrétiens, votre triomphe. Qu’ont donc produit jusqu’à présent nos adversaires ? J’entends par là ceux qui veulent renverser la croix, ceux qui veulent rejeter de la vie et de l’esprit humain la pratique et l’idée du sacrifice. Qu’ont-ils produit ?
Vous entendez dire quelquefois qu’ils ont produit le mouvement scientifique moderne. Mais quoi ! c’est le dix-septième siècle qui a tout fait et tout créé ; depuis, l’on a perfectionné. Mais tous les inventeurs étaient chrétiens. Ces sciences sont donc à nous par leurs inventeurs : les peuples chrétiens seuls étaient capables de les créer. Elles ont été créées, non par révélation assurément, ni par voie de conséquence théologique, mais par l’effort de l’esprit humain, béni de Dieu, pénétré par la sève chrétienne, par les prières des saints, par la lumière des contemplatifs, par l’élan des mystiques, par la philosophie profonde des grands théologiens. Oui, ces forces, ces lumières, ces grâces et ces bénédictions, par la vertu du sacrifice et de la croix, ont soulevé l’esprit humain vers un plus grand amour du vrai et de plus grands élans.
Ces sciences donc, par leurs inventeurs, sont à nous. Les continuateurs ont pu être ce qu’on voudra, bons ou mauvais ; il n’importe. En elles-mêmes, d’ailleurs, toutes ces sciences, astronomie, mathématiques, physique, sont évidemment neutres. Elles sont au premier occupant, à celui qui saura s’en servir, et les faire entrer, toutes pénétrées de lumière et de philosophie, dans l’unité de l’encyclopédie véritable.
Or, nos ennemis le peuvent-ils ? Je demande encore une fois, pour juger leurs forces, ce que jusqu’à présent ils ont produit, outre les ruines. Mettons à part ces ruines, qu’ont-ils dit, affirmé, démontré ? qu’ont-ils construit ? Je ne trouve absolument rien.
Ils ne peuvent nommer que deux choses : la philosophie du dix-huitième siècle et la philosophie du dix-neuvième siècle, c’est-à-dire un éclat de rire, suivi d’un acte de folie.
La philosophie du dix-huitième siècle est un éclat de rire contre toute religion et toute philosophie. Ils ont dit : « Entre Platon et Locke, il n’y a rien en philosophie ; » c’est avouer qu’ils ne savaient plus même ce que veut dire philosophie. Pour eux, saint Augustin, saint Thomas et saint Anselme, tous les Pères grecs et tous les scolastiques, tous les mystiques, tout le dix-septième siècle, Descartes, Pascal, Bossuet et Fénelon, Malebranche et Leibniz, n’étaient rien en philosophie. Ils ont dit : « Nous avons quatre métaphysiciens : Descartes, Malebranche, Leibniz et Locke ; ce dernier seul n’était pas mathématicien, et de combien n’était-il pas supérieur aux trois autres ? » Ce qui veut dire simplement que le dix-huitième siècle avait perdu le sens philosophique, et qu’à ma connaissance, aucun siècle, depuis Platon, n’a été philosophiquement aussi nul. C’est une éclipse philosophique absolue. A partir de la plus vive lumière théologique, philosophique et scientifique, ils sont tombés en un instant dans les ténèbres.
Que ne puis-je exprimer ce que je vois ! Vous qui savez et qui pensez, je vous le demande, méditez ceci. Je vois au milieu du dix-huitième siècle, par suite du règne de la débauche, une négation subite du christianisme, et le propos délibéré d’écraser Jésus-Christ et la croix. Je vois, au même instant, les ténèbres envahir ce siècle, comme au calvaire, à la mort du Christ, et toute lumière immédiatement retirée aux esprits ennemis de Dieu. J’insiste. Je vois le religieux dix-septième siècle en possession de la lumière des trois mondes, lumière théologique révélée, lumière expérimentale et scientifique du monde des corps, puis une troisième lumière proprement philosophique, résultant des deux autres, par l’élan du génie et la force profonde de la foi. Le scepticisme impie rejette la lumière révélée du monde divin : à l’instant même la lumière de la philosophie lui est ôtée. Il cesse de pouvoir comprendre, et même d’apercevoir toute la philosophie du monde moderne. Non seulement il perd la lumière d’en haut et ses effets sur la philosophie proprement dite, mais il perd la meilleure moitié de la lumière d’en bas. Il tombe absolument au-dessous de Platon et au niveau de Démocrite dans les atomes et dans le vide. L’élan naturel qui, de la vue du monde physique, s’élance vers les idées, et prend son vol vers Dieu, lui devient impossible. Leur esprit a perdu ses ailes, leur raison son élan ; c’est-à-dire, ô prodige ! que le plus noble et le plus efficace des mouvements de la raison, celui qui s’élève, qui découvre, qui a des ailes et qui est, comme nous l’avons souvent dit, le calque logique du sacrifice, — ce que Platon avait dit avant nous, — ce mouvement s’arrête en eux. Leur esprit, qui niait la croix, a été, comme par miracle et châtiment, paralysé en un instant dans ses deux ailes ! O amis ! si l’on voyait les choses spirituelles comme on voit le monde extérieur, le seul spectacle de ce châtiment intellectuel des impies ramènerait le monde au christianisme.
Ce n’est pas tout. La chute devait être encore plus profonde, le châtiment plus étonnant. Si vous saviez ce qu’est la sophistique contemporaine et la folie panthéistique, qui se nomme la folie nouvelle, vous verriez l’esprit des impies qui au dix-huitième siècle, marchait du moins sur terre, mais privé d’ailes et dans les ténèbres, vous le verriez faire de nos jours un incroyable effort pour descendre sous terre et prendre, de haut en bas, je ne sais quel vol lugubre et singulier, comme pour chercher des lumières souterraines dans les abîmes.
Leurs pères avaient perdu la force de leurs ailes, mais avaient conservé la marche. Ceux-ci n’ont plus ni vol ni marche, ils n’ont plus qu’un seul mouvement, la chute.
Ils ont voulu se donner un élan, mais c’était un élan retourné.
Ils se sont fait des ailes, mais des ailes plus lourdes que l’homme, plus lourdes que la terre, qui précipitent au lieu d’élever.
Regardez bien, Messieurs, et vous verrez dans ces images le caractère précis du sophisme contemporain. Leur volonté a dénaturé les deux mouvements de la raison ; ils nient les deux principes de la pensée : celui qui marche dans l’identité des déductions ; celui qui monte d’un libre élan sous l’infaillible attrait de la souveraine vérité. Ils détruisent le premier en affirmant audacieusement l’identité des contraires, ce qui est le propre caractère et l’aveu naïf de l’absurde. Ils détruisent le second en retournant sa direction, et prenant ainsi leur élan vers les ténèbres librement choisies. Ce qu’ils découvrent dans cet élan, le voici : c’est que la vérité est nulle, que l’Être n’est pas, que le Néant est identique à l’Être. Voilà, ô frères, les deux philosophies qui remplacent la philosophie chrétienne du monde moderne. La première avait répudié la lumière révélée et perdu la lumière philosophique, mais s’attachait à la lumière du monde des corps et continuait avec effort la science de la nature, créée par les chrétiens. Les autres ont tout perdu, à ce point qu’ils rejettent la science du monde des corps, comme n’étant pas philosophique, qu’ils méprisent la nature comme étant un obstacle à l’idée, et qu’ils ont affirmé ceci : « Quand la nature n’est pas d’accord avec notre philosophie, c’est que la nature s’est trompée ! »
Voilà, chrétiens, nos adversaires. Nous n’avons d’autres adversaires que ces deux sectes. Quiconque repousse le panthéisme contemporain, quiconque s’élève plus haut que le rire voltairien, celui-là n’est point contre nous. Or, qui n’est pas contre nous est pour nous, selon la parole du Sauveur.
Nos adversaires dans l’ordre de la vérité, de la science, de l’affirmation, sont donc absolument et radicalement impuissants. Ils peuvent nier, détruire, diviser et se diviser ; mais se réunir pour construire, pour édifier, pour affirmer, ils ne le peuvent. S’ils l’essayent, comme le panthéisme contemporain, ils produisent des monstres, qui sont une démonstration par l’absurde de leur incurable stérilité.
Il reste donc, mes frères, que les chrétiens, au nom de Jésus-Christ crucifié, s’emparent des trois lumières : lumière divine et révélée du monde d’en haut, lumière purement naturelle du monde des corps, et lumière à la fois divine et humaine de la sagesse chrétienne, de la philosophie du monde nouveau. Il reste qu’éclairés par la croix, les ministres de Dieu rassemblent en un seul faisceau les trois lumières, et qu’ils élèvent ce phare incomparable sur le trône de la force moderne, qui s’appelle la parole publique, fixée pour tous les temps, multipliée pour tous les lieux.
V
Mais précisons. Comment la croix peut-elle devenir et la lumière et l’instrument de ce triomphe intellectuel de l’esprit nouveau, maintenant opprimé par l’esprit païen qui domine ? Le voici.
Il existe une étrange et vigoureuse peinture représentant le Calvaire sous la miraculeuse obscurité. Tout est noir, sauf la croix qui attire un rayon du ciel qu’elle réfléchit sur toute la scène. Tout point qui touche cette ligne lumineuse de la croix devient fécond à l’instant même, et des morts ressuscités sortent de terre.
De même la croix, je veux dire la doctrine du sacrifice, la pratique et l’idée et les applications intellectuelles du sacrifice, la croix, dis-je, fait descendre la lumière du ciel, la répand sur la terre, ressuscite et relève vers le ciel l’esprit humain, si mort qu’il soit, lui rend tous ses mouvements et toutes ses forces, et la vie, et la marche, et l’élan. Elle réunit dans une lumière unique, à la fois divine et humaine, les trois mondes que l’homme veut connaître.
En effet, le monde d’en haut est donné par la foi. Mais la donnée de la foi est obscure. La foi n’est pas la science. Il faut traduire en philosophie la simplicité de la foi, et faire germer en sagesse lumineuse ses données implicites. Ceci est un autre don du Saint-Esprit, dit la théologie : ceci s’opère par ce que l’on appelle les vertus intellectuelles inspirées, vertus données de Dieu, et sans lesquelles la foi, pour notre esprit, n’est qu’un talent à faire valoir ; mais vertus auxquelles l’homme travaille, et dont il ne se rend capable qu’en saisissant la croix et en s’y attachant. Il n’y a de lumière divine que pour l’intelligence sacrifiée, qui sort de soi pour s’élancer dans l’infini de Dieu. Les anciens eux-mêmes l’avaient vu, Platon l’a dit : « Philosopher, c’est apprendre à mourir. » Et ailleurs : « La sagesse n’est donnée qu’aux morts. » Et, en effet, l’attache aux phénomènes, sans libre élan vers les idées, est le mal des esprits terrestres non sacrifiés. Ces esprits ressemblent aux cœurs non sacrifiés, qui aiment la terre, le plaisir et les sensations : ces cœurs n’ont pas d’idées ; ils n’ont pas même la science de la terre, ils n’en ont que la vue animale. Et les esprits eux-mêmes, si grands qu’ils soient, lorsqu’ils sont liés à des cœurs non sacrifiés, perdent l’élan philosophique. Il faut abstraire, couper et retrancher, dépasser l’accident et les formes particulières pour arriver au vrai. C’est-à-dire qu’il faut sacrifier pour connaître la vérité, comme il faut sacrifier pour pratiquer le bien. Le sacrifice est la grande loi logique, comme il est la grande loi morale. Et je n’appelle point sacrifice ce que Bossuet nommait si bien : l’anéantissement pervers des faux mystiques. Ceci est le procédé des sophistes, qui anéantissent l’Être par la pensée, et le font identique au néant. Mais j’appelle sacrifice l’imitation du saint et salutaire sacrifice de la croix, où l’homme meurt, pour renaître glorieux ; où l’on meurt au temps pour revivre à l’éternité, à l’égoïsme pour revivre à l’amour. En un mot, j’appelle sacrifice non pas ce qui anéantit, mais ce qui multiplie et glorifie. Et ce divin passage, ce très saint et divin sacrifice, est le procédé nécessaire de la vie, pour notre cœur, notre esprit, notre corps, pour notre progrès dans le temps, et notre salut dans le monde à venir. Jésus-Christ, par sa croix, a inoculé sur la terre ce divin procédé de progrès, d’accroissement, de régénération et de résurrection. Les hommes, les peuples, les esprits et les cœurs qui s’y donnent, y trouvent la voie, la vérité, la vie.
La croix donc, éclairant nos travaux, peut seule relier les trois mondes dans sa lumière, et nous donner le commencement de cette science d’ensemble, qui ravira et entraînera l’esprit vers Dieu. Sans la croix, la base terrestre de la science ne s’élèvera jamais plus haut que la terre : l’œil contemplera la terre, mais sans y voir le reflet du ciel. « Nul ne peut monter au ciel, dit le Sauveur dans l’Évangile, que celui qui en est descendu… Mais quand j’aurai été élevé de la terre (par la croix), j’attirerai tout à moi. » Cela veut dire qu’aucun effort humain ne pouvait découvrir les divines données de la foi, c’est-à-dire la lumière du ciel. Mais la lumière du ciel, une fois répandue sur la terre par Jésus-Christ, qui est cette lumière même, peut remonter et attirer jusqu’au ciel la terre même. Et si la volonté de Dieu doit régner en la terre comme au ciel, sa lumière peut aussi briller sur la terre comme au ciel. Le chrétien, dans la science de la croix, peut comparer la terre avec le ciel. Il peut comparer l’ensemble des données terrestres, fruits de la science moderne, et l’ensemble des données célestes, apportées par le Révélateur, méditées, développées par l’Église catholique depuis des siècles. La sève terrestre, nécessaire à toute science humaine, peut, par l’arbre de la croix, dont les racines pénètrent jusqu’au centre du globe, remonter jusqu’au ciel pour s’unir à son air vital, et l’air vital, bu par la science terrestre, dans les branches de la croix, redescend jusqu’au centre du globe, pour y porter la vie d’en haut.
VI
La croix, outre ce qu’elle est d’ailleurs, est donc le véritable, le seul instrument de la science.
Les ministres de Dieu, ou les hommes sacrifiés à Dieu, seront ses ouvriers. Les autres les aident et taillent les pierres. Eux seuls connaissent le plan, l’ensemble, la loi, la vie du tout, et ont la force qui élève et rapproche les fragments du vrai. Eux seuls peuvent, par le sacrifice, acquérir quelque science expérimentale des choses d’en haut, et traduire en lumière humaine les données obscures de la foi ; eux seuls peuvent écouter Dieu dans la limpidité de la vie pure, le silence de l’humilité, le calme de la pauvreté. Eux seuls devenus humbles par la croix et sacrifiés dans l’étroite personnalité de l’esprit individuel, peuvent travailler plusieurs en un. Nos adversaires ne peuvent se réunir, si ce n’est en tumulte et pour détruire ; nous seuls, par l’amour intellectuel des esprits sacrifiés, pouvons nous réunir en ordre pour édifier. Nous seuls donc pouvons, par le nombre et l’union, l’effort suivi, la prière pénétrante et la bénédiction de Dieu, parcourir et connaître le monde immense des sciences contemporaines, parcourir et connaître le monde presque indéfini de l’histoire et de la science sociale, parcourir et connaître le monde plus immense encore de la théologie et de la foi ; puis rapprocher les mondes, les comparer, en faire, non pas la confusion et le mélange, mais la mutuelle pénétration dans la lumière, et dans la lumière de la croix, de manière à rapporter toute la nature à l’homme, tout l’homme à Jésus-Christ, à l’Homme-Dieu crucifié et ressuscité et « montant comme il l’a dit lui-même, vers son Père et notre Père, vers son Dieu et notre Dieu. »
Messieurs, toutes ces paroles seront peut-être énigmatiques pour plusieurs d’entre vous ; elles seront certainement moins obscures pour ceux qui ont longtemps médité l’Évangile. Quoi qu’il en soit, vous comprenez tous que le travail des ministres de Dieu, des chrétiens dévoués, unis par l’amour de la foi et travaillant dans la saine lumière de la philosophie chrétienne sur les admirables données de la foi, de l’histoire, des sciences, de la nature et de la société, peut produire en ce siècle un mouvement d’ensemble que les siècles passés étaient impuissants à produire ; un mouvement d’ensemble que l’esprit païen, esprit de division et d’incrédulité, dénué de philosophie véritable, livré au rêve du scepticisme, ou bien à la folie du panthéisme, ne saurait pas même entreprendre.
Voilà, Messieurs, notre irrésistible puissance dans notre lutte contre les forces du mal.
Nous tenons dans nos mains le principe, la possibilité d’une lumière catholique, universelle, à la fois divine et humaine, que l’adversaire n’a pas et ne saurait avoir. De plus, il y a une force publique, universelle aussi, qui est le gouvernail du monde, et qui est la parole fixée et multipliée par la presse. Nous pouvons nous en emparer le jour même où nous marcherons avec ensemble dans la voie de cette science. Car si l’adversaire a pour lui le nombre, l’intensité des voix, et la clarté superficielle, et l’entraînement du rire et la ligue des passions ; nous, nous avons pour nous la vérité, Dieu même et le fond des âmes. Nous n’avons plus seulement la vérité énoncée en langue inconnue, mais bien la vérité traduite, selon la pensée de saint Paul, la vérité scientifiquement et philosophiquement offerte à tout esprit qui pense, en même temps qu’enseignée à tous, populairement et par divine autorité. Nous avons en outre pour nous bien plus de la moitié du camp des adversaires ; car le nombre des esprits séduits, dans leur sincère amour du vrai, par la demi-lueur des vérités partielles, frauduleusement tournées contre la vérité, est bien plus grand que celui des méchants, qui, par perversité d’instinct, orientent la foule vers l’erreur. Qu’un rayon parte de la croix, les méchants seront terrassés, et tous leurs auxiliaires séduits seront pour nous, et la croix deviendra le sceptre des chefs intellectuels, comme elle est devenue le sceptre de Constantin. La croix brillera dans le ciel de l’intelligence, comme Constantin la vit briller dans le ciel des batailles. La croix aura son second triomphe et son second avènement dans le monde des esprits créés, avant le dernier avènement où elle brillera dans tous les cieux et dans le ciel des cieux pour le dernier jugement.
O sainte et bienheureuse fécondité de cette seconde époque du triomphe temporel de la croix, n’est-ce pas vous que Bossuet voyait quand il disait : « Heureux les yeux qui verront l’Occident et l’Orient se réunir pour faire les beaux jours de l’Église ! » N’est-ce pas vous que Fénelon rêvait toujours ? N’est-ce pas vous dont Leibniz disait : « Le temps vient où les hommes se mettront plus à la raison qu’ils n’ont fait jusqu’ici ? » N’est-ce pas vous que Joseph de Maistre nommait : « les admirables reconstructions que Dieu prépare ? » vous que sainte Hildegarde voyait quand elle parlait du siècle d’admirable vigueur des ministres de Dieu, siècle de vraie lumière, où les deux mondes, l’esprit et le corps, seront confondus dans une même science ? vous dont un intelligent historien a dit : « Il se prépare une nouvelle apologie du christianisme, qui réunira les chrétiens, qui entraînera l’incrédulité même[41] ; » vous dont un philosophe a dit : « C’est l’époque où le panthéisme sera détruit, où l’arbre de la science s’élèvera sur les racines de la révélation : renaissance qui sera pour le monde la plus grande des époques ! » N’est-ce pas vous qui faites enfin l’espérance du vicaire actuel de Jésus, l’homme de la croix, qui au pied de la croix avec la Vierge immaculée sa mère, prophétise toutes les fois qu’il parle, quelque grand triomphe de la croix !
[41] Rancke, Fin de l’histoire de la papauté, 1re édition.
VII
Or, en présence de ces vérités, Messieurs, quels sont nos devoirs, à nous qui vous parlons, à vous, nos auditeurs ou nos amis ? N’est-ce pas, comme nous l’avons dit en commençant, de pratiquer tout l’Évangile, avec un cœur nouveau ; puis de donner notre vie et nos forces à la propagation de l’Évangile, au triomphe de la croix ?
Et nous d’abord qui vous parlons, qu’avons-nous entrepris ? Qu’est-ce que l’Oratoire ?
L’Oratoire est un lieu de prière, d’étude dans la prière, et de propagation évangélique par la parole et par la plume.
Laissez-moi vous parler un peu, Messieurs et frères de cet Oratoire, de ce faible germe qui cherche à vivre, que vous semblez aimer, et bénir de votre présence et de votre prière. Je vous en parlerai fort librement, à cœur ouvert, comme de l’œuvre d’autrui ; or il semble que c’est une œuvre que Dieu opère, et que nous regardons du dehors comme vous. Si jamais j’ai dû comprendre cette parole de saint Paul : « Nous, nous sommes créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres que Dieu prépare, pour que nous marchions à sa suite, » c’est bien en présence du spectacle de cette petite œuvre naissante. Dieu a tout préparé, et quelques hommes ont suivi timidement, imparfaitement, de loin. Il a voulu en bien des circonstances paraître clairement à nos yeux, agir lui-même pour tout conduire, tout commencer. Et d’abord, Il prépare notre idée, nous l’avons vu, depuis un demi-siècle, et l’inspire à tous les penseurs chrétiens, aux prêtres, aux religieux, que les besoins urgents du sacerdoce n’emportent pas tout entiers dans l’action. Quant à nous, qui sommes un très petit groupe dans l’ensemble, Lui qui s’occupe des détails comme du tout, et des moindres choses comme des grandes, Lui, dis-je, s’est occupé de nous aussi. Dieu prépare depuis bientôt trente ans, vingt ans, dix ans, les divers membres de ce groupe à s’unir pour travailler à la grande idée de ce siècle. Dieu a voulu l’existence de ce petit centre, de ce petit sanctuaire d’étude et de prière uniquement fondé sur cette pensée, livré à cette idée de la Croix du Sauveur, comme centre et source de lumière.
C’est donc l’œuvre de Dieu, je ne saurais le mettre en doute. Seulement nous pouvons laisser périr l’œuvre de Dieu par notre orgueil, notre lâcheté, notre inintelligence, notre incapacité ; ce qui arriverait évidemment, par le fait même, si nous avions le malheur d’épuiser la première sève de l’Oratoire naissant en quelque œuvre particulière et secondaire ; si nous n’appliquions pas toutes nos pensées à cette science de la croix, qui est la propre science du Prêtre : labia enim sacerdotis custodient scientiam ; si enfin nous ne savions pas concentrer toujours nos forces vives dans l’essence même de l’Oratoire, qui n’est autre que l’essence même du sacerdoce, la Prière et la Prédication de l’Évangile : Nos autem orationi et ministerio Verbi instantes erimus. Retenez bien, Messieurs, cette restriction. Mais, grâce à Dieu, cette œuvre est une plante que le Père céleste a plantée. Voici donc ce que nous pouvons dire du but intellectuel de notre œuvre ; je dis le but intellectuel, car il s’agit de l’essence même de l’Oratoire, tout est dans ce seul mot : Nos autem orationi et ministerio Verbi instantes erimus.
VIII
Travailler au triomphe intellectuel de la croix, par l’ensemble des forces humaines bénies de Dieu, et par cette science d’ensemble possible par la croix seule ; prier, se recueillir pour recevoir quelque lumière d’en haut, quelque bénédiction intellectuelle, et quelque initiation dans la science de la croix ; travailler dans la lumière évangélique toutes les sciences, surtout les sciences morales, et leur application à la vie des peuples et à la solution de la grande crise que traverse le genre humain ; se réunir pour travailler plusieurs en un, afin de ramener à l’unité toutes les branches de la science et toutes les directions de la pensée ; s’attacher avec zèle et respect à la pureté, à la simplicité, à la clarté, et, si l’on peut, à la beauté et à la dignité de la parole, afin de répandre partout la science chrétienne, fruit de la foi, de la prière, du travail opiniâtre et de l’union, tel est le but.
Les moyens sont d’abord : la réunion de plusieurs dans un lieu de prière et d’études, dans cet Oratoire qui se compose de deux éléments : l’Oratoire proprement dit, et puis l’atelier de travail, ou, si l’on veut, la chapelle et la bibliothèque. Il faut être plusieurs ouvriers, posséder des forces diverses, les uns l’histoire, le droit ; d’autres les lettres ou la philosophie ; d’autres les sciences économiques et politiques ; d’autres la physique et les mathématiques, l’astronomie et toutes les sciences du monde des corps : d’autres posséderont à fond la théologie, qui, d’ailleurs, en tant que reine et directrice, doit, aussi bien que la philosophie, être commune à tous, du moins au degré suffisant.
Ces éléments donnés, il nous faut la ferme résolution de travailler avec accord, avec ensemble, avec prière et sacrifice perpétuel, sachant qu’on ne peut rien qu’en Jésus-Christ à qui l’on ne s’unit qu’en s’unissant au sacrifice. Puis il nous faut la résolution de ne pas nous perdre dans la polémique, mais de combattre l’ennemi par voie de supplantation. Il nous faut encore la résolution de voir dans tout ennemi un frère possible, un auxiliaire probable si, sans le frapper du glaive, nous l’enveloppons de lumière.
Il nous faut la résolution de parler toujours, et dans toute l’étendue de la science, une même langue, la langue du monde civilisé, en supprimant le grec et les idiomes techniques des sciences particulières.
Il nous faut la résolution d’écrire la vérité avec notre âme entière, esprit et cœur, afin de s’adresser à tous les sens, à toutes les facultés des hommes, afin de les atteindre tous, et ceux qui savent penser et ceux qui savent sentir, ceux qui pensent par images et ceux qui pensent par raisonnement. Un style complet est celui qui atteint toutes les âmes et toutes les facultés des âmes ! Or, si l’on aime, si l’on sait, si l’on prie, si l’on admire, si l’on travaille longtemps, si l’on sacrifie les mille bizarres particularités du lieu et du moment, de la coterie et du système, on peut avoir un style moins incomplet que le langage ordinaire des savants.
Mais il nous faut surtout bien choisir le côté par lequel nous devons présenter au monde la grande philosophie chrétienne. Il faut savoir quel est le point qui, d’ici à un demi-siècle, doit être surtout développé. Ce point, ce n’est pas la métaphysique ni la logique, c’est la morale, c’est la grande science du devoir. C’est l’éternelle, universelle et infaillible morale évangélique qu’il faut verser comme un esprit vivant, et comme un feu sacré, dans une science d’ensemble qui, unissant en elle le droit, l’histoire, la politique, la législation et l’économie politique, puisse se nommer la science du devoir, du devoir d’homme à homme, de peuple à peuple, de gouvernant à gouverné : science nécessaire pour terminer la crise où se débat le monde contemporain au moment où il se transforme.
Cette science évidemment, qui est surtout celle de la croix, est la première que nous aurons à travailler ensemble, nous chrétiens, et à établir dans le monde, par le détail de ses applications.
C’est ainsi que nous renverserons sans l’attaquer la vieille philosophie païenne qui prend pied parmi nous depuis un siècle, sous forme de scepticisme, et puis de panthéisme. Nous la renverserons en y substituant la puissante et lumineuse philosophie chrétienne, populairement enseignée par la presse à toute l’Europe, au monde entier. Nous en ferons deux traductions : l’une pour le monde lettré et l’autre pour le peuple, et une autre encore de vive voix.
Tel est notre devoir à nous qui vous parlons. Voici maintenant non pas votre devoir, Messieurs, mais la part que vous pouvez prendre vous-mêmes à nos travaux, vous nos amis, nos auditeurs.
IX
Avant tout, vous pouvez, et vous le pouvez tous, nous aider par votre prière. La prière est la plus grande des forces. Priez Dieu de nous supporter, de nous soutenir, quoique indignes ouvriers de son œuvre. En second lieu, vous pouvez nous aider par quelque coopération intellectuelle, soit en venant travailler avec nous dans une union plus ou moins intime, soit en travaillant loin de nous, mais dans le même sens. Et cette œuvre, en effet, est l’œuvre de tous les chrétiens, des ministres de Dieu d’abord, du clergé catholique tout entier, de vous tous, si vous vous élevez, quoique laïques, au sacerdoce du zèle, du dévouement et du travail pour Dieu. Dieu veuille susciter parmi vous des saints d’abord, puis pour la propagation de la vraie science, des génies chrétiens !
Enfin, Messieurs, quelques-uns d’entre vous, peut-être, travailleront à l’œuvre commune, par cet esprit de sacrifice qui fonde sur terre le corps des œuvres de Dieu. Oui, je voudrais pouvoir vous inspirer l’esprit de fondation.
Les œuvres de Dieu, les idées de l’Église du Christ ont été, il y a un demi-siècle, en France, entièrement dépouillées de leur corps. C’est ce qu’on a opéré plus récemment, sous nos yeux, en Espagne et puis en Piémont. C’est ce que le Piémont exécute en ce moment même, magnifiquement, en Italie. L’esprit païen craint en effet que l’esprit de Dieu ne s’incarne. Mais Dieu bénit la foi de ceux qui travaillent à réparer ces ruines, et qui donnent aux divines idées un asile et un corps.
Je connais un chrétien vénérable qui m’honore de son amitié, et qui vient de fonder dans sa patrie, — car il n’est point notre compatriote, — une œuvre immense. C’est une maison de vingt-cinq missionnaires. Maison, chapelle, bibliothèque, existence à perpétuité de vingt-cinq ouvriers évangéliques, ce noble chrétien a fondé le tout à lui seul.
Pourquoi d’autres chrétiens, aussi nobles de cœur, et placés dans les mêmes circonstances, n’auraient-ils pas l’inspiration de fonder grandement aussi le corps de la divine idée dont nous venons de vous parler ? L’Oratoire, autrefois, avait couvert la France de ses bibliothèques. Ces livres dorment maintenant dans ces catacombes de l’esprit que l’on appelle bibliothèques publiques : aucun œil ne les aperçoit, aucune main n’en secoue la poussière, et nous, nous avons à doubler nos efforts pour travailler sans livres, ou bien avec quelques débris que le hasard nous met en mains[42].
[42] Depuis que ce discours a été prononcé, l’illustre et bien regrettable Augustin Thierry nous a fait le très grand honneur de nous léguer sa bibliothèque.
L’Oratoire avait couvert la France de ses maisons et de ses églises. Aujourd’hui, nous avons cette salle pour chapelle[43]. Sans doute nous bénissons cet humble commencement. Cette pauvreté, c’est notre crèche ; et cette crèche portera bonheur à la divine idée. Mais le temps vient où nous devons nous livrer au travail avec plus de force et d’ensemble, et il nous faut, comme à saint Joseph, l’atelier de travail et les instruments de travail, pour nourrir le divin enfant.
[43] La chapelle de l’Oratoire est construite aujourd’hui.
Quelqu’un nous les donnera. Dieu enverra quelqu’un. Et si ce n’est un seul, les envoyés de Dieu seront plusieurs.
C’est donc ainsi, Messieurs, qu’aujourd’hui, ou bientôt, ou par la suite, quand Dieu voudra, vous pourrez nous aider : et cette œuvre peut devenir pour vous, ou l’un de ces plaisirs, ou l’une de ces affaires, dont je vous ai dit souvent : « Il faut d’autres plaisirs, d’autres affaires ! »
X
Et maintenant, je rentre dans ce que j’ai appelé si souvent notre devoir. Votre devoir n’est point telle ou telle œuvre particulière. Votre devoir est de pratiquer l’Évangile, c’est-à-dire de faire pénitence et de participer au sacrifice, parce que le règne de Dieu approche, et afin qu’il approche plus vite. Votre devoir est de prendre la croix, de la porter et de suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le temps où nous vivons demande d’autres chrétiens que des chrétiens qui dorment. Il faut des combattants, il faut des ouvriers. Tout chrétien doit être ouvrier ou combattant : car il faut défendre la croix, il faut chasser l’esprit païen, l’esprit adversaire de la croix, du milieu de cette humanité nouvelle fondée sur la lumière, la force et la vertu du Christ. Pendant que nous dormons, l’ennemi marche. J’entends par là l’esprit de retour au paganisme par l’abolition du sacrifice, par la rechute dans les sens et l’orgueil, par la rechute dans tout ce qui sépare et divise, par la rechute dans l’antique égoïsme, qui repullule avec fureur, dès que le sacrifice est aboli. O mes frères, ne laissez pas l’envahisseur s’avancer plus loin. Prenez la croix. Levez la tête, occupez-vous des intérêts de la justice et de la vérité, et cessez de trouver dans ce qu’on nomme le monde, dans ce monde banal et vieilli, tous vos plaisirs, toutes vos affaires. Honte à celui qui, parmi tant d’affaires, n’en a pas une qui soit pour Dieu ! Honte à celui qui, dans ses mille plaisirs, n’en a pas un qui vienne de Dieu. Le temps approche, espérons-le, où l’homme qui vivra pour lui seul, selon la fade et coupable routine du vieux monde décrépit, ne sera plus un homme aux yeux des siens, mais un efféminé. Le temps vient où, comme autrefois dans l’enthousiasme des croisades, les femmes enverront à l’homme qui prétendra rester dans ses plaisirs et son repos la quenouille de fileuse pour le réveiller par la honte.
Le temps vient où, réveillés enfin par la honte ou par le danger, les chrétiens retrouveront une science et une pratique plus profonde de la croix ; y verront le passage de cette vie qui meurt, à la vie éternelle ; et y verront de plus le passage de la vie terrestre mauvaise, corrompue, corruptrice, toujours en décadence, à la vie généreuse, grandissante et féconde qui fait marcher le monde vers la justice, qui hâte le terme où la nouvelle humanité, fondée par la croix du Sauveur, régnera sur la terre entière pour la gloire de Dieu et pour la paix et le salut du plus grand nombre.
Ainsi soit-il.