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M. Renan, l'Allemagne et l'athéisme au XIXe siècle

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CHAPITRE IX.
ADRESSE AUX UNIVERSITÉS ALLEMANDES.

Il me reste à exprimer une espérance. Ce livre dit certaines choses. Il en sous-entend certaines autres. Les plus grandes, ce sont les sous-entendues. Son but sera atteint, s’il réunit quelques hommes dans une affirmation précise de la vérité, et il sera atteint surabondamment s’il inspire à ces mêmes hommes, à ces amis dont j’ignore le nom, le sentiment des choses supérieures. O lumière mystérieuse ! ô lumière évidente ! ô chose sublime !

Dieu de Dieu, lumière de lumière, Deum de Deo, lumen de lumine. O vous qui savez tout, faites-nous savoir quelque chose ! O Verbe en qui tout est vie, essence infiniment infinie en qui toute vérité est comprise, ô lumière, je vous adore ! ô lumière, brillez sur nous !

Nous vivons dans une époque où la hardiesse du mal autorise la hardiesse du bien. Les esprits troublés se promènent sans repos, d’une extrémité à l’autre, dans le champ de leurs pensées. Les grands troubles sont favorables aux grands mouvements. Les éléments en fusion se pénètrent mieux. Le jour où l’Allemagne et la France, où la science et la vie se rencontreront dans le christianisme sera un grand jour dans l’histoire du monde. Messieurs les professeurs des universités allemandes, Dieu vous demande votre coopération. Dites à vos maîtres, dites à vos élèves, dites à vos concitoyens, que l’éternel Exilé, celui qui n’a pas où reposer sa tête, le Christ, demande l’hospitalité au peuple germanique.

Vérité absolue prête à s’assimiler toutes les vérités, il les transfigurera dans sa lumière, au lieu de les anéantir. Il sera votre vie et la vie de votre science. Vous avez brisé l’Europe en scindant l’unité.

Une idée germe dans l’intelligence de l’Allemagne. Le bras de la France la traduit en faits. Le monde civilisé imite la France et l’Allemagne. Jusqu’ici vous avez lancé la négation sur le monde ; mais vous l’avez épuisée, et, sous peine de mort, vous rentrerez dans le domaine de l’être. Vous réparerez les maux que vous avez faits. Vous montrerez au monde un peuple catholique, une science catholique. La France vous suivra dans la vie comme elle vous a suivis dans la mort. La science et la foi s’embrasseront. En face des grandes choses qui vous attendent pour éclater, vous ne serez pas retenus, messieurs, par une contrainte indigne de vous, la contrainte de l’habitude, du préjugé, du parti pris. Mandataires de l’Europe, réfléchissez devant Dieu dans la liberté de vos âmes.

L’Église vous attend. Elle porte, depuis la catastrophe qui vous a séparés d’elle, le deuil éternel des mères. Elle répète sur vous les paroles du prophète-roi sur son fils perdu : « Absalon, fili mi, fili mi, Absalon ! » Ézéchiel était en présence d’ossements brisés et glacés, quand il entendit cette parole : « Souffle sur eux, fils de l’homme ; souffle et prophétise. » Il souffla, la vie revint et les morts se levèrent. Votre science est un monceau de ruines gigantesques qui demandent la vie, le souffle de l’Esprit-Saint. Vous changerez en cathédrale le caveau sépulcral où dorment les froides dépouilles de vos aïeux. Écoutez-les. Ils vous disent de leur grande voix que la science et la foi veulent se réunir, que l’avenir du monde est à cette condition, que par vous le XIXe siècle doit racheter les crimes du XVIe, que les petits-fils de ceux qui s’égarèrent ont une œuvre à accomplir, digne de leur génie et digne de leur courage.

Schelling est mort, Hégel est mort, l’Allemagne meurt si elle ne se laisse étreindre dans les bras de l’universel amour, si elle ne réchauffe sa science contre le cœur de la mère universelle, si vous ne levez le drapeau de l’unité dans les métropoles de votre philosophie. Tout s’abat autour de vous. L’arbre que le révolté planta en entrant à Worms a exaucé la prière de cet homme : il a grandi comme sa doctrine, il est tombé comme elle ; l’ormeau de Luther est foudroyé. Worms a entendu le bruit du tonnerre. Schelling a salué de ses derniers regards l’espoir qui se réalisera.

Voulez-vous qu’un cri de paix retentisse de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Cologne ! Cologne, la ville catholique ! Les murs tant de fois séculaires de sa métropole inachevée ignoreraient peut-être l’apparition du protestantisme, s’ils n’avaient entendu Frédéric Schlegel, célébrant son retour à l’unité catholique, réciter, avec la profession de foi de Pie IV, le Te Deum de la réconciliation ! Par ces idées et par ces souvenirs, par les aspirations de vos plus illustres ancêtres, par la mémoire des grands hommes et par la mémoire des saints, par ce Verbe éternel qui est le lieu des esprits, et qui rend raisonnables les intelligences, j’ose vous prier, messieurs, de résoudre enfin dans l’harmonie cette grande dissonance qui retarde la science et qui désole les âmes.

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